- Mardi 17 octobre 2017
- Mercredi 18 octobre 2017
- Projet de loi de finances pour 2018 - Audition de M. Joël Barre, délégué général pour l'armement
- Projet de loi de finances pour 2018 - Audition du Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de Terre
- Situation internationale - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
- Questions diverses
Mardi 17 octobre 2017
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 15 h 05.
Audition de M. Arnaud Danjean, président du comité de rédaction de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale
M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons aujourd'hui notre collègue député européen Arnaud Danjean, grand spécialiste des problèmes de stratégie et de défense, à qui le Président de la République a demandé de coordonner la rédaction de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, à la tête d'un comité qui a beaucoup travaillé cet été.
Je suis très heureux de saluer le général François Lecointre, chef d'état-major des armées, que nous accueillons pour la première fois. Il reviendra d'ailleurs le 9 novembre nous parler du budget. Je lui dis tout notre respect, notre amitié, notre soutien dans sa mission. Je salue la présence de l'ingénieur général de l'armement Joël Barre, délégué général pour l'armement, que nous revoyons demain matin sur des questions budgétaires, dont c'est également la première venue devant la commission. Nous accueillons également Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration qui a déjà planché devant nous, ainsi que l'ambassadeur Philippe Errera, directeur général des relations internationales et de la stratégie, que nous avons connu exerçant d'autres responsabilités dans le passé.
Une revue stratégique, c'est en fait une vision d'ensemble des menaces du contexte géostratégique, première étape indispensable pour nous permettre d'y voir clair en vue du débat sur la loi de programmation militaire, qui viendra, au premier semestre 2018, décliner les moyens des forces armées pour répondre à ces menaces. Arnaud Danjean, vous avez souhaité associer les représentants du Parlement aux réflexions du comité et nous avons eu plusieurs entretiens préalables. Vous venez aujourd'hui nous présenter le fruit de la réflexion collective d'un comité de 18 membres où siégeaient notamment les chefs d'état-major et les plus importants responsables placés auprès de la ministre des armées, avec qui, mardi prochain, nous débattrons en séance publique au Sénat des conclusions de la revue stratégique.
Notre commission, par la voix de Jean-Pierre Raffarin, mon prédécesseur, avait suggéré au Président de la République et à la ministre des armées, dès le mois de juin, la formule d'une revue stratégique, outil beaucoup plus léger que le Livre blanc pour préparer la loi de programmation militaire. Notre constat était que les menaces étaient connues, et que, si elles s'étaient durcies et dispersées, les grandes tendances étaient au fond déjà identifiées dans le Livre blanc de 2013 : du terrorisme djihadiste et de stratégies asymétriques d'acteurs non étatiques aux stratégies de puissance qui se déploient dans le haut du spectre, le tout dans un environnement de moins en moins stable.
Pour nous, l'essentiel, c'est d'aller rapidement à la loi de programmation militaire pour organiser la remontée en puissance des moyens des armées, sans perdre les traditionnels 18 mois des commissions du Livre blanc ancienne formule.
Le Président de la République, dans sa lettre de mission, demandait une analyse des menaces et une priorisation de nos intérêts de sécurité. Il avait d'ores et déjà indiqué son souhait du maintien des deux composantes de la dissuasion, qui étaient en quelque sorte hors du champ de vos débats.
Le comité a vite et bien travaillé, puisque la revue que vous nous présentez aujourd'hui est un document solide, qui prône - c'est pour nous l'essentiel - le maintien d'un modèle d'armée complet et équilibré. Cela implique un effort considérable sur les moyens, tant nos armées sont aujourd'hui surexposées et fragilisées par une décennie d'éreintement.
Vous n'aviez pas pour mission de définir les contrats opérationnels, mais vous esquissez, dans une démarche intéressante, les 30 « capacités » nécessaires aux forces armées, tout en maintenant à l'identique les grandes fonctions stratégiques. Le maintien de certaines de ces capacités est un défi, vous le dites sans détour : entrer en premier et durer, en particulier.
Enfin, si votre revue n'adopte pas d'approche géographique, une priorité euro-méditerranéo-sahélienne se dessine toutefois, avec une attention particulière au voisinage immédiat.
M. Arnaud Danjean, président du comité de rédaction de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. - Je vous remercie de votre accueil et de votre contribution à nos travaux. Je vous félicite également, monsieur le président, de votre élection à la présidence de la commission des affaires étrangères du Sénat, ainsi que tous vos collègues élus ou réélus.
Il est tout à fait naturel que nous soyons devant vous aujourd'hui ; c'est d'ailleurs ce qu'avait souhaité le Président de la République dans sa lettre de mission. Comme Christian Cambon l'a rappelé, nous sommes une formation collégiale. Si je dis cela, ce n'est pas que je veux me prémunir contre un quelconque danger dans cette noble assemblée... Simplement, cela correspond à la réalité des travaux que nous avons conduits. Ce rapport est le fruit d'un travail collectif, ce n'est absolument pas « mon » rapport, même si j'en assume chaque ligne.
Outre moi-même et Philippe Errera, qui en était le secrétaire général, ce comité comprenait 16 membres hautement qualifiés. Vous avez souligné mon intérêt pour ces sujets : j'ai mesuré durant nos travaux les limites qui étaient les miennes face au panel d'experts que nous avions en face de nous et à qui je rends hommage. Ma grande satisfaction, si je devais n'en avoir qu'une, a été notre grande liberté de parole, laquelle nous a permis d'aboutir à un résultat qui suscitera sans doute des critiques et des réserves, mais dont je peux vous assurer la parfaite honnêteté intellectuelle et professionnelle.
Je ne ferai pas une présentation exhaustive de ce rapport en trois parties ; je m'attacherai à vous en rappeler quelques idées fortes.
Notre groupe de travail a été installé à la fin du mois de juin et a rendu ses travaux la semaine dernière. Le rapport a été validé en conseil de défense mercredi dernier. J'ai mené plus de 120 entretiens, tant en France qu'à l'étranger, ce qui explique que mes collègues bourguignons François Patriat et Jean-Paul Émorine, ici présents et que je salue, m'aient peu vu cet été sur le terrain... Comme cela nous était demandé, nous avons procédé à une revue stratégique et non pas rédigé un livre blanc, avant une loi de programmation militaire.
Ce document comprend donc trois parties : la première partie dresse un état des lieux de la situation actuelle, en insistant particulièrement sur les théâtres sur lesquels nous sommes engagés diplomatiquement et militairement ; la deuxième partie est plus prospective et dessine les évolutions de la conflictualité, la façon dont on conçoit la guerre et dont on la fait ; dans la troisième partie, plutôt prescriptive, nous développons ce que doivent être les ambitions de la France. Elle doit permettre d'embrayer sur une loi de programmation militaire.
S'agissant de l'état des lieux, si je devais qualifier en deux adjectifs l'environnement international actuel, je dirais qu'il est plus incertain et plus instable. Le système international dans lequel nous évoluons, façonné après la Seconde Guerre mondiale, basé sur des architectures de sécurité à la fois globales et régionales, se dégrade : il est affaibli et contesté de l'intérieur par de grandes puissances qui en sont elles-mêmes théoriquement les garantes - la Russie, la Chine, les États-Unis - et également par de nouveaux acteurs étatiques - des puissances régionales qui veulent se faire « une place au soleil » en n'hésitant pas à recourir à des moyens que nous croyions proscrits : la Turquie, l'Arabie Saoudite ou l'Iran -, et non étatiques. Ainsi, une des premières choses qu'a faites l'État islamique en 2014, une fois son implantation réalisée, a été d'effacer la frontière entre la Syrie et l'Irak, illustrant sa contestation des bases mêmes de l'ordre international.
La contestation de ce système international, dont nous avons beaucoup d'exemples - de l'annexion de la Crimée jusqu'à l'annonce faite par le président Trump au sujet de l'accord nucléaire avec l'Iran - n'est sans doute pas l'élément prégnant en termes de menaces. Mais cet affaiblissement du système est structurel et va continuer de peser sur l'ensemble des relations internationales dans les décennies à venir. Tous les éléments sur lesquels nous avons ensuite insisté - terrorisme, retour des États-puissance, les États faillis - s'inscrivent sur cette toile de fond et renforce les incertitudes.
La France, membre de l'Union européenne, de l'Otan, du Conseil de sécurité des Nations unies, est une des puissances constitutives de ce système international. C'est un pays profondément attaché au multilatéralisme, à la légitimité des actions internationales qu'elle conduit, mais cette vision des choses est sinon minoritaire, du moins elle n'est plus partagée par un certain nombre de grands pays qui souhaitent aujourd'hui s'en affranchir. Cela soulève de vraies difficultés d'appréhension du contexte international et fait peser de l'incertitude et de l'imprévisibilité sur la façon dont nous concevons notre diplomatie et nos engagements armés.
Le deuxième point, c'est l'instabilité, qui nous renvoie précisément aux menaces auxquelles nous avons à faire face sur notre sol. Le territoire national a été durement frappé et tout le monde pense à 2015. Mais, au moment où se déroule le procès Merah, force est de constater que la vague d'attentats djihadistes auxquels nous avons à faire face remonte bien avant les événements de Charlie-Hebdo ou du Bataclan. L'affaire Merah a été l'amorce d'une nouvelle vague de terrorisme djihadiste pas fondamentalement nouvelle dans sa nature, mais d'une ampleur inédite. Cela nécessitait une adaptation de nos dispositifs qui a conduit nos forces armées à s'engager fortement et durablement sur le territoire national.
Au-delà de cette menace immédiate et directe sur notre sol et sur nos populations, l'instabilité du contexte international est attestée aussi sur d'autres théâtres : le continent européen est cerné par des zones en crise ou en tension, voire par des guerres ouvertes. Par environnement européen, je vise également le Sahel, car, comme le disaient certains interlocuteurs locaux, entre le Mali et l'Europe, il n'y a qu'une frontière. Et il ne nous semble pas que cette zone soit aujourd'hui en voie de stabilisation et elle continuera à être instable dans les prochaines années, quelle que soit la forme que prenne notre engagement.
L'instabilité, on la retrouve également au Proche et au Moyen-Orient. Nous sommes engagés au Levant et les défaites que subit l'organisation terroriste État islamique ne doivent pas masquer une chose : ce qu'il reste de cette organisation va retourner à ce qu'elle était avant : un phénomène insurrectionnel sunnite dans cette région qui restera une source majeure d'instabilité. En outre, un certain nombre de djihadistes seront tentés de revenir dans leur pays d'origine, même si l'ampleur de ce phénomène n'est pas aussi forte qu'on l'avait craint. Surtout, par effet de dissémination, des zones qui étaient jusqu'alors peu affectées par ce phénomène - en Afrique de l'Ouest ou en Asie du Sud-Est - risquent demain de se trouver en première ligne. Voyez ce qui se passe aux Philippines.
L'instabilité se manifeste aussi à l'Est de l'Europe, où le conflit ukrainien doit être considéré non pas comme un conflit gelé, à l'instar du conflit en Transistrie ou du conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, mais bien comme un conflit de basse intensité. Les forces qu'il concentre et les dommages qu'il génère vont bien au-delà de ce que l'on constate dans les autres conflits gelés, et on ne peut guère escompter sa résolution à court terme.
Si l'ensemble de ces menaces et de ces risques sont extrêmement présents dans notre environnement immédiat et nous affectent tous, même de façon inégale, en tout état de cause, ils sont source d'instabilité majeure de l'environnement international.
D'autres risques, qui ne sont pas militaires à proprement parler, peuvent cependant affecter nos capacités. Les catastrophes naturelles qui se sont abattues sur nos DOM en sont un bon exemple, puisqu'elles ont suscité la mobilisation massive de moyens y compris militaires. Nous ne pouvons pas ignorer non plus les risques de pandémies ou les phénomènes de criminalité organisée transnationale, tous facteurs aggravants de crises existantes.
Notre état des lieux est donc assez sombre : celui d'un environnement incertain et instable qui ne devrait pas connaître de véritables améliorations.
La deuxième partie de la revue dresse la liste des défis auxquels doivent faire face nos armées, que nous avons rassemblés autour des notions de durcissement et d'ambiguïté.
Le durcissement prend d'abord la forme d'une militarisation accrue d'un certain nombre d'acteurs. C'est le cas des plus grandes puissances, comme l'essor spectaculaire de la marine Chinoise ou les efforts militaires russes le montrent, mais aussi des organisations terroristes, qui disposent parfois de moyens comparables à ceux des États. On le voit au Mali, au Levant ou même au Yémen, où les milices Houthis peuvent mettre en péril la navigation le long des côtes.
Le durcissement peut aussi se constater en termes d'accessibilité. Certains États peuvent nous poser des problèmes d'accès qui ne se posaient pas jusqu'à présent, comme en Méditerranée, où certains pays réarment, et où d'autres ont aujourd'hui des régimes stables mais pourraient, avec des régimes instables, nous poser de grandes difficultés, notamment pour nos Opex.
L'ensemble des domaines sont affectés. C'est le cas du domaine maritime avec la Méditerranée ou l'Océan indien. Dans cette zone, les Chinois s'installent durablement à Djibouti et deviennent les principaux acteurs des routes maritimes ; ceci est loin d'être anodin compte-tenu du volume des flux commerciaux qui transite par cette zone. C'est le cas du domaine aérien, avec les fréquentes provocations russes autour des espaces aériens occidentaux : on peut y voir des gesticulations sans conséquences, mais le danger du dérapage est toujours là. Et c'est le cas du domaine terrestre, comme au Sahel, où nos forces n'ont pas affaire à quelques va-nu-pieds en pick-up, mais à des forces aguerries. Ce qu'ont subi les Américains au Niger récemment et la résistance de Boko Haram doivent à cet égard nous faire réfléchir.
Deux autres domaines, sans être inédits, sont concernés par un durcissement d'une ampleur nouvelle. Le numérique est un « terrain de jeu » infini pour de nouveaux acteurs, faisant apparaître une nouvelle difficulté, celle de l'attribution des actes malveillants, qui détermine la réponse. L'espace ne doit pas non plus être oublié, avec le risque évident de militarisation.
Ce durcissement va de pair avec l'ambiguïté. Nous avons tous en tête l'attaque dont TV5 a été la victime et les difficultés d'identification de l'origine de cette attaque. Vous pouvez aujourd'hui paralyser un État sans le revendiquer, sans apparaître clairement comme le responsable. C'est une mutation importante de la conflictualité : pour avoir moyens de s'en prémunir ou de répondre, il faut avoir les moyens d'identifier l'auteur de ces actes.
L'ambigüité se manifeste aussi dans le domaine nucléaire, avec la prolifération et des doctrines de plus en plus ambiguës. Certains États évoquent la possibilité d'abaisser leur seuil d'emploi, sans même parler de la crise nord-coréenne. Cette situation nous demandera beaucoup d'agilité et d'adaptabilité à nos forces armées et, au-delà, à notre industrie d'armement.
La troisième partie de la revue est plus prescriptive. La France ne doit pas baisser la garde, bien au contraire : elle doit pouvoir faire face à l'ensemble de ces défis. La France a une singularité stratégique qu'elle doit assumer sans complexes et sans arrogance. Avec le Brexit, la France est la seule puissance européenne qui soit membre de l'Union européenne, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-unies, ainsi que puissance nucléaire, avec une armée complète et agissante.
Il ne s'agit pas de pousser un quelconque « cocorico », mais de constater la réalité d'un statut que nous devons assumer. Nous devrons relever ces défis d'abord pour nous-mêmes bien sûr, mais aussi pour être crédibles à l'égard de nos alliés. L'outil militaire complet à la française est perçu par nos partenaires comme une force. Ce n'est pas en nous affaiblissant que nous ferons envie aux autres. Le développement d'une forte autonomie n'est pas en contradiction avec la capacité à fédérer, bien au contraire. Cela se manifeste tout particulièrement aujourd'hui, dans un moment très particulier au niveau européen.
Je ne suis pas un eurobéat. Je ne crois pas que la défense européenne arrivera par incantation. Mais être réaliste ne doit pas nous conduire à abdiquer cet objectif. Aujourd'hui, de nombreux partenaires de notre pays comprennent lucidement que s'ils ne relèvent pas certains défis, personne ne le fera à leur place. Mais ne nous illusionnons pas : cela ne se fera pas du jour au lendemain.
Il est du devoir de la France de porter cette ambition européenne, mais avec lucidité et pragmatisme. Cela ne se fera pas à 27 ; les partenariats bilatéraux y ont toute leur place, y compris celui avec le Royaume-Uni. Nous devons nouer des coopérations avec nos amis allemands. Cela ne va pas forcément de soi en matière militaire, nous en sommes conscients, et les Allemands aussi. Néanmoins, le volontarisme est là, des deux côtés du Rhin. La démarche consistant, à Berlin, à accepter plus de responsabilités semble irréversible. Attention cependant aux illusions : l'Allemagne ne sera pas militairement une « France bis », qui nous suppléera dans toutes nos actions. Les contraintes institutionnelles et politiques, fruits de l'histoire, demeureront. Mais nous pouvons avoir et développer des complémentarités, comme au Sahel, où l'Allemagne offre un soutien précieux aux États de la région.
