- Mardi 17 avril 2018
- Mercredi 18 avril 2018
- Groupe de travail sur la sécurité routière - Examen du rapport d'information
- Proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte - Examen du rapport et du texte de la commission
- Nomination d'un rapporteur
Mardi 17 avril 2018
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 16 h 05.
« Plan national d'actions 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage » - Examen du rapport d'information
M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes réunis pour examiner le rapport d'information de M. Cyril Pellevat, Président du groupe d'études sur le développement économique de la montagne, relatif au « Plan national d'actions 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage »
Ce plan, publié par le Gouvernement le 19 février dernier, a suscité beaucoup de réactions négatives, de la part des éleveurs comme des associations de protection de l'environnement.
Des sénateurs appartenant à plusieurs commissions s'en sont fait l'écho. Afin d'associer l'ensemble des sénateurs, notre commission, compétente sur ce sujet, a demandé à Cyril Pellevat, de conduire un cycle d'auditions dans le cadre du groupe d'études « Montagne », qu'il préside, et auquel tous les sénateurs peuvent adhérer. C'est pourquoi notre réunion d'aujourd'hui est ouverte à l'ensemble des membres du groupe d'études, dont je salue la présence.
Nous entendrons dans une heure Monsieur Stéphane Bouillon, le préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes, coordonnateur du Plan loup.
Je laisse sans plus attendre la parole à notre collègue Cyril Pellevat, afin qu'il nous présente les conclusions de ses travaux.
M. Cyril Pellevat. - Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui les conclusions du cycle d'auditions qui s'est déroulé au cours des mois de février et mars au sein du groupe d'études « Développement économique de la montagne » dans le cadre de la mission que vous avez bien voulu me confier après la parution du « plan national 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage » le 19 février dernier.
Je me félicite que nous ayons pu, dans un délai court, entendre l'ensemble des parties prenantes sur le sujet, puisque nous avons procédé à plus de 10 auditions et 3 tables rondes. Nous avons également reçu près d'une vingtaine de contributions écrites.
La croissance du nombre de loups et de la prédation est un sujet épineux et d'ailleurs, les histoires populaires, les légendes et la littérature attestent que la cohabitation entre le loup et l'homme n'a jamais été aisée. Il n'y a pas de solution simple.
Le loup est une espèce protégée mais les règles fixées en droit international par la convention de Berne de 1979, en droit européen par la directive Habitat de 1992 et en droit interne par le code de l'environnement prévoient des dérogations permettant d'abattre des loups lorsque trois conditions sont réunies : il doit exister un risque sérieux pour les activités humaines et les troupeaux, l'abatage doit intervenir en dernier recours, après échec de mesures alternatives, et enfin, l'intervention sur les loups doit être proportionnée, c'est-à-dire ne pas menacer sa viabilité à long terme.
Il ressort clairement des auditions que nous avons menées que l'équilibre actuel entre la protection du loup et le maintien de l'agropastoralisme est défavorable aux éleveurs.
Les chiffres sont éloquents : plus de 11 000 victimes animales du loup en 2017, en augmentation de 60 % depuis 2013 et une dépense publique consacrée à la prédation du loup qui est passée de 4 millions d'euros en 2006 à 26 millions d'euros en 2017, sans compter les moyens humains et le temps consacrés à la gestion des dégâts causés par le loup. Nous assistons donc à la faillite du modèle de cohabitation entre le loup et l'élevage tel qu'il est pensé depuis 20 ans en France.
Depuis le début des années 1990, le nombre de loups a augmenté dans des proportions très importantes, entre 12 et 20 % par an, pour atteindre aujourd'hui une population de 500 spécimens sans doute, répartis dans 63 zones de présence permanente, dont 52 en meutes. Je dis « sans doute » car il est difficile d'avoir un comptage véritablement fiable. Nous savons simplement que le loup est officiellement présent dans 33 départements et 846 communes.
Dans ces conditions, le modèle pastoral fait face à un danger mortel alors même qu'il représente une tradition culturelle et sociale indispensable à la préservation de l'environnement, au développement économique et à la conservation de l'identité des villages. En 10 ans, l'emprise territoriale de l'agriculture a régressé de près de 4 % en montagne et le nombre d'exploitations agricoles a diminué de près de 23 %, passant de 100 000 à 80 000.
Or, la France est une grande puissance agricole mondiale et l'un des bastions de l'élevage en Europe. En montagne, l'élevage est la première activité pour près de 75 % des exploitants agricoles et sur les 44 AOC fromagères que compte la France aujourd'hui, 26 sont produites en zone de montagne.
La situation n'est donc plus tenable, ni pour les éleveurs, ni pour les populations et les touristes qui seront un jour menacés, ni pour les finances publiques. C'est un cercle vicieux de souffrances, de dépenses et d'incompréhensions.
À l'issue de ce cycle d'auditions, je souhaiterais partager avec vous trois constats, avant de présenter les propositions du rapport que je soumettrai à votre approbation.
Premier constat : si le plan loup comporte des avancées indéniables, il ne satisfait aucun des acteurs concernés, que ce soient les éleveurs ou les associations de protection de l'environnement. La volonté d'améliorer la connaissance scientifique sur les loups, le renforcement des mesures de protection et les récentes annonces du Président de la République sur la question des hybrides et de la pérennisation de la Brigade loup vont certes dans le bon sens. Mais d'importantes difficultés demeurent sur le plan technique, qu'il s'agisse du comptage des loups, de la connaissance de leurs comportements et de la capacité de défense des éleveurs.
Deuxième constat : l'argument du maintien de la biodiversité pour justifier la protection du loup est tout à fait paradoxal. Certes, en tant que grand prédateur, le loup a une place indispensable dans la chaîne alimentaire et contribue à la richesse faunistique de notre pays. Mais la contribution du pastoralisme à la biodiversité en France est tout aussi voire davantage précieuse. Alors que nous parlons de transition écologique, de respect de l'environnement, de meilleurs usages alimentaires, nous sommes précisément en présence d'une activité qui répond à ces objectifs. Les éleveurs sont davantage que des gardiens des montagnes et des plaines. En plus d'empêcher la spéculation foncière, ce sont les premiers écologistes ! Ils ne consomment pas ou peu de produits chimiques et l'élevage extensif assure à la fois la protection du sol, de l'eau, de la biodiversité et contribue à l'entretien des paysages. Il figure à ce titre parmi les bonnes pratiques pour la gestion des sites Natura 2000. Aussi, au regard de la relative passivité des pouvoirs publics face à la disparition progressive des oiseaux ou d'autres espèces animales comme les abeilles, l'attitude concernant le loup et le pastoralisme apparaît excessive et déséquilibrée.
Sur la question du bien-être animal, la position actuelle du Gouvernement me semble également tout à fait paradoxale : on s'inquiète du bien-être du loup mais pas de celui des brebis, des bovins, des chevaux et des chiens de protection attaqués ! Or le bien-être de ces animaux domestiques est essentiel pour la qualité de la production agricole. Le stress ressenti par les bêtes après les attaques conduit à des problèmes de fertilité, de malformation et à des comportements parfois agressifs s'agissant des chiens de protection.
Troisième constat : nous sommes en train de perdre la bataille de la communication. Il y a, sur la question du loup, une forme de pensée romantique, de pensée urbaine de la ruralité qui est sans rapport avec la réalité des enjeux dans les territoires. Nous devons faire valoir nos arguments dans l'espace public, sur le plan de l'aménagement du territoire, du développement durable de la montagne et notre conception de la biodiversité, qui ne se limite pas à un traitement comptable ou partiel du problème mais qui entend valoriser la tradition des territoires et la sécurité des populations.
J'en viens maintenant aux 15 propositions que nous avons élaborées en concertation avec les membres du groupe d'études.
Tout d'abord, il est urgent d'améliorer notre connaissance du loup et des lieux où il est présent en France. Nous ne pouvons faire l'économie de données fiables sur le nombre de spécimens et de meutes, les espaces où ils évoluent et leurs caractéristiques génétiques. Nous manquons de connaissances scientifiques sur le sujet.
Corolaire de cette proposition, il faut améliorer la transmission de l'information de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et des services de l'État aux élus locaux, qui doivent pouvoir disposer d'une information fiable pour gérer au mieux les situations sur le terrain, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il faut aussi construire une définition juridique robuste du loup pour ne pas surprotéger des espèces hybrides qui n'ont ni les caractéristiques ni le comportement des loups et menacent indûment populations et troupeaux.
Ensuite, nous devons faire en sorte de nous approcher au maximum d'une situation « 0 attaque » pour les éleveurs, en engageant une réflexion sur le cantonnement des loups dans certaines zones afin d'endiguer l'extension du front de colonisation. Un renforcement des pouvoirs des maires pour prévenir les atteintes à l'ordre public et à la sécurité des personnes serait, à cet égard, nécessaire. Les éleveurs doivent par ailleurs se voir reconnaître le droit à la légitime défense de leurs troupeaux, sans condition.
Point central de notre rapport, nous devons revaloriser le pastoralisme, dans sa dimension économique, environnementale et culturelle, afin de préserver les activités humaines face à la prédation. Après avoir adopté une politique ambitieuse en la matière depuis les années 1970, les pouvoirs publics doivent faire preuve de cohérence.
Plusieurs ajustements techniques sont également nécessaires. D'abord, il est nécessaire d'élaborer de nouveaux outils d'intervention sur la population des loups qui ne soient pas létaux, comme la capture-relâche pour réapprendre au loup la peur de l'homme, dans une forme de démarche pédagogique. Les scientifiques expliquent que le loup doit pouvoir partager auprès de la meute son expérience du contact avec les humains et il faut pour cela qu'il reste parfois en vie après une attaque.
Ensuite, il est indispensable de mesurer toutes les conséquences des mesures de protection actuellement mises en oeuvre.
L'accent doit, à cet égard, être mis sur l'accompagnement des éleveurs et la formation. La question des chiens de protection en particulier est urgente : nous assistons déjà à des attaques sur des promeneurs et cela ne peut pas durer.
De même, la viabilité économique des exploitations est menacée par le coût financier de la protection à mettre en place, parfois sans commune mesure avec les rendements. On touche aux limites d'une protection des troupeaux pensée sous un angle purement bureaucratique. La conditionnalité de l'indemnisation des éleveurs à la mise en place de mesures de protection, insérée dans le nouveau plan loup à la demande des associations de protection du loup, témoigne aussi d'une suspicion malsaine sur la volonté des éleveurs de protéger leurs troupeaux et d'un traitement trop abstrait du sujet. La protection des troupeaux ne saurait être l'alpha et l'oméga des politiques de soutien au pastoralisme. Le Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée nous rappelle à cet égard que 95 % des pertes se produisent sur des troupeaux protégés.
Il conviendrait également de refondre le dispositif d'indemnisation des éleveurs à un niveau législatif et de leur assurer une procédure contradictoire respectueuse de leurs droits en tant que victimes d'actes de prédation. Nous devons garantir la juste reconnaissance de leurs préjudices matériels et moraux.
Enfin, un changement de dimension dans l'approche du sujet est nécessaire.
D'une part, nous devons élargir la réflexion sur la conservation du loup à l'échelle européenne, plutôt que d'envisager la viabilité démographique et génétique du loup uniquement sur le territoire français, ce qui n'a pas beaucoup de sens. Si le ministère de la Transition écologique et solidaire nous a fait part de l'admiration de nos voisins européens quant au suivi que nous réalisons des loups en France, je doute qu'ils admirent le taux de prédation que nous subissons par ailleurs et les situations locales extrêmement tendues que nous connaissons ! Le loup français tue deux à trois fois plus de brebis que le loup italien ou suisse !
D'autre part, nous pourrions soutenir le Gouvernement dans une démarche visant à abaisser la protection dont bénéficie le loup à l'échelle européenne, compte tenu de sa situation favorable de conservation. Un déclassement du loup de l'annexe II vers l'annexe III de la convention de Berne et de l'annexe IV vers l'annexe V de la directive Habitat permettrait une gestion démographique plus souple et me semble plus que jamais nécessaire. L'Europe ne tient pas suffisamment compte des spécificités locales et en l'occurrence de la situation de prédation en France.
Avant de conclure, un point d'actualité me semble important : la septième session plénière de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) doit se tenir en France dans un an. Le ministre d'État Nicolas Hulot a annoncé son intention de placer, je cite, « l'érosion de la biodiversité au même rang d'importance que le réchauffement climatique ». Ce voeu restera pieux si l'érosion de l'emprise pastorale se poursuit et avec elle l'érosion de la biodiversité dans les territoires de montagne.
Nous devons bien choisir nos combats. Le loup n'est aujourd'hui plus une espèce menacée, c'est le pastoralisme qui l'est ! L'article 1er de la loi Montagne de 1985, dans sa rédaction résultant de la loi Montagne II de 2016, dispose désormais que « la République française reconnaît la montagne comme un ensemble de territoires dont le développement équitable et durable constitue un objectif d'intérêt national en raison de leur rôle économique, social, environnemental, paysager, sanitaire et culturel ». Nous devons donner corps à cette exigence.
Voici en substance, monsieur le président, mes chers collègues, les résultats de la mission que vous m'avez fait l'honneur de me confier.
