Mardi 17 avril 2018
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de M. François Jacq, candidat proposé à la fonction d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous entendons, en application de l'article 13 de la Constitution, M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
À l'issue de cette audition, ouverte à la presse et au public et retransmise sur le site du Sénat, nous procèderons au vote. Les délégations de vote ne sont pas autorisées et je remercie par conséquent chacun d'entre vous de bien vouloir rester jusqu'à la fin de l'audition pour participer au scrutin. L'Assemblée nationale ayant entendu M. Jacq hier, nous dépouillerons immédiatement à l'issue du vote. Le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Je ne suis pas inquiète...
Monsieur Jacq, vous êtes pressenti pour succéder, à la tête du CEA, à M. Daniel Verwaerde, au terme d'un processus de sélection dont vous pourrez peut-être nous dire quelques mots. Vous aurez aussi l'occasion de revenir sur votre parcours professionnel, où l'énergie a occupé une grande place, puisqu'avant de présider l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) depuis 2013, et, avant cela, de diriger Météo-France entre 2009 et 2013, vous aviez successivement exercé les fonctions de directeur du département « énergie, transports, environnement, ressources naturelles » au ministère de la recherche entre 1997 et 2000, celles de directeur général de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) de 2000 à 2005, celles de directeur de la demande et des marchés énergétiques au ministère de l'industrie entre 2005 et 2007 et celles, enfin, de conseiller pour l'industrie, la recherche et l'énergie au sein du cabinet du Premier ministre, entre 2007 et 2009. Autant dire que la plupart des sujets dont le CEA traite ne vous sont pas étrangers...
Depuis sa création, il y a plus de soixante-dix ans, le CEA a indéniablement contribué à l'excellence scientifique française, à la sécurité ainsi qu'à la compétitivité de notre pays, comme votre prédécesseur l'avait indiqué devant nous à l'occasion du même exercice il y a trois ans. Fort de ses 16 000 salariés et d'un budget conséquent de 4,6 milliards d'euros, le CEA intervient dans quatre secteurs : la défense et la sécurité, les énergies bas carbone que sont le nucléaire et les renouvelables, la recherche technologique pour l'industrie et la recherche fondamentale en sciences de la matière et du vivant.
Pouvez-vous nous donner une vision plus précise des activités du CEA et, surtout, des orientations que vous comptez lui donner ? Quel est votre projet ?
La question est d'autant plus cruciale que le secteur de l'énergie est confronté à des évolutions et à des défis technologiques majeurs, auxquels la politique énergétique conduite ces dernières années a ajouté une incertitude assez importante sur la place du nucléaire dans le mix de production. Dans un tel contexte, comment appréhendez-vous le rôle du CEA, à la fois sur l'amélioration du parc actuel et sur la préparation des systèmes nucléaires de demain, dits de quatrième génération ? N'y a-t-il pas une forme de paradoxe, de la part de la tutelle du CEA, à lui demander à la fois d'inventer le nucléaire de demain, d'optimiser le nucléaire d'aujourd'hui et d'exporter le savoir-faire français à l'étranger, tout en remettant en cause sa pertinence, ici et maintenant, sur le territoire national ? Comment comptez-vous vivre ce paradoxe ?
Le CEA, qui était rattaché à l'origine aux services du Premier ministre, relève de quatre tutelles - énergie, recherche, industrie et défense - dont les intérêts ne sont pas nécessairement alignés, ce qui complique encore la tâche : une clarification des rôles ne serait-elle pas souhaitable ? Lorsqu'il faudra parler budget et priorités, à qui vous adresserez-vous ?
Pour revenir à la recherche sur le nucléaire, le CEA est-il associé aux réflexions de la filière sur un EPR optimisé, sur l'Atmea - le projet de réacteur de 1 000 MW imaginé par Areva et Mitsubishi - ou encore sur le développement de petits réacteurs modulaires ? L'avenir est-il, selon vous, aux petits réacteurs ou aux objets industriels plus puissants, et plus complexes, tels que l'EPR ? Où en sont les programmes de recherche sur les réacteurs à neutrons rapides capables de fermer le cycle, et donc de rendre le nucléaire parfaitement durable, et à quel horizon une exploitation commerciale vous paraît-elle envisageable ?
En tant qu'exploitant nucléaire, le CEA a développé une grande compétence en matière d'assainissement, de démantèlement des installations et de gestion des déchets ; à l'heure où de nombreuses installations arrivent en fin de vie, quel sera son positionnement ?
En matière de production d'énergie renouvelable, les recherches du CEA portent prioritairement sur l'optimisation de l'énergie solaire, photovoltaïque ou thermique, la valorisation énergétique des déchets ou le développement de micro-organismes présentant un intérêt énergétique. Les équipes du CEA travaillent aussi à l'amélioration du stockage électrochimique, décisif pour pallier l'intermittence des énergies renouvelables, ainsi qu'au développement de l'hydrogène et de la pile à combustible. Pourriez-vous nous présenter les perspectives de chacune de ces filières ? Le CEA ne gagnerait-il pas à s'intéresser, aussi, à l'hydraulique, à l'éolien ainsi qu'aux énergies marines renouvelables ? Celles-ci sont prometteuses - et ce n'est pas le dirigeant de l'Ifremer que vous êtes encore qui me démentira... Est-ce la contrainte budgétaire qui oblige à se concentrer sur certaines filières ?
En matière de recherche appliquée, le CEA explore de très nombreux sujets, allant des nanotechnologies et nanosciences à la microélectronique ou aux progrès de l'imagerie médicale. Comment les interactions du CEA avec le monde de l'industrie pourraient-elles être encore renforcées ?
En matière de recherche fondamentale enfin, quelles sont les grandes questions auxquelles tente de répondre le CEA et comment cette recherche fondamentale irrigue-t-elle ses autres activités ?
M. François Jacq, candidat proposé à la fonction d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). - Merci pour cette introduction bienveillante, et qui trace presque le parcours de mon exposé ! C'est un honneur de m'exprimer devant vous aujourd'hui, car le CEA n'est pas un mince organisme dans le paysage français, comme en atteste la qualité des administrateurs généraux qui l'ont dirigé depuis la Libération, et je serais fier, le cas échéant, de succéder à un Raoul Dautry, un Pierre Guillaumat, un André Giraud ou un Yannick d'Escatha. Extérieur à cette institution, je n'ai pu asseoir mes analyses que sur mes perceptions, mais il va de soi que le projet que j'ai élaboré sera confronté aux équipes, tant il est vrai qu'un projet ne peut être que collectif - c'est d'ailleurs ce qui définira mon mode de gestion.
Le CEA a plus de soixante-dix ans. Il a accompli de grandes choses, dans le domaine militaire comme dans le civil, et le voilà à la croisée des chemins, essentiellement en raison des mutations qui affectent son environnement extérieur : transition énergétique, transition écologique, transition numérique, sans parler de l'évolution de l'environnement stratégique. Le coeur de mon projet sera de faire du CEA un acteur majeur de ces transitions et de ces transformations. Ce projet comporte trois piliers, assortis de trois conditions.
Premier pilier : faire du CEA un accélérateur de la transition énergétique. Pour cela, il faudra d'une part en faire le catalyseur des nouvelles formes d'énergie et des nouvelles filières énergétiques et, d'autre part, permettre à notre nucléaire civil d'être durable, exportable, sûr et économique. Deuxième pilier : faire du CEA un acteur important de l'industrie et de la médecine de demain, à la croisée de la transition numérique et de l'innovation. Troisième pilier : continuer à disposer d'une dissuasion nucléaire absolument exemplaire et fiable.
La première condition, c'est l'excellence de la recherche, donc le soutien permanent à une recherche qui, sans être nécessairement orientée, est pourvoyeuse d'idées et doit permettre d'ouvrir de nouvelles voies, de nouveaux savoirs, et de s'ouvrir sur le monde extérieur. La deuxième condition, c'est la rigueur : nous ne réussirons rien si nous ne sommes pas exemplaires dans la conduite des projets et dans la gestion des budgets. La troisième condition est d'avoir un projet collectif partagé par l'ensemble de la chaîne hiérarchique et du personnel, et de mettre en mouvement l'organisme par une conduite du changement.