D'autres pistes existent, tel le fonds européen de défense et les financements européens en matière de recherche, qu'il ne faut pas dédaigner. La France ne peut pas être absente de ces initiatives inédites. Le contexte est favorable aux coopérations.
Nous n'ignorons pas les partenariats plus globaux. L'Australie, par exemple, va devenir un partenaire industriel, mais aussi opérationnel, dans une région qui concentrera de plus en plus d'enjeux à l'avenir - avec de surcroît le voisinage de la Nouvelle-Calédonie.
La chute - si l'on peut dire - de notre rapport, est abrupte, car nous n'avions pas à entrer dans le détail des ressources nécessaires pour faire face. Nous avons pu trouver cela frustrant - y compris moi-même. Mais cet exercice revient à ceux qui devront écrire la future loi de programmation militaire. Mais nous avons réfléchi aux ambitions et aux aptitudes.
Nous n'avons pas remis en cause les cinq fonctions stratégiques, mais nous avons proposé de rééquilibrer leurs places relatives. Nous plaidons ainsi pour qu'une attention particulière soit portée à l'anticipation et à la connaissance. Cela est valable pour le renseignement militaire, mais aussi pour l'ensemble de la communauté du renseignement. Nous insistons aussi sur la protection : le sol national a été frappé et nous devons répondre à la demande de protection de nos concitoyens. Cela concerne non seulement la marine et l'armée de l'air, habituées à cette posture de sécurité maritime et aérienne du territoire et de ses approches, mais aussi désormais l'armée de terre.
Nous mettons aussi en valeur la fonction prévention : la France a des atouts en matière de pré-positionnement, avec les DROM-COM et les bases militaires à l'étranger. Cet aspect a peut-être été trop négligé par le passé. Cela ne veut d'ailleurs pas forcément dire qu'il faut modifier inconsidérément l'allocation des ressources, mais les dernière catastrophes naturelles ont montré toute l'importance du pré-positionnement, pas forcément de ressources technologiquement sophistiquées, mais parfois de capacités plus « rustiques » très utiles pour faire face aux urgences et assumer une présence efficace Outre-Mer. Il faut également considérer une meilleure anticipation et prévention des crises en amont. Et toujours avoir à l'esprit que l'intervention doit s'appréhender dans la durée. La meilleure solution est toujours de ne pas avoir à intervenir. Je suis très heureux de voir que ce thème a été porté par nos armées elles-mêmes, qui, avec lucidité et courage, sont conscientes des limites de leurs propres actions. La diplomatie et l'action militaire doivent mieux s'articuler et les réflexions préalables doivent être plus fluides. Dans le domaine de la politique de développement, domaine clé de la stabilisation et donc de la prévention, les moyens européens devraient être mobilisés sans réserves, même si - je le sais bien - ils sont parfois perçus comme excessivement lourds et bureaucratiques.
M. Pascal Allizard. - Dans votre dernière partie, vous évoquez la fidélisation des ressources humaines. Le 11e rapport thématique du Haut-comité d'évaluation de la condition militaire indique quant à lui que 62 % des militaires de carrière de l'armée de terre et que 82 % des marins pourraient envisager de changer d'activité. Que proposez-vous dans ce domaine ? La Chine déploie de nouvelles routes maritimes de la soie. Une politique plus ambitieuse en Méditerranée ne serait-elle pas souhaitable ? L'Allemagne aide ses voisins de l'Est à se réarmer. Cette politique est-elle unilatérale ou concertée ?
M. Ladislas Poniatowski. - Après votre constat plus que sombre d'un monde instable, vous réaffirmez toutefois la volonté d'une armée complète... donc coûteuse. Le travail de revue n'est pas fini : l'État-major et la ministre doivent en effet effectuer deux revues sur l'opération Barkhane et la situation au Levant.
Barkhane représente 4 500 militaires présents sur le terrain et 1 million d'euros par jours ; c'est 1 % du budget de la défense !
On essaie de créer une force africaine, de cinq mille hommes, mais celle-ci est loin d'être opérationnelle. Ce serait une grave erreur de nous désengager. Au Mali, le président nous décourage alors que la situation s'aggrave : 74 attentats en un trimestre ! Avec la fin des combats et Irak et en Syrie - comme après ceux de Libye - les soldats de Daech se replieront au Mali, avec leurs armes, car nous ne pourrons pas tous les arrêter. Nous n'avons pas le droit de baisser les bras. Où va l'opération Barkhane ?
M. Cédric Perrin. - Merci pour cet état des lieux précis, quoique sombre. La tentative chinoise d'instaurer des zones économiques exclusives (ZEE) nous impose-t-elle de rééquilibrer le poids de nos différentes armées en faveur de la marine ? Que pensez-vous de la militarisation de la sécurité intérieure ? Des contradictions apparaissent-elles entre plusieurs de nos accords de défense ? Quelle marge de manoeuvre avons-nous dès lors qu'une bonne partie du budget sera consommée par le renouvellement de la force de dissuasion ? Où en sommes-nous de la défense exo-atmosphérique ? La Chine disposerait de satellites anti-satellites...
M. Bernard Cazeau. - Comment voyez-vous évoluer le conflit syrien, en particulier du point de vue géographique ? Quelle sera l'influence des Kurdes, de la Turquie ou de l'Iran ?
M. Jean-Marie Bockel. - Merci pour la présentation très claire de ce remarquable travail. Entre les ambitions affichées - que beaucoup d'entre nous partagent - et les difficultés rencontrées par nos armées dans l'exercice de leurs missions, il y a un hiatus, dont nous devons être conscients. Vous avez été très clair sur les deux composantes de la dissuasion nucléaire, ainsi que sur la base industrielle de la défense européenne. Tant mieux, car des choix s'imposent si nous voulons rester crédibles.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - On parle beaucoup d'armée européenne...
M. Arnaud Danjean. - Je ne parle jamais d'armée européenne !
Mme Sylvie Goy-Chavent.- ...mais les règles d'engagement ne sont pas les mêmes dans chaque pays. En France, c'est le Président de la République qui décide d'engager les armées ; en Allemagne, c'est le Parlement. Comment uniformiser le modèle de décision ? Vous évoquez, en l'espèce, le pragmatisme... Quel en serait le bon modèle ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Bravo pour votre volontarisme européen. Toutefois, j'ai interrogé la semaine dernière, à l'occasion de l'assemblée parlementaire de l'Otan, Jens Stoltenberg, sur l'autonomie de la défense européenne. Sa réponse fut glaçante : 80 % de notre défense, dit-il, est assurée par des pays non-européens, comme le Canada, les États-Unis et bientôt le Royaume-Uni... Comment renforcer la défense franco-britannique après le Brexit ?
L'accord avec Microsoft est très contesté, car c'est de notre souveraineté numérique qu'il s'agit.
M. Arnaud Danjean. - Nous avons signalé l'importance de l'attractivité de la fonction militaire, car nous sommes parfaitement conscients de la singularité du choix, personnel et professionnel, qu'est l'engagement dans cette carrière. Et nous ne perdons jamais de vue que nos ambitions se fondent, en dernière analyse, sur des hommes et des femmes qui opèrent sur le terrain. Les conditions matérielles ont leur importance, et elles figurent en bonne place parmi les priorités de la ministre. Les conditions familiales comptent aussi, tout comme le statut. Mais il y a autre chose : nos armées ont besoin de sentir derrière elles une forme de cohésion nationale - ce qui est plus difficile à développer par des mesures pratiques ! En la matière, la responsabilité est collective, et notre rencontre n'est pas anodine à cet égard. Tout affaiblissement d'un consensus minimal sur les grandes orientations nuit à l'attractivité de la fonction militaire. Soyons-y attentifs.
Général François Lecointre, chef d'état-major des armées. - Les ressources nouvelles doivent être réparties de façon équilibrée entre conditions de vie, restauration des capacités existantes et préparation de l'avenir. Les armées françaises, ce sont vos armées. La dimension humaine y est essentielle. Le Parlement peut nous aider à promouvoir des mesures interministérielles, qui ne coûtent rien : par exemple, favoriser la mutation dans la fonction publique du conjoint d'un militaire contraint de s'adapter à la mobilité de celui-ci.
M. Arnaud Danjean. - Nous avons recensé les signes de montée en puissance de la Chine comme acteur aux ambitions globales. Tout en se réclamant du multilatéralisme, la Chine instrumentalise volontiers cette référence au multilatéralisme pour promouvoir son propre agenda. Il nous faut donc un dialogue lucide et exigeant avec elle, surtout dans le domaine maritime. Membres du conseil de sécurité de l'ONU, nous veillons attentivement aux développements en mer de Chine, même si nous n'y sommes pas un acteur de premier plan. Notre marine est en mesure d'agir - ce qui suscite l'intérêt de nos partenaires européens, y compris britanniques ! L'accès à la Méditerranée que s'ouvre la Chine et son expansion dans l'Océan indien nous préoccupent également. Il convient de noter l'activité de ses contingents dans les opérations de maintien de la paix en Afrique. Sans oublier les projets de la route de la soie numérique - là aussi, nous devons être attentifs.
Sur l'Allemagne, il est vrai que nous avons sans doute été un peu lents à prendre la pleine mesure de ce que signifie le framework nation concept. Elle a su agréger plusieurs pays d'Europe centrale et orientale sur le plan capacitaire pour développer des solidarités profitant à son industrie de défense. Ne soyons pas naïfs : les hausses de budget spectaculaires à venir bénéficieront d'abord à l'industrie de défense allemande. Nous pouvons le déplorer, ou tâcher de faire servir cette évolution aussi en partie à nos intérêts, par des partenariats industriels soigneusement définis et par une meilleure coopération sur les théâtres extérieurs, où les Allemands ne pourront jamais jouer notre rôle, mais où ils peuvent apporter un soutien important. D'ailleurs, l'engagement allemand au Sahel n'est pas près d'être remis en question.
Il existe une revue spécifique consacrée à Barkhane. Nous n'allons pas nous désengager, mais changer nos modalités d'engagement. Mon opinion est qu'il faut adapter notre dispositif avec souplesse. La situation au centre du Mali se dégrade. Le Nord est structurellement instable, et notre effort militaire n'y changera rien - peut-être même aggrave-t-il la situation. Au centre et au Sud, en revanche, l'articulation de Barkhane et de la Minusma peut être constructive. Je partage votre crainte d'un afflux de djihadistes, qui ne s'arrêteront d'ailleurs pas au Mali mais gagneront l'Afrique de l'Ouest, ou le prosélytisme islamiste, soutenu par de considérables puissances financières, bouleverse déjà la sociologie.
Général François Lecointre. - La revue de Barkhane a été confiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la ministre des armées. C'est donc un travail interministériel, et nous en conduirons un semblable pour le Levant. Nous en rendrons les conclusions demain au Président de la République. Permettez-moi de lui en réserver la primeur des conclusions. La question : « Que se passerait-il en l'absence de Barkhane ? » suffit à indiquer que la France ne compte pas se désengager. Le Président de la République nous a demandé de fixer la nouvelle ambition opérationnelle des armées. Ce sera le lien entre la revue stratégique et la loi de programmation militaire.
M. Arnaud Danjean. - Oui, notre présence maritime est fondamentale, même si la marine ne réclame pas une hausse exponentielle de ses moyens. Le déploiement des B2M a été tardif et je le regrette car nous devons disposer de moyens adaptés aux missions à conduire dans nos Outre-Mer et dans notre ZEE.
La militarisation de la sécurité intérieure est un sujet sensible et j'admets regarder cela, à titre personnel, avec beaucoup de circonspection. J'ai même été parfois très critique. Je reste convaincu que la lutte anti-terroriste sur le sol national concerne avant tout d'autres moyens que ceux des armées : renseignement, police, sécurité intérieure, justice, éducation, services sociaux, etc. Pour autant, les moyens militaires ont leur utilité, et l'adaptation en cours de Sentinelle est bienvenue, car elle recentre l'action des militaires sur leur vraie plus-value.
Les moyens de la dissuasion sont contraints, et le resteront. L'équilibre entre ambitions et réalisme sera l'enjeu du prochain exercice. Notre revue est raisonnable, je crois. Il existe des programmes sur les moyens exo-atmosphériques. Ce type de recherche doit être conduit en priorité dans un cadre européen, car son coût est considérable.
M. Christian Cambon, président. - Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sera reçu demain à la commission sur ce sujet.
M. Arnaud Danjean. - La phase de lutte contre l'État islamique arrive à son terme. Pour autant, l'insurrection sunnite continuera. La question devient de savoir comment interagiront les puissances régionales, qui sont en train de « se partager » la Syrie, même si le régime consolide son emprise sur la majorité du territoire - quoiqu'au prix d'une forte dépendance envers ses alliés russe, iranien ou du Hezbollah. Bref, cette recomposition promet d'être un processus de long terme, avec peut-être des accalmies passagères mais avec un maintien durable de tensions intercommunautaires et entre puissances régionales voisines.
Quand on veut tuer toute perspective de politique de défense européenne, on parle d'armée européenne. Je n'emploie jamais cette expression. D'ailleurs, elle n'est pas étrangère au Brexit, vu l'usage caricatural qu'en ont fait les médias britanniques. Pourtant, cette idée n'est en réalité que très très rarement évoquée à Bruxelles, et quand elle l'est c'est toujours très mal à propos! Quand bien même il en serait question, l'hétérogénéité des institutions est telle que ce serait irréaliste. En revanche, une politique de défense plus intégrée serait bienvenue - même si cela paraît peu envisageable à 27.
Quant aux propos de M. Stoltenberg, ses déclarations ne me convainquent pas. Nos alliés européens prennent conscience de la solidarité européenne en la matière. Ainsi, de l'Estonie par exemple. La prévisibilité de notre défense et la façon dont nous savons nous montrer solidaires de leurs propres perceptions les incite à travailler avec nous.
M. Joël Guerriau. - Les stratégies des autres pays ne doivent-elles pas être davantage prises en compte ? L'action maritime de la Chine nous concerne, puisque nous avons 11 millions de kilomètres carrés à protéger.
M. François Patriat. - Cette revue met en garde contre l'ambiguïté des cyberattaques, qui créent des tensions entre les États. Que faire pour lutter contre celles-ci ?
M. Jean-Marc Todeschini. - Quelle est la situation des autorités libanaises face au retour des réfugiés et au conflit israélo-palestinien ? Le rôle de la France va-t-il évoluer ? Êtes-vous optimiste ?
M. Jean-Pierre Vial. - Vous écrivez que l'adaptation de nos capacités de dissuasion doit se poursuivre, qu'elle suppose le renouvellement des deux composantes et le soutien de la pérennisation. Ce renouvellement est-il remis en question ?
M. Arnaud Danjean. - Oui, notre stratégie doit s'articuler à celle de nos partenaires. Beaucoup d'entre eux conduisent, comme nous, des revues, et prennent la nôtre comme un point de repère car le positionnement français est perçu comme plus stable et prévisible. Une revue spécifique du cyber est en voie d'achèvement. Nous prenons la menace au sérieux, même si nous avons mis un peu de temps à la reconnaître. L'enjeu est de se coordonner avec nos alliés dans ce domaine où il n'est pas facile de partager.
S'agissant du Proche-Orient, je ferai preuve d'une grande modestie. Le conflit israélo-palestinien demeure un point très important et nous ne devons pas négliger cette zone, même si d'autres parties de cette région ont récemment attiré davantage notre attention. Pour ce qui concerne la Jordanie et le Liban, on évoque en permanence leur fragilité, réelle, mais je constate que ces deux pays font preuve d'une résilience extrêmement forte. Quand on mesure le flux de réfugiés auquel ils ont eu à faire face et les défis sécuritaires qu'ils ont à relever, force est de constater qu'ils tiennent bon pour l'instant. Nous devons faire preuve avec ces pays d'une grande solidarité.
Cela m'amène à dire un mot sur nos capacités de renseignement. Celles-ci sont prioritairement dirigées vers l'antiterrorisme, ce qui est légitime compte-tenu de l'état de la menace. Néanmoins, dans ce rapport, nous plaidons pour que d'autres dimensions ne soient pas négligées, en particulier la connaissance de ces pays de la Méditerranée et du Proche-Orient, dont beaucoup nous paraissent familiers et avec lesquels nous avons des liens culturels, politiques, historiques très forts. Pourtant, nous les connaissons finalement assez mal dans leurs processus de décision, dans les forces sociologiques qui les travaillent et nous ne sommes pas à l'abri de mauvaises surprises.
M. Christian Cambon, président. - Je remercie chacun de sa contribution.
La réunion est close à 16h40.
Mercredi 18 octobre 2017
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi de finances pour 2018 - Audition de M. Joël Barre, délégué général pour l'armement
M. Christian Cambon, président. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Joël Barre, délégué général pour l'armement depuis août dernier.
Monsieur le délégué général, vous avez principalement la responsabilité des opérations d'armement des forces armées. Financées sur le programme 146, premier budget d'investissement de l'État, elles représentent 10,4 milliards d'euros en crédits de paiement et 13,7 milliards d'euros en autorisations d'engagements. Vous avez également la responsabilité des études amont, c'est-à-dire de la recherche, enjeu essentiel pour préparer l'avenir, qui est financée sur le programme 144.