J'espère vous avoir démontré la nature de l'urgence en matière de gestion des loups et la nécessité ainsi que la légitimité que nous avons à intervenir sur ce sujet pour rétablir un équilibre favorable aux activités humaines.
Les éleveurs et les territoires pastoraux ne peuvent attendre davantage.
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup Monsieur Pellevat pour avoir réussi à faire le point dans un temps extrêmement contraint sur ce dossier compliqué, avec des propositions pragmatiques et pertinentes.
M. Guillaume Gontard. - Merci pour le rapport et toutes ces explications. Nous avons en effet pu auditionner un éventail assez large de personnes, éleveurs, élus ou scientifiques, qui nous ont permis d'avoir une vision globale de la situation.
Une remarque suite à ce que nous ont dit beaucoup d'éleveurs : attention à ne pas faire croire que nous allons arriver à une situation sans loup. Les loups sont présents, la convention de Berne est là, et nous en avons pour un moment. On ne peut pas faire croire aux éleveurs que l'on va pouvoir régler le problème du jour au lendemain.
Il faut notamment faire attention au message que l'on peut donner sur les moyens de protection. Quel que soit le mode de protection, que ce soit le tir de protection, les chiens ou les clôtures, il faudra le mettre en oeuvre et travailler à aider et accompagner les éleveurs à leur mise en place.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Nous avons en effet mené de nombreuses auditions et reçu différentes contributions. Nous attendons encore les dernières, dont il faudra s'inspirer pour finaliser le rapport.
Il y a un grand malaise chez les éleveurs dans tous nos territoires, et une légitimité à s'interroger sur l'avenir de ces territoires. C'est une question très importante : quelle est la vision pour ces territoires ruraux de montagnes dans lesquels le loup est présent ?
Au niveau européen, il faut également pouvoir en discuter et s'interroger ensemble afin d'avoir une vision commune sur la convention de Berne ainsi que sur la directive Habitat.
M. Cyril Pellevat. - Monsieur Gontard, au cours de nos auditions, aucun éleveur ni élu n'a remis en question la présence du loup. S'est fortement exprimée en revanche la volonté de protéger les élevages de façon pérenne. Le rapport essaie de reprendre cette idée : les préconisations visent un objectif qui n'est pas « zéro loup » mais « zéro attaque ». Certains pays ont été pris en exemple par des associations de protection de l'environnement, notamment l'Italie et l'Espagne, puisqu'on compte dans ces pays deux à trois fois moins d'attaques sur les brebis en proportion de la population de loups.
Mme Morhet-Richaud, en effet nous attendons encore deux contributions : des offices du tourisme et du Défenseur des droits. Comme cela a été rappelé, les auditions se sont déroulées dans un cadre très contraint, en un mois, et toutes les personnes sollicitées n'ont pas pu se libérer.
Les élus locaux et les éleveurs sur le territoire expriment beaucoup de détresse, et j'espère que nous arriverons à mettre en oeuvre des mesures qui répondent à leurs préoccupations.
Au niveau européen, une rencontre est prévue le 14 mai avec Michel Dantin pour travailler sur le loup.
Mme Marta de Cidrac. - Vous avez évoqué dans le cadre du rapport, des attaques d'élevages, mais aussi de promeneurs, liées à une certaine prolifération des loups et des chiens de protection. Vous disiez notamment que les loups français étaient beaucoup plus prédateurs que ne le seraient les loups voisins. Y a-t-il des explications à ce phénomène ? Ce sujet rentre-t-il dans le cadre des propositions formulées ?
M. Olivier Jacquin. - Le plan loup n'a pas retenu la proposition de piégeage non-mutilant avec relâche du loup. Cette solution permettrait pourtant d'étudier les capacités d'effarouchement et de mieux connaître l'espèce.
Mme Angèle Préville. - Je reviens sur le constat que le loup français tue deux fois plus que le loup italien. Cela a-t-il été étudié en détail ? Les propositions qui ont été faites s'inspirent-elles de ce qui a été fait en Italie ?
Mme Michèle Vullien. - J'étais ce week-end à Courzieu, où se situe un parc avec des loups. Je suis étonnée d'apprendre que des loups attaqueraient des humains car les loups n'attaquent pas les humains.
J'ai également eu l'impression que vous avez davantage auditionné des acteurs du pastoralisme. Mais la connaissance ou la méconnaissance du loup, de ses moeurs, de son comportement et tout le fantasme qui entoure les loups restent importants.
Si les loups français sont plus prédateurs c'est sans doute dû à la façon dont on fait le décompte des brebis mortes, tuées par des loups, des chiens ou autre. Il paraît difficilement compréhensible que, sous prétexte qu'ils sont de l'autre côté de la frontière, les loups français soient plus costauds que les loups italiens.
M. Cyril Pellevat. - Je tiens à préciser qu'il n'y a aujourd'hui pas d'attaque de loup sur l'humain, il s'agit des chiens de défense. Les chiens attaquent les humains parce qu'il y a une certaine forme d'agressivité. Un vétérinaire comportementaliste que nous avons auditionné nous a indiqué qu'une meilleure éducation et un meilleur dressage de ces chiens étaient nécessaires pour éviter les attaques.
S'agissant des parcs voisins : nous manquons de données scientifiques. Dans les autres pays, il n'y a pas de politique de tir létal, comme nous le faisons en France. Est-ce que le fait de tirer désorganise les meutes et augmente le nombre d'attaques ? Aujourd'hui on ne le sait pas.
Le piégeage fait en effet partie de nos préconisations. Cela se fait déjà aux États-Unis, ce qui permet de regarder comment le loup évolue et de prévenir certaines attaques. Nous y sommes bien sûr très favorables. Cela permet également d'habituer le loup au fait que l'homme puisse être son prédateur, et cela peut avoir un effet de transmission d'information à la meute.
À propos des parcs dans lesquels des loups sont élevés, nous manquons de données. Il faudrait donc voir comment les autres pays procèdent. Certains appuient leur campagne de tourisme sur le loup. Mais je n'ai pour l'instant pas plus d'éléments.
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup, je vais vous demander l'autorisation de publier ce rapport et je pense qu'il n'y a pas d'objection.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 16h30.
La réunion est ouverte à 17 h 00.
Audition de M. Stéphane Bouillon, préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonnateur du plan national d'actions 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage
M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir M. Stéphane Bouillon, préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, en sa qualité de préfet coordonnateur du plan national d'actions 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage.
Ce « plan loup », dévoilé le 19 février dernier, a suscité de nombreuses réactions plutôt négatives, de la part aussi bien des éleveurs que des associations de protection de l'environnement. Aussi avons-nous chargé Cyril Pellevat, président du groupe d'études sur le développement économique de la montagne, d'une réflexion sur le sujet. Au terme de ses auditions, il a élaboré des recommandations dont il nous a fait part il y a quelques instants.
L'augmentation de la prédation en France est un sujet épineux. Les loups ont fait plus de 11 000 victimes animales l'année dernière, soit 60 % de plus qu'en 2013, et le coût de l'indemnisation des victimes est passé de 4 à 26 millions d'euros entre 2006 et 2017. Ces évolutions résultent de la hausse très importante du nombre de spécimens : entre 12 et 20 % par an depuis le début des années 1990. Aujourd'hui, on en compte environ 500, sur 63 zones de présence permanente.
Monsieur le préfet, nous nous félicitons que vous puissiez nous présenter le plan du Gouvernement. Peut-être pourrez-vous aussi nous éclairer sur les nouvelles annonces qui, à ce que nous avons cru comprendre, pourraient être faites.
M. Stéphane Bouillon, préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonnateur du plan national d'actions 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage. - La mise en oeuvre du « plan loup », assez compliquée, est un travail d'équipe impliquant l'ensemble des services de l'État. C'est pourquoi je suis accompagné de M. Michel Sinoir, directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, et de M. Denis Félix, représentant de la DREAL.
Dans le cadre d'un plan national d'actions désormais beaucoup plus déconcentré, les préfets de département travaillent directement avec les acteurs de terrain. Leurs missions sont définies par deux arrêtés du 19 février dernier.
Ils octroient les dérogations aux interdictions de destruction de loups - dans le cadre de la directive « habitats » et de la convention de Berne sur les espèces protégées, la règle est l'interdiction de tuer -, désignent les bénéficiaires des autorisations de tir et assurent le suivi des dommages.
Ils déterminent également, au cas par cas, si un troupeau est protégeable ou s'il l'est difficilement, selon une procédure nouvelle qui prend en compte la notion de front de colonisation. Quand un troupeau est reconnu non protégeable - pour protéger ceux des Causses aveyronnais, le préfet a calculé qu'il faudrait 3 400 kilomètres de clôture et 2 200 chiens... -, l'autorisation de tir est possible sans condition de protection, ce qui est une nouveauté.
Le soutien aux éleveurs et au développement du pastoralisme, grâce au Feader et aux concours du conseil régional, est aussi un enjeu très important.
La mission du préfet coordonnateur se fonde sur une lettre du 22 août 2014 cosignée par Mme Royal et M. Le Foll, dans l'attente d'un décret en préparation, mais le renforcement de son rôle est d'ores et déjà inscrit dans le plan national d'actions.
Je suis chargé de coordonner et d'harmoniser l'action de mes collègues, y compris en matière de zonage, pour assurer l'adéquation entre la pression de prédation et les actions engagées. En outre, à partir du 1er septembre prochain, je pourrai sélectionner, en fonction de l'évolution des prédations, les territoires sur lesquels les tirs de prélèvement pourront être autorisés par les préfets de département. Dans ce cadre, je serai amené à arbitrer entre les demandes des départements, comme je le fais déjà, sur proposition de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS, et de la DREAL, pour les tirs de défense simple et renforcée. Cette mission de coordination est une autre nouveauté par rapport au système antérieur.
Je peux aussi interdire à mes collègues d'accorder des autorisations de tir, compte tenu du quota de loups à abattre que je dois faire durer tout au long de l'année. Actuellement de quarante, ce quota, qui pourra être dépassé de 12 % à partir de 2019 et qui ne s'applique pas aux tirs de défense simple, correspondra à 10 % du nombre de loups recensés par l'ONCFS. Je dois le gérer en bon père de famille, et faire en sorte qu'il y ait le moins de loups tués, mais surtout le moins de brebis égorgées. En fonction de la pression de prédation, je définis donc les territoires prioritaires.
Enfin, je communique sur les bilans globalisés et propose aux ministres les adaptations et expérimentations qui pourraient leur paraître utiles.
Grâce au nouveau système plus déconcentré, nous pouvons agir sans devoir toujours attendre un arbitrage ministériel ou interministériel et nous pouvons dialoguer plus directement avec les acteurs locaux. Nous disposons aussi d'une souplesse accrue pour autoriser et organiser les tirs, ainsi que pour définir les zonages. Cette organisation permet d'assurer un meilleur équilibre entre préservation de la biodiversité et protection des éleveurs confrontés aux attaques.
Par ailleurs, c'est désormais le préfet coordonnateur qui préside le Groupe national loup. À ce titre, je suis chargé de faire le lien entre les défenseurs du loup et ceux du pastoralisme. Les réunions, vous l'imaginez, sont assez animées... En tout cas, cette instance, à laquelle le Parlement participe, est essentielle pour permettre des échanges sur la mise en oeuvre de la règlementation.
Le loup a fait 12 000 victimes l'année dernière, soit deux fois plus qu'en 2013 - encore ce chiffre n'intègre-t-il pas les avortements et baisses de productivité consécutives aux attaques, qui ont parfois ruiné les éleveurs. Mon objectif est d'infléchir la courbe des pertes : je veux qu'il y ait moins de 12 000 brebis tuées en 2018. Je ne puis pas vous donner de chiffre plus précis, parce qu'il y a des choses qui ne dépendent pas de mon autorité, mais la consigne que je donne aux 33 préfets de département que je coordonne est bien d'oeuvrer en ce sens.
Pour cela, il faut que nous concentrions les tirs de défense simple et renforcée et les tirs de prélèvement là où les pertes sont les plus nombreuses. Or 60 % des attaques ont lieu sur 15 % des territoires, et 3 % des éleveurs subissent 30 % des attaques. Focaliser notre action sur ces territoires permettra de réduire la pression de prédation et d'éviter que le système pastoraliste ne soit en difficulté sur tel ou tel territoire.
C'est dans cet esprit que j'ai envoyé la brigade de l'ONCFS dans le Var et les Alpes-Maritimes et que je l'enverrai bientôt en Savoie, sur la base des indications reçues des DDT, des organisations professionnelles agricoles et des éleveurs que je rencontre sur le terrain.
Si cette brigade, qui compte treize personnes, ne peut évidemment pas passer partout, il y a dans tous les départements des lieutenants de louveterie, auxquels le plan national d'actions donne un rôle important au côté des bergers et de l'ONCFS. J'ai demandé à mes collègues de les mobiliser et, le cas échéant, de renouveler les équipes qui ne paraîtraient pas suffisamment dynamiques.
S'agissant des chiens patous, qui confondent parfois les randonneurs avec des prédateurs du troupeau, le plan national d'actions prévoit plusieurs mesures, que j'ai complétées.
