Mercredi 25 octobre 2017

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement - Examen du rapport pour avis

M. Hervé Maurey, président. - Nous allons examiner le rapport pour avis sur le projet de loi mettant fin à la recherche et à l'exploitation des hydrocarbures, envoyé au fond à la commission des affaires économiques qui examinera son rapport et établira le texte de la commission un peu plus tard dans la matinée.

C'est le premier rapport pour avis de M. Jean-Marc Boyer, désigné la semaine dernière seulement. Il a néanmoins eu le temps de procéder à un certain nombre d'auditions et il s'est concerté avec sa collègue rapporteure au fond de la commission des affaires économiques.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - C'est avec grand plaisir que je vous présente, ce matin, mon rapport sur le premier projet de loi d'envergure du nouveau Gouvernement en matière d'environnement et d'énergie. Ce texte a pour ambition de mettre fin, d'ici 2040, à la recherche et à la production d'hydrocarbures en France.

Ce projet de loi constitue la première traduction législative du plan climat présenté par Nicolas Hulot le 6 juillet 2017, dont l'axe 9 prévoit « d'amorcer la sortie progressive de la production d'hydrocarbures sur le territoire français en n'attribuant plus de nouveaux permis d'exploration d'hydrocarbures et en ne renouvelant pas les concessions d'exploitation existantes ». Il s'agit, d'après le Gouvernement, d'être en cohérence avec les engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, dont l'ambition est de contenir l'augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels, et de s'efforcer de la limiter à 1,5 degré. Le respect de cet objectif implique de réduire fortement la consommation d'énergies fossiles. En France, cette consommation contribue à hauteur de 70 % aux émissions de gaz à effet de serre.

Ce projet de loi entend donc montrer l'engagement de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique en actant sa volonté de sortir, à terme, des énergies carbonées.

Personne ne remet en cause la nécessité de réduire notre consommation d'énergies fossiles. Pour autant, ce texte ne répond pas à cet impératif. En prévoyant la sortie progressive de l'exploitation d'hydrocarbures sur le territoire national, il se concentre uniquement sur le volet « production » et ne comporte aucune mesure relative à la réduction de la consommation de pétrole et de gaz. Il ne s'attaque donc pas aux causes du réchauffement climatique, et il n'aura, en tant que tel, aucun effet bénéfique sur l'environnement. Au contraire, alors que la France consommera toujours un volume substantiel d'hydrocarbures à l'horizon 2040, il faudra compenser la production nationale par des importations d'hydrocarbures, ce qui est un non-sens économique mais aussi écologique, puisque le fait d'importer du pétrole et du gaz est une cause d'émission de CO2 non négligeable - d'après certaines estimations, cela revient à émettre trois fois plus de gaz effet de serre.

Par ailleurs, une telle démarche de sortie des hydrocarbures mériterait d'être engagée au moins à l'échelle européenne, et non de façon isolée par la France.

Cependant, la production nationale d'hydrocarbures ne représente qu'environ 1 % de notre consommation annuelle : les effets de ce texte en termes d'activité et d'emplois seront vraisemblablement limités.

Actuellement, il existe 63 concessions d'hydrocarbures sur notre territoire qui couvrent 4 000 kilomètres-carrés et qui se situent principalement dans les bassins parisien et aquitain ainsi qu'en Alsace. Elles sont exploitées par six sociétés, dont la plus importante est l'entreprise canadienne Vermilion Energy. Il existe par ailleurs 31 permis exclusifs de recherche en cours de validité.

L'activité de recherche et d'exploitation d'hydrocarbures ne représente qu'environ 1 500 emplois directs et 4 000 emplois indirects en France, ce qui n'est toutefois pas insignifiant, et l'échéance de 2040 laissera le temps à la filière d'assurer la reconversion de ces emplois.

La décision de mettre fin à la production d'hydrocarbures apparaît donc symbolique au regard de l'activité qu'elle représente au plan national.

C'est pour cette raison qu'avec ma collègue rapporteure de la commission des affaires économiques, Mme Élisabeth Lamure, nous avons essayé, malgré nos réserves, d'apporter des correctifs à ce projet de loi plutôt que de nous y opposer frontalement.

Initialement, le projet de loi comptait 8 articles. À l'issue de son examen à l'Assemblée nationale, il en contient 22. Au Sénat, ce texte a été renvoyé au fond à la commission des affaires économiques et notre commission s'est saisie pour avis de 12 articles, portant sur quatre sujets principaux :

Les articles 1er à 3 et l'article 8 relatifs à la fin progressive de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures, qui constituent le coeur du projet de loi ; l'article 5 bis, relatif au raccordement des énergies renouvelables en mer ; l'article 6 relatif aux biocarburants ; les articles 7, 7 bis A et 7 bis qui concernent la lutte contre la pollution de l'air.

S'agissant tout d'abord des hydrocarbures, l'article 1er prévoit d'interdire l'octroi de nouveaux permis de recherche et d'exploitation d'hydrocarbures, y compris à des fins expérimentales, à compter de la promulgation de la loi. Une exception est prévue pour les titulaires d'un permis de recherche en vigueur qui pourront, s'ils découvrent un gisement d'hydrocarbures au cours de leurs prospections, obtenir une concession d'exploitation dans le cadre de ce qu'on appelle le « droit de suite » prévu par le code minier. De même, une dérogation est prévue s'agissant de l'extraction du gaz de mine, le grisou, qui s'échappe naturellement des anciennes exploitations minières, et qu'il convient de capturer pour des raisons de sécurité et de santé publique.

À l'Assemblée nationale, cet article a été complété afin d'étendre l'interdiction à la recherche et à l'exploitation de charbon, ce qui a une portée limitée puisque le dernier puits a été fermé en 2004.

Par ailleurs, un amendement a été adopté pour continuer à autoriser l'exploitation d'hydrocarbures lorsqu'elle est connexe à d'autres substances exploitées dans le cadre d'une concession. Ceci vise à préserver l'exploitation de soufre dans le bassin de Lacq, qui nécessite d'extraire, à titre subsidiaire, du gaz naturel.

Au total, l'interdiction ne concernant que les nouvelles demandes de titres, le projet de loi préserve globalement les droits acquis des titulaires de titres miniers, qui pourront continuer leurs activités de recherche et d'exploitation. Deux restrictions prévues par le texte pourraient cependant donner lieu à des demandes d'indemnités de la part des exploitants. Il s'agit de la limitation de la durée de prolongation des concessions existantes, qui ne pourront pas aller au-delà du 1er janvier 2040, et de la limitation de la durée des concessions octroyées dans le cadre du « droit de suite » que j'évoquais à l'instant. En effet, l'article 1er bis inséré par nos collègues députés prévoit que les entreprises qui découvriraient un gisement d'hydrocarbures dans le périmètre de leur permis de recherche ne pourraient l'exploiter que jusqu'au 1er janvier 2040, sauf à ce qu'elles parviennent à démontrer à l'administration que cette échéance ne leur permet pas de couvrir leurs coûts de recherche et d'exploitation et d'atteindre un équilibre économique. Je vous présenterai un amendement qui vise à remplacer cette notion trop restrictive, par celle de « rémunération normale des capitaux », pour permettre aux exploitants de couvrir non seulement les investissements qu'ils ont réalisés mais également de tirer un profit raisonnable de leur exploitation.

Un autre de mes amendements tend à réparer une lacune importante de ce texte, qui ne prévoit pas d'exception pour les activités de recherche sur les hydrocarbures réalisées par des établissements publics, comme l'IFP Énergies nouvelles (Ifpen). Je vous proposerai de prévoir explicitement que ces activités de recherche publique demeurent autorisées.

L'article 2 détermine le champ d'application des dispositions relatives aux hydrocarbures. Il prévoit que l'interdiction de délivrance de nouveaux permis s'applique aux nouvelles demandes de titres miniers ainsi qu'aux demandes en cours d'instruction, sauf lorsqu'une juridiction a enjoint l'administration de procéder à la délivrance ou à la prolongation d'un tel titre. Si la loi était promulguée en l'état, toutes les demandes en cours d'instruction seraient donc refusées par l'administration.

Les articles 2 bis et 2 ter, insérés à l'Assemblée nationale, prévoient que l'exploitant doit remettre à l'autorité administrative, cinq ans avant la fin d'une concession, un dossier présentant le potentiel de reconversion des installations ou du site d'implantation pour d'autres usages, comme la géothermie, et que les installations peuvent être converties ou cédées à d'autres personnes publiques ou privées.