Le Gouvernement affiche un budget 2018 de « remontée en puissance » pour la défense. Les autorisations d'engagements du programme 146 augmentent d'un tiers et des livraisons et des commandes importantes d'équipements sont prévues. Toutefois, nous sommes très préoccupés par l'exécution budgétaire pour 2017, qui a causé la démission du chef d'état-major des armées, le général de Villiers, en juillet dernier. D'abord, où en est le déblocage des 700 millions d'euros de crédits encore gelés sur le programme 146 ? L'année dernière, la DGA était en « cessation de paiement » le 12 octobre : qu'en est-il cette année ?
Ensuite, quel sera l'impact de l'annulation des 850 millions d'euros décidée en juillet dernier ? En report de charges, on parle de 420 millions d'euros pour 2018, avec un reste à payer de 400 millions pour 2019. À l'approche de la préparation de la loi de programmation militaire 2019-2025, ce n'est pas de bon augure. Quels seront les retards de livraisons et surtout les surcoûts liés à ces décalages ? On parle des pods de détection des Rafale Marine, des radars des avions de surveillance, des tourelles des Griffon...
Enfin, quelles garanties a-t-on que les crédits restant au programme 146 ne feront pas à nouveau les frais de la régulation de fin d'année ? Ce programme est la seule réserve disponible pour la défense ; s'il lui faut assumer en propre les surcoûts d'opérations extérieures et intérieures, cela risque de mettre le budget encore plus en danger.
Nous sommes aussi préoccupés par les dispositions du projet de loi de programmation des finances publiques. Les crédits déjà prévus pour la défense en 2019 et 2020 sont-ils à la hauteur des besoins, pour les équipements ? Ces investissements pourront-ils être engagés, alors qu'un objectif annuel de stabilisation des restes à payer de l'État serait introduit par l'article 14 du projet de loi ?
M. Joël Barre, délégué général pour l'armement. - Je vous remercie de me recevoir. La direction générale de l'armement (DGA) a en effet la responsabilité du programme 146 conjointement avec le chef d'état-major des armées et la pleine responsabilité des études amont du programme 144.
Un mot d'abord sur l'exécution budgétaire pour l'année 2017. Le niveau d'engagement prévu au titre du programme 146 d'ici à la fin de l'année est de 12,1 milliards d'euros, montant élevé du fait notamment du lancement de frégates de taille intermédiaire, de la commande, au titre du programme Scorpion, de 319 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon, ainsi que du développement et des vingt premiers exemplaires de l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar. Ces engagements couvrent en outre la rénovation des cockpits des avions Awacs, la rénovation des frégates Lafayette ainsi que la commande des satellites Syracuse de quatrième génération.
Les besoins en termes de crédits de paiement pour l'année 2017 sont estimés à 11,4 milliards d'euros, tandis que les ressources disponibles s'établissent, en loi de finances initiale, à 9,3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 700 millions d'euros toujours gelés.
La gestion de l'année 2017 a aussi été marquée par une annulation de crédits à hauteur de 850 millions d'euros, entièrement supportée par le programme 146. En conséquence, et dans l'hypothèse d'un déblocage complet des crédits gelés, le report de charges à la fin de l'année est estimé à 1,7 milliard d'euros - 2,4 milliards d'euros sinon.
Le niveau d'engagement prévisionnel au titre du programme 144 s'établit à 861 millions d'euros. Ce montant inclut la provision relative à la prochaine phase du programme de démonstrateur de drones de combat franco-britannique FCAS (Future Combat Air System), reportée en début d'année prochaine, selon l'issue des discussions menées avec les Britanniques et des propositions que feront nos partenaires industriels.
Le besoin en crédits de paiement actualisé pour 2017 est de 820 millions d'euros. Tous les crédits de paiement disponibles seront donc consommés d'ici la fin de l'année. 50 millions d'euros ont été consacrés, comme chaque année depuis 2015, au Régime d'appui pour l'innovation duale, destiné aux PME et aux ETI.
Des études ont été lancées dans le domaine de la guerre électronique - qui nécessite, tant dans le domaine aéronautique que dans le domaine naval, des améliorations continues. D'autres études portent sur un radar sol à antenne active, pour renouveler celui qui existe dans nos systèmes sol-air de moyenne portée, ou encore sur les futurs missiles de croisière et missiles antinavires, en coopération avec les Britanniques, qui seront fabriqués par MBDA. Nous avons enfin lancé un certain nombre d'études sur les composants et systèmes optroniques, par exemple des détecteurs infrarouges de nouvelle génération. Parmi les résultats d'études marquantes, citons la nouvelle architecture du système de communication des aéronefs qui participent aux missions de combat, l'évaluation en conditions représentatives de la tenue de situation multi plateforme pour la Marine ou encore les démonstrations faites des capacités de pénétration de têtes militaires polyvalentes pour les missiles de combat terrestres.
La liste des commandes et livraisons réalisées en 2017 est longue : je n'en ferai pas une lecture exhaustive. Les livraisons comprennent trois avions de transport A400M, neuf hélicoptères NH90, cinq hélicoptères Tigre, 379 porteurs polyvalents terrestres pour l'armée de terre, un Rafale neuf et deux Rafales Marine rétrofités au standard F3.
Nous avons également réalisé plusieurs urgences opérations cette année : dans le domaine des véhicules blindés hautement protégés pour les forces spéciales, sur les fusils, les télépointeurs, etc. D'autres sont à lancer d'ici la fin de l'année, en particulier un complément de travaux pour 12 appareils de communication satellite pour avions.
En matière d'exportations, les prises de commandes françaises en 2016 ont atteint 14 milliards d'euros. Deux partenariats stratégiques d'envergure ont étés scellés : avec l'Australie d'une part, qui a choisi la France et Naval Group pour la construction de 12 sous-marins océaniques ; la dynamique a été lancée en 2016, et se traduit cette année par l'arrivée à Cherbourg d'une cinquantaine d'Australiens. Avec la Belgique d'autre part, qui a fait le choix d'acquérir des véhicules développés dans le cadre du programme Scorpion.
La DGA a mis fin à la baisse de ses effectifs, engagée au milieu de la décennie 2010. La prévision d'atterrissage est de 9 710 emplois équivalents temps plein, ce qui correspond à une masse salariale d'environ 750 millions d'euros.
J'en viens au projet de loi de finances pour 2018. Les besoins d'engagement du programme 146 s'établissent à 11,4 milliards d'euros, équivalents à ceux de 2017 ; la ressource en autorisations d'engagement est de 13,7 milliards d'euros. Les principaux engagements prévus sont le lancement des travaux du prochain standard de l'avion Rafale, le standard F4 ; le lancement du missile air-air, successeur du Mica ; la commande des trois derniers avions ravitailleurs MRTT ; la commande du cinquième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda - ce programme en comprenant six, le premier devant être livré en 2020.
Le besoin en crédits de paiement s'élève pour 2018 à 10,7 milliards d'euros hors report de charges entrant, pour des ressources de 10,31 milliards d'euros, dont 10,24 de crédits budgétaires et 67 millions d'euros de recettes extrabudgétaires.
Au titre du programme 144, les ressources représentent 760 millions d'euros en autorisations d'engagement et 723 millions d'euros en crédits de paiement, en cohérence avec le respect d'un flux de paiement de 730 millions d'euros par an en moyenne prévu au titre de l'actuelle loi de programmation militaire. Nous avons exprimé le souhait que le flux prévu par la prochaine loi de programmation soit supérieur à ce niveau, afin de mieux préparer l'avenir et soutenir l'innovation.
En 2018, l'effort de soutien à l'innovation des PME et PMI sera poursuivi à hauteur de 50 millions d'euros, Le Régime d'appui à l'innovation duale sera complété par la mise en place, avec BPI France, d'un fonds d'investissement en capital destiné à soutenir les petites et moyennes entreprises de défense.
En 2018, les études amont porteront en particulier sur la poursuite de l'effort dans le domaine de la cybersécurité, les travaux dans le domaine des missiles et le démonstrateur de drones de combat FCAS, l'évolution de l'architecture des réseaux et le traitement du big data, ainsi que les thèmes majeurs pour les capacités de défense tels que l'optronique, la robotique, ou les munitions pour les futurs systèmes terrestres.
La lancement du premier satellite d'observation optique de nouvelle génération Musis est prévu pour 2018 : il prendra la suite des satellites Helios. Le premier avion léger de surveillance et de reconnaissance sera également livré en 2018. En matière de projection et de mobilité, 2018 verra la livraison de deux avions A400M, de quarante véhicules porteurs polyvalents pour l'armée de terre, de huit hélicoptères NH90, de cinq hélicoptères Tigre, de 8 000 fusils d'assaut, des trois premiers véhicules blindés multi-rôles lourds de type Griffon ainsi que du premier système d'information et de commandement développés au titre du programme Scorpion, de trois Rafale neufs et d'un Rafale Marine F1 rétrofité au standard F3, ainsi que d'un bâtiment multi-missions pour la marine nationale.
En termes d'effectifs, la cible fixée à la DGA pour 2018 est de 9 625 ETPE. Les recrutements prévus seront nécessaires pour renforcer notre activité de cyberdéfense et de cybersécurité, ainsi que notre soutien à l'exportation. Il s'agit d'assurer cette charge nouvelle sans pénaliser nos programmes nationaux de défense, ainsi que de prolonger la tendance consistant à développer notre capacité d'ingénierie - nos effectifs sont désormais composés à 55% d'ingénieurs et de cadres.
En guise de conclusion de mon intervention liminaire, je rappellerai que l'année 2018 sera la dernière exécutée au titre de la présente loi de programmation militaire. Nous sommes déjà en train de préparer la prochaine, pour les années 2019-2025. Ses conditions de démarrage dépendront des conditions d'exécution de la fin d'année 2017 puis de l'année 2018.
M. Cédric Perrin, rapporteur. - Merci, monsieur le délégué général. Les reports de charges vont déstabiliser le programme 146, ce qui est source d'inquiétude. La renégociation des contrats avec l'industrie, dans le passé, a toujours conduit à des surcoûts. Les décalages de livraison doivent eux aussi être financés. Quel est l'impact de ces reports sur la sécurité de nos soldats en opération ? L'essentiel de la hausse du budget est d'avance consommée par les reports de charge, mesures de « resoclage » et décisions qu'il fallait financer, ce qui ne nous rassure pas vraiment. Les problèmes de cessions immobilières, que nous avons évoqués avec le secrétaire général pour l'administration du ministère des armées, nous inquiètent tout autant. Tout cela aura des effets sur la future loi de programmation militaire.
Où en est la réorganisation des processus d'achat ? Nous devons changer de logiciel : jusqu'à une période récente, l'innovation procédait de l'effort de défense, avant d'être appliquée dans le civil. C'est désormais l'inverse : comment capter l'innovation civile et l'adapter à un modèle de défense qui n'a pas vocation à changer aussi vite ?
60 % de nos véhicules blindés engagés en opération sont insuffisamment protégés. Vieux, usés, ils sont en cours de remplacement au titre du programme Scorpion, qui prévoit la livraison de véhicules blindés multi-rôles « Griffon » et d'engins blindés de reconnaissance et de combat « Jaguar ». Notre commission, eu égard à l'urgence, a préconisé une accélération des livraisons. Les entreprises concernées ont dit, l'hiver dernier, pouvoir augmenter leurs capacités de production. Or la livraison des tourelles aux VBMR devrait être différée, pour faire face à l'annulation des crédits... L'accélération du programme Scorpion est-elle remise en cause ?
Le programme européen de drones MALE a été initié en 2015. Les discussions avec nos partenaires allemands sont complexes. Ils n'ont pas les mêmes besoins que nous : eux entendent surveiller leur territoire, tandis que nous sommes engagés à l'extérieur... La DGA croit-elle toujours à ce programme ? Peut-on, pour notre part, continuer d'y croire ? C'est à nos yeux un enjeu de souveraineté.
Le remplacement du Rafale français et de l'Eurofighter Typhoon allemand par un nouveau système de combat aérien européen a été l'une des annonces majeures du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité de juillet dernier. Comment cette annonce s'articule-t-elle avec la coopération en matière de combat aérien que nous menons depuis 2014 avec le Royaume-Uni ?
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Merci monsieur le délégué général. Notre commission se réjouit de l'augmentation, présentée comme inédite, des crédits affectés à la mission « Défense » en 2018, qui nous rapprochent des 2 milliards d'euros qui seraient nécessaires. Mais nous avons commencé l'année 2017 avec un coup rabot de 850 millions d'euros, supporté totalement par le programme 146. Les commandes sont très nombreuses avez-vous dit, mais comment sont-elles programmées ? Les renégociations des contrats ont-elles été engagées avec l'industrie ? Les reports entraînent toujours des surcoûts, nous le savons : peut-on les évaluer ?
Un des enjeux du projet de loi de finances était de rattraper les lacunes capacitaires, notamment en matière d'équipements. Mais le resoclage des Opex, les reports consécutifs aux annulations de crédits et le financement des mesures arrêtées en 2016 donnent le sentiment d'un budget en trompe-l'oeil : il semble se stabiliser plus qu'augmenter, ce qui est pourtant indispensable... Dans ce contexte, comment faire face aux besoins en équipements conventionnels alors qu'à partir de 2020, nous savons que ce sont les besoins de la dissuasion qui vont exiger de nouveaux crédits ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. - M. Michel Boutant, qui a dû repartir précipitamment dans son département, souhaite des précisions sur les satellites de renseignement Musis : seront-ils livrés à l'été 2018 ou opérationnels à cette date ?
J'ai été informé des difficultés de la DGA à faire face aux sollicitations dans un contexte de multiplication des programmes, d'effectifs limités, de délais contraints, sur des projets complexes et techniques. La situation a-t-elle évolué ? Quelles mesures correctives ont été mises en oeuvre ?
La loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit 730 millions d'euros en moyenne annuelle pour les études amont. Depuis 2014, nous sommes à 726,8 millions d'euros en intégrant les prévisions 2017 et 2018 : le budget est donc mesuré au plus juste ; mais est-il seulement suffisant pour répondre aux besoins ? Qu'espérer pour la prochaine loi de programmation ? Notre commission, avec le rapport d'information de MM. Raffarin et Reiner sur les moyens de la défense nationale, et à la suite de nombreux experts, a estimé qu'il faudrait 1 milliard d'euros pour faire face aux besoins nouveaux.
La situation de l'Office national de recherche et d'études aérospatiales (Onera) continue de s'améliorer mais demeure fragile. Cet établissement risque-t-il de subir directement ou indirectement l'impact des mesures décidées en 2017 pour tenir compte de l'annulation de 850 millions d'euros ? Quelles mesures sont-elles mises en oeuvre, avec l'appui de la DGA, pour maintenir au meilleur niveau mondial les grandes souffleries de l'Onera ? Nous nous inquiétons du report de l'arbitrage financier de l'État, qui permettrait d'engager en temps utile les travaux de modernisation nécessaires.
Le renouvellement du Famas par le HK416 doit être complété par d'autres acquisitions : système d'aide à la visée et remplacement du fusil de précision FR-F2, notamment. Où en sont ces appels d'offre ? Et où en est le projet de filière de munitions de petit calibre de guerre, parfois appelés « Provinces de France » ?
M. Joël Barre. - L'annulation de 850 millions d'euros de crédits de paiement nous a d'abord conduits à prendre des mesures sans impact physique immédiat, à hauteur de 430 millions d'euros, à savoir pour l'essentiel de moindres versements aux organisations internationales auxquelles nous participons, en particulier l'agence de l'Otan chargée du programme NH90 et l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement. Nous avons en outre réévalué les besoins de paiement prévus pour 2017 sur les programmes : ceci nous a permis de réduire les besoins de paiement de 200 millions d'euros. Mais ces décisions sans impact physique se traduisent par un report de charges, mécanique, sur les années suivantes que nous compenserons par une réduction des paiements en 2018, grâce à la renégociation de contrats d'armement et le décalage d'un certain nombre d'opérations. L'absence d'effet sur les soldats engagés sur le terrain a bien sûr été le principal critère de décision.
De quels programmes s'agit-il ? D'abord, nous sommes en train de renégocier avec Dassault les études à réaliser pour le passage au standard F4 du Rafale - réorganisation qui ne devrait pas remettre en cause le lancement du standard à la fin 2018. Nous renégocions ensuite les conditions logistiques entourant l'acquisition des frégates de taille intermédiaire, ce qui ne devrait pas remettre en cause les besoins opérationnels de la Marine, puisque la date de livraison de la première frégate resterait inchangée. Nous allons enfin décaler d'environ six mois de l'arrivée des premiers Mirage 2000D rénovés prévus en 2020, ce qui est cohérent avec le plan de retrait des flottes anciennes.
Le décalage des programmes, de quelques mois seulement, concerne d'abord la commande de radars pour les avions légers de surveillance et de reconnaissance - dont le premier exemplaire arrivera en 2018. La capacité de surveillance et de détection sera assurée dans un premier temps par une boule optronique. Dans l'attente de l'arrivée de la capacité radar sur la flotte patrimoniale d'ALSR, le recours aux ALSR locatifs, équipés de cette capacité et déployés sur les théâtres d'opérations, permettra de pallier ce déficit capacitaire.
