Mardi 10 octobre 2017

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale

M. Alain Milon, président. - Nous accueillons cet après-midi M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, qui va nous présenter le rapport annuel de la Cour sur les lois de financement de la sécurité sociale.

Cette contribution essentielle à l'analyse de notre système de protection sociale marque traditionnellement le début de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Celui-ci sera délibéré demain en Conseil des ministres et nous entendrons dès la semaine prochaine les ministres concernés et les dirigeants des différentes branches.

Le rapport annuel de la Cour apporte comme à l'accoutumée un nombre considérable d'éléments très stimulants pour notre réflexion. Il a tout d'abord le mérite de clarifier la réalité de la situation financière de la sécurité sociale, en confirmant ce que nous avions souligné lors de la discussion du projet de loi de financement de l'an dernier, à savoir la persistance d'un déficit élevé de l'assurance maladie et une tendance à l'accentuation des charges de retraite. Par ailleurs, le rapport de cette année contient un certain nombre d'analyses plus détaillées sur l'organisation des soins, sur les dépenses de médicament ou encore sur les aides aux familles.

Pour cette présentation, M. Didier Migaud est accompagné de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, de M. Henri Paul, rapporteur général de la Cour, et de M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître.

Notre réunion fait l'objet d'une retransmission vidéo.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Je suis heureux de vous présenter notre rapport 2017 sur la sécurité sociale. Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui sera déposé demain sur le bureau de votre assemblée.

J'ai auprès de moi, pour vous présenter le travail de la Cour, Antoine Durrleman, président de la sixième chambre chargée de sa préparation, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport et Delphine Rouilleault, rapporteure générale adjointe. De nombreux autres rapporteurs ont contribué à ce rapport.

Dans le prolongement de son audit général des finances publiques de juin dernier, comme de ses précédents rapports annuels sur la sécurité sociale, la Cour s'est attachée à approfondir l'analyse de la trajectoire financière de la sécurité sociale à l'horizon 2020 et de ses déterminants.

De cette analyse, la Cour a tiré quatre constats principaux.

Tout d'abord, la Cour constate que la réduction du déficit de la sécurité sociale et le reflux de la dette sociale se sont poursuivis en 2016, ce qui témoigne d'efforts certains de maîtrise des dépenses. Toutefois - et c'est le deuxième constat - la situation financière de la sécurité sociale n'est pas encore assainie. Ensuite, le caractère incomplet et fragile du redressement financier appelle à engager ou à amplifier des réformes structurelles qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, ont des résultats importants. Enfin, pour accélérer le retour à l'équilibre, il convient d'exploiter beaucoup plus activement les marges importantes d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. Cette année, la Cour illustre ces marges dans deux domaines : le médicament et les soins médicaux.

De ces observations découle en définitive un message central et essentiel : si les progrès que relève la Cour sont très lents et encore inaboutis, et si la persistance des déficits depuis 2002 fragilise cet instrument majeur de solidarité entre assurés sociaux et entre générations qu'est la sécurité sociale, cette situation n'a rien d'inéluctable.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier, éteindre totalement la dette sociale, éviter par la suite de retomber dans la spirale des déficits et de l'endettement est non seulement indispensable, mais est, selon nous, possible.

J'en viens au premier constat de la Cour. En 2016, le déficit de la sécurité sociale a poursuivi le mouvement de baisse progressive engagé depuis 2010, année où il avait atteint le niveau historiquement élevé de près de 30 milliards, dans le contexte de la crise économique.

Ainsi, le déficit agrégé de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est établi en 2016 à 7 milliards, contre 10,3 milliards en 2015. Le déficit du régime général seul et du FSV, qui constitue l'essentiel des enjeux financiers, a été ramené pour sa part à 7,8 milliards, contre 10,8 milliards en 2015.

La Cour relève à cet égard cinq évolutions positives. En premier lieu, le déficit est revenu, pour la première fois, à un niveau inférieur à celui de l'avant-crise financière. Ensuite, pour la première fois également, la baisse du déficit a été pour l'essentiel de nature structurelle, indépendante de la conjoncture économique : le déficit structurel s'est réduit de 0,1 point de PIB. Par ailleurs, contrairement aux autres années, la réduction du déficit a été obtenue sans mesures d'augmentation nette des recettes. Pour la première fois encore, toutes les branches et le FSV ont vu leur solde s'améliorer simultanément. Enfin, grâce à la réduction des déficits, la dette sociale a confirmé le mouvement de reflux engagé en 2015 : elle a baissé de 5,3 milliards pour atteindre 151,1 milliards fin 2016.

La Cour met donc en lumière les progrès enregistrés en 2016, qui s'inscrivent dans une trajectoire de retour progressif à l'équilibre. Toutefois, un chemin important reste encore à parcourir pour assainir la situation financière de la sécurité sociale. Son déficit reste en effet très élevé. Il se réduit moins fortement qu'affiché et est de plus en plus concentré sur l'assurance maladie et l'assurance vieillesse. C'est le deuxième constat formulé par la Cour.