L'article 3 modifie la loi du 13 juillet 2011 relative à l'interdiction de la technique de fracturation hydraulique, dite loi Jacob. Il tire les conséquences des précédents articles et supprime la Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, dont l'objet était d'évaluer les risques environnementaux liés au techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives. Puisqu'à l'avenir une telle exploration est interdite, cette commission devient sans objet.

Les députés ont complété la loi de 2011 pour étendre l'interdiction relative à la fracturation hydraulique à toute autre technique « ayant pour but de conférer à la roche une perméabilité ». Ceci conduit donc à ne permettre l'extraction d'hydrocarbures que par la méthode conventionnelle de forage.

En ce qui concerne les énergies renouvelables en mer, l'article 5 bis prévoit de faire porter, à l'avenir, le coût du raccordement des installations d'énergie renouvelable en mer au gestionnaire du réseau public de transport, c'est à dire à l'entreprise RTE, et non plus au producteur comme c'est le cas actuellement. Ce coût serait couvert par le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE). Cet article clarifie les responsabilités des acteurs en distinguant la construction des installations, à la charge du porteur de projet, et leur raccordement, à la charge du gestionnaire de réseau, sur le modèle de ce qu'il se fait déjà dans certains pays comme l'Allemagne. Ceci doit permettre d'accélérer la réalisation des projets d'énergies renouvelables en mer et de réduire leur coût.

Le Gouvernement souhaite que cette nouvelle procédure s'applique à l'appel d'offres portant sur la réalisation d'un parc éolien offshore au large de Dunkerque, qui a été lancé en avril 2016. Ceci explique pourquoi cette disposition, qui devait initialement être incluse dans le projet de loi « simplification », a finalement été insérée in extremis dans ce projet de loi. Cette clarification des modalités de raccordement répond aux attentes des acteurs de la filière et devrait favoriser le développement de l'éolien en mer. Je vous proposerai tout à l'heure un amendement relatif aux modalités d'indemnisation du producteur en cas de retard de raccordement ou d'avarie sur les ouvrages de raccordement.

J'en viens maintenant à l'article 6 relatif aux biocarburants. Il met en conformité le code des douanes avec une directive européenne du 9 septembre 2015 qui prévoit de nouveaux critères de durabilité des biocarburants. Ainsi, les biocarburants produits par des installations mises en service avant le 5 octobre 2015 devront présenter un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 50 % par rapport aux émissions de gaz à effet de serre résultant d'énergies fossiles. Pour les installations mises en service après cette date, ce potentiel de réduction devra être d'au moins 60 %. Cette rédaction n'aura pas d'effets sur les installations actuelles, puisque l'ensemble des unités de biocarburants atteignent déjà l'objectif de 50 % et qu'aucune nouvelle unité n'a été mise en service depuis le 5 octobre 2015.

De plus, l'article 6 créé un dispositif de surveillance de la filière biocarburants afin de s'assurer qu'elle respecte bien les critères de durabilité fixés par la loi. Il précise ainsi la liste des agents habilités à réaliser le contrôle des installations et les pouvoirs dont ils disposent dans l'exercice de leurs missions. Il prévoit que des sanctions administratives pourront être appliquées aux acteurs de la chaîne biocarburants qui produisent ou mettent sur le marché des produits qui ne respectent pas les critères environnementaux, ainsi que des sanctions pénales lorsque ces mêmes acteurs empêchent les agents d'exercer leur contrôle.

Enfin, trois articles concernent la lutte contre la pollution de l'air. L'article 7 met en conformité les dispositions du code de l'environnement relatives au plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) avec une directive européenne du 14 décembre 2016. Ce plan définit les actions à mettre en oeuvre afin d'atteindre les objectifs nationaux de réduction des émissions de polluants atmosphériques arrêtés par décret. Il prévoit également des modifications mineures par rapport aux dispositions en vigueur : ainsi, le Prepa devra être réévalué tous les quatre ans contre cinq ans actuellement, il devra être mis à jour dans un délai de 18 mois à compter de la présentation du dernier inventaire national des émissions de polluants ou des dernières projections nationales des émissions, si les objectifs ne sont pas respectés ou risquent de ne pas l'être.

L'article 7 bis A prévoit un rapport du Gouvernement sur la prise en compte des objectifs de développement durable, et plus particulièrement sur les enjeux de la qualité de l'air, lors de l'attribution des marchés publics dans les zones couvertes par un plan de protection de l'atmosphère.

Enfin, l'article 7 bis prévoit que les préfets de département devront établir, dans les zones couvertes par un plan de protection de l'atmosphère qui connaissent un dépassement des valeurs limites relatives aux particules fines, un plan d'action favorisant le recours aux énergies les moins émettrices de particules et facilitant le raccordement aux infrastructures gazières publiques existantes.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous félicite pour ce premier rapport très complet, car le sujet n'est pas des plus simples !

M. Gérard Cornu. - Félicitations pour ce brillant exposé.

L'air et la pollution n'ont pas de frontières. N'est-ce pas seulement symbolique de légiférer en France alors qu'il aurait fallu que ce texte soit débattu au niveau européen ? Mais avions-nous la capacité de convaincre nos partenaires ?

Comme nous interdisons l'exploitation, il faut aussi bannir la recherche du fait du droit de suite contenu dans le code minier. Ne faudrait-il pas modifier ce code pour préserver la recherche ?

M. Charles Revet. - À mon tour de féliciter notre rapporteur. Ce projet de loi interdit la recherche et l'exploitation en France, c'est-à-dire principalement en région parisienne et dans le sud-ouest. Mais cette interdiction vaut-elle aussi pour l'outre-mer ? Il y a quelques années, des recherches importantes avaient été effectuées au large de la Guyane. Ce projet de loi ne concerne-t-il que l'hexagone ?

Enfin, nous savons tous que nous aurons encore besoin de produits pétroliers en 2040.

Mme Nelly Tocqueville. - Bravo à notre rapporteur pour avis. Je me félicite que la France soit précurseur en ce domaine. Reste que la recherche et l'exploitation sur notre territoire reste modeste. Il faudra néanmoins accompagner les bassins d'emplois en prévoyant des formations professionnelles. La transition énergétique pourrait générer jusqu'à 1,5 million d'emplois.

M. Claude Bérit-Débat. - Je me félicite à la fois de ce rapport et de ce projet de loi, qui s'inscrit dans la continuité de la loi de 2011 sur l'interdiction de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique.

Dans la Grande Aquitaine et en Occitanie, trois permis d'explorer et d'exploiter avaient été accordés : celui de Beaumont de Lomagne, celui de Brive et celui de Cahors. Ce dernier s'étendait sur un tiers de la superficie de la Dordogne. La vallée de la Vézère, autrement dit la vallée de l'homme où se trouve la grotte de Lascaux, était touchée par ce permis, ainsi qu'une partie de la vallée de la Dordogne qui est classée biosphère. J'étais bien sûr opposé à cette exploration et à cette exploitation qui auraient mis à mal notre sous-sol.

Nous devrons nous assurer que ce qui sera interdit en 2040 le soit réellement. Notre groupe est favorable à ce texte qui va dans le bon sens.

Après la loi Jacob, notre collègue Nicole Bricq avait déposé une proposition de loi pour interdire l'exploitation des gaz de schiste et Mme Batho, ministre de l'écologie, avait interdit les trois permis que j'ai cités, à la grande satisfaction des citoyens concernés.

M. Ronan Dantec. - Cette loi est plutôt symbolique. Si en 2040 la consommation mondiale de pétrole est identique à celle d'aujourd'hui, les guerres se multiplieront et notre modèle économique n'existera plus. Nous devons absolument réduire les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Cette loi fait donc sens : il fallait qu'un grand pays dise à l'occasion des négociations internationales sur le climat qu'il refuse d'exploiter son pétrole.

Écoutant ce matin Laurent Wauquiez sur France Inter, j'étais d'accord avec certaines de ses conclusions...

M. Hervé Maurey, président. - Cela figurera au compte rendu !

M. Ronan Dantec. - Il estime que l'interdiction du glyphosate posera des problèmes de distorsion de concurrence. C'est vrai, d'où la nécessité de revoir le CETA. Il en va de même pour les hydrocarbures.

Il faudrait compléter cette loi par un amendement interdisant les importations d'hydrocarbures les plus chargés en carbone. Refusons les hydrocarbures les plus nocifs en termes environnementaux afin de faire pression sur l'industrie.

M. Gérard Cornu. - Tout à fait.

M. Hervé Maurey, président. - Réflexions très intéressantes.

M. Jérôme Bignon. - Bravo à notre collègue rapporteur. A quelques semaines de la COP 23, les symboles sont importants, car ils font l'opinion.

