Mardi 30 octobre 2018
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 55.
Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes très heureux de recevoir M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, que nous voyons peu au Sénat, pour un débat que nous espérons fructueux sur le projet de loi de finances pour 2019 - et peut-être la loi Pacte -, en particulier la mission « Économie » et le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Mais les commissions pour avis ont pour usage d'évoquer plus largement, pendant cette période budgétaire, les politiques qui prennent appui sur les finances publiques.
Si le montant de la mission augmente cette année de 6 % par rapport à 2018, ce n'est dû qu'aux crédits de paiement enfin déployés pour la mise en oeuvre des réseaux d'initiative publique, dans le cadre du programme France Très Haut Débit. Si l'on excepte cet effort ponctuel - dont personne au Sénat ne nie l'importance - le reste des crédits baisse de 7,3 % à la faveur « d'une rationalisation des aides aux entreprises », comme les documents budgétaires l'indiquent pudiquement.
Monsieur le ministre, j'attire votre attention sur la nécessité de conserver un système d'aides publiques aux entreprises puissant et efficient, même dans un contexte marqué par une volonté de désendettement, chère à tous. Que ce système d'aides puisse être revisité, c'est légitime, qu'il doive être efficace, c'est une évidence, mais il ne peut l'être qu'à deux conditions : d'une part, il doit se traduire par des actions concrètes de nature micro-économique - la récente mission d'information du Sénat sur l'industrie, conduite par nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon l'a bien mis en exergue ; d'autre part, il doit être doté d'un financement suffisant. Or les dépenses d'intervention du programme, déjà réduites à peau de chagrin, arrivent à un étiage inquiétant. Les ponctions sur certains acteurs de l'accompagnement des entreprises - je pense naturellement aux chambres de commerce et d'industrie (CCI) - sont telles qu'elles pourraient remettre en cause l'exercice effectif de leur mission. Le Gouvernement a annoncé une baisse de 400 millions d'euros sur quatre ans du montant de la taxe qui leur est affectée, non sans avoir juré l'an passé qu'il s'arrêterait là... S'il n'est pas injustifié que certaines prestations des CCI aux entreprises fassent l'objet d'une tarification, cela ne peut pas être le cas de toutes, notamment celles à destination des PME et des TPE. En outre, la formation des jeunes, offerte par ces chambres, va souffrir de façon certaine de cette nouvelle baisse, alors que l'absence de compétences est un facteur de non-compétitivité de nos entreprises.
Le maintien d'un système d'aides publiques aux entreprises est d'autant plus indispensable que, comme l'actualité le montre malheureusement avec l'affaire Ascoval, notre économie n'est pas suffisamment forte pour garantir la pérennité de notre tissu économique, qu'il s'agisse de PME et d'ETI, notamment dans le secteur industriel. La puissance publique ne peut se borner à agir uniquement lorsque les entreprises sont déjà en difficulté. Sur cette question, comme sur le dossier particulier d'Ascoval, vous nous direz ce que vous envisagez.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des finances. - Je suis très heureux d'être parmi vous pour cette présentation du projet de loi de finances pour 2019. Je répondrai à toutes vos questions sur la politique économique du Gouvernement et sur les sujets d'actualité, notamment dans le domaine industriel.
Je voudrais rappeler les grandes orientations économiques qui sous-tendent les choix du Gouvernement et du Président de la République, que je revendique et qui n'ont de sens que dans la durée et la constance.
Notre première orientation est le rétablissement de nos finances publiques. Nous avons pris des mesures qui mèneront, d'ici la fin du quinquennat, à une baisse de cinq points de la dette publique, de trois points de dépense publique par rapport à la richesse nationale et d'un point de prélèvements obligatoires. C'est l'engagement du Président de la République devant les Français, dont je suis le garant en tant que ministre des finances.
Ces choix-là ont déjà sorti la France de la procédure européenne pour déficit public excessif, pour la première fois depuis dix ans, et ont inversé la tendance. Je rappelle qu'en dix ans, le niveau de dette publique est passé de 64 % à 98 %, le niveau de dépenses publiques de 51 % à 55 % et le niveau de prélèvements obligatoires a été dans le même sens. On peut discuter de la rapidité du rétablissement de nos finances publiques, mais on ne peut pas nier que ce Gouvernement inverse la tendance.
Notre deuxième orientation, vitale, est de retrouver la prospérité pour tous les Français sur tout le territoire ; non pas par toujours plus de dépenses publiques, donc toujours plus de dettes et d'impôts, mais par une amélioration de la compétitivité de nos entreprises pour qu'elles puissent créer plus de richesses, investir et in fine créer des emplois. Ce renversement stratégique demande du temps et du courage - nous avons par exemple renoncé aux emplois aidés au profit des emplois dans le secteur marchand - et suppose de faire le pari de l'innovation. C'est la seule voie de rétablissement de l'économie française, pour qu'elle continue à jouer les premiers rôles.
La croissance française, qui a été de 0,4 % au troisième trimestre contre 0,2 % en moyenne dans la zone euro, nous permettra de tenir nos engagements. Même si elle est aujourd'hui solide, elle peut s'améliorer si nous gardons cette stratégie de compétitivité, d'innovation et d'investissement. Cette dernière nous amène effectivement à réduire un certain nombre d'aides publiques, telles que celles versées aux CCI. Je considère qu'il n'y a pas de raison de les financer globalement par une taxe affectée. Ce peut être le cas pour une partie de leurs activités, par exemple celles qui portent sur les centres de formation des apprentis ou certaines écoles de commerce, mais pour le reste, constatez l'empilement de mesures : les régions et les CCI apportent parfois les mêmes aides aux entreprises et le contribuable paie deux fois. Il faut avoir le courage de réinventer les CCI et leur mode de financement. Nous veillerons toutefois à ce que les plus fragiles, notamment dans les zones rurales, soient préservés de cette baisse de crédits.
Notre troisième orientation est l'innovation. La rapidité des transformations technologiques sur la planète est plus forte que tout ce que l'on imagine. Si la France n'investit pas massivement dans l'innovation, elle perdra sa souveraineté technologique. Pour ce faire, nous devons utiliser tous les leviers à notre disposition. Nous avons donc modifié la fiscalité sur le capital afin de dégager des moyens pour investir dans l'innovation. Nous utilisons aussi l'instrument de la cession d'actifs de l'État dans un certain nombre d'entreprises publiques pour financer un fonds pour l'innovation de rupture. En effet, les entreprises ne financent pas ce type d'innovation, car il n'est pas rentable immédiatement. Pour vous donner un exemple à l'étranger : les travaux sur le lanceur spatial renouvelable aux États-Unis, financés largement par l'État américain, permettent aujourd'hui aux lanceurs spatiaux américains privés d'être plus rentables que les lanceurs européens. Il faut faire de même en matière de stockage d'énergie et d'intelligence artificielle.
En matière d'innovation - et le rapport de France Industrie est sans appel - il est indispensable d'investir non seulement dans la pensée mais aussi dans la fabrication et la validation des produits. C'est le sens de notre mesure sur le suramortissement sur la robotisation et sur la digitalisation.
Enfin, face aux concurrents chinois et américains, soit nous rassemblons les forces européennes, soit nous disparaîtrons. À ce sujet, nous pourrons aborder notre stratégie sur le stockage des énergies renouvelables.
Autre grande orientation, la restructuration de l'action publique. Qu'il s'agisse de l'administration centrale, de la direction générale des entreprises (DGE) ou de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), nous avons fait des choix pour réorienter les missions de l'État vers ce qui est absolument prioritaire. Nous pourrons ainsi réduire le nombre d'emplois équivalent temps plein dans les années qui viennent, sans modifier la qualité du service rendu aux Français.
Il ne peut pas y avoir de croissance durable sans restauration de nos finances publiques. Le choix de la croissance durable passe aussi par un investissement massif dans l'innovation, pour pouvoir conjuguer compétitivité de nos entreprises et respect de l'environnement, profitabilité de nos PME et lutte contre le réchauffement climatique. Cette direction, que nous avons prise avec le Premier ministre et le Président de la République, a pour but d'opérer une mutation de la France d'une économie carbonée largement financée par la dépense publique à une économie décarbonée respectueuse de l'environnement, dont la profitabilité ne dépend pas du niveau des impôts mais de la compétitivité des entreprises.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Au Sénat, nous tenons beaucoup au fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), or depuis des années, nous assistons à sa mort lente. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 avait fléché 100 millions d'euros de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) vers le Fisac car cette taxe a été créée justement pour compenser l'atteinte du grand commerce aux petits commerces. Le projet de loi de finances pour 2019 marque la fin du Fisac, au motif qu'il est inefficace compte tenu de son montant. Évidemment, puisqu'on lui coupe les vivres ! Cette mesure est tout à fait contradictoire avec la priorité affichée par le Gouvernement de revitaliser les centres-villes. Dire que le financement du commerce doit désormais relever des seules régions, étant donné leurs nouvelles compétences économiques, revient à nier le rôle de l'État dans les territoires, qui, pourtant, doit pouvoir intervenir pour compenser certains déséquilibres.
