- Mercredi 15 novembre 2017
- Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Action extérieure de l'Etat » - Programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Action extérieure de l'Etat » - Programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » - Examen du rapport pour avis
- Contrat d'objectifs et de moyens 2017-2020 de Campus France - Communication et examen de l'avis
- Projet de loi de finances pour 2018 - Audition du Général François Lecointre, chef d'état-major des Armées
- Jeudi 16 novembre 2017
Mercredi 15 novembre 2017
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Action extérieure de l'Etat » - Programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » - Examen du rapport pour avis
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nous allons vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 105, et de la mission, mais non pas parce que les chiffres sont extraordinaires puisque globalement les chiffres sont stables par rapport à l'année 2017. Le budget de la mission défense augmente de 5,2 %, le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères augmente globalement de 2 % et le budget de la mission action extérieure de l'État diminue de 0,17 %. Ce ne sont donc pas les chiffres qui nous font adopter cette position favorable mais le fait que le Sénat a été entendu. Les recommandations émises par celui qui était rapporteur du budget l'année dernière, Christian Cambon, ont été, en partie, suivies d'effet. Il me semble qu'il faut retenir 5 points principaux sur ce budget, et je ne présenterai pas de façon détaillée les chiffres du programme qui figurent dans le rapport.
Je vais tout d'abord vous parler des deux lignes budgétaires les plus importantes qui représentent 40 % du programme 105, soit 757,6 millions d'euros en 2018. Les crédits dédiés aux contributions internationales obligatoires atteignent 372,7 millions d'euros en 2018 sont en légère diminution de 2,7 %. Je vous rappelle que ce n'est pas la France qui décide de ces contributions mais qu'elles sont déterminées en fonction de quotes-parts définies par le règlement des organisations internationales et en fonction de la croissance économique d'un pays. Cette évolution comporte de bonnes et de mauvaises surprises : par exemple la contribution à l'ONU augmente de 3,9 millions d'euros, la contribution à l'OTAN diminue de 3 millions d'euros. D'une manière générale ces contributions sont diminuées, que ce soit celle à l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), à l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), à l'organisation de coopération et de développement économique(OCDE), à l'organisation mondiale de la santé(OMS), ou à l'organisation internationale du travail (OIT).
Deuxième point retenir, les opérations de maintien de la paix (OMP), sont stables, pour atteindre 384,86 millions d'euros en 2018. Je vous rappelle que la France le 5e contributeur aux OMP. Ce sont 840 militaires et policiers français qui participent aux différentes opérations et -cela ne vous aura pas échappé, vous vous en souvenez-, lorsque nous avons auditionné M. Jean-Yves Le Drian avant la période budgétaire, il a consacré l'essentiel de son intervention à ces opérations et plus largement à la situation du Sahel. Il avait raison puisque, dans cette région, l'action se partage entre le ministère des armées et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères : 4 000 hommes au titre de la défense et la participation des affaires étrangères au titre des contributions aux OMP dont je viens de vous parler. D'ailleurs, la ministre des armées était à Dakar en début de semaine pour convaincre les pays africains de relayer la France et d'amener 9000 hommes de manière à ce que nous réduisions notre présence militaire. Dans le même temps le ministre de l'Europe et des affaires étrangères était à Bruxelles pour trouver les moyens de financer les troupes africaines.
Le 3e point concerne le modèle de gestion immobilière du Quai d'Orsay, sur lequel nos précédents rapporteurs avaient exprimé plusieurs observations qui ont été au moins pour partie entendues. Je vous rappelle que le patrimoine du ministère de l'Europe et des affaires étrangères est évalué à plus de 4 milliards d'euros. Un tel patrimoine doit être entretenu au risque de se dévaloriser. Ce qui est inscrit au budget pour entretenir ce patrimoine consiste en 12 millions d'euros, on pourrait trouver ça ridicule ! En dehors de ces crédits, pour réaliser les grandes restructurations, on utilise le produit des cessions. On vend l'argenterie de la famille, et à force de vendre il n'en reste presque rien. Vous vous souvenez de la vente du campus de Kuala Lumpur, qui représentait une recette d'un niveau exceptionnel. Le ministère s'était toutefois vu appliquer une surcontribution au désendettement de l'État et n'avait pas perçu l'intégralité de la recette enregistrée. On avait déjà dû constater une perte liée au risque de change qui a ramené la recette attendue de 223 millions à 203 millions d'euros, mais de plus Bercy en a gardé presque la moitié et il est ainsi revenu au ministère beaucoup moins d'argent pour entretenir son patrimoine. Ce sont ainsi 207 millions d'euros en 4 ans qui ont abondé le compte d'affectation spéciale au titre du désendettement. Il a été réformé. Et cette année nous avons, lors de nos auditions, reçu l'assurance qu'aucune contribution sur le produit des cessions n'était prévue. En cela, notre commission a été entendue.
Un certain nombre de ventes est prévu en 2017 et en 2018. Le produit espéré pour chacune de ces deux années est de l'ordre de 20 millions d'euros. Les ventes ne sont toutefois pas encore toutes réalisées au titre de 2017 et incertaines au titre de 2018, alors que les crédits qu'elles représentent sont indispensables à la restructuration et à l'entretien du réseau diplomatique.
La question de ces cessions soulève de nouveau, - et vous vous y étiez particulièrement intéressé Monsieur le Président-, la problématique des dépenses des recettes en devises étrangères du programme 105. Les recommandations de notre commission ont été entendues, partiellement. En 2018 l'Agence France Trésor couvre enfin 80 % des contributions internationales payables en devises. Il reste 20 % non couverts. Il me semble qu'il faut aller plus loin et que la couverture du risque de change doit s'appliquer aux frais locatifs, au paiement des travaux d'entretien et paies des agents du réseau en devises étrangères et aux opérations de cession.
J'en viens maintenant à la modernisation de notre réseau diplomatique que nous recalibrons de différentes façons. Nous mettons en place des partenariats, notamment avec l'Allemagne et les services de l'Union européenne. Nous sommes assez avancés dans notre collaboration avec l'Allemagne qui prend la forme de constructions d'ambassades en commun, de colocalisation de services consulaires ou services culturels. De même avec Bruxelles, plusieurs dossiers de colocalisation ont abouti. En revanche je regrette que nous n'arrivions pas encore à mettre en oeuvre les complémentarités qui nous seraient très favorables avec le réseau britannique en Asie. Nous pourrions également avoir de nombreux partenariats avec un pays comme l'Espagne, très bien implanté en Amérique du Sud, et avec lequel nous entretenons d'excellentes relations diplomatiques.
Enfin, je voudrais revenir sur les postes de présence diplomatique, les fameux PPD, qui nous permettent de rester présents dans certains pays avec un format plus économique : un ambassadeur et un cadre B plutôt qu'un cadre C, plus deux à six contrats de droit local. L'extension du dispositif prévu en 2017 a bien eu lieu et 25 PPD ont donc été créés en tout. Ces postes me semblent bien fonctionner, même si toutes les économies attendues n'ont pas été réalisées. Dans les postes concernés qui étaient autrefois vus comme le lieu tranquille d'une fin de carrière honorable, on privilégiera désormais des ambassadeurs, souvent plus jeunes, en début de carrière, motivés par le défi qui consiste à faire bien avec peu de moyens sur un petit nombre de priorités. De ce point de vue-là, il me semble que l'expérience a bien fonctionné. Je sais bien que le programme est pour l'instant arrêté à 25 PPD, je pense qu'il faut faire preuve de pragmatisme dans ce domaine et ne pas se priver de cet outil. Il vaut mieux rester présents en plus petit format que de quitter un pays. J'avais questionné le ministre lors de son audition devant notre commission sur notre place au niveau international. Il est vrai que nous ne sommes plus que le 3e réseau derrière les États-Unis et la Chine et il est indéniable que la puissance de notre réseau renforce notre poids en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Pour ma part j'ai été frappé en lisant un compte rendu du Conseil de sécurité il y a 10 jours de constater qu'on ne parlait presque plus jamais des 5 membres permanents du Conseil. On parle des 5 plus 1, incluant ainsi l'Allemagne. Cela donne l'impression que les décisions importantes sont prises à 6. Notre position en tant que membre permanent n'est peut-être pas inscrite dans le marbre à vie.
M. Christian Cambon, président. - Nos contributions le sont !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - C'est exact, mais elles diminuent en même temps que notre poids économique diminue face à la montée des pays dit émergents.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - L'évolution des moyens de fonctionnement des ambassades appelle une première remarque de ma part. Ils sont essentiels pour garantir la réussite des différentes priorités définies en 2018. Après avoir diminué de 4,6 % en 2017, ils sont stabilisés et s'établissent à 83,6 millions d'euros. Les efforts d'économie déjà réalisés depuis plusieurs années laissaient à penser que la marge d'action était désormais très réduite dans ce domaine. Cette stabilisation me semble donc appréciable.
Pour leur part, les crédits du titre 2 de la mission, c'est-à-dire la masse salariale, diminuent cette année de 15 millions d'euros, soit une baisse de 1,7 % par rapport à 2016. La réduction propre au programme 105 est de 9,4 millions d'euros et 50 équivalents temps plein travaillés (ETPT) sur les 100 ETPT supprimés dans le périmètre de la mission en 2018. Pour le programme 105, la diminution des crédits de personnel s'effectue au profit des dépenses d'investissement qui progressent de 12,35 millions d'euros et dans une moindre mesure des dépenses de fonctionnement qui augmentent de 3,97 millions d'euros. Toutefois, les emplois supprimés épargnent les secteurs propres au renforcement de la sécurité qui est l'une des grandes priorités du ministère.
Ainsi, les 25 emplois supplémentaires créés l'année dernière pour renforcer la coopération de défense et de sécurité devraient être maintenus, sous réserve que les crédits afférents soient bien prévus.
La sécurisation est d'une manière générale l'un des grands axes prioritaires du ministère depuis trois ans, et en 2018. Elle repose sur plusieurs piliers.
Le plan de renforcement des moyens de lutte antiterroriste et de protection des communautés et intérêts français à l'étranger bénéficiera de 52 millions d'euros de crédits hors personnel et 67 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2018.
Ce sont ainsi 37,23 millions d'euros qui sont consacrés au renforcement de la sécurisation du parc immobilier du ministère à l'étranger. Il s'agit là d'un effort nécessaire, urgent et sans doute de long terme ! Il est certain que nous ne pouvons plus nous contenter de renforcer les postes dits exposés, l'action terroriste aujourd'hui peut frapper n'importe quelle emprise. Nous avons tous en mémoire les récentes atteintes à notre réseau en Grèce, à Kaboul, et encore récemment au Liban. Ces crédits seront ainsi répartis : soit 22,16 millions d'euros pour la sécurité des ambassades, consulats et instituts français, 14,7 millions d'euros pour les établissements d'enseignement à l'étranger et 1 million d'euros pour les Alliances françaises.
Enfin, la coopération internationale en matière de lutte antiterroriste se traduit par le renforcement des crédits d'intervention de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), dont nous avons auditionné le Directeur. Il bénéficiera de 2 millions d'euros supplémentaires, sous réserve des remarques déjà formulées sur le manque de crédits inscrits en titre 2, qui devrait être résolu.
La coopération de sécurité et de défense dite coopération structurelle, ligne de dépenses dite « pilotable » du programme 105, par opposition aux lignes « contraintes » que sont les contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix et les dépenses de personnel, a souvent été la variable d'ajustement du programme 105. Ses crédits sont passés, en une dizaine d'années, de 106,41 à 62,90 millions d'euros. Nous l'avons regretté et dénoncé. Cette politique au fort effet de levier a vu enfin ses crédits augmenter en 2017. En 2018, les moyens sont stabilisés et il faut s'en féliciter puisque ces actions constituent ce que l'on appelle notre « premier bouclier au loin ».
Cette coopération interministérielle est devenue très réactive, loin des actions figées, elle est orientée par un comité d'orientation stratégique qui peut infléchir notablement, en cours d'année, lorsque la situation internationale l'exige, les priorités géographiques et thématiques de cette politique. Elle fait preuve de la réactivité attendue, comme en témoigne la liste de ses priorités pour la fin 2017 et 2018, décidées au plus haut niveau, qui comprend :
- l'appui à la force conjointe du G5 Sahel qui s'est vu dotée d'un poste de commandement,
- l'anticipation de la sortie de crise au Levant avec le Liban comme point focal. En 2018, 1,22 million d'euros devrait être consacré aux actions en faveur des forces de sécurité intérieure, sous réserve bien sûr de l'évolution de la situation,
- enfin, la dernière priorité est la participation aux feuilles de routes migratoires.
Outre la création de deux nouvelles écoles nationales à vocation régionale dans les domaines de la cybersécurité pour l'une et de la formation des forces spéciales pour l'autre, la coopération sait s'adapter aux besoins. Ainsi, la fragilisation de la situation en Côte d'Ivoire a immédiatement donné lieu au renforcement des actions de formation en direction des sous-officiers. Le Mali bénéficie aussi d'un suivi particulier avec, en 2017, des efforts centrés sur le renforcement de la mobilité terrestre des forces maliennes avec notamment le financement de véhicules pour les unités de police anti-terroriste et l'achat d'équipements individuels d'optique permettant la vision nocturne. Ces investissements, parfois relativement modestes, peuvent changer un rapport de force, donner un avantage décisif et appuyer ainsi considérablement la stabilisation d'une situation de crise.
Le réseau de coopérants français, sans équivalent chez nos alliés, se trouve ainsi renforcé d'une politique interministérielle, associant le Quai d'Orsay, le ministère de l'intérieur et le ministère des armées pour garantir la réalisation des objectifs de notre pays en faveur de la paix. Il faudra veiller année après année à la préservation des moyens de ce formidable outil, souple, réactif, réorientable, qui a été malheureusement laminé ces dernières années.
M. Christian Cambon, président. - Merci beaucoup pour cette présentation. Le programme 105 est passionnant puisqu'il est la photographie de l'action internationale menée par la France. Je me félicite de voir que le travail accompli en tant que rapporteur a eu quelques effets et que plusieurs des recommandations formulées par notre commission ont été au moins partiellement entendues. Je partage d'ailleurs les regrets exprimés par notre rapporteur sur la captation par Bercy d'une part trop importante du produit des cessions réalisées alors que le besoin de financement des travaux de restructuration et d'entretien de notre réseau diplomatique est très important.