Deuxièmement, nous avons été amenés à décaler la livraison de tourelleaux téléopérés pour les engins Griffon. Il s'agit d'un complément d'acquisition programmé dans le cadre de la première étape du programme Scorpion, qui correspond à l'augmentation du nombre de Griffon équipés d'emblée de ces tourelleaux. Nous serons capables d'équiper la moitié des Griffon livrés pour les engager en opération en 2021.
Troisième programme décalé : l'acquisition d'une charge utile « Renseignement électromagnétique » (ROEM) pour le drone Reaper. Nous envisageons dorénavant de mettre en place ces charges utiles ROEM pour 2020 sans mettre en cause nos engagements dans la bande saharo-sahélienne.
Dernier décalage : celui des équipements de détection de départs de missiles nouvelle génération pour le Rafale Marine. Cette mesure était destinée à mettre à niveau les systèmes d'autoprotection des dix premiers Rafale Marine livrés au standard F1, qui sont en cours de rétrofit sur le standard F3.
J'insiste : il n'y a pas d'effet immédiat sur les capacités de nos forces en opération, ni annulation de programmes - seulement des décalages.
S'agissant des 700 millions d'euros qui restent gelés, des discussions sont en cours entre le ministère des armées et Bercy. Sans dégel de tout ou partie de ces crédits, nous sommes à la veille de la cessation de paiement, sensiblement à la même période que l'an passé.
Nous avons en effet demandé, et demandons toujours, une augmentation du budget prévu pour les études amont au titre de la prochaine loi de programmation militaire pour atteindre le milliard d'euros. Nous avons comme vous l'objectif de réaliser des démonstrateurs de technologies innovantes et d'aller chercher les technologies de rupture qui apparaissent dans le domaine civil. Nous en parlerons sans doute en début d'année prochaine.
Oui, nous croyons toujours à l'intérêt du drone MALE. Accompagnant le chef d'état-major des armées sur l'opération Barkhane il y a quelques semaines, j'ai pu mesurer l'intérêt du drone Reaper, mais il nous fait dépendre des Américains puisque ce sont eux qui le font décoller, atterrir, et qui l'entretiennent. Nous devons atteindre un minimum d'autonomie dans ce domaine. Les discussions sont en cours avec les industriels et notre partenaire allemand. Lors du Conseil franco-allemand de défense et sécurité (CFADS) du 13 juillet, l'Allemagne et la France sont convenus de continuer l'étude en cours sur la base d'une architecture bimoteur turbopropulseur. J'espère que le programme pourra être soutenu par la partie capacitaire du fonds européen de défense. Mais toute coopération, par nature, est difficile à conduire.
M. Christian Cambon, président. - Un drone MALE surspécifié et donc trop cher aura moins d'acquéreurs potentiels.
M. Joël Barre. - Les Espagnols sont intéressés. Il faudra en effet maintenir l'attractivité de ce matériel : plus il sera cher, moins il sera exportable.
M. Cédric Perrin. - Si c'est pour refaire un drone Reaper, le programme n'a pas d'intérêt...
M. Joël Barre. - Je serais plus nuancé. La dépendance à l'égard des Américains est le premier problème que nous pose l'achat du Reaper. Nous manquons d'une charge utile ROEM, et nous devons pour l'heure envoyer nos équipages se former aux États-Unis. Nous doter de nos propres drones nous conférera une autonomie stratégique. C'est d'ailleurs l'une des conclusions de la revue stratégique.
M. Cédric Perrin. - Pour l'exporter, il faudra qu'il soit meilleur que le Reaper.
M. Joël Barre. - Il faudra certes améliorer les performances du drone, mais préserver son rapport efficacité-coût.
Les industriels nous disent en effet être capables d'accélérer la fourniture des véhicules prévus par le programme Scorpion. Cela fera partie des choix à faire dans la prochaine loi de programmation militaire, car c'est d'abord une question d'argent. Accélérer leur livraison imposera d'investir et de veiller à ce que nous puissions, à l'avenir, entretenir cet outil capacitaire.
Il nous faudra aussi évoquer le système de combat aérien du futur, face à des défenses aériennes de plus en plus performantes. Cela suppose un minimum d'études technico-opérationnelles pour étudier les meilleurs systèmes de pénétration de ces milieux non permissifs : cela passe-t-il plutôt par des avions, des drones, ou l'association des deux ? Nous avons proposé à l'armée de l'air et à l'industrie - Dassault au premier chef - de lancer ces études dans notre centre d'analyse technico-opérationnelle de défense à Arcueil, et nous allons proposer aux Allemands de nous rejoindre.
Le FCAS est un outil de développement et de recherche de technologies de rupture qui s'appliqueront de manière quasi-équivalente à un avion ou à un drone.
Le lancement du premier satellite CSO est prévu la fin de l'année 2018. Trois satellites CSO sont prévus ; le deuxième devrait être lancé en 2020 ; le troisième, réalisé grâce à la coopération avec les Allemands, devrait l'être en 2021. Il faut compter quelques mois après le lancement pour qu'un satellite soit pleinement opérationnel.
L'annulation des 850 millions d'euros n'aura pas d'impact sur l'Onera. Sa situation financière est en effet fragile. Un contrat d'objectifs et de performance a été signé le 14 décembre 2016, qui porte sur la période 2017-2021.
La revue stratégique a dressé une cartographie des coopérations industrielles et technologiques sur la base des exigences d'une plus ou moins grande souveraineté. Les munitions de petit calibre ne font pas partie des domaines identifiés comme devant rester souverains. Pour nous doter d'une telle filière, il faudra investir pour la remettre en place - elle a été abandonnée au tournant des années 2000 - et s'assurer de notre capacité à vendre les produits sur un marché international très concurrentiel.
Comme toute organisation, la DGA doit mettre en oeuvre un plan de progrès permanent. Je compte simultanément mener la préparation de la loi de programmation militaire et les chantiers de modernisation de la DGA. L'un d'eux concerne le processus d'acquisition : rigoureux, adapté aux grands programmes, il ne l'est pas forcément pour capter les innovations technologiques qui apparaissent dans le domaine civil. J'ai donc proposé au chef d'état-major des armées de conduire de concert une modernisation de notre processus d'acquisition.
M. Hugues Saury. - L'Europe semble désarmée. Seule la France possède une armée complète. Les budgets stagnent, les matériels vieillissent, les hommes se fatiguent... Comment avoir l'armée la plus efficace possible ? Quels moyens faut-il mobiliser pour retrouver un niveau conforme à nos attentes ?
M. Ronan Le Gleut. - Où en est la France en matière de missiles hypersoniques - c'est-à-dire dépassant Mach 5 -, sur lesquels travaillent la Russie, la Chine, les États-Unis ou encore l'Inde ? Disposons-nous de financements suffisants pour ne pas prendre de retard ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Vous avez fait allusion à la livraison du satellite dernière génération : où en est la coopération européenne en matière de satellites ?
Comment se traduit la priorité accordée à la cyberdéfense dans ce budget ? Vous avez pudiquement parlé de décalages de programmes : affecteront-ils la politique de cyberdéfense ?
M. Olivier Cigolotti. - L'engagement des forces armées dans les Opex provoque l'usure des matériels, notamment sur les véhicules de l'avant blindé. En 2014, nous disposions de plus de 3 000 de ces véhicules, mais ils n'étaient plus que 2 500 en 2015. Ne risque-t-on pas, au rythme actuel du programme Scorpion, une sous-capacité opérationnelle ?
M. Joël Guerriau. - Ma préoccupation concerne la Marine nationale. Tandis que nous prévoyons d'acquérir un nouveau sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda en 2020 et que nos sous-marins, prévus pour durer vingt-ans, en atteignent trente-huit, la Chine met à l'eau tous les quatre ans l'équivalent de toute notre flotte... Nous accumulons du retard par rapport à d'autres pays qui ne cessent de s'armer et de répandre leur présence sur les océans.
M. Jean-Marie Bockel. - Le succès de nos exportations, qu'il faut saluer, met en lumière le succès de notre soutien à l'exportation, qui est essentiellement un effort de formation à destination de nos acheteurs. Le produit en revient aux armées, mais il ne prend pas en compte tous les frais, tel le coût de détention d'un équipement trop âgé maintenu dans nos parcs militaires pour permettre à l'importateur d'obtenir plus vite les équipements nouveaux. Votre prédécesseur considérait que les effectifs étaient insuffisants pour accompagner cette tendance lourde. Le projet de loi de finances vous donne-t-il les moyens, par exemple, de répondre aux nouvelles missions en Inde ou en Australie ? Comment la DGA s'assure-t-elle que cette charge ne pèse pas trop lourd sur nos armées ?
M. Ladislas Poniatowski. - Ma question porte sur les transports stratégiques militaires. Nous n'avons que deux ou trois A400M français en état de marche. Pour le reste, nous louons des Antonov, des Illiouchine, des Boeing, pour 80 % de nos besoins. Trois A400M doivent avoir été livrés en 2017, deux doivent l'être en 2018 : quand seront-ils opérationnels ? Et où en sommes-nous des exportations de ce modèle remarquable qu'est l'A400M ? À ma connaissance, pas bien loin.
M. Bernard Cazeau. - J'ai eu l'occasion de participer récemment à l'extension de l'entreprise Eurenco à Bergerac, qui a fait partie il y a une dizaine d'années de l'évolution de la Société nationale des poudres et explosifs, est désormais une filiale de Giat Industries, et fabrique des charges modulaires pour chars et exporte quasiment toute sa production - en Inde, au Moyen et en Extrême-Orient. Pourquoi l'armée française l'utilise-t-elle si peu ?
M. Joël Barre. - Monsieur le sénateur Saury, la réponse à votre question sera dans la loi de programmation militaire, qui affichera une augmentation significative du budget de la défense - ce sera la première fois depuis bien longtemps !
Nous sommes convaincus que la pénétration de la deuxième composante nucléaire à moyen terme doit reposer sur un missile hyper véloce. Nous avons lancé des études amont et fait des essais en soufflerie sur le sujet à l'ONERA, et avons proposé de poursuivre ce projet dans le cadre de la loi de programmation militaire.
En matière de satellites d'observation, j'ai évoqué le satellite Musis, qui fait l'objet d'une coopération avec l'Allemagne. La coopération avec l'Allemagne et l'Italie repose depuis une dizaine d'années sur l'échange d'images de satellites optiques français contre les images radar des Italiens et des Allemands. Ceux-ci ont rejoint le programme « Composante spatiale optique » en 2015.
Les annulations de crédits n'ont aucun impact sur les activités de cyberdéfense, qui passent d'abord par un gros effort en ressources humaines : 500 personnes travaillent dans notre centre de Bruz, près de Rennes. La cybersécurité, c'est d'abord de la matière grise. Nous poursuivons nos efforts et veillons à ce que l'industrie française se développe dans ce domaine.
Les annulations n'ont pas remis en cause les capacités opérationnelles essentielles. L'accélération du programme Scorpion est d'abord une question de financement : il faudra donc la traiter en loi de programmation militaire.
Le sous-marin Barracuda a pris un peu de retard. Nous en avons discuté hier avec la ministre et l'ensemble des armées. Cela oblige à prolonger la durée de vie des sous-marins existants. Il n'y a pas de risque de rupture capacitaire dans ce domaine. Le processus conduisant à la décision de prolongation de durée de vie est extrêmement documenté et rigoureux.
La question du soutien aux exportations, dans la configuration qu'on lui connait aujourd'hui, fait l'objet d'une instruction spécifique dans le cadre de la préparation de la loi de programmation militaire. Nous avons ainsi bon espoir d'arriver malgré tout à concilier les exigences du soutien à l'exportation et la conduite des programmes nationaux.
L'A400M a été exporté en Malaisie. Son problème à l'export est dû aux difficultés rencontrées dans son développement, qui ont conduit à mettre en service des standards successifs rejoignant progressivement les exigences opérationnelles maximales ; il est probable que les acheteurs potentiels attendent encore qu'il soit en service avec ses capacités complètes.
Monsieur le sénateur Cazeau, je vous répondrai par écrit.
M. Christian Cambon, président. - Nous reviendrons sur les problèmes de disponibilité de l'A400M qui collectionne les pannes... On nous parle de trois fonctionnels sur les onze que nous avons, à telle enseigne que, pour intervenir sur les zones touchées par l'ouragan Irma, nos troupes ont dû emprunter des A400M allemands !
Monsieur le délégué général, nous vous remercions, et vous souhaitons pleine réussite dans vos fonctions.
Projet de loi de finances pour 2018 - Audition du Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de Terre
M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons ce matin le général Bosser, chef d'état-major de l'armée de Terre pour cette première audition devant une commission assez largement renouvelée.
L'armée de Terre est toujours soumise à une activité intense sur les territoires extérieurs - bande sahélo-saharienne, Levant -, sa priorité étant la lutte contre le terrorisme, domaine dans lequel la coalition a enregistré un certain succès notable depuis quelques jours avec la chute de Raqqa.
Sur le territoire national, l'engagement est également très important. L'armée de Terre est la première armée concernée par l'opération Sentinelle.
Je souhaite aussi saluer votre engagement et celui de vos hommes dans la réponse que vous apportez aux catastrophes naturelles, notamment à la suite du passage de l'ouragan Irma. L'armée de Terre a été une nouvelle fois d'une très grande efficacité dans la réponse qu'elle a apportée au désarroi des populations.
Ceci génère toutefois une usure des hommes et des matériels. L'effort colossal de formation des 11 000 recrues pour porter la force opérationnelle à 77 000 hommes s'y ajoute, avec cette question en toile de fond : les effets positifs de la remontée en puissance des effectifs commencent-t-ils à se faire sentir ? La contrainte dont vous aviez eu l'occasion de nous faire part s'est-elle desserrée ?
Nous souhaiterons par ailleurs vous interroger sur l'évolution de l'opération Sentinelle, qui nous semble un peu « homéopathique ». Ceci va certes permettre à l'armée de Terre de sortir du surrégime, mais le « totem » des 10 000 hommes est toujours là, et l'articulation avec les forces de sécurité intérieure ne nous semble pas repensée en profondeur. Attendez-vous d'autres évolutions ultérieures ? Quel bilan pouvez-vous tirer de ce dispositif, dont nous avons vu l'évolution - j'en parle notamment en tant qu'élu de région parisienne.
Un autre sujet attire notre attention, celui des conditions de vie des personnels. Nous avons pris connaissance, à travers les réseaux sociaux, les associations des familles, d'un certain nombre d'expressions concernant le logement, la restauration, l'habillement, la mobilité, l'accompagnement. Tout ceci doit faire l'objet d'un nouveau plan d'accompagnement des familles et de la condition de vie des militaires, dont la ministre a évoqué les grandes lignes. Quelles sont vos principales attentes à ce sujet ?
Nous sommes entrés hier, avec la revue stratégique, dans la perspective de la préparation de la loi de programmation militaire (LPM). La marge sera étroite. Les besoins sont importants. Quelles seront vos priorités ?
Enfin, quel est votre sentiment concernant le service national universel à ce stade de démarrage de la réflexion ? La ministre des armées m'a assuré hier que le Sénat y serait associé. Comment l'armée de Terre pourra-t-elle y contribuer ? Quels dangers convient-il d'éviter en abordant ce sujet, à la fois passionnant et compliqué ?
Général, vous avez la parole.
Général Jean-Pierre-Bosser. - Merci Monsieur le Président. Je vais être bref pour ce propos liminaire, afin de laisser du temps à vos questions.
Je commencerai par vous donner quelques éléments généraux sur l'armée de Terre et je vous dirai comment je la perçois aujourd'hui. Puis, je partagerai avec vous mon appréciation de situation sur son avenir et mes ambitions à plus long terme.
Tout d'abord, je suis très fier de commander l'armée de Terre française. Je considère aujourd'hui, environ vingt ans après la professionnalisation, qu'elle est arrivée à l'âge de la maturité. Maturité des soldats tout d'abord, qui font preuve de beaucoup de disponibilité. Ils ont encore démontré, avec l'ouragan Irma, leurs capacités à se mobiliser dans des délais très brefs. Ils font preuve également de courage et de discipline dans les missions extérieures, jusque dans l'application des consignes, comme on l'a vu récemment à Marseille.
Maturité des familles ensuite. Elles ont aujourd'hui pris conscience de ce qu'était une armée de Terre professionnelle. Elles apportent un soutien essentiel aux soldats, mais demeurent sous tension. Il faut donc veiller à leur reconnaissance, à leur information et à leur accompagnement. C'est en grande partie l'objet du plan ministériel d'accompagnement des familles et d'amélioration des conditions de vie des militaires qui doit être présenté prochainement.
Maturité sur le plan des valeurs que nous portons. Nous n'en avons pas l'exclusivité, mais nous les vivons aujourd'hui sans complexe. Elles nous sont enviées et sont mises en avant dès lors qu'on imagine des systèmes visant à intégrer et à favoriser le sentiment d'appartenance des Français à la Nation, comme le service national que vous avez évoqué, monsieur le président.
Maturité enfin de nos relations avec nos partenaires. Tous les contacts que j'ai avec mes homologues me confirment que l'armée de Terre est reconnue comme un partenaire de très grande qualité, particulièrement fiable. Je mentionne à cet égard la certification au printemps dernier du corps de réaction rapide-France (CRR-FR), qui témoigne d'un très haut niveau d'exigence, conforme aux normes OTAN les plus dures.