D'abord, le plan prévoit la formation des bergers à l'élevage des patous, pour que ces chiens soient mieux dressés. On regarde aussi si d'autres chiens ne sont pas capables de protéger les troupeaux.
Ensuite, il faut améliorer l'information des randonneurs : les panneaux actuels sont sympathiques, mais j'ai souhaité y ajouter une signalétique officielle, outre celle des parcs, pour rappeler qu'il s'agit de recommandations de sécurité.
Enfin, puisque des plaintes ont été déposées, j'ai écrit aux procureurs généraux de tous les territoires concernés pour leur expliquer la réglementation et les conditions dans lesquelles nous sommes amenés à travailler.
J'en viens aux fronts de colonisation : l'Aveyron, la Lozère, le Tarn - 1 million d'ovins, soit plus que dans le massif des Alpes et à peu près autant qu'autour du Berry, et l'enjeu économique majeur du roquefort. Je travaille en étroite liaison avec les préfets concernés pour définir les cercles 1 et 2, qui ouvrent droit au financement des mesures de protection, et les zones difficiles à protéger, où il sera possible de tirer sans condition de protection. En matière de prévention, nous mettons en place des aides à la révision des modèles pastoraux pour que les troupeaux soient moins vulnérables.
En ce début d'année, nos trois maîtres mots sont : vigilance, mobilisation et dialogue. Pour la vigilance, la brigade loup est envoyée sur le terrain très régulièrement. La mobilisation de tous mes collègues et de tous les chefs de service de l'État est assurée par des consignes précises visant une mise en oeuvre efficace du plan. Dialogue, enfin, parce que j'ai reçu plusieurs délégations d'organisations professionnelles agricoles, à Lyon, à Paris et lors des voeux du Président de la République à Cournon-d'Auvergne. Je vais également à la rencontre des éleveurs dans les départements les plus concernés : les Alpes-Maritimes, la Savoie et, bientôt, l'Aveyron et le Var. Chaque fois que j'irai dans un département de ma région, c'est avec plaisir que je rencontrerai des acteurs de terrain, si vous m'y invitez.
Le sujet est extrêmement sensible, les positions, difficilement conciliables. Quand je suis en réunion ou sur le terrain, j'entends bien la colère des uns et celle des autres. À nous d'essayer de trouver un équilibre entre la biodiversité et le pastoralisme, qui est essentiel à notre agriculture, à la vie rurale et à l'économie de nos montagnes. À Cournon-d'Auvergne, le Président de la République a dit : il faut remettre le pastoralisme au milieu de la montagne. C'est au loup de s'y adapter, et pas l'inverse...
Tel est le travail que nous menons au quotidien, en utilisant les outils qui nous sont donnés et en essayant de les améliorer. Mon rôle sera aussi de proposer des changements au Gouvernement. Les actions de formation et d'information ne sont pas les moins importantes, car il y a de nombreux a priori, qu'il s'agisse de la peur absolue du loup ou de la volonté absolue de voir le loup reprendre toute sa place.
M. Hervé Maurey, président. - Vous n'avez pas parlé des hybrides. Sont-ils exclus du plafond de prélèvements ? Seront-ils inclus dans le nouveau dispositif d'indemnisation, qui devrait concerner les loups, les ours et les lynx ?
M. Stéphane Bouillon. - Un hybride n'est pas un canis lupus au sens de la Convention de Berne : l'animal mort n'est donc pas compté. Seulement, l'identification pose parfois problème. Il y a en effet des divergences entre le laboratoire de l'ONCFS et un laboratoire allemand. Nous leur avons demandé de se rencontrer pour discuter et échanger leurs échantillons. De même, quand un chien aura été identifié, les personnes qui le souhaitent pourront faire un prélèvement concurrent à celui de l'ONCFS, pour permettre une discussion.
S'agissant de l'indemnisation, elle est prévue quand l'ovin a été dévoré par un animal que l'on suppose être un loup ou dont il a été établi que c'est un loup. La règle est suffisamment souple pour nous permettre d'indemniser les pertes directes et indirectes, ainsi que les pertes dans le temps, c'est-à-dire les avortements consécutifs à des attaques. Le montant de l'indemnisation sera revu cette année, en liaison avec l'Union européenne.
M. Cyril Pellevat, président du groupe d'études sur le développement économique de la montagne. - Monsieur le préfet, vous serez le bienvenu en Haute-Savoie, où une quarantaine d'attaques sur des chamois ont été recensées depuis le début de l'année dans le massif des Aravis...
À la suite des auditions que j'ai menées, je souhaite vous poser plusieurs questions.
Pour quelles raisons les éleveurs ne peuvent-ils pas se voir consacrer un droit inconditionnel de légitime défense en cas d'attaque de loup ?
Pourquoi avoir conditionné l'indemnisation des éleveurs à la mise en place de mesures de protection ? Vous évoquez les lignes directrices agricoles de la Commission européenne et la distorsion de concurrence qui serait induite par l'indemnisation. N'est-ce pas plutôt une forme de concession faite aux associations de protection de l'environnement ? Nous connaissons les difficultés liées aux mesures de protection, et cette décision paraît brutale. Une entrée en vigueur progressive ou graduée est-elle prévue ? Serait-il possible de revenir sur cette mesure, qui fait peser un soupçon excessif sur les éleveurs ?
S'agissant des zones de protection renforcée, un dispositif introduit par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt et qui reprend partiellement une initiative sénatoriale de 2013, pourriez-vous nous en préciser la fréquence d'utilisation et en évaluer l'efficacité ?
Par ailleurs, quelle est la situation des loups d'élevage ? Comment sont-ils encadrés et pourquoi ne pas les compter dans le nombre total de loups ?
Que prévoyez-vous pour réapprendre au loup la peur de l'homme ?
Enfin, comptez-vous développer des méthodes alternatives aux tirs de prélèvement ?
M. Stéphane Bouillon. - Le droit de défense inconditionnelle a été réintroduit, puisque le tir de défense simple est autorisé tout au long de l'année, même en cas de dépassement du quota. Cette évolution par rapport au régime antérieur est bonne, et nous la défendrons fortement.
En ce qui concerne les indemnisations, elles sont considérées, du point de vue de l'Union européenne, comme des aides. C'est injuste, mais c'est ainsi. De ce fait, elles doivent avoir été méritées par des efforts de l'éleveur. En revanche, l'entrée en vigueur progressive et non systématique de ce dispositif est permise. Sur le terrain, nous ferons donc en sorte que la conditionnalité soit progressive. Du reste, c'est dans cet esprit que la notion de zone protégeable ou difficilement protégeable a été introduite, pour que nous puissions tenir compte de l'impossibilité, dans certaines circonstances, de prendre des mesures de protection.
Pour ce qui est du bilan des zones de protection renforcée, vous me prenez au dépourvu.
Les 596 loups des 59 élevages ne sont pas considérés, du point de vue de la Convention de Berne et des directives européennes comme des loups contribuant au rétablissement de la biodiversité. Nous mettons en place un contrôle de ces élevages pour vérifier le nombre d'animaux, leur état, la présence éventuelle d'hybrides et pour nous assurer qu'ils ne risquent pas de s'échapper.
Réapprendre au loup à avoir peur de l'homme : c'est le principe des mesures d'effarouchement, désormais autorisées sans préalable. Qu'il s'agisse de techniques sonores, olfactives ou même, hors les parcs naturels, de tirs non létaux, il faut que l'animal craigne davantage l'homme. Des études d'éthologie sont aussi menées, en liaison avec le Muséum national d'histoire naturelle, pour améliorer nos connaissances sur le comportement du loup.
S'agissant, enfin, de la capture et du piégeage, une expérience a été menée aux États-Unis qui a coûté extrêmement cher - il fallait utiliser un hélicoptère. Nous ne nous sommes pas lancés dans un tel dispositif. Par ailleurs, que ferait-on des loups capturés ? Si j'en parle à des élus des Vosges, où pourtant il y aurait abondance de gibier pour des loups, cela risque de poser quelques difficultés...
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Monsieur le préfet, même si vous n'y êtes certainement pour rien, je regrette que, lors de votre venue dans les Alpes-Maritimes, les parlementaires n'aient pas été associés à la réunion qui s'est tenue à la préfecture.
Nous avons reçu l'assurance que la brigade loup serait pérennisée, ce qui était une attente forte. Seulement, le dispositif contractuel sur lequel elle reposait, celui des emplois d'avenir, n'existe plus. Sous quelle forme les futurs membres de la brigade seront-ils employés ? Les membres employés en contrats d'avenir, qui ont été formés, connaissent le territoire et ont tissé des liens de confiance avec les éleveurs et les élus, pourront-ils être maintenus, s'ils le souhaitent ?
D'autre part, quel est le budget global du plan national d'actions ?
De longue date, l'un des départements les plus touchés par les attaques de loups, les Alpes-Maritimes ont été choisies comme département test pour la mise en oeuvre d'une étude visant à comprendre les déplacements de meutes. Quand ce dispositif sera-t-il mis en oeuvre ?
S'agissant enfin des constats simplifiés d'attaque - des constats déclaratifs rédigés par les éleveurs eux-mêmes -, seront-ils mis en place à l'échelle de tout le département, et dans quel délai ? Avez-vous sollicité l'avis des élus des villages concernés et des représentants des éleveurs ?
M. Patrick Chaize. - Quelle part les hybrides représentent-ils dans le nombre total de loups ? Dans quelle mesure le comptage actuel est-il fiable ?
M. Olivier Jacquin. - Vous avez évoqué une expérience dans laquelle le piégeage s'est révélé complexe et coûteux, et les expériences menées dans le Mercantour n'ont pas non plus été très heureuses. Ne serait-il pas envisageable d'expérimenter des techniques de piégeage accessibles, sous la responsabilité de piégeurs agréés ? Par la pose de puces GPS et le prélèvement d'ADN, cela permettrait de mieux connaître le loup. En outre, la mauvaise expérience pourrait avoir un effet dissuasif sur l'animal.
Le contexte lorrain de plaines et de parcs clôturés pourrait être propice, d'autant qu'il est situé sur la zone de colonisation actuelle du loup. L'idée intéresse une association de la région, « Encore éleveurs demain ».
D'autre part, je me révolte devant le manque de discipline du loup, qui ne respecte pas les limites départementales, notamment en Lorraine... Les comités loup ne pourraient-ils pas se réunir par zone d'attaque plutôt que par zone administrative ?
M. Jean-Marc Boyer. - Vous devez faire durer sur l'année le quota de tir de 40 loups. Mais le nombre de loups déterminé, qui fixe ce quota, pose unanimement problème. Les éleveurs, les agriculteurs et les élus ne demandent pas une éradication totale du loup mais une régulation de son nombre. De quelles marges de manoeuvre disposeront les préfets départementaux par rapport au nombre de tirs autorisés ?
Nous avons rencontré des éleveurs et des élus en grande souffrance. Le représentant du ministre de l'agriculture nous a confié, de manière surprenante, que selon lui, un des trois acteurs du pastoralisme - éleveurs avec leurs brebis, touristes et loups - est de trop. Il n'a pas dit clairement de qui il s'agissait, mais nous avons tous compris... C'est assez symptomatique du malaise qu'il peut y avoir, même au sein du ministère de l'agriculture. Si l'on veut aller vers « zéro attaque », il faut que le loup ait de nouveau peur de l'homme ; mais le loup est un animal très intelligent qui s'adapte très rapidement. Si l'on effraie les loups, est-ce qu'il ne sera pas plus agressif qu'il ne l'est actuellement - il n'attaque pas l'homme ?
Selon vous, 60 % des attaques ont lieu sur 15 % du territoire ; mais certains territoires n'ont pour l'instant pas beaucoup de loups, comme le département du Puy-de-Dôme. Le préfet a mis en place une cellule de veille, mais il faut anticiper pour ne pas laisser le loup proliférer et occuper le territoire - même s'il n'y en a que deux ou trois pour l'instant.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je ne suis pas un spécialiste du loup, mais un chasseur. Je ne vous ai pas entendu parler des fédérations de chasseurs. Êtes-vous en relation avec elles ? Elles peuvent vous apporter leur concours, notamment dans le choix des loups à tirer ou les lieux qui y sont propices, surtout si les loups se concentrent sur 15 % du territoire.
L'ONCFS dispose d'environ 1 150 gardes-chasse. Certains sont-ils déplacés des zones tranquilles vers les territoires plus risqués ?
M. Guillaume Gontard. - Le chiffre de 500 loups cristallise les crispations, de toutes parts, et suscite l'incompréhension. Même l'ONCFS est incapable de faire un comptage aussi précis, à 100 loups près - ni aucun autre pays. Par contre, il peut compter le nombre de meutes et l'évolution de la population de loups. Le plan loup peut-il évoluer pour éviter de mentionner ce chiffre qui, chaque année, va être sujet à débats ?
Il est difficile de réguler le nombre de loups lorsqu'une meute est déjà installée. Faut-il laisser s'avancer le front de la colonisation avec des loups isolés, ou essaie-t-on de contraindre cette progression ?
Nous manquons de données scientifiques. Les mesures sont souvent prises par tâtonnement. Quelles mesures scientifiques sont déjà présentes dans le plan loup ? Sont-elles déjà en cours d'exécution ? Je suis favorable aux tests pour agir sur des zones précises durant deux ou trois ans, et plusieurs parcs régionaux sont volontaires pour collaborer avec l'État Comment envisagez-vous ces zones-tests ? Comment le plan loup va-t-il être réellement financé ?