Le projet annuel de performance économique annonce en 2019 une forte évolution des missions des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) et de la DGCCRF. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Une coordination optimale du soutien et de l'accompagnement aux entreprises est nécessaire avec les agences économiques régionales, les réseaux consulaires, les opérateurs de l'État tels que Bpifrance et Business France. Mais encore faut-il que ces autres acteurs aient les moyens de mener des actions décisives en faveur des entreprises. Or de fortes interrogations se font jour après la saignée continue des financements publics des réseaux consulaires : seront-ils encore en état demain d'assurer leur mission d'accompagnement ? De plus, le projet de loi de finances supprime tout financement à BPI France au titre de son activité de garantie.
Dans le domaine de la concurrence et de la consommation, la réforme annoncée de la DGCCRF assurera-t-elle une répartition plus claire entre ce qui relève des actions de contrôle de l'État, qui doivent être approfondies - l'affaire Lactalis nous l'a montré - et les actions d'information qui pourraient revenir à l'Institut national de la consommation et aux associations de consommateurs ? Quelles assurances pouvez-vous nous donner ?
La maquette budgétaire a été modifiée. Plusieurs actions du programme 134 « Développement des entreprises et régulations » ont été regroupées. Ainsi, les actions « commerce, artisanat, services », « entreprises industrielles » et « tourisme » sont fondues dans une nouvelle action plus large, « industrie et services ». Le Gouvernement explique vouloir améliorer la lisibilité des actions et l'information du Parlement, or c'est exactement l'inverse puisque nous n'avons plus la visibilité nécessaire pour flécher précisément les financements. Nous perdons de nos prérogatives.
Enfin, le Conseil constitutionnel, qui s'est très récemment prononcé sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), n'a pas rejeté comme cavalier législatif la suppression du matériel en plastique utilisé notamment dans la restauration collective. Cette mesure a des conséquences sur l'industrie de la plasturgie. J'ai noté que cette mesure avait été adoptée à l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement. Vous saisirez-vous prochainement de ce sujet ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - Concernant la taxation des géants du numérique et la nécessité de rétablir un minimum d'équité fiscale entre ces derniers et nos entreprises, où en est le projet de nouvelle définition de l'établissement stable au sens des conventions de l'OCDE ? Combien de temps devrons-nous encore supporter ce dumping fiscal provenant d'entreprises en situation oligopolistique ? Où en est la négociation du règlement européen Platform to Business, qui impose des obligations de transparence aux plateformes ? Il ne faudrait pas qu'il se fasse a minima. La France plaide-t-elle pour étendre son champ d'application aux systèmes d'exploitation tels qu'Android ou IOS ou encore aux assistants vocaux ou aux moteurs de recherche ? L'enjeu, majeur, est de rééquilibrer le rapport de force entre les géants du Net et nos entreprises.
Trois ans après sa création, l'Agence du numérique serait absorbée par la nouvelle Agence de la cohésion des territoires, à l'exception de la mission French Tech. Que deviendra cette dernière? Quelle est la plus-value d'une telle réorganisation ? Nous craignons qu'elle soit contre-productive. Exercerez-vous une cotutelle sur cette agence ?
Le Gouvernement prévoyait de proposer une exonération temporaire de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) mobile sur les stations installées jusqu'en 2022 dans le cadre du dispositif de couverture ciblée, pendant les cinq ans suivant leur installation, or cela ne figure pas dans le PLF. Est-ce un oubli ?
La taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) était destinée à financer France Télévisions. Ce n'est plus le cas. Quelle est sa justification ?
Monsieur le ministre, vous engagez-vous à transmettre aux parlementaires l'accord sur la couverture mobile du territoire conclu en janvier dernier avec les opérateurs et qui a fait l'objet d'un avis favorable de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), ainsi que le rapport de la mission d'inspection relative aux réseaux d'initiative publique ?
M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - L'aciérie Ascoval est menacée de fermeture. Le président de la région Hauts-de-France demande à l'État de tout faire pour la sauver. Quand l'État veut prendre ses responsabilités, il peut empêcher une fermeture programmée. Souvenons-nous de PSA.
Dans le projet de loi de finances pour 2019, les autorisations d'engagement des crédits d'intervention de la mission « Économie » baissent de moitié, ce qui limite la capacité à engager des actions de soutien aux entreprises à moyen terme ; l'action dédiée à l'industrie a disparu. La lisibilité devient très mauvaise.
Seuls 5 % des crédits de dépenses d'intervention de l'action « industries et services » vont directement aux entreprises, or la situation se dégradera avec la rationalisation des aides que vous annoncez. Ma question sera brute : pourquoi l'industrie est-elle la grande absente du budget général que vous présentez aujourd'hui ? Pourquoi le Gouvernement ne consacre-t-il pas tous les moyens nécessaires à la relance des investissements des entreprises, alors que cet investissement est indispensable à la transformation de nos filières industrielles ? Lors du projet de loi de finances initiale pour 2018, le Sénat avait voté à l'unanimité un amendement sur le suramortissement. Cette année, ce même amendement a été adopté par les députés. Nous nous en félicitons, mais pourquoi ne pas conserver le suramortissement jusqu'en 2021 ? Nous savons tous que les équipementiers de rang 1 se modernisent et s'adaptent à l'économie du futur et que les difficultés, ce sont pour les ETI, les PME et les TPE. Avec Alain Chatillon, nous avons formulé des propositions, parmi lesquelles un livret d'épargne « Industrie » pour capter l'épargne et la diriger vers l'industrie. Pourquoi le Gouvernement ne s'y intéresse-t-il pas plus ?
Les mesures fiscales sur les carburants vont se traduire par des hausses du prix de production et un taux de marge très réduit, de 2,48 points en moins, alors que l'industrie française accuse un retard de 4 points par rapport à l'industrie allemande. Ces décisions fiscales ne risquent-elles pas de gêner considérablement notre industrie ?
M. Jean-Pierre Moga. - Monsieur le ministre, je souhaite vous parler des conséquences de l'augmentation du prix des carburants sur le pouvoir d'achat. Le prix du gazole a augmenté de 20,6 % en un an, soit 24,9 centimes de plus par litre. Le prix de l'essence a augmenté de 15 %. En zone rurale, la voiture est le mode de transport le plus utilisé. Cette forte hausse pénalise les ménages, en particulier ceux qui habitent loin des grandes métropoles et de leur lieu de travail, dans des zones peu ou pas desservies par les transports collectifs. Elle pèse en premier lieu sur ceux qui ont les revenus les plus modestes et les agriculteurs. Pendant longtemps, les véhicules diesel ont été privilégiés. Aujourd'hui, pour inciter nos concitoyens à utiliser d'autres énergies et à acquérir des véhicules plus propres, le Gouvernement décide de taxer davantage le gazole. Cependant, les ménages les plus modestes n'ont pas les moyens de changer de véhicule. Le Gouvernement s'est engagé à redonner du pouvoir d'achat aux Français, mais la hausse des prix du carburant produit l'effet exactement inverse. Des mesures sont-elles prévues pour accompagner nos concitoyens les plus modestes pour lesquels la voiture reste la seule solution de mobilité au quotidien ? Ces augmentations n'accroissent-elles pas la fracture entre la France rurale et les métropoles ?
Mme Noëlle Rauscent. - La participation des constructeurs à la prime à la casse sera décidée à la fin du mois. Monsieur le ministre, après votre réunion d'hier avec tous les acteurs de la filière automobile, pouvez-vous nous en dire plus ? Quelque 170 000 dossiers avaient été déposés mi-septembre ; c'est un succès inattendu puisque vous tabliez sur 3 000 demandes. Prévoyez-vous d'étendre le dispositif ?