De même, s'agissant de la vente de nos emprises à l'étranger, il est très important de les considérer au regard de la solution qui sera mise en place après la vente, qui peut être un moyen d'augmenter le rayonnement de la France. À Hanoi nous disposons d'implantations superbes à différents endroits de la ville. Les Allemands ont fait dans cette ville le choix de regrouper tous leurs services, y compris la résidence, dans un immeuble moderne et fonctionnel qui assoit leur rayonnement. De la même manière, lors de la mission de la commission en Australie l'année dernière, nous avons eu l'occasion de voir comment avaient été réorganisés nos services à Sydney. La résidence du consul général a été vendue au profit d'une résidence tout à fait convenable et fonctionnelle, et les services sont désormais localisés dans un immeuble moderne, au coeur du quartier d'affaires de la ville. L'idée n'est donc pas de vendre pour vendre, surtout pour voir les produits de cession accaparés par Bercy au profit du désendettement de l'État. En revanche si la vente permet une redynamisation de l'image de la France grâce à une meilleure localisation et au regroupement de nos services dispersés, elle se justifie pleinement.
Bien sûr nous avons également en tête la regrettable vente de lieux symboliques tels que le palais Clam-Gallas à Vienne dans lequel le Qatar a installé son ambassade. Il faut s'assurer que la perte de tels lieux ne réduise pas le rayonnement de la France et favorise la bonne gestion de ses emprises.
Il y a une question que je voulais poser au rapporteur sur l'augmentation de la contribution obligatoire à l'Unesco. Depuis quelques années, des efforts constants ont permis de réduire le budget de l'Unesco, décision prise pour faire face à la sortie annoncée des États-Unis, comment expliquer que notre contribution obligatoire augmente dans ce contexte ?
M. Joël Guerriau. -Traditionnellement à l'ONU, le poste de secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix est occupé par un Français, que nous avions rencontré. Après l'élection de Donald Trump, la participation des États-Unis au financement des OMP, qui est extrêmement conséquente, semblait pouvoir être remise en cause. Qu'en est-il ? Les équilibres entre les pays contributeurs ont-ils été modifiés ? Les États-Unis ont-ils réduit leur contribution pendant que la Chine augmentait la sienne ?
M. Ronan Le Gleut. -Je suis extrêmement heureux d'avoir entendu notre rapporteur soutenir la mutualisation des moyens car, à l'assemblée des Français de l'étranger, j'avais présenté un rapport en ce sens. L'ambassade franco-allemande à Dacca au Bangladesh est un succès. Je voudrais vous faire part d'un entretien que j'ai eu au service européen pour l'action extérieure au sujet de la mutualisation des moyens. J'ai interrogé les services pour savoir si les délégations européennes pouvaient réaliser les prestations consulaires là où les Etats de l'Union européenne n'ont plus de présence diplomatique propre. Je rappelle, par exemple, que nous avons un PPD au cap Vert, qui n'assure pas les services consulaires, alors que le Portugal est encore présent naturellement et pourrait probablement rendre des services à la communauté française. La question de la mutualisation, notamment des services consulaires, avec l'Union européenne et entre pays européens doit être approfondie.
Sur les PDD, je suis plus réservé que notre rapporteur. Au Paraguay la communauté française est importante et la mise en place du PDD contraint nos ressortissants à attendre la tournée consulaire d'un consul basé dans un autre pays d'Amérique latine pour avoir accès aux prestations consulaires normales. Il ne me semble pas que ce soit une bonne politique.
M. Olivier Cadic. - Notre collègue vient de revenir sur le recalibrage du réseau diplomatique. Le poids diplomatique de la France n'est plus suffisant aujourd'hui pour avoir une présence mondiale comme les gens s'y attendent. Un exemple, a contrario, le poste diplomatique chinois en Nouvelle-Zélande comprend 350 personnes. Dans cette perspective, mutualiser avec l'Union européenne, comme c'est le cas au Honduras avec succès, semble satisfaisant. Existe-t-il un plan de mutualisation à long terme ?
Sur les PDD, j'aimerais savoir où l'on en est des approches plus économiques. Par exemple, en Croatie pour la première fois nous avons un couple d'ambassadeurs nommé. C'est une pratique qui existe dans le réseau diplomatique britannique ou un couple d'ambassadeurs peut être nommé sur un même poste, chacun exerçant à mi-temps, l'un pour le Honduras, l'autre pour le Guatemala, en étant tous les deux basés au Guatemala. A-t-on un retour d'expérience sur ce type de pratique ?
Sur la gestion immobilière, je remercie notre rapporteur de ces éclairages. Pour ma part je suis partagé entre deux visions : celle du lieu de prestige et celle du lieu fonctionnel. Pour les ambassades ou les consulats, il est évident que des lieux fonctionnels qui sont propres à permettre un travail efficace et à recevoir le public dans de bonnes conditions de sécurité sont indispensables. Je pense aux emprises à Abu Dhabi ou au consulat à Barcelone où la modernisation en ce sens de nos emprises me semble être un succès. Par contre, il est certain que ces emprises véhiculent notre image et que dans cette perspective la préservation de lieux de prestige peut s'entendre : nous avons cédé le consulat à Hong Kong et notre image s'en est trouvée ternie. De même j'entends parler de la vente de la résidence au Chili, il s'agit d'un monument historique hautement symbolique pour les Chiliens qui y ont trouvé refuge lors du coup d'état de Pinochet. Comment pouvait-on s'en dessaisir ? C'est l'image de la France qui est en jeu ! J'aimerais savoir s'il existe un plan des cessions envisagées à moyen et long termes pour que nous puissions agir en amont et non pas lorsque toutes les procédures seront engagées.
M. Richard Yung. - Je ne suis pas hostile à la modernisation des ambassades : prévoir un étage dans un bel immeuble de centre-ville me semble plus moderne que l'image parfois associée aux vieilles demeures et leur grand jardin. On voit bien que le modèle de gestion immobilière est en train de s'éteindre. La dotation budgétaire immobilière est insuffisante puisque le ministère est supposé se financer sur les cessions des emprises à l'étranger. On est arrivés à la fin de ce modèle, la prévision de recettes de 20 millions sur 2017 et 2018 est peu élevée par rapport aux besoins. Les cessions sont de plus difficiles à réaliser. Je pose la question : que se passera-t-il lorsque l'on aura fini de vendre les « rogatons de l'empire » ? J'ai quelques inquiétudes sur les discussions qui se tiendront alors avec Bercy.
Sur la mutualisation, je propose depuis des années, sans succès, d'établir des bureaux de délivrance des visas Schengen communs. Cela me paraît une idée de bon sens. Je me heurte depuis 15 ans maintenant à une réponse négative obstinée du quai d'Orsay, qui pourtant sous-traite déjà l'examen des demandes de visas, ce qui ne semble d'ailleurs pas fonctionner puisque les consulats en général réexaminent les dossiers qui leur sont présentés par les sociétés extérieures qu'ils financent. Notre politique des visas ne me semble pas efficace.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - C'est plus une réflexion qu'une question à nos rapporteurs que je souhaiterais vous faire partager. Je pense qu'il ne faut pas se crisper sur une position de principe mais adapter notre politique immobilière en fonction des contextes locaux ou de l'histoire à laquelle a fait référence notre collègue sur le Chili. Je partage l'opinion de notre président, l'évolution de notre implantation à Sydney est assez remarquable. L'efficacité de la politique immobilière menée tient sans doute à la qualité du personnel diplomatique sur place. D'ailleurs si notre diplomatie d'influence donne d'aussi bons résultats en Australie, je crois que nous en sommes tous convaincus, c'est essentiellement dû aux personnalités qui ont animé l'équipe France sur place. La mission qui nous avait été confiée par notre commission, l'initiative de notre président d'alors, Jean-Pierre Raffarin, qui nous a amenés à étudier le nouveau rôle de l'ambassadeur, semble pertinente : son action peut avoir des répercussions jusque dans l'aboutissement d'une politique immobilière intelligente. Il me semble que Laurent Fabius avait été bien inspiré lorsqu'il avait dit que nos ambassadeurs devaient d'abord et avant tout avoir une mission de diplomatie économique.
M. Jean-Marie Bockel. - Sur la place de l'Allemagne au sein du conseil de sécurité des Nations unies, j'ai bien compris la position de notre rapporteur, mais je voudrais nuancer un peu l'appréciation portée sur le conseil de sécurité. Son fonctionnement peut paraître un peu obsolète par rapport à la réalité du monde aujourd'hui. Mais la position d'un pays de taille moyenne comme la France depuis plusieurs années est de considérer que nous avons à assumer notre statut de membre permanent par notre engagement dans des missions de défense et dans des OPEX notamment. Or, la caractéristique de l'Allemagne d'aujourd'hui, et vous connaissez mon tropisme en faveur de la relation franco-allemande, c'est de ne pas encore assumer peut-être toutes les responsabilités liées à sa puissance économique. Nous souhaitons que l'Allemagne, au rythme d'une démocratie, évolue et se rapproche de nous. Il me semble que non, l'Allemagne n'est pas encore considérée comme un quasi membre du Conseil de sécurité, elle est consultée comme tout grand pays sur les questions importantes.
Mme Hélène Conway-Mouret. - La question de la gestion immobilière est centrale en réponse à certaines remarques qui ont été faites, il me semble que lorsque nous possédons un bâtiment, cela nous revient à long terme moins cher qu'une location. En raison du manque d'entretien et d'investissement sur le long terme, nous nous retrouvons à vendre parfois très mal les propriétés en mauvais état pour ensuite louer à un coût très cher. Je crains que nous nous nous retrouvions souvent hors les murs en banlieue faute de moyens.
Je me demande s'il ne serait pas temps que notre commission mène un travail de fond sur ces questions d'immobilier. Il existe une direction de l'immobilier du ministère qui essaie de gérer au mieux l'insuffisance chronique de crédits. Je me demande si elle ne souffre pas d'un manque de vision de moyens et longs termes.
M. Ladislas Poniatowski. - Nous avons plutôt assisté à un débat très intéressant et très riche entre nous que posé des questions aux rapporteurs du budget.
Sur le programme immobilier, vous savez qu'il existe des échecs, mais parfois les relocalisations ont permis de grandes réussites, vous en citez plusieurs exemples. Mais j'ai en tête l'exemple de la vente de la résidence de l'ambassadeur de France auprès de l'ONU située sur la 5e avenue qui nous a fait perdre indéniablement énormément de prestige. La relocalisation ne me semble pas être à la hauteur.
M. Christian Cambon, président. - Cette résidence avait pour particularité d'être en très mauvais état et de présenter des charges mensuelles extrêmement élevées.
M. Ladislas Poniatowski. - Je vais revenir justement sur les crédits d'entretien. Ils s'élèvent en 2018 à 12 millions d'euros alors que les besoins immédiats et urgents sont déjà évalués à 25 millions, hors urgence.
En réponse à vos questions, non, nous n'avons pas obtenu communication, malgré nos demandes pendant nos auditions budgétaires, ni d'un plan de programmation des cessions ni d'un plan pluriannuel de réalisation des travaux lourds et des opérations de restructuration. Ces documents n'existent pas ou ne sont pas à jour. Il est dans ce domaine des ambassadeurs plus « performants » que d'autres, parfois poussés par la visite de parlementaires d'ailleurs, à demander les travaux nécessaires, d'autres en revanche paraissent moins impliqués dans ces problématiques.
Ces documents de programmation n'existent pas pour une raison logique, il n'y a pas d'argent et à quoi servirait de programmer lorsque les crédits nécessaires à la réalisation d'un plan dépendent de cessions incertaines ?
Sur les PPD, on voit bien que notre commission est partagée entre ceux qui sont favorables et ceux qui sont plus réservés. Je ne sais pas pourquoi les PPD ont été localisés dans les 25 pays concernés. En tout cas, il me semble qu'il vaut mieux avoir une présence réduite universelle que de fermer des implantations, il en va du prestige et de l'efficacité de la France. Les Anglais qui ont choisi de fermer totalement certains postes semblent aujourd'hui le regretter.
Sur les perspectives de colocalisation, il n'y a pas encore de plan adopté au niveau européen, mais on voit bien que les pays européens discutent entre eux et avec les services de l'Union européenne pour mettre en place une mutualisation et des colocalisations. Il serait bon qu'on aboutisse à un plan commun au moins sur le territoire européen.
S'agissant des cessions attendues pour 2018, il n'y a aucune certitude que le montant de cessions espéré de 20 millions d'euros soit bien réalisé. Nous avons demandé des précisions que nous attendons sur ces opérations de cessions prévues en 2018. Nous exercerons notre fonction de rapporteurs tout au long de l'année et interrogerons constamment les services sur les sujets qui nous intéressent, notamment les rémunérations des personnels.
Sur l'Allemagne et le Conseil de sécurité, l'information je vous ai communiquée date d'il y a 10 jours. Cette présentation faite dans la presse m'a interpellé. L'Allemagne a d'ores et déjà un rôle particulier aux côtés des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
M. Bernard Cazeau. - Pour compléter simplement, vous avez parlé des moyens des ambassadeurs, il est important de souligner que les crédits dédiés au fonctionnement des ambassades ont beaucoup diminué, depuis plusieurs années et notamment en 2017.
Sur les opérations immobilières, je partage les interrogations que certains d'entre vous ont exprimées sur la vente de la résidence à New York. Toutefois, le montant des charges est tel que dans cette ville en particulier on peut se demander s'il est plus intéressant d'acheter que de louer.
Il faut aussi rappeler que le ministère subit encore une réduction de personnel : répartie sur les différents programmes de la mission, elle s'élève à 100 ETPT, avec la préservation toutefois des personnels dédiés à la sécurisation. Les moyens destinés à cette politique bénéficient également d'un effort pour répondre aux menaces terroristes qui concernent toutes nos emprises.
M. Ladislas Poniatowski. - Sur l'augmentation de notre contribution à l'Unesco, nous avons demandé des précisions. La précédente directrice générale avait réussi à diminuer au cours de ses trois dernières années de mandat le budget de son institution, notamment en prévision du retrait annoncé des États-Unis. En 2018, notre contribution passe de 13,9 à 14,8 millions d'euros, c'est une augmentation de 6 % par rapport à 2017 sur laquelle nous avons demandé des explications. Le budget a été établi avant l'élection de la nouvelle directrice générale française, qui ne peut donc pas être tenue comptable de cette évolution.
M. Robert del Picchia. - Peut-être est-ce lié à l'augmentation de notre contribution à l'ONU ?
M. Ladislas Poniatowski. -Nous vous transmettrons les informations que nous recevrons sur ce sujet.
M. Christian Cambon, président. - Nous voyons bien qu'il est important de réaliser des économies dans tous ces domaines sans nuire au rayonnement de notre pays. Je vous invite à être attentifs lorsque vous vous déplacez à l'étranger aux moyens de fonctionnement et aux emprises immobilières du réseau français. À ce sujet avez-vous eu des précisions sur les projets de cessions à Londres ?
M. Ladislas Poniatowski. - Lors de son audition devant notre commission, le ministre de l'Europe des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, nous a annoncé la suspension des projets de cessions. Il semble qu'une réflexion soit en cours sur la possibilité de regrouper différentes implantations dispersées dans Londres. La vente de la résidence qui est si symbolique et si bien située dans Londres serait une erreur !