En ce qui concerne l'année 2016 tout d'abord, la Cour a établi quatre observations moins favorables que celles que j'évoquais à l'instant. Tout d'abord, le déficit a été minoré par un produit exceptionnel de contribution sociale généralisée (CSG) de 740 millions, dépourvu de base juridique, qui n'aurait pas dû être inscrit en recette de la branche maladie. Corrigé de cette écriture comptable, le déficit atteint en réalité 8,5 milliards, soit une diminution de 2,3 milliards qui est finalement du même ordre qu'en 2015. Ensuite, le déficit conserve toujours une importante composante structurelle. Ainsi, il aurait fallu environ 4 milliards de mesures supplémentaires de redressement pour parvenir en 2016 à l'équilibre structurel. En troisième lieu, comme c'est le cas depuis 2014, la réduction du déficit repose pour partie sur des recettes exceptionnelles, non reconductibles. Enfin, si le montant total de la dette sociale se réduit, une partie de celle-ci n'a pas été transférée à la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale) pour en assurer le remboursement, mais demeure portée par l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale). La répétition des déficits annuels conduit à faire grossir cette composante de la dette, qui est exposée à la remontée des taux d'intérêt à court terme et dont le remboursement n'est pas organisé.

Plus particulièrement, le retour de la sécurité sociale à l'équilibre se heurte aux déficits persistants de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse. En effet, la réduction du déficit de l'assurance maladie, corrigé du produit exceptionnel de CSG que j'évoquais à l'instant, se révèle très limitée, le déficit s'établissant à 5,5 milliards en 2016 contre 5,8 milliards en 2015.

Le déficit de l'assurance maladie représente désormais les deux-tiers du déficit total de la sécurité sociale. Il y a deux ans, c'était moins de la moitié.

En 2016, la branche vieillesse du régime général est certes pour la première fois à l'équilibre depuis 2004. Mais le FSV, qui finance une partie de ses dépenses, a toujours un lourd déficit. De ce fait, les retraites de base des salariés du secteur privé connaissent encore un important déséquilibre global, soit 2,8 milliards en 2016 après 4,2 milliards en 2015.

Pour ce qui concerne 2017, le déficit de la sécurité sociale va continuer à se réduire, mais moins fortement que ne le prévoyait la loi de financement pour 2017. La loi de financement pour 2017 prévoyait un déficit du régime général et du FSV de 4,1 milliards. La commission des comptes de la sécurité sociale avait revu à la hausse cette estimation à 5,5 milliards en juillet dernier. Compte tenu d'une progression des recettes plus forte qu'attendu, du fait d'une croissance plus rapide de la masse salariale, la commission des comptes réunie le 28 septembre dernier a ramené l'estimation du déficit à 4,4 milliards.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 présenté le même jour rehausse néanmoins à 5,2 milliards la prévision de déficit pour 2017. Cette révision est due à une modification du périmètre des recettes. En effet, le projet de loi supprime une mesure de financement dont la Cour avait souligné la complexité : la création d'une contribution supplémentaire à la contribution sociale de solidarité des sociétés, partiellement acquittée sous forme d'acompte versé en fin d'année. En outre, il met fin à une incertitude, également relevée par la Cour : le crédit d'impôt de taxe sur les salaires au bénéfice des associations et organismes à but non lucratif ne sera finalement pas compensé par l'État à la sécurité sociale.

En tout état de cause, malgré d'importants transferts de recettes en provenance de la branche vieillesse (1,7 milliard), le déficit de l'assurance maladie, qui pourrait atteindre 4,1 milliards, continuera de constituer en 2017 l'essentiel du déficit de la sécurité sociale. La dynamique des dépenses reste en effet forte. La loi de financement pour 2017 a relevé à 2,1 % le taux de progression de l'Ondam (Objectif national des dépenses d'assurance maladie). Le projet de loi de financement pour 2018 porte en définitive la progression de l'Ondam à 2,2 % pour 2017 et la fixe à 2,3 % pour les années 2018 à 2021. Ces évolutions marquent une rupture sensible par rapport à la période récente au cours de laquelle le taux d'augmentation de l'Ondam avait continûment diminué (+ 1,75 % en 2016).