L'amendement proposé par M. Dantec et approuvé par M. Cornu me convient parfaitement et je le signerais volontiers.

M. Christophe Priou. - Il y a quelques jours, nous étions M. Dantec et moi-même à Saint-Nazaire pour la mise à l'eau et l'inauguration de la première éolienne flottante. Rappelons la langueur et la longueur des procédures françaises en la matière : il faut dix à quinze ans pour créer un parc, alors qu'il en faut trois à cinq chez nos voisins.

Nous sommes le deuxième pays mondial en linéaire de côtes grâce à l'outre-mer. Notre espace maritime fait l'objet de beaucoup de convoitises internationales.

Enfin, nous sommes un certain nombre à avoir co-signé des amendements qui seront examinés par la commission des affaires économiques.

M. Patrick Chaize. - Je me joins aux félicitations faites à notre rapporteur. Quelle est l'origine de la proposition de mettre à la charge de RTE le raccordement des zones de production en mer ?

M. Jordi Ginesta. - L'Australie vient de décider de remettre en service un nombre important de centrales thermiques puisque l'électricité produite par l'énergie renouvelable produit des écarts de tension et de puissance très importants. Le président d'EDF disait il y a trois ans qu'on ne pouvait aller au-delà de 30 % d'injection d'électricité verte dans le réseau.

En outre, il faut que les activités de recherche ne soient menées que par des entreprises publiques.

M. Guillaume Gontard. - Merci pour ce rapport. Ce projet de loi est hautement symbolique et il va dans le bon sens, même s'il est un peu hypocrite puisqu'il impose des règles à une production nationale qui ne couvre que 1 % de nos besoins. En revanche, il ne fixe pas de règles sur l'exportation des savoir-faire et sur l'importation des hydrocarbures, notamment dans le cadre du CETA.

La date de 2040 me semble tardive. En outre, le droit de suite conduira au maintien des concessions au-delà de la date butoir. Enfin, les définitions de l'exploration et de l'exploitation ne me semblent pas satisfaisantes, car seules certaines techniques sont interdites.

M. Jean-Claude Luche. - Vouloir agir, c'est bien, mais quid des produits de substitution ? Comment va-t-on faire dans nos communes pour les enrobés, les bitumes ? Comment l'État entend-il faire disparaître le stock de véhicules anciens qui sont les plus pollueurs ?

M. Guillaume Chevrollier. - On ne peut qu'être favorable à la lutte contre les gaz à effet de serre. Mais pourquoi avoir recours à la procédure accélérée pour examiner un texte qui ne s'appliquera qu'en 2040 ? L'étude d'impact n'aurait-elle pu être plus développée ?

Je regrette aussi que l'intitulé de ce projet de loi face référence à la fin de la recherche : ce n'est pas un bon signal, alors que la recherche dans notre grand pays devrait être encouragée.

M. Hervé Maurey, président. - Vous avez tous noté que ce texte était largement symbolique et qu'il ne suffirait pas à lui seul à atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Pour y parvenir, il faudra d'autres actions, notamment en matière d'économies d'énergie et d'énergies renouvelables.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Avec Mme Lamure, nous avons procédé à plusieurs auditions dont le cabinet du ministre. Hier, la commission des affaires économiques a reçu Nicolas Hulot et beaucoup de vos questions reprennent celles qui lui ont été posées. Aujourd'hui, 45 % de l'énergie consommée en France provient du pétrole, 22 % de l'électricité et 19 % du gaz. Annuellement, nous consommons 75 millions de tonnes de pétrole et l'objectif est de passer à 50 millions en 2040.

Certes, monsieur Cornu, l'Europe n'a pas bougé en ce domaine, mais d'après Nicolas Hulot, la France doit donner l'exemple même si elle est un peu isolée. Il s'agit d'après lui d'un enjeu de société. Je veux rendre hommage à l'honnêteté intellectuelle du ministre. Comme le code minier prévoit le droit de suite, il convient donc d'interdire la recherche. Je vous proposerai néanmoins un amendement pour autoriser la recherche publique.

Oui, monsieur Revet, l'interdiction concernera aussi l'outre-mer.

La question sur l'accompagnement des bassins d'emplois a été posée hier au ministre, madame Tocqueville. Selon lui, les énergies renouvelables vont être créatrices d'emplois.

Comme vous, monsieur Bérit-Débat, je suis favorable à l'interdiction de la fracture hydraulique.

Je remercie M. Dantec d'avoir fait référence à M. Wauquiez. Hier, la question du CETA a été abordée, ainsi que celle des hydrocarbures les plus chargés en carbone.

M. Ronan Dantec. - Allez-vous présenter un amendement ?

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Ce pourrait être un amendement de séance.

M. Hervé Maurey, président. - Je propose que MM. Dantec, Cornu, Bignon et vous-même, monsieur le rapporteur, travailliez à sa rédaction.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - M. Chaize m'a interrogé sur la prise en charge par RTE du raccordement des installations en mer : il s'agit d'une demande des acteurs de la filière éolienne.

M. Patrick Chaize. - Cela ne me surprend pas. En revanche, le raccordement sur terre est à la charge de l'investisseur : pour quelle raison en irait-il autrement en mer ?

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Il semblerait que ce soit pour raccourcir les délais de mise en place de ces projets : pour l'instant, il faut compter entre dix et quinze ans pour obtenir une autorisation.

M. Patrick Chaize. - Le coût de cette prise en charge par RTE sera supporté par tous les consommateurs, alors que tel n'est pas le cas pour les installations sur terre.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - In fine, c'est toujours le consommateur qui paye.

M. Ronan Dantec. - Cette prise en charge est peut-être liée à la puissance : pour les centrales nucléaires et pour les grandes centrales thermiques, RTE paye le raccordement. Les éoliennes en mer sont de grande puissance, contrairement à celles installées sur terre.

M. Hervé Maurey, président. - Nous interrogerons le Gouvernement en séance.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Certes, monsieur Ginesta, les opérateurs privés n'auront pas intérêt à faire de la prospection s'ils ne peuvent exploiter. Seuls les opérateurs publics pourront faire de la recherche.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-1 prévoit que des permis de recherche d'hydrocarbures pourront être octroyés lorsqu'ils portent sur des activités réalisées sous contrôle public à seules fins de connaissance géologique du territoire national, de surveillance ou de prévention des risques miniers.

M. Gérard Cornu. - Cet amendement va dans le bon sens, mais quel opérateur public se lancera dans une recherche s'il ne peut exploiter ?

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Certains établissements publics comme le BRGM.

M. Jérôme Bignon. - L'expression « territoire national » comprend-il les eaux sous juridiction ? Le plateau continental n'est ainsi pas complètement territoire national.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Il faudra étudier ce point juridique.

M. Claude Bérit-Débat. - Je comprends le sens de cet amendement mais je ne suis pas favorable à cette exception. Si je conçois la recherche pour prévenir les risques miniers, je suis beaucoup plus réservé en ce qui concerne la connaissance géologique, car cela revient à valider la recherche. Nous nous abstiendrons sur cet amendement.

L'amendement DEVDUR.1 est adopté.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-2 procède à plusieurs modifications. Premièrement, par souci de cohérence, il réintroduit les dispositions de l'article 1er bis au sein de l'article 1er, puisqu'elles portent sur la même section du code minier nouvellement créée par l'article 1er.

Deuxièmement, il précise que la limitation de la durée des concessions octroyées dans le cadre du droit de suite au 1er janvier 2040 ne concerne que les concessions attribuées postérieurement à la promulgation de la loi, et non les concessions déjà attribuées à ce titre, afin de ne pas remettre en cause les droits acquis par les exploitants qui les possèdent.

Enfin, cet amendement remplace la notion d' « équilibre économique » par celle de « rémunération normale des capitaux immobilisés compte tenu des risques inhérents à ces activités ».

Mme Michèle Vullien. - Ce n'est pas plus clair.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - La notion d' « équilibre économique » signifie que les recettes et les dépenses doivent être équilibrées, mais le retour sur investissement n'est pas prévu.

Mme Michèle Vullien. - Mais que signifie « rémunération normale » ?

M. Ronan Dantec. - Cet amendement vide la loi de son contenu puisque tout ce qui aura été fait avant la promulgation de ce texte ne sera pas concerné et, après l'entrée en vigueur de la loi, l'exploitant demandera un retour sur investissement et donc la date butoir de 2040 ne pourra pas s'appliquer.

Cet amendement est contradictoire avec le discours plutôt bienveillant du rapporteur : je voterai contre.