Voilà des années que le CEA travaille sur les nouvelles filières énergétiques. Il est temps désormais de se concentrer sur quelques axes, et notamment sur la décarbonation de notre économie et le stockage durable d'électricité, qui a longtemps relevé du rêve mais qui semble enfin à portée de main. Nous pouvons développer une filière des batteries de demain en partenariat avec les industriels, pour consolider l'existant et préparer l'étape d'après, et nous concentrer aussi sur l'hydrogène, en développant un projet fédérateur qui étudie la viabilité d'une future filière industrielle. Je n'oublie évidemment pas les énergies marines renouvelables, mais la contrainte budgétaire nous obligera à faire des choix, à nous concentrer sur les domaines où le CEA a une vraie valeur ajoutée. En l'espèce, l'Ifremer est bien placé pour y répondre. Tous ces vecteurs énergétiques s'articuleront dans des réseaux électriques sur lesquels le CEA a aussi un rôle important à jouer pour en optimiser la gestion et en faire des réseaux intelligents, notamment en promouvant l'expérimentation locale et en s'appuyant sur les compétences de ses équipes en matière, par exemple, de capteurs ou de gestion de données.
Deuxième aspect du premier pilier : le nucléaire. La contradiction que vous mentionniez, madame la présidente, peut être surmontée. Le choix politique a été fait de diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique - mais de le conserver. Il est donc fondamental d'assurer la viabilité de la filière et de la préserver comme une ressource d'avenir. À cet égard, il est primordial que le CEA se positionne en soutien des industriels et parfois même prenne l'initiative. D'abord, il doit veiller au maintien du parc actuel et de la capacité à l'exploiter, en aidant aussi les industriels à réussir la troisième génération, ce qui n'est pas encore complètement acquis. La responsabilité en est clairement confiée à Framatome et à EDF, mais le CEA peut aider à ce qu'on sorte d'une logique d'opposition entre les acteurs pour aller vers un système de plateformes partagées.
Le nucléaire français ne sera exportable que s'il a plus d'un produit à exporter : le seul EPR ne suffit pas ! À cet égard, le CEA pourra explorer des concepts innovants avec les industriels, ce qui lui permettra de développer des compétences et des innovations aussi en interne.
Le démantèlement et l'assainissement, qui sont souvent perçus comme une charge, peuvent aussi renforcer nos exportations, notamment au vu du nombre croissant d'installations dans le monde qui seront à assainir et à démanteler. Nous devons constituer une filière française du démantèlement qui, grâce à l'expérience acquise sur nos installations, exportera son savoir-faire. Sur ce point, le CEA peut prendre l'initiative, avec les acteurs du nucléaire aussi avec d'autres acteurs de la gestion du déchet non nucléaire, en entraînant aussi tout un tissu de PME.
Deuxième pilier : faire du CEA un acteur de l'industrie et de la médecine de demain. Cela regroupe les questions de transition numérique, de développement de l'électronique, de l'intelligence artificielle, etc. Le CEA compte en son sein de nombreuses compétences : son laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti) a été créé en 1967 ! La priorité est d'assurer une maîtrise des technologies du numérique autour de la cyber-sécurité, de la maîtrise et de la protection des données, de l'électronique avancée et de la microélectronique : nous avons à la fois les acteurs nationaux et les compétences au sein du CEA pour construire une filière.
Tous les éléments de cette transition numérique ne sont pas aisés à maîtriser pour tout le tissu industriel, dans lequel nous devons les injecter. Certes, le CEA ne peut pas tout faire, et ne saurait devenir spécialiste de tous les secteurs industriels. En revanche, nous pouvons faire de certaines entreprises, avec lesquelles nous nouerions des partenariats forts, des relais, qui permettraient ensuite d'irriguer le tissu industriel : elles joueraient en quelque sorte le rôle de traducteurs de nos travaux pour irriguer ce tissu.
Dernier élément : la médecine et la biologie, dont on parle moins souvent, mais qui appartiennent à une vieille tradition du CEA, liée à la recherche sur l'atome, aux capacités d'imagerie et de compréhension de la matière ou encore aux travaux sur l'effet des rayonnements, et qui procède aujourd'hui de notre maîtrise des technologies de la génomique et du traitement de la donnée. De fait, au croisement de tout cela, il y a une réelle singularité du CEA, qui ne se substitue ni au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ni à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et jouera un rôle fondamental pour les thérapies de demain.
Sur le volet militaire, je serai bref, car je le connais moins bien, et il se prête moins à une discussion publique. La direction des applications militaires est une ressource extrêmement précieuse du CEA. Elle a, au fil des années, réussi à doter la France d'une dissuasion que tout le monde s'accorde à reconnaître comme exemplaire ; elle a aussi été capable de gérer la transition vers l'arrêt des essais et le passage à la simulation, avec tout ce que cela implique en termes de maîtrise du laser mégajoule et de calcul haute performance. Mon projet est évidemment de maintenir cette exemplarité et cette parfaite organisation.
La première des conditions que j'énumérais est que la dynamique de recherche doit rester extrêmement forte. Je n'aime guère la distinction entre recherche fondamentale et autre recherche : pour moi, il y a de la bonne et de la mauvaise recherche, tous les chercheurs aspirent à en faire de la bonne, et ce qui en sort n'est jamais totalement prévisible. Certes, le CEA n'est pas un organisme de recherche purement cognitive, et nos programmes sont forcément orientés. Il appartient, cela dit, au CEA, de s'inscrire dans les politiques de sites, à Saclay, à Grenoble... Il doit aussi réfléchir à des partenariats avec l'Inserm ou l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) tout en restant présent sur des enjeux aussi fondamentaux que l'astrophysique où, qu'il s'agisse de l'analyse de sursauts gamma ou d'équipements embarqués sur des satellites dans le cadre de programmes internationaux, le CEA est impliqué.
Deuxième condition : la rigueur. Il faut regarder les choses en face, le CEA a connu des difficultés dans la conduite d'un certain nombre de grands projets - je pense en particulier au réacteur Jules Horowitz -, où le calendrier et le budget ont dérapé. Sur ces errements, nous disposons d'un certain nombre d'éléments de diagnostic. La compétence d'ingénierie du CEA doit être aussi exemplaire que possible. Pour cela, il n'y a pas de baguette magique : il faut une gestion de projets aussi rigoureuse que possible. J'ai connu la même problématique à mon arrivée à l'Andra en 2007. Il faut un effort constant, permanent. Nous serons exemplaires, là comme dans la gestion budgétaire, qui nous imposera des choix. En effet, pour faire des économies, le rabot est la méthode la plus douloureuse et la plus démoralisante pour les équipes. Mieux vaut renoncer à certains projets. Je ne puis vous dire encore lesquels, et il y aura un travail d'analyse à faire avec les équipes : nous conduirons certainement une revue stratégique d'un certain nombre de projets. C'est un élément de la conduite du changement.
Le CEA a toutes raisons d'être fier de son héritage. Ses compétences, comme cet héritage, doivent être respectés ; on doit les faire fructifier tout en mettant l'organisme en mouvement autour d'un projet partagé par l'ensemble de la chaîne hiérarchique, par le comité de direction, que je souhaite aussi ouvert et aussi divers que possible, et par un CEA que je veux unifié et sans baronnies, sans féodalité, et avec des transversalités qui fonctionnent. Ce sera l'objet de mes premiers échanges avec toutes les parties prenantes.
Le processus de sélection a été long et rigoureux : j'ai passé un grand nombre d'entretiens et d'auditions. J'ai l'impression qu'il fut centré sur deux points : le projet et la manière de gérer des structures ou des organismes. Pour ma part, j'ai dirigé trois organismes, l'Andra, Météo-France et l'Ifremer, à chaque fois dans des conditions assez difficiles. Chez Météo-France, il a fallu refondre toute une partie de l'organisme pour passer à la prévision numérique. À l'Andra, la mise en oeuvre du projet a été parfois douloureuse. À l'Ifremer, le transfert du siège à Plouzané n'a pas été très bien vécu par le personnel, d'autant qu'il s'est accompagné d'un ensemble de restructurations. J'espère avoir à chaque fois contribué à redonner un projet à ces organismes et même à en motiver le personnel autant que faire se peut. Aussi serais-je heureux que cette compétence acquise au fil du temps, ainsi que mon attachement pour le monde de la recherche et pour ce très bel organisme qu'est le CEA se traduisent par un nouveau défi pour moi !
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci, monsieur Jacq, pour votre présentation.
M. Roland Courteau. - Le CEA doit, dites-vous, être un acteur majeur de la transition énergétique. S'agissant du stockage de l'électricité, des solutions sont annoncées depuis quatorze ou quinze ans. Je crois savoir que le CEA travaille à cet égard sur des technologies prometteuses de pile à combustible, ainsi que sur le projet Myrte, dont l'objectif est de démontrer que l'hydrogène peut pallier la nature intermittente de certaines énergies renouvelables. Laquelle de ces technologies vous paraît être la plus apte à développer une filière industrielle dans les meilleurs délais ?