M. Olivier Cadic. - De plus l'un des bâtiments concernés a été reçu par la France par le biais d'une succession d'une personne privée. Il serait mal venu de le vendre. Pourtant des travaux sont nécessaires notamment pour améliorer son accessibilité.
Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Action extérieure de l'Etat » - Programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » - Examen du rapport pour avis
M. Robert del Picchia. - Les crédits du programme 185, « diplomatie culturelle et d'influence » s'élèvent à 718 millions d'euros, au sein d'une mission « Action extérieure de l'État » qui représente, au total, un peu plus de trois milliards d'euros.
Les crédits de ce programme progressent de 0,3 %, après un recul important pendant deux ans d'affilée. Ce recul avait été dénoncé avec vigueur l'an dernier, par nos collègues Jacques Legendre et Gaëtan Gorce, co-rapporteurs du programme.
La stabilisation des crédits du programme en 2018 est donc notable, c'est une bonne nouvelle, dans le contexte budgétaire actuel. Mais, dans le détail, nous verrons que la situation est très nuancée.
La dotation de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) s'élève à 399 millions d'euros, en augmentation de + 0,5 %. Mais, vous le savez, cette légère augmentation masque une annulation de crédits d'un montant de 33 millions d'euros, en cours d'exercice 2017. Cette annulation, rappelons-le, est intervenue dans le cadre plus large des mesures d'économie prises par le gouvernement en juillet pour maintenir le déficit budgétaire en dessous de 3 %. Ces mesures ont porté, au total, sur 4,5 milliards d'euros.
Concernant l'AEFE, la mesure correspond à 9 % de la dotation de l'agence, hors crédits de sécurisation du réseau. Pour y faire face, l'agence joue sur sa trésorerie au détriment des établissements. Elle a, par ailleurs, décidé d'augmenter le taux de la participation financière complémentaire que lui versent les établissements sur les frais de scolarité. Ce taux passera de 6 % à 9 % l'an prochain, avec la promesse de redescendre à 7,5 % en 2019. Nous devrons suivre de très près l'évolution de ce taux au cours des prochaines années.
Pour les établissements disposant de peu de réserves, la diminution des subventions de l'État signifie une augmentation des frais de scolarité. Or ceux-ci ont déjà augmenté régulièrement depuis dix ans, l'État ayant déjà puisé dans les réserves constituées par les parents d'élèves.
Le risque de remise en cause, à terme, du modèle de l'enseignement français à l'étranger est réel.
Nous estimons donc, d'une part, que le ministère doit s'efforcer de trouver des solutions de lissage dans le temps des conséquences de l'annulation de crédits pour les établissements, qui sont d'autant plus en difficulté que leurs réserves ont déjà, par le passé, été ponctionnées. D'autre part, pour l'avenir, les crédits de l'enseignement français à l'étranger doivent être sanctuarisés, et ne plus constituer un outil de régulation budgétaire. Compte tenu de la structure du programme 185, dans lequel l'AEFE représente 55 % des crédits et où la plupart des autres lignes du programme sont engagées en début d'année par des délégations faites aux postes ou pour les bourses, il serait un peu facile de faire systématiquement porter l'effort sur les crédits encore disponibles de l'AEFE. Cette pratique doit cesser.
Enfin, une réflexion de fond doit être engagée sur l'avenir de l'AEFE, son développement et son financement, afin de préserver le modèle de l'enseignement français à l'étranger, qui est le fleuron de notre diplomatie d'influence.
Les crédits de l'action culturelle extérieure diminuent de 1,6 % avec des évolutions contrastées. En effet, les crédits de l'Institut français sont stables, tandis que ceux du réseau continuent à diminuer.
Les moyens de l'Institut français, qui avaient baissé de 25 % depuis sa création en 2011, sont, pour la première fois, en légère augmentation. L'État semble ainsi marquer sa volonté de continuer à s'appuyer sur cet opérateur pivot de l'action culturelle extérieure. La subvention de l'Institut français s'élève à 29 millions d'euros, auxquels il faut ajouter une petite dotation, très insuffisante, du ministère de la culture, d'un montant de 1,4 million d'euros.
Toutefois, depuis l'échec du rattachement du réseau culturel à l'Institut français, la question de la place et du rôle de cet opérateur n'est pas totalement résolue.
Le Président de la République a indiqué, lors de la semaine des ambassadeurs, qu'il souhaitait mener à bien un rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française. Celle-ci est elle-même en très grande difficulté financière et peu soutenue par l'État. La subvention à la Fondation Alliance française a diminué de près de 20 % depuis 2013. La somme totale des subventions aux alliances françaises s'élève pour 2018 à 7,8 millions d'euros, en baisse de 11 %, auxquels il faut ajouter environ 30 millions d'euros correspondant à 280 agents mis à disposition, pour 813 alliances françaises.
Le rapprochement Institut-Fondation est souhaitable, s'il est l'occasion d'impulser une nouvelle dynamique, et non pas un moyen de gérer la pénurie de ressources. Nous aurons un débat en séance publique le 21 novembre sur l'avenir de l'Institut français, qui permettra de faire un point sur ces questions.
Enfin, s'agissant des crédits de la culture, les moyens d'intervention du réseau continuent de diminuer. Ils subissent un rabot de 5,2 %, toutes actions confondues. Le réseau fait preuve d'inventivité, pour trouver des ressources propres de plus en plus diversifiées. Mais il est menacé par une incertitude juridique, puisque le statut d'autonomie des établissements du réseau, indispensable à leur fonctionnement, n'est pas conforme aux principes de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Ce problème demeure non résolu.
La situation de l'AEFE est préoccupante, en raison des mesures d'annulation de crédits prises au cours de l'exercice 2017. Ce budget pour 2018 est néanmoins le premier depuis longtemps dans lequel les crédits de l'Institut français, et ceux de l'attractivité de l'enseignement supérieur et de la recherche, sont stabilisés. C'est pourquoi, malgré mes réserves personnelles, s'agissant notamment du budget de l'AEFE, mon avis pour la commission sur l'ensemble de la mission est néanmoins favorable.
M. André Vallini. - Depuis l'élargissement des compétences du ministère des affaires étrangères au commerce extérieur et au tourisme, le programme 185 comporte des objectifs de diplomatie économique. En dehors des crédits du tourisme, ces objectifs ne correspondent toutefois pas à des crédits budgétaires du programme 185.
La diplomatie économique est en effet portée, d'une part, par l'ensemble du réseau diplomatique, et, d'autre part, par les services du ministère de l'économie et des finances à l'étranger. L'opérateur Business France en est aussi un acteur important, placé sous une triple tutelle (Affaires étrangères, Économie et Finances, Cohésion des territoires).
Une mission a été confiée à M. Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, sur la politique d'encouragement aux exportations et les évolutions possibles de l'agence Business France.
Nous suivrons avec attention les suites de cette mission - peut-être pourrions-nous d'ailleurs, Monsieur le président, auditionner Christophe Lecourtier à l'issue de sa mission ?
M. Christian Cambon. - C'est prévu.
M. André Vallini. - À notre sens, trois champs d'action sont prioritaires :
- l'amélioration de la lisibilité et de l'accessibilité des dispositifs pour les PME, qui sont insuffisamment informées de ce qu'elles pourraient faire à l'international ;
- la rénovation des outils financiers de soutien à l'export ;
- et l'implication des territoires, en particulier des régions, indispensables au succès des actions menées.
S'agissant de la promotion du tourisme, la subvention de l'agence Atout France, d'un montant de 33 millions d'euros, diminue de 1,2 %. Le secteur touristique a connu un repli en 2016. Or ce secteur est crucial pour notre économie : il représente 8 % du PIB, 2 millions d'emplois et 40 milliards d'euros de recettes annuelles.
Plusieurs plans de relance ont été mis en oeuvre, dont deux comités d'urgence pour le tourisme en 2016, qui ont permis de dégager 10 millions d'euros. La situation s'améliore en 2017. Les Japonais reviennent en France, de même sur les Chinois et les Américains.
Atout France bénéficie par ailleurs de produits des recettes additionnelles des droits de visa. Ce mécanisme n'a pas pu jouer en 2017, en raison des difficultés du secteur, mais il devrait rapporter 4,6 millions d'euros en 2018.
Un Conseil interministériel a dévoilé la feuille de route du gouvernement pour le tourisme en juillet dernier. Ce plan nécessitera des financements importants pour son volet « investissement ».
En tout état de cause, l'État devra mettre de l'argent sur la table pour attirer des cofinancements supplémentaires des régions et du secteur privé.
Une réflexion est en cours concernant les plateformes internet, telles que Tripadvisor, Booking ou Air BnB, dont certaines seraient prêtes à contribuer à la promotion du tourisme, mais à condition de ne pas être immatriculées en France comme opérateur de tourisme. Par ailleurs, les sociétés d'autoroutes, dont les bénéfices s'élèvent à près de deux milliards d'euros, devraient être incitées à contribuer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Elles doivent être mobilisées.
Une clarification du financement de la politique du tourisme est plus que jamais nécessaire. Une mission a été constituée sur ce sujet par le gouvernement, qui remettra prochainement ses conclusions, peut-être pourrons-nous là aussi en débattre au sein de notre commission.
Les crédits accordés aux bourses étudiantes sont stables, et la subvention à Campus France augmente de 0,7 %. Cette stabilisation est toutefois tardive. Le nombre d'étudiants boursiers du gouvernement français a baissé de 24 % entre 2010 et 2016, tandis que le montant total des bourses diminuait de 30 %. La France a récemment reculé d'une place dans le classement des pays d'accueil de la mobilité étudiante internationale.
À titre de comparaison, les programmes de bourses à l'intention d'étudiants étrangers représentent en France 65 millions d'euros, tandis que l'organisme allemand en charge de la mobilité étudiante, le DAAD, consacre 191 millions d'euros à la mobilité entrante, soit trois fois plus.
Les Allemands, soit dit en passant, ne paient pas le coût des OPEX et je ne comprends pas que ce coût ne soit pas sorti du budget français, au regard des normes européennes de déficit budgétaire.
Les crédits de la diplomatie scientifique sont en forte augmentation (+ 21 %). Pourtant, les instruments traditionnels de la diplomatie scientifique reculent, qu'il s'agisse des dotations pour opérations au réseau ou des programmes d'échanges scientifiques destinés à faciliter la mobilité des jeunes chercheurs.
La hausse des crédits de la diplomatie scientifique s'explique en fait par l'imputation sur cette enveloppe de la contribution du Quai d'Orsay à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit. Cette fondation a été créée fin 2016 avec l'objectif de réunir 100 millions de dollars d'ici à 2019. Le ministère contribue à la constitution de ce fonds à hauteur de 6,5 millions d'euros en 2018. Deux opérations pilotes ont été lancées en Irak et au Mali.
Je terminerai en évoquant l'invitation récente, lancée par le président de la République à l'intention des chercheurs, enseignants, étudiants, ONG et entrepreneurs américains, à la suite de la sortie des États-Unis de l'accord de Paris.
Les premiers retours sont très positifs. 1 822 candidats étudiants ou chercheurs ont fait parvenir à Campus France un projet détaillé. Deux tiers de ces candidats sont américains, dont 100 proviennent d'universités prestigieuses.
Ce programme sera financé par le 3e programme d'investissements d'avenir (PIA3), à hauteur de 30 millions d'euros, selon le principe « 1 euro de moyens additionnels pour 1 euro dépensé par les établissements ». Les établissements doivent donc trouver 30 millions d'euros, et ouvrir à des chercheurs étrangers des postes très concurrentiels. Pour ces établissements, les difficultés sont loin d'être levées. L'Allemagne a lancé un programme similaire.
Les incertitudes sont très fortes sur ce budget, s'agissant notamment du budget de l'AEFE. Les moyens de la diplomatie culturelle sont globalement insuffisants. C'est pourquoi j'émets un avis négatif sur ce programme.
M. Ronan Le Gleut. - Je voterai contre ce budget. L'annulation de crédits subie par l'AEFE entraîne une augmentation du taux de la participation financière des établissements, qui passe de 6 % à 9 %. C'est une catastrophe dont on ne mesure pas toute l'amplitude. Nous recevons tous les jours des alertes d'établissements, par exemple de Lomé, Manille ou Hong Kong. Le lycée français de Zurich, aujourd'hui conventionné, débat d'un éventuel dé-conventionnement. Nous allons perdre des établissements du fait de cette décision.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je voterai également contre ce budget. Au-delà des 33 millions d'euros de crédits annulés, il y a aussi suppression de 500 postes sur trois ans dont 80 postes d'expatriés et 100 postes de résidents en 2018, ce qui aura aussi une incidence immédiate sur les frais de scolarité. Les familles sont inquiètes car elles n'ont aucune visibilité sur l'évolution de ces frais. Le maintien de la qualité de l'enseignement est également en question.
Une éventuelle réforme de l'AEFE devrait être fondée sur une concertation nationale. Les élèves français représentent un tiers des effectifs. Il faut avoir une vision globale de ce qu'est la mission de l'agence. Il y a à ce sujet un excellent rapport parlementaire, celui de Mme Claudine Lepage et de M. Philip Cordery. Nous ne partons pas de rien dans cette réflexion sur le modèle de l'agence, qu'il faut envisager au-delà de notre tropisme franco-français.
M. Christian Cambon. - Je précise qu'en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), nous voterons sur la totalité de la mission « Action extérieure de l'Etat », et non sur chaque programme.
M. Olivier Cadic. - Nous ne disposons pas de comparatif avec les systèmes éducatifs concurrents. Les Américains, les Britanniques ne mettent pas d'argent public sur des dispositifs comparables. Nous dépensons un demi-milliard d'euros pour l'enseignement français à l'étranger, ce qui correspond à un tiers du coût de cet enseignement. Cela a-t-il un sens, pour le contribuable, de financer un tiers du coût de scolarité des élèves étrangers ?
Les enfants français à l'étranger n'ont pas toujours accès à notre langue. Seuls 25 % d'entre eux sont scolarisés dans le réseau. Les deux tiers des enfants français en Amérique latine ne parlent pas français. Ne devrions-nous pas nous fixer l'objectif que tous les enfants français à l'étranger puissent parler français ? Avec le même budget, nous pourrions proposer un chèque-éducation fléché pour que chacun de ces enfants puisse apprendre le français, avec un contrôle régulier grâce au passage du DELF (diplôme d'études en langue française).
Nous pourrions faire d'une pierre trois coups en offrant ainsi un soutien à tous les enfants français à l'étranger, en reconfigurant le réseau pour lui permettre de se développer plus rapidement et en augmentant les moyens des alliances françaises et des instituts français.
C'est pourquoi je partage la suggestion du rapporteur qu'une réflexion de fond soit engagée sur l'avenir de l'AEFE et, au-delà, du financement de ce réseau.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - La diminution globale des moyens est très alarmante. Les instituts français font un travail considérable pour l'enseignement du français à nos compatriotes et aux étrangers. Or leurs budgets sont très réduits. C'est l'image de la France qui en pâtit.