M. Henri Cabanel. - Ce n'est pas la présence du loup mais le nombre de loup qui est remis en question, en raison de l'augmentation des attaques depuis quelques années. Je suis très cartésien. Selon vous, le nombre d'attaques a doublé entre 2013 et 2017, or il y avait environ 300 loups en 2013, et de 400 à 500 en 2017. Soit les loups attaquent plus souvent, soit leur nombre estimé n'est pas exact, si l'on raisonne à due proportion...
Vous avez évoqué le sud de l'Aveyron, qui touche le nord de l'Hérault. Selon une étude de l'Institut national de recherche agronomique (Inra) et de Montpellier SupAgro, en collaboration avec le Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (Cerpam), la limite entre le nombre de loups et d'attaques et la viabilité des exploitations d'élevage a été atteinte.
M. Stéphane Bouillon. - Je regrette effectivement de ne pas avoir revu Mme Estrosi-Sassone à cette occasion. Je reviendrai avec plaisir rencontrer les éleveurs du Mercantour. Je souhaite y installer une brigade de bergers pour les aider, puisque les tirs de loups y sont interdits. Nous devons y réaliser un travail complémentaire, que j'ai évoqué avec le directeur du parc.
En 2017, année très importante, le budget global s'est élevé à 26,5 millions d'euros pour les mesures de prévention et de protection, et 3,5 millions d'euros pour l'indemnisation. Le nombre d'attaques, de victimes et d'investissements ont augmenté. De nombreuses zones classées en cercle 1 peuvent bénéficier de la prise en charge de mesures de précaution, et notamment du gardiennage par des chasseurs ou des louvetiers.
La moitié des fonds proviennent du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Cette année, nous avons prévu ce même niveau de budget et les mêmes mesures, y compris la prise en charge du dossier concernant la brigade sur laquelle je ne peux vous répondre aujourd'hui : le ministre l'évoquera demain... Nous avons eu de nombreuses réunions interministérielles, et avons beaucoup plaidé en ce sens. Lorsque j'ai rencontré le président de la Fédération ovine des Alpes-Maritimes, j'ai constaté la qualité des relations humaines et professionnelles entre les uns et les autres. J'espère avoir été entendu pour que cette qualité survive...
M. Hervé Maurey, président. - Le ministre fera-t-il des annonces demain ?
M. Stéphane Bouillon. - Il rencontrera des élus de l'Association des maires ruraux de France.
M. Hervé Maurey, président. - Cela pourrait-il donner lieu à une communication ?
M. Stéphane Bouillon. - C'est au ministre qu'il appartient de le dire...
En liaison avec les organisations professionnelles agricoles, et à condition que l'éleveur soit d'accord, et qu'il ait moins de cinq victimes, une procédure déclarative, simplifiée, est possible.
L'ONCFS a publié des chiffres sur les hybrides reposant sur 228 échantillons, qui ont été envoyés en 2017 au laboratoire Antagène ; 130 échantillons étaient soit des hybrides, soit des loups. Après analyse, 120 échantillons étaient des loups, tous de lignée génétique italienne, deux sont des hybrides de première génération, et huit correspondent à une hybridation plus ancienne ; 92,5 % de ces 130 individus sont donc des loups. Seul 1,5 % de la première génération fait l'objet d'évolutions. Les études du laboratoire ForGen, réalisées à la demande d'un collectif de particuliers, donnent un nombre d'hybrides nettement plus important ; mais l'ONCFS conteste la méthode retenue, les étapes de prélèvements, la manipulation des échantillons, les marqueurs recherchés... Les uns et les autres devraient se rencontrer, afin de déterminer une méthode commune admise par tous. Une mission, lancée par les deux ministères de l'agriculture et de la transition écologique et solidaire, permettra d'aboutir à une analyse commune.
Je suis disposé à expérimenter les piégeages, même si nous n'en avons pas encore débattu. Nous devrons nous assurer qu'ils ne contreviennent pas à la Convention de Berne et à la directive habitats. Une fois piégés, il faut trouver l'endroit où les loups seront remis en liberté - il n'est pas question de les tuer. Je suis prêt à évoquer ce sujet lors du prochain Groupe national Loup.
Il faut avoir des comités interdépartementaux qui regroupent telle ou telle zone. La semaine prochaine, je réunis les préfètes de la Lozère et de l'Aveyron avec les organisations professionnelles agricoles des deux départements pour travailler sur les fronts de colonisation. Nous devrons peut-être organiser une action cohérente et homogène entre les zones de prédation et les fronts de colonisation, puisque les deux sites sont très différents.
En principe, le front de colonisation n'a que peu de loups - sinon ce serait déjà une zone de prédation. Il faut aider les éleveurs à tenir ce front, à travers des tirs de défense simple ou renforcée. S'ils ne suffisent pas, nous devons tout faire pour que le front de colonisation ne devienne pas une colonisation. Nous travaillerons toute l'année en ce sens. En cas de risque de colonisation, c'est-à-dire de plusieurs attaques avec des pertes importantes sur le front de colonisation, je demanderai à l'automne des tirs de prélèvement pour maîtriser la situation.
Je suis impardonnable de ne pas avoir mentionné les fédérations de chasseurs, qui participent à toutes les opérations et ont un rôle extrêmement important aux côtés de l'ONCFS. Plus de 10 000 chasseurs ont été formés pour les tirs de défense simple et renforcée et pour les tirs de prélèvement. Les éleveurs peuvent déléguer leur autorisation de tir à des chasseurs, lorsqu'ils n'ont pas le permis de chasse ou faute de temps.
Nous pourrions travailler avec les fédérations de chasse pour le comptage des 500 loups. C'est extrêmement compliqué. Nous avons un thermomètre, la méthode CMR (capture-marquage-recapture), reconnu par l'Europe, qui figure dans un arrêté-cadre, et qui mesure à partir des faits, comme le nombre de poils retrouvés... Je ne suis pas sûr qu'il mesure la réalité de la fièvre, mais il est validé par Bruxelles. Nous avons fixé le chiffre de 500 loups en France parce que les loups ne respectent ni les frontières départementales, ni nationales. Nous sommes sur un espace alpin global avec l'Italie et la Suisse. Pour que le loup en tant qu'espèce endémique puisse survivre, il faut 2 500 spécimens regroupés sur un territoire donné. S'il y en a environ 2000 en Italie et en Suisse, nous en avons besoin de 500 en France pour arriver aux 2 500, ce qui nous fera respecter la Convention de Berne. Ce chiffre de 500 a été retenu par le Muséum d'histoire naturelle, à partir des analyses scientifiques. J'attends avec intérêt le prochain comptage à la fin de ce mois, non pas tant pour savoir si l'on en a 380, 440 ou 520 que pour connaître la marge de manoeuvre autorisée pour les tirs. Selon les scientifiques, environ 22 % des loups meurent de mort naturelle ou accidentelle. En-dessous de 66 % de préservation, l'espèce disparaît. Nous disposons d'un pourcentage de 10 à 12 % de tirs complémentaires pour que l'espèce survive au-delà de ces tirs de chasse et des accidents naturels ou des maladies. On peut toujours contester ces chiffres, mais ce sont ceux sur lesquels je dois rendre des comptes et faire travailler mes services. S'il y en a d'autres et que les connaissances sont améliorées, je les prendrai.
Vous avez évoqué des études sur le comportement des loups et leur mode de vie et d'habitat. Le PNA prévoit des expérimentations et des recherches pour étudier le mode de vie du loup, son comportement lorsqu'il a été chassé, son impact sur la faune et quelles seraient les solutions pour que son impact sur la faune soit moins prégnant et moins difficile à supporter. Des analyses scientifiques seront menées, de même que des études des conseils généraux de l'agriculture et de l'environnement, pour que nous puissions résoudre le problème.
Il y aurait un acteur de trop entre le loup, les éleveurs et les touristes ? Non, ma tâche est que les trois acteurs puissent coexister. La montagne doit continuer à être pâturée, cela fait partie de l'écosystème et de la biodiversité en montagne. Les loups doivent y être - ils y étaient par le passé - et le touriste doit pouvoir se promener au milieu de paysages préservés, sans se faire attaquer par qui que ce soit. C'est une gageure mais je ne pense pas qu'effaroucher le loup puisse le rendre plus agressif vis-à-vis de l'homme. Il a pu l'être à une certaine époque, aujourd'hui il fonctionne différemment. Des scientifiques ont examiné comment le loup fonctionne dans des villages - on en a vu à Villard-de-Lans - et nous allons lancer d'autres études.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Quand interviendra la mise en oeuvre du test dans les Alpes-Maritimes ?
M. Stéphane Bouillon. - Dès cette année.
M. Guillaume Gontard. - Le travail sur les zones test avec les parcs régionaux est-il en cours de discussion ?
M. Stéphane Bouillon. - Le travail avec les parcs naturels régionaux est en cours d'élaboration. J'ai rencontré le président et le directeur général du parc du Mercantour ainsi que la directrice générale du parc de la Vanoise. Nous souhaitons notamment développer le système de brigades de bergers. Nous devons définir leur fonctionnement et leur mode de recrutement. Comme on ne peut pas tirer sur les loups, cette expérimentation serait très utile.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie de vos propos, et notamment de ceux prononcés il y a quelques instants : le pastoralisme contribue à la biodiversité. On oppose trop souvent élevage et environnement. Il est bon de rappeler que le système pastoral contribue au maintien de la biodiversité.
La réunion est close à 18h5.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible
Mercredi 18 avril 2018
- Présidence de MM. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Philippe Bas, président de la commission des lois -
La réunion est ouverte à 08 h 40.
Groupe de travail sur la sécurité routière - Examen du rapport d'information
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Mes chers collègues, la commission des lois et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sont réunies pour examiner le rapport d'information du groupe du travail sur la sécurité routière.
Le Gouvernement a présenté le 9 janvier dernier un plan de lutte contre l'insécurité routière, dont la mesure phare est l'abaissement de 90 à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur les routes à double sens sans séparateur central, à partir du 1er juillet prochain.
Dès l'annonce de ce plan, Philippe Bas et moi-même avons demandé au Premier ministre les résultats de l'expérimentation menée entre 2015 et 2017. Nous avons reçu - au bout d'un certain temps... - une réponse ne comportant aucun élément sur l'effet de cette mesure sur l'accidentalité.
Nos deux commissions ont auditionné le délégué interministériel à la sécurité routière, M. Emmanuel Barbe, dont les explications ne nous ont pas franchement convaincus de la nécessité d'une mesure générale ne tenant pas compte de la qualité des routes. Dans ce contexte, nous avons chargé un groupe de travail composé de Michel Raison, Jean-Luc Fichet et Michèle Vullien d'évaluer l'utilité et l'efficacité du plan gouvernemental, en particulier de la réduction de vitesse à 80 kilomètres par heure.
Il est regrettable qu'aucune mesure de ce plan ne concerne la qualité des infrastructures car, comme la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable l'a déjà souligné, notre réseau routier, national comme départemental, se dégrade du fait des baisses de crédits.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Je me félicite que nos deux commissions aient mis en place ce groupe de travail, dont je suis impatient de connaître les conclusions.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - Malgré les politiques mises en oeuvre au cours des dernières décennies, la route demeure la première cause de mort violente en France. Chaque année, environ 3 500 personnes meurent dans un accident de voiture, et 75 000 sont blessées, dont 28 000 grièvement. En 2016, la route a fait environ 10 morts et 79 blessés graves par jour.
Les facteurs accidentogènes sont multiples : pour 2016, on cite à titre de cause principale des accidents mortels la vitesse excessive ou inadaptée dans 31 % des cas, l'alcool dans 19 %, les stupéfiants dans 9 %. Par ailleurs, l'inattention du conducteur, liée notamment à l'usage du téléphone au volant, a été à l'origine d'un accident mortel sur dix.
Ce constat préoccupant appelle une politique publique forte de lutte contre l'insécurité routière.
Des étapes importantes ont été franchies par le passé, avec des résultats probants. La fixation de vitesses maximales autorisées, le port obligatoire de la ceinture et du casque, l'introduction du permis à points et, plus récemment, le renforcement des contrôles de la vitesse avec le déploiement des radars automatiques sont autant de mesures qui ont permis de mieux sécuriser nos routes. Entre 1970 et 2010, le nombre de morts a ainsi baissé de manière importante, passant de plus de 17 000 personnes tuées chaque année à moins de 4 000.
Toutefois, il semblerait que nous ayons aujourd'hui atteint un palier : malgré de nouvelles mesures, les chiffres de l'insécurité routière ont cessé de diminuer depuis 2013 et, même, certaines années, ils ont légèrement augmenté.
Pour répondre à cette inversion de tendance, le Premier ministre, Édouard Philippe, a dévoilé le 9 janvier dernier un nouveau plan de lutte contre l'insécurité routière, destiné à donner une nouvelle impulsion à la politique dans ce domaine et à refaire baisser la mortalité routière, pour atteindre moins de 2 000 morts sur les routes d'ici à 2020.