Quelle sera, par ailleurs, la stratégie du CEA en matière de démantèlement du nucléaire, eu égard notamment à ses conséquences en termes d'emploi sur le tissu industriel français ?
Le CEA et ses partenaires ont lancé, il y a quelques années, la première phase du projet de construction d'un démonstrateur de production de biocarburants deuxième génération : cette filière, que vous n'avez pas évoquée, doit-elle constituer un axe fort de la recherche du CEA afin de permettre son déploiement industriel ?
La fusion thermonucléaire deutérium-tritium dégage, semble-t-il, une énergie considérable en usant de très peu de combustibles. Or, les réserves terrestres de ces matériaux sont presque illimitées. S'agit-il, pour vous, d'un développement prioritaire ? Quand pourraient être envisagés la construction d'un premier prototype et le déploiement de réacteurs industriels ?
S'agissant enfin du Département analyse, surveillance, environnement du CEA, le Dase, je me réjouis que le Centre d'alerte au tsunami (Cenalt), désormais accrédité, fonctionne de façon satisfaisante en matière d'alerte montante. Reste néanmoins à rendre opérationnelle l'alerte descendante...
M. Jean-Pierre Decool. - Lors de la COP 22, à Marrakech au mois de novembre 2016, le CEA et l'agence marocaine de promotion des énergies renouvelables Masen ont présenté la première centrale solaire thermodynamique, qui, grâce à la technologie des miroirs de Fresnel, permet de produire à la fois de l'électricité et du froid sous forme de glace souterraine, mais également de dessaler l'eau de mer. De nombreux industriels et les collectivités d'Afrique subsaharienne sont évidemment intéressés. Quel avenir envisagez-vous pour cette technologie et comment, le cas échéant, pourrait-elle être développée par la France ?
M. Marc Daunis. - Avec ses centres modernes de recherche, ses 16 000 techniciens, ingénieurs et chercheur, ses 743 dépôts de brevets, ses 195 start-up, son budget supérieur à 4 milliards d'euros et ses trente pôles de compétitivité, le CEA est un bien bel organisme ! Il ne peut néanmoins tout faire... La spécialisation imposée par l'étendue du champ de la transition énergétique et l'impact du numérique rendent nécessaires les collaborations. Mais ne craignez-vous pas qu'à force de partenariats, le CEA perde son identité ou intervienne en doublon avec, par exemple, l'Inserm ou le CNRS ? Un organisme d'une telle ampleur ne pourrait-il pas, à terme, se révéler impossible à piloter, malgré tout le talent de sa direction et de son personnel, alors qu'il intervient dans des champs stratégiques pour la recherche et l'industrie nationales ?
Mme Catherine Procaccia. - J'aimerais vous interroger sur l'implication du CEA dans le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Vous nous avez par ailleurs présenté vos objectifs, mais où réside l'originalité de votre projet par rapport à celui mis en oeuvre par l'actuel administrateur général, Daniel Verwaerde ?
M. Henri Cabanel. - Vous n'avez pas abordé le projet Astrid, un démonstrateur technologique pour la quatrième génération de réacteurs nucléaires, qui utiliserait de l'uranium 238. Quelle vision portez-vous pour ce projet, dont l'ambition a été amoindrie faute de moyens suffisants, qui permettrait d'éliminer nos déchets nucléaires ?
Mme Françoise Férat. - Dans un entretien donné au journal Les Échos, Daniel Verwaerde faisait état de son souhait que le CEA conserve un lien privilégié avec Areva. Avez-vous des informations sur les intentions du Gouvernement en la matière ? Quelle est votre approche de ce dossier ?
M. Michel Raison. - Faisant appel à votre expérience à la tête de l'Andra, j'aimerais savoir si, selon vous, les nouvelles technologies permettront à terme de recycler intégralement les déchets nucléaires. Au-delà de l'opinion de chacun sur l'énergie nucléaire, le problème des déchets demeure. Or, l'avenir du centre de stockage en profondeur de Bure interroge à l'aune de l'épisode fâcheux de Notre-Dame-des-Landes. Arriverons-nous un jour à enfouir un container à Bure ?
M. François Jacq. - J'ai comme vous le souvenir douloureux, monsieur Courteau, des promesses des années quatre-vingt-dix sur les piles à combustible ou sur le stockage qui ne se sont pas avérées... Rien n'est certes abouti, mais la solution est désormais à portée de main. S'agissant, à titre d'illustration, de l'hydrogène, que vous mentionniez comme vecteur potentiel de stockage, les progrès accomplis sur les électrolyseurs ont permis la réduction du coût d'une électrolyse, c'est-à-dire de la capacité à récupérer l'électricité, à électrolyser l'eau et à obtenir de l'hydrogène, qui peut ensuite être stocké, y compris sous forme solide. La technologie n'est certes pas encore opérationnelle, mais elle a considérablement progressé. Je doute, pour ma part, de l'avènement d'une « civilisation de l'hydrogène », mais son utilisation dans un futur mix énergétique est désormais avérée, d'autant qu'un certain nombre de processus industriels consomment déjà de l'hydrogène, mais qui est produit à partir d'éléments fossiles et qui émet par conséquent des gaz à effet de serre.
Je vous remercie de me permettre de préciser ma pensée en matière de démantèlement du nucléaire : nous abordons à mon sens cette question avec une trop grande segmentation entre les différents acteurs. Organisons la filière française sous l'égide d'un acteur industriel leader, autour duquel s'organiserait tout un tissu d'entreprises. Lançons une installation « pilote » pour réaliser une opération intégrée de démantèlement et d'assainissement à des coûts et dans des conditions raisonnables, afin d'exporter ensuite ce savoir-faire.
Je n'ai effectivement pas fait mention des biocarburants, sur lesquels pourtant le CEA poursuit des recherches. Nous devons en effet concentrer nos effectifs et nos ressources sur les projets où les compétences du CEA semblent évidentes et ont atteint une taille critique. Certes, les biocarburants constituent un enjeu majeur de la transition énergétique, mais il ne m'apparaît pas certain, sous réserve d'inventaire et de discussion avec les équipes du CEA, que ce dernier représente le meilleur vecteur de développement pour ces technologies.
Concernant la fusion thermonucléaire comme le projet ITER, il faut avoir en tête le calendrier.
Mme Catherine Procaccia. -ITER est annoncé en 2050 !
M. François Jacq. - Le projet, encore au stade de la recherche, envisage effectivement, en 2050, la production d'une machine de démonstration, qui pourrait elle--même conduire à une éventuelle réalisation industrielle vers la fin du siècle. Cette perspective est lointaine et nécessite, sur une longue période, de faire coïncider avancées des connaissances et réalisations effectives, mais également de traiter les urgences sans injurier l'avenir. J'y ai aussi peu insisté car ITER est une opération internationale, certes installée sur le sol français, sous l'autorité de Bernard Bigot ; le CEA y contribue mais ne la pilote pas.
M. François Jacq. - Monsieur Courteau, votre remarque sur le Dase est tout à fait pertinente et je la partage : la détection ne fait pas l'avertissement. Président-directeur général de Météo-France à l'époque de la tempête Xynthia, je ne le sais que trop bien... Entendu par une commission d'enquête sénatoriale sur ce sujet, j'avais ainsi indiqué que nous avions connaissance de la survenue d'une surcote et que les éléments d'avertissement avaient été envoyés aux préfectures. Seulement, il n'existait alors aucun dispositif de vigilance et d'avertissement similaire à celui créé après 1999 pour les tempêtes, la vigilance « vagues-submersion » n'ayant été généralisée qu'après.
Nous poursuivons effectivement, monsieur Decool, des travaux sur les miroirs de Fresnel, qui représentent un bon exemple de « diplomatie énergétique ». La France oeuvre en faveur de l'accord de Paris sur le climat, malgré un contexte quelque peu compliqué par le retrait américain ; cela suppose de proposer des voies de développement technologiquement accessibles aux différents pays en respectant les spécificités climatiques et énergétiques.
Monsieur Daunis pose la question majeure à laquelle un dirigeant d'organisme est confronté : on veut toujours lui en faire faire plus, surtout si ça se passe bien. Je ne crois pas que le CEA souffre à ce jour d'une perte d'identité ou intervienne en doublon, mais il convient de rester vigilant. Ainsi, dans le domaine de la recherche technologique, hors nucléaire et énergie, le CEA a certes déployé une capacité d'irrigation du tissu industriel mais s'est aussi, je crois, lancé dans une fuite en avant et s'est parfois éparpillé sur de nombreux sujets. À l'aune d'un examen des activités stratégiques, il conviendra donc de renoncer à certaines actions. Je crois en revanche à l'intérêt des partenariats, notamment avec l'Inserm et le CNRS, avec lesquels existe une réelle complémentarité. Le CEA n'a pas vocation à investir tous les domaines. Ainsi, s'agissant des énergies marines renouvelables, j'estime plus judicieux de miser sur l'Ifremer que de multiplier les acteurs. Toutefois, l'Ifremer elle-même ne peut tout gérer avec seulement 250 personnes ; elle y perdrait aussi son âme. L'ascèse est un exercice permanent, alors que la tentation inverse est grande.