M. Claude Bérit-Débat. - L'équilibre économique et la rémunération des capitaux ont des sens bien précis. Le point mort est un critère de gestion dans une entreprise, au même titre que la rémunération des capitaux. Avec cet amendement, on va trop loin : le groupe socialiste votera contre.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Tout l'enjeu est de savoir si l'équilibre économique se borne à prendre en compte le coût des charges et de personnel ou s'il inclut les marges qui permettent d'améliorer l'outil de production.

M. Gérard Cornu. - Cet amendement pose le principe de la non-rétroactivité. Tout ce qui aura été fait avant la loi ne sera pas concerné. Notre rapporteur pourrait-il revoir son amendement afin de tendre vers l'unanimité ?

Mme Françoise Cartron. - Qu'est-ce qu'une rémunération des capitaux « normale » ?

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Il faut permettre aux sociétés d'investir, ce qui n'est pas toujours le cas avec l'équilibre économique.

M. Hervé Maurey, président. - Je propose le retrait afin de travailler la formulation.

M. Frédéric Marchand. - L'équilibre économique se limite à la prise en compte des coûts de recherche et d'exploitation engagés par les titulaires de permis et il exclut le retour sur investissement que ces opérateurs sont en droit d'attendre lorsqu'ils entreprennent une activité d'exploitation. Il n'est donc pas nécessaire d'intégrer la notion de retour sur investissement.

M. Benoît Huré. - Votons-nous sur le retrait de l'amendement ?

M. Hervé Maurey, président. - Le retrait appartient à l'auteur de l'amendement. Il n'y a donc pas lieu de procéder à un vote.

M. Gérard Cornu. - Cela n'empêchera pas notre rapporteur de présenter en séance un amendement rédigé autrement.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - La commission des affaires économiques, saisie au fond, va présenter le même amendement : il sera intéressant de savoir le sort qu'elle va lui réserver.

L'amendement DEVDUR.2 est retiré.

Article 1er bis

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - Je retire l'amendement de conséquence COM-3.

L'amendement DEVDUR.3 est retiré.

Article 5 bis

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - L'article 5 bis, inséré à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, prévoit que le coût du raccordement des installations d'énergie renouvelable en mer ne sera plus à la charge du producteur mais du gestionnaire du réseau public de transport (GRT), et qu'il sera couvert par le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe).

L'amendement COM-4 étend aux cas de dysfonctionnements de ces ouvrages l'obligation d'indemnisation du producteur par le GRT.

M. Claude Bérit-Débat. - Le groupe socialiste est opposé à cet amendement qui remet en cause le système actuel qui fonctionne bien depuis plusieurs décennies. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que RTE soit favorable à cette disposition.

Mme Michèle Vullien. - Cet accord a-t-il été validé par RTE ?

M. Jean-Claude Luche. - Quelle est la règle appliquée pour les productions sur terre ?

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - C'est l'investisseur qui paye le raccordement.

M. Jean-Claude Luche. - Il faudrait respecter la logique.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.5 soumet à l'avis de la Commission de régulation de l'énergie les mesures réglementaires qui devront être adoptées.

L'amendement COM-5 est adopté.

Article 7 bis A

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.6 améliore la rédaction de cet article et étend la portée du rapport devant être transmis au Parlement, afin qu'il ne concerne pas uniquement les marchés publics passés dans des zones couvertes par un PPA mais l'ensemble des marchés publics.

L'amendement COM-6 est adopté.

Article 7 bis

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.7 précise que les mesures arrêtées par les préfets sont incluses dans les plans de protection de l'atmosphère lors de leur élaboration ou de leur révision, et ne constituent pas un nouveau plan distinct des PPA. Il prévoit que l'élaboration de telles mesures est une faculté laissée aux préfets de département et non une obligation. Enfin, il indique que les mesures prises ont pour objet de favoriser le recours aux énergies ainsi qu'aux technologies les moins émettrices de particules fines.

L'amendement COM-7 est adopté.

Proposition de loi tendant à simplifier certaines obligations applicables aux collectivités territoriales dans le domaine du service public d'eau potable - Examen des amendements au texte de la commission

M. Hervé Maurey, président. - Il n'y a pas d'amendements de séance au texte de la commission. Mais le rapporteur a un amendement à nous proposer.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - L'amendement DEVDUR. 1 permet l'application outre-mer du décalage d'un an de la transmission des indicateurs nécessaires à l'application éventuelle de la majoration de la redevance due au titre du prélèvement sur la ressource en eau destinée à l'alimentation en eau potable. Cet amendement permettra l'application outre-mer de toute la proposition de loi.

L'amendement COM-1 est adopté.

Projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes et portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement - Désignation des candidats à la commission mixte paritaire

MM. Hervé Maurey, Alain Fouché, Gérard Cornu, Guillaume Chevrollier, Mme Nelly Tocqueville, MM. Olivier Jacquin, Ronan Dantec sont désignés en qualité de membres titulaires et MM. Claude Bérit-Débat, Philippe Bonnecarrère, Mme Pascale Bories, MM. Guillaume Gontard, Didier Mandelli, Frédéric Marchand et Michel Vaspart sont désignés en qualité de membres suppléants.

La réunion est close à 10h10.

-Présidence de M. Hervé Maurey, président, et de Mme Sophie Primas, président de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 16 heures

Audition de M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep)

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), et M. Pierre-Jean Benghozi, membre du collège de l'Arcep, devant nos deux commissions réunies, celle de l'aménagement du territoire et du développement durable et celle des affaires économiques. Le numérique est en effet l'une des compétences partagées entre nos deux commissions, de même qu'elle est partagée entre au moins trois ministres. Notre commission aborde la question sous l'angle de l'aménagement numérique du territoire, tandis que celle des affaires économiques s'intéresse davantage aux aspects industriels et concurrentiels.

L'accès au numérique par les réseaux de communications électroniques fixes et mobiles est pour nous une préoccupation majeure et constante. Nous y avons consacré plusieurs rapports d'information depuis la création de notre commission en 2012. Nous avons eu l'occasion de donner des suites concrètes à ces travaux lors de l'examen de plusieurs textes récents, pour lesquels notre commission a eu un apport significatif, en particulier dans le cadre de la loi pour une République numérique et de la loi montagne, sur le rapport ou à l'initiative de Patrick Chaize. Nous avons aussi organisé une table ronde avant l'été au Sénat.

Monsieur Soriano, vous nous présenterez les conclusions de l'avis que le Sénat vous a demandé sur la couverture numérique du territoire. Quel bilan faites-vous du déploiement du très haut débit fixe jusqu'à présent ? Comment jugez-vous les déclarations récentes de SFR ? Quelles seront leurs conséquences ? Vous serez aussi certainement interrogé sur les réseaux mobiles par nos collègues, tant cette question est brûlante pour nos concitoyens. Le Président de la République a fait des annonces fortes pour 2020 et 2022. L'Arcep a été saisie par le Gouvernement et formulera bientôt des propositions. J'ai d'ailleurs été auditionné lundi dernier par le collège de l'Arcep à ce sujet en tant que représentant des régions de France. Nous serons heureux de vous entendre sur l'ensemble de ces sujets.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Monsieur le président Soriano, c'est la troisième fois que notre commission vous auditionne depuis votre nomination, alors que vous atteindrez bientôt la moitié de votre mandat. Je souhaite, d'abord, vous remercier d'avoir répondu favorablement à la demande que le Sénat a formulée auprès de l'Arcep en août dernier. Cette saisine avait pour objectif d'obtenir un avis neutre et expert, dans un contexte de profonde ambigüité et de grandes incertitudes concernant les infrastructures numériques en France.

Le premier point de la saisine portait sur les conditions d'atteinte des objectifs annoncés par le Président de la République en matière de couverture numérique du territoire. Notre commission s'interroge plus particulièrement sur le volet industriel de cette question. Nous souhaitons savoir si la France dispose d'industriels de la fibre et des technologies complémentaires à même de réaliser ces objectifs. Je constate dans les Yvelines toutes les difficultés concrètes pour déployer la fibre : qualification du personnel, disponibilité des poteaux, capacité du génie civil à répondre aux demandes, etc.

Le deuxième point portait sur l'analyse des conséquences des annonces de SFR, qui souhaite « fibrer la France ». Pensez-vous qu'il soit aujourd'hui rentable pour un opérateur privé d'investir, sur ses fonds propres, dans les zones les moins denses de notre territoire, comme l'opérateur semble l'affirmer ?