En outre, la progression réelle des dépenses en 2016 et en 2017 est pour partie masquée par les biais de plus en plus marqués qui affectent la sincérité de l'Ondam. Les cas de figure sont nombreux. Certaines dépenses sont ainsi rattachées à l'année suivante : c'est le cas d'une partie des dépenses des établissements de santé relatives aux molécules sous ou post autorisation temporaire d'utilisation (ATU), pour un montant de 180 millions en 2016. D'autres sont sorties de manière injustifiée du périmètre de l'Ondam : en 2017, une partie des dépenses de médicaments est ainsi reportée sur un nouveau fonds de l'innovation pharmaceutique, à hauteur de 220 millions. En outre, les diminutions de charges liées à des contractions de dépenses avec des recettes sont prises en compte en tant qu'économies alors qu'elles n'ont aucun effet sur le déficit de l'assurance maladie, puisque ses produits baissent aussi : c'est le cas de la part des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés prise en charge par l'assurance maladie, pour 270 millions en 2017. Enfin, certaines dépenses sont reportées sur d'autres financeurs publics, pour 410 millions en 2017, ce qui ne réduit en rien le déficit des administrations publiques dans leur ensemble. Ainsi en est-il du transfert à divers organismes hospitaliers de la contribution de l'assurance-maladie au Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés. C'est une part croissante des dépenses qui échappe ainsi à l'Ondam. En définitive, quand on neutralise les effets de ces divers procédés, ce n'est pas de 1,8 % que l'ONDAM a progressé en 2016, mais de 2,2 %. Pour 2017, son augmentation prévisionnelle n'est pas de 2,1 %, comme affiché par la loi de financement pour 2017, ni même de 2,2 % comme réestimé par celle pour 2018, mais de 2,4 %. Dès lors, même si l'objectif a été respecté en 2016, pour la septième année consécutive, ce résultat a de moins en moins de portée.

La Cour ne peut qu'appeler à mettre fin aux pratiques qui affectent ainsi la sincérité de l'Ondam. En particulier, toutes les dépenses de médicaments devraient être prises en compte dans l'objectif, alors qu'une partie d'entre elles en a été sortie par la création du fonds de financement de l'innovation pharmaceutique. De plus, ce fonds a été doté par un simple jeu d'écritures comptables, sans que lui soient apportées de véritables ressources.

En ce qui concerne les années à venir, le projet de loi de financement pour 2018 prévoit un retour à l'équilibre de la sécurité sociale en 2019. Notre rapport souligne que cette prévision de retour à l'équilibre est fragile. Selon les prévisions du projet de loi de financement pour 2018, le déficit de l'assurance maladie devrait se contracter fortement en 2018, puis faire place à des excédents croissants à partir de 2019. Cette amélioration serait cependant due avant tout à une forte croissance des recettes, sous l'effet notamment de la hausse des droits de consommation sur le tabac et de la CSG. Ce que montre la Cour, c'est qu'il serait dangereux de faire reposer sur une embellie de la conjoncture le rétablissement pérenne de l'équilibre des comptes. Les dépenses d'assurance maladie augmentent en effet à un rythme rapide et leur progression risque de s'accélérer, possiblement au-delà des 2,3 % prévus pour l'Ondam entre 2018 et 2021. Ce risque découle non seulement des augmentations tarifaires accordées aux professionnels libéraux de santé (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes...) et des augmentations salariales dans la fonction publique hospitalière, mais aussi d'un défaut persistant de maîtrise des dépenses de soins de ville. En effet, les dépenses de dispositifs médicaux, de transports, d'indemnités journalières et d'actes de spécialistes et d'auxiliaires médicaux augmentent à des rythmes de moins en moins soutenables. Le seul poste de dépenses maîtrisé aujourd'hui est celui des médicaments.

L'évolution des dépenses de retraites est un autre facteur de risque. Le Conseil d'orientation des retraites, dans son rapport de juillet dernier, indique que l'augmentation des dépenses va s'accélérer à partir de 2018 et qu'en raison d'évolutions démographiques et économiques moins favorables, la situation des régimes de retraite va se dégrader beaucoup plus rapidement et plus profondément qu'il ne l'avait estimé l'année dernière. Ces nouvelles projections attestent du bien-fondé de la prudence à laquelle la Cour avait appelé dans son rapport de l'an dernier. Elle avait estimé que les perspectives financières du système de retraite qui avaient alors été rendues publiques étaient entachées de biais d'optimisme.

Dans son rapport, la Cour relève au surplus que la loi de financement pour 2017 a masqué la dégradation du solde de l'assurance vieillesse des salariés du secteur privé à partir de 2018. En effet, les prévisions établies dans l'annexe B de la loi, qui décrit l'évolution des agrégats de dépenses, de recettes et de soldes du régime général, de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV pour la période 2017-2020, ont intégré des transferts de recettes des trois autres branches de la sécurité sociale (maladie, accidents du travail - maladies professionnelles et famille). D'un montant de 3 milliards d'ici à 2020, ces transferts modifiaient très sensiblement les soldes prévisionnels des branches par rapport à leur évolution spontanée. Pourtant, aucun élément d'information n'avait été transmis à leur sujet au Parlement dans l'annexe B. À l'évidence, il y avait là un défaut manifeste d'information du Parlement. De manière générale, les transferts incessants de recettes entre branches et avec le FSV que prévoient les projets de loi de financement, année après année, nuisent fortement à la clarté de la situation financière de la sécurité sociale et de ses branches.