Les frais de scolarité des établissements d'enseignement français à l'étranger sont parfois prohibitifs, jusqu'à 7 000 euros par an, avec des cautions non remboursables de montants très élevés, auxquelles s'ajoutent des frais de transport et des frais annexes. L'image de la France est mise sur la sellette. Je crains que nous ne perdions notre notoriété à l'étranger.
M. Alain Cazabonne. - L'un des rapporteurs a évoqué l'impossibilité de retirer le coût des OPEX du calcul du déficit budgétaire de la France. Vingt-trois pays de l'Union européenne ont récemment décidé de s'engager dans une coopération structurée permanente dans le domaine de la défense. Ne pourrait-on pas leur demander une contribution financière ?
M. Robert del Picchia. - Je suis, moi aussi, opposé à l'évolution du budget de l'AEFE. C'est l'aspect négatif de ce budget. Mais je voterai positivement sur l'ensemble de la mission, afin de donner un signe d'encouragement.
Il faut actualiser le rapport de Mme Claudine Lepage et de M. Philip Cordery. Je propose une réflexion globale sur le financement, le développement et les objectifs de l'AEFE. Ne faudrait-il pas essayer, par exemple, d'obtenir des financements, ou des locaux, de la part des pays d'accueil ?
Les instituts français donnent une excellente image de la France, de même que les alliances françaises, qui enseignent le français à un nombre très importants d'étrangers, par exemple en Amérique du sud, en particulier au Mexique.
M. André Vallini. - Les instituts français font en effet un travail remarquable. Le rapprochement préconisé par le président de la République, lors de la semaine des ambassadeurs, entre l'Institut français et la Fondation alliance française, est souhaitable. Ce type de rapprochement suscite toujours des résistances. Rappelons-nous de l'épisode du rapprochement souhaité entre l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Cette initiative va dans le bon sens mais sa réalisation prendra du temps. Il faut créer une synergie entre les deux entités et éviter les concurrences stériles et coûteuses. En caricaturant quelque peu, les alliances françaises pourraient se concentrer sur l'enseignement du français et les instituts sur la diffusion culturelle. Nous aurons l'occasion d'en débattre en séance publique le 21 novembre.
Oui, l'Europe de la défense doit permettre d'alléger le fardeau français en matière militaire, mais elle avance lentement.
M. Christian Cambon. - Un débat sur l'avenir de l'Institut français aura en effet lieu en séance publique le 21 novembre prochain, à notre demande, conjointe avec celle de la commission de la culture.
Nous allons maintenant procéder à un vote unique sur les trois programmes de la mission « Action extérieure de l'État ».
La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » (26 voix pour, 13 contre et 2 abstentions).
Contrat d'objectifs et de moyens 2017-2020 de Campus France - Communication et examen de l'avis
M. Christian Cambon, président. - La commission a été saisie le 17 octobre 2017 du contrat d'objectifs et de moyens de Campus France, sur lequel nous devons nous prononcer avant le 28 novembre, en application de la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État.
M. Robert del Picchia, co-rapporteur. - Je commencerai par rappeler les missions de Campus France, établissement public industriel et commercial, sous la double tutelle des ministères respectivement en charge des affaires étrangères et de l'enseignement supérieur et la recherche.
Campus France est chargé depuis 2012 de la gestion des bourses de mobilité, de l'accueil des étudiants étrangers et de la valorisation et la promotion à l'étranger de l'enseignement supérieur français.
À la différence de son homologue allemand, Campus France ne gère donc que la mobilité entrante sur le territoire, et pas la mobilité sortante, les deux étant pourtant liées, nous y reviendrons.
En 2016, Campus France a géré 31 000 mobilités, dont 22 600 pour le compte du ministère des Affaires étrangères, en baisse de 4 %, et 4 700 pour le compte de partenaires étrangers, en hausse de 5 %.
Le nombre de boursiers du gouvernement français était de 11 800. 21 % de ces boursiers viennent d'Asie et autant d'Afrique (hors Maghreb), 20 % d'Europe, 15 % du Maghreb, 14 % du Moyen-Orient et seulement 8 % d'Amérique.
S'agissant de la promotion de l'enseignement supérieur français à l'international, Campus France a organisé 51 événements en 2016, avec un accent particulier mis sur l'Asie et les Amériques.
L'opérateur contribue à l'animation du réseau des Espaces Campus France, qui n'ont toutefois pas de lien hiérarchique avec lui. Ces Espaces sont au nombre de 252 dans 122 pays, où ils constituent une composante à part entière du réseau culturel des ambassades.
Les recettes issues de la procédure dite « Études en France », de transmission des dossiers vers les établissements, sont intégralement reversées aux établissements à autonomie financière, et non à Campus France.
Le budget de l'opérateur s'élève, en 2017, à 26 millions d'euros, dont 3,8 millions d'euros de subvention du ministère des affaires étrangères et 1,8 million d'euros de subvention du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. 11,2 millions d'euros de ressources propres correspondent, pour l'essentiel, à des frais de gestion prélevés sur les enveloppes de bourses.
Quels sont les enjeux auxquels Campus France est aujourd'hui confronté ?
Alors que la mobilité internationale a augmenté de 46 % entre 2009 et 2016, la France n'a accueilli que 13 % d'étudiants étrangers supplémentaires. Nous perdons donc des parts de marché.
En 2014, avec 235 000 étudiants internationaux, la France a reculé du 3e au 4e rang des pays d'accueil des étudiants en mobilité, après les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. Elle reste le premier pays non anglophone, mais talonnée de près par la Russie et l'Allemagne, qui devraient, sauf coup de théâtre, passer devant nous.
Les chiffres révèlent que l'accueil d'étudiants étrangers est conçu par plusieurs pays émergents comme une composante essentielle de leur politique d'influence régionale ou mondiale.
Ainsi, entre 2010 et 2015, les effectifs d'étudiants internationaux ont augmenté de 75 % en Russie, de 72 % en Chine, de 172 % en Arabie saoudite et de 179 % en Turquie.
Parmi les pays qui ont beaucoup progressé (+ 208 %), je mentionnerai aussi les Pays-Bas, car leur ascension dans le classement résulte de la diffusion très large de la langue anglaise dans leur système d'enseignement supérieur où 60 % des cours sont dispensés en anglais. Faut-il accepter de telles concessions à l'usage du français pour être plus attractif ? C'est une question que l'on peut se poser.
En Afrique, si la France reste la destination préférée des étudiants, une proportion croissante se tourne vers d'autres destinations : Canada, Italie, Ukraine, Émirats arabes unis et Arabie saoudite, avec notamment le développement de bourses d'études islamiques.
Cette situation est inquiétante.
La situation fragile de la France sur le marché mondial de l'enseignement supérieur et de la recherche est d'autant plus dommageable que l'attractivité de l'enseignement supérieur est un facteur majeur d'influence, les anciens étudiants étant ensuite prescripteurs dans leurs pays d'origines, où ils concourent aux liens économiques avec la France et à la diffusion de nos valeurs.
M. André Vallini, co-rapporteur. - Que propose le contrat d'objectifs et de moyens de Campus France pour répondre à ces enjeux ? Trois objectifs sont assignés à Campus France, s'agissant de la promotion et de la valorisation de l'enseignement supérieur, de son positionnement comme acteur central de la mobilité à l'international, et de l'amélioration de l'efficience de sa gestion. L'accent est mis sur l'amélioration des outils existants, sur le développement de la communication numérique et sur la dématérialisation des procédures, ainsi que sur divers instruments de gestion des ressources humaines et de pilotage de l'établissement.
Ces objectifs et les indicateurs qui leur sont associés, sont bien sûr tout à fait louables. La recherche d'une efficience accrue, l'amélioration des outils existants pour mieux répondre aux besoins, et l'adaptation à l'ère numérique sont bien sûr souhaitables, et de nature à conforter la place de la France dans la concurrence internationale.
Mais ce COM aurait pu être beaucoup plus ambitieux.
Pour cela, encore faudrait-il pouvoir donner une certaine visibilité à Campus France sur ses moyens, ce que ne fait pas le COM, qui mentionne simplement « à titre indicatif » le montant des subventions allouées à Campus France « en PLF 2017 ».
Le texte du COM porte d'ailleurs tantôt sur la période 2017-2020, tantôt sur 2018-2020... ce qui n'aide pas à la lisibilité du document.
Surtout, on aurait pu espérer lire dans ce COM l'expression d'une véritable politique d'attractivité, que le ministère souhaiterait voir Campus France mettre en oeuvre.
Or le COM ne fait aucune mention des objectifs poursuivis par le gouvernement en matière de mobilité et de bourses, qu'il s'agisse de favoriser la mobilité au niveau master et doctorat, de privilégier l'excellence académique, de promouvoir certaines disciplines notamment scientifiques, et d'accueillir davantage d'étudiants issus des pays émergents, en particulier, l'Inde, le Brésil et la Chine. Il nous semble, plus largement, que les échanges avec l'Amérique latine, pourraient être accrus, pour y encourager la francophonie.
Une plus grande synergie avec le réseau AEFE est par ailleurs recherchée, afin d'attirer davantage d'élèves des lycées français vers notre système d'enseignement supérieur. Là encore, on ne trouve rien dans le COM. Or cette synergie doit être accrue. C'est notamment la vocation du programme de bourses « Excellence Major », qui doit être développé.
En juillet 2017, une note commune de Campus France, de la Conférence des présidents d'université (CPU) et de deux Conférences de grandes Écoles, a par ailleurs proposé des mesures pour accroître l'attractivité des établissements français d'enseignement supérieur. Ces orientations sont les suivantes :
- Renforcer les bourses et augmenter les moyens alloués à l'accueil des étudiants et chercheurs ;
- Simplifier les procédures, adapter les formations, simplifier les modalités de séjour des étudiants, notamment l'accès au statut d'étudiant entrepreneur ;
- Organiser une campagne mondiale de communication et un véritable marketing de la destination France, car notre système d'enseignement supérieur et de recherche n'est pas très lisible à l'étranger. Cette orientation aurait dû être reprise dans le COM, à condition de donner à Campus France les moyens nécessaires à une telle campagne.
- Enfin, développer la mobilité sortante des étudiants français, qui est directement liée à la mobilité entrante. Or de fortes inégalités demeurent entre étudiants des universités (qui sont 26 % à connaître une expérience internationale) et étudiants des écoles (qui sont 81 % à faire cette expérience).
Sur ce point, le ministère pourrait par exemple demander à Campus France une concertation accrue avec l'agence « Erasmus plus France ». Plus largement, une réflexion sur le partage des compétences entre ces agences, et avec le Centre National des OEuvres Universitaires et Scolaires (CNOUS), serait nécessaire.
En conclusion, nous ne sommes donc pas défavorables à ce COM. Mais il nous semble qu'il aurait pu être plus ambitieux, et qu'il aurait dû donner à Campus France des perspectives plus claires en termes de moyens. C'est pourquoi notre avis est très réservé. Nous vous proposons donc de faire figurer ces remarques dans un rapport d'information de notre commission, Monsieur le président, que nous enverrons aux deux ministres de tutelle et aux membres du conseil d'administration de Campus France.
M. Olivier Cadic. - Merci pour cette vision d'ensemble des enjeux. La problématique est celle de la compétitivité de notre enseignement supérieur à l'international. Vous avez mentionné l'usage de l'anglais dans les universités aux Pays-Bas. C'est un des facteurs de compétitivité. S'agissant de Campus France, y-a-t-il des études de satisfaction auprès des universités et grandes écoles françaises, sur le fonctionnement de Campus France, qui pourraient comporter des pistes d'amélioration ?
M. Robert del Picchia, co-rapporteur. - L'usage de l'anglais est un facteur important, mais on ne peut pas faire abstraction de la langue française.
S'il y a moins d'étudiants étrangers c'est aussi qu'il y a aussi moins de places disponibles. Communiquer à l'étranger ne suffit pas. Il est nécessaire que l'offre soit suffisante.
La Commission adopte l'avis présenté par les rapporteurs sur le contrat d'objectifs et de moyens 2017-2020 de Campus France et autorise sa publication sous forme d'un rapport d'information.
- Présidence de M. Christian Cambon, président puis Cédric Perrin, vice-président-
Projet de loi de finances pour 2018 - Audition du Général François Lecointre, chef d'état-major des Armées
M. Christian Cambon, président. - Mon Général, soyez le bienvenu devant notre commission, que vous connaissez bien désormais - après, notamment, l'Université d'été de la défense à Toulon, en septembre dernier, et l'audition d'Arnaud Danjean sur la Revue stratégique à laquelle vous avez participé, en octobre dernier. Vous avez servi, avec courage, sur l'ensemble des théâtres d'opérations extérieures où la France est intervenue ces vingt dernières années. Nos armées restent engagées à un très haut niveau, sur les théâtres d'opérations extérieures comme sur le territoire national. Elles sortent d'une décennie d'éreintement. Vous nous direz sans doute quelques mots sur la situation et les enjeux actuels : d'une part, dans la bande sahélo-saharienne et au Levant ; d'autre part, sur le territoire national pour l'opération « Sentinelle », ainsi que dans les opérations assumées par les forces armées aux Antilles, à la suite de l'ouragan Irma. Nos forces armées y ont été, une fois encore, exemplaires. Vous savez que notre commission soutient résolument et ardemment cet engagement des hommes et femmes que vous commandez. Quel est leur moral ? A travers les réseaux et les réactions des familles, il nous semble qu'un malaise demeure. Vous pouvez compter sur notre appui pour accompagner la nécessaire remontée en puissance de nos capacités militaires, comme en témoigne l'amendement au projet de loi de programmation des finances publiques que plusieurs d'entre nous avons fait adopter par le Sénat, la semaine dernière, afin de préserver les marges d'investissement de la défense dans les années qui viennent. Nous avons contesté le jeu de ce fameux article 14 lequel, sous le fallacieux prétexte de la discipline budgétaire, conduisait à ralentir le rythme des programmes et des investissements ; ce qui eût été mortifère pour l'investissement et l'innovation que nos armées attendent. Mon Général, j'aurai quelques questions. Ce budget pour 2018 vous paraît-il de nature à assurer cette remontée en puissance que nous appelons de nos voeux ? Nous retenons des aspects positifs : l'augmentation de 1,8 milliard d'euros par rapport à la prévision initiale pour 2017, ce qui signifie que l'hémorragie est stoppée ; la poursuite des programmes d'équipement, du soutien à l'innovation et des recrutements ; les efforts de protection des soldats et des emprises comme d'amélioration des infrastructures, ainsi que le début d'application du plan « familles et conditions de vie » auquel la nouvelle Ministre des armées a attaché son nom, ce qui est une bonne chose. Mais cette hausse budgétaire s'avère en trompe l'oeil : 200 millions d'euros sont dédiés à un premier « resoclage » - ce qui désigne, en fait, un transfert vers les armées ! - des dépenses d'OPEX ; 420 millions d'euros viennent aggraver le report de charges à la suite de l'annulation de 850 millions euros intervenue en juillet dernier ; enfin, presque tout le reste de l'augmentation financera des mesures arrêtées en 2016 qui n'avaient pas été inscrites dans la loi de programmation militaire (LPM).