Le troisième et dernier point portait sur la concurrence entre les opérateurs. Quelle est actuellement la dynamique concurrentielle de ces marchés ? Les évolutions à venir sont-elles de nature à modifier cette dynamique ? La duplication des infrastructures avec le risque d'un duopole vous parait-elle souhaitable ? Enfin, vous avez déjà eu l'occasion de faire part de vos réticences à une potentielle consolidation du secteur des télécoms. Pouvez-vous revenir sur les raisons de votre position ?

M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). - Je suis ravi de cette audition. L'Arcep est une autorité administrative indépendante (AAI). L'indépendance est nécessaire pour faire prévaloir l'intérêt général face à des acteurs parfois très puissants, mais elle ne rime pas avec indépendantisme. Notre action doit s'inscrire dans un cadre global. Les retours des parlementaires sont essentiels pour nous aider à définir la bonne régulation.

L'Arcep a mené il y a deux ans une revue stratégique. Deux axes d'action prioritaires ont émergé. Tout d'abord, la réorientation du marché. Le marché concurrentiel des télécoms, que nous avons construit et qui fait bénéficier les consommateurs de prix très bas, doit aussi investir davantage, car il faut construire les réseaux fixes et mobiles de demain, ce qui a un coût et pose la question des retours sur investissements. Nous avons donc considéré qu'il était indispensable de relancer les investissements. Le second sujet est celui des territoires connectés. S'il est important que les acteurs soient compétitifs, il faut veiller toutefois à ce qu'ils n'oublient pas certains territoires. L'aménagement du territoire n'est pas une compétence directe de l'Arcep : d'autres acteurs y veillent, comme le Gouvernement à travers ses plans France Très Haut Débit ou pour développer la couverture mobile. Toutefois l'enjeu est tellement important que nous devons en tenir compte dans notre action.

Je présenterai les enjeux de l'Internet fixe et M. Pierre-Jean Benghozi évoquera les réseaux mobiles.

Notre engagement constant pour encourager l'investissement porte ses fruits. Après des investissements en moyenne de 7 milliards d'euros par an ces dernières années, le marché des télécoms recommence à investir davantage : 8 milliards d'euros en 2015, 9 milliards en 2016. La machine à investir repart. C'est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable à une consolidation. Les quatre opérateurs sont en concurrence mais investissent beaucoup. La priorité est que ce marché serve l'intérêt général.

Le marché du fixe est très différent de celui du mobile. Ses cycles d'investissement sont très longs : l'installation de la fibre optique est un investissement pour plusieurs décennies, contre une dizaine d'années pour la 2G, la 3G ou la 4G dans la téléphonie mobile. Le marché du fixe est aussi marqué par un ancien monopole, celui de France Télécom, devenu Orange, qui possède toujours les infrastructures de génie civil. Une de nos priorités à l'Arcep est d'améliorer la connectivité des entreprises, notamment des TPE-PME, sur tout le territoire et de faire baisser le coût d'accès à la fibre.

Le plan France Très Haut Débit (THD) repose sur un partage des tâches. Le Gouvernement a lancé en 2011 un appel à manifestations d'intérêt pour savoir qui était prêt à investir et dans quelles zones. À la suite de cela, des engagements ont été pris. La zone dite « AMII » (appels à manifestation d'intentions d'investissement) a été réservée au privé et les opérateurs ayant répondu, principalement Orange et SFR, se sont partagé le territoire, avec environ 85% pour Orange et 15% pour SFR. Dans les autres territoires, il revient aux collectivités territoriales d'assurer le déploiement de la fibre avec le soutien financier du plan France THD. Parallèlement nous avons mis en place un cadre de régulation destiné à favoriser la mutualisation des réseaux. Le législateur nous a suivis avec la loi de modernisation de l'économie. Inutile en effet de multiplier les réseaux, de passer plusieurs fois dans les immeubles ni d'ouvrir plusieurs fois des tranchées dans les rues pour les déployer ! La fibre optique permet en effet un partage du réseau, dit « partage passif », qui permet à chaque opérateur de conserver son électronique, d'innover, de se distinguer de ses concurrents. Dans le partage des tâches, le Gouvernement est responsable de l'architecture d'ensemble du Plan France THD et des soutiens publics, tandis que l'Arcep régule les opérateurs dans la mise en oeuvre de ce plan.

Notre avis sera publié demain. Nous soutenons l'ambition du Gouvernement qui a réaffirmé sa volonté de parvenir au très haut débit pour tous en 2022 et qui a même fixé l'objectif du « bon haut débit » pour tous en 2020. L'Arcep prendra sa part à cet effort. D'ici quelques semaines, nous libérerons des fréquences pour permettre aux territoires qui le souhaitent de bénéficier du très haut débit radio, avec des modalités simples. Nous invitons à faire preuve de pragmatisme pour trouver les solutions technologiques les plus adaptées pour répondre aux attentes des territoires. Nous prônons les synergies entre les réseaux fixe et mobile : le réseau 4G peut fournir une solution transitoire pour offrir un accès Internet à haut débit de quelques mégabits - le bon haut débit est fixé à 8 mégabits.

L'annonce de SFR est d'abord une bonne nouvelle. On ne peut que se féliciter de voir un opérateur privé se déclarer prêt à investir massivement...

M. Pierre Louault. - C'est le plus mauvais opérateur !

M. Sébastien Soriano. - Pour autant, on ne part pas d'une feuille blanche. Après l'appel à manifestation d'intérêt de 2011 et les déclarations d'investissement reçues, certains territoires se sont déjà mobilisés. Ceux qui ont laissé passer les trains ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes ! SFR a eu l'opportunité de faire des déclarations d'investissement en 2011. Les projets des collectivités territoriales doivent être respectés. Nous disons clairement que, dans les zones rurales où des projets publics sont en cours, l'investissement de SFR doit se faire en plein accord avec les porteurs de projets des réseaux d'initiative publique, ce qui signifie qu'il ne doit pas y avoir de débauchage, d'intimidation ni de déploiement sans concertation. En cas d'accord entre SFR et les territoires, SFR doit préciser par écrit ses intentions d'investissement pour qu'elles soient juridiquement contraignantes. L'article L 33-13 du code des postes et communications électroniques, adopté dans la loi pour une République numérique, permet à un opérateur de proposer des engagements au ministre. L'Arcep rend un avis. Une fois validé, le plan devient juridiquement contraignant, sous le contrôle de l'Arcep qui peut imposer des sanctions pouvant aller jusqu'à 3% du chiffre d'affaires. La volonté, positive, de SFR d'investir peut donc être compatible, dans ce cadre, avec l'action des élus locaux dans les zones d'initiative publique.

Dans les zones d'initiatives privées, l'Arcep a réalisé un pointage précis des déploiements. Nous sommes inquiets. Selon nos projections, ces déploiements aboutiront, au mieux, en 2023...C'est pourquoi nous appelons de manière pragmatique à mobiliser toutes les volontés d'investissement existantes, comme celles de Free ou de Bouygues, à travers un nouveau partage de la zone AMII, pour mieux répartir l'effort visant à déployer le très haut débit plus rapidement. Là aussi, nous préconisons que les nouveaux engagements d'investissement soient juridiquement contraignants dans le cadre de l'article L.33-13.

Nous ne sommes pas naïfs. Nos propositions visent à inciter les opérateurs à utiliser le réseau mutualisé, plutôt qu'à déployer un autre réseau en parallèle. Elles comportent aussi un volet de dissuasion pour prévenir la politique du fait accompli ou l'intimidation. Nous proposons de créer un statut de réseau d'aménagement numérique, pour des projets, publics ou privés, avec des engagements d'aménagements numériques larges, sur des territoires étendus pour éviter les débauchages. En contrepartie, l'accès à certaines ressources rares nécessaires au déploiement des réseaux serait facilité : accès aux armoires de rue, aux infrastructures de génie civil, aux copropriétés, etc.

Nous pensons que le modèle du plan France THD garde toute sa pertinence. Les duplications inefficaces et anarchiques ne font pas sens et présentent un risque de désorganisation des acteurs et d'écrémage. C'est pourquoi nous proposons de manier la carotte et le bâton vis-à-vis des opérateurs, en donnant plus de place, dans le cadre du système actuel, à ceux qui acceptent les règles du jeu et en les dissuadant de mener des politiques non coordonnées.

M. Pierre-Jean Benghozi, membre du collège de l'Arcep. - La couverture mobile et numérique du territoire est la priorité absolue de l'Arcep. Chaque citoyen se demande à tout moment si son téléphone mobile « capte bien ». L'autorité compétente prend en compte ce souci majeur et permanent.

Il y a aujourd'hui une conjonction de planètes. L'importance de couvrir tout le territoire, difficile à faire entendre dans le passé, est aujourd'hui reconnue. Chacun - y compris les opérateurs - est prêt à jouer sa partition pour répondre à l'impatience de la couverture.