À cet égard, l'observation de la Cour sur les prévisions de solde par branche contenues dans l'annexe B a eu un effet rapide et je m'en réjouis : d'après les informations qui nous ont été communiquées, dans le projet de loi de financement pour 2018, les prévisions de solde sont bien présentées à périmètres constants de recettes et de dépenses. Pour l'assurance vieillesse, FSV compris, elles font ainsi apparaître des déficits prévisionnels qui dépassent 3 milliards pour chacune des années 2018 à 2021.

Des économies supplémentaires sur les dépenses d'assurance vieillesse et d'assurance maladie apparaissent ainsi nécessaires pour garantir le retour durable à l'équilibre de la sécurité sociale à l'échéance de 2019, réduire au maximum l'accumulation de déficits laissés à l'Acoss et faciliter ainsi le remboursement de la dette sociale correspondante.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier de la sécurité sociale, mais aussi éteindre la totalité de la dette sociale d'ici à 2024, date à laquelle est prévue l'extinction de la Cades, sont des objectifs essentiels. En 2016, le paiement des intérêts et le remboursement des emprunts contractés pour financer les dépenses sociales des années passées ont nécessité pas moins de 15 milliards. La Cour appelle ainsi les pouvoirs publics à fixer sans attendre une trajectoire de remboursement de la dette sociale aujourd'hui laissée à l'Acoss, en l'accompagnant de l'attribution des ressources nécessaires à la Cades.

Le caractère incomplet et fragile du redressement financier de la sécurité sociale appelle à engager ou à amplifier des réformes qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, produisent des résultats importants. C'est le troisième des quatre constats du rapport.

On entend souvent dire que la France se réforme peu, dans le domaine de la sécurité sociale comme dans les autres. Cette assertion n'est pas exacte. Des réformes importantes et difficiles ont été faites. Elles obtiennent des résultats. Si j'ose dire, les efforts paient.

Dans son rapport de l'année dernière, la Cour avait ainsi souligné que les retraites de base et complémentaires des salariés du secteur privé avaient été réformées à plusieurs reprises depuis 1993 et que ces réformes avaient permis d'améliorer très nettement leurs perspectives financières, même si de nouveaux ajustements étaient à anticiper. Ces nouveaux ajustements seront d'autant moins douloureux qu'ils auront été engagés sans attendre et que la gestion des retraites sera assurée avec toute la rigueur requise.

À cet égard, l'analyse par la Cour des conditions de versement des pensions aux assurés résidant à l'étranger (6,5 milliards en 2015) montre que les actions de contrôle mises en oeuvre sont nettement insuffisantes au regard des risques de fraude : certaines situations sont tout à fait aberrantes.

Afin de réduire ces risques, la Cour recommande de développer les échanges informatisés de données avec les régimes des pays représentant les principaux enjeux, de mutualiser les certificats d'existence entre les régimes de retraite et de développer des contrôles sur place, ciblés notamment sur les assurés les plus âgés.

Après les retraites, la Cour dresse cette année un premier bilan d'ensemble d'une autre série de réformes de grande ampleur, celles des soutiens fiscaux et sociaux aux familles pour près de 60 milliards en 2015, engagées entre 2012 et 2015. Il s'agit de la baisse en deux étapes de l'avantage fiscal du quotient familial ; de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus ; de la sélectivité accrue de la prestation d'accueil du jeune enfant et des fortes revalorisations de l'allocation de rentrée scolaire, du complément familial pour les familles nombreuses et de l'allocation de soutien familiale pour les familles monoparentales. À partir d'études pour la plupart inédites, la Cour éclaire de manière détaillée les effets des réformes sur la situation des familles en fonction de leur revenu et de leur configuration. Conformément aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, des transferts massifs sont intervenus dans le sens d'une redistribution nettement accrue entre familles aux deux extrémités de la distribution des revenus.

Notre système de prestations familiales a ainsi connu une mutation historique, qui le rapproche de celui de la plupart de nos voisins : la quasi-totalité des prestations est désormais placée sous condition de ressources ; les aides fiscales et sociales aux familles n'ont plus un caractère globalement croissant avec les revenus ; la fameuse « courbe en U », qui reflétait l'augmentation des aides avec celle du revenu, principalement par le jeu du quotient familial, est désormais aplanie, sans être pour autant parfaitement linéaire. Mais notre politique familiale n'est pas exempte de limites, voire de contradictions, même après les réformes. La Cour a procédé à une mise en perspective internationale des aides aux familles qui montre que d'autres pays, au prix de choix plus affirmés, obtiennent parfois de meilleurs résultats en matière de réduction de la pauvreté ou de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. À cet égard, l'objectif de création de 275 000 nouvelles solutions de garde entre 2013 et 2017 sera loin d'être atteint. La garde des enfants en bas âge à l'extérieur du cadre familial, en crèche ou par une assistante maternelle, connaît des disparités territoriales et sociales majeures. Plus généralement, les comparaisons internationales auxquelles a procédé la Cour mettent en lumière des questions essentielles pour les objectifs et les outils de notre propre politique familiale. Faut-il mettre l'accent sur les prestations monétaires ou sur les solutions d'accueil pour permettre à un plus grand nombre de mères de travailler ? Faut-il privilégier l'universalité des prestations ou les cibler plus fortement ? Faut-il continuer à apporter un soutien croissant en fonction du nombre d'enfants ou mieux prendre en compte des charges liées à la venue d'un premier enfant ? Faut-il maintenir une dualité de la gestion des aides sociales et fiscales aux familles, assurées respectivement par une branche de la sécurité sociale et par le budget de l'État, singularité que nous ne partageons qu'avec la Belgique ?