En outre, la fin de l'exécution 2017 nous préoccupe beaucoup, puisque 700 millions d'euros de crédits prévus pour 2017 sont encore gelés sur le programme 146 équipement des forces, que ne peut pas utiliser la DGA - la Ministre a annoncé, à Dakar, qu'elle espérait encore une décision en ce sens -et même si les 360 millions d'euros de surcoûts d'opérations seront bel et bien couverts - on peut donc craindre un nouveau report. Au-delà de 2018, c'est l'entrée dans la prochaine LPM qui nous préoccupe. Pour cette LPM en préparation, quelles sont vos attentes pour recréer ce modèle d'armée complète et équilibrée qui s'avère nécessaire pour honorer les engagements décidés par les autorités politiques ? Je vous cède, mon Général, la parole avant de passer aux questions des rapporteurs et de nos autres collègues.
Général François Lecointre, chef d'état-major des armées.- Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, je voudrais vous remercier très sincèrement de m'accueillir individuellement, pour la première fois, au sein de votre commission. Il s'agit d'un rendez-vous majeur qui m'offre le privilège de vous livrer mon appréciation de situation et me permet de répondre à vos interrogations, notamment sur les enjeux budgétaires à venir que vient d'évoquer le Président Cambon.
Cet exercice, classique en cette période, est indispensable ; d'autant plus cette année où nous conduisons, en parallèle, deux chantiers budgétaires majeurs : d'une part, le projet de loi de finances 2018, qui est le dernier de la loi de programmation militaire qui s'achève ; et d'autre part, les travaux de la prochaine LPM dans lesquels nous sommes pleinement engagés avec des rendez-vous importants que nous a fixés le Président de la République pour des premières orientations. Nous devrions ainsi débuter une première série d'échanges avec lui la semaine prochaine.
Pour commencer, permettez-moi, Monsieur le Président, de vous dire toute ma reconnaissance pour votre soutien et celui des membres de votre commission. Mon prédécesseur m'avait en effet indiqué que votre commission était particulièrement attentive au devenir des armées et, ainsi que l'a souligné M. le Président Gérard Larcher qui m'a reçu hier, sachant déployer une hauteur de vue, au-delà des clivages qui peuvent représenter autant de pièges pour les chefs militaires que nous sommes. Seul l'intérêt supérieur de la Nation nous préoccupe.
Il y a deux semaines, vous avez souligné, pour la déplorer, « la contradiction manifeste entre l'aggravation de la menace décrite par la revue stratégique et l'état de nos armées fragilisées par une décennie d'éreintement et de sous-investissement ». Je l'avais moi-même évoquée à l'occasion des universités d'été de la Défense. C'est une réalité que je déplore avec vous. Le Président de la République a décidé de corriger cet effet de cisaillement, induit par l'augmentation des engagements et l'éreintement des moyens militaires, par une inflexion budgétaire majeure. A condition d'être rigoureux dans la préparation et le suivi de la trajectoire qui doit refléter cette ambition, j'ai la conviction que nos armées sortiront consolidées de ce processus, avec une place confortée, au coeur de la Nation. C'est devenu absolument indispensable et, à bien des égards, urgent.
J'articulerai mon propos en trois parties. Dans un premier temps, je vous rappellerai le cadre de notre action et vous exposerai, dans ses grandes lignes, mon analyse du contexte sécuritaire. J'aborderai, ensuite, le PLF 2018 et la LPM en cours de préparation. Et, pour terminer, j'évoquerai rapidement quelques points d'attention pour revenir, au cours de nos échanges, au fond de ces sujets.
Mon analyse du cadre sécuritaire général se fonde sur les termes de la préface de la revue stratégique signée par le Président de la République selon lequel : « nous sommes entrés dans une ère de grandes turbulences ». Pour quelqu'un de ma génération, entré sous les drapeaux alors que nous sortions de l'extrême stabilité de la Guerre froide et que nous pensions entrer dans l'ère bénie de la fin de la guerre, ce constat est lourd de sens. La réalité, c'est que l'accumulation et le rapprochement des menaces traduisent un affaiblissement du système international et l'émergence de nouveaux acteurs. Les contours du monde, que nous pensions avoir figés dans une organisation apaisée, régulée par les normes et les instances de coopération multinationale à la fin de la guerre froide, sont remis en cause. La violence apparaît pour ce qu'elle n'a jamais cessé d'être et s'avère consubstantielle à la nature humaine et à la marche du monde. Elle est à nouveau envisagée, par de nombreux acteurs internationaux, comme recours normal dans les relations internationales. De même, le rééquilibrage espéré de la prospérité n'a pas eu lieu. Une large partie du monde - pour l'essentiel le continent africain - est restée en marge de ce rééquilibrage. Les causes sont connues de ce maintien dans la pauvreté du continent africain : explosion démographique, tensions hydriques et climatiques, pression foncière, corruption, clientélisme politique, confiscation du pouvoir. Leur cumul favorise l'instabilité et l'insécurité. En procède une pression migratoire qui s'exerce avec toujours plus de force, en particulier sur le continent européen.
Aujourd'hui, je considère que le traitement de ces facteurs de déstabilisation n'est pas à la hauteur de la gravité du mal, ni à la mesure des enjeux auxquels nous sommes confrontés. A l'avant-garde des nations européennes, la France - en raison de son histoire, de son rang, des liens qui la lient au continent africain - doit, plus que jamais, faire comprendre à ses partenaires la nécessité de s'engager dans cette mission essentielle de stabilisation et de développement de l'Afrique.
A ces phénomènes, vient se rajouter l'explosion du fait terroriste ; forme d'expression la plus extrême d'un islam radical qui n'arrive pas s'adapter à l'évolution de nos sociétés modernes. Je ne vois pas comment nous pourrions échapper à la pérennisation de ce phénomène, dans les décennies qui viennent. Pour s'opposer à ces logiques qui représentent une menace pour la sécurité et la stabilité, la meilleure réponse est celle de la force ; la force, dont nous avons le contrôle, mais qu'il faut assumer. Nous n'avons plus le choix, notamment à cause du durcissement, du resserrement géographique de cette menace, ainsi que de son immédiateté, spatiale et temporelle. Dans ce contexte tourmenté, la France a besoin d'une armée et d'une diplomatie fortes. Tel est clairement le message de la revue stratégique que nous avons présenté avec M. Arnaud Danjean et qui fixe le cadre stratégique de la prochaine LPM. Je retiens simplement que la conservation de notre autonomie stratégique s'impose comme un objectif prioritaire de notre politique de défense. Cette autonomie stratégique n'est nullement exclusive de la coopération avec nos alliés européens, mais je considère qu'on ne parvient à susciter des coalitions qu'à la condition d'être soi-même fort et attractif. Cette belle ambition se décline en différentes aptitudes qui toutes concourent à la complétude et à l'équilibre de notre modèle d'armée ; ces aptitudes se déclinant, à leur tour, en capacités sur toute la largeur du spectre et au standard de performance le plus élevé. Vous l'avez dit, Monsieur le Président, il faut bien mesurer que certaines capacités ont cruellement souffert du régime imposé par les deux précédentes LPM, que je qualifie de « LPM de survie ». Nous avons aujourd'hui des lacunes capacitaires et il nous faut recréer un modèle capacitaire complet qui garantisse notre autonomie stratégique. Nous avons accepté certains dysfonctionnements importants qui compliquent singulièrement l'engagement de nos armées - qui demeure à un niveau élevé - et que cette LPM doit être en mesure de combler.
L'engagement des armées passe, d'abord, par la dissuasion nucléaire. Clé de voûte de la stratégie de défense, strictement défensive, strictement suffisante, la dissuasion est la garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance nationale. Globale, elle s'appuie sur deux composantes, océanique et aéroportée, qui sont complémentaires, indissociables et non hiérarchisées. La crédibilité de la dissuasion repose sur une volonté politique assumée et incarnée par le Président de la République ; elle repose également sur une doctrine claire et affichée ; elle se fonde enfin - ce point relevant de ma responsabilité de chef d'état-major des armées- sur la permanence de sa mise en oeuvre dans le temps long et le respect des postures qui la garantissent. A ce titre, nous sommes engagés dans un long processus de renouvellement des composantes.
L'engagement des armées passe également par les deux postures permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime, ainsi que par la posture de protection terrestre qui a été renforcée à mesure que la menace sur notre territoire, en métropole et outre-mer, s'est faite plus pressante et plus directe. J'ai tenu à rappeler ces éléments, qui peuvent vous paraître évidents, afin d'éviter de focaliser le débat sur l'engagement de nos armées sur les théâtres d'opération extérieures qui ne sont nullement exclusifs du reste. Réduire ou ne penser l'engagement des armées que sur un mode contractuel et sur les engagements extérieurs que nous conduisons ou que nous allons conduire est réducteur et dangereux. L'exercice, auquel je me prépare avec la Ministre des armées, de présentation au Président de la République d'un modèle d'armée projeté à l'horizon de 2030 passera par le rappel liminaire que toute une partie du socle de nos capacités contribue de manière directe à l'ensemble de ces missions permanentes que je viens d'évoquer.
Les armées sont, aujourd'hui, engagées en opérations extérieures et intérieures. Je ne vais faire que les évoquer. En ce qui concerne le Sahel, l'opération Barkhane est actuellement dans une phase importante d'appui à la montée en puissance de la force conjointe « G5 Sahel », qui est engagée dans un premier effort à la frontière du Niger, du Mali et du Burkina-Faso. Il y a urgence à consolider à la fois les forces conjointes du G5 Sahel, la Minusma et particulièrement les forces armées maliennes, dans l'ensemble de ces secteurs.
Au Levant, la situation évolue de plus en plus rapidement, comme en témoigneront la chute de Raqqa et, surtout, l'effondrement de Daesh. Toutefois, la disparition de Daesh, en tant que proto-Etat avec des limites territoriales identifiées, n'emporte aucunement la disparition de la menace terroriste islamiste, contre lequel il va falloir continuer à lutter pour une partie sur les territoires de Syrie et d'Irak. En effet, à mesure que disparaissent les conditions d'un conflit dissymétrique avec des lignes de front identifiées se développent des risques de harcèlement et d'affrontement avec des troupes qui entrent en clandestinité et qui changent de mode de combat. S'y adapter n'est pas simple et implique, en retour, que nous modifiions nos propres modes opératoires. En outre, la disparition de Daesh au Levant implique la dissémination de ses troupes dans d'autres réseaux et territoires, sans doute plus proches encore de nos propres frontières.
S'agissant, enfin, du territoire national, il convient de mentionner l'opération de secours des populations aux Antilles. L'effectif engagé a atteint 1.600 hommes. Il s'agit, là encore, d'une illustration de la capacité exceptionnelle de nos armées à réagir rapidement, en urgence et en complément des moyens interministériels et internationaux. Cette capacité, qui est au coeur de la spécificité militaire, est un élément indispensable au fonctionnement de notre Nation.
Pour ce qui concerne l'opération Sentinelle, vous savez que nous sommes en train de renouveler notre mode d'engagement, en relation étroite avec le ministère de l'Intérieur. Nous avons, à ce stade, un rendez-vous fixé avec le Président de la République à l'issue des fêtes de fin d'année, afin d'évaluer notre capacité à nous adapter au poids des circonstances. Afin que nos armées puissent conserver, sur chacun de ces fronts, un même niveau d'efficacité opérationnelle, nous devons leur garantir qu'elles disposeront des moyens nécessaires et suffisants.
J'en viens à ma deuxième partie relative aux questions budgétaires auxquelles vous êtes particulièrement attentifs. Le budget 2018 va être porté à 34,2 milliards d'euros de crédits budgétaires, soit une augmentation de 1,8 milliard d'euros par rapport à 2017. Cette progression doit être saluée. Mais avant d'aborder plus en détail le PLF 2018, je souhaiterais aborder trois éléments relatifs à la fin de gestion 2017.
Tout d'abord, l'annulation de 850 millions d'euros de crédits décidée au mois de juillet dernier. Cette annulation va se traduire mécaniquement par des mesures de décalage d'opérations d'armement, sur un ou deux ans, et, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, une augmentation du report de charges. Je pourrai, si vous le souhaitez, illustrer ces décalages par quelques exemples. Je peux vous garantir qu'avec la Ministre, nous avons pris le plus grand soin pour que ces décalages n'aient pas d'impact sur la conduite des opérations actuelles, ni sur la sécurité de nos soldats.
Le second élément porte sur les reports de crédits. Vous le savez, 700 millions d'euros de crédits budgétaires gelés en 2016, ont été reportés sur 2017 et sont toujours gelés. La consommation de ces crédits, le plus rapidement possible, est indispensable à la réalisation des équipements programmés et à une entrée réussie dans la nouvelle LPM, qui débutera à partir de 2019 et se terminera, je l'espère, en 2025.
Le troisième point est relatif aux surcoûts OPEX. Certes, que les 360 millions d'euros restant à couvrir soient intégralement pris en charge par le collectif budgétaire de cette fin d'année, comme l'a annoncé la Ministre, est une bonne chose. Une partie du Titre II sera ainsi pris sur le Titre II non consommé du Ministère des armées ; le reste étant comblé par la solidarité interministérielle. Pour autant, si je comprends la nécessité de trouver un bon niveau de soclage des OPEX qui soit plus sincère que ne l'était celui de la LPM actuelle, je considère qu'il est extrêmement important que nous conservions un mécanisme de recours à la solidarité gouvernementale, en fin d'exécution annuelle. Pour moi, ce partage du fardeau des engagements, par nature difficiles à prévoir entièrement et à programmer précisément, est important. Le fonctionnement du ministère n'est ni ordinaire ni normal. Comme je l'ai rappelé devant les députés, nous ne sommes pas les armées du Ministère, mais de la Nation. Les armées sont ainsi engagées à l'extérieur sur décision du Président de la République et avec la validation du Parlement, mode d'expression de la volonté nationale en matière d'engagement opérationnel.