Le constat, pourtant, est aigre-doux. Doux, car la Fédération française des télécoms annonce une couverture de 70% de la population dans les zones peu denses couvertes par les différents opérateurs - seul Free est un peu à la traîne. Mais aigre, car cette évolution n'est pas satisfaisante, au regard de la complétude, de l'aménagement du territoire... Les usages dépassent en effet considérablement les anticipations, y compris celles formulées par l'Arcep. Nous sommes toujours en retard dans la fixation des échéances et des objectifs de couverture, alors que le volume de données mobiles (la consommation individuelle) double chaque année... En 2012, lors de l'attribution de la bande 800 pour la 4G, on avait fixé des objectifs sur les zones de déploiement prioritaire à 2028 ; lors de l'attribution de la bande 700 en 2015, les objectifs concernant les trains du quotidien ont été assortis d'échéances lointaines. Si 70% des zones prioritaires sont aujourd'hui couvertes, cela signifie que 30% ne le sont pas. Il faut donc accélérer et traiter par exemple les zones gris clair, mal couvertes, ou améliorer la qualité du service en internet mobile et en fonctionnalités diverses, car la qualité est très variable.

Il convient de suivre précisément le respect des engagements pris par les opérateurs en échange du droit d'usage. Ces engagements peuvent se révéler insuffisants, eu égard à l'impatience numérique que je mentionnais. Mais nous suivons chaque trimestre le déploiement de la 4G, et de la 3G dans les centres-bourgs qui en sont dépourvus.

Autre action importante de l'Arcep : le travail d'information, d'anticipation, de relais d'expérience. Nous avons affiné les cartes pour pousser les opérateurs à aller au-delà des obligations formelles, à investir afin de se différencier de leurs concurrents. Ce qu'indique le thermomètre sur la place du village - le critère binaire « capte ou ne capte pas » - ne reflète pas la qualité de la connexion pour chaque utilisateur. Le 18 septembre dernier, nous avons annoncé la publication de nouvelles cartes de couverture pour la région Nouvelle Aquitaine, avec quatre niveaux de performance, de « très bonne couverture » à « couverture limitée » et « inexistante », et des précisions sur la captation à l'extérieur et à la captation à l'intérieur des bâtiments - distinction fondamentale pour les activités telles que le commerce électronique. Ces nouvelles cartes correspondaient à une telle attente que nous avons enregistré 48 millions de consultations ! Dès le premier jour, le compteur du serveur de l'Arcep explosait ! Ces informations sont importantes pour éclairer le choix du consommateur avec d'autres critères que les types de forfaits et les tarifs, mais aussi pour guider les politiques publiques à partir d'un diagnostic précis des manques, et pour stimuler les efforts des opérateurs, ainsi incités à améliorer leur offre. Notre démarche est progressive, les cartes ne sont pas toujours précises, en dépit des mesures de vérification déjà effectuées pour la région citée, et que nous étendrons bientôt au reste du territoire. En 2018, nous diffuserons des cartes sur l'outre-mer et élargirons ces différentes cartes, au-delà des services voix et SMS, aux services d'internet mobile.

Il est temps de changer de braquet sur le mobile. Notre ambition, dans les zones de couverture limitée, correspond au slogan olympique « plus vite, plus loin, plus haut » ! Nous voulons pousser les opérateurs à investir seuls, plutôt qu'en partenariat avec les collectivités, car les mécaniques sont alors plus complexes. Nous conseillons au Gouvernement de se saisir du levier que représentent les renouvellements de fréquences 2G et 3G, entre 2021 et 2024, pour renégocier avec les groupes des engagements beaucoup plus contraignants. Les discussions devraient associer les collectivités locales, en bonne intelligence entre le public et le privé, et en s'appuyant sur des engagements opposables, sur la base de l'article L33-13 déjà cité.

L'objectif est d'améliorer significativement les choses dès 2020. Il y a des arbitrages à faire entre solutions pérennes de long terme et solutions « sparadraps » de court terme, pour régler des problèmes locaux, éventuellement par des solutions à la demande, temporaires. À cet égard, nous avons besoin de tous vos retours sur les priorités et les besoins.

Autres sujets importants, le déploiement des réseaux très haut débit radio, le réaménagement des bandes pour l'arrivée de la 5G - nous accordons souvent des autorisations d'expérimentation technique aux opérateurs, pour tester des solutions - ou la nouvelle bande de fréquence pour des réseaux d'entreprise 4G privés, qui s'adresse aux aéroports, centrales nucléaires ou grands sites industriels.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Ce que vous dites sur la téléphonie mobile, et que l'on peut lire sur le site de l'Arcep, fait froid dans le dos : vous parlez d'objectifs de couverture à 2027 ou 2030, alors que le Président de la République entend que le problème soit réglé en 2020 ! M. Benghozi parle seulement d'amélioration « significative » à cette date. Cela ne me plaît pas beaucoup et le Sénat sera vigilant.

M. Patrick Chaize. - Le sujet suscite l'intérêt de tous les élus locaux, tous les parlementaires. Moi aussi j'ai sursauté en vous entendant parler d'amélioration significativede la situation en 2020. La feuille de route est en cours de rédaction par le Gouvernement, les balises avaient été posées par le Président de la République lors de la conférence nationale des territoires. Des pistes de négociation sont ouvertes, elles sont en cours de discussion. Quelle est la position de l'Arcep sur les objectifs et sur la manière de les atteindre ? Les cahiers des charges des licences ne sont pas suffisamment ambitieux : bien sûr, ils sont respectés par les opérateurs, car on a manqué de courage pour leur demander plus. Où l'Arcep place-t-elle le curseur pour une bonne couverture en téléphonie mobile ?

Sur la téléphonie fixe, je suis heureux de vos propos sur le Sénat. C'est le bon sens de veiller à la non-duplication des réseaux en zones non rentables. SFR fait des propositions de provocation. Ce groupe jette un caillou - que dis-je, un rocher - dans la mare pour rattraper ce qu'il a raté dans le passé. Mais on ne peut refaire l'histoire, il faut seulement l'assumer.

Il faut prendre en compte les nouvelles dispositions, mais ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, ni créer de la concurrence entre réseaux publics et privés. Merci de votre réponse, que j'ai appréciée. Je me réjouis aussi de la position de Bruxelles, car on nous a souvent dit que les autorités européennes privilégiaient la concurrence, or elles ont exprimé une orientation qui va dans le bon sens.

Sur le statut de zone fibrée, auquel je suis sensible puisque j'avais fait adopter l'amendement sur ce point dans la loi Macron, vous parlez d'une arme à laisser sur la table, à ne pas utiliser. Ne serait-il pas sage de commencer à la charger ? Zone fibrée, ce n'est pas un label touristique, comme « ville fleurie » ou « station verte ». Vous parlez d'outil de valorisation des territoires, c'est une bonne nouvelle, mais pouvez-vous nous dire en quoi ?

Vous précisez également que, s'agissant des réseaux d'initiative publique (RIP), ce statut doit être demandé conjointement par les collectivités et des opérateurs, dites-vous. Le statut sera-t-il donné sur l'ensemble du territoire du RIP ou de façon morcelée ?

Je veux exprimer mon inquiétude sur les zones AMII. On demande de la transparence aux opérateurs ; on est prêt à les croire, à les accompagner pour une réussite collective ; mais quand la confiance est perdue, le message ne passe plus. Comment l'Arcep compte-t-elle faire pour que les opérateurs fournissent des cartes et des délais de déploiement précis ? C'est ainsi que l'on restaurera la confiance des élus envers eux.

M. Michel Magras. - Les Antilles viennent de vivre une période d'activité cyclonique inédite, qui a montré combien ces îles - et les moyens de communication sur place - sont fragiles, dépendantes du numérique pour la continuité territoriale et pour lutter contre l'isolement insulaire. Dans la période pré-cyclonique, sur mon territoire, les messages étaient diffusés par le téléphone fixe. Pendant le passage du cyclone, cette diffusion ne fonctionnait plus, et si à ce moment-là, la téléphonie mobile fait défaut, la communication n'est plus possible entre les autorités et la population, même pour les urgences. Nous souhaitons, à Saint Barthélemy, une réflexion sur les solutions pour diffuser les messages par SMS-CB, ou cell broadcast ; nous souhaitons des précisions sur le calendrier d'attribution des fréquences 4G-LTE demandées par les collectivités. Un seul opérateur a répondu à notre demande et s'est mobilisé sur tout le territoire de l'île. Ne devrait-on pas aller vers une obligation de mutualisation du service entre les opérateurs ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Les zones rurales sont confrontées à deux problèmes essentiels : désertification médicale, couverture mobile. Faut-il 3 500 pylônes, ou 10 000, pour couvrir tout le territoire ? Peut-on savoir clairement quel programme permettrait une couverture totale ?