Cette armée de Terre se situe aujourd'hui à un moment charnière, après trois ruptures majeures.
La première rupture touche aux menaces. Pendant vingt ans, l'armée de Terre s'est concentrée sur des menaces que je qualifierais d'hybrides, que l'on connaît par exemple dans la bande sahélo-saharienne. Aujourd'hui nous faisons face à une conflictualité qui se déploie dans tous les domaines et sur tout le spectre des menaces : menaces conventionnelles, pour lesquelles on enregistre une reprise de l'activité, dans le cadre de l'OTAN - s'agissant des mesures de réassurance en Estonie, et demain en Lettonie avec les Allemands -, menaces terroristes que l'on combat à la racine, et enfin menaces irrégulières « du fort au fou », que l'on parle de fous religieux ou de fous tout court. Parallèlement à cette rupture, l'armée de Terre a été engagée massivement sur le territoire national. Le recours aux armées pour la protection du territoire national n'était pas nouveau, mais le déclenchement de l'opération Sentinelle en janvier 2015 a représenté un changement d'échelle et de nature. Il a pour nous un impact majeur sur lequel je reviendrai.
La deuxième rupture porte sur notre organisation. L'armée de Terre a adopté en 2015 un nouveau modèle, « Au Contact ». Ce modèle est aujourd'hui quasiment finalisé, avec douze commandements de niveau divisionnaire - chacun avec un chef, une mission, des ressources et le pilotage de grands métiers comme l'aérocombat, les forces spéciales ou encore l'engagement sur le territoire national. Cette organisation en "piliers" facilite l'interface et la connexion avec les capacités des autres armées, l'échelon interarmées voire interministériel.
La troisième rupture a trait à la remontée en puissance qu'a connue l'armée de Terre depuis 2015. Il s'agit d'une rupture physique, avec 33 unités élémentaires de plus dans les régiments et la recréation de deux régiments. Mais c'est aussi une rupture intellectuelle et culturelle. Après des années de déconstruction, il a fallu reconstruire. Or, on ne reconstruit pas forcément comme on a déconstruit. Il faut de la volonté, de l'intelligence et de l'innovation.
L'armée de Terre, vous l'avez dit, monsieur le président, doit faire face à un engagement extrêmement intense, qui met les hommes, les matériels et les compétences sous tension. Ces engagements présentent à mon sens trois grandes caractéristiques.
La première est une forme de durcissement des modes d'action de l'adversaire et de diversification des conflictualités auxquelles nous sommes confrontés. Par exemple, nous avons subi une attaque par engin explosif improvisé (IED) par semaine au Mali durant tout le mois d'août. Les attaques auxquelles nous sommes confrontés nous occasionnent des pertes : depuis le début de l'année 2017, 3 morts, plusieurs dizaines de blessés, une vingtaine de véhicules détruits.
Deuxième caractéristique : l'étalement de nos forces qui sont présentes au Sénégal, en Mauritanie, au Niger, au Mali, au Tchad, à Djibouti, ou dans le cadre de l'opération Chammal. Cet étalement est source de tensions sur les structures de de commandement, les systèmes d'information et de communication, ou encore sur les systèmes logistiques.
Enfin, la dernière caractéristique de nos engagements est une prévalence toujours plus marquée du champ des perceptions sur celui des réalités. Les hommes sont très soucieux de la manière dont on perçoit leur engagement. Vous vous souvenez certainement de l'image prise à Saint-Martin, lors de l'ouragan Irma, par un photographe de France Info, Matthieu Mondoloni, dont le cliché représentait un soldat français portant une petite-fille dans ses bras. Les réseaux sociaux avaient accusé les armées de propagande, voire de colonialisme. Il faut que l'on intègre toujours plus ce champ des perceptions et qu'on ne cesse de l'expliquer à nos hommes.
L'armée de Terre est aujourd'hui en phase de rééquilibrage et de stabilisation. Elle doit d'abord retrouver un équilibre dans son niveau d'entrainement. Vous y avez fait allusion : l'armée de Terre va retrouver son niveau de préparation opérationnelle d'avant 2015 au cours de l'été 2018, en qualité et en quantité.
Nous recherchons également un nouvel équilibre dans le maintien en condition opérationnelle de nos équipements. A cette fin, nous avons conçu et nous mettons en oeuvre un projet de maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre qui vise à mieux distinguer la maintenance opérationnelle - celle qui, au plus près des forces, a pour but de rendre nos matériels disponibles pour mener l'action - et la maintenance à caractère plus industriel, afin de fournir davantage de potentiel à nos matériels, qu'il s'agisse de maintenance étatique ou privée.
En matière de ressources humaines, nous avons besoin de temps pour revenir à l'équilibre. Pour former un chef de section ou un pilote d'hélicoptère, il faut en effet du temps. Onze mille hommes supplémentaires ont été injectés dans la force opérationnelle terrestre depuis 2015. Il faut maintenant que ces personnes acquièrent de l'expérience et des compétences. Il faut plusieurs années pour former un pilote d'hélicoptère ou un chef de section VBCI, dix à quinze ans pour former un capitaine. Du fait d'un dé-pyramidage et d'une déflation continue, nous avons un fort déficit sur les hauts de pyramide : il manque en volume environ 1 000 officiers et, en qualité, environ 3 000 sous-officiers supérieurs dans l'armée de Terre.
Enfin, il me reste à finaliser le modèle « Au Contact ». C'est un modèle qui donne satisfaction, qui est un bel exemple de déconcentration et de confiance. En 2018, je souhaite y apporter les derniers réglages, notamment dans des domaines comme la cohérence d'ensemble doctrine-formation-entrainement, la renaissance d'une école supérieure de guerre Terre, la définition du rôle et de la place du renseignement de niveau tactique, un sujet dont je me rends compte qu'il a été un peu délaissé, la structuration de l'aguerrissement ou encore une doctrine rénovée dans le domaine de la cynotechnie. Ce sont en apparence de petits domaines, mais qui ont du sens et une haute valeur ajoutée dans le cadre des engagements futurs.
J'en viens maintenant à ma seconde partie, celle concernant ma vision d'avenir pour l'armée de Terre. Elle est assez simple, même si la mise en oeuvre et l'exécution seront plus compliquées.
Le Président de la République a fixé une ambition avec un objectif clair : rester la première armée européenne. Pour l'atteindre, un cadrage financier a été donné, avec un budget de défense annoncé en hausse de 1,8 milliard d'euros en 2018, puis de 1,7 milliard d'euros par an sur la durée du quinquennat, et un objectif d'effort de défense à 2% du PIB en 2025. La question qui nous est posée est finalement de savoir quel chemin nous allons proposer pour atteindre cette ambition avec les moyens qui nous seront alloués : qu'allons-nous proposer pour demeurer à ce degré d'exigence fixé par le Président de la République ?
Pour commencer, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale pose un certain nombre de jalons, qu'il faudra suivre.
Premier jalon, la revue stratégique fait le constat d'une mutation de la conflictualité, et exprime la nécessité d'une remontée en puissance de l'outil militaire pour atteindre un modèle complet.
Deuxième jalon, elle entérine une hiérarchisation de nos buts stratégiques et de nos intérêts, en partant du territoire national pour aller jusqu'à la mer de Chine.
Troisième jalon, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale insiste sur l'interaction et l'interdépendance des cinq grandes fonctions stratégiques. Aucune d'entre elles ne peut être pensée seule. Par exemple, on constate aujourd'hui qu'il existe un lien fort entre prévention et intervention. Autre exemple, la stratégie de dissuasion est directement liée à notre capacité d'intervention et de protection.
Quatrième jalon, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale recommande l'inscription des opérations militaires dans le cadre d'une approche globale, qui doit articuler étroitement sécurité et développement : pressions internationales, modes de gouvernance, interventions, formations, reconstructions. Peu de pays européens ont les mêmes savoir-faire que l'armée de Terre française dans tous ces domaines.
Enfin, cinquième jalon, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale affirme une ambition industrielle et technologique forte, dans laquelle l'armée de Terre a toute sa place. Alors qu'elle a souvent été considérée comme une armée peu technologique, elle désire aujourd'hui s'impliquer dans le maintien de l'excellence industrielle française, notamment au travers du programme Scorpion - mais pas seulement.
Il faudra ensuite inscrire notre remontée en puissance dans la prochaine loi de programmation militaire. Les travaux sont en cours, et à ce stade, j'ai déterminé trois objectifs pour cette LPM : un objectif de réparation, un objectif de recapitalisation et un objectif de modernisation.
La réparation consiste à compenser les lacunes de ces quinze ou vingt dernières années. Cela concerne notamment les canons d'artillerie, les moyens de coordination dans la 3e dimension et de défense sol-air, la mobilité terrestre, le transport logistique, les équipements et l'armement individuels (le pistolet automatique de nos soldats date de 1950), ou encore les équipements du génie. Je n'ai plus aujourd'hui, par exemple, que 500 mètres de ponts. Or si l'on veut exister en Europe, il faut peut-être en avoir davantage. Il se trouve que nos amis allemands et anglais ont fait le même choix que nous, donc nous ne pouvons pas nous appuyer sur leur capacité en la matière.
La recapitalisation consiste à restaurer notre modèle usé par plusieurs années de sous-dotation et de sur-engagement afin de revenir à un fonctionnement plus équilibré et soutenable. J'ai ainsi besoin de plus d'infrastructures, de plus de pièces détachées, de plus d'équipements. En quelque sorte, la famille étant plus nombreuse, le budget doit augmenter. Il faut donc recapitaliser l'entreprise pour répondre à l'ambition d'une armée de Terre de 100 000 hommes.
La modernisation, c'est investir dans l'avenir pour faire face aux menaces de demain. Cela passe par le programme Scorpion, mais aussi par la recherche et l'innovation.
Il faut donc que j'arrive à prioriser ces trois objets. Il appartiendra ensuite au CEMA de prioriser les objets de l'ensemble des armées. C'est un exercice extrêmement compliqué, qui demande une connaissance très fine de nos affaires, certains programmes étant longs et incompressibles. Ainsi, la durée de vie d'un sous-marin est de 80 ans, entre les études amont et le jour où on l'envoie à la ferraille. Il va falloir organiser tout cela.
Je termine en disant que, fort de cette analyse qui se poursuit, j'ai demandé à mes états-majors de réfléchir à ce que pourraient être les critères d'une armée de Terre qui soit la première armée européenne. On ne l'a jamais fait. Je vous livre quelques-uns de ces critères à ce stade de nos réflexions.
Le premier critère est de pouvoir bénéficier d'un modèle d'armée complet ou presque complet. C'est un impératif pour agir seul, être capable d'entrer en premier, de durer et d'affronter tout type d'ennemi.
Le deuxième critère consiste à disposer d'une masse. Pour faire un effort sur le territoire national et intervenir sur trois ou quatre théâtres d'opérations, il faut du monde. On ne peut avoir d'ambitions sans effectif. Cette masse est une nécessité également pour avoir un effet d'entrainement vis-à-vis de nos partenaires. On peut aussi comprendre ce critère de masse comme le fait d'être capable de créer des volumes de forces à un moment et en un lieu donnés grâce à une agilité accrue. La masse, c'est une armée de Terre d'au moins 100 000 militaires, soit un petit peu plus que les 97 000 dont on dispose aujourd'hui.
Le troisième critère, qui nous différencie des autres, est celui de l'aguerrissement. Il s'agit de pouvoir disposer de soldats capables de gagner des combats de plus en plus difficiles, dans des milieux de plus en plus complexes. Il s'agit également de notre capacité à durer, à supporter des pertes et à payer le prix du sang. Il n'est pas toujours facile d'évoquer ce sujet avec nos alliés : on peut partager beaucoup de choses dans le domaine de la formation initiale, ou de celle des démineurs. Quand il s'agit d'engager des soldats et de prendre le risque de perdre des vies, le dialogue est souvent plus délicat.
Le quatrième critère consiste à posséder des équipements de quatrième génération. C'est tout l'enjeu du programme Scorpion. Il s'agit de disposer d'engins dotés d'un niveau de protection de haute qualité, d'être capable de pratiquer un combat interarmes infovalorisé, de garder un temps d'avance dans la course à l'innovation.
Enfin, le cinquième critère est celui de la capacité à générer ou à soutenir des coopérations.
Tous ces critères n'ont de sens que si le cadre général de notre action est robuste. Selon moi, pour ce faire, il est nécessaire d'assumer notre spécificité militaire et que la condition des personnels soit à la hauteur de ce qu'on en attend.
Nous poursuivons cette étude. Je pense que l'on pourra ainsi décliner les priorités de la LPM.
Pour conclure, je crois que nous sommes entrés dans une ère avec des perspectives nouvelles. Nous ne faisons pas preuve d'un optimisme béat, mais d'un optimisme de circonstance, parfois empreint de gravité au regard des actions que nous menons sur les théâtres d'opérations extérieures.
Dans le chantier que nous avons ouvert, il est impératif d'établir des priorités, car il ne sera pas possible de tout faire tout de suite et il faut avoir une ambition réaliste. La reconstitution d'un potentiel d'intervention est un préalable, ce qui signifie en d'autres termes, qu'il faut d'abord faire correspondre les moyens aux ambitions, ce qui prendra un peu de temps. C'est ce que nous, militaires, disons depuis une dizaine d'années. La réparation, en elle-même, constitue une première réponse à ce que l'on a pointé du doigt durant de nombreuses années.
La remontée en puissance exige d'opérer un changement culturel majeur. Il s'agit de construire « l'armée de nos besoins », pour paraphraser Paul Reynaud en 1925, et non l'armée de nos habitudes ou de nos rêves. C'est une époque propice aux bâtisseurs.
Je m'y trouve particulièrement bien, et je compte sur le soutien de votre commission pour nous aider dans cette tâche enthousiasmante !
M. Christian Cambon, président. - Général, merci pour la clarté de vos propos, votre ambition et votre réalisme.
Vos propos sont toutefois empreints de gravité car, derrière tous ces chiffres, tous ces programmes, on trouve des femmes et des hommes. Or on sait quel tribut l'armée de Terre a déjà payé à la présence de la France sur de nombreux théâtres d'opérations.
La parole est aux rapporteurs pour avis.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis sur le programme 178. - Général, je voudrais attirer votre attention sur la disponibilité technique opérationnelle (DTO). Celle des hélicoptères de manoeuvre de l'armée de Terre a augmenté de 15 % par rapport à 2016, mais elle ne permet de remplir que 57 % du contrat opérationnel. Celle des chars Leclerc souffre de l'engagement du personnel en charge de sa maintenance dans l'opération Sentinelle, et celle des chars AMX-10 RC du vieillissement du parc, malgré les efforts de prolongation de sa durée de vie.
Je pourrais également parler des VAB, qui souffrent d'un déficit de régénération, ou des VBCI, voire des actions de rétrofit, qui augmenteront l'encours de l'industriel.
L'augmentation des crédits de 450 millions d'euros dans le budget 2018 sera-t-elle suffisante pour relever le défi ? On a besoin sur le terrain d'un certain niveau de disponibilités. Cela vaut à la fois pour les OPEX, mais aussi pour l'entraînement et la qualification de nos personnels, vous l'avez dit dans votre introduction.
Cette question est essentielle aujourd'hui, mais elle le sera également demain, car l'indisponibilité des matériels est un problème lancinant, peut-être pour quelques années encore.
Mme Christine Prunaud, rapporteure pour avis sur le programme 178. - Général, je souhaiterais vous interroger sur la préparation opérationnelle, qui concerne l'ensemble de la force opérationnelle terrestre, soit 77 000 militaires, et sur la préparation opérationnelle interarmées, qui vise à atteindre le stade opérationnel numéro 2 et concerne 40 000 militaires sur la base du contrat opérationnel.
Il semble que le nombre de journées de préparation opérationnelle ait augmenté. La remontée de la force opérationnelle terrestre devait permettre une reprise progressive des activités mais, dans le même temps, la formation initiale des nouvelles recrues nécessite 50 % de journées de préparation opérationnelle supplémentaires.
Cette proportion est-elle exacte ?
Pourriez-vous nous indiquer les volumes attendus en 2017-2018 ?
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis sur le programme 146. - Général, vous avez dit que vous étiez fier de commander l'armée de Terre. En mon nom personnel et au nom de notre commission, je tiens à dire que nous sommes également fiers des soldats que vous commandez, que ce soit en opérations intérieures ou en opérations extérieures. On ne le souligne pas suffisamment, et il faut le rappeler.
J'ai eu l'occasion de me rendre à Percy, début août, après l'attentat de Levallois-Perret, les soldats atteints dans cette attaque étant originaires de ma ville. J'y ai retrouvé un certain nombre de vos généraux, et j'ai vécu là-bas des moments particulièrement émouvants.
Nous avons par ailleurs reçu ici même cette année, avec le président Cambon, les blessés et les familles endeuillées de l'armée. J'ai à cette occasion à nouveau vécu des moments particulièrement émouvants. Je voulais en faire part.
Par ailleurs, vous avez une vision assez novatrice et très intéressante à propos de la nécessité de renouveler le matériel plutôt que de faire du rétrofit, qui coûte souvent bien plus cher. Comment envisagez-vous l'accélération du programme Scorpion ? C'est pour nous un sujet d'inquiétudes.