M. Michel Raison. - On a très nettement l'impression que les économies pour rétablir les comptes publics sont demandées aux autres : aux collectivités territoriales, aux CCI, aux bénéficiaires de la Tascom... Les réformes structurelles de l'État ne semblent pas en route. On ne constate pas de changement dans la gestion des grands dossiers. Les communes, au plus près du terrain, sont généralement très bien gérées. Mais quand on étudie le coût de gestion du dossier de construction d'une gendarmerie, c'est un drame !
Songeons à toutes les agences, tous les comités qui ne servent à rien, que la Cour des comptes a dénoncés. L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) gère moins de deux milliards d'euros et pourtant elle a toujours une gestion à part. Il faut arrêter cette gestion catastrophique de l'État ! Les fonctionnaires répondent : « On a toujours fait comme ça. » Arrêtons.
Dans le projet de loi Pacte, la réforme du système des seuils pour les PME est une bonne chose mais elle pourrait être encore plus simple. Simplifier ne coûte rien et améliore la compétitivité.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Ma question porte sur le dispositif Travailleur occasionnel demandeur d'emploi (TODE), c'est-à-dire l'allégement de charges pour les employeurs de main-d'oeuvre saisonnière dont le but est de limiter le différentiel de compétitivité entre les producteurs français et leurs principaux concurrents. Entre 2010, date de sa création, et 2013, il s'appliquait à 100 % jusqu'à 2,5 SMIC. Ensuite, c'est passé à 1,25 SMIC. Or, le coût du travail saisonnier en France demeure le plus élevé d'Europe, de 37 % de plus qu'en Italie et de 75 % de plus qu'en Pologne.
Le dispositif transitoire dégressif voté la semaine dernière à l'Assemblée nationale entraînerait une hausse de 10 % du coût de la main-d'oeuvre d'ici le 1er janvier 2021 et une augmentation de 6,5 % du coût de production pour les agriculteurs. La baisse du seuil de dégressivité met en danger l'emploi des salariés permanents des groupements d'employeurs dont le travail saisonnier a été pérennisé, qui bénéficient du TODE. Quelles mesures seront mises en place pour pallier l'impact sur la compétitivité de nos entreprises agricoles ?
M. Laurent Duplomb. - Monsieur le ministre, vous supprimez le TODE pour les agriculteurs et venez en audition au Sénat avec une vingtaine de fonctionnaires ! Le paradoxe est un peu particulier.
Pour ce qui est du rétablissement des finances publiques, je suis cartésien et agriculteur, je compte facilement. Le déficit annoncé pour 2019 atteint un niveau inégalé à près de 100 milliards d'euros ; le déficit commercial de la France est à 63,5 milliards d'euros quand il n'était qu'à 48,3 milliards d'euros en 2016 et les pronostics pour 2018 l'établissent à 70 milliards d'euros ; les 10 milliards d'euros du coût de la suppression de la taxe d'habitation pèsent pour plus de 6,5 milliards d'euros sur la dette publique ; le déficit public est à -2,5 % du PIB alors que l'Allemagne est à +2,4 % du PIB ; c'est six fois plus que la moyenne de nos partenaires européens ; la dette publique est à 98,7 % du PIB en 2018 et sera peut-être à plus de 100 % à la fin du mandat du Président de la République ; le déficit pour 2018 sera de 80 milliards d'euros, ce qui alourdit encore la dette française ; le niveau de la fiscalité française est le plus élevé de toute l'Europe, puisque nous avons dépassé le Danemark ; la France est la championne des dépenses publiques des pays de l'OCDE ; la masse salariale augmente de plus de 1,6 % et alors que vous nous avez annoncé la suppression de 50 000 postes de fonctionnaires ; l'augmentation des dépenses publiques est deux fois plus rapide qu'entre 2010 et 2016 ; quant au chômage, la France est au 24e rang européen, juste devant l'Italie, l'Espagne et la Grèce. Montesquieu écrivait : « J'aime les paysans ; ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers. » Je suis comme eux, je ne raisonne pas de travers et quand je vois tous ces chiffres, je ne crois pas du tout que nous allions vers le rétablissement des finances publiques. Les contribuables paient toujours mais ils ne voient aucune amélioration.
M. Daniel Laurent. - Nous partageons tous la volonté de réduire la dette, mais force est de constater que vous vous appuyez sur les contribuables et les collectivités territoriales.
Je n'en rajouterai pas sur le malaise des Français, notamment lié à la hausse des prix du carburant. Monsieur le ministre, vous qui avez défendu la ruralité dans d'autres circonstances, prenez conscience que le monde rural grogne. Les Français ne sont pas du tout satisfaits de la situation actuelle.
Selon le rapport spécial du Sénat sur la transition écologique dans le projet de loi de finances pour 2018, sur 3,9 milliards d'euros de recettes supplémentaires, seuls 184 millions d'euros de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ont été alloués au compte d'affectation spéciale « transition énergétique ». C'est significatif.
Les entreprises du bâtiment et des travaux publics, qui sont des PME à 80 %, dépendent aux deux tiers de la commande publique. Elles sont vivement inquiètes de la suppression du taux réduit de fiscalité sur le gazole non routier (GNR), qui a été décidée sans aucune concertation.
Les chambres de commerce et d'industrie ont une grande importance dans les territoires ruraux. Leur affaiblissement serait un drame. Monsieur Le Maire, vous avez été un candidat qui défendait la ruralité ; aujourd'hui vous êtes un ministre qui la pénalise.
M. Jean-Marie Janssens. - Nos agriculteurs français sont inquiets en raison des nombreuses incertitudes auxquelles ils sont confrontés dans le contexte du Brexit et de la négociation de la politique agricole commune (PAC) post-2020. Qu'en sera-t-il du montant des aides, de leur répartition, du maintien du modèle communautaire et d'une concurrence juste au sein de l'Union européenne ? Les craintes se multiplient vis-à-vis des accords de libre-échange internationaux, avec le Canada et le Mercosur, qui soulèvent des interrogations sur la qualité des produits ainsi que sur la garantie d'une concurrence loyale et de prix de vente rémunérateurs.
Dans ce contexte, le projet de loi de finances pour 2019 doit apporter des garanties aux professionnels du monde agricole et faire de l'agriculture une priorité. Il faut maintenir les crédits qui leur sont alloués mais aussi soutenir à long terme une stratégie agricole française ambitieuse et réaliste.
M. Jean-Claude Tissot. - Le projet de loi Pacte prévoit la suppression du seuil de détention par l'État du tiers du capital d'Engie ; il risque aussi d'ouvrir le capital du réseau de distribution de gaz GRTgaz. Celui-ci maille entièrement le territoire français. Comment imaginez-vous sa cession ? Cela ne pourrait pas être à la découpe, sinon l'égalité entre les Français ne serait pas respectée.
Engie mène actuellement une politique de délocalisation de ses centres d'appels vers les pays à bas coût, ce qui menace 3 000 emplois. Monsieur le ministre, qu'en pensez-vous ?
Vous avez prévu de supprimer les taxes à faible rendement. L'une d'elles a attiré mon attention : celle due par les entreprises effectuant des recherches d'hydrocarbures. Or, c'est peut-être un hasard du calendrier, mais Total s'apprête à commencer des recherches en Guyane. Il en sera affranchi alors qu'il a dégagé +45 % de bénéfices nets au troisième trimestre, soit 4 milliards d'euros. Total aurait pu participer à l'effort que vous demandez à tous les Français.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je vais vous faire une grande révélation : je ne suis plus ministre de l'agriculture. Je suis au regret de vous le dire, même si j'attache toujours autant d'importance au monde agricole et à la ruralité. La preuve en est que nous avons mené l'une des réformes fiscales les plus importantes pour le monde agricole depuis très longtemps.
Gardez-vous des jugements parfois un peu lapidaires sur le Gouvernement. La situation que nous avons trouvée en arrivant en termes d'endettement public, de dépenses publiques et d'augmentation des impôts était celle d'une dégradation constante des finances publiques depuis dix ans. Nous, nous inversons la tendance. Vérifiez les chiffres.
Je perçois beaucoup de contradictions. On nous enjoint à accélérer la réduction des dépenses publiques mais dès que l'on fait une proposition, il n'y a plus personne. Soyez cohérents.
Le Fisac est un exemple très concret. Élu local depuis longtemps, j'en ai fait usage pour un restaurant dans une petite commune de l'Eure. Si l'on estime que ce genre de saupoudrage est efficace, très bien. Ce n'est pas mon cas. Je ne pense pas qu'un Fisac à 15 millions d'euros soit l'instrument efficace pour revitaliser les centres-bourgs de 36 570 communes. Je continue à estimer que l'Agence nationale de la cohésion des territoires et les régions, qui sont totalement investies dans la revitalisation des territoires, seront beaucoup plus efficaces qu'une distribution du Fisac çà et là sans politique globale.