Il existe des plans d'installation de la 2G, de la 3G, mais dépassé ! On présente la 4G comme solution d'attente de la fibre optique et l'on nous propose de la 2G ou de la 3G : je crois que les Français souhaitent une clarification de la façon dont ils bénéficieront de la téléphonie mobile.

M. Martial Bourquin. - Je suis dubitatif : on parle depuis plus de dix ans de couverture de tout le territoire, de résorption des zones blanches, mais rien n'avance. Nous avons estimé dans un rapport sénatorial qu'il fallait même arrêter le démantèlement des cabines téléphoniques en attendant... Les opérateurs sont récalcitrants à trop d'obligations. Mais lorsque l'Autorité de la concurrence prend une décision, tout le monde y fait attention. Vous disposez d'un pouvoir de sanction par ordonnance gouvernementale : prononcez des mises en demeure de résorber telles zones blanches dans tel délai précis ! Bientôt, nous aurons deux types de territoires : ceux couverts en très haut débit, et ceux, ruraux, dépourvus de médecins comme de PME et TPE. Vous insistez sur la dissuasion. Très bien. Mais usez aussi de la sanction ! Fera-t-on toujours le même constat de non résorption dans un an, dans deux ans, dans trois ans ? J'attends une réponse claire.

M. Claude Bérit-Débat. - Lorsque, pendant leur audition, j'ai demandé aux opérateurs si l'engagement du Président de la République serait tenu, ils ont répondu que cela dépendrait des contreparties. Trois mois après, quelles contreparties ont été demandées ? Ont-elles été accordées ? L'échéance de 2020 sera-t-elle tenue ?

M. Alain Duran. - Vous qualifiez les annonces de SFR de « bonne nouvelle ». Je ne vois pas les choses ainsi... Dans le département de l'Ariège, nous avons pris le problème à bras le corps pour déployer partout la fibre optique, sur les lignes les plus chères, dans les zones isolées - on nous a généreusement laissé les zones AMII... Or SFR contacte à présent les maires, décrédibilisant le RIP et proposant la construction gratuite de morceaux de réseau, sauf dans les zones les moins rentables bien entendu. Le département est en train de réaliser son réseau ! Certes, les doublons de fibre ne sont pas interdits, mais qu'en pense l'Arcep ? Le bilan de France Très haut débit permet enfin de faire avancer le déploiement. Comment, sinon sanctuariser les RIP, du moins éviter le débauchage qui met à mal l'équilibre du RIP et empêche d'apporter la fibre partout et pour tous ?

Mme Nelly Tocqueville. - Il y a la valse des étiquettes, ici c'est la valse des dates. Lors de la prochaine audition, faut-il se préparer à entendre mentionner une échéance en 2033 ? Tous les opérateurs se présentent comme vertueux, mais leurs promesses n'engagent que ceux qui les croient. Nous ne le pouvons.

Le Gouvernement entend répondre aux attentes légitimes de la population des territoires ruraux. Mais comment, par exemple, diffuser la télémédecine comme il le souhaite si les équipements et réseaux nécessaires ne sont pas disponibles ? Les consommateurs ont pris l'habitude d'attirer l'attention sur les opérateurs qui ne respectent pas leurs engagements : envisagez-vous d'adopter vous aussi une telle démarche ?

Mme Viviane Artigalas. - Comment contraindre les opérateurs au respect de leurs engagements ? Chez moi, en zone de montagne, la desserte en haut débit rencontre des difficultés, et nous n'avons pas la fibre optique. Or, voyant que l'on creusait des tranchées, j'ai posé des questions : on installait la fibre pour des bureaux d'EDF ! Une entreprise de tourisme située juste à côté compte 40 employés, qui travaillent essentiellement au téléphone ou sur internet. Ils sont pénalisés par le faible débit et les dirigeants songeaient à délocaliser une partie de l'activité. J'ai monté un investissement en faisant appel également à des fonds d'État, pour acheminer cette fibre optique jusqu'à cette entreprise.

Où en sont les investissements promis pour déployer la fibre ? On parlait d'1,3 à 1,8 milliard d'euros.

Mme Françoise Cartron. - La carte réalisée en Nouvelle-Aquitaine a-t-elle suscité des prises de conscience ? A-t-elle eu un effet incitatif ?

M. Marc Daunis. - Ce que nous vous disons en termes policés, nous l'entendons sur nos territoires dans des mots beaucoup plus crus et directs. Il y a une colère... Vous parlez d'inquiétude ? Doux euphémisme ! Pour nous, c'est une certitude : les délais ne seront pas tenus, et les déclarations du Président de la République resteront un voeu pieux. Au rythme actuel, la fibre sera déployée en 2035. Une intervention lourde s'impose.

Le code des télécoms est en discussion à Bruxelles. Le Parlement résiste aux demandes des opérateurs qui réclament un allongement de la durée des licences à 25 ans. Quelle est votre position ?

Le Président de la République, très offensif sur les questions de régulation des plateformes et de la fiscalité du numérique, a rappelé que les géants d'Internet ne respectent pas les règles du jeu et utilisent leur position dominante pour empêcher d'autres acteurs d'émerger. Gardez-vous l'espoir que l'Europe avance sur ce sujet ?

M. Guillaume Chevrollier. - Dans la Mayenne, les attentes en matière de raccordement sont considérables, au point de générer un sentiment d'exaspération. L'outil Gigalis permet de mesurer la couverture réelle : 14 zones, soit 500 communes, présentent des carences. Toute la région est concernée, sauf la Loire-Atlantique. Les collectivités territoriales participent au dispositif des centres-bourgs en zone blanche et soutiennent la construction de 48 pylônes. Que pouvez-vous faire pour aider les collectivités territoriales et faire respecter les obligations des opérateurs ?

M. Roland Courteau. - L'accès téléphonique à des services sociaux se fait de plus en plus fréquemment par des numéros surtaxés. La régulation de ce type de numéros entre-t-elle dans vos compétences ? Globalement, la facturation totale des appels a augmenté ; notamment quand ceux-ci durent plus de deux minutes et vingt secondes. Certains CHU s'adonnent à ces pratiques : scandaleux !

M. Jean-François Longeot. - Merci d'avoir organisé cette audition. Nous entendons toujours le même discours : on nous prend pour des imbéciles ! Notre crédibilité auprès de nos concitoyens pâtit des incessants changements de délais. Résultat : on ne s'installe pas chez nous, ou on en part. Quand les opérateurs seront-ils vraiment incités à répondre aux attentes de nos concitoyens ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Oui, nous avons l'impression que les opérateurs n'ont pas de comptes à rendre, et qu'ils nous imposent leur calendrier. N'y a-t-il pas de solutions alternatives ? Quid du satellitaire ?

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Président d'un syndicat de déploiement du numérique, j'ai observé un comportement choquant de la part d'Orange : au moment où nous allions activer la fibre optique, Orange a lancé une offre commerciale pour accroître le débit du réseau cuivre ! D'un coup, ce qui n'était pas possible l'est devenu. J'ai écrit au président de l'entreprise et posé une question écrite au Gouvernement. Certains collègues m'ont fait part de pratiques similaires dans leurs départements. Sont-elles légales ? En tous cas, elles sont contraires à l'intérêt général.

M. Jean-Claude Tissot. - Dans la Loire, nous avons financé nous-même le déploiement de la fibre : cela coûte 500 euros par prise. En tout, cela fait plusieurs millions d'euros. On s'accommoderait presque des zones blanches, alors qu'elles pénalisent les agriculteurs, qui font tout sur internet désormais. Déjà, nous avons un système à deux vitesses. Que faire ?

M. Daniel Gremillet. - J'ai le sentiment qu'on n'avance pas, et qu'on se fiche de nous. Dans le Grand Est, SFR sème le trouble et menace la région. Qu'en pensez-vous ? Sur la téléphonie mobile, il ne se passe plus rien. Aucun signe de vie sur les zones blanches. Que pouvez-vous faire ?

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Ne serait-il pas dangereux de refaire la répartition entre opérateurs dans les zones AMII ? Il y a une courbe d'expérience, que les autres opérateurs n'ont pas parcourue. Vous avez parlé d'un nouveau réseau d'aménagement numérique. De quoi s'agit-il ?