En second lieu, quelles sont vos priorités dans le cadre de la future LPM ?
M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis sur le programme 212. - Général, merci pour vos propos optimistes. L'armée de Terre possède le plus gros bataillon de réservistes du ministère de la défense - 18 751 personnes sur 32 000.
Combien de réservistes emploie-t-elle chaque jour ?
Pour quelles fonctions sont-ils prioritairement utilisés ?
Quel bilan retirez-vous de leur participation à l'opération Sentinelle ?
Le recrutement est-il satisfaisant et permet-il d'augmenter les effectifs, conformément aux objectifs fixés ?
On sait que l'armée de Terre est particulièrement confrontée à la problématique de la fidélisation, notamment s'agissant des militaires du rang, dont certains, dans une proportion assez importante, ne vont pas au terme de leur contrat ou ne souhaitent pas le renouveler.
Quelle réponse l'armée de Terre apporte-t-elle à ce problème, et quelles autres mesures seraient nécessaires pour y remédier ?
M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis sur le programme 212. - Général, on a beaucoup parlé de l'opération Sentinelle. On aimerait ne pas se payer de mots. Pourrait-on prévoir un temps de travail sur la nouvelle organisation, telle que vous la voyez, au service de la sécurité intérieure ?
J'ai par ailleurs constaté que les crédits consacrés à la politique immobilière de l'armée de Terre augmentaient, bien qu'ils aient accumulé un certain retard depuis quelques années. Quels endroits ne bénéficieront-ils pas d'une modernisation ?
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis sur le programme 144. - Général, pouvez-vous développer la question du renforcement du renseignement tactique, que vous avez abordée ?
Par ailleurs, 67 % des militaires de carrière de l'armée de Terre pourraient envisager de quitter l'institution pour changer d'activité, contre plus de 80 % dans la marine, et 55 % des militaires sous contrat envisagent de rompre celui-ci ou de ne pas le renouveler. Comment l'armée de Terre peut-elle relever le défi de la fidélisation des effectifs ? Souhaitez-vous au contraire un turn over selon les compétences ?
M. Olivier Cigolotti. - Général, vous avez employé les termes de réparation et de modernisation s'agissant de l'armement. Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit la fourniture de 8 000 HK 416 F, fusil considéré d'ores et déjà comme l'arme individuelle du futur.
Quelle est la part consacrée à l'armée de Terre ? À quelle échéance l'ensemble de vos personnels seront-ils dotés de ce nouvel armement ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Général, il a été fait référence à plusieurs reprises à la question de la disponibilité des matériels et à leur maintenance, les deux étant naturellement corrélés.
Or certains types de matériels, notamment les hélicoptères Puma, qui ont un âge respectable, voient leur disponibilité améliorée par une diminution des visites préventives. Cette maintenance moins soutenue ne fait-elle pas courir un risque à nos hommes ?
M. Christian Cambon, président. - Général, pourrez-vous également dire un mot du service national universel ?
Général Jean-Pierre-Bosser. - Tout d'abord, la disponibilité technique des matériels apparaît comme un sujet récurrent, à la fois dans les domaines terrestre et aéronautique.
Je note une amélioration de la disponibilité technique de nos aéronefs. Sur 300, une centaine était auparavant disponible. Aujourd'hui, on en est à 125 appareils. Les effets de la création du pilier de l'aérocombat dans l'armée de Terre commencent à se faire sentir.
Airbus Helicopters est cette année au rendez-vous en termes de livraisons et de visites. L'objectif des visites fixé en début d'année devrait être atteint. Un certain nombre d'efforts ont été consentis en matière de recrutement de jeunes mécaniciens aéronautiques. Cette augmentation des effectifs se ressent déjà.
La mise à jour de documents relatifs à la navigabilité, qui a été améliorée, et l'élargissement de certaines visites, en accord avec l'industriel, améliorent également la disponibilité technique.
À ce stade, la disponibilité de nos hélicoptères en opération est très bonne, alors qu'il s'agit parfois de conditions difficiles. Il faut se rappeler que le Caracal a été acheté pour servir sur des plateformes pétrolières, et qu'on l'utilise aujourd'hui au Nord de Madama : ce n'est pas tout à fait le même environnement !
Toutes les mesures qu'on a pu prendre sont plutôt bonnes. Je pense donc que la sécurité des vols n'est pas engagée à ce stade pour nos hélicoptères.
Quant à la disponibilité terrestre, les résultats sont très bons en opérations extérieures, mais c'est le territoire national qui « paie la différence », la majorité des pièces détachées servant prioritairement aux véhicules engagés sur le terrain. Par exemple, la dichotomie est très forte entre la disponibilité technique des VAB au Mali et celle que l'on connaît en France, de l'ordre de 60 % en France contre 90 % au Mali.
Plus généralement, ceci pointe la difficulté d'entretenir voire de reconstruire des matériels anciens. Aujourd'hui, le VAB de 1972, qui est reconstruit en VAB Ultima, coûte cher et est souvent indisponible.
J'ajoute que la régénération de matériels anciens prend du temps. Ainsi, ce n'est qu'en fin d'année que l'on aura achevé toute la reconstruction des VAB rentrés d'Afghanistan depuis 2012. Ces VAB viennent progressivement alimenter le parc. Faut-il reconstruire des véhicules ou accélérer l'arrivée du Griffon ? C'est la question. C'est le même industriel et à peu près le même coût, mais le niveau de protection, l'action tactique et l'autonomie sont bien supérieurs pour le Griffon.
On peut donc légitimement s'interroger. Un VAB Ultima représente une protection 4 pour nos soldats. Un Griffon, c'est une protection 5. Il faudra en discuter avec le CEMA et le DGA. Ces choix me paraissent majeurs.
Pour ce qui est du projet MCO terrestre 2025 dont je vous ai parlé tout à l'heure, il n'est pas entièrement financé. Le projet de loi de finance 2018 consacre un effort de 506 millions d'euros de crédits de paiement à l'entretien programmé des matériels terrestres, dont une partie viendra financer ce projet MCO-Terre 2025, ce dont je me réjouis, même s'il manque encore pour la seule année 2018 environ 50 millions d'euros pour garantir un financement complet et contribuer à la remontée d'activité.
Par ailleurs, j'ai pris des mesures en matière de politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP). Mon objectif vise à redonner du matériel aux régiments, en cohérence avec les maintenances opérationnelle et industrielle. En y incluant les mécaniciens, on a aujourd'hui des gains à trouver.
S'agissant de la préparation opérationnelle interarmes, il est vrai que le niveau général a chuté considérablement en 2015 et 2016. L'armée de Terre est passée de quatre-vingts quatre journées de préparation opérationnelle en 2014 à soixante-quatre en 2015, puis soixante-douze journées de préparation opérationnelle en 2016, alors que la norme s'établit à 90. Cette année, on espère remonter à plus de 80 jours.
Cela étant dit, j'insiste sur le fait qu'un soldat qui n'a pas satisfait à la formation initiale ou à la formation opérationnelle n'est pas engagé en opération extérieure, et en toute hypothèse aucun soldat n'est engagé avant six mois de formation et d'entrainement sur le territoire national.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la qualité de nos soldats. Ils n'ont rien de plus que les jeunes Français qui vivent au quotidien dans notre pays. Nous sommes très fiers de les voir agir. Cela peut illustrer les valeurs et l'exemple que promeut l'armée de Terre.
Par ailleurs, les soldats du 35e régiment d'Infanterie blessés le 9 août lors de l'attaque de Levallois-Perret sont tous sortis d'affaire aujourd'hui. S'ils n'avaient pas porté leur gilet de protection ce jour-là, les choses auraient été plus graves, car ils ont été percutés violemment par un véhicule de forte puissance.
Pour ce qui est du programme Scorpion, il faut être plus précis. Il s'agit en fait de remplacer le VAB par le Griffon et, demain, la gamme AMX-10 RC par le Jaguar, qui constituent le segment médian, après le Leclerc et le VBCI, qui représentent le segment dédié aux engagements face à un ennemi symétrique disposant d'unités blindées.
Le programme Scorpion, c'est une bulle dans laquelle on trouve des systèmes de commandement, des matériels du génie, et d'autres matériels qui concourent à l'environnement.
Faut-il accélérer le programme Scorpion ? La question est de savoir ce que l'on veut accélérer à l'intérieur du programme lui-même. Le programme Scorpion est en effet un terme très générique, au sein duquel se trouvent beaucoup de choses.
Personnellement, à l'intérieur du programme Scorpion, je souhaite l'accélération du Griffon, afin de ne pas s'épuiser à reconstruire des VAB. Je souhaite également que l'on accélère les études relatives à l'environnement. Le programme Scorpion comporte toute une partie liée à l'environnement et aux travaux qui doivent être menés en matière d'innovation et de recherche pour atteindre l'objectif que l'on s'est fixé - infovalorisation du commandement, digitalisation, etc. Pour intéresser les industriels et rester dans la course à l'innovation, il me semble nécessaire de densifier notre ambition de recherche et développement. Je pense que l'on trouvera ainsi de jeunes entrepreneurs qui voudront travailler pour ce projet.
Bref, vous l'avez compris, il existe bel et bien deux niveaux dans l'accélération du programme Scorpion. C'est le message que je vais développer jusqu'à Noël.
S'agissant de la réserve, je suis très heureux de la manière dont les réservistes se comportent. On est même au-dessus de la courbe de recrutement. On n'aura donc aucune difficulté pour recruter les 24 000 réservistes qui constituent notre cible.
Chaque jour, ce sont plus de 600 réservistes qui viennent appuyer l'armée de Terre, en participant à la protection du territoire national. Je vise un objectif de 700 l'an prochain. Il existe deux types d'emplois : ceux qui viennent renforcer les états-majors - ils représentent environ 10 % - et ceux qui servent dans les unités, les 90 % restant.
Le réserviste qui a ouvert le feu à Marseille avait suivi la même préparation opérationnelle que ses camarades d'active. C'est une belle réussite.
L'armée de Terre privilégie aujourd'hui l'intégration de ses réservistes dans ses unités d'active. On aurait pu adopter un modèle apparenté à la garde nationale aux Etats-Unis, avec un système de réserve qui aurait paru autoporté, mais je n'y crois pas à ce stade. Il faut un fort soutien des militaires d'active afin de préparer, contrôler les réservistes avant de les engager sur le territoire national. Les autres schémas me paraissent quelque peu risqués.
Pour ce qui est de la fidélisation, il faut relativiser les chiffres présentés dans le rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire. Je ne les partage pas tous. D'ailleurs, les taux de renouvellement à la fin du premier contrat sont plutôt à la hausse dans l'armée de Terre. C'est une bonne nouvelle pour nous.
On s'interrogeait sur le côté éphémère de la volonté des jeunes de s'engager après les attentats. Il n'en est rien. La fidélisation reste cependant un sujet. On a fait le choix d'une armée de jeunes contractuels. C'est ce qui nous différencie des autres nations européennes. Certains de mes homologues européens aimeraient bien pouvoir bénéficier d'une telle dynamique.
Toutefois, il faut accepter le revers de la médaille et admettre que nos soldats peuvent partir quand ils veulent. La question est de savoir comment les aider, et ce qu'ils vont faire. Le monde civil les attend. Peu de jeunes se retrouvent au chômage en quittant l'armée. Ce qu'on a pu leur apprendre - la ponctualité, la loyauté, la capacité à vivre en groupe - représente des qualités recherchées à l'extérieur.
Cela ne me choque pas de voir les jeunes partir, mais on a besoin de conserver des hommes et des compétences. On dépense beaucoup d'énergie à les former, dans un monde où les technologies progressent sans cesse. Si on les laisse s'en aller trop vite, notre modèle n'est pas rentable. Mais il faut aussi veiller à leur offrir de bons outils de reconversion. C'est déjà le cas, mais on peut encore progresser, de manière à les rassurer. Je ne suis pas inquiet.
Nous sortons d'une période dans laquelle nos jeunes ont beaucoup souffert. Entre 2015 et 2017, nos soldats et leur famille ont été soumis à de fortes pressions. En 2016, plus de 17 000 soldats de l'armée de Terre ont passé plus de 150 jours loin de chez eux - sans compter les stages de formation. Aujourd'hui, avec un SMIC, quel Français accepterait de s'éloigner plus de 150 jours de chez lui ? Ce sont les familles qui sont le plus touchées par ces rythmes. Elles sont donc l'objet de toute notre attention.
Pour ce qui est de l'évolution de l'opération Sentinelle, je vais employer l'image de la couverture de risques par une assurance : on n'a changé ni d'assureur - c'est toujours principalement l'armée de Terre - ni le coût de la police d'assurance, qui représente 10 000 hommes. En revanche, on a élargi notre capacité à faire face à un certain nombre de risques. Le contrat a donc un peu évolué.
Vous avez compris que dans le nouveau dispositif Sentinelle qui se met progressivement en place, il y a trois échelons : le premier composé d'hommes déployés de façon permanente sur des sites jugés sensibles - on pense par exemple aux grands monuments de Paris -, le deuxième que je souhaiterais davantage dédié à l'anticipation, et enfin le troisième composé d'une réserve stratégique d'environ 3 000 hommes. Le deuxième échelon pourrait renforcer le premier lors de grands événements, mais il serait également chargé de préparer les scénarios de crise les plus importants. La cuirasse absolue n'existe pas et l'on peut bien déployer 10 000, 20 000 ou 30 000 soldats, si nous devons être attaqués, nous le serons. Reste que si l'on peut accepter d'être pris par surprise, d'être « bousculés », nous n'avons en revanche pas le droit d'être pris en flagrant délit d'impréparation.
Je prône donc d'utiliser ces hommes pour suivre encore plus la vie de la cité, conduire des exercices en terrain libre, notamment dans les déserts militaires français où les forces armées ne vont plus, et préparer les scénarios de crise qui ont été bien identifiés par le Secrétariat général de la défense nationale (SGDSN), sur lesquels nous travaillons à mon sens insuffisamment.
Tous les mois, l'armée de Terre réalise un exercice avec d'autres - forces de sécurité intérieure, PAF, douanes - autour de nos propres scénarios. Je souhaite pousser d'autres services, notamment ceux de l'État, à nous solliciter pour travailler sur des scénarios de crise dans leur environnement. Tous les retours d'expérience démontrent en effet qu'en cas de crise, qu'il s'agisse d'une menace terroriste ou climatique, l'armée de Terre est engagée avec ses hélicoptères, ses spécialistes, etc. À Saint-Martin, nous avons ainsi déployé quarante métiers différents. Il faut donc qu'on y travaille.
Quant à l'infrastructure, beaucoup a été fait. Le plan d'urgence engagé en 2014 pour traiter notamment des « points noirs » identifiés, c'est-à-dire des infrastructures de vie présentant un état de dégradation impactant les conditions de vie et de travail du personnel, se poursuit. Les réseaux sociaux se sont faits l'écho de critiques à propos des conditions d'installation de nos soldats dans le cadre de l'opération Sentinelle. C'était vrai en 2015. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
En revanche, on paie l'absence de maintenance courante de l'infrastructure. Il faut faire quelque chose, car chacun sait que si l'on tarde, on doit ensuite recourir à des masses financières importantes pour réaliser de la maintenance lourde.
J'espère que ceci sera pris en compte dans la LPM. Restera Paris, qui demeure un point noir. Il manque environ 400 logements en région parisienne pour accueillir les familles de façon correcte.
Par ailleurs, concernant votre question sur le renforcement du renseignement, j'ai été directeur d'un service de renseignement : tout ce qui a été engagé dans le passé pour renforcer cette fonction était nécessaire. Il faut poursuivre l'action en faveur des trois services de renseignement militaire, mais également travailler sur les synergies entre services. Il ne m'appartient pas d'en parler, mais je pense qu'il faut continuer.
On a fait beaucoup d'efforts sur la capacité de renseignement stratégique - drones notamment, avec des surveillances 24 heures sur 24 dans certaines régions, ou recherche de cibles à haute valeur ajoutée. J'ai demandé à mes troupes de développer encore davantage le renseignement de niveau tactique. Que fait-on des retours d'expérience dont on dispose concernant les ennemis conventionnels, hybrides et irréguliers ? L'ennemi conventionnel agit de façon indirecte, comme la Russie en Ukraine. Qu'a-t-on appris des modes d'actions de pays « forts » quant à la manière dont ils se déploient aujourd'hui, ou des modes d'action « irréguliers » d'une armée classique ? Pour ce qui est de l'ennemi hybride, il faut suivre l'actualité. Deux hommes du 13e régiment de Dragons parachutistes ont été blessés dans une colonne des forces irakiennes par un drone que l'on trouve dans le commerce, sur lequel une caméra et une griffe permettant d'emporter une sous-munition avaient été ajoutées, inversant presque le rapport de force ! La qualité de nos instructeurs a permis à l'armée irakienne de réinvestir Mossoul, et on subit des pertes causées par un drone de 250 euros ! Quelle leçon tirer de cette affaire en matière de renseignement ? Quant à la menace irrégulière, c'est un peu la même chose.
Je veux donc densifier l'enseignement et l'utilisation que nous faisons du renseignement de niveau tactique dans l'armée de Terre.