Ce plan, présenté à nos deux commissions par le délégué interministériel à la sécurité routière, Emmanuel Barbe, comprend des mesures diverses visant aussi bien au renforcement de la prévention qu'au durcissement de la réglementation et des sanctions.
L'une d'elles a focalisé le débat public : l'abaissement de 90 à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur les routes à double sens sans séparateur central. Cette réduction, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet prochain, concernerait une part importante du réseau routier secondaire, c'est-à-dire des routes départementales et nationales. Une clause de rendez-vous est prévue dans deux ans pour en évaluer l'efficacité. Selon le Gouvernement, 300 à 400 vies par an pourraient être épargnées.
Cette mesure, sans nul doute la plus forte du plan, est aussi celle qui a fait naître le plus de critiques. Son utilité et sa proportionnalité ont suscité et suscitent encore de nombreuses interrogations et incompréhensions, d'autant plus vives que le Gouvernement n'a pas procédé à une concertation préalable suffisante ni fourni d'éléments de nature à étayer sa décision. Selon une étude récente de l'assureur Axa Prévention, 76 % des Français y seraient opposés.
Or nous savons que l'efficacité d'une mesure repose en partie sur sa compréhension et son acceptabilité par la population, spécialement dans un domaine, la sécurité routière, où les comportements individuels jouent un rôle majeur.
C'est dans ce contexte que nos deux commissions ont décidé la création d'un groupe de travail pluraliste, dont nous vous présentons ce matin les conclusions.
Nous avons travaillé dans des délais contraints, afin de rendre nos conclusions avant la publication du décret de mise en oeuvre de la mesure de réduction de vitesse. L'essentiel de nos travaux a consisté à évaluer, sans a priori, l'utilité et l'efficacité de cette mesure, la plus contestée et la première à devoir entrer en vigueur.
Au cours des deux derniers mois, nous avons organisé une série d'auditions avec l'ensemble des parties prenantes : principaux acteurs de la sécurité routière, représentants d'élus locaux, usagers de la route, entre autres. Au total, 47 personnes ont été entendues, à l'occasion de 17 tables rondes et auditions.
Parallèlement, nous avons ouvert sur le site du Sénat un espace participatif, afin d'associer à la réflexion l'ensemble de la société civile. Le succès de cette plateforme est sans précédent, puisque, en quelques semaines, plus de 23 000 contributions de citoyens y ont été collectées. Dans l'ensemble, elles témoignent d'un rejet assez large de la mesure au sein de la société civile. S'il est difficile de généraliser ces conclusions - les personnes qui ont répondu étaient en majorité opposées à la mesure -, nous pouvons, en tout état de cause, y voir le signe d'une très forte mobilisation.
Avant que mes collègues rapporteurs ne vous présentent nos résultats et propositions, je tiens à préciser qu'un consensus s'est très naturellement dégagé entre nous : si réduire la mortalité sur les routes doit être une priorité, il est de notre devoir de parlementaires de nous assurer que les mesures prises sont pertinentes et proportionnées à l'objectif visé.
M. Michel Raison, rapporteur. - Nous avons essayé de comprendre ce qui a pu motiver la décision du Gouvernement.
Voilà longtemps que les experts recommandent de baisser la vitesse à 80 kilomètres par heure ; Gilles de Robien, le ministre des transports qui a mis en oeuvre le plan Chirac, lui-même très hostile à la mesure, nous l'a bien expliqué.
En 2013, le Gouvernement s'est donné pour objectif de réduire le nombre de morts à 2 000 en 2020. Le comité des experts du Conseil national de la sécurité routière a alors planché et ressorti les vieilles études, y compris celles qui étaient un peu poussiéreuses. Ils ont envisagé deux hypothèses : réduire la vitesse à 80 kilomètres par heure sur une partie du réseau routier secondaire seulement ou sur l'ensemble des 400 000 kilomètres de ce réseau. Ils ont finalement proposé la seconde option, mais le ministre de l'intérieur de l'époque a retenu une expérimentation. C'est là que l'effervescence a commencé.
Ces experts se sont fondés sur un certain nombre de travaux dont il ressort que plus la vitesse est élevée, plus les accidents sont nombreux et graves... C'est une lapalissade : à 0 kilomètre par heure, il n'y aurait probablement plus de morts ! Il s'agit de savoir où l'on place le curseur pour que la limitation soit acceptée ; pour une mesure comme pour un médicament, il y a toute une dimension de psychologie.
Le ministre de l'intérieur qui a décidé l'expérimentation sur 86 kilomètres de routes avait expliqué qu'un dispositif d'évaluation permettrait de suivre l'évolution du comportement des automobilistes et de mesurer les effets de la réduction de vitesse. Cette expérimentation, promettait-il, serait « transparente, honnête, rigoureuse » : « c'est sur cette base que nous pourrons prendre, là où cela sera nécessaire, les décisions qui pourront s'imposer à tous, parce qu'elles seront comprises par tous et parce qu'elles résulteront de données tangibles et non de spéculations ou de pétitions de principe »...
Seulement voilà : quand nous avons commencé à nous inquiéter de ne pas voir les résultats de ces études et que, brutalement, le Premier ministre a mis en avant cette mesure parmi toutes celles du plan - ce qui a engendré le conflit -, nous nous sommes demandé sur quoi il avait pu se fonder. Des questions ont été posées au Gouvernement, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Les réponses, infantilisantes, un peu violentes même, ont consisté à nous traiter d'inconscients par rapport à la sécurité routière. Les parlementaires, qui tous veulent qu'il y ait le moins de morts possible, en ont conçu un certain agacement. Sans compter que, lorsque nous avons essayé d'accéder aux études, on n'a pas voulu nous les communiquer.
Une de nos premières découvertes, assez étonnante, est que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, le Cerema, n'avait pas mesuré l'accidentalité, mais seulement la vitesse. Quand on abaisse la limite et qu'on installe des radars, assez logiquement, la vitesse diminue... Au moins avons-nous appris de combien elle avait diminué : 4,7 kilomètres par heure. Peut-être cela leur permet-il de calculer le surplus des PV, puisqu'on sait qu'on dépasse plus la vitesse sur les tronçons à 80 kilomètres par heure que sur ceux à 90 kilomètres par heure...
En ce qui concerne l'accidentalité, nous avons tout de même fini par obtenir quelques données : M. Barbe nous a apporté, au mois de mars, un petit document de trois pages ou quatre. Mais nous n'avons guère approfondi, le Premier ministre nous ayant répondu que l'expérimentation était trop brève et les tronçons trop courts pour qu'on puisse se fonder sur ces résultats.
On n'en tire pas moins argument de ce que la mortalité a baissé. Elle a baissé, certes, de façon insignifiante - il est vrai que, sur un aussi faible kilométrage, l'analyse est difficile. Seulement, nous nous sommes aperçus que, sur la même période, elle avait moins baissé sur les routes soumises à l'expérimentation que sur les autres !
Ainsi donc, les autorités nous mentent, tout en prétendant être doublement honnêtes : les statistiques sont bonnes, disent-elles, mais nous ne nous en servons même pas, parce que la période de deux ans est trop courte...
L'expérimentation, dont les justifications étaient déjà factices, s'est donc avérée inconclusive et opaque.
À cela s'est ajouté un problème de forme. J'ai bien expliqué au Premier ministre qu'il ne s'agissait pas de l'offenser, et que sur un sujet aussi grave on ne faisait pas de politique politicienne. Je l'ai cependant senti très buté. Au demeurant, quand cinquante d'entre nous lui ont envoyé un courrier, il y a répondu avec une certaine langue de bois et en faisant sentir que nous ne l'intéressions pas beaucoup. Notre groupe de travail lui a à son tour écrit : il a répondu au bout d'un mois et complètement à côté de la question.
On nous explique que deux ans d'expérimentation n'ont pas de valeur statistique, ce qui est vrai - la sécurité routière, c'est un peu plus compliqué que le cours du blé. Mais pourquoi alors le Président de la République dit-il que, dans deux ans, on reviendra peut-être sur la mesure ? On se moque de nous !
Ce qui a aussi contribué à notre énervement, c'est qu'on ne propose rien de neuf en matière de prévention, ni moyens nouveaux pour ceux qui s'occupent de prévention.
La première mesure à prendre aurait été d'allouer une partie de l'argent des PV à la prévention. Au lieu de ça, on affecte le surplus des PV - parce qu'ils savent qu'il y en aura un - aux hôpitaux. Le financement des hôpitaux relève de l'État, des assurances, mais pas de la sécurité routière ! Mieux vaut essayer d'agir en amont des accidents, au niveau de la prévention. Sans compter qu'organiser une conférence de presse au milieu des fauteuils roulants n'est pas très correct - cela aussi m'a un peu énervé.
Telles sont, mes chers collègues, nos tentatives pour comprendre les raisons qui ont motivé la décision du Gouvernement. Je laisse à Michèle Vullien le soin de vous exposer nos conclusions.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - Il me revient de vous présenter nos principales préconisations. Le Président de la République et le Premier ministre ont fait des annonces qui paraissaient clore le débat, mais, pour nous, le débat n'est pas clos.
La mesure d'abaissement de la vitesse a été annoncée brutalement et sans concertation avec les acteurs concernés, au premier rang desquels les départements et les usagers. Elle doit s'appliquer sans discernement à la majorité des routes nationales et départementales, alors qu'il avait été prévu, comme notre collègue Michel Raison l'a souligné, qu'elle serait mise en oeuvre là où cela serait nécessaire.
Cette mesure est vécue comme fortement pénalisante par un grand nombre de nos concitoyens, en particulier dans les territoires enclavés, où la route est le seul mode de déplacement possible. Elle est perçue comme d'autant plus injuste que les services de l'État ont parfois refusé d'aménager les routes nationales pour les transformer en routes à deux fois deux voies. Il faut dire que, lorsque certaines routes nationales ont été transférées aux départements, l'État ne les entretenait qu'a minima depuis un certain temps.
Cette mesure pose ainsi un véritable problème d'acceptabilité, d'autant qu'elle a été isolée parmi les 18 mesures envisagées, ce qui a cristallisé les exaspérations. Chacun a pu mesurer dans son département les crispations. Mon territoire n'est certes pas de ceux où les réactions sont les plus vigoureuses, et d'ailleurs souvent mes collègues rapporteurs m'ont dit : tu raisonnes comme une métropolitaine... Mais non, j'ai conscience des problèmes qui se posent sur tous les territoires, y compris ceux où il n'y a pas d'alternative à la route !
Au cours de nos auditions, le manque de concertation a été particulièrement souligné.
C'est pourquoi notre groupe de travail, au sein duquel nous avons travaillé en harmonie, a recherché une solution permettant à la fois de prendre en compte les enjeux de sécurité routière - tous, nous voulons qu'il y ait moins de morts et de blessés - et d'assurer la proportionnalité du dispositif.
Nous proposons que la réduction de la vitesse maximale autorisée soit décidée de façon décentralisée, au niveau des départements, et ciblée sur les routes accidentogènes. Il s'agit d'adapter la réduction de vitesse aux réalités des territoires, plutôt que de l'appliquer de manière indifférenciée. La France n'est pas uniforme !
Du reste, la décentralisation de la décision est déjà la règle pour la détermination des vitesses maximales autorisées : les présidents de département et les maires - ou, à Lyon, le président de la métropole - sont compétents pour réduire les vitesses limites sur les routes dont ils ont la gestion. Cette faculté est fréquemment utilisée, comme en témoigne la mise en place de zones de rencontre et de « zones 30 » dans de nombreuses agglomérations. La méthode a fait ses preuves, et on ne voit pas pourquoi l'État prendrait d'un seul coup la main en la matière.
Nous proposons donc que soient organisées dans chaque département, de juin à décembre 2018, des conférences départementales de la sécurité routière, sous l'égide du président du conseil départemental, ou du président de la métropole, et du préfet. Ces conférences auraient pour mission d'identifier les routes ou tronçons de route les plus accidentogènes, pour lesquels une réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure permettrait de réduire les accidents de manière certaine.
Ces conférences devraient associer l'ensemble des acteurs concernés, en particulier les représentants des services de l'État et des départements en charge de la gestion des routes, les associations d'usagers de la route, les associations de lutte contre la violence routière et les représentants des chambres consulaires locales.
Le travail d'identification des routes accidentogènes pourrait s'inspirer de la démarche entreprise par le département de la Haute-Saône, qui a déjà procédé à la détermination des routes départementales dont les caractéristiques pourraient justifier une réduction de vitesse, sur la base de sept paramètres techniques incluant notamment la largeur de la chaussée, la présence de zones de récupération et d'obstacles latéraux, la visibilité aux carrefours et dans les virages et la nature du trafic.
Une fois les routes concernées identifiées, la liste définitive en serait arrêtée en décembre 2018, pour une entrée en vigueur de la réduction de vitesse au 1er janvier 2019, soit six mois seulement après l'entrée en vigueur prévue par le Gouvernement. Six mois seulement, mais six mois qui changent tout, puisqu'ils permettront une véritable concertation locale. Pour une décision de cette importance, un report de six mois ne paraît pas déraisonnable...