J'en viens à présent au PLF 2018 qui consacre les trois priorités rappelées par la Ministre des Armées. La première priorité consiste à soutenir l'engagement de nos forces et leur préparation opérationnelle. En la matière, le PLF prévoit une hausse de la ressource, de l'ordre de 13%, avec un effort particulier au profit de l'entretien programmé des matériels. La deuxième priorité fixée par la Ministre est la modernisation de nos équipements et l'amélioration des conditions de vie. Elle se traduit par la poursuite de la livraison prévue de matériels majeurs et un effort très important concernant l'infrastructure, après des années de sous-dotations. Comme nous l'avons rappelé, en période d'éreintement, il est malheureusement plus facile d'exercer une pression sur les flux que sur des objets de programmation comme les équipements majeurs. La troisième et dernière priorité concerne la cyberdéfense, le renseignement et la protection des forces. Le PLF prévoit une hausse de 20 % des crédits consacrés aux trois services de renseignement. Il est également prévu de consolider la cyber-protection des systèmes d'information et des réseaux. Sous réserve des questions relatives à la baisse du report de charges et au plafonnement du « reste à payer » - sur lesquelles je reviendrai dans un instant -, je considère que le PLF 2018 crée les conditions d'une entrée réussie dans la prochaine LPM. Concernant cette dernière, je voudrais également faire quelques remarques sur les enjeux, dont le premier me paraît être la restauration. Après deux LPM de survie, cette prochaine LPM et la suivante seront cruciales. La trajectoire, telle que définie dans la LPFP, entre 2018 et 2022, permet de restaurer ce qui avait été endommagé. En dépit de cette inflexion importante, la soutenabilité complète du modèle et son renforcement nécessitent de la visibilité et de la constance dans l'effort, dans la durée, au-delà de la LPFP et de la LPM.
Le deuxième enjeu concerne la préparation de l'avenir. Cette priorité que je partage avec la ministre des Armées se traduit par l'objectif, à court terme, de consacrer un milliard d'euros aux études amont pour la modernisation des armées et la viabilité de notre BITD, tout en maintenant un équilibre avec le déroulement des programmes en cours. Cet équilibre est un exercice délicat puisqu'il doit s'ajouter nécessairement à la restauration des capacités que je viens d'évoquer. De manière générale, sur la période de la LPM, l'effort de modernisation de nos armées ira croissant.
Il faut toutefois veiller à ce que cette dynamique ne soit pas affectée par certaines dispositions. Il nous faut être attentifs, d'une part, à l'évolution du report de charge. La direction du budget a exprimé la volonté de résorber ce report de charge. Cette diminution ne saurait être envisagée, à court terme, sans remise en cause de la programmation actuelle qui intègre précisément une augmentation de ce report jusqu'en 2019, tandis que la situation a été aggravée par l'annulation de crédits de 850 millions d'euros de l'année en cours. L'enjeu est donc de définir en LPM une trajectoire de résorption du report de charges qui ne contraigne pas trop les dépenses d'équipement de façon à garder les marges de manoeuvre suffisantes. Il nous faut, d'autre part, être attentifs à la problématique de la limitation du « reste à payer » prévu, à ce stade, par le projet de LPFP. Le reste à payer provient de la différence entre les commandes passées par le ministère et les paiements déjà réalisées sur ces commandes. Je comprends que la direction du budget tente, par ce biais, d'avoir une meilleure vision de la gestion des autorisations d'engagement du ministère. Pour autant, l'application stricte de ce reste à payer me semble extrêmement dangereuse et contre-productive, voire très pénalisante, compte tenu de la politique contractuelle du Ministère et de sa structure budgétaire et particulièrement son Titre V.
Au-delà de ces réserves, je salue les efforts consentis par la Nation pour redonner à ses armées les moyens nécessaires. C'est le signe d'une prise de conscience courageuse de la réalité du contexte sécuritaire. C'est aussi une marque de reconnaissance qui nous oblige, nous soldats, vis-à-vis, tout particulièrement, des Représentants de la Nation.
J'achèverai mon propos avec quelques considérations sur la spécificité militaire et sur le moral des hommes et des femmes de nos armées. La spécificité, tout d'abord. Comme vous, j'ai la conviction qu'une grande démocratie comme la nôtre a besoin d'une armée forte, sûre de ses valeurs et sûre de sa singularité ; une singularité qui ne la sépare pas du reste de la Nation mais qui la complète. Le phénomène de banalisation, qui a pu être encouragé, au cours des dernières décennies, par le sentiment d'une menace qui ne serait ni immédiate ni vitale, représente un risque sérieux pour la pérennité de la spécificité militaire. Or, il ne faut jamais perdre de vue qu'à la base de l'efficacité de nos armées il y a des exigences propres qui leur permettent de continuer à fonctionner, de manière autonome, de réagir, sans délai, dans un état de chaos généralisé. Ce sont bien ces règles, ajoutées à la stricte discipline et à la soumission au pouvoir politique, qui fondent la spécificité militaire. Cette dernière se traduit par des modes organisationnels particuliers et par un statut qui précise en particulier, au-delà de la stricte discipline des armées, leur très grande disponibilité. C'est la raison pour laquelle, nous devons être vigilants vis-à-vis de toute disposition qui conduirait à la banalisation de l'état militaire. A cet égard, en écartant les armées du champ des organisations concernées par la transposition de la directive européenne du temps de travail, le Président de la République a signifié, avec force, l'importance de la spécificité militaire ; ce dont je suis très heureux.
Il me semblait important de partir de la spécificité pour aborder la question du moral qui est constitutif de la capacité opérationnelle des armées. C'est là un point essentiel. En effet, puisque les armées sont spécifiques, elles ne sont pas syndiquées. Elles ont un chef qui a le devoir de porter, pour les armées et en leur nom, leur voix, en particulier dans les domaines des conditions d'exercice du métier et des conditions de vie. Ce moral est, par ailleurs, constitutif de la capacité opérationnelle des armées. Au-delà de l'attention qui est la mienne, la Nation doit elle-même porter une attention spécifique au moral de ses armées.
Porté par les opérations, le moral reste cependant fragilisé par des motifs d'insatisfaction liés à la conciliation vie professionnelle - vie privée et aux conditions de travail. S'il est logique qu'existe un décalage entre la vie d'un civil et la vie d'un soldat, ce décalage doit demeurer constant et ne pas augmenter au gré de l'évolution de la société civile. Par ailleurs, les contraintes liées à cet état particulier, doivent être justement compensées et inclure les proches et les familles de ces soldats. En effet, les familles ne peuvent qu'éprouver les contraintes de la vie militaire, tout au long de la carrière de leur conjoint. C'est ainsi que la Ministre des Armées a souhaité répondre à cette situation en demandant l'élaboration d'un plan d'accompagnement des familles et d'amélioration des conditions de vie des militaires. Cette annonce a suscité beaucoup d'espoir à la hauteur de l'enjeu et des ambitions affichées : mieux prendre en compte les absences opérationnelles ; mieux vivre la mobilité ; améliorer les conditions de logement et d'hébergement, notamment pour les soldats, les jeunes cadres et les célibataires géographiques ; ou encore, simplifier les procédures. Ces mesures positives viennent s'inscrire en complément du plan d'amélioration de la condition du personnel (PACP), valorisé à hauteur de 779 millions d'euros sur la période 2015-2019 pour des mesures catégorielles sur deux volets : d'une part, un volet indemnitaire destiné à compenser la suractivité et à mieux fidéliser les compétences critiques ; d'autre part, un volet indiciaire pour une meilleure équité interministérielle. Je souhaite d'ailleurs obtenir l'appui de la Commission pour un maintien de l'attention sur cette équité interministérielle qui est très importante à mes yeux. L'entrée en vigueur du « parcours professionnel carrières rémunérations » (PPCR), qui s'est faite avec un décalage pour les armées qui me paraît illégitime, ne contribuera que partiellement à combler le retard pris sur le reste de la fonction publique. Nous avons le devoir d'aligner le traitement réservé aux militaires et aux fonctionnaires civils.
De manière plus générale, un devoir de vigilance s'impose concernant la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) qui n'est pas encore mûre et n'est donc assortie d'aucun engagement financier clair.
En raison de ces incertitudes, il est à craindre qu'aucun effort particulier ne soit produit sur le volet rémunération. Or l'ambition salariale de la prochaine LPM est doublement importante. D'une part, parce qu'elle conditionne l'attractivité de notre modèle d'armée pour les années qui viennent, dans un contexte d'évolution des compétences critiques et de mutation de la conflictualité emportant un besoin en qualifications rares ; ce qui nous met en situation de concurrence de plus en plus exacerbée avec le secteur privé, dans tous les champs du recrutement. D'autre part, parce qu'il convient d'avoir rééquilibré la rémunération des militaires, comme l'a souligné le dernier rapport du HCECM. Je souhaite qu'un suivi soit mis en oeuvre, avec l'appui de la Représentation nationale, des conclusions tirées de ce rapport annuel remis solennellement au Président de la République et de la Ministre. Il est ainsi important que ce décalage entre fonctionnaires civils et militaires soit compensé, avant que ne débute la réforme des retraites qui suscite l'inquiétude du personnel des armées. La Ministre des armées porte une attention particulière à ces sujets et veille, autant que moi, à ce que la spécificité militaire soit reconnue et préservée.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour conclure, et avant de répondre à vos questions, je crois que nous pouvons nous réjouir de l'impulsion très claire donnée par le Président de la République, dans un contexte sécuritaire secoué par de profonds bouleversements. Sa volonté est manifeste et il l'a souligné à plusieurs reprises : l'effort consenti par la Nation est important dès l'annuité 2018 et il faudra veiller à ce que cet effort soit poursuivi et visible autant que prévisible. Je sais pouvoir compter sur votre soutien sans faille pour l'exigence de cohérence et de visibilité que je conduirai avec vous. Vous pouvez, quant à vous, compter sur ma totale loyauté et sur mon engagement personnel de tous les instants. Je vous remercie.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie, mon Général, de votre présentation et de votre témoignage de confiance à l'endroit de notre commission. Je vous remercie également d'avoir précisé, avec grande clarté, les enjeux et les perspectives d'avenir. Il est vrai que la montée en puissance d'une armée complète implique de se projeter dans un horizon qui est toujours assez long, ne serait-ce qu'en raison des investissements et des innovations qui sont nécessaires. Avant que ne s'engage un débat avec l'ensemble des commissaires présents, je laisse la parole à nos différents rapporteurs.
M. Cédric Perrin, co-rapporteur du programme 146. - J'aurai une première question sur la remontée en puissance qu'autorisent les prévisions actuelles. Pour 2018, la hausse annoncée de 1,8 milliard d'euros semble largement en « trompe-l'oeil » compte tenu d'un premier « resoclage » budgétaire, des surcoûts d'OPEX, de 200 millions d'euros, de l'aggravation de 420 millions d'euros du report de charges lié à l'annulation de 850 millions en juillet dernier, et du financement de mesures décidées en 2016 hors trajectoire LPM, pour près d'un milliard d'euros. Pour 2019, nous sommes également dubitatifs. Certes, une nouvelle hausse est programmée à hauteur de 1,7 milliard d'euros. Mais le « resoclage » des OPEX se poursuivra pour 200 millions d'euros ; le reste des 850 millions annulés en 2017 devra alors être déboursé, soit environ 430 millions ; et les mesures décidées en 2016 mais non inscrites dans la LPM actuelle exigeront encore 1,2 milliard d'euros ! Que restera-t-il concrètement ? Comme je l'ai dit, la semaine dernière, à la ministre des armées, cette situation est d'autant plus préoccupante que, à partir de 2020, les besoins du renouvellement de la composante océanique de la dissuasion deviendront très lourds. Ne risque-t-on pas d'avoir manqué la remontée en puissance des forces conventionnelles, pourtant si nécessaire, que notre commission souhaitait voir arriver entre 2019 et 2020 ? Quelle est, en tant que chef d'état-major des armées, votre analyse de cette situation ?
Vous avez également évoqué la prise en charge interministérielle des surcoûts OPEX 2017 annoncée le matin par la Ministre des armées. Disposez-vous d'une ventilation de cette prise en charge ? Quelle sera la part assumée par le Ministère des armées ?
Enfin, j'évoquerai, dans une dernière question, l'armement des drones. La ministre des armées a précisé devant la commission, la semaine dernière, les annonces qu'elle avait faites à l'occasion de l'Université de la défense de Toulon, en septembre, sur l'armement des drones, sur lequel j'ai réalisé un rapport avec mon collègue, M. Gilbert Roger. Seront donc armables, à l'avenir, non seulement les drones MALE Reaper de l'armée de l'air, mais aussi les Patroller de l'armée de terre. Avez-vous déjà une idée du calendrier de ces opérations ?
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur du programme 146. - Je souhaiterais vous questionner sur deux points précis. D'une part, les OPINT présentent un coût budgétaire conséquent. Rien de comparable à ce qui est prévu pour les OPEX n'a été annoncé par le Gouvernement. Les modalités de financement des OPINT vous paraissent-elles devoir être définies dans la prochaine LPM ? D'autre part, le conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier a mis l'accent sur la coopération dans le domaine des équipements de défense. L'une des annonces majeures a consisté dans le remplacement du Rafale et de l'Eurofighter Typhoon par un nouveau système de combat aérien européen. J'aimerais que vous nous éclairiez sur la coopération franco-allemande, dans le domaine de la défense, que ce soit au niveau opérationnel et en matière d'équipements ?
M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur du programme 178. - Mon Général, pouvez-vous revenir sur ce qui s'est passé à Bruxelles lundi dernier et l'annonce qui y a été faite d'une coopération européenne structurée qui porte sur l'ensemble des aspects de la défense ? C'est là un tournant important, mais nous avons tellement été déçus par le passé ! Par ailleurs, je souhaite vous entendre sur la disponibilité technique opérationnelle, DTO, de 57 % seulement pour certains parcs de l'armée de terre (hélicoptères). Les 450 millions d'euros prévus pour l'entretien programmé du matériel seront-ils suffisants pour relever le défi ? Comment s'assurer que la disponibilité technique opérationnelle atteigne les niveaux permettant à nos armées à la fois de remplir leur contrat opérationnel, mais aussi de s'entraîner et de préparer l'armée de demain ? Les efforts fournis par les armées, et la DGA pour soutenir nos exportations, c'est-à-dire le SOUTEX, ne font-ils pas supporter une charge trop lourde à nos armées dans la reconquête de niveau de DTO satisfaisants ? À ce sujet, j'ai interrogé la Ministre sans avoir de réponse claire sur ce sujet, sur le groupe de travail en oeuvre depuis deux ans sur le financement du SOUTEX. Celui-ci a-t-il abouti ? Les industriels vont-ils mieux prendre en charge ces coûts supportés par nos armées, en intégrant les surcoûts de MCO dus au maintien en service d'équipements vieillissants pour servir en premier les exportations ?