S'agissant des Direccte, là encore, nous avons le mérite de la cohérence. On ne peut pas nous reprocher de ne pas réduire suffisamment les effectifs de la fonction publique et plaider pour conserver tous les agents des Direccte. Je le leur ai dit : il faut recentrer leurs missions d'accompagnement des entreprises, ce qui favorise la réduction du nombre de postes. Vous ne nous prendrez pas en défaut de cohérence, ni de volontarisme.
Même chose pour la DGCCRF : au sein de cette mission essentielle qu'est le contrôle de la répression des fraudes, il est possible de redéfinir des priorités. On ne peut pas à la fois me dire d'aller plus loin dans la réduction des dépenses publiques et des emplois publics et me reprocher de vouloir réorganiser la DGCCRF. Comme ministre de l'économie et des finances, j'irai au bout de la redéfinition de son rôle. A-t-elle vocation à contrôler la mousse des aires de jeux de vos communes ? Je réponds : « non ».
C'est très bien d'aller proclamer urbi et orbi qu'il faut réduire la dépense publique et la dette, mais à un moment, cela signifie prendre des décisions et aller voir les personnes concernées pour leur expliquer le sens de notre action. Ce n'est pas un trait de plume. Depuis dix-sept mois, je rencontre les agents de la DGCCRF, à qui je rends hommage, et des Direccte, et je leur dis que nous allons faire évoluer leurs missions pour qu'ils les remplissent mieux tout en étant économes avec l'argent du contribuable.
Mme Élisabeth Lamure a parfaitement souligné un enjeu absolument essentiel : la sécurité sanitaire. J'ai été ministre de l'agriculture pendant trois ans et j'ai eu la tutelle de la direction générale de l'alimentation (DGAL). Y a-t-il un sens à ce qu'elle effectue le contrôle sanitaire d'une partie des aliments jusqu'à leur mise en rayon puis que la DGCCRF prenne le relais ? Non. J'estime qu'il est indispensable de réfléchir à la réorganisation de ces contrôles ; j'ai demandé à l'Inspection générale des finances (IGF) de mener une mission d'étude sur ce sujet-là pour fournir des options de rapprochements possibles entre DGAL et DGCCRF avec un seul objectif : la sécurité sanitaire de nos compatriotes. Nous ne ferons jamais d'économies de bouts de chandelle là-dessus mais mettrons en place le dispositif le plus efficace en tirant toutes les leçons du scandale sanitaire Lactalis.
Grâce à nous, Bpifrance a touché des dividendes importants : 140 millions d'euros. Oui, nous cherchons le moyen d'accompagner mieux l'industrie de la plasturgie car les dispositifs actuels lui font courir le risque de perdre des emplois, notamment dans les territoires fragiles.
Mme Loisier m'a interrogé sur les établissements stables et la taxation des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Amazon). Je livre ce combat depuis quatorze mois, et j'estime que nous sommes arrivés à sa fin : il n'est plus temps de discuter, ni d'examiner la solidité technique de la proposition de la Commission - elle est solide -, il s'agit à présent de décider si, oui ou non, l'Europe accepte que Google, Amazon, Facebook et les autres géants du numérique soient imposés de quatorze points de moins que toutes les autres entreprises en France et en Europe. Ma réponse à cette question est catégorique : non. Nous avons convaincu dix-neuf États-membres, nous disposons d'une proposition solide de la Commission, et les arguments que l'on me présente pour s'opposer à cette taxation ne résistent pas à un examen solide et honnête.
Les Allemands craignent qu'elle ne menace l'industrie automobile. Je leur ai expliqué que nous ne taxerions que la commercialisation des données, pas le recueil, à des fins d'amélioration du produit, de celles liées, par exemple, à l'usure des pneus, des freins ou à la résistance de la carrosserie. On m'objecte aussi qu'il faut une solution à l'échelle de l'OCDE. Oui, trois fois oui ! Je suis prêt, dès que nous aurons une solution au sein de l'OCDE, à abandonner le projet européen. Je suis même prêt à envisager que nous n'appliquions la décision européenne que s'il n'y a pas d'alternative, dans une durée donnée, au sein de l'OCDE. On me dit enfin que cela risque d'irriter les Américains, dont le secrétaire au Trésor et le Sénat nous reprocheraient de prendre des décisions unilatérales. Avouez que, de la part de l'administration de Donald Trump, cela ne manque pas de sel ! Penser que c'est en faisant preuve de faiblesse que nous amènerons l'administration américaine à évoluer sur ce sujet, c'est faire erreur.
Bref, l'Union européenne doit désormais décider, et d'autant plus qu'un certain nombre d'États européens commencent à considérer que, si l'Europe n'est pas capable de taxer les géants du numérique, ils doivent le faire eux-mêmes : le Chancelier de l'Échiquier Philip Hammond vient d'annoncer une taxation des géants du numérique dans le budget britannique de 2019. Quel échec pour l'Europe si, au lieu d'une réponse collective, nous aboutissons à une somme de réponses individuelles ! Il est temps de décider, comme je l'ai dit à mon homologue allemand la semaine dernière à Berlin. À mon sens, la prochaine réunion des ministres des finances européens, mardi prochain à Bruxelles, doit produire une avancée. Sinon, la France en tirera toutes les conséquences.
Vous m'avez interrogé sur l'Agence nationale de cohésion des territoires, et je vous confirme que Bercy continuera d'exercer sa cotutelle sur ses missions. Quant à la transparence sur les différentes conventions : je suis toujours favorable à la transparence en règle générale ! Pour preuve, je transmets beaucoup des rapports que je reçois aux parlementaires.
Sur Ascoval, je fais tout ce qui est possible depuis dix mois pour trouver une solution pour cette acierie. Ascometal, le groupe auquel elle appartenait, a été racheté il y a quelques mois à Vallourec par le groupe suisse Schmolz-Bickenbach. Les modalités de reprise ont été fixées par le tribunal de grande instance, et non par le Gouvernement. Le périmètre alors retenu ne comprenait pas le site de Saint-Saulve, dont la liquidation judiciaire était envisagée, ni ses 280 salariés.
En février 2018, à la suite de cette décision du tribunal, j'ai rassemblé les salariés de l'usine et les élus locaux pour leur dire que nous n'allions pas laisser tomber l'aciérie et qu'il fallait trouver un repreneur. Mais cela prend du temps, et le temps, c'est de l'argent. J'ai donc réclamé que Vallourec et Schmolz-Bickenbach s'engagent à acheter la production d'Ascoval dans l'attente d'un repreneur car, si personne ne pouvait acheter sa production, Ascoval n'avait plus qu'à mettre la clef sous la porte... J'ai obtenu, à la suite d'une réunion très musclée, l'accord de Schmolz-Bickenbach et de Vallourec pour acheter, à un tarif supérieur au marché, l'ensemble de la production du site pendant un an - donc jusqu'à fin janvier 2019. Cette décision n'a l'air de rien, mais elle coûte plusieurs dizaines de millions d'euros à Schmolz-Bickenbach et à Vallourec.
J'ai également obtenu, avec l'aide de Xavier Bertrand, la mise en place d'une fiducie de plus de 10 millions d'euros pour mettre de côté l'argent nécessaire, au cas où nous ne trouverions pas de repreneur, pour assurer l'accompagnement social des 280 salariés d'Ascoval.
Depuis, nous avons reçu plus de 100 propositions de reprise. Toutes ont été étudiées par les services de l'État. Une seule a été jugée crédible, celle d'Altifort. Deux difficultés subsistent, toutefois, et je ne compte pas les dissimuler aux salariés, que je verrai demain. D'abord, il nous faut trouver entre 180 et 250 millions d'euros pour investir dans une tréfilerie qui réalisera des fils à haute valeur ajoutée. Pour l'heure, Altifort ne peut mettre que 10 millions d'euros, et il manque donc 180 à 240 millions d'euros. L'État est prêt à mettre un euro d'argent public pour un euro d'argent privé investi - ce qui est un effort considérable. Deuxième difficulté : il faut trouver des débouchés. Sans commandes, nous nous bercerions d'illusions, qui ne sauraient aboutir qu'à de la colère. J'ai rendez-vous, après cette audition, avec le cabinet de conseil que nous avons missionné pour recueillir un point de vue extérieur. Pour l'heure - et je le dirai demain aux salariés - je n'ai pas la solution, ni sur le financement, ni sur le carnet de commandes. Mais tant qu'il y a la moindre possibilité de maintenir cette aciérie ouverte, nous l'exploiterons jusqu'au bout et nous ferons tous les efforts pour y parvenir. Je ne suis pas là pour vendre des illusions. Le monde et la métallurgie est un monde de réalités, qu'il vaut mieux avoir affrontées avant plutôt que les subir après.