Nous proposons enfin qu'un bilan de l'efficacité de la mesure soit dressé au bout de deux ans, en vue d'un éventuel ajustement. C'est d'ailleurs ce que le Président de la République a annoncé.
Lors de nos auditions, de nombreux acteurs nous ont alertés sur le risque que la politique de sécurité routière soit perçue sous un angle punitif, alors qu'elle devrait être conçue de façon à associer le plus grand nombre d'acteurs. Tel est le sens de notre proposition, qui est équilibrée.
En même temps que la baisse de la vitesse maximale, à laquelle nous ne sommes donc pas défavorables, il conviendrait de mettre en place des mesures contre l'usage du téléphone portable au volant - car ceux qui écrivent des textos en conduisant sont des malfaisants - et contre la consommation d'alcool et de drogues par les automobilistes. Plutôt que de pointer la seule vitesse, il faut agir sur tous les facteurs d'accidents !
Enfin, en matière de prévention, il nous paraît essentiel d'agir dès l'école primaire, pour que les enfants prennent conscience des dangers de la route.
Mme Catherine Troendlé. - Je félicite nos rapporteurs pour le travail approfondi qu'ils ont accompli, en dépit des messages reçus du Gouvernement, qui valaient presque fin de non-recevoir à leurs demandes.
J'avais travaillé sur une proposition de loi de Jean-Pierre Leleux visant à intégrer dans la formation au permis de conduire les cinq gestes qui sauvent. Ce qu'on a fait se réduit à quelques diapositives sur les numéros d'appel ou la sécurisation du lieu. Il faut aller plus loin.
Des accidents se produiront toujours - je ne suis pas fataliste, c'est simplement la réalité. Plutôt que de réduire la vitesse, travaillons à la prévention, qui est indispensable. Certains gestes élémentaires, comme le massage cardiaque, devraient être connus de tous.
M. Alain Fouché. - Je salue le travail très intéressant accompli par nos trois rapporteurs.
Avec plusieurs collègues, j'avais rédigé un amendement visant à faciliter la récupération de points, parce que j'estime que, dans tout cela, il y a une part de « racket » financier de la part de l'État.
Les expérimentations ne sont pas significatives, et beaucoup d'accidents ne sont pas dus à la vitesse. Une limitation à 80 kilomètres par heure serait dangereuse, car il serait difficile de doubler. Aux États-Unis, beaucoup d'accidents se produisent sur les grandes routes où la vitesse est très limitée, notamment parce que les conducteurs s'endorment.
L'État encourage la construction de voitures électriques, qui lui fera perdre des ressources énormes. Il a donc intérêt à faire entrer des recettes... Il faudrait au moins exiger qu'elles soient affectées à la sécurité routière !
Des radars ambulants sont confiés à des entreprises privées, ce qui est scandaleux. L'État rackette !
L'abaissement de la vitesse maximale aura pour effet de désertifier les campagnes au plan économique et industriel, puisque les entreprises iront s'installer le long des grands axes.
Continuons à nous battre contre cette décision sans fondement, d'autant que l'opinion est avec nous ! La solution proposée par nos rapporteurs me paraît tout à fait intelligente, mais, les routes étant départementales, c'est le président du département, et non le préfet, qui devrait présider la conférence départementale de la sécurité routière.
Mme Josiane Costes. - Je souscris pleinement aux propositions du groupe de travail, étant l'élue d'un département, le Cantal, dont toutes les routes seront concernées par la mesure. Nous n'avons en effet aucune route à 4 voies, en plus de subir une dégradation des conditions de circulation en train : pour rejoindre Paris, on met plus de temps qu'en 1900... Nous qui sommes déjà enclavés, on nous enclave encore davantage !
Il est très important que les décisions soient prises localement, par les présidents de conseil départemental et les préfets.
La prévention routière aussi est très importante : elle devrait figurer de manière obligatoire dans les programmes scolaires, dès la maternelle.
M. Gérard Cornu. - Je félicite à mon tour nos trois rapporteurs : des conclusions de bon sens, cela fait du bien...
La vitesse n'est pas le seul facteur d'accidents. A-t-on des statistiques sur l'accidentologie lorsque les 90 kilomètres par heure sont respectés ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Cette question est extrêmement pertinente : ce qui tue, en général, c'est l'excès de vitesse par rapport à la vitesse autorisée, plutôt que le fait que cette vitesse autorisée soit trop élevée.
M. Michel Raison, rapporteur. - Il est très difficile de définir les causes d'un accident, mais une vitesse excessive ou inappropriée en fait presque toujours partie. Si tout le monde respectait le code de la route, il n'y aurait plus beaucoup d'accidents...
Les experts qui prêchent depuis trente ans le 80 kilomètres par heure expliquent que moins la vitesse est élevée, moins le choc est violent et plus on peut l'éviter. Mais, si je considère les cinq ou six morts dans mon département depuis le début de l'année, la vitesse excessive ou inappropriée était chaque fois en cause.
Par ailleurs, les gendarmes sont beaucoup moins nombreux au bord des routes. Je ne reproche rien à personne - il y a eu des baisses d'effectifs, et les forces sont mobilisées ailleurs -, mais, quand on voit un képi, on lève généralement le pied !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - Beaucoup d'accidents résultent d'un léger dépassement de vitesse causé par un autre comportement, comme l'usage d'un téléphone portable ou la somnolence. La vitesse en tant que telle n'est pas la cause essentielle des accidents.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - Les accidents sont toujours multifactoriels : ils résultent d'une conjugaison de causes et de distracteurs, comme disent les experts.
M. Michel Raison, rapporteur. - On nous dit que 55 % des morts se produisent sur les 400 000 kilomètres du réseau secondaire, mais seulement 51 % de ces morts surviennent dans des véhicules légers. Sur une moto, même si la vitesse est un peu réduite, on est à mon avis tout aussi vulnérable. Les poids lourds, de leur côté, auront ni plus ni moins d'accidents. Épargner 400 morts sur 51 % des 55 % morts, ce ne sera pas si simple...
M. Yves Détraigne. - Les propositions des rapporteurs sont de bon sens. Or il faut garder le bon sens sur cette question qui devient très vite passionnelle.
Voilà quelques années, j'ai déposé une proposition de loi, très commentée par la presse, sur la question du permis de conduire à vie. On passe son permis à 18 ans, et à 88 ans on conduit toujours sans le moindre contrôle ! Moi qui roule 35 000 kilomètres par an, je peux vous assurer qu'on a parfois des sueurs froides avec l'aïeul au volant de sa 2 CV...
Cette question est marginale dans les statistiques, mais nous ne la réglons pas en France, alors que, dans un certain nombre d'autres pays de l'Union européenne, un stage de remise à niveau est prévu au bout d'un certain temps.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je suis tout à fait d'accord. J'avais d'ailleurs cosigné la proposition de loi de M. Détraigne...
Mme Angèle Préville. - Je souscris tout à fait aux préconisations du groupe de travail.
Si la vitesse n'est pas la cause des accidents, elle en est un facteur aggravant. L'énergie acquise par les véhicules est proportionnelle au carré de la vitesse...
Un travail de prévention est mené dans les collèges. Dans les collèges où j'ai travaillé, tous les élèves étaient formés aux premiers secours.
Mme Catherine Troendlé. - En moyenne, seuls 34 % le sont.
Mme Angèle Préville. - Comme professeur de physique-chimie, je faisais en classe de troisième une leçon intitulée « Énergie cinétique et sécurité routière ». Quand je faisais calculer à mes élèves des distances d'arrêt, souvent ils trouvaient les résultats incroyables... Preuve qu'il y a du travail à faire !
Je me souviens d'une association qui était venue au collège de Martel avec un simulateur. Cette expérience, plus concrète, avait beaucoup intéressé et, je pense, marqué les élèves. Malheureusement, les associations manquent de subventions...
M. André Reichardt. - Vous êtes-vous intéressés à la part des poids lourds dans l'accidentologie ? Nous savons tous que, excédés par la lenteur de certains poids lourds, des automobilistes prennent des risques de dépassement : avez-vous réfléchi à une différenciation de la vitesse entre poids lourds et véhicules légers ?
M. Michel Raison, rapporteur. - Les transporteurs routiers, qui sont aujourd'hui à 80 kilomètres par heure, sont très silencieux. C'est parce qu'ils craignent qu'on les passe à 70 kilomètres par heure...
Le délégué interministériel prétend que, si tout le monde roule à la même vitesse, le trafic sera plus fluide. Seulement, il y a un certain pourcentage d'automobilistes qui roulent un peu en dessous de la limite : quand, derrière une voiture roulant à 78 kilomètres par heure, il y aura un camion à 85 kilomètres par heure, je vous laisse imaginer les dangers...
Cela est vrai surtout dans les départements où il n'y a pas d'autoroutes. Les camions posent un vrai problème.
M. Christophe Priou. - Et parfois les engins agricoles...
M. Michel Raison, rapporteur. - Nous avons parlé de distracteurs, pas de dix tracteurs !
M. Jean-François Longeot. - Je vous félicite de vous être saisis de ce dossier et de l'avoir traité avec le pragmatisme qu'il impose. En particulier, votre focus au niveau départemental est très bienvenu. Avez-vous recueilli des statistiques sur l'accidentologie entre le vendredi à 18 heures et le lundi à 6 heures ? Le représentant qui parcourt 25 000 ou 30 000 kilomètres par an n'est pas celui qui cause le plus d'accidents. En revanche, le danger qui le menace est de devenir représentant à pied, à cheval ou à vélo, s'il n'a plus de points sur son permis.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - Les questions de sécurité routière nécessitent un travail de dentelle, sur le comportement des automobilistes, l'état des véhicules... Depuis les années 1970, où le nombre de morts sur la route chaque année atteignait 17 000, tous les Gouvernements se sont préoccupés de la sécurité routière, et l'objectif actuel est de faire passer ce chiffre sous 2000 à l'horizon 2020. Pour être efficace, il faut éviter de multiplier les dispositions, ce qui affaiblirait le dispositif global. En ce qui concerne les poids lourds, il faut s'interroger sur le coût d'accès aux voies rapides et aux autoroutes, qui fait que certains transporteurs continuent d'emprunter les routes départementales pour faire des économies, ce qui est plus dangereux - même remarque pour les jeunes conducteurs.
M. Michel Raison, rapporteur. - Les chiffres sont disponibles, mais nous ne les avons pas fait figurer dans le rapport, car nous n'imaginons pas de mesures spécifiques le samedi ou le week-end, si ce n'est l'accroissement du nombre de contrôles routiers. En moyenne, il y a 9,5 morts par jour. Ce chiffre s'accroît le vendredi, et passe à 11,1 le samedi, et 9,9 le dimanche.
M. Olivier Jacquin. - Je souscris à votre proposition pragmatique d'adapter la mesure au niveau local. Mme Tocqueville a récemment présenté un rapport sur la pollution de l'air, et sur le contentieux européen qui menace la France. Quel sera l'impact de la limitation à 80 kilomètres par heure ? Le responsable de la sécurité routière n'avait pas répondu à mes questions sur la perte d'attention liée à l'utilisation du téléphone, même avec les dispositifs autorisés. Il n'y a pas d'étude, en France, sur cette question, qui doit pourtant être sérieusement approfondie.
M. Jean-Marc Boyer. - Cette décision vient d'une proposition technocratique formulée par le centre d'études et de formation à la sécurité routière qui, sans concertation, est devenue une proposition politique. Le Premier Ministre s'étant engagé, il est difficile de revenir en arrière. J'espère que le travail du Sénat sera pris en compte. S'il devait être balayé d'un revers de la main, ce serait faire peu de cas de l'apport parlementaire. Les auditions ont montré qu'il y a très peu de partisans de cette diminution de la vitesse maximale autorisée. Et la population est exaspérée par cette mesure, comme en témoignent des manifestations considérables qui, curieusement, ne sont pas couvertes par les médias. Vos propositions sont raisonnables, équilibrées et intelligentes. Il serait bon que le Gouvernement en tienne compte.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Nous partageons ce souhait.
Mme Nelly Tocqueville. - Je souscris à vos analyses et à vos propositions. Je suis surprise de ne pas voir apparaître, dans le discours du Premier Ministre, l'une des raisons pour lesquelles cette décision a été prise. Dans mon récent rapport sur la lutte contre la pollution de l'air, j'ai rappelé que la France était mauvaise élève en termes de pollution atmosphérique, et qu'elle a transmis son plan d'amélioration de la qualité de l'air à la Commission européenne parce qu'elle n'a pas le choix. Elle doit diminuer les émissions polluantes des véhicules, et en particulier les PM10. Parmi les propositions transmises par la France figure l'abaissement de la vitesse maximale de circulation sur les routes secondaires. Cet engagement a été pris. Pourquoi ne pas le dire ? Avez-vous évoqué cet aspect avec les services de l'État ? Comment percevez-vous cet engagement ?
Mme Françoise Gatel. - Vous auriez pu avoir une position caricaturale, puisque le sujet avait été abordé de manière excessive, mais votre travail est très constructif et complet, puisque vous faites une analyse exhaustive des causes d'accident. Comme beaucoup de nos concitoyens, je suis agacée par la focalisation sur la vitesse comme cause d'accident. Cela affaiblit la sensibilité aux causes de la vitesse que sont l'alcool et la drogue. Nous serons attentifs à l'écho de votre rapport, qui se soucie d'efficacité plus que d'avoir l'éclat d'une annonce. Il ne suffit pas d'avoir une bonne idée, il faut associer les acteurs et les responsables, et en particulier les départements, avec lesquels il aurait fallu dialoguer. Sans cela, on est dans la pensée courte : une annonce forte, et de l'impuissance.