Mme Christine Prunaud, co-rapporteur du programme 178 de la mission défense. - La loi de finances pour 2018 prévoit une augmentation pour le programme 178 pour l'entretien programmé du matériel dont on doit se réjouir mais une fois encore, la préparation opérationnelle de nos militaires semble être le parent pauvre ! La mise en place d'un régime d'entraînement différencié dans l'armée de terre, avec la préparation opérationnelle différenciée (POD) ou dans l'armée de l'air avec la formation modernisée et entraînement différencié des équipements de chasse (FOMEDEC), devait permettre de répondre aux besoins criants de formation et de préparation de nos militaires. Verra-t-on enfin la remontée tant annoncée, tant attendue, des niveaux d'activité opérationnelle vers les objectifs fixés pour garantir la sécurité des hommes et assurer les capacités de l'armée de demain ? Puisque nous parlons de sécurité de nos hommes, peut-elle être optimale avec des services de soutien presque exsangues ? L'arrêt de la déflation des personnels du Service de Santé des armées et du Service du Commissariat général ne vous semble-t-il pas indispensable ?
M. Gilbert Roger, co-rapporteur du programme 212. - Vous pouvez certes compter sur notre soutien sans faille, mais nous demeurons clairvoyants. Nous nous réjouissons de l'annonce des 360 millions d'euros pris sur l'ensemble des budgets pour couvrir les OPEX. Mais nous avons en mémoire le « surgel » de 850 millions d'euros, preuve que la réalité budgétaire est plus complexe qu'elle ne le paraît de prime abord... Sur le nouveau logiciel de versement des soldes, avant que vous ne donniez le feu vert, je rappelle que l'un de vos prédécesseurs nous avait fait part de son regret de n'avoir pas retardé la mise en oeuvre du logiciel Louvois. Etes-vous assuré que son remplaçant va fonctionner ? Nos auditions ont montré que quelque 170 types d'indemnités différentes existaient que le logiciel doit inclure et qui représentent autant de sources d'erreurs potentielles, sans compter le prélèvement à la source !
Nous allons prendre le temps d'un travail approfondi avec vos collaborateurs sur le dispositif sentinelle afin d'envisager son évolution.
M. Michel Boutant, co-rapporteur du programme 144. - Mon Général, dans le programme 144, le budget consacré aux études amont s'avère de 726,8 millions d'euros par an, en moyenne, depuis 2014, en prenant en compte les exécutions passées et les prévisions pour 2017 et 2018. L'effort est ainsi « en ligne » avec l'objectif de 730 millions d'euros fixé par la LPM. Notre commission a appelé à un rehaussement, dans la prochaine LPM, de ce budget moyen annuel, à hauteur d'un milliard d'euros. La ministre des armées nous a indiqué partager cette orientation, ce qui ne peut que nous réjouir. Puisque nous ne pouvons faire face à tout, quelles vous semblent devoir être les priorités à donner au sein de cette enveloppe future ? Je poserai également la question de mon collègue M. Pascal Allizard, qui n'a pu être présent à cette audition. Celle-ci concerne la présence de nos forces à Djibouti. Le programme 144 supporte notamment les crédits destinés à payer la contribution versée au gouvernement de la République de Djibouti, sur le fondement du traité bilatéral de 2011, au titre de l'implantation de forces permanentes françaises. Alors que la Chine dispose aujourd'hui à Djibouti de sa première base militaire à l'étranger, on peut craindre que l'influence française ne décroisse dans cette zone hautement stratégique. Quelle est votre analyse de la situation dans cette région, où nous avons également une autre base, en l'occurrence aux Emirats Arabes Unis ? Quel avenir souhaitez-vous pour les forces françaises à Djibouti - et, plus largement, pour l'ensemble de nos forces pré-positionnées à l'étranger, en particulier dans la programmation militaire en préparation ?
M. Philippe Paul. - Mon Général, le 21 octobre dernier, à l'issue du Conseil européen de défense, le Président de la République a rappelé sa volonté de voir se concrétiser le fonds européen de défense, d'ici la fin de l'année. Ce fonds, qui sera doté annuellement, à compter de janvier 2020, de 1,5 milliard d'euros, a pour but de favoriser la coopération entre pays membres de l'Union dans la recherche, le développement de prototypes et l'acquisition de technologies de défense. Alors que se prépare la prochaine LPM qui portera notamment sur le matériel qui équipera nos armées, il apparaît aujourd'hui que plus de 170 systèmes d'armes sont utilisés par les pays européens, tandis que les États-Unis n'en emploient qu'une trentaine. Il semble donc souhaitable que nos propres politiques et le fonds européen de défense s'articulent au mieux, afin d'éviter les doublons dans les différents programmes et ainsi de parvenir à une plus grande interopérabilité des forces à l'échelle de l'Union européenne, synonyme d'une capacité d'intervention renforcée ainsi que d'économies substantielles qui pourraient aller, selon certains, jusqu'à 30 % des montants annuellement consacrés à la défense. Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. Yannick Vaugrenard. - Mon général, je souhaitais tout d'abord m'associer aux propos tenus par le président de notre commission quant à vos états de service. Nous vous devons, de ce fait-là et du fait de vos responsabilités présentes, à la fois considération et respect. Vous avez évoqué, dans votre intervention, que nous nous trouvions dans une ère de grande turbulence. La cyberdéfense, élément nouveau par rapport aux décades précédentes, est à la fois offensive et défensive. À cet égard, comment se traduit la montée en puissance de la cyberdéfense offensive, à la fois budgétairement et en personnels ? Il est notoire que le maintien des personnels militaires affectés à la cyberdéfense est difficile, puisque les rémunérations sont plus intéressantes dans le secteur civil. Mon deuxième point concerne la réserve militaire qui s'est vue conférer un nouveau rôle dans le cadre de la fonction stratégique de protection. Des moyens supplémentaires ont été alloués depuis plusieurs années. Qu'en est-il pour le projet de loi de finances pour 2018 ? Enfin, nous avons évoqué la dissuasion nucléaire qui est fondamentale. Sommes-nous, selon vous, une grande puissance à part entière, ou une grande puissance moyenne ?
M. Robert del Picchia. - Le financement des OPEX pose problème. J'ai évoqué cette question avec le Président du Bundestag allemand, qui vient de terminer son mandat, M. Norbert Lammert, auquel je reprochais le manque de participation de l'Allemagne à nos opérations extérieures, notamment en Afrique. La question d'un accroissement de l'aide allemande, via le financement d'opérations, pourrait, selon lui, être possible. Ne pourrions-nous pas aller dans cette direction dans notre coopération avec l'Allemagne ?
M. Ronan Le Gleut. - Mon Général, face aux attaques terroristes subies par la France, je souhaiterais vous interroger sur la réserve. Au Louvre, le chef de détachement est un réserviste ; à Orly, le militaire qui neutralise l'agresseur est un réserviste, tout comme lors de l'attaque de Marseille. Les réservistes sont ainsi en première ligne sur le territoire national et c'est la raison pour laquelle le budget des réserves doit être sanctuarisé, voire augmenté. Il apparaît que le titre II qui porte sur les rémunérations des réserves participe au financement d'organismes vis-à-vis desquels les réservistes ne sont pas ayants-droits, comme la caisse nationale militaire de sécurité sociale et d'autres pensions militaires. Quel est votre point de vue sur l'évolution du budget de la réserve qui connaît une montée en puissance ?
M. Ladislas Poniatowski. - Mon général, vous vous réjouissez du budget 2018 pour la défense. Et pourtant, on continue à inscrire une provision OPEX qui va être très loin de la réalité de la dépense qui dépasse, chaque année, le milliard d'euros. Le Sénat, dans un rapport de 2016, avait critiqué cette provision budgétaire volontairement insincère, et que la Cour des comptes a également dénoncée. En tant que chef d'état-major, vous avez certes pudiquement dénoncé une budgétisation des opérations insuffisante. C'est un peu mieux cette année, mais il va encore manquer de l'argent en bout de ligne, et nous le savons dès le vote du budget ! Quand aurons-nous un budget sincère et réaliste concernant ces provisions, comme l'on connaît les besoins qui vont être les vôtres, ne serait-ce que dans les zones chaudes comme le Sahel ?
Mme Gisèle Jourda. - Général, ma question porte sur la réserve militaire. Nous avons présenté un rapport, l'année dernière, avec mon collègue M. Jean-Marie Bockel sur la garde nationale, dans lequel nous avions mis en exergue la nécessaire territorialisation de la réserve militaire. En raison de la désertification militaire durant ces deux dernières décennies, nous ne disposons plus des moyens nécessaires pour faire appel à ces réservistes. Or, suite à la mise en place du portail informatique de la réserve, nous avons pu mesurer l'engouement que celle-ci suscitait au sein de la population, notamment chez les jeunes. Nous avions préconisé la mise en oeuvre de plans de formation destinés à ces jeunes. La formation et l'accompagnement des jeunes réservistes sont-ils toujours d'actualité ?
M. Hugues Saury. - Je souhaiterais aborder avec vous, mon Général, la question de l'innovation au sein de nos armées. Celle-ci diffère de la modernisation et s'avère un enjeu essentiel de notre souveraineté et concourt à notre efficacité. Madame la Ministre a annoncé, ici même, le lancement d'un chantier destiné à soutenir l'innovation, conformément aux préconisations de la revue stratégique. Pouvez-vous nous donner plus de précision sur le contenu de ce chantier de l'innovation et nous préciser les domaines plus spécifiquement concernés ?
Général François Lecointre. - Je vous remercie de vos questions. S'agissant des 1,8 milliard d'euros supplémentaires que vous avez qualifiés d'être en trompe-l'oeil, il est vrai que l'annulation des 850M€ de crédits budgétaires sur l'annuité 2017 s'est traduite, mécaniquement, par une augmentation du report de charges. Par ailleurs, nous ne disposons pas, pour l'heure, d'éléments sur le dégel des reports de crédits de l'année 2016 sur l'année 2017. J'observe toutefois que les mesures décidées par le conseil de défense de 2016 n'étaient pas financées, quand bien même il s'agissait d'accroître notre effort capacitaire. Il serait certes souhaitable d'obtenir plus, mais j'observe que l'effort qui va être marqué en 2018 permettra de faire face au lancement de programmes et au comblement des lacunes capacitaires, tel que cela a été décidé en 2016. Une telle démarche me paraît un début d'effort significatif. Par ailleurs, s'ajouteront ultérieurement les efforts supplémentaires d'1,7 milliard d'euros par an, durant la LPFP qui nous permettront d'assurer la consolidation du modèle et la régénération de son fonctionnement, en marquant un effort sur les infrastructures, l'entretien du matériel et les conditions de vie, tout en accélérant la modernisation de nos forces. N'oublions pas qu'était prévu, avant cet effort marqué collectivement, un nouveau décalage des programmes. Et je ne parle pas de l'incapacité à soutenir les engagements actuels de nos forces armées. S'agissant de la hausse de l'effort en faveur de la dissuasion à partir de 2020, je peux vous confirmer que la maîtrise de la courbe de ressources est aujourd'hui assurée et le renouvellement de notre dissuasion nucléaire se fera comme programmé, sans excéder une part soutenable du budget de la Défense sur la durée de l'exercice. En tout état de cause, le coeur de notre dispositif reste la dissuasion. Il n'est pas acceptable que nous opposions l'effort de dissuasion, qui est central, et celui porté aux forces conventionnelles. Ces deux efforts sont complémentaires et concourent tous deux, de manière différente, à la défense de notre pays.
Les drones seront armés en 2020 ou 2021 ; cette date fluctuant en fonction de la fourniture, par les Américains, de leurs systèmes d'armes. Il leur faut aussi nous fournir les moyens de simulation destinés à la formation des équipages de drones. Nous sommes très dépendants des Américains dans ce domaine.
Le financement des OPINT relève des mêmes modalités de financement que les OPEX et l'ensemble des coûts est bien pris en compte, y compris dans le cadre de la LPM. Je partage l'analyse selon laquelle il serait bénéfique que les surcoûts OPEX soient pris en compte dans leur quasi-totalité. Cela n'est pas le cas actuellement. Ainsi, il importe de socler, le plus rapidement possible, le juste niveau de financement des opérations extérieures. Une progression est prévue, en ce sens, sur toute la durée de la LPFP, pour porter jusqu'à 1,1 milliard d'euros, dans le budget initial, la prise en compte de ces surcoûts OPEX/OPINT. Il me paraît contre-productif d'aller au-delà de ce seuil. Je suis attaché, comme je vous l'ai dit, à la solidarité inter ministérielle car les opérations que nous menons ne sont pas celles du Ministère des Armées mais celles de la Nation. Par ailleurs, le périmètre des surcoûts générés par les opérations extérieures doit être analysé pour que ces surcoûts soient reconnus dans leur totalité. A cet égard, le dernier rapport de la Cour des comptes précise que nous pourrions être plus exigeants, en comptant, par exemple, dans les surcoûts OPEX la régénération des véhicules d'intervention dont l'usure réelle est augmentée, du fait de leur emploi intensif sur les théâtres extérieurs. Au-delà de la mécanique purement arithmétique et budgétaire, il faut donc socler les surcoûts OPEX et OPINT au bon niveau tout en régénérant le modèle à due proportion de l'usure qu'il subit, du fait des engagements opérationnels. La nature de ce que l'on met dans la dépense surcoûts OPEX peut ainsi être révisée, en fonction des préconisations de la Cour des comptes.
S'agissant de la coopération européenne et de l'avion de combat européen, il est manifeste que l'Allemagne souhaite combler son retard dans un certain nombre de secteurs technologiques et industriels, dont elle est notamment absente depuis plusieurs années. S'associer à la France pour créer un futur avion de combat vise à récupérer une compétence qui a été, jusqu'à présent, perdue. Quels avantages espérons-nous tirer du partage, avec l'Allemagne, de cette compétence ? Cette affaire concerne, par définition, davantage les industriels, le directeur général de l'armement et les politiques, que le chef militaire que je suis ! Sous l'angle industriel, cette coopération est déséquilibrée, en raison des moyens colossaux que ce partenaire engage pour assurer la remontée en puissance de sa base industrielle et technologique de défense. Mais ce qui m'intéresse au premier chef, est la coopération opérationnelle avec les Européens. A cet égard, nous venons de créer un nouveau mécanisme européen permettant à l'Union européenne, par le mécanisme appelé capacity building in support of security & development, d'équiper les armées que nous entraînons, en véhicules, en moyens de protection et de soutien-vie, à l'exception des munitions et des armes. Il s'agit d'un pas énorme et l'ensemble des Européens peut ainsi contribuer à l'effort qui est le nôtre vis-à-vis des armées africaines que nous appuyons dans l'ensemble de nos opérations au Sahel et dans le vaste mouvement de stabilisation de l'Afrique en faveur duquel il faut que nous nous engagions dans la durée. Par ce biais européen, un effort allemand peut être conduit. Je l'appelle de mes voeux.
La DTO ne peut qu'être renforcée par de meilleurs financements, je vous l'accorde. Bien que nous ne disposions pas encore des conclusions des différents groupes de travail qui y sont consacrés, il nous faut reconnaître que le poids du SOUTEX s'avère considérable, surtout pour l'armée de l'air. Elle y consacre des ressources qui pourraient bénéficier à la régénération de ses propres moyens et compétences. Nous sommes très attentifs à cette question et la Ministre est bien décidée à obtenir des industriels une juste répartition de la charge.