Plus généralement, notre stratégie industrielle repose sur trois piliers. D'abord, améliorer la compétitivité-coût de nos entreprises industrielles. Cela implique d'alléger notre fiscalité sur le capital, dont ces entreprises sont fortement consommatrices, et de faire baisser le coût du travail. Déjà, la transformation du CICE en allégements de charges définitifs a donné une perspective aux entreprises industrielles sur ce point. Reste le cas des industries employant des personnes à qualifications élevées, puisque le CICE ne va que jusqu'à 2,5 SMIC. Faut-il, au-delà de ce montant, envisager un allégement de charges supplémentaire ? C'est un vrai débat, qui mérite d'être ouvert. D'un côté, au-dessus de 2,5 SMIC, le taux de chômage est de 5 %, donc rien ne justifie qu'on baisse les charges. D'un autre, c'est précisément à ces niveaux de salaires qu'il faut être compétitif, et c'est là que nous le sommes le moins par rapport à nos voisins allemands. Je suis prêt à avoir ce débat avec tous les secteurs industriels concernés. Enfin, les impôts de production pèsent trop lourdement sur la compétitivité de nos entreprises industrielles. Je rappelle que ces impôts sont nationaux et locaux : il y a donc un effort collectif à faire. Dès 2019, il faudra que nous regardions comment diminuer ces impôts de production.
Le deuxième pilier de notre stratégie est l'innovation. Je ne crois pas à la destruction créatrice : au contraire, il faut créer sur la base des acquis dont nous disposons. C'est pour cela que je me bats autant pour Blanquefort, comme je me suis battu pour GM, comme je me bats désormais pour Bosch à Rodez : je n'ai jamais cru que la fermeture d'une usine déclenchait l'ouverture de dix autres ensuite. Au contraire, il faut maintenir notre potentiel de production et, dans le même temps, préparer l'industrie du futur en innovant pour rester au plus haut niveau technologique. Sur ce point, il n'y a peut-être pas de crédits budgétaires spécifiques mais nous avons maintenu l'intégralité du crédit impôt recherche (CIR). Nous avons aussi mis en place le fonds pour l'innovation de rupture, qui doit permettre de rattraper notre retard en la matière.
Les mesures sur le suramortissement doivent aussi nous permettre de rattraper notre retard en termes de digitalisation et de robotisation. Elles ont déjà été prises par un autre gouvernement, mais je suis persuadé qu'elles sont efficaces. Quand on regarde les vallées industrielles françaises, on constate que certaines se portent remarquablement bien. Pourquoi ? Parce qu'elles ont pris le train de l'innovation et de la haute technologie, ce qui leur donne une avance sur toutes les autres régions, voire tous les autres États européens. Ainsi, du décolletage dans la vallée de l'Arve : certaines usines y ont investi non seulement dans la robotisation et la digitalisation, mais encore dans des outils d'intelligence artificielle capables de corriger la qualité de la pièce au cours de la fabrication. Aucune autre entreprise de décolletage au monde ne dispose de cet outil. C'est ce qui explique que ces entreprises fabriquent presque toutes les couronnes des montres de luxe les plus valorisées au monde. Elles n'ont aucun problème de compétitivité ni d'exportation. Sachons nous inspirer de telles réussites françaises ! Et je pourrais aussi citer l'industrie du médicament, du luxe ou de l'aéronautique... Toutes les entreprises qui réussissent ont pour point commun un niveau d'investissement et d'innovation supérieur à celui de leurs concurrents.
Le troisième pilier est la formation. Hélas, l'industrie est dévalorisée aux yeux des jeunes générations et nos industriels peinent à trouver les qualifications ils ont besoin. Par exemple, impossible de trouver un soudeur dans le domaine nucléaire ! Pourtant, le nucléaire est la deuxième filière industrielle de France. Mais on a tellement dévalorisé le secteur, tellement expliqué qu'il fallait mettre fin au nucléaire en France, que les jeunes hésitent à s'y engager. Il est donc indispensable d'expliquer que le développement des énergies renouvelables n'enlève rien au fait que la filière nucléaire reste une filière d'excellence en France. Sinon, elle mourra du manque de compétences. Faire une soudure dans un environnement nucléaire demande cinq années d'expérience au moins.
M. Michel Raison. - C'est plus facile d'être ministre, finalement !
M. Bruno Le Maire, ministre. - En matière industrielle, la formation est, à mes yeux, l'enjeu essentiel des années à venir. Des initiatives vont être lancées, comme l'usine extraordinaire. Mais nous devons valoriser les métiers de soudeurs, de chaudronniers, d'ingénieurs, de techniciens de maintenance : ils n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient hier et permettent de construire un vrai destin professionnel.
Sur le GNR, nous sommes en discussion avec le secteur du bâtiment et des travaux publics. Ce sont les entreprises de terrassement qui seront le plus touchées. Nous envisageons de modifier l'indice Insee début 2019 et de corriger les contrats en cours, y compris ceux qui ne comporteraient pas de clause de modification.
Notre politique consiste à accélérer la transformation du parc automobile français. Nous pouvons améliorer les dispositifs aidant les Français à changer de véhicule. La prime à la conversion devait inciter à l'achat de 500 000 véhicules sur la durée du quinquennat. En un an, nous sommes déjà à 250 000. C'est la preuve que le dispositif est puissant et correspond à une attente. Je discute avec les constructeurs automobiles et François de Rugy depuis hier sur ce sujet, car je souhaite que cette prime à la conversion touche un nombre plus important de véhicules, en étant abondée par les constructeurs automobiles eux-mêmes. Je souhaite qu'elle ne concerne pas seulement les véhicules de nouvelles gammes que les constructeurs mettent sur le marché, notamment les véhicules hybrides rechargeables, haut de gamme et coûteux, mais que ce dispositif porte aussi sur le remplacement d'un véhicule pour un véhicule d'occasion faiblement émetteur, même si c'est encore un véhicule à moteur thermique. Certes, il serait simple d'obtenir des constructeurs qu'ils créent une prime supplémentaire sur des véhicules hybrides rechargeables qui seront mis sur le marché l'année prochaine... Mais, dans les territoires ruraux, ce qui compte le plus, c'est d'avoir un véhicule faiblement émetteur avec un petit moteur thermique.
Peut-on faire plus sur la dépense publique ? Oui, évidemment ! Pour mon ministère, l'effort demandé est très important : les effectifs déconcentrés de la direction générale des entreprises vont passer de 450 à 120 ETP. Il y aura des mesures d'accompagnement et chaque agent sera reçu d'ici la fin de l'année, mais c'est un effort considérable !
C'est aussi un effort de transformation radicale qui est demandé aux CCI. Pour avoir discuté avec beaucoup de présidents de CCI, j'estime que cet effort est supportable, pourvu qu'il s'accompagne d'une redéfinition des statuts des personnels. La bonne politique est de donner souplesse et liberté aux présidents de CCI afin qu'ils puissent recruter et financer différemment. Le président de la CCI du Morbihan m'a expliqué avoir contractualisé avec les collectivités locales, ce qui sécurise parfaitement ses financements. À chaque déplacement, je rencontre les présidents de CCI. Ce que nous proposons est faisable, et nous pouvons aussi mobiliser les 3,5 milliards d'euros de patrimoine immobilier des CCI. Cette transformation en profondeur des CCI est indispensable et doit être menée jusqu'au bout.
Quant aux seuils prévus par la loi Pacte, nous verrons lors des débats si nous pouvons les améliorer. Déjà, nous allons très loin en supprimant le seuil de 20 salariés et en donnant cinq années aux PME pour l'appliquer.