Madame Procaccia m'interrogeait sur l'originalité de mon projet, question également posée hier par vos collègues de l'Assemblée nationale... Je ne crois pas, pour m'en être entretenu avec lui, qu'il existe une différence considérable entre la vision portée par Daniel Verwaerde et la mienne. J'estime néanmoins pouvoir apporter au CEA ma capacité, acquise au gré de mes précédentes responsabilités, à mobiliser les énergies et les équipes autour d'un projet et à conduire des changements. Je suis convaincu de l'intérêt du travail en commun et de la transversalité entre directions. Les équipes de la technologie, du nucléaire, des applications militaires doivent, par exemple, travailler ensemble sur les enjeux de la cyber-sécurité et de la guerre moderne. À l'Ifremer, je me suis ainsi attaché à rapprocher les océanographes, les biologistes et les ingénieurs.
S'agissant, monsieur Cabanel, du projet Astrid, je vous avoue ne guère croire à une quatrième génération de réacteurs sans troisième génération aboutie et exportable. Nous devons certes garder des perspectives pour l'avenir, mais le déploiement industriel d'une quatrième génération apparaît éminemment lointain.
Madame Férat a mentionné Areva et la manière dont le groupe s'est recomposé entre Orano sur le cycle, Framatome sur les réacteurs avec EDF et la structure qui porte le projet Olkiluoto. Nous devons conserver une proximité extrêmement forte avec ces entités mais cette proximité n'est pas nécessairement capitalistique. Je partage, à cet égard, le point de vue de Daniel Verwaerde. On a trop souffert, et j'ai connu cette situation à l'Andra, de rivalité entre acteurs dont la filière ne peut plus se permettre le luxe aujourd'hui ! Tant sur le volet réacteurs que sur le volet cycle, il faut encore plus et encore mieux collaborer et la volonté est là, de toutes parts.
Je répondrai enfin à Michel Raison, qui s'inquiétait de la situation à Bure. Lorsque j'ai pris mes fonctions en 2000 à l'Andra, 2 500 à 3 000 personnes y campaient l'été, abaissant les grilles, envahissant le site et détruisant des matériels. Nous l'avons oublié désormais, mais j'en garde, pour ma part, un souvenir douloureux ! Nous nous sommes alors lancés dans un ambitieux travail d'explicitation et avons fait progresser alors une compréhension partagée sur le sujet, évaporée depuis. Peut-être suis-je d'un optimisme béat ou d'une naïveté militante, mais je pense qu'il n'est d'autre solution que l'explicitation. Il y aura toujours des déchets : malgré les recherches et les analyses, le rêve ultime de la disparition des déchets déjà produits a vécu... Nous avons donc besoin d'une solution. À Bure, nous avons considérablement progressé, et, même si elle demande encore un long travail technique, notamment sur la réversibilité, et de conviction, je reste convaincu que cette solution doit être défendue.
En termes de déploiement industriel, il n'y a pas d'urgence. Nous devons poursuivre le travail d'explication dans le calme et la sérénité, en démontrant la faisabilité du projet et en continuant de progresser sur les aspects scientifiques et techniques.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie d'avoir répondu précisément aux questions des membres de la commission, monsieur Jacq.
Vote et résultat du scrutin sur la proposition de nomination aux fonctions d'administrateur général du CEA
La commission procède au vote sur la candidature de M. François Jacq, candidat proposé aux fonctions d'administrateur général du CEA, en application de l'article 13 de la Constitution.
Mme Sophie Primas, présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants : 21.
Bulletins blancs ou nuls : 1.
Nombre de suffrages exprimés : 20.
Pour : 19.
Contre : 1.
La commission donne un avis favorable à la nomination de M. François Jacq aux fonctions d'administrateur général du CEA.
La réunion est close à 16 heures 10.
Mercredi 18 avril 2018
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs - Présentation de la proposition de loi
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le très grand plaisir de recevoir Rémy Pointereau et Martial Bourquin qui viennent nous présenter leur proposition de loi de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.
Le cheminement de cette initiative montre à quel point le sujet est transversal : ce sont nos deux délégations sénatoriales aux collectivités territoriales et aux entreprises qui ont lancé le processus et préconisé la formation d'un groupe de travail inter-commissions et inter-délégations.
Les auditions conduites par cette structure temporaire extrêmement dynamique ont bien montré que le Sénat a un rôle fondamental à jouer pour redonner du souffle économique et de la convivialité à des centaines de centres-villes où les « rideaux baissés » se multiplient. Comme l'a dit le président Larcher, quand les rideaux se baissent dans les centres-villes, on connaît le résultat des élections...
Le Gouvernement vient de lancer un plan limité à 222 villes moyennes, avec une méthode de redynamisation quelque peu centralisatrice. Nos deux collègues, avec leur sensibilité territoriale, proposent une autre approche : une palette d'outils et d'expérimentations pour que tous les élus concernés puissent faire du « cousu-main ».
Je vous cède la parole sur ce véritable enjeu de civilisation.
M. Martial Bourquin, auteur de la proposition de loi, rapporteur du groupe de travail revitalisation centres-villes et centres-bourgs. - Je remercie Sophie Primas de nous donner l'occasion de vous présenter, en avant-première, notre proposition de loi. C'est d'autant plus important que depuis notre réunion de travail avec la présidente de la commission - nous avons rencontré chacun des présidents de commission concernés - nous avons fait évoluer notre texte pour tenir compte de ses remarques.
Cette proposition de loi répond à une demande de centaines d'élus, qui voient se baisser les rideaux des commerces dans leurs centres-villes et centres-bourgs. Elle est le fruit d'un travail de long terme : onze tables rondes qui ont réuni tous les acteurs des centres-villes, plus de 150 personnes auditionnées, une consultation nationale des élus locaux qui a recueilli 4 000 réponses, un groupe de travail réunissant 18 collègues issus de toutes les commissions - hormis les Affaires étrangères - et de tous les groupes politiques, en particulier les représentants de la commission des Affaires économiques, Anne Chain-Larché et Joël Labbé. Je salue aussi Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, qui a participé à plusieurs de nos auditions et échanges.
Soyons clairs : le plan Mézard est pour nous une étape. Il est bon à prendre, en particulier pour les 222 villes retenues pour recevoir la manne financière du Gouvernement, et il comporte des avancées ; mais il ne règle pas les questions structurelles. Pourquoi les centres-villes et centres-bourgs se dévitalisent-ils ? Comme le titrait la Gazette des communes il y a quelques jours, son volet législatif, c'est-à-dire le projet de loi Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) « ne comporte qu'un volet centre-ville light ». De notre côté, nous avons identifié plus de 700 villes en difficulté, petites ou non, sans compter les centres-bourgs. Il faut travailler à l'endroit, c'est-à-dire en traitant les causes structurelles de la dévitalisation.
Notre texte affirme donc l'ambition plus forte du Sénat pour les centres-villes et centres-bourgs, avec trois axes principaux. Le premier est le lancement de l'Opération de sauvegarde économique et de redynamisation ou Oser, un dispositif ouvert à tous les territoires, et pas seulement quelques centres-bourgs. Le deuxième est l'association du périmètre des Oser à des mesures structurelles non dépendantes des décisions des préfets et du ministère à Paris. Nous redonnons ainsi de la place à l'intelligence territoriale, face au centralisme ambiant de plus en plus insupportable. Enfin, nous redonnons aux élus de la capacité de décision pour concevoir et mettre en oeuvre des stratégies de développement commercial plus responsables et plus cohérentes.
J'en viens à la philosophie de notre travail. D'abord, notre conviction partagée est que nous ne pourrons stopper la dévitalisation que par un ensemble cohérent de mesures structurelles fortes. C'est un des points qui nous distinguent du projet Élan. En tant qu'élus locaux, nous avons tous eu recours au Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), que nous avons ensuite vu fondre comme neige au soleil. Le Fisac était un correctif qui ne s'attaquait pas aux causes de la dévitalisation.
Ensuite, il ne s'agit pas d'opposer le centre à la périphérie, mais d'assurer une meilleure cohérence entre leur développement, en leur donnant accès à des opportunités comme le e-commerce. Nous voulons ainsi aider les petites et moyennes entreprises commerciales et artisanales à s'implanter dans ces centres-villes pour les faire vivre.