La Cour appelle ainsi à mieux mettre en perspective les enjeux de la politique familiale, à établir plus clairement ses priorités et à mieux articuler en conséquence ses outils.

Les réformes structurelles intervenues dans les domaines des retraites et de la famille contrastent très fortement avec la forme d'attentisme qui prévaut trop souvent en matière d'assurance maladie, qui est en déficit continu depuis 25 ans, soit une génération entière.

Bien entendu, l'enjeu financier n'est pas un objectif en soi. Si la Cour réitère ses avertissements, c'est bien parce que la persistance des déficits, qui alimentent la dette sociale dans les conditions coûteuses et alors même que d'importantes marges d'efficience existent, risque de remettre en question l'efficacité des politiques publiques que porte la sécurité sociale et, à terme, le dispositif essentiel de solidarité qu'elle constitue.

Voilà pourquoi il s'agit d'un enjeu fondamental, bien au-delà de toute considération étroitement comptable. Or, l'assurance maladie peine à remplir sa mission première, qui est d'assurer l'égal accès de tous aux meilleurs soins, en intégrant en permanence tous les apports, souvent très coûteux, du progrès médical. La protection qu'elle assure tend à s'éroder, comme la Cour l'a montré l'année dernière en analysant l'évolution générale des modalités de prise en charge des dépenses de santé et les difficultés importantes qui en résultent dans certains domaines, comme les soins bucco-dentaires. C'est pourquoi il convient d'exploiter beaucoup plus activement les importantes marges d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. C'est le quatrième et dernier constat sur lequel je souhaite revenir.

L'exemple du médicament, qui fait l'objet d'une partie du rapport, montre qu'il n'y a pas de fatalité à la dérive des dépenses quand une action cohérente, résolue et continue est conduite, et même si des gisements importants d'économies restent à mobiliser. La Cour met en effet en évidence l'importance des progrès intervenus dans la politique du médicament par rapport à la situation qu'elle avait constatée dans une précédente enquête en 2011.

La loi a complété ou précisé le cadre juridique de la fixation du prix des médicaments. Les ministres adressent à l'instance interministérielle qui négocie les prix avec les entreprises - le Comité économique des produits de santé (Ceps) - des lettres d'orientation qui fixent des objectifs de plus en plus exigeants. Une clause de sauvegarde plafonnant la dépense totale de médicaments et une contribution spécifique aux médicaments très onéreux de traitement de l'hépatite C ont été instaurées afin d'encadrer l'évolution des dépenses. Fait suffisamment rare pour être souligné, les dépenses de médicaments en ville remboursables par l'assurance maladie, à la dynamique très vive et constante jusqu'en 2010, sont orientées à la baisse. En 2015, elles ont retrouvé leur niveau de 2008 (29,8 milliards).

Mais, avec l'arrivée sur le marché de nouveaux traitements dont les prix demandés pourraient être très élevés, comme pour le cancer, l'assurance maladie est confrontée à un défi de soutenabilité de la dépense de médicaments. Par ailleurs, même réduit par des remises, le prix de nombreux médicaments reste imparfaitement corrélé à leur apport thérapeutique réel. Des considérations de nature industrielle peuvent interférer et conduire parfois à des prix anormalement élevés. Des progrès importants restent nécessaires pour rééquilibrer la position de négociation des pouvoirs publics face à des entreprises pharmaceutiques mondialisées et pour gérer plus activement le stock des prix de médicaments anciens.

La Cour recommande ainsi de renforcer les moyens humains et matériels de l'instance qui négocie les prix, qui sont très insuffisants, de réviser des dispositions conventionnelles par trop favorables aux entreprises pharmaceutiques comme la garantie de prix européen, de développer l'évaluation médico-économique, encore trop rare, et enfin de rendre systématiques les révisions de prix et la transformation des remises en des baisses de prix passé un certain délai.