M. Olivier Léonhardt. - Je suis un mauvais garçon : je suis venu en moto. Cela m'a fait gagner une bonne heure... En région parisienne, on a récemment autorisé les deux-roues à passer entre les deux files de voitures les plus à gauche. Cela donne des résultats positifs, alors qu'au départ cette mesure était très contestée : ceci montre qu'on s'appuie souvent sur des idées préconçues. Chacun s'accorde à dire que la question centrale est l'attention du conducteur. Alcool, drogue, téléphone au volant sont les principales causes d'accident. Il faut être pragmatique, et les motards le savent : sur certaines routes, il serait bon de baisser la limitation à 60, ou même 50 kilomètres par heure ; sur d'autres, une vitesse un peu supérieure à l'actuelle pourrait être autorisée. En somme, il faudrait des mesures non pas technocratiques, mais modulées en fonction du terrain. Sur certaines voies, il faut réduire la vitesse maximale autorisée. C'est en expliquant cela que nous serons entendus.
M. Éric Gold. - Certaines difficultés sont liées au paramétrage ou à la mise à jour de certains GPS. On trouve des poids lourds, souvent étrangers, sur certaines routes départementales qui n'y sont pas adaptées, dans des zones où il existe des autoroutes ou des voies plus adaptées. C'est aussi une cause d'accidents.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - Oui, c'est un problème. Maire, je l'avais constaté, mais avais aussi vu qu'il est très difficile de faire changer les paramétrages, même avec l'aide de la préfecture. Il faut souvent payer pour l'obtenir. Nous avons survolé le sujet de la qualité de l'air, alors qu'il pourrait aider à faire accepter la mesure. Il est vrai que la qualité de l'air est moins immédiatement perceptible que les nuisances sonores... Merci d'avoir approuvé nos conclusions. Nous avons travaillé sans a priori. J'ai découvert au fil des auditions que nombre de collègues avaient déjà perdu des points !
M. Michel Raison, rapporteur. - Une étude américaine démontre que, même en Bluetooth ou en Air Link, on n'est plus tout à fait concentré sur la conduite. Écouter la radio est une chose, avoir une conversation intéressante au téléphone en est une autre. Quant à la frustration éprouvée au vu du sort de certains rapports sénatoriaux, elle ne doit pas nous empêcher de continuer à avancer : nous ne sommes pas là pour rester sans rien dire ! Et le travail finit toujours par payer.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - En matière d'environnement, ce sont souvent nos enfants qui nous font progresser. Il peut en aller de même pour la sécurité routière : aussi devons-nous mettre l'accent sur la formation et la pédagogie.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Vous n'avez pas répondu sur la qualité de l'air.
Mme Michèle Vullien, rapporteure. - Nous n'avons pas eu le temps d'approfondir ce sujet, il aurait été intéressant de l'intégrer dans notre rapport.
La commission des lois et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable autorisent la publication du rapport.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Vous m'avez convaincu que la seule position responsable n'est pas celle du Gouvernement.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Nous demanderons audience au Premier ministre, et demanderons l'inscription d'un débat en séance publique sur ce rapport, ce qui obligera le Gouvernement à prendre position.
La réunion est close à 9 h 55.
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Hervé Maurey, président. - Nous examinons à présent la proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Cartron visant à instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte, qui sera examinée dans l'espace réservé du groupe socialiste et républicain le mercredi 16 mai.
Ce texte reprend à l'identique un article de la proposition de loi de notre collègue Michel Vaspart, que le Sénat a adoptée en janvier dernier, et que nous avons peu d'espoir de voir inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. J'ai écrit à ce sujet au Président du Sénat pour attirer son attention sur l'absence de prise en considération par le Gouvernement des initiatives sénatoriales.
L'initiative de nos collègues du groupe socialise repose sur la volonté de faire avancer rapidement la législation sur le cas particulier de l'immeuble du Signal, en renonçant à légiférer de manière globale sur la prise en compte du recul du trait de côte, comme le faisait le texte de notre collègue Vaspart, dans l'espoir que cette proposition de loi soit plus rapidement inscrite à l'Assemblée nationale.
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure. - J'ai l'honneur d'avoir été désignée par notre commission pour rapporter cette proposition de loi qui a été déposée le 16 février dernier au Sénat par notre collègue Françoise Cartron et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ce texte doit sembler familier à certains d'entre vous, puisque son article unique figurait déjà dans la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, déposée à l'Assemblée nationale en juillet 2016 et adoptée par le Sénat en première lecture en janvier 2017. Ce texte n'avait pas pu aboutir en deuxième lecture compte tenu de la suspension des travaux parlementaires.
Les mêmes dispositions figuraient dans la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux, déposée en septembre 2017 au Sénat par Michel Vaspart, Bruno Retailleau, Philippe Bas et de nombreux collègues des groupes Les Républicains et Union Centriste et adoptée en séance en janvier dernier.
Dans le cadre de l'ancienne mission interministérielle pour l'aménagement de la côte aquitaine (MIACA), active des années 1960 à la fin des années 1980, un grand ensemble de constructions était prévu à Soulac-sur-Mer en Gironde sur 19 hectares de terrain : environ 1 200 logements devaient être construits le long du front de mer, ainsi qu'un boulevard de deux fois trois voies, une thalassothérapie et un hôtel de luxe. Ce projet n'a jamais vu le jour et l'aménageur retenu par les pouvoirs publics a déposé le bilan. Seul le Signal, immeuble de 78 logements, a été construit in fine.
À l'époque, en 1967, il se situait à plus de 200 mètres du rivage et les habitants qui sont présents depuis l'origine rapportent même que l'on peinait à voir l'océan. Aujourd'hui, le Signal est à moins de 10 mètres de l'océan et menace de tomber. Les propriétaires, expulsés depuis 2014, demandent à être indemnisés pour leur bien.
La nécessité d'apporter une réponse à cette situation est partagée par l'ensemble des parties prenantes du sujet, mais la formalisation de la solution tarde à arriver.
La proposition de loi que nous examinons vise à rendre éligibles les propriétaires de l'immeuble du Signal à une indemnisation par le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), c'est-à-dire le fonds Barnier, créé en 1995. Je suis tout à fait favorable à cette proposition.
Le dossier du Signal est très spécifique, car il présente un double caractère ubuesque et kafkaïen. Ubuesque d'abord, parce que c'est l'État qui a décidé de lancer une opération d'aménagement de grande ampleur à Soulac-sur-Mer, c'est l'État qui a accordé le permis de construire et c'est l'État qui, à cette époque, ne pouvait ignorer que plusieurs immeubles du front de mer étaient déjà tombés de la falaise dunaire à Soulac-sur-Mer en 1928 et dans les années 1930. La situation actuelle relève donc de la responsabilité de l'État. Or les propriétaires se sentent abandonnés et nous ont rapporté avoir cruellement manqué d'informations de la part tant des services de l'État que de la mairie au sujet de l'évolution de l'érosion et de la réalité des initiatives conduites pour leur apporter une solution. Ils n'ont pris connaissance, par exemple, des rapports d'expertise que plusieurs années après leur écriture !
En outre, en 2014, le ministre de l'écologie, Philippe Martin, s'était rendu sur place avec le préfet et avait promis « un règlement rapide et équitable ». Ces deux objectifs, la rapidité et l'équité, ne sont toujours pas atteints quatre ans plus tard.
Ensuite, le dossier est kafkaïen parce que la situation juridique des propriétaires est absurde ! Une procédure contentieuse a été menée par les propriétaires : d'abord, pour demander au maire et au représentant de l'État dans le département de mettre en place un enrochement autour de l'immeuble, ce qui a été refusé au motif que le coût de protection s'élevait à 17 millions d'euros, ce qui dépassait largement la valeur de l'immeuble estimée à 10 millions d'euros, le tout sans prendre en compte le risque de recul du trait de côte ; ensuite, pour contester le refus d'une indemnisation par le fonds Barnier.
Les propriétaires ont appris que le sujet d'une indemnisation par le fonds Barnier était sur la table depuis plus de dix ans alors que la collectivité n'a jamais constitué un tel dossier ! À l'heure actuelle, la situation est inextricable : un arrêté portant ordre d'évacuation et interdiction d'occupation de l'immeuble a été publié le 24 janvier 2014 par le maire de Soulac-sur-Mer au titre de ses compétences de police administrative. Les habitants sont donc privés de la jouissance de leur bien et des fruits de leur propriété tout en restant propriétaires ! S'ils n'ont pas été expropriés de jure ils le sont de facto ! Ils pourront par ailleurs voir leur responsabilité engagée en cas d'accident consécutif à la chute de l'immeuble.
L'affaire du règlement de cette procédure est pendante devant le Conseil d'État. Le Conseil constitutionnel ayant rendu sa décision sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les propriétaires le 6 avril dernier, le Conseil d'État devrait se prononcer en juin. Deux moyens étaient soulevés : d'une part, l'atteinte au principe d'égalité devant la loi, entre le propriétaire d'un bien situé sur un terrain exposé au risque d'érosion et le propriétaire d'un bien situé sur un terrain menacé par l'un des risques mentionnés à l'article L. 561-1 du code de l'environnement ; d'autre part, l'atteinte au droit de propriété. Le Conseil constitutionnel a écarté ces deux moyens et jugé conformes à la Constitution les dispositions contestées.
Une fois la décision du Conseil d'État rendue, les propriétaires pourront ultimement saisir la Cour européenne des droits de l'homme.
À ce stade, l'administration refuse toujours d'accéder à la requête des propriétaires visant à obtenir une indemnisation via le fonds Barnier pour deux motifs. D'abord, parce que l'érosion dunaire n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, qui définit le champ d'intervention du fonds Barnier. Ensuite, parce que l'une des conditions d'éligibilité au fonds, « la menace grave à la vie humaine » ne serait pas remplie en l'espèce.
M. Benoît Huré. - Ah bon ?
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure. - Oui, les occupants ont été évacués...
Cette position est d'autant plus étonnante que l'arrêté d'interdiction d'habitation de 2014 mentionne un péril grave et imminent pour la sécurité des personnes et des biens, considérant la probable survenue de perturbations météorologiques exceptionnelles de nature à accentuer l'érosion dunaire devant le Signal et à entraîner une submersion marine.
Selon l'Observatoire de la côte d'Aquitaine, le trait de côte recule de 2,5 mètres en Gironde chaque année et de 1,7 mètre dans les Landes. Des perturbations météorologiques exceptionnelles pourraient encore amplifier ce phénomène d'érosion dunaire dans des proportions importantes !
Dans le cas du Signal, néanmoins, le recul du trait de côte est de 5 à 7 mètres par an en moyenne, accentué notamment par la présence d'une digue à proximité, qui protège le quartier de l'Amélie à Soulac-sur-Mer et qui a tendance à accélérer les courants et à empêcher le sable de se déposer.
La dimension humaine du sujet est essentielle et insuffisamment relevée dans le débat public. On a entendu beaucoup de choses sur les propriétaires du Signal : ils seraient nantis, privilégiés et devraient assumer sans se plaindre les conséquences de leur désir de vivre au bord de l'eau... Je souhaiterais couper court à ces représentations.
D'abord, parce que la majorité d'entre eux sont des personnes de condition modeste, éprouvées moralement et physiquement par la longueur des procédures et l'absence de réponse. Certains ont investi toutes leurs économies et doivent, en plus, continuer à rembourser leurs dettes jusqu'en 2020, en 2025 ou en 2030.
Les propriétaires ont dû se reloger et acquitter un loyer ; ils continuent d'assumer les frais de syndic de copropriété, les assurances et une procédure longue et coûteuse pour se défendre : 100 000 euros de frais d'avocat depuis 2012, d'après leurs représentants.
Depuis quatre ans, date de l'évacuation, 11 propriétaires sont décédés. La question des successions est d'ailleurs apparue comme un nouveau problème pour leurs descendants, qui sont en contact avec l'administration fiscale pour estimer la valeur de la transmission...
L'immeuble est dans un état piteux. Il a été vandalisé et occupé de façon irrégulière en dépit de nombreuses plaintes des propriétaires.
Enfin, ce dossier a un caractère exceptionnel. Si le recul du trait de côte s'impose comme un phénomène commun à de nombreux territoires et s'il nécessite une approche intégrée et globale, sans doute davantage dans une logique d'acquisition que d'indemnisation, le cas du Signal reste très spécifique. Cette affaire est injuste et inédite. Elle a trop duré et une réponse exceptionnelle, ad hoc, s'impose pour traiter un problème lui-même exceptionnel.
Si nous sommes d'accord sur la nécessité de régler le problème de l'indemnisation et de la propriété de l'immeuble, le Gouvernement doit maintenant prendre ses responsabilités.