Sur le niveau d'activité opérationnelle des armées et de l'entraînement différencié, nous cherchons à remonter, au standard OTAN, le niveau de préparation des forces. Pour bien connaître le sujet pour l'armée de terre, l'engagement différencié est en réalité une façon de déconcentrer et de décentraliser la préparation opérationnelle. Au cours des dix dernières années, la préparation s'était resserrée autour de quelques grands camps spécifiquement dédiés à la préparation opérationnelle de l'armée de terre. Cette démarche a ainsi été conduite au moment de notre engagement en Afghanistan : il fallait que cette préparation soit la plus rigoureuse possible. A cet égard, notre décennie d'expérience en Afghanistan constitue une matrice d'évolution de la préparation opérationnelle de nos troupes. Il fallait aussi concentrer en un même lieu les moyens nécessaires à l'entraînement, c'est-à-dire les moyens de simulation, des champs de tirs et de combats sophistiqués, ainsi que des troupes de manoeuvre qui permettent de rendre cette préparation la plus réaliste possible. L'armée de terre a ainsi concentré ses moyens d'entraînements nationaux sur deux grandes plateformes ; l'une dans le nord-est et l'autre dans le sud-est. Or, plus la préparation opérationnelle est centralisée, plus nos soldats sont éloignés de leur domicile. Il faut que nous sachions conduire des préparations opérationnelles très centralisées, selon des méthodes très rigoureuses, tout en assurant d'autres préparations, à proximité des garnisons, afin de mieux concilier la vie de famille et l'entraînement opérationnel. Cette démarche est sur la bonne voie. En bref, la remontée de la préparation opérationnelle ne doit pas être opérée au détriment de la vie de famille de nos soldats. Il nous faut trouver un juste équilibre.
La réforme du Service de santé des armées devrait être étalée en raison de la très forte tension sur les effectifs.
La sécurité des soldats est une question qui va de soi pour moi. Je n'y reviendrai pas de façon récurrente. Il n'est pas de chef qui n'ait le souci de la vie de ses hommes et qui ne se sente personnellement affecté lorsqu'il en perd au combat.
Sur le logiciel Source soldes, les 170 règles de gestion évoquées témoignent de votre connaissance du dossier. Le programme a été confié à la DGA selon une gouvernance propre aux programmes d'armement. J'ai bon espoir que les choses se déroulent mieux que lors du lancement du logiciel Louvois. Nous ne basculerons dans ce logiciel qu'une fois testés les nouveaux calculateurs et je serai extrêmement attentif à ce que nous ne nous lancions pas, une seconde fois, dans le vide. J'ai assez peu d'inquiétudes, puisque la Ministre elle-même, instruite par les déboires précédents, sera extrêmement exigeante sur l'ensemble des tests.
S'agissant du dispositif Sentinelle, celui-ci a beaucoup évolué depuis que cette opération a été lancée. Le dispositif a d'abord été mis en oeuvre pour assurer la protection des sites de la communauté juive. Cet objectif implique une présence statique laquelle était, de notre point de vue, contre-productive et dangereuse, car elle désignait certains lieux de la communauté juive qui étaient jusque-là ignorés. D'autres cibles devaient également être prises en compte et nous avons modifié nos rayons d'action et nos modes opératoires, en privilégiant la mobilité et les actions aléatoires. Ce dispositif a également évolué, suite à des démarches innovantes, comme la création d'un système de numérisation du théâtre d'opération à Paris permettant à l'ensemble de nos soldats du dispositif Sentinelle d'être reliés en permanence et d'obtenir une vision centralisée nécessaire à l'envoi d'effectifs dans les zones critiques. Notre innovation est constante dans ce domaine. Notre souci est de pouvoir appliquer les principes de la guerre du Maréchal Foch : la concentration des efforts, qui permet d'emporter la victoire, la liberté d'action et l'économie des moyens. Il faut que nous fassions comprendre ce point à nos amis du Ministère de l'intérieur dont la logique est différente de la nôtre. Nous allons rendre compte au Président de la République de la mise en place de ce nouveau système ; cette occasion nous permettant d'évaluer la pertinence de l'effort conduit durant les fêtes de fin d'année et d'entrevoir la possibilité de l'abaisser temporairement, en prévision d'efforts ultérieurs. Cette démarche implique également de partager avec le Ministère de l'intérieur une culture de la planification opérationnelle. Il nous faudra du temps. Nous sommes tout à fait prêts pour partager notre expérience avec la Représentation nationale. Si vous souhaitez rencontrer le Gouverneur militaire de Paris qui est en charge de cette problématique sur l'Ile-de-France, il vous recevra volontiers.
Les études-amont devraient atteindre 1 milliard d'euros en 2021. Elles pourront concerner des technologies particulières et découler de ce qui a été identifié par la revue stratégique : les nouveaux espaces de confrontation, comme l'espace cybernétique, l'espace extra-atmosphérique, ou bien elles pourront concerner des capacités précises, comme un porte-avions, la fin du service du Charles de Gaulle étant prévue en 2040, ce qui implique des études sur la propulsion et sur le système de catapultes. C'est typiquement sur ce genre de priorités que nous allons flécher les études amont.
Nous sommes manifestement dans un contexte de concurrence à Djibouti, que je connais bien pour y avoir moi-même séjourné pendant deux ans. La revue stratégique a clairement indiqué que nos forces outre-mer, qu'il s'agisse de celles pré-positionnées ou de présence, constituent un atout pour la France. C'est un héritage que nous devons valoriser. Il a sans doute été affaibli, du fait des contraintes des deux lois de programmation précédentes. Nous souhaitons absolument, dans le cadre de la relance d'une politique de défense fondée sur la fonction stratégique prévention, que soit consolidé notre dispositif outre-mer. Evidemment, je n'ai pas l'intention de lâcher un pouce de terrain à Djibouti. La zone, où nous sommes implantés, est extrêmement sensible et je ne pense pas que nous devrons nous en désengager dans les décennies qui viennent. Nous sommes également présents aux Emirats arabes unis et actuellement en Jordanie. Dans la perspective de la fin de notre opération au Levant et du maintien de la France dans l'ensemble de cette zone de la Péninsule arabique, les questions qui se posent sont les suivantes : comment réarticulons-nous notre dispositif autour du point d'appui stratégique qu'est Djibouti et du point d'appui des Emirats arabes unis ? Concevons-nous, le cas échéant, une montée en puissance à partir de la Jordanie où nous nous trouvons aujourd'hui du fait de nos opérations au Levant ? Toutes ces questions sont posées dans le cadre d'une réflexion menée conjointement avec le Ministère des affaires étrangères. Des propositions seront faites au président de la République dans les mois qui viennent. C'est un vrai sujet pour nous tous. Tout ce que je viens d'évoquer sur cette région, marquée notamment par la crise migratoire, la montée en puissance de l'Iran et de l'Arabie Saoudite, avive notre vigilance. J'ajouterai que la crise migratoire provient, pour partie, de la Corne de l'Afrique, passe par le Soudan, avant de revenir par le centre du continent et la Libye. Il faut par ailleurs être très attentif à cette ligne qui pourrait, si nous n'étions pas vigilants, s'établir de manière continue entre la Corne de l'Afrique et le Sahel. La France est à l'avant-garde des pays européens : historiquement et en raison de ses engagements préalables, elle est placée au coeur du sujet et ne peut se dérober à cette question.
Le fonds européen de défense représente une belle opportunité de faire payer une partie des systèmes d'armes par l'Union européenne. Si vous pouviez encourager nos industriels à jouer le jeu, cela m'arrangerait ! Une meilleure interopérabilité pourrait en résulter, mais j'ai du mal à discerner les alliances industrielles qu'il va falloir bâtir pour y parvenir. Le sujet de l'Allemagne et du système de combat aérien du futur, la situation d'Airbus par rapport à Dassault, la recomposition du secteur industriel de défense terrestre représentent autant de sujets compliqués. Ce fonds européen de défense doit servir d'incitation et me paraît aller dans le bon sens. Il permettra aussi de consacrer plus de ressources du programme 146 à la production de capacités dont nos armées ont urgemment besoin. En effet, il ne vous a échappé que, lors des lois de programmation précédentes, afin de préserver un modèle d'armée complet incluant notamment la base industrielle et technologique de défense, nous avons beaucoup investi en études-amonts et assez peu en production. Or, aujourd'hui, le besoin des armées est d'obtenir des capacités en nombre suffisant. Si L'Europe peut prendre à sa charge une partie du développement, cette démarche me satisfait pleinement !
En matière de cyberdéfense, nous avons un double sujet. Sur la durée de la LPFP a été accordée au Ministère de la défense une autorisation d'augmentation de 1.500 effectifs. Aujourd'hui, les discussions internes au ministère font remonter que ces effectifs sont largement consommés par l'unique effort portant sur le renseignement et le cyber. Ce qui n'est pas satisfaisant, puisque nous avons également des besoins pour les armées de compétences rares et chères à conserver. Il nous faut rendre attractifs un certain nombre de postes dans des domaines sévèrement concurrencés par le secteur civil. De ce point de vue, la vision systématiquement dépyramidante pour les armées, portée par Bercy, la DGAFP et la Cour des comptes, m'inquiète. Notre nombre de cadres nous est reproché, tandis que la fonction publique civile, quant à elle, considère que l'augmentation de son taux d'encadrement va de soi au nom d'une primauté alléguée aux activités de conception. Les armées conçoivent et conduisent des opérations qui demandent également des qualifications de plus en plus élevées. Le recrutement d'un spécialiste en cyberdéfense implique une solde analogue à celle d'un officier supérieur, afin de faire face à la concurrence du secteur privé. En somme, pour trouver le bon niveau de rémunération des militaires, comparons avec ce qui se pratique dans les autres ministères, ou encore, pour certains métiers, les groupes publics. Je vous remercie donc de nous aider, la Ministre et moi-même, à relayer l'idée qu'une telle pression dépyramidante fait peser un risque sur les armées.
Nous sommes aujourd'hui la grande puissance militaire européenne. Un tel statut permet ainsi d'entraîner les autres pays et c'est la raison pour laquelle il nous faut disposer d'un modèle d'armée complet et attractif.
Les réservistes sont rémunérés par un système de solde militaire. Leur solde comporte des cotisations spécifiques, sans pour autant être imposable. C'est un élément important de l'attractivité de la réserve qui serait menacée par un traitement purement indemnitaire. La Garde nationale, à la conception de laquelle j'ai participé dans le cadre de mes fonctions auprès du Premier ministre, a été un catalyseur essentiel de la montée en puissance des réserves. Notre point de vue sur la réserve a considérablement évolué, si bien qu'aujourd'hui, la réserve est devenue un complément indispensable pour l'ensemble des armées. L'armée de terre s'appuie de plus en plus sur la réserve dans l'opération Sentinelle. Pour ce qui est des deux autres armées, des réservistes servent au quotidien dans toutes leurs structures. Nous ne pouvons pas nous passer de réservistes. C'est pourquoi le budget alloué à la réserve a été très clairement consolidé. Sur le plan des ressources humaines, nous avons fait un effort important non seulement pour être capables d'attirer des compétences rares, dans des domaines comme le cyber, mais aussi pour attirer d'anciens militaires et recruter ab initio de nouveaux réservistes, afin de vivifier la réserve et de fortifier le lien entre les armées et la Nation. Nous avons pu obtenir des avantages, pour les réservistes, qui nous avaient été refusés jusqu'à présent, comme les bourses d'études et le soutien au passage du permis de conduire. Ce sont là des incitations réelles et dont nous avions besoin. Cette dynamique nous permet d'augmenter le volume de la réserve et nous atteindrons l'objectif de 40.000 personnels en 2018. L'emploi et la territorialisation de la réserve peuvent néanmoins poser problème. Sur le territoire national, les armées fonctionnent tantôt selon un mode opérationnel de projection intérieure, tantôt selon un mode plus organique à proximité du lieu de garnison. Dans le cadre de l'opération Sentinelle, il est difficile d'employer les militaires près de chez eux car les zones de déploiement principal se trouvent à Paris et dans les grandes villes, où ne se trouve pas la majorité des réservistes. Du fait de son maillage territorial très dense, la gendarmerie peut utiliser des réservistes près de chez eux, ce que nous ne pouvons pas faire. Face à cette difficulté, nous avons particulièrement assoupli l'emploi de nos réservistes, en arrêtant de les engager en unités constituées mais en les intégrant dans les unités d'active.
Enfin, l'innovation est essentielle et n'est nullement un thème secondaire. Pour preuve, la Ministre vient de désigner une conseillère qui en est spécialement chargée. Il ne faut pas que celle-ci ne soit qu'un artifice de communication et qu'elle ne soit portée que par la seule DGA. Il faut que les utilisateurs portent cette innovation et que l'utilisation de nouveaux procédés entraîne la création de nouveaux types d'équipements et de nouvelles procédures. Je suis très attentif à ce que l'utilisateur impulse l'innovation mais aussi au mode de partage qui permet de saisir une bonne idée et de la diffuser au sein du Ministère.
M. Cédric Perrin, président. - Mon Général, je vous remercie pour votre intervention et les réponses à nos questions. Je reviendrai seulement sur la ventilation de la couverture des 360 millions d'euros d'OPEX pour 2017 : quelle est la part interministérielle et celle de la Défense ?
Général François Lecointre. - Ce financement du reliquat des OPEX, à hauteur de 365 millions d'euros, soit 204 millions d'euros sur le T2, 144 millions d'euros sur le programme 178 et 17 millions d'euros sur le programme 212 pour le hors T2 sera assuré, dans son intégralité, de la façon suivante : abondement par solidarité interministérielle à hauteur de 313 millions d'euros, via un décret d'avance de 238 millions d'euros : 151 millions d'euros en T2 et 87 millions d'euros hors T2. Ce dispositif est complété par le projet de loi de finances rectificative à hauteur de 75 millions d'euros ; la couverture du surcoût partiel en T2 sera assurée par l'excédent prévisionnel de T2 à hauteur de 52 millions d'euros. Pour finir, je tenais à vous remercier pour la qualité de votre écoute, ainsi que pour la qualité des relations de confiance que nous pouvons établir ensemble.
M. Cédric Perrin, président. - Je vous remercie, mon Général, pour ces précisions et la qualité de votre intervention dans les réponses à toutes nos questions.
La réunion est close à 13 h 20.
Jeudi 16 novembre 2017
- Présidence de M. Robert del Picchia, vice-président, et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 12 h 35.
Audition de M. Michel Barnier, négociateur en chef chargé de la préparation et de la conduite des négociations avec le Royaume-Uni en vertu de l'article 50 du traité sur l'Union européenne
La réunion s'étant déroulée à huis clos, le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est close à 13 h 55.