M. Sébastien Soriano. - Ces auditions sont très utiles pour comprendre votre point de vue. Quelle est la valeur des engagements des opérateurs ? Pour le mobile, les fréquences appartiennent à la nation, et ne sont concédées qu'en l'échange d'obligations précises. Dans le fixe, rien de tel. Nous proposons donc d'instaurer des engagements contraignants dans le fixe aussi. Dès que les obligations auront une valeur juridique, l'Arcep, croyez-moi, les fera scrupuleusement respecter. Nous le faisons déjà pour le mobile : un observatoire publie tous les trois mois l'état du déploiement dans les zones moins denses. Et nous sanctionnons le moindre retard. Manque encore le niveau des obligations.

M. Martial Bourquin. - Nous sommes là pour cela !

M. Sébastien Soriano. - Dans le mobile, nous considérons que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Nous avons d'abord voulu décrire l'existant avant de passer à l'action. Notre proposition au Gouvernement est historique. En Suède, les fréquences ont été attribuées en échange d'obligations de couverture très ambitieuses - mais les redevances sont plus limitées. Nous proposons au Gouvernement d'adopter ce modèle. Or les fréquences de 900, 1800 et 2100 arrivent à échéance. C'est un levier historique pour solliciter des engagements sans commune mesure avec ce que nous avons connu. Le Gouvernement nous a donné mandat d'ouvrir les négociations en ce sens. Bien sûr, il faudra que l'État accepte d'être moins gourmand sur la redevance. Il est aussi envisagé de limiter l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau afin de développer l'incitation. En dernière analyse, le choix revient au Gouvernement.

Cette audition est utile : je comprends de vos propos que les Français ne veulent plus la 2G ou la 3G mais internet et la 4G. Sur SFR, j'ai dit qu'en principe on ne peut que se réjouir qu'un opérateur investisse davantage. Mais nous ne laisserons pas semer le désordre et la désillusion dans nos territoires. Le réseau d'aménagement numérique nécessiterait une modification législative. Cela donnerait la priorité, pour chaque ressource rare, à la région qui l'aurait adopté. Reste à vérifier les conditions juridiques - et la Commission européenne travaille sur le sujet, notamment en luttant contre l'overbuilding.

Aux Antilles, l'Arcep est associée aux travaux du préfet responsable de la remise en place des territoires dévastés. Nous entendons votre demande d'un accès à des fréquences accélérant le redéploiement d'internet. De quel nombre de pylônes avons-nous besoin ? M. Mézard parle de 10 000 à 15 000. Le chiffrage est en cours. Je suis d'accord avec votre observation sur le partage des zones AMII. Nous ne devons pas perdre du temps en palabres.

La Commission a proposé que toute attribution de fréquences se fasse pour 25 ans. Je comprends la nécessité de donner de la prévisibilité aux acteurs économiques, mais cela me paraît excessif. Nous devons garder de la souplesse d'adaptation.

Sur les numéros surtaxés, l'Arcep définit les règles du jeu, mais ne peut obliger le secteur public à utiliser un numéro gratuit. Cela relève du Gouvernement, pas du régulateur.

M. Roland Courteau. - La loi le prévoit pour les organismes sociaux.

M. Sébastien Soriano. - C'est en tout cas à la loi d'étendre le champ des numéros gratuits, l'Arcep ne peut se substituer au législateur sur ce sujet.

Les options satellitaires font évidemment partie des solutions du plan France très haut débit, et c'est une option envisagée par le Gouvernement pour la couverture du territoire en bon débit pour tous en 2020.

M. Pierre-Jean Benghozi - Pour revenir au mobile, il s'agit bien de s'inscrire dans les objectifs de couverture en 2020, mais il faut distinguer entre le fait d'être en mesure de fournir le service à tous dès 2020 et le fait de couvrir 100 % du territoire en 2020.

Nous allons proposer un service à tous dès 2020, en combinant divers moyens, mais la couverture de 100 % de la population ne peut être atteinte en deux ans. On réfléchit donc à la fois à la fourniture d'un service à court terme, mais aussi au maintien d'objectifs ambitieux et rapides de couverture, tout en visant un troisième objectif : que les opérateurs continuent d'investir sur toute la durée d'attribution des fréquences pour étendre la couverture plutôt que d'attendre le prochain renouvellement.

Il y a donc trois niveaux d'actions : fournir le service à tous dès 2020, une couverture ambitieuse à une échéance rapprochée, et un mécanisme incitant les opérateurs à investir sur toute la période.

M. Sébastien Soriano. - Je reviens sur la question relative aux démarches commerciales d'Orange, qui modernise spontanément son réseau, en « concurrence » avec les réseaux publics. Le Gouvernement demande plus de prévisibilité sur l'arrivée des solutions technologiques de fixe et de mobile. Cela est assez difficile, mais l'Agence du numérique a initié un travail avec un observatoire du très haut débit, que nous souhaitons récupérer et enrichir, afin de donner plus de visibilité, notamment aux élus, car, en matière d'aménagement numérique du territoire, la prévisibilité est un élément essentiel pour pouvoir déployer une stratégie de long terme.

Les « zones fibrées » sont distinctes du réseau d'aménagement numérique. Il s'agit d'un statut, d'un label, qui serait donné à des territoires très engagés dans le développement de la fibre, pour organiser le relais entre le réseau téléphonique et le réseau de fibre, lequel a vocation, à terme, à supporter tous les usages. Une fois le label accordé, on arrêterait l'installation de nouveaux réseaux de cuivre ; en outre, cela serait un outil de communication pour une ville fibrée.

Autre question liée à la fibre : comment éteindrons-nous le réseau de cuivre ? Il faudra le faire, mais nous pensons que c'est encore trop tôt ; il faut d'abord transférer tous les usages du cuivre vers la fibre - il y a encore des systèmes d'alerte d'ascenseurs ou des circuits de centrales électriques qui fonctionnent avec le cuivre -, sans parler de l'enjeu patrimonial et financier, puisque le réseau appartient à Orange.

M. Franck Montaugé. - Vous parlez de renouveler les licences 2G et 3G, mais quel est l'intérêt de ces licences alors que l'on parle de 4G, voire de 5G ? En outre, vous avez parlé de l'échéance 2021-2024 pour le renouvellement de ces licences ; est-ce à dire que rien ne se passera d'ici à 2021 ?

M. Sébastien Soriano. - Très bonnes questions. Ces fréquences ne sont effectivement pas au coeur du marché, mais elles sont indispensables, car les opérateurs continuent de les utiliser pour certains services de voix, de données ou de SMS. L'hypothèse d'une disparition de ces fréquences engendrerait beaucoup d'inquiétude chez les opérateurs, alors que, au contraire, les rassurer peut avoir de la valeur.

En ce qui concerne l'échéance, je vous confirme que les discussions portent sur des engagements de couverture dès maintenant.

M. Pierre-Jean Benghozi - Pour revenir à la question de Mme Cartron sur les cartes, le premier effet que l'on a observé est que cela a permis de calibrer la qualité des cartes fournies par les opérateurs. On prolongera les contrôles à l'échelon national pour que les cartes soient de plus en plus fiables.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je vous remercie, messieurs. Cette audition a été intéressante pour nous, mais je pense qu'elle l'a aussi été pour vous, car les mécontentements ou les impatiences ont pu s'exprimer.

Je veux dire à Martial Bourquin que l'on ne peut reprocher à l'Arcep de ne pas infliger de sanctions alors qu'elle n'en a pas le pouvoir. Nous sommes plusieurs sénateurs à avoir essayé de donner à l'Arcep la possibilité d'appliquer des sanctions quand les engagements des opérateurs ne sont pas respectés, mais nous n'y sommes pas encore parvenus.

On retrouve dans vos propos, messieurs, deux préoccupations fortes du Sénat : d'une part, la prise en compte de l'aménagement du territoire dans les critères d'attribution des fréquences, et non seulement la volonté de faire payer au maximum les opérateurs comme des vaches à lait, en ne leur demandant rien en échange, d'autre part, la nécessité que les engagements des opérateurs soient opposables sous peine de sanction.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je suis contente que l'Arcep propose un marché aux opérateurs, avec moins de redevance et plus d'engagements. On ne peut leur demander d'être toujours moins chers, d'être présents dans des zones non rentables et exiger des redevances élevées, d'autant que ce sont alors les fonds publics qui doivent financer l'aménagement du territoire.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Pour finir, j'ajoute que je souhaiterais que le Parlement soit davantage consulté, notamment lors de la rédaction des cahiers des charges ; en matière numérique, trop de choses passent uniquement par la voie réglementaire.

La réunion est close à 17 h 40.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.