Une question m'a été posée concernant le fusil HK 416. Il faut être prudent : tout le monde rêve, dans l'armée de Terre, de disposer du HK 416. Cela ne veut pas dire que le FAMAS tire mal... En outre, le FAMAS « Félin » est plus efficace qu'un HK 416 dépourvu d'aides à la visée - qui sera bien sûr équipé en « Félin » à terme. Reste que l'on est aujourd'hui sur un calendrier de livraison extrêmement lointain - 2028.
Enfin, la question du service national universel est délicate.
Tout d'abord, à ce stade, je crois qu'il faut en préciser les finalités. Que veut-on faire ? Il n'est pas question de se repasser ce sujet de ministère en ministère, d'armée en armée. C'est un objet collectif, qui correspond à un projet de société. Je pense qu'il est indispensable que tout le monde se mette autour de la table pour y réfléchir et en discuter. On verra ensuite les modalités.
Je rappelle que le service militaire volontaire (SMV) est une réussite, mais qu'il s'agit d'un modèle quasi-personnalisé, dont la finalité est l'accès à l'emploi pour une catégorie très spécifique de la jeunesse, avec un taux d'encadrement d'un pour cinq. Cela fonctionne très bien, de façon artisanale, mais comment faire pour passer à l'industrialisation ?
Une classe d'âge aujourd'hui, c'est 700 000 jeunes par an, soit dix fois la force opérationnelle terrestre. Il ne s'agit pas d'être négatif mais conscients que si nous devons être percutés par un objet qui fait dix fois notre masse sur un tempo rapide, les conséquences sur l'armée de Terre seront lourdes !
Des commissions ont été créées pour dresser un inventaire des dispositifs existants. Ce qui existe ne répond pas forcément à l'attente du Président de la République, qui souhaite un vrai brassage. Or l'objectif du SMV n'est pas de brasser les populations, mais de remettre sur pieds les jeunes les plus démunis.
En synthèse j'attends donc de connaître les finalités du projet avant d'évoquer les modalités.
M. Christian Cambon, président. - Général, merci de ces précisions. Nous apprécions la clarté de vos propos.
L'élargissement et l'approfondissement du service militaire adapté (SMA) ou du SMV qui vise les jeunes « décrocheurs », est sans doute une piste intéressante. On est loin de l'idée consistant à restaurer d'une manière ou d'une autre le service national ancienne formule. Je ne sais d'ailleurs pas si les jeunes s'y plieraient. Ce que nous vivons dans nos collectivités montre qu'il y a sur ce sujet loin de la coupe aux lèvres. Le Sénat, qui constitue l'assemblée des territoires, a quelque chose à apporter à ce débat.
Je voulais vous assurer de notre soutien, à la veille d'étapes importantes, comme la préparation de la LPM.
Il faut saluer l'effort, mais demeurer vigilant s'agissant du renouvellement des matériels, de la sécurisation des personnels, qui sont très exposés dans le cadre des OPEX, ou de la condition de vies des militaires et de leur famille, qui ont retrouvé un peu de liberté de parole.
Nous ferons tout pour que la contribution du Sénat à cette loi permette à une armée à laquelle nous souhaitons rendre hommage, d'entrer dans une phase de remise à niveau.
La réunion est close à 11 h 40
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 15h05.
Situation internationale - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, nous avions pris l'habitude de vous recevoir dans vos précédentes fonctions pour des auditions qui étaient toujours passionnantes. Je suis donc très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour faire le point sur la situation internationale. Nous vous entendrons également la semaine prochaine au sujet du projet de loi de finances pour 2018.
Nous avons débattu ensemble de l'avenir de l'Union européenne mercredi dernier en séance publique, je vous propose donc de nous concentrer sur les crises internationales - hélas, elles ne manquent pas : Corée du Nord, Iran, Libye, Irak-Syrie.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - Et Sahel !
M. Christian Cambon, président. - Absolument.
Sur la Corée du Nord, l'escalade verbale continue et la menace nucléaire est chaque jour plus tangible. Comment gérer cette escalade et cette crise de la prolifération ? Quel rôle la Chine peut-elle jouer ? Qu'en est-il de la France ? Quels sont les formats de négociation possibles autour du Conseil de sécurité et un dialogue est-il envisageable ?
Au sujet de l'Iran, le président des États-Unis, après les propos qu'il a tenus en Arabie saoudite et à l'ONU, rallume la mèche autour de la certification du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). Tous les efforts pour faire enfin de l'Iran une puissance régionale stabilisatrice sont-ils réduits à néant en quelques semaines ? Avec près de 40 000 miliciens chiites et iraniens de l'Irak au Liban, comment stabiliser le Moyen-Orient sans l'Iran ?
En ce qui concerne la Libye, la France a quelque peu changé de position, ce qui a permis, le 25 juillet, à l'initiative du Président de la République et de la vôtre, la rencontre de Saint-Cloud entre MM. Sarraj et Haftar. Où en sont les négociations sur les amendements à l'accord de Skhirat, dirigées par l'envoyé spécial des Nations unies en Libye, Ghassan Salamé ? Celui-ci a, en particulier, déclaré que seraient organisées des élections législatives et présidentielles au plus tard en juillet 2018 : ce calendrier est-il trop ambitieux ? Qu'en est-il de la reconstitution de Daech dans le sud de la Libye après la bataille de Syrte ? Enfin, comment travaillons-nous avec les Italiens sur ce dossier ?
Sur la Syrie, où en est votre initiative autour du P5 et des parrains régionaux, à une encablure de la reprise des négociations de Genève ?
Enfin, s'il nous reste du temps, vous nous direz un mot du G5 Sahel. Est-il possible de progresser vers plus d'opérationnalité ? Le soutien logistique et opérationnel de la Minusma peut-il devenir une réalité ? Un appui plus important de la part de nos partenaires européens, en particulier britanniques, est-il envisageable ? Dernier point, il semble que la mise en oeuvre de l'accord de paix malien ait enfin connu, récemment, un début d'accélération : partagez-vous cette analyse ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Merci, monsieur le président. Je suis très heureux de vous retrouver dans cette nouvelle configuration, mais je peux vous dire que, dans un contexte international très tendu, mon objectif reste le même : servir notre pays. Avons-nous déjà connu autant de tensions sur de si nombreux théâtres d'opérations ? Je ne le crois pas. Nous vivons en fait un véritable paradoxe : le monde n'a jamais été aussi interdépendant, mais nous connaissons de graves crises multilatérales. C'est dans un tel contexte que la France entend défendre et faire vivre le multilatéralisme.
La lutte contre le terrorisme constitue la première priorité de la France. Et je dois vous dire que l'annonce, hier, de la chute de Raqqa a été un grand plaisir pour moi : le Bataclan n'est pas resté impuni ! En janvier 2016, j'avais réuni les ministres de la défense des pays de la coalition internationale et j'avais insisté auprès de mes collègues pour que Raqqa soit retenue comme un but de guerre, au même titre que Mossoul. Il fallait à la fois renforcer les frappes aériennes et trouver un outil d'intervention terrestre. Ce sont les forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et d'Arabes, qui ont réussi cette opération, avec l'appui de la coalition, dont la France.
Certes, la défaite territoriale de Daech est essentielle, car elle prive cette organisation terroriste de son récit politique, fondé sur le rétablissement d'un prétendu califat. Mais nous devons rester particulièrement vigilants et penser à l'après. Les combattants ne vont pas disparaître comme par enchantement, ils vont se diriger vers d'autres territoires, que ce soit l'Afghanistan ou plus à l'est, jusqu'à la Malaisie ou les Philippines. Certains, même si l'histoire des deux organisations est différente, vont se tourner vers Al Qaïda, qui a bénéficié d'apports ces derniers mois.
La bataille de Raqqa a fait de nombreux morts et blessés, la ville est largement détruite, sa population a chuté. Or, la France a un intérêt particulier pour cette ville, puisque les assassins du Bataclan y prenaient leurs ordres, et nous avons un devoir particulier à la fois en termes d'aide humanitaire et de reconstruction, mais aussi pour trouver plus largement une gouvernance adaptée et un processus politique de sortie de crise.
Quelques mots sur la zone d'Idlib, au nord de la Syrie. Durant le conflit, les forces du régime ont constamment fait en sorte que ce territoire accueille des militants affiliés d'une manière ou d'une autre aux organisations liées à Al Qaïda, dont certains en provenance du Liban. Aujourd'hui, entre deux et trois millions d'habitants y vivent. La Turquie est très sensible à la situation dans cette zone frontalière, en particulier au regard de la question kurde, son armée y a récemment pénétré et des combats ont eu lieu.
Les forces loyalistes syriennes, appuyées par les Russes, ont pénétré jusqu'à Deïr ez Zôr, voire jusqu'à Mayadine. Elles se dirigent vers la frontière séparant la Syrie de l'Irak, où se retrouveront vraisemblablement les combattants de Daech ayant fui Raqqa et ceux venant de Mossoul, avec les dégâts que cela entraînera. Les forces du régime sont sur la rive droite de l'Euphrate et les forces de FDS, soutenues par la coalition, sont sur l'autre rive, tous cherchant à atteindre le plus vite possible la frontière avec l'Irak.
Il y a deux processus politiques parallèles concernant la Syrie. Il y a premièrement le processus d'Astana. Il s'agit d'une commission se réunissant au Kazakhstan et rassemblant depuis plusieurs mois les Russes, les Iraniens et les Turcs pour engager des zones de désescalade. L'objectif est de définir les moyens d'un cessez-le-feu et un mode de gouvernance pour chacune des quatre parties identifiées : Idlib, Homs, Ghouta est et le sud de la Syrie, à l'est de Der'â, près de la frontière avec la Jordanie. Il s'agit de trouver un accord politico-militaire dans ces quatre zones pour que l'aide humanitaire puisse être acheminée.
Ce processus est lent ; il a abouti pour l'instant à un seul résultat : la quatrième zone, le Sud syrien, près de la frontière jordanienne, est une zone de désescalade confirmée, avec un contrôle permettant un cessez-le-feu, une stabilisation et l'acheminement de l'aide humanitaire. Les Jordaniens, les Américains et les Russes se sont mis d'accord, en relation avec Israël, pour assurer la sécurité dans la zone. Il fallait définir qui protège ces zones ; il était inacceptable pour les Israéliens que ce soient des Iraniens, ce sont donc des Tchétchènes, qui sont sunnites. Ce processus, même s'il est difficile, continue.
Le second projet parallèle est le processus de Genève, en lien avec les Nations unies, dirigé par le représentant du secrétaire général de l'ONU, M. de Mistura.
M. Christian Cambon, président. - Nous l'avons déjà auditionné.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Il anime depuis six ans ce processus, cette tentative de résolution politique, qui n'aboutit pas.
L'après-Daech en Syrie commence donc aujourd'hui, et voilà l'état des lieux. Le risque auquel nous faisons face serait que, à partir du processus d'Astana, il se crée des gouvernances éparpillées dans les zones « désescaladées » qui passent un accord général avec le régime en faveur d'une Syrie éclatée C'est la première hypothèse, et nous la combattons parce que nous sommes favorables à l'unité et à l'intégrité de la Syrie.
Face à l'impossibilité de trouver un accord à Genève, sachant par ailleurs que les Saoudiens cherchent à unifier les oppositions syriennes non terroristes, au sein du groupe de Riyad, du groupe de Moscou et du groupe du Caire, le Président de la République a proposé que les membres permanents du Conseil de sécurité se réunissent et convient des représentants des pays de la région directement concernés, afin d'aboutir à des propositions politiques présentables concernant la sécurisation de la région, la transition politique, l'établissement d'une Constitution et l'engagement d'un processus électoral. Il s'agit de ce que l'on appelle la proposition du groupe de contact.
Cette idée a recueilli l'accord de Mistura, mais elle se heurte à une grande réserve de la part des Russes et, à tout le moins, à des interrogations de la part des États-Unis. Nous avons en revanche le soutien du Royaume-Uni et de la Chine pour aboutir à un forum où l'on puisse parler sérieusement du processus de paix.
En ce qui concerne l'Irak, Daech est en phase d'élimination, avec la reprise d'Hawijah qui était devenu un repaire pour Daech après la bataille de Mossoul. En l'occurrence, contrairement à la Syrie, il y a un État reconnu par tous, avec un Premier ministre, M. Abadi, qui a la volonté de trouver une solution inclusive.
L'Irak est donc déjà dans l'après-Daech, dans une phase de consolidation, et même de reconstruction - il y aura avant la fin de l'année un appel aux contributeurs, auquel la France est d'ailleurs candidate ; nous étions partenaires de la bataille, nous voulons être partenaires de la paix. Le Premier ministre irakien a donc été reçu par le Président Macron. Nous jouissons d'une bonne image dans ce pays car notre aviation, nos formateurs et notre artillerie ont participé aux efforts.
Tout allait donc bien jusqu'à la semaine dernière, jusqu'au référendum kurde. Le Kurdistan irakien a combattu dans la province de Mossoul, avec des Peshmerga très déterminés. Après la bataille de Mossoul, ils ont engagé un processus référendaire visant à l'indépendance du Kurdistan irakien. Je rappelle que le monde kurde est complexe ; il y a les Kurdes irakiens, avec deux tendances opposées - celle de M. Barzani et celle de M. Talabani -, un Kurdistan iranien, plutôt proche de M. Talabani, un Kurdistan turc, avec le PKK, et un Kurdistan syrien, divisé également en deux tendances mais qui se trouvent globalement sur la même ligne.
M. Barzani se trouve à Erbil, capitale prospère grâce aux produits pétroliers de la zone de Kirkoûk. Après ce référendum, que nous lui avions déconseillé de faire - je l'ai personnellement rencontré pour cela -, il a perdu Kirkoûk, reprise avant-hier par les forces fédérales irakiennes avec la complicité de la mobilisation populaire et de l'autre tendance kurde.
Nous vivons actuellement une phase diplomatiquement active pour éviter un nouveau conflit autour de Kirkoûk. J'ai ainsi eu des entretiens avec le président Barzani et le Président de la République en a eu avec le Premier ministre Abadi. Notre souci est de préserver la paix et le dialogue entre Abadi et Barzani et que la Constitution irakienne permette l'autonomie d'un Kurdistan irakien au sein d'un Irak intégré respectant les différentes communautés, yézidis, chrétiennes, chiites et sunnites.
Bref, on a gagné la guerre, il faut maintenant gagner la paix.
J'en arrive à la Libye. Je craignais une diffusion de Daech en Libye, car il a eu une présence significative à Benghazi et Syrte. Aujourd'hui, il y a un éparpillement des groupes liés à Daech, qui ne représente plus vraiment un danger majeur, grâce aux actions différenciées qui ont été menées : les Américains ont bombardé Syrte, les Misrâti ont attaqué Syrte au sol, les forces du général Haftar ont attaqué Benghazi. Il y a aussi une bataille en cours à Derna, initiée également par les forces du général Haftar.
Il y a en Libye un gouvernement théorique, basé à Tripoli, résultant des accords de Skhirat, datant de 2015. Ces accords faisaient suite à de longues discussions ayant abouti à la reconnaissance par la communauté internationale de M. Sarraj comme président du conseil présidentiel et Premier ministre de la Libye. Il est soutenu par la Turquie et par le Qatar.
Il y a ensuite l'ancien général Haftar auto promu maréchal, à la tête d'une armée assez solide, l'armée nationale libyenne. Il est soutenu par l'Égypte et les Émirats arabes unis. Le maréchal Haftar a repris beaucoup de terrain et il s'affirme comme un personnage central. Il faut désormais inclure cette personnalité, qui jouit d'un rapport de forces favorable.
La Libye est importante pour nous car elle se trouve à trois cents kilomètres de l'Italie et c'est de ce pays que s'organisent les réseaux mafieux et de passeurs auxquels s'adressent les migrants économiques, qui sont attirés vers l'Europe. Sabratha est la zone de tous les trafics puisque ni l'État ni le maréchal Haftar n'y exercent d'autorité ; c'est une zone de non-droit qui fait peser une menace pour l'équilibre de la Libye et pour l'Europe.
Il y a aussi deux parlements. L'un siège à Tripoli, c'est le Haut Conseil d'État, présidé par M. Souihli, qui date d'avant l'accord de Skhirat ; il se considère comme le seul représentant légitime de la population. L'autre siège à Tobrouk, il est présidé par M. Saleh et il résulte d'élections postérieures à cet accord.
Ce panorama est donc complexe et c'est dans ce contexte que le Président de la République a jugé opportun de réunir en juillet près de Paris le Premier ministre Sarraj et le maréchal Haftar, qui ne s'étaient jamais parlé, pour les mettre d'accord sur une orientation stratégique.
Cela a permis de débloquer la situation : l'envoyé spécial des Nations-Unies M. Salamé a pu présenter une feuille de route de modification des accords de Skhirat. Une deuxième phase de négociation est en cours à Tunis. Nous sommes optimistes. Je me suis rendu en Libye il y a peu, j'ai rendu visite à tous les acteurs. Lors de l'Assemblée générale des Nations-Unies, nous avons tenu une réunion plénière en présence du président égyptien, du président du conseil italien et de M. El-Sarraj pendant laquelle la feuille de route de M. Salamé a été approuvée par tous.