Nous avons également souhaité des instruments qui, globalement, soient à la main des élus et moins centralisateurs.
Nous n'avons retenu que les pistes prioritaires, dans une logique de réalisme, notamment en dégageant des ressources au profit des collectivités territoriales et en veillant à un équilibre entre dépenses et ressources nouvelles. Le plan sera entièrement autofinancé, ce à quoi vous ne manquerez pas d'être sensibles.
Enfin, nous avons travaillé la main dans la main avec les commissions. Je cède maintenant la parole à mon collègue pour la partie relative aux collectivités.
M. Rémy Pointereau, coauteur de la proposition de loi, rapporteur du groupe de travail revitalisation centres-villes et centres-bourgs. - Je suis heureux de venir devant cette commission dont j'ai été membre. Comme François Calvet et Marc Daunis pour leur proposition de loi sur la stabilisation du droit de l'urbanisme, Martial Bourquin et moi-même avons travaillé de concert. Malgré nos différences politiques, nous nous sommes retrouvés sur tous les sujets, signe que lorsque l'intérêt général est en jeu, un accord est toujours possible. Nous appartenons à l'ancien monde...
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est la tradition du Sénat !
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Nous avons d'abord voulu remettre les élus locaux au coeur de l'action en leur permettant de déployer des stratégies territoriales responsables de développement de leur centre-ville. C'est un enjeu de société. Que voulons-nous pour demain ? Une ville à l'américaine, avec des drives en périphérie, ou à l'européenne, avec un véritable centre-ville comme lieu de lien social et culturel et de rencontre ?
Dans cet esprit, l'un des piliers de la proposition de loi est l'opération Oser, qui sera à la main des élus : ils délimiteront, sur une base objective et après analyse d'impact, le périmètre de centre-ville en difficulté qui bénéficiera d'une gamme de mesures structurelles.
Comme vous le savez, l'Opération de revitalisation de territoire (ORT) prévue par le plan Mézard et le projet de loi Élan qui sera examiné début juillet exclut juridiquement les territoires intra-métropolitains. Ainsi, une ville comme Roubaix, pourtant en grande difficulté, n'y aura pas droit parce qu'elle fait partie de la métropole de Lille ! L'ORT proposée par le Gouvernement exclut aussi, de facto, les centres-bourgs, mais également de très nombreuses petites villes ou villes moyennes, le ministère ayant décidé de la réserver prioritairement aux « villes pôles d'attractivité », un concept au demeurant assez flou. De plus, l'ORT ne concerne que les coeurs de ville et se contente de mesures correctives - or dans quelques années, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Nous avons souhaité traiter dans ce texte l'ensemble des problématiques : e-commerce, périphéries et centres-villes.
L'opération Oser sera ouverte à tous les territoires et ne dépendra pas d'une liste concoctée au sein d'un cabinet ministériel, méthode que nous analysons comme une forme de recentralisation ; au lieu du ministère, ce sont les élus qui définiront les critères, comme pour les pôles d'excellence rurale.
Nous le savons, le déficit en ingénierie dont souffrent les communes limitera l'action de nombre des 222 villes retenues par le Gouvernement comme prioritaires pour les opérations de revitalisation. Il y a quelques jours, le président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) soulignait que, sans ingénierie de projets, la contractualisation avec l'État et la possibilité de « faire descendre des financements » seraient bloquées. C'est pourquoi notre proposition de loi crée l'Agence nationale des centres-villes et centres-bourgs qui aura précisément pour mission d'aider les collectivités et intercommunalités à disposer de capacités d'ingénierie et d'assistance à maîtrise d'ouvrage. Évidemment, cette agence aura vocation à s'articuler avec l'Agence de cohésion des territoires que nous attendons depuis plusieurs mois.
Nous voulons également, comme Martial Bourquin l'a souligné, redonner aux élus la possibilité de concevoir et de mettre en oeuvre des stratégies de développement commercial plus responsables et plus cohérentes. Les responsabilités de la dévitalisation sont partagées. Les consommateurs consomment différemment, et le e-commerce se développe. La grande distribution est évidemment responsable. Enfin, les services publics, qui se déplacent du centre-ville en périphérie, ne sont pas exempts de reproche.
Il est vrai que les élus, eux aussi, sont co-responsables du déploiement anarchique des grandes surfaces qui, par contrecoup, a contribué à fragiliser les centres. Mais, à leur décharge, la rédaction de la loi ne leur a pas facilité pas la tâche. Comme vous le savez, le législateur a inscrit dans la loi que les implantations commerciales doivent contribuer au développement des activités en centre-ville. Mais ce principe général ne figure qu'à l'article L. 750-1 du code de commerce, alors que les critères pour autoriser ou refuser une implantation sont énoncés à l'article L. 752-6 du code.
Résultat : contrairement à l'esprit du législateur, les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) sont tenues d'autoriser l'implantation dès lors que les critères vagues de l'article L. 752-6 sont respectés : seul l'impact environnemental est retenu, et non les critères économique et financier. Si elles ne le font pas, les juges administratifs ne se privent pas d'annuler leurs décisions. Ainsi, l'autorisation d'exploitation commerciale est devenue le principe et son refus l'exception puisque plus de 92 % des demandes sont acceptées, alors que de nombreux territoires sont saturés. La surface commerciale est passée de 14 millions de mètres carrés à 17 millions en 2017 - deux fois la surface de la Corse - soit une augmentation de plus de 30 % ; et cette augmentation est encore plus importante dans les territoires en dépopulation où le pouvoir d'achat stagne.
Nous voulons revenir à l'intention du législateur. Il reviendra, comme en Grande-Bretagne, au demandeur de prouver que le projet ne nuit ni au tissu commercial ni au développement économique du centre-ville de la commune d'implantation mais aussi des communes voisines. C'est un outil puissant pour permettre aux élus de retrouver une certaine sérénité, et, point essentiel, pour neutraliser la concurrence entre communes pour attirer certaines implantations, qui a fait tant de mal.
Nous proposons aussi de rendre le document d'aménagement artisanal et commercial (DAAC) obligatoire et prescriptif dans les schémas de cohérence territoriale (SCOT). Il pourra désormais prévoir la nature et la surface de vente maximale des équipements commerciaux par secteurs.
De même, comme de nombreux projets locaux sont déstabilisés lorsque l'État, ou d'autres collectivités publiques, transfèrent des services publics en dehors du centre-ville, nous souhaitons que les périmètres Oser soient protégés de cette fuite. Les autorités responsables de ces services devront informer en amont les élus de leurs projets de transfert, les élus pouvant, dans les périmètres Oser, s'y opposer ou, si le départ du service est acté, récupérer ces locaux de façon prioritaire grâce à un droit de préemption.
En complément de la nécessité pour un demandeur de prouver que son projet ne va pas à l'encontre du développement du centre-ville, nous proposons plusieurs améliorations du système de régulation des implantations de grandes surfaces pour rendre ce système plus efficace et plus attentif aux impacts sur le tissu économique local.
Nous n'avons pas eu le temps de nous déplacer en Grande-Bretagne et en Allemagne, mais les services du Sénat ont conduit une étude comparée dont il ressort que ces deux pays sont beaucoup plus rigoureux sur les implantations commerciales. C'est un constat partagé que la France est allée trop loin en 2008 avec la loi de modernisation de l'économie (LME), en sur-transposant la directive Services avec pour résultat un détricotage de notre dispositif de régulation.
Nous proposons un ensemble de mesures correctives et structurelles. D'abord, la rénovation de la composition des CDAC en y réintégrant notamment des représentants du tissu économique local : représentants des CCI, chambres des métiers et chambres d'agriculture et élus des communes limitrophes.
Nous souhaitons également imposer une étude d'impact des projets, en particulier sur les emplois créés et détruits - les grandes surfaces promettent en général des emplois sans que l'on mette en regard les emplois détruits par la disparition des petits commerces -, les conséquences en matière de transports, de bilan carbone, ou de coûts induits pour la collectivité, par exemple en matière d'infrastructures.
Le demandeur sera incité, dans notre texte, à reprendre en priorité les friches commerciales, d'abord en centre-ville, ensuite en périphérie.
Nous proposons aussi l'abaissement du seuil d'autorisation des implantations de 1 000 à 400 mètres carrés, dans les périmètres OSER. C'est déjà le cas à Paris.
Il est nécessaire de refondre le dispositif de contrôle du respect des autorisations d'implantation, qui est totalement inefficace, comme nous avons pu le constater lors de nos déplacements à Moulins et à Châtellerault.