Aborder la question du prix des médicaments suppose de prendre la mesure d'une de ses composantes, le coût de leur distribution, qui n'est pas suivi par les pouvoirs publics. Pourtant, en 2015, ce coût a représenté le tiers de la dépense totale de médicaments dispensés par les pharmacies, soit 8,3 milliards, dont 7,4 milliards ont été perçus par les pharmacies elles-mêmes. En plus de leur rémunération réglementée de 5,4 milliards, ces dernières ont en effet bénéficié de 2 milliards de rémunérations supplémentaires, dont 1,5 milliard provenant d'avantages commerciaux accordés par les entreprises pharmaceutiques et 500 millions d'une partie de la marge réglementée de la distribution en gros. Le coût de distribution des génériques est particulièrement considérable : la moitié des dépenses de génériques sert en effet à rémunérer les pharmacies qui les dispensent. Cette situation contribue à placer les prix des génériques à un niveau nettement plus élevé que chez nos voisins. J'ai déjà eu l'occasion d'aborder cette question.

Dans une large mesure, le niveau du coût de distribution des médicaments est corrélé à la densité de pharmacies par habitant, pour laquelle la France est en deuxième position en Europe occidentale, après l'Espagne. Chaque pharmacie dessert ainsi en moyenne près de 3 000 habitants, contre 4 000 en Allemagne et 4 500 au Royaume-Uni.

En définitive, la Cour recommande une refonte des modes de rémunération des pharmacies afin de réduire les coûts de distribution, en les désensibilisant complètement au nombre comme au prix des boîtes vendues et en révisant les marges très élevées consenties pour la distribution des génériques. Elle propose aussi de favoriser la rationalisation du réseau officinal, notamment en encourageant le développement de modes de distribution alternatifs pour les médicaments à prescription médicale facultative : ventes sur internet et dans d'autres réseaux de distribution.

Bien entendu, ces évolutions devraient s'inscrire dans un respect strict et rigoureusement contrôlé par l'Ordre des pharmaciens des règles déontologiques qui s'appliquent à la profession de pharmacien.

Par ailleurs, un maillage territorial étroit des pharmacies doit être préservé afin d'assurer un accès de proximité au médicament, en ciblant des aides sur celles, 400 à 500 environ, dont l'existence pourrait être menacée alors qu'elles jouent un rôle essentiel.

Autre domaine sur lequel la Cour s'est penchée cette année : l'organisation des soins. Dans ce domaine, la recherche de l'efficience est un objectif majeur qui doit être partagé par tous. L'assurance maladie ne saurait s'exonérer de l'effort demandé à l'ensemble des acteurs. En effet, si la Cour a noté les actions qui visent à faire revenir à l'équilibre financier les établissements sanitaires et sociaux dont l'assurance maladie assure la gestion, elle souligne que ces actions sont encore insuffisantes.

De fait, les questions de fond sont esquivées, notamment celle, centrale, du bien-fondé même de la gestion d'établissements de soins par l'assurance maladie, qui est sans synergies véritables avec sa mission de gestion du risque maladie. La Cour recommande donc d'aligner sur le droit commun les modalités de financement de ces établissements et d'engager la transformation du cadre de leur gestion pour favoriser, à terme, leur autonomie.

Plus généralement, la Cour rappelle que, loin de s'opposer entre eux, les objectifs de renforcement de la qualité et de l'accessibilité des soins et de maîtrise des dépenses sont en réalité convergents. Les exemples des soins de spécialité, des activités chirurgicales et de la télémédecine le mettent clairement en évidence. Tout d'abord, l'organisation de la médecine de spécialité - 16 milliards de dépenses de santé en 2015 - présente un paradoxe apparent : les médecins spécialistes sont de plus en plus nombreux mais les inégalités d'accès aux soins se creusent et favorisent le report de la demande de soins sur les urgences hospitalières.

Ces inégalités sont d'une part territoriales, entre les zones urbaines sur-dotées et les zones péri-urbaines et rurales sous-dotées, entre certains départements, et dans un même département entre certaines communes, qui se trouvent désertées par certaines spécialités ; d'autre part, ces inégalités sont financières, en raison de la croissance forte et continue sur le long terme des dépassements d'honoraires pratiqués par les spécialistes de secteur 2, de plus en plus nombreux. À l'inverse, les spécialistes de secteur 1 à honoraires conventionnels sont de plus en plus minoritaires dans certaines disciplines et dans les zones urbaines sur-dotées.

L'assurance maladie a développé tardivement des incitations financières à la modération des tarifs, qui ont favorisé un léger repli du taux moyen de dépassement d'honoraires des spécialistes de secteur 2. Mais, dans le même temps, les possibilités d'accès au secteur 2 ont été élargies pour les spécialistes de secteur 1. En définitive, l'assurance maladie ne dépense pas moins de dix euros en incitations financières pour éviter un euro supplémentaire de dépassement des honoraires conventionnels ! C'est ce que constate la Cour, en toute rigueur, en comparant l'évolution des dépassements des spécialistes de secteur 2 adhérents au contrat d'accès aux soins (CAS) à ceux des non-adhérents et en appliquant au montant de leurs dépassements de 2012 le taux d'augmentation des dépassements des non-adhérents entre 2013 et 2015. En 2015, 18 millions de dépassements ont ainsi été évités au regard de 183 millions d'incitations financières.