Nous devrons également éviter qu'une telle situation se reproduise, c'est pourquoi il est fondamental d'inscrire rapidement dans nos textes une obligation d'information préalable à l'acquisition d'un bien proche du rivage pour que les futurs propriétaires de ce type de bien aient pleinement conscience du risque et des conséquences du recul du trait de côte.
Un mot, enfin, concernant l'attitude du maire de Soulac-sur-Mer. Les auditions ont révélé que tant sa mobilisation que son écoute ont été insuffisantes pour les propriétaires. La protection de l'immeuble demeure également perfectible, alors même que la commune pourrait voir sa responsabilité engagée en cas d'accident.
J'attire votre attention sur le fait qu'un amendement du Gouvernement serait nécessaire pour établir clairement un transfert de propriété. En l'état, le dispositif permettra uniquement d'indemniser les propriétaires, mais les charges de démolition, de désamiantage ou autres incomberont légalement aux propriétaires. Il conviendrait donc d'amender légèrement la rédaction du texte pour prévoir explicitement que le fonds Barnier « finance l'acquisition par l'État » de l'immeuble. L'article 40 de la Constitution nous interdit malheureusement de déposer nous-mêmes cet amendement. J'espère sincèrement que nous pourrons trouver collectivement une solution qui apportera une réponse rapide aux copropriétaires. Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter le présent texte sans modification.
M. Hervé Maurey, président. - Il est stupéfiant qu'une telle situation, ubuesque et kafkaïenne, qui dure depuis des années, n'ait toujours pas trouvé de solution. Nous ne demandons pas à l'État d'agir en super assureur, mais d'assumer ses responsabilités.
M. Christophe Priou. - Les ministres passent, les sujets demeurent. Nous avons de plus en plus souvent affaire non pas à une vente à la découpe, mais à une loi à la découpe : de nombreux sujets sont retoqués par l'Assemblée nationale avec l'aval du Gouvernement et des amendements surgissent de-ci de-là, comme l'amendement « éolien ». Nous regrettons que le texte de Michel Vaspart n'ait pas été repris dans son ensemble. Le rôle de notre commission est d'ouvrir une vision globale sur la stratégie maritime, d'autant que nous serons prochainement appelés à émettre des avis sur les documents stratégiques de façade, qui précisent les conditions de mise en oeuvre des objectifs définis par l'État en matière d'urbanisme pour chacune des façades. Il existe également un gros volet européen, avec des strates environnementales. Il est regrettable que l'on ne mette pas davantage l'accent sur la dimension économique.
L'État a tendance à confier toutes les compétences aux communes : plans de prévention des risques littoraux, compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI). Pourtant, l'État gère l'estran où se trouve implantée la plus grande partie de l'activité, qu'elle soit économique ou touristique. On devrait pousser l'État et le Gouvernement à nous présenter une stratégie globale. On parle très peu des risques liés à l'élévation du niveau des océans, et de l'impact que cela aura sur les bâtiments et les infrastructures. Qui prendra en compte ces risques ? Qui payera ? Les marais salants de Guérande, par exemple, sont protégés par une digue de 20 kilomètres ; des travaux de rehaussement coûteraient environ 1 million d'euros le kilomètre. Si nous continuons à légiférer à la découpe, nous ne serons pas à la hauteur des enjeux. L'État a été vigoureux sur certains sujets : je pense au naufrage de l'Erika qui s'est produit il y a bientôt vingt ans et pour lequel des mesures européennes ont été prises. Il serait bien qu'il en aille de même en matière de stratégie du trait de côte, et de protection des habitants et des habitations.
M. Claude Bérit-Débat. - La situation est kafkaïenne. La dimension humaine du sujet est effectivement essentielle : des gens de condition modeste ont investi toutes leurs économies. La proposition de Françoise Cartron est une proposition de bon sens et d'humanité ; j'espère qu'elle sera adoptée.
Se pose la question de la responsabilité de l'État, mais aussi des collectivités locales qui ont mis en place une opération ayant des conséquences importantes au niveau de l'érosion des dunes. Quid également de la prise en compte de l'avancée de la mer sur le sable ? Jusqu'à présent le fonds Barnier n'intervient que sur les effondrements de rochers. Or un certain nombre de stations balnéaires des Landes vont être confrontées également à des problèmes d'effondrement. Dans quelques années, l'une d'entre elles sera envahie par la mer et 2 000 ou 3 000 maisons devront être reconstruites à l'intérieur des terres. Nous n'avons pas réussi à régler le problème ; il se reposera demain, au sujet des dunes. Toute la côte landaise et girondine est concernée, et même plus loin jusqu'en Charente-Maritime. Au Signal, le problème est kafkaïen du point de vue humain et matériel. Celui des dunes ne sera pas moins compliqué.
M. Michel Vaspart. - Je soutiens ce texte avec force. Les mesures qu'il propose figuraient déjà dans le texte qu'avait préparé Pascale Got, lorsqu'elle était députée de la Gironde, et qui visait à anticiper le recul du trait de côte, qu'il s'agisse des falaises ou des dunes. L'indemnisation du Signal était prévue, à hauteur de 75 %. Le texte n'a pas abouti à cause des échéances électorales. Nous l'avons repris au Sénat, l'été dernier, sous la forme d'une proposition de loi dans laquelle j'avais intégré l'indemnisation du Signal.
À l'époque, le Gouvernement envisageait de mettre en place un autre fonds pour garantir les indemnisations. Nous en avions débattu avec Emmanuelle Cosse, car rien n'était dit sur la manière dont ce nouveau fonds serait alimenté. Il n'a jamais été créé, et c'est donc à raison que nous avions insisté, avec Pascale Got, sur la nécessité de financer les indemnisations par le fonds Barnier. Ce fonds, très excédentaire, est prélevé chaque année par les gouvernements successifs. Il a été plafonné à 131 millions d'euros dans le cadre du budget 2018.
J'ai eu l'occasion de rencontrer le groupe d'études sur le littoral, à l'Assemblée nationale. Mme Panonacle a repris le sujet de l'indemnisation du Signal et plus généralement celui du recul du trait de côte. Elle a mentionné l'utilité du fonds Barnier, qui est bien l'unique et seule solution, incontournable, pour ce type d'indemnisation.
La proposition de loi qui a été votée au Sénat comportait un certain nombre d'éléments, dont le recul du trait de côte tel qu'acté par l'Assemblée nationale et le Sénat. Plutôt que de le traiter comme un risque, le Gouvernement l'intègre dans sa politique d'aménagement du territoire. Cela change la donne, car les collectivités locales devront prendre des responsabilités supplémentaires, notamment en matière de financement. Il faudra rester très vigilant.
Le Gouvernement souhaite dissocier les deux sujets, avec d'un côté un texte sur le recul du trait de côte et l'indemnisation du Signal, et de l'autre les dispositions visant à alléger les conséquences de la jurisprudence relative à l'application de la loi Littoral, tel qu'elles figurent à l'article 9 de la proposition de loi.
M. Didier Mandelli. - Je ne peux que soutenir les propos de Michel Vaspart : il était l'auteur du texte et j'en étais le rapporteur. L'article 3 de la proposition de loi traitait le cas du Signal, à la fois emblématique et récurrent. Le texte que nous examinons permettrait de résoudre rapidement le problème. Si l'on attend la constitution du groupe de travail sur l'érosion du trait de côte que nous a proposé Brune Poirson, si l'on attend la création d'un autre fonds, et ainsi de suite, cela prendra encore quatre à cinq ans. D'où l'importance de ce texte.
J'avais déposé un amendement sur le plafonnement du fonds Barnier, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. Il n'a pas été repris à l'Assemblée nationale. Ce fonds est pourtant l'unique solution pour garantir les indemnisations. Le gouvernement précédent l'a prélevé à hauteur de 55 millions d'euros, dans sa dernière année de mandat. Il a été prélevé cette année à hauteur de 71 millions d'euros, avec un plafond à 139 millions d'euros. Malgré tous les événements liés au transport maritime et malgré les tempêtes successives, notre pays tarde à développer une culture de la prévention, de sorte que nous le payons très cher. J'assistais la semaine dernière à une réunion de la Caisse centrale de réassurance (CCR) : il existe des cotisations, des prélèvements et des fonds pour compenser les catastrophes naturelles. Quant à la prévention, elle ne dispose que de moyens très limités.
M. Charles Revet. - La situation est inacceptable. Il faut trouver des solutions. En Seine-Maritime, une tonnelle de marnière s'est effondrée, à un mètre d'une maison. Le maire a pris un arrêté de péril interdisant d'habiter, de louer ou de vendre cette maison. C'était il y a quinze ou vingt ans. La maison est désormais complètement délabrée. Dans ce genre de cas, le fonds Barnier devrait intervenir. Il intervient de moins en moins. Les prélèvements que l'État opère sur le fonds Barnier n'ont pas d'autre objet que de renflouer son budget. Il y a cinquante ans, Étretat subissait régulièrement des inondations. La digue a été renforcée, ce qui a réglé le problème. C'est un modèle à imiter.
On sait bien que le Parlement ne compte plus beaucoup pour l'administration centrale. On peut penser que cette proposition de loi aura du mal à aboutir. De temps en temps, il faut marquer le coup. Si la commission organisait un déplacement en force, à votre initiative, Monsieur le président, cela aurait un effet considérable sur les responsables locaux, et cela contribuerait peut-être à faire évoluer la situation.
M. Michel Dennemont. - Mon groupe s'était opposé à la révision de la loi Littoral en janvier dernier. Votre proposition a notre assentiment et nous voterons en faveur de ce texte.
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure. - Nous sommes tous d'accord : le fonds Barnier est le seul recours possible dans cette situation. La direction générale de la prévention des risques nous a précisément expliqué que la création d'un nouveau fonds allongerait encore les délais de quatre ou cinq ans. Ce n'est pas la bonne solution. Il faut que le Gouvernement dépose un amendement pour débloquer le fonds Barnier, car l'article 40 nous interdit de le faire.
Madame Poirson souhaite diluer la problématique du Signal dans une réflexion plus globale qui porterait sur le recul du trait de côte. Nous devons résister, car si nous la suivons, nous risquons de devoir attendre encore quatre ou cinq ans de plus. L'État est responsable de la situation. Les collectivités territoriales doivent s'engager pour soulager la détresse des habitants. Ils ont fait une grève de la faim et ils s'apprêtent à aller devant la Cour européenne des droits de l'homme. Il serait dommage que nous ne soyons pas capables de régler la situation au niveau national.
Monsieur Bérit-Débat, les risques d'érosion rocheuse sont inscrits dans le fonds Barnier, mais l'érosion sableuse ou dunaire n'a pas été envisagée. Certains propriétaires sont indemnisés en cas d'effondrement de falaise ; dans les autres cas, ils n'ont droit à rien. À Lacanau, on prévoit d'organiser le déplacement de 1 200 personnes dans les 20 à 30 ans à venir. Les techniciens travaillent en concertation avec les habitants et les propriétaires, car la partie de Lacanau qui est en bordure de la côte est en train de disparaître. Les habitants ont exactement la même réaction que ceux du Signal qui ne voyaient pas le danger, car ils ne voyaient pas l'océan, en 1967. S'engager dans l'information et dans la prévention est une question de responsabilité morale. Tant mieux si l'on indemnise les victimes. Cependant, le système a ses limites.
Même constat à Biscarosse, où la commission s'était déplacée : il va falloir déménager un camping. Au Signal, la situation est d'urgence, du point de vue humain. Plus largement, il est indispensable que nous engagions une réflexion avec les élus locaux et les organisations territoriales.
Monsieur Vaspart, le Gouvernement souhaite effectivement dissocier la question du trait de côte et la réflexion sur la loi Littoral, ce qui ne correspond pas à la démarche que nous envisagions. J'ai cru comprendre que la problématique du Signal serait traitée dans le cadre d'une réflexion plus globale. Nous devrons nous y opposer fermement.
L'indemnisation du Signal coûterait entre 7 et 10 millions d'euros. En 2015, les négociations engagées par l'État n'avaient pas abouti par manque de volonté des collectivités territoriales. L'immeuble a désormais perdu de sa valeur.
La direction générale de la prévention des risques a insisté sur la nécessité de développer une culture de la prévention.
Monsieur Revet, les falaises tombent tout le temps en Seine-Maritime. Cependant, le fonds Barnier fonctionne bien et s'applique aussi aux éboulements de falaises qui se produisent au milieu des terres. Nous ne pouvons que nous en féliciter tout en comprenant d'autant mieux l'insatisfaction des propriétaires du Signal.
Au Signal, la solution de l'enrochement est désormais trop tardive. La municipalité a fait le choix d'enrocher le quartier de l'Amélie, pas très éloigné du Signal. Je n'ai pas à commenter ce choix qui soulève des regrets et des protestations au niveau local. En effet, l'enrochement de ce quartier détourne l'eau, de sorte que l'espace du Signal est encore plus agressé et que la dune est laminée par la base. Si l'immeuble tombe et blesse, voire tue des promeneurs, sa responsabilité sera engagée.
La proposition de loi est adoptée sans modification à l'unanimité.
Nomination d'un rapporteur
La commission désigne M. Gérard Cornu en qualité de rapporteur pour le projet de loi n° 435 (2017-2018) pour un nouveau pacte ferroviaire.
La réunion est close à 10h50.