Enfin, nous voulons faciliter certaines implantations de commerces en centre-ville en les exonérant d'autorisation, mais pas sans garde-fous. L'exonération prévue par Action coeur de ville et le projet de loi Élan laisserait les maires sans capacité d'action face à des projets qu'ils jugeraient dangereux pour leur ville. De notre côté, nous n'envisageons d'exonérer de CDAC que certains types de projets : magasins de producteurs en circuit-court, projets implantés sur une ancienne friche commerciale, projets mixtes habitat-commerce.
Le nerf de la guerre étant l'argent, il est illusoire de penser que les collectivités pourront réaliser des opérations aux effets durables sans moyens pérennes. Nous avons voulu dégager des ressources durables pour nos collectivités tout en améliorant l'équité fiscale entre les centres-villes et les périphéries et entre le commerce physique et le e-commerce.
La réduction de la fiscalité en centre-ville sera ainsi assortie d'un rééquilibrage de la fiscalité pour que les consommateurs de terres agricoles ou les géants du e-commerce participent à l'effort collectif pour les centres-villes. C'est un système de bonus-malus qui ne touchera pas les consommateurs.
Nous proposons ainsi deux éléments de fiscalité écologique, analysés avec la commission des Finances, dont les ressources seraient fléchées vers les collectivités signataires des conventions Oser. Le premier sera une contribution de lutte contre l'artificialisation des terres consommées notamment par les parkings et les entrepôts de stockage liés au commerce électronique. Cette contribution permettra à la fois de privilégier la densification en centre-ville et d'y financer la création de stationnements et des opérations de réurbanisation et de réhabilitation.
Le second élément de fiscalité écologique serait une taxe sur les livraisons des géants du e-commerce, qui échappent toujours à l'impôt... Cette taxe permettra de combattre les externalités négatives de la multiplication des livraisons en lien avec le e-commerce - émission de gaz à effet de serre, suremballage et autres. Nicolas Hulot, que nous avons rencontré, s'est montré très intéressé. La taxation des kilomètres parcourus entre le dernier entrepôt de stockage type Amazon et le point de livraison devrait pousser les géants du e-commerce à bâtir des entrepôts plus proches des consommateurs et plus petits, ce qui permettrait de rapatrier de la base fiscale foncière vers davantage de collectivités. Les distributeurs seraient encouragés à implanter des drives piétons en centre-ville.
La mise en oeuvre de ces mesures structurelles demandera du temps. Face à l'urgence de la situation, nous sommes favorables à un dispositif de stabilisation des implantations commerciales, en renonçant à un moratoire national qui, après mûre réflexion, paraît trop complexe. Chaque territoire est différent. En revanche, nous pensons utile de laisser aux élus la possibilité de mettre en place des moratoires locaux dans les zones en difficulté, à condition de neutraliser les effets de concurrence entre les collectivités qui pourraient en résulter, ce que nous avons prévu. Il convient que ces moratoires portent sur un périmètre suffisant, comme celui du SCOT. À l'échelle d'une ville moyenne, ils resteraient sans effet. Le moratoire local n'a pas vocation à tout bloquer, mais à privilégier les friches existantes ou les locaux vacants.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - L'idée centrale de notre proposition de loi est de faciliter les installations en centre-ville. Tous les commerçants que nous avons entendus nous ont dit qu'ils n'hésiteraient pas à y revenir si cela coûtait moins cher ; cela implique une réduction de la fiscalité.
Nous proposons donc d'offrir aux élus locaux, en particulier dans les périmètres Oser, davantage de marges de modulation de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom). La collectivité ou l'EPCI pourrait ainsi réduire la taxe du montant des frais engagés pour l'amélioration, la transformation, ou l'aménagement d'un local commercial ou artisanal ; ou exonérer de Tascom les entreprises artisanales et commerciales dans les périmètres Oser. Cette exonération pourrait par ailleurs être conditionnée à la remise en état du local, pour encourager à la modernisation des locaux de centre-ville ; à l'inverse, dans un souci d'équilibrage, la collectivité ou l'EPCI pourrait majorer la Tascom des seules grandes surfaces - à partir de 2 000 mètres carrés - et hors des périmètres Oser ; c'est une forme de péréquation entre centre-ville et périphérie. De même, il est temps d'assujettir les surfaces de stockage des drives à la Tascom.
Toujours pour réduire les coûts en centre-ville, nous proposons la mise en place, dans les périmètres Oser, de zones de revitalisation de centre-ville reposant sur une exonération, d'abord totale puis partielle, sur les bénéfices pour les entreprises artisanales et commerciales de moins de vingt salariés. Nous souhaitons éviter les effets d'aubaine qu'avaient produits les zones franches urbaines (ZFU).
Pour augmenter l'offre de locaux adaptés à un prix abordable en centre-ville, nous pensons réduire les taux de TVA à 10 % sur les logements neufs et sur les réhabilitations complètes. Compte tenu de l'encadrement européen de la TVA, nous avons essayé de trouver, avec la commission des finances, un système ouvrant cette réduction aux programmes mixtes entre logement social, logement intermédiaire et logement privé.
Nous souhaitons aussi réduire le poids des normes en instituant au profit des maires une possibilité de dérogation aux normes les plus contraignantes dans les périmètres en difficulté, sur le modèle de la possibilité de dérogation accordée aux préfets depuis décembre 2017. Le président de la communauté de communes de Joigny a souligné, lorsque nous l'avons entendu, qu'il n'avait pas les ressources pour rénover un centre-ville entièrement patrimonial.
Nous voulons redynamiser les centres-villes en facilitant la remise sur le marché des logements en étage des commerces, trop souvent inoccupés, grâce à une remise en cause les baux dits « tout-immeuble » qui stérilisent ces surfaces.
Pour la modernisation du commerce de proximité, un crédit d'impôt aidera les commerçants et artisans à se former au numérique et à s'équiper en conséquence. Le e-commerce est aussi une opportunité face à laquelle, plutôt que de l'entraver, il convient de mettre tous les artisans et commerçants à égalité.
Nous avons également repris une initiative de nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart, au nom de la délégation aux entreprises, visant à faciliter la reprise d'entreprises par de nouveaux commerçants et artisans.
Enfin, nous proposons un nouveau contrat plus souple que le bail commercial, qui permettra à des exploitants de s'installer dans des centres fragilisés, mais avec moins de risques. Ce contrat, sans droit au bail ni pas de porte, ne serait pas un bail mais un contrat de mise à disposition de local commercial contre une redevance proportionnelle au chiffre d'affaires.
L'intérêt pour le preneur est évident lorsqu'il est en phase de décollage ou dans les zones difficiles : il n'aura pas de loyer à avancer - alors qu'il a peu de revenus - ni de droit au bail à financer. Or c'est très souvent ce qui étrangle les nouveaux commerçants, contraints de s'endetter lourdement pour cela. Pour le bailleur, l'intérêt est de disposer d'un contrat plus souple, sans droit au renouvellement pour le preneur quand le contrat arrive à son terme. Ce dispositif très équilibré, qui suscite l'intérêt de la direction générale des entreprises, serait particulièrement adapté pour des collectivités voulant avoir une gestion active de locaux commerciaux, par exemple via une société d'économie mixte.
En conclusion, nous avons essayé de construire un texte audacieux mais équilibré, consistant à trouver des ressources pour nos collectivités sans imposer des acteurs économiques fragiles, comme les TPE et PME ; renforçant à la fois les pouvoirs des élus et leur responsabilisation, pour qu'ils développent de véritables stratégies territoriales de développement commercial et artisanal et de services, notamment de services de santé.
Nous avons plaidé avec succès auprès du président du Sénat et de nos groupes pour que notre proposition de loi soit inscrite à l'ordre du jour et examinée avant le projet de loi Élan du Gouvernement. Ce dernier, qui compte 66 articles, n'en a qu'un - le n° 54 - consacré à la revitalisation des centres-villes. Ainsi les sénateurs pourront exprimer leur préoccupation sur ce sujet avant l'examen du projet de loi Élan.
Il convient d'aborder la question avec un regard nouveau et une volonté de changer réellement les choses. Ce texte est le fruit de neuf mois de travail. Dans la situation économique que nous connaissons, alors que la crise des centres-villes et des centres-bourgs vient s'ajouter aux autres, le Sénat doit se tenir aux côtés de nos élus et de nos territoires. La ville européenne ne mérite pas seulement d'être préservée pour des raisons esthétiques : c'est une conception de l'humanité, un mode de vie. Au retour des beaux jours, nous avons vu les gens sortir dans nos villes, se rencontrer, consommer. Notre travail vise aussi à retrouver du lien social, à donner une dimension humaine à nos bourgs et villes qui en ont bien besoin.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie pour ce travail très approfondi.