C'est la condition nécessaire si l'on veut éviter les migrations sauvages. Sans autorité sur place, on ne pourra pas faire grand-chose. La Libye est le lieu de tous les trafics : trafics de drogue, trafic d'armes, trafic d'hommes avec les passeurs. Les acteurs sont mêlés, ils s'adonnent parfois à tous les trafics, avec en plus quelques terroristes.
Au Sahel, les trafics d'armes, de drogue et d'hommes passent notamment par la passe de Salvador, au nord du Niger. On ne peut pas comprendre les rivalités entre tribus sans savoir qu'elles contrôlent des checkpoints ou des trafics dans un mélange de gangstérisme et de terrorisme idéologique.
Si l'on veut faire un bref historique ; face à la menace djihadiste sur Bamako, l'opération Serval a été un succès. Elle débouche sur l'élection démocratique du président Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK, une élection démocratique de l'Assemblée nationale, un outil de formation de l'armée malienne, bref un dispositif complet. Les accords d'Alger en 2015 créent une feuille de route pour une décentralisation du pouvoir en faveur du Nord et pour le phénomène de « DDR » : désarmement, démobilisation et réintégration. La force française a alors élargi son secteur à tout le Sahel, devenant la force Barkhane. Les attentats récents au Niger et Burkina Faso montent bien que c'est toute la région qui est concernée.
Nous subissons actuellement une sorte d'offensive des groupes terroristes qui ont été mis à rude épreuve depuis le début de Barkhane : les groupes arabes touaregs et peuls Ansar Dine, Aqmi, Al-Mourabitoune et le Front de libération du Macina, se sont regroupés en une seule organisation, le Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans (RVIM) derrière Iyad Ag Ghali. Par ailleurs, on assiste à des affrontements entre groupes du Nord non terroristes signataires des accords d'Alger.
Le cessez le feu est précaire. Il faut réaffirmer notre volonté politique et adapter notre présence militaire aux nouvelles formes de menaces. Avec une bonne perspective d'espoir : les cinq États de la zone ont décidé de mettre en place un G5 Sahel, c'est-à-dire une force conjointe pour lutter contre les terroristes. Ces derniers sont bien moins nombreux qu'en Irak : quelques centaines, et non quelques milliers, mais ils sont prêts à tout. Une résolution des Nations-unies prévoit des sanctions contre ceux qui ne respecteraient pas les accords d'Alger. Je présiderai la semaine prochaine une réunion du Conseil de sécurité pour activer ce dispositif.
Passons maintenant à la décision du président Trump sur l'Iran : depuis l'accord de juillet 2015, le gouvernement des États-Unis certifie tous les 90 jours au Congrès que Téhéran remplit bien ses obligations. Le président Trump a émis ces certifications à deux reprises, mais il s'y est refusé cette fois-ci. C'est d'autant plus préoccupant que l'AIEA, chargée de suivre l'application de l'accord de Vienne, vient de dire que l'Iran remplissait ses obligations, comme l'ont dit également deux officiels américains, le chef d'État-major des armées Joseph Dunford et le secrétaire à la défense James Mattis. Avant-hier, le Conseil des ministres des affaires étrangères européens l'a aussi certifié.
Trois options s'offrent au Congrès. Soit il ne fait rien, l'accord se poursuit jusqu'à 2025 et Téhéran continue de démanteler ses installations nucléaires militaires. Soit il décide d'agir sur les sanctions spécifiques prévues par une résolution des Nations unies concernant l'arme balistique par exemple - c'est peu probable mais possible. Soit il rétablit les sanctions et aborde l'accord. Cela aura des conséquences en Iran car le président Rohani s'est engagé sur l'accord, et une aile dure du gouvernement iranien souhaite s'en retirer. Cela aura des conséquences pour les entreprises françaises qui ont repris le chemin de Téhéran, et qui pourraient être frappées par l'extraterritorialité des sanctions américaines.
Cette situation est très difficile et nécessite la plus grande vigilance. Nous sommes en relation avec les Iraniens. Cela ne nous empêche pas d'être très fermes avec eux sur le non-respect de la résolution 2231 du conseil de sécurité qui condamne l'accession de l'Iran à des armes balistiques ; cela ne nous empêche pas d'être rigoureux à l'égard du rôle de l'Iran dans la zone, de son soutien au Hezbollah, de son rôle au Yémen et au Liban... Mais nous voulons faire comprendre que le domaine nucléaire est un domaine à part, car la non-prolifération est un sujet vital et de long terme.
Concernant la Corée du Nord, on ne peut pas dire qu'elle dispose de moyens d'intervention nucléaires lourds, mais elle a fait un saut qualitatif important - son dernier essai nucléaire représentait dix fois Hiroshima - et d'autre part sa capacité de projection balistique intercontinentale s'améliore. Quand elle saura mettre une arme nucléaire dans son arme balistique, la situation sera très grave. Ce n'est pas pour demain, mais pour après-demain. Elle pourra alors toucher les États-Unis ou l'Europe. Cela provoque une inquiétude générale sur la prolifération : comme pour l'Iran, si une puissance se dote de l'arme nucléaire, ses voisins voudront faire la même chose, en l'occurrence le Japon et la Corée du Sud. Ce sera le retour d'une logique de prolifération qui s'était arrêtée en 1968. Il faut s'en tenir au traité signé cette année-là.
La pression est forte, des sanctions nouvelles sont prises, avant-hier par l'Union européenne. La Chine vote maintenant les mesures au Conseil de sécurité et les applique. Il faudra voir le résultat du congrès du Parti communiste chinois, mais selon toute probabilité, il devrait renforcer l'actuel dirigeant. Nous devons augmenter les sanctions pour forcer Kim Jong-Un à venir à la table des négociations pour parvenir à une dénucléarisation de la péninsule.
M. Ladislas Poniatowski. - Ma question porte sur le bouleversement auquel on a assisté cet été : la Turquie a tourné le dos à l'Otan ! Le 12 septembre, le président Erdogan lui-même a annoncé que son pays s'équiperait bientôt de missiles russes S400, qui vont quatre fois plus loin et trois fois plus vite que les Patriot dont ils disposent aujourd'hui. Toute la défense aérienne turque a pourtant été installée par l'Otan, la Turquie abrite une base d'avions Awacs installée et payée par les États-Unis et l'Allemagne, et la couverture radar du pays a été installée par le Pentagone. La diplomatie française a été très silencieuse sur ce bouleversement. Je ne vous en fais pas le reproche : le mieux était de ne rien dire, pour ménager les Turcs eux-mêmes, et les Russes, vexés ou mécontentés par certains comportements et ravis de ce rapprochement. Mais je vous invite, monsieur le ministre, à être moins silencieux devant notre commission !
M. Ronan Le Gleut. - Le peuple kurde est réparti sur quatre pays : la Turquie, l'Irak, l'Iran et la Syrie. La France est favorable à l'unité de la Syrie, et vous avez déconseillé à Massoud Barzani de recourir au référendum. La France s'adresse-t-elle séparément aux différentes composantes du peuple kurde, sans vision globale ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Au printemps dernier, lors de votre prise de fonctions au Quai d'Orsay, vous avez souligné le lien qui unit la défense et les affaires étrangères. Vous connaissez bien l'ampleur de l'engagement de la France au Sahel et soutenez la constitution d'un G5 Sahel. L'Union européenne a déjà débloqué 50 millions d'euros pour mettre sur pied, mais les besoins sont estimés à 200 à 400 millions d'euros. La constitution d'un fonds serait utile pour financer cette force africaine. Expertise France peut-il en être l'opérateur, pour assurer l'interopérabilité des équipements et la coordination des efforts de ces cinq pays ? Quelle est votre position, monsieur le ministre et connaissez-vous celle de vos partenaires dans ce dossier ?
M. Gilbert Roger. - Sept pays d'Europe dont la France ont pris l'initiative inédite de se retourner contre Israël après le démantèlement d'installations solaires et scolaires financées par l'Union européenne et ont demandé compensation du préjudice subi. Depuis 2017, 344 structures ont été démolies en Palestine, provoquant le déplacement d'environ 500 personnes. Toutes étaient financées par l'Union européenne et les États membres, dont la France. Si Israël ne répond pas positivement à votre demande, qu'envisagez-vous de faire ?
Mme Christine Prunaud. - Quelle est votre position, monsieur le ministre, sur le retrait des États-Unis et d'Israël de l'Unesco ? Des sanctions sont-elles envisagées ? Nous craignons de voir s'éloigner la paix et la création d'un État palestinien.
M. Richard Yung. - Y a-t-il vraiment une lueur d'espoir au Sahel ? La résolution du conflit au nord du Mali, qui conditionne toute paix dans la région, ne semble pas à portée de main. Peut-on avoir quelque espoir dans le développement d'une force militaire régionale ? Voilà trente ou quarante ans déjà que nous avons des écoles militaires dans la région... Je doute qu'un ensemble de cinq pays permette de mettre un terme au conflit.
M. Jean-Marc Todeschini. - Quelle est votre vision du conflit entre les indépendantistes catalans et Madrid ? L'Union européenne a-t-elle un rôle de premier plan à jouer ?
Quelle stabilité voyez-vous se dessiner en Jordanie et au Liban, compte tenu du retour des réfugiés et de l'activité du Hezbollah ?
M. Joël Guerriau. - L'Iran a manifestement le vif désir de renforcer ses liens avec la France : nous y avons livré les premiers Airbus et doublé nos importations de pétrole. Mais le système financier français peine à accompagner cette dynamique, tandis qu'Italiens et Allemands en profitent. Comment sortir de la crainte que semble nos inspirer l'imprévisibilité des décisions de Donald Trump ? Comment travailler plus sereinement avec ce pays ?
M. Jean-Pierre Vial. - Nous nous félicitons tous de la reprise de Raqqa, mais nous avons tous à l'esprit la reprise par les Kurdes de la ville de Manbij, à l'été 2016 : à la demande des Américains et sur sollicitation des Turcs, ils avaient finalement dû quitter la ville... A Raqqa aussi, les Turcs veilleront à ce que les Kurdes ne reconstituent pas une forme de territoire. Ont-ils pris des engagements ?
Les présidents des groupes d'amitié du Sénat liés aux pays du Moyen-Orient, dont je fais partie, vous avons adressé un courrier au début de l'été sur les problèmes des réfugiés causés par la guerre en Syrie. Vous ne nous avez pas répondu. Nous restons à votre disposition pour échanger sur ce sujet essentiel, que nous avons évoqué avec le président libanais Michel Aoun lorsqu'il a rendu visite au président de la République et au président du Sénat il y a quelques semaines.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je ferai de mon mieux pour répondre à toutes les questions dans le temps qui nous est imparti. Nous avons eu sous le quinquennat précédent des relations très régulières, et je demeure tout aussi disposé à échanger avec vous.
Notre relation avec l'Italie au sujet de la Libye a connu quelques épisodes de tension. Depuis la réunion de Lyon, l'atmosphère est apaisée. J'ai rencontré mon homologue Angelino Alfano quatre fois ces deux derniers mois. Les Italiens ont des intérêts en Libye, et sont intéressés aux questions de migration : nous le comprenons et agissons désormais de concert.
Sur l'Iran, nous ne sommes absolument pas contraints. D'ailleurs, Total vient d'y remporter un contrat d'un milliard d'euros et Airbus leur a vendu une centaine d'appareils. Les banques sont en revanche plus frileuses en raison des difficultés rencontrées naguère par la BNP. Nous sommes en train de monter un dispositif avec la BPI ne dépendant pas de groupes bancaires présents aux États-Unis. Avec la non-certification de l'accord sur le nucléaire iranien, les choses vont tanguer un peu. C'est aussi une manière de semer le doute et de freiner l'investissement sans imposer de nouvelles sanctions. Il faudra toutefois reparler des questions d'extraterritorialité avec nos partenaires américains - Bruno Le Maire l'a redit il y a quelques jours aux États-Unis. Je me rends pour ma part en Iran dans quelques jours.
La gouvernance de Raqqa doit être assurée par les habitants de Raqqa. Cela a été vu par le général Mazloum, commandant kurde des forces du YPG. Comme à Manbij, les forces kurdes combattent mais ne sont pas chez elles à Raqqa. Les Kurdes, monsieur Le Gleut, ne sont pas unis ! La seule légitimité que l'on connaisse aujourd'hui est celle du Kurdistan irakien - et encore - et l'UPK de Souleymanieh. Pour le reste, l'apaisement n'est pas pour demain : le PKK et le PDK allié d'Erdogan ne s'entendent pas. La France respecte beaucoup les Kurdes et a toujours soutenu l'autonomie du peuple kurde. Ce sont nos alliés, sauf ceux du PKK, reconnu par l'Union européenne et la France comme un groupe terroriste.
La Turquie reste dans l'Otan et siège aux réunions des ministres des affaires étrangères de l'Alliance. Nos conceptions respectives des droits varient cependant. Je prends toujours soin, en Turquie, de rencontrer les représentants du Gouvernement, de l'opposition, ainsi que les ONG, aux yeux de tous, et je ne suis toujours pas en prison ! Nous avons avec le président Erdogan des relations...toniques, mais nous discutons toujours. Et cela n'a pas empêché la libération de Loup Bureau.
Mme Perol-Dumont m'a interrogé sur la force conjointe du G5 Sahel. L'enjeu est majeur, il faut tout faire pour réussir ! Aujourd'hui le dispositif n'est pas finalisé. Il coûtera 250 millions d'euros l'année de démarrage - le chiffre de 400 millions n'a pas été instruit - puis 60 millions par an. Si cela doit permettre aux Africains de disposer d'une force, cela vaut la peine d'y réfléchir... Pour comparaison, la Minusma au Mali coûte 1 milliard d'euros. Les Africains suggèrent qu'on leur donne ce milliard pour créer une force africaine : ce n'est pas si simple, il faut d'abord former les hommes et structurer cet ensemble. Quoi qu'il en soit, un choix important a été fait, mais aujourd'hui 118 millions d'euros seulement sont financés. Nous aurons en décembre une réunion à Bruxelles, nous ferons un appel à contributeurs, au-delà de la France et de l'Allemagne. L'Union européenne apporte 50 millions d'euros.
À l'Unesco, nous avons remporté une belle victoire diplomatique, non sans mal. Mme Azoulay saura, je n'en doute pas, redonner à cette institution ses lettres de noblesse et revenir aux fondamentaux : cela pourrait conduire les États-Unis et Israël à s'interroger sur leur retrait. Reconnaissons que l'immobilisme de l'ONU a peut-être causé une dérive de l'Unesco, tentée par une action de substitution. Or sa mission concerne l'éducation, la préservation du patrimoine, la dimension culturelle de l'humanité. J'ai du reste noté que les candidats arabes, la représentante de l'Egypte comme celui du Qatar, tenaient des propos très atténués sur la question des pays adhérents.
Le G5 est incontournable, je le répète. Si nous n'atteignons pas l'objectif, notre posture dans cette zone deviendra difficile. Quant à la Catalogne, notre position est claire : respect du droit constitutionnel espagnol et appel au dialogue - je ne parle pas de « médiation », ... Reste qu'il faut trouver une porte de sortie honorable. Je serai à Madrid après-demain, mais sans doute la situation aura-t-elle encore évolué entretemps. Trouver une solution est aussi dans notre intérêt, car il ne serait pas confortable d'avoir un voisin catalan non membre de l'Union européenne, n'employant plus la monnaie européenne, et plus au Sud, un partenaire espagnol terriblement affaibli. Ce pays ami saura trouver en son sein les moyens de sortir de cette crise. Je vous parlerai lors de notre prochaine rencontre de la Palestine, du Liban, de l'Ukraine... en espérant qu'il n'y aura pas d'autre crise entretemps.
M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions.
Questions diverses
M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, sans attendre de lancer nos missions 2018, nous pouvons d'ores et déjà mener à bien deux missions d'ici fin 2017, l'une, traditionnelle, à l'ONU, conduite par le président de la commission, l'autre que nous devions lancer depuis plusieurs mois sur la route de la soie, avec un déplacement en Chine.
Le Bureau de la commission a avalisé le principe d'une répartition proportionnelle pour ces 8 désignations, les groupes ont fait connaître leurs candidats et je propose en conséquence à notre commission de désigner les membres :
- pour la mission à l'ONU, outre votre serviteur, Hélène Conway-Mouret, Jacques Le Nay et Bernard Cazeau ;
- pour le groupe de travail sur la « Route de la soie », qui se rendra en Chine, outre les deux co-rapporteurs qui seront pour la majorité Pascal Allizard et pour l'opposition Gisèle Jourda, sont membres de la mission : Édouard Courtial et Jean-Noël Guérini.
Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.
Je rappelle que le Bureau de la commission se réunira fin octobre pour décider des orientations de travail pour 2018.
Sinon pour vos agendas, la commission organise pour tous ses membres des journées d'immersion dans les forces armées. Retenez déjà les dates suivantes :
- le 7 décembre : immersion marine nationale
- le 25 janvier : immersion armée de terre
Pour des raisons de météo, nous commencerons par le Sud de la France mais rassurez-vous nous aurons un souci d'équilibre géographique dès le printemps pour la suite de nos immersions !
La réunion est close à 16h25.