Il faut aussi avoir conscience que les incitations financières de l'assurance maladie ne sont pas le seul facteur explicatif du repli du taux moyen de dépassement des spécialistes de secteur 2. Ce repli a en effet débuté en 2012, avant qu'elles n'entrent en vigueur, en raison d'une conjoncture économique dégradée, du plafonnement croissant de la prise en charge des dépassements par les complémentaires santé - à la suite notamment de la réforme des « contrats responsables » de 2014 - et de l'augmentation du nombre de titulaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS), auxquels les médecins ne peuvent appliquer de dépassements, sauf exception. Dans ce contexte, la Cour recommande de mettre en oeuvre des instruments de régulation plus contraignants. Elle préconise la révision des nomenclatures des actes médicaux, qui sont obsolètes et déconnectées des coûts ; le déploiement de forfaits de rémunération des soins médicaux pour les patients affectés par des maladies chroniques, remédiant ainsi aux effets inflationnistes du paiement à l'acte ; la mise en place d'un conventionnement sélectif des médecins spécialistes. Ainsi, dans les zones sur-dotées, seuls des spécialistes de secteur 1 devraient pouvoir s'installer afin d'y recréer une offre de soins financièrement abordable.

L'organisation des soins chirurgicaux - 5,9 millions d'interventions et près de 16 milliards de dépenses d'assurance maladie en 2015 -, quant à elle, se modernise : les surcapacités de chirurgie conventionnelle se réduisent et la chirurgie ambulatoire se développe, même si les objectifs fixés dans ce domaine par les pouvoirs publics à l'horizon 2018 ne seront pas atteints.

Mais la permanence d'une offre de soins éclatée entre un grand nombre d'établissements publics et privés pratiquant une gamme étendue d'opérations est, selon de nombreuses études, de nature à nuire à la qualité et la sécurité des soins, quand elle repose sur des équipes opératoires insuffisamment étoffées ou stables, ou lorsque ces équipes pratiquent peu d'opérations. On constate que 29 établissements comportent des services de chirurgie qui ont enregistré moins de 750 séjours en 2015.

La Cour recommande ainsi de concentrer plus fortement l'offre de soins chirurgicaux en fixant des seuils d'activité par site géographique d'établissement, et à terme par chirurgien, et en les faisant appliquer rigoureusement. De fait, moins de 6 % des actes chirurgicaux sont aujourd'hui encadrés par des seuils d'autorisation par établissement, et leur respect n'est pas toujours assuré. La Cour propose aussi d'organiser, dans le cadre des nouveaux groupements hospitaliers de territoire, une prise en charge chirurgicale graduée des patients selon la complexité des interventions que requiert leur état. En outre, l'outil tarifaire serait à mobiliser beaucoup plus activement pour assurer la pertinence des interventions chirurgicales et le développement de la chirurgie ambulatoire.

À cet égard, je voudrais attirer votre attention sur l'article 46 du projet de loi de financement. Il prévoit la suppression du mécanisme de dégressivité tarifaire, qui visait, depuis 2014, à inciter les établissements de santé à modérer le volume de certaines de leurs activités chirurgicales afin d'améliorer la pertinence des soins. Si ce dispositif présente des limites, la Cour estime qu'il concourt utilement à réguler l'activité des hôpitaux. C'est pourquoi elle appelle à le réformer pour en améliorer l'efficacité, suivant plusieurs pistes d'évolution présentées dans le rapport.

Enfin, comme le montrent les exemples étrangers, la télémédecine peut apporter une contribution majeure à l'accessibilité, la qualité et l'efficience des soins. Pourtant, sa place demeure plus que marginale en France. Elle pâtit du manque de cohérence et de continuité de l'action des pouvoirs publics, qui multiplient les expérimentations sans financement stable ni évaluation, tandis que l'assurance maladie avance de son côté, de manière autonome. Pour que la télémédecine se développe, des préalables juridiques et techniques restent à lever. Après l'échec coûteux du dossier médical personnel, il faut désormais réussir la généralisation du dossier médical partagé. Des modalités de rémunération innovantes, s'éloignant de la rémunération à l'acte de chaque intervenant, sont à mettre en place.

C'est à la condition d'une stratégie forte et cohérente que notre système de santé pourra bénéficier des possibilités d'amélioration de la prise en charge des patients que recèlent les différentes formes de télémédecine, notamment la télésurveillance des patients affectés par des maladies chroniques. Celle-ci pourrait dégager, selon certaines études, jusqu'à 2,5 milliards d'économies.