Mme Élisabeth Lamure. - Vous avez présenté votre travail devant les délégations aux entreprises et aux collectivités territoriales la semaine dernière. C'est néanmoins un plaisir de vous entendre à nouveau, tant votre travail est important et fouillé.
Vous avez souligné les manques de la loi de modernisation de l'économie de 2008. Il est vrai que les débats se sont cristallisés sur la grande distribution, mais ce texte ne s'y résume pas et comporte nombre d'autres mesures que personne ne songe à remettre en cause.
Avant la LME, le seuil d'autorisation pour les surfaces commerciales était fixé à 300 mètres carrés. Le projet de loi initial portait ce seuil à 1 500 mètres carrés, mais nous avons obtenu qu'il soit abaissé à 1 000 mètres carrés, ce qui était un moindre mal, en faisant valoir que l'autorisation doit rester à la main des élus. De fait, il est rare qu'un projet soit accepté en CDAC malgré le refus des élus concernés. Autre mesure importante, la loi a remplacé la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat (Taca) par la Tascom, en en doublant les montants. De plus, 100 millions d'euros, dans le produit de cette Tascom, ont été fléchés vers le financement du Fisac ; mais au fil des années, ce total s'est réduit jusqu'à 2 ou 3 millions. Allez-vous mobiliser une partie de la Tascom, aujourd'hui diluée dans le budget général, au profit des collectivités - qui ont la possibilité de l'augmenter par ailleurs ?
Il n'est pas normal que les surfaces des plateformes d'e-commerce comme Amazon soient considérées comme des entrepôts et échappent ainsi à la Tascom, puisqu'elles font bien du commerce direct. J'ai entendu dire que la livraison par drone était envisagée, ce qui irait à l'encontre de votre projet de taxe sur les livraisons. Qu'en est-il de ces projets ?
Mme Michelle Gréaume. - Je vous remercie pour ce rapport très intéressant.
Je souhaiterais connaître les critères qui ont permis de choisir les centres-villes et centres-bourgs sélectionnés pour la revitalisation.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est une question qu'il faudrait poser à M. Mézard !
Mme Michelle Gréaume. - Cette proposition de loi est aussi l'occasion de faire remonter nos préoccupations. Par exemple, a-t-on pris garde à ce que parmi les 222 villes retenues, aucune n'ait un hypermarché construit récemment ou en cours de construction dans sa périphérie ? A-t-on croisé les fichiers avec les dossiers EPF (Établissement public foncier) déposés dans les centres-villes suite à des friches ?
M. Franck Montaugé. - Je tiens à souligner la richesse du travail de nos rapporteurs.
La réussite du commerce passe par la capacité des centres-villes et des centres-bourgs à accueillir des habitants dans des conditions modernes, ce qui suppose souvent une réhabilitation complète de l'habitat. Il nous faut donc adapter la législation parfois trop contraignante.
S'agissant de la fiscalité, vos propositions contraindront les élus locaux à prendre des responsabilités considérables. Je n'ai pas entendu parler des politiques d'accompagnement, en particulier le Fisac qui a quasiment disparu alors qu'il visait à soutenir la modernisation du commerce en centre-ville. Sur ce point l'État est défaillant et doit reprendre la main.
Dans les villes petites et moyennes, les quartiers Politique de la ville doivent être envisagés dans le territoire qui est le leur, et en particulier dans leur rapport au centre-ville. Cela renvoie à la revitalisation globale des centres-villes, au-delà de la dimension commerciale, et à la mixité sociale.
Les commerçants doivent s'adapter, au travers de formations, notamment au numérique mais pas seulement, aux évolutions en cours.
Je terminerai en évoquant la réforme des bases locatives, qui n'a pas été engagée, contrairement à celle des bases locatives commerciales. Ce chantier ne sera pas sans impact.
M. Henri Cabanel. - Je félicite nos rapporteurs pour l'important travail qu'ils viennent de nous présenter.
Vous soulignez le rôle des élus qui ont contribué à cet état de fait. Dans la plupart des cas, ils ont été aveuglés. Croyant favoriser la création d'emplois, ils ont assisté à un déplacement de l'emploi. Nous essayons aujourd'hui de faire machine arrière.
Dans mon territoire rural, l'habitat ne correspond plus aux exigences modernes, et il est plus cher de rénover que de construire du neuf. Or il me semble que le rôle des architectes des bâtiments de France (ABF) n'a pas été évoqué.
Le dernier point, très important, qui n'a pas été abordé est celui de la mobilité et du stationnement de voitures. Qu'avez-vous prévu pour absorber le trafic qui sera engendré par la revitalisation des centres-villes ?
Mme Sophie Primas, présidente. - « No parking, no business ! »
Mme Viviane Artigalas. - Je remercie nos collègues qui ont fait un travail formidable.
Il est important que le périmètre d'intervention soit très large et concerne tous les territoires, notamment ruraux. Cette proposition de loi est complémentaire de l'Action coeur de ville du Gouvernement, qui est insuffisante, mais aussi de certaines initiatives locales.
Le contrat bourg-centre de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée accompagne ainsi les bourgs-centres dans un programme pluriannuel d'investissements. Il s'adresse aux bourgs-centres de plus de 1 500 habitants et aux anciens chefs-lieux de canton. Certains bourgs de 1 000 habitants sont ainsi retenus en vertu d'un critère de centralité qu'il me semble important de maintenir.
Par ailleurs, la revitalisation doit être abordée de manière systémique. Pour accueillir de nouvelles populations et maintenir des commerces, les centres-villes doivent disposer d'équipements de loisir et sportifs et favoriser la rénovation de l'habitat.
M. Franck Menonville. - Ce rapport est très complet. En cette période de réflexion institutionnelle, il est important de souligner qu'une conception trop centralisée ne permet pas de traiter les problèmes de nos territoires. Le projet de loi Élan, et l'Action coeur de ville ne suffiront pas.
Dans nos territoires ruraux, des bourgs-centres se meurent, du fait des dynamiques économiques mais aussi du fait du changement de mentalité de nos concitoyens.
Une réflexion pourrait être menée sur l'intergénérationnel, car la revitalisation des centres-bourgs permettrait la cohabitation de jeunes primo-accédants et de personnes plus âgées. Il faudra pour cela assouplir les normes pour réduire le delta entre le coût de la rénovation et celui de la construction de logements neufs.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je remercie nos collègues d'avoir relayé toutes les attentes des territoires.
La démarche retenue vise notamment les bourgs d'appui qui jouent un rôle dans les services de proximité. Elle ouvre des possibilités de financement et redonne la main aux élus.
Complète, elle aborde le commerce et l'économie locale, mais aussi la fiscalité afin de mieux mobiliser des outils dont nous disposons déjà, sans oublier la réappropriation sociétale de nos centres-villes en termes d'animation et d'accessibilité.
Il est important que les petits commerçants s'emparent de l'outil que constitue l'e-commerce et cessent de le voir seulement comme une source de concurrence, car c'est aussi une opportunité. Disposer d'un commerce sédentaire pourrait ainsi devenir un plus.
Lors des auditions préparatoires, les acteurs économiques avaient également préconisé que les élus gèrent les centres-villes comme des centres commerciaux, avec une stratégie d'animation. Nous devrons sensibiliser nos collègues à cette dynamique nouvelle.
Vous avez dit que l'outil ne dépendrait pas du préfet. Par qui le projet sera-t-il validé ? Qui disposera du pouvoir d'initiative ?
M. Serge Babary. - Je salue à mon tour le travail foisonnant de nos rapporteurs.
Je travaille sur ce sujet depuis plus de trente ans à l'ombre de Jean Royer. La loi Royer était une loi de combat. Dans cette proposition de loi, vous avez eu raison de chercher l'équilibre.
Dans les villes, il existe une dichotomie entre le centre et les quartiers, la désertification et la paupérisation de ces derniers entraînant la fermeture des commerces.
Par ailleurs, il me semble important de convier les chambres de commerce et les chambres de métiers à participer à cette réflexion car elles peuvent jouer un rôle dans le montage et l'accompagnement des projets.
Enfin, la mobilisation des commerçants est nécessaire. C'est pourquoi il me semble important que la proposition de loi comporte des obligations, ou du moins des incitations au regroupement des commerçants, y compris des franchisés et des enseignes.
Il faudrait également qu'ils contribuent à l'aménagement de places de stationnement.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur de la proposition de loi. - Je félicite à mon tour les rapporteurs.