Je rappelle à ceux qui reprochent au ministre des finances d'oublier les agriculteurs que je suis le créateur du dispositif de travailleur occasionnel demandeur d'emploi. En effet, les producteurs de fruits, les producteurs de légumes, les planteurs d'asperges, les viticulteurs ne s'en sortaient pas parce qu'ils devaient faire concurrence à des pays comme l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne, qui embauchent à des salaires très inférieurs au SMIC. Je me suis battu pour une solution alternative : une exonération totale des cotisations patronales de 1,1 à 1,6 SMIC en 2019 et en 2020, qui sera jusqu'à 1,15 SMIC en 2019 uniquement. Je rappelle également que l'allégement renforcé de 4 points des cotisations sociales au niveau du SMIC sera appliqué dès le mois de janvier pour les agriculteurs alors que son application est reportée au 1er octobre pour tous les autres secteurs économiques du pays. Je rappelle enfin que le secteur agricole n'est pas concerné par la hausse de la TICPE sur le GNR et que nous avons mis en place une mesure sur l'assurance agricole qui était demandée depuis quinze ans par le secteur agricole, et qui permettra à chaque agriculteur d'épargner, sur une durée de dix ans, jusqu'à 150 000 euros, qu'il placera librement, pour faire face à des intempéries ou à des risques économiques sur son exploitation. Cela correspond à une demande des agriculteurs depuis des années, et c'est une bonne mesure.
Je suis tout à fait prêt à accepter vos propositions sur le déficit commercial ou la dépense publique. Mais votez déjà ce que nous avons proposé ! Vous n'avez pas voté le soutien à la diminution des emplois aidés. Pourtant, en les faisant passer de 440 000 à 220 000, nous avons réalisé une vraie économie. Votez, monsieur le sénateur ! Même remarque sur la réforme des CCI. Et vous verrez qu'on se sent intérieurement plus cohérent quand on vote les réductions de dépenses publiques proposées par le Gouvernement. Idem pour le déficit commercial : je partage totalement votre avis. Allez donc, monsieur Gay, expliquer à vos amis qu'augmenter le SMIC de 20 % n'est pas la meilleure façon de rétablir la compétitivité des entreprises françaises ni de gagner la bataille de déficit commercial... On ne peut pas expliquer d'un côté que le coût du travail est trop élevé et, de l'autre, proposer l'augmentation de 20 % du SMIC.
Sur le déficit commercial, regardons le temps long. La France était une grande nation exportatrice, elle est devenue une nation déficitaire car elle a perdu la bataille de la compétitivité mondiale et de l'innovation au cours des 25 dernières années - et la détérioration a été rapide. Les chiffres sont sans appel : en 1995, la France affichait un excédent commercial de 5 milliards d'euros ; en 2000, de 0 ; en 2005, nous avions un déficit de 30 milliards d'euros et, depuis, c'est la dégringolade jusqu'au chiffre que vous avez donné, de 60 à 70 milliards d'euros. Pourquoi ? Parce que, au moment où nous ouvrions le marché intérieur à d'autres nations qui avaient des coûts de production et des coûts salariaux plus faibles, et à un moment où les premières révolutions technologiques exigeaient de se robotiser et d'accélérer l'innovation, la France n'a rien changé à son modèle économique ! Elle est restée les deux pieds dans le même sabot.
Il y a urgence à corriger cela en faisant le choix d'une politique de l'offre. Nous devons améliorer l'offre industrielle, améliorer l'offre agricole, améliorer l'offre de services français pour gagner la bataille du commerce extérieur. La filière du comté, par exemple, a compris l'urgence de monter en gamme, et a instauré une appellation d'origine contrôlée et des critères de production très stricts, elle a limité le volume et fait monter le prix. Résultat : elle exporte et gagne de l'argent. Par contre, la tonne de lait ne coûte pas 320 ou 350 euros mais 540 euros.
La seule façon pour la France de gagner cette bataille de l'exportation et de la compétitivité, c'est de mettre de la valeur dans nos produits, ce qui requiert d'investir et d'innover. Pour cela, nous devons réduire nos coûts de production et dégager des moyens en fonds propres qui permettront à nos entreprises d'être plus solides. Telle est la stratégie économique que nous continuerons à mener.
Je suis tout à fait prêt à aider dans les négociations sur la PAC mais je ne suis pas autour de la table du conseil des ministres ! En tous cas, vous pouvez compter sur moi pour continuer à la défendre publiquement.
Le réseau distribution de gaz est un actif stratégique et l'État dispose d'une action spécifique qui lui permet de garantir sa protection.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Sénateur des Français de l'étranger, je souhaite vous interroger sur la garantie que l'État, jusqu'à présent, accordait aux prêts contractés par les lycées français installés à l'étranger, via l'association nationale des écoles françaises de l'étranger (Anefe), pour réaliser des constructions immobilières ou des embellissements. La direction générale du Trésor a suspendu ces garanties il y a un mois et demandé un audit. Cette situation empêche le développement des projets immobiliers en cours, dont la vocation est de permettre l'arrivée et l'accueil de nouveaux élèves dans les lycées français à l'étranger. C'est paradoxal, quand le Président de la République a annoncé un doublement du nombre d'élèves accueillis dans les lycées français à l'étranger dans les six prochaines années ! Pourquoi le Trésor réalise-t-il cet audit ? Quelles mesures transitoires envisagez-vous de prendre ? Il en va de l'attractivité de nos établissements et du rayonnement de la France à l'étranger.
Mme Sophie Primas, présidente. - J'ai été saisie de ce problème également, par le lycée de Mascate, dans le sultanat d'Oman.
M. Jean-Pierre Decool. - Vous avez engagé la bataille de la fabrication en France, dites-vous. Pourtant, l'aciérie Ascoval, à Saint-Saulve dans le Nord, la fabrique de glaces Nestlé de Beauvais, dans l'Oise, le grand site Ford de Blanquefort, en Gironde, l'usine Itron de Reims, dans la Marne, sont probablement voués à la disparition, en raison d'une perte de compétitivité de l'industrie française. Que proposez-vous pour contrer et pour compenser le déclin actuel de l'industrie ?
Mme Viviane Artigalas. - La suppression du taux réduit sur le GNR aura un impact non seulement sur les travaux publics, mais aussi sur l'investissement des collectivités locales, dont le budget est déjà fortement contraint. Elle va aussi accroître, pour certaines collectivités, le budget affecté à l'achat de carburant pour assurer le déneigement des routes. Elle pénalisera également les entreprises publiques et privées qui assurent le damage des domaines skiables. Je suis sénatrice des Hautes-Pyrénées : ce sujet me concerne particulièrement ! La hausse du gazole, en fait, sera double : aux 25 centimes par litre prévus chaque année s'ajoute l'augmentation du prix induite par la suppression du taux réduit. Pourquoi ne pas mettre en place un régime dérogatoire ou, à tout le moins, des mesures de compensation pour les secteurs impactés et les collectivités locales ?
Les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) oeuvrent énormément pour l'intérêt général, dans des domaines qui touchent les collectivités locales des territoires ruraux. La suppression de la déductibilité de 57,5 % des sommes mises en réserve impartageable correspondant aux réserves obligatoires du fait de la loi stopperait net la croissance de ces sociétés et remettrait en cause la création de SCIC ou la transformation d'associations en SCIC, alors qu'il s'agit d'un moyen privilégié d'évolution pour ces dernières. Il faut donc conserver ce dispositif, monsieur le ministre, pour ne pas entraver la mission d'utilité sociale et d'intérêt collectif des SCIC.
M. Serge Babary. - La suppression du taux réduit de TICPE touchera une filière importante, les travaux publics, qui est présente sur tout le territoire. Certes, il s'agit de fiscalité verte et il faut l'assumer. Cela dit, on s'étonne que le taux réduit ne soit pas maintenu pour le ferroviaire, vu les retombées sur l'environnement des locomotives au diésel... Cette suppression fut brutale, sans concertation. Elle aura un impact sur 60 % du résultat des TPE et PME de cette filière. Pourriez-vous lisser dans le temps son application ? Sa brutalité remet en cause l'exploitation des entreprises et, en privant ces dernières de perspectives, les a empêchées de prendre en compte les contrats existants sur un mode pluriannuel. Enfin, ce sont les collectivités locales qui vont supporter la hausse que ne manqueront pas de décider les entreprises pour récupérer ces coûts supplémentaires sur leur exploitation.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Sur le reste à charge zéro, vous avez déclaré récemment à la presse que les mutuelles doivent jouer le jeu, et vous avez indiqué que vous veillerez de près à ce qu'elles n'augmentent pas leurs tarifs. Concrètement, de quels moyens de pression dispose encore le Gouvernement pour empêcher l'augmentation des tarifs ou des prestations ? Les mutuelles ont déjà laissé entendre qu'il y aurait une hausse des complémentaires de 7 à 9 % pour tous les assurés et une baisse des remboursements pour les assurés qui ne choisiront pas les dispositifs fléchés du reste à charge zéro. Résultat : pour ces assurés, le reste à charge sera plus élevé qu'aujourd'hui. Cette réforme ne risque-t-elle pas de faire énormément de déçus ? Je pense notamment aux classes moyennes, qui ont un panier de soins corrects et qui verront, de fait, le coût de leur mutuelle augmenter. Ne faudrait-il pas d'ores et déjà borner le dispositif du reste à charge zéro, qui entrera en vigueur à partir du mois d'avril 2019, afin d'éviter un effet inflationniste ?