En conclusion, le retour à l'équilibre de la sécurité sociale est non seulement indispensable, mais il est possible. Les déficits ne sont en rien une fatalité. Encore faut-il que le mode de pilotage financier de la sécurité sociale soit à même d'éviter la spirale des déficits et de la dette.

Depuis 2011, la sécurité sociale revient progressivement à l'équilibre, mais c'est au prix de 37 milliards de hausses de prélèvements obligatoires et d'importants transferts de l'État : au-delà de la seule compensation des allègements généraux de charges, ce dernier a apporté à la sécurité sociale près de 4 milliards de ressources, alors même que son propre déficit se creusait. La période de croissance économique relativement forte, avant 2009, n'a pas été mise à profit pour remettre la sécurité sociale à l'équilibre. Celle-ci est entrée dans la crise avec de lourds déficits. Les 220 milliards de déficits accumulés entre 2002 et 2016 ont ainsi une origine essentiellement structurelle, indépendante de la conjoncture économique.

Afin d'éviter de reproduire à l'avenir une trajectoire de ce type, c'est un nouveau cadre de responsabilité qu'il importe de définir pour créer les conditions d'un équilibre pérenne, proscrire la formation de nouveaux déficits structurels et la résurgence d'un endettement social dont l'extinction reste pour partie à organiser.

La Cour propose les modalités de ce nouveau cadre de responsabilité, à partir d'une analyse rétrospective des déterminants du déficit persistant de la sécurité sociale depuis 2002, des limites des outils utilisés pour son redressement et des difficultés qui demeurent. Elle recommande ainsi d'articuler précisément les lois de financement de la sécurité sociale, les lois de finances et les lois de programmation des finances publiques, en organisant en particulier une discussion commune du volet « recettes » des lois financières afin de mieux éclairer le Parlement. Elle préconise également de rendre plus transparents les transferts entre branches et entre l'État et la sécurité sociale. Enfin, elle appelle à interdire le financement de déficits structurels dans le cadre de la gestion courante de la trésorerie de la sécurité sociale par l'Acoss et de mettre en place des mécanismes de lissage conjoncturel des recettes, en les alimentant quand la conjoncture est favorable et en utilisant les sommes ainsi mises en réserve quand elle se détériore.

La situation de l'assurance maladie et celle des retraites appellent des mesures rapides de redressement qui passent par l'engagement ou l'amplification de réformes structurelles. Ces réformes, si difficiles soient-elles parfois, obtiennent des résultats probants. Mais il faut, dans le même temps, aller au-delà de l'objectif du seul retour à l'équilibre pour reconstruire une cohérence d'ensemble du pilotage de la sécurité sociale qui mette sous une contrainte partagée l'ensemble des acteurs.

Certes, les déficits vont encore reculer en 2017 et, selon les prévisions, en 2018. Mais de telles améliorations ont déjà été constatées dans le passé sans être durables car l'effort s'est trop vite relâché. Faire des choix clairs, s'attaquer méthodiquement et avec ténacité par des réformes structurelles aux sources d'inefficacité et d'inefficience et poursuivre ces actions avec détermination dans la durée sont autant de leviers pour préserver le haut degré de protection sociale de notre pays. C'est dans ces perspectives que s'inscrivent les constats, les analyses et les recommandations de la Cour, étant entendu que le dernier mot vous revient, chers parlementaires.

M. Alain Milon, président. - Merci, monsieur le Premier président. Parmi vos observations, il me semble avoir reconnu celles que le Sénat avait formulées lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

En matière de retraites, chers collègues, je vous invite à vous reporter à la page 78 de la synthèse de la Cour des comptes : certains retraités de 117 ans perçoivent toujours leur pension !

La télémédecine est certainement promise à un grand avenir mais la téléconsultation en vue d'un deuxième avis médical m'inquiète. Elle risque de mettre en danger la solidarité telle qu'elle a été définie en 1945 lors de la création de la sécurité sociale. Quant aux réseaux de soins, ils installent une médecine à deux vitesses.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Merci, monsieur le Premier président de la Cour des comptes. Est-ce la force de l'habitude ou mon attention plus soutenue ? Ce rapport, très complet, bien documenté, est surtout très pertinent à la veille de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Merci pour cette belle feuille de route.

Comme le président Milon, je constate que vos remarques sur la sous-estimation de l'Ondam pour 2017 corroborent notre analyse, effectuée lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 et contestée par le précédent gouvernement. Vous soulignez une dégradation sensible des retraites, comme notre commission - nous avions proposé une mesure d'âge à 63 ans. L'équilibre a été trouvé mais sans le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Des mesures s'avèreront nécessaires.

En matière de dette, vous insistez fortement sur la nécessité de clarifier les rôles de l'Acoss et de la Cades. Ce n'est en effet pas le rôle de l'Acoss de gérer cette dette. Les pistes de la Cour destinées à