Ce texte s'attaque à un phénomène qui a commencé il y a plus de trente ans et qui entraîne aujourd'hui le vote que nous connaissons dans les parties de villes ou de bourgs concernées. Nous devons endiguer ce phénomène. Cette proposition de loi, que tous les maires approuveront, offre un large panel d'outils et adapte certains outils existants.
Il sera toutefois difficile de faire revenir la population vers les centres-villes et les centres-bourgs. Peut-on intégrer les équipements culturels ? Dans les villes moyennes, on commence à construire des cinémas et des théâtres en périphérie.
Il me semble également important d'intégrer la dimension environnementale, qui contribue à l'attractivité.
Je vous remercie de m'avoir nommé rapporteur de cette proposition de loi et j'espère que vous m'aiderez à assumer cette lourde responsabilité !
M. Xavier Iacovelli. - Je remercie à mon tour nos collègues pour ce travail.
Je voudrais souligner le risque de substitution du Fisac par les collectivités. Les services de Bercy ont-ils évalué l'impact de l'assujettissement des surfaces de stockage à la Tascom ?
La création d'une Agence nationale des centres-villes et des centres-bourgs a été évoquée. Cette agence pourrait travailler en concertation avec l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca), qui intervient sur des problématiques proches auprès des quartiers de la politique de la ville.
S'agissant enfin des zones de sauvegarde du commerce de proximité, la volonté politique des maires de définir un périmètre et d'exercer leur droit de préemption est souvent entravée. Pourrait-on assouplir les normes et les règles applicables à ces périmètres ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - J'adresse à mon tour mes remerciements et mes félicitations à nos deux rapporteurs.
La problématique de la diversité de l'appareil commercial n'a pas été évoquée. Elle touche les centres-villes et les centres-bourgs mais aussi les quartiers Politique de la ville. Il est pourtant essentiel que les populations disposent de commerces variés à proximité de leur lieu d'habitation.
Par ailleurs, afin de rétablir plus de justice entre le commerce physique et l'e-commerce, outre la réduction des charges, une hausse de la TVA portant sur le chiffre d'affaires vous semble-t-elle envisageable ?
Je me tiens à votre disposition, en ma qualité de rapporteur du projet de loi Élan, pour travailler avec le rapporteur pour enrichir son article 56 qui, pour l'instant, demeure incantatoire.
De nombreuses villes, parmi les 222 qui ont été retenues, redoutent que l'enveloppe de moyens financiers dont elles bénéficieront ne soit pas à la hauteur.
M. Pierre Louault. - La France a voulu copier les grandes surfaces des territoires neufs.
L'Action coeur de ville ne concerne qu'un certain type de communes, or une vraie politique d'aménagement du territoire doit concerner l'ensemble des communes, quelle que soit leur taille.
L'appel à projets doit permettre de sélectionner des projets urbains intégrant à la fois les problèmes de circulation, de stationnement, de bâti, de commerces et de services à la population.
Il faut par ailleurs insister sur l'intérêt touristique, en particulier des territoires ruraux. J'ai découvert dans ma commune qu'un aménagement conçu pour les habitants pouvait devenir un point d'intérêt touristique.
S'agissant du financement, le recours aux contrats de plan est à privilégier car il permet d'engager des fonds régionaux et européens. Il faudra également que la taxe sur les grandes surfaces revienne à sa spécificité plutôt que de remplir le panier percé du budget de l'État.
M. François Calvet. - Nos deux rapporteurs ont apporté le témoignage vivant de ce que nous rencontrons sur le terrain.
Tout d'abord, il n'y a pas de commerces sans consommateurs. La simplification des règles d'urbanisme dans les quartiers anciens est une priorité.
Ensuite, la politique de transport en milieu rural mérite de faire l'objet d'expérimentations.
Enfin, dans les zones frontalières, nous subissons la double peine. À vingt kilomètres, des produits sont commercialisés 30 % moins cher qu'en France. Cette évasion commerciale aggrave encore le problème de la disparition des commerces dans les centres-bourgs et les centres-villes, sans qu'aucun dispositif ne permette de l'endiguer.
Mme Sophie Primas, présidente. - La revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs est aussi une question d'aménagement du territoire. Dans quelle mesure les EPCI pourraient-ils jouer un rôle dans l'élaboration d'un schéma directeur du commerce lorsque le développement économique est de leur ressort, peut-être pour remplacer les CDAC ?
Concernant les zonages, ne serait-il pas opportun, dans un souci de simplification, de faire un peu de nettoyage ?
Par ailleurs, il me semble que la diversité des commerces de centre-ville doit inclure des grandes et moyennes surfaces. Un H&M ou un Monoprix installés en centre-ville attirent des clients jeunes. Les centres-villes ont besoin de locomotives.
S'agissant du numérique, la taxation ne doit pas nuire aux commerçants traditionnels qui feraient de l'e-commerce.
Nous devons enfin favoriser l'engagement des commerçants eux-mêmes, qui doivent être des acteurs de la dynamisation des centres-villes.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Les périmètres Oser dépendront d'une étude urbaine. Certains centres-villes ou centres-bourgs très allongés devront être raccourcis. De même, il faudra définir un périmètre pertinent autour des centres historiques. Le périmètre final ne sera défini qu'une fois qu'il aura été voté par le Conseil municipal et par l'EPCI. Il faudra parfois démolir pour faire des parkings et construire de l'habitat à côté. Nous souhaitons donner aux maires et aux présidents d'EPCI les moyens d'aller vite.
Par ailleurs, afin de favoriser la diversité de l'offre, il faut faire baisser le prix du foncier, y compris pour de grandes enseignes comme Monoprix. Il faudra ensuite doter chaque commune d'un manager de centre-ville. Le centre-ville du XXIe siècle doit accueillir des commerces, des services, des artisans, des équipements culturels et des espaces publics de qualité. La reconquête des centres-villes en dépend.
Le développement des circuits courts est un autre levier important. Dans ma commune, des moyennes et grandes surfaces s'en inquiètent.
S'agissant du Fisac, notre idée est de le refonder grâce au produit des taxes sur les zones agricoles et sur les Gafa. Sans moyens, nous ne pourrons rien faire.
La formation des commerçants est un point essentiel. On ne peut plus faire du commerce aujourd'hui si l'on ne sait pas accueillir des clients, aménager une vitrine et vendre ses produits, y compris par internet.
La hausse de la TVA est une bonne idée, Mme Estrosi Sassone, mais cette mesure relève de l'échelon européen.
Nous devons réagir à la mesure de la dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Je vous remercie pour la qualité de vos interventions.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Pour répondre à Élisabeth Lamure, la LME a sur-transposé des dispositions européennes sur la grande distribution. Non seulement les plateformes d'e-commerce ne sont pas assujetties à un certain nombre de taxes, mais récemment, l'implantation de la plateforme Amazon en région parisienne n'a pas même été soumise à la CDAC.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est normal !
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - C'est néanmoins un vrai sujet.
Les centres-villes de villes moyennes se dépeuplent. Même les commerçants qui travaillent en centre-ville habitent en périphérie. Le problème est donc plus largement un problème d'aménagement qui nécessite une simplification des normes - peut-être faudrait-il d'ailleurs étudier la question du remembrement urbain.
Les élus ont effectivement été aveuglés parce qu'ils espéraient des créations d'emplois et recherchaient des recettes nouvelles. Il faut stopper cette spirale infernale.
Nous n'avons pas évoqué les commerces de rond-point qui entraînent un mécanisme perdant-perdant : perdant pour les centres-villes, et perdant pour les centres-bourgs situés à quelques kilomètres car ceux qui travaillent en centre-ville ne font plus leurs courses dans le centre-bourg mais en périphérie de la ville.
S'agissant de la mobilisation des commerçants, nous avons prévu une aide à la formation et à l'animation. Il faut bien dire que certains sont commerçants comme je suis évêque !
Mme Sophie Primas, présidente. - Vous prêchez pourtant bien !
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Un manager pourrait fédérer les différentes unions commerciales, qui sont très morcelées, et animer le centre-ville.
L'aménagement, à travers la résorption des friches par exemple, permettra aussi de faire respirer les centres-villes et de résoudre les problèmes de stationnement. Peut-être un véritable plan Marshall des centres-villes sera-t-il nécessaire.
Je vous invite à amender ce texte et à l'enrichir de vos apports.
Mme Sophie Primas, présidente. - Tant que notre capacité d'amendement sera libre, nous en ferons usage ! Je vous remercie pour vos interventions qui montrent l'intérêt du Sénat pour nos territoires.
Questions diverses
La commission décide de confier à Mme Patricia Morhet-Richaud l'animation d'un groupe de travail sur la dimension économique du pastoralisme.
La réunion est close à 11 h 45.