Mme Denise Saint-Pé. - Je commencerai par vous poser les questions de M. Daniel Dubois, rapporteur pour avis sur la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui me charge d'excuser son absence.
Les pôles de compétitivité vont entrer l'année prochaine dans leur phase IV. Le financement de leurs projets est, cette année, entièrement transféré au programme d'investissements d'avenir (PIA). Pouvez-vous nous garantir qu'il sera bien inscrit selon le montant précis alloué aux projets des pôles ? Quelle est la vision du Gouvernement sur la physionomie des pôles dans cinq ans et sur leurs modalités de financement ?
Le Gouvernement sanctuarise le CIR, mais vous avez déclaré ne pas vous interdire d'effectuer des ajustements afin d'en renforcer encore l'efficacité, notamment en envisageant un déplafonnement. Où en sont ces réflexions ?
Sur la fiscalité des produits de cessions ou concessions de brevets, réformée par l'article 14 du projet de loi de finances pour 2019, les députés ont fort heureusement amélioré le dispositif initialement envisagé par le Gouvernement, afin de rendre notre droit conforme à l'approche BEPS (Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices / Base erosion and profit shifting) de l'OCDE. Le régime français restera-t-il tout de même attractif ?
J'en viens à ma propre question : le projet de loi retire 100 millions d'euros aux CCI, après 150 millions d'euros en 2018, alors que le Gouvernement s'était engagé à maintenir une stabilité pour les exercices suivants. Si vous voulez dissiper la méfiance et rétablir un climat de confiance, vous ne devriez pas diffuser de telles informations : 400 millions d'euros entre 2019 et 2022, c'est un véritable étau budgétaire pour les CCI ! Certes, vous allez travailler avec elles sur leur patrimoine et sur le statut de leurs agents. Attention, toutefois, aux CCI rurales, qui risquent d'avoir à procéder à de nombreux licenciements.
M. Fabien Gay. - C'est très agréable d'échanger avec un ministre pourvu d'une colonne vertébrale idéologique solide, et qui l'assume. Ce n'est pas le cas de tous les autres membres du Gouvernement. Dans une interview récente, un journaliste vous interrogeait sur la trésorerie abondante du CICE, et sur le risque que d'abondants dividendes ne soient versés aux actionnaires. Vous avez répondu que ce serait une grave erreur. L'argent du CICE et des baisses de charges, qui représente 20 milliards d'euros, voire, cette année, 21 milliards d'euros, doit aller à l'investissement, l'innovation et l'emploi, disiez-vous. Les entreprises ont demandé ces mesures sous le gouvernement socialiste, et nous nous rappelons tous du pin's « un million d'emplois » de M. Pierre Gattaz. Évidemment, nous n'avons jamais vu la couleur de ces emplois, mais l'argent, lui, a été donné. Vous ajoutez que vous ferez le bilan en 2020, pour voir si les entreprises ont joué le jeu - sinon, dites-vous, l'État interviendra.
Mais, monsieur le ministre, le bilan, on le connaît, puisque France Stratégie, qui pilote un comité de suivi, dit que99,3 milliards d'euros auront été versés entre 2014 et 2020 par le CICE, auxquels il faut ajouter, à partir de 2019, les allégements de cotisations patronales, qui seront versées avec un décalage. Ce même comité de suivi parle, pour l'instant, de 10 000 à 200 000 emplois créés. Donc, cela ne fonctionne pas. Êtes-vous prêt, dès lors, à un débat politique de haut niveau sur cette question ? Si les entreprises jouent le jeu, très bien, ayons un débat sur l'allégement des cotisations patronales. Si elles ne le jouent pas, sommes-nous d'accord pour suspendre ces aides ? Déjà, il y a eu plusieurs scandales, sur lesquels je vous ai interpellé sans obtenir de réponses. Ainsi, de Carrefour, qui a touché plus de 150 millions d'euros de CICE avant de supprimer 4000 à 5000 emplois. Trouvez-vous cela normal ?
M. Daniel Gremillet. - Pour avoir passé du temps au salon international de l'alimentation, vous avez pu constater que, pour vendre des produits haut de gamme, les entreprises agroalimentaires doivent être capables aussi de vendre des produits de grande consommation : vous ne vendez pas une demi-palette de Comté si vous ne fournissez pas aussi trois ou quatre palettes d'Emmental ou de Brie : évitons donc les raccourcis trop rapides !
Je vous félicite pour votre réforme fiscale, mais pourquoi supprimer la déduction pour investissements (DPI) ? L'agriculture va perdre sa capacité d'investissement. Je ne pense pas que ce soit une demande des organisations professionnelles... Et nous allons payer très cher cette suppression dans le budget pour 2019. Quant aux taxes sur les carburants, les choses sont un peu plus complexes puisque des femmes et des hommes, qui sont payés au SMIC et ont absolument de besoin de leur voiture pour aller travailler, devront demander à leur entreprises de contribuer aux charges nouvelles. Vous allez donc handicaper l'industrie française : c'est une erreur !
Vous souhaitez restaurer la croissance, tout en imposant des charges nouvelles en matière environnementale. Dans les Vosges, l'entreprise Whiskas s'apprête à délocaliser une partie de son activité en Pologne, parce que le contexte n'est plus aussi favorable qu'on veut bien le dire : ouvrons les yeux !
Mme Françoise Férat. - Vous avez déjà répondu aux questions que je voulais poser, mais je voudrais vous faire part de mes états d'âme. La lecture dans la presse d'un éditorial sur les Pays-Bas, il y a quelques jours, m'a beaucoup troublée. Aux Pays-Bas, le taux de chômage est inférieur à 4 %, la croissance est d'environ 3 % - contre 0,4 % chez nous. Les Pays-Bas disposent d'un excédent budgétaire qui permet de réduire la dette publique à moins de 60 % du PIB, le taux de pauvreté est plus faible que chez nous... Sommes-nous si éloignés de l'organisation de ce pays ? Ne pouvons-nous pas nous inspirer de ses politiques ?
M. Franck Montaugé. - L'État va vendre ses actions d'Aéroports de Paris (ADP), Engie et la Française des Jeux, pour un montant estimé à 10 milliards d'euros. Or, ces actions ont rapporté entre 1,5 milliard et 850 millions d'euros par an ces derniers temps. Placée, la somme de 10 milliards d'euros rapportera 250 millions d'euros, qui seront affectés au fonds d'amorçage de la nouvelle économie. Le rendement, qui dépassait en moyenne 10 %, tombe à 2,5 %. En quoi ceci est-il une bonne opération ? Je regrette que vous sacrifiiez ces fleurons, dans l'objectif immédiat de diminuer la dette - qui pourrait, certes, dépasser le cap symbolique des 100 % du PIB en 2019. À combien estimez-vous le bénéfice actualisé sur très longue période des dividendes auxquels l'État va renoncer ? À tout le moins, il faudrait éviter le fiasco de la privatisation des autoroutes en 2005, qui aura coûté très cher aux Français.
Mme Sylviane Noël. - Merci d'avoir évoqué l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve, que j'ai l'honneur de représenter au sein de cette assemblée et dont les performances méritent en effet d'être soulignées ! L'an dernier, plusieurs parlementaires des territoires montagnards et frontaliers avaient soulevé, au moment de l'examen du projet de loi de finances, deux problématiques spécifiques à ces territoires, qui subissent souvent une double peine. D'abord, les dotations globales de fonctionnement (DGF) négatives, si elles ne concernent qu'un nombre limité de collectivités, posent de vraies difficultés pratiques à quelques 500 communes : la contribution au redressement des finances publiques est prélevée sur la DGF et, quand celle-ci est insuffisante, la différence est prélevée directement sur les recettes des collectivités. Résultat : non seulement ces communes s'appauvrissent, mais elles perdent leur substance fiscale. Deuxième phénomène : dans les communes frontalières, le calcul du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) intègre le revenu des habitants, qui est plus élevé que la moyenne nationale en raison du niveau de vie élevé des travailleurs frontaliers, ce qui augmente mécaniquement leur contribution. Pourtant, il est clair que la richesse d'une commune n'est pas corrélée avec celle de ses habitants.
Ces deux phénomènes grèvent de façon très importante les capacités financières de communes qui doivent pourtant faire face à des investissements spécifiques et lourds liés à leurs caractéristiques de collectivités territoriales frontalières et de montagne. Il ne s'agit nullement de remettre en cause le principe de péréquation et de solidarité, mais de ne plus faire peser sur ces territoires une part déraisonnable et disproportionnée de la péréquation horizontale. Conscient de ces difficultés, Christophe Jerretie, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » à l'Assemblée nationale, avait annoncé l'an dernier que ces sujets seraient revus en 2018. Quelles suites ont été données à son rapport ?
Mme Anne-Marie Bertrand. - Nous parlons souvent du coût de nos services publics, et trop peu de leur qualité ou, en quelque sorte, du rapport qualité-prix. Certes, notre endettement nous oblige à nous concentrer sur les chiffres. Je ne crois pas que les Français soient réfractaires aux impôts. Ce qui les agace, c'est d'en payer toujours plus pour des services de moins en moins efficients : hôpitaux à bout de souffle, tribunaux débordés, collectivités étranglées, forces de l'ordre et enseignants démunis... Pouvez-vous me donner des exemples de restructuration qui permettront de faire des économies et de gagner en efficacité ?
Mme Marie-Christine Chauvin. - Vous avez dit votre volonté d'accompagner les entreprises de la plasturgie car vous avez conscience des difficultés qu'occasionnent pour elles les dernières mesures votées. Je m'en réjouis. Aurez-vous la même attention pour les lunettiers ? Ils sont très inquiets de la mise en place du reste à charge zéro, qui ouvre un boulevard pour la lunette asiatique. Pourtant, ils sont tout autant une filière d'excellence que celle du comté, que vous avez évoquée.
Mme Sophie Primas, présidente. - Le Gouvernement travaille sur l'application d'un système de bonus-malus sur les contrats courts. Les contrats saisonniers sont par nature des contrats courts. Il ne faudrait pas qu'ils subissent une double peine.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je tire une conclusion simple de nos échanges : il faut que je vienne plus souvent !
Nous serons vigilants à éviter la double peine en matière de contrats courts, mais je conserve une conviction : il existe des abus. Il n'est pas normal que les entreprises qui se comportent bien et embauchent en CDI sans multiplier les contrats courts aient le même niveau de cotisation à l'assurance chômage que celles qui en usent et en abusent. Le système de bonus-malus est juste et améliore le fonctionnement de l'assurance chômage.
Madame Renaud-Garabedian, nous sommes très attentifs aux lycées français, qui sont un atout majeur de la puissance culturelle de la France. Mais la Cour des comptes a appelé notre attention sur les difficultés de l'association de gestion des lycées français de l'étranger. Le Trésor ne peut apporter de garanties à une association qui aurait des problèmes de gestion. Nous pouvons envisager d'autres schémas de garanties. Je vous propose de prendre attache avec mon cabinet.
Monsieur Decool, je tiens au maintien d'une capacité de fabrication en France. L'idée selon laquelle seuls les laboratoires de recherche seraient en France alors que la production serait délocalisée à l'étranger me fait furieusement penser à l'utopie d'une industrie sans usine. Ce n'est bon ni pour l'emploi ni pour nos territoires. Comment y maintiendrait-on une activité sans industrie ni agriculture ? Ne noircissons tout de même pas le tableau. Nous avons créé 6 900 emplois dans le secteur industriel au cours des derniers mois - c'est sans précédent depuis dix ans - et l'industrie a embauché 61 719 personnes en septembre - là encore le chiffre le plus élevé depuis dix ans. Il y a une vraie demande d'emplois industriels ; à nous de faire en sorte qu'on puisse y répondre par les formations et les qualifications adéquates.
Madame Artigalas et monsieur Babary, le taux réduit du GNR est une niche fiscale et celles-ci n'ont pas vocation à perdurer. Nous avons besoin d'une fiscalité simple, stable et lisible. Néanmoins, il faut accompagner les entreprises de terrassement et de travaux publics, en modifiant l'indice Insee au 1er janvier 2019 et en établissant une dérogation exceptionnelle pour modifier les contrats en cours, afin que les entreprises ne soient pas trop pénalisées.
Madame Estrosi Sassone, l'État a les moyens, notamment législatifs, de réagir aux éventuelles dérives tarifaires des mutuelles.
Nous travaillons sur les pôles de compétitivité. Il y a beaucoup d'interrogations dans les territoires. Aucune décision ne sera prise sans discussion avec les élus concernés. On m'a encore posé la question, récemment, en Corse. Revenons-y plus tard.
Nous avons décidé de la sanctuarisation du CIR ; je pense qu'il faut écarter la possibilité d'un déplafonnement. Ce n'est pas la priorité pour soutenir notre secteur industriel. Je préfère que nous ouvrions le débat sur les impôts de production et les allégements de charges au-dessus de 2,6 SMIC.
Le régime de fiscalité des brevets est désormais attractif, grâce au travail des députés. Nous étions le dernier pays de l'OCDE à ne pas avoir aligné notre législation, tout en nous réclamant du multilatéralisme. Soit l'on respecte les mêmes engagements que les autres, soit l'on refuse les instruments multilatéraux. Le double discours n'est pas possible.
Monsieur Gay, je le redis avec fermeté : le CICE a pour but d'améliorer la compétitivité des entreprises et d'encourager leur investissement, pas de favoriser le versement de dividendes supplémentaires. Chacun doit ensuite prendre ses responsabilités et jouer le jeu. Si ce n'est pas le cas, nous en tirerons les conclusions. Le comité de suivi et les parlementaires se saisiront du sujet et fourniront en 2020 leur analyse de l'usage des 20 milliards d'euros supplémentaires accordés en 2019, en toute transparence.
Monsieur Gremillet, je n'oublie pas la question de l'emmental. Il faut viser la qualité, mais c'est la compétitivité-coût qui fera la différence, au moins sur les produits de première nécessité. La DPI était contraire aux règles européennes et nous nous serions fait rattraper rapidement par la patrouille. Nous avons prévu une assurance pour les récoltes que les agriculteurs peuvent utiliser pour investir.
Madame Férat, les Pays-Bas comptent 17 millions d'habitants, ce qui est plus simple à gérer que 65 millions d'habitants. Les mesures qu'ils ont prises correspondent toutefois bien à la politique que nous lançons sur l'innovation, la compétitivité, le redressement de nos finances publiques. Les résultats sont effectivement là.
Monsieur Montaugé, l'objectif en matière de cessions d'actifs est de redéfinir la place de l'État et de l'entreprise dans notre société. Chez ADP, l'activité stratégique, le contrôle des frontières, le contrôle des personnes, la redevance et les tarifs resteront dans la main de l'État. Je vous donne une garantie : nous ne referons pas les erreurs commises sur les autoroutes. J'assume mes responsabilités, j'étais directeur de cabinet du Premier ministre à l'époque. Nous tirons les leçons. Les redevances aéroportuaires continueront à être fixées tous les cinq ans avec l'État. La logique, c'est de recevoir 250 à 300 millions d'euros de revenus réguliers par an, c'est-à-dire 2,5 à 3 milliards d'euros pour investir dans l'innovation de rupture.
Ne confondons pas les dividendes de la Française des jeux, qui sont de 80 à 90 millions d'euros par an, et les recettes fiscales, d'environ 3,3 milliards d'euros, que nous continuerons à percevoir.
Madame Noël, je ne suis pas en mesure de vous répondre ce soir, même si je suis très sensible à la question des zones frontalières. Je vous répondrai par écrit.
Madame Bertrand, comme exemple de restructuration, je ne veux pas citer à nouveau les CCI. L'audiovisuel public sera aussi au coeur des restructurations dans les mois qui viennent. Le ministre de la culture en aura la responsabilité. Nous restructurons aussi en profondeur la DGE et la DGCCRF, en redéfinissant clairement leurs missions.
Madame Chauvin, il faut distinguer lunetiers et opticiens. Ces derniers ont poussé comme des champignons après la pluie ; il y en a quasiment plus en France qu'aux États-Unis car nous avons créé un important effet d'aubaine. Les lunetiers sont des TPE-PME industrielles possédant un savoir-faire très particulier. Nous devrons veiller effectivement à ce que le reste à charge zéro ne puisse pas menacer la qualité des lunetiers français, très largement reconnue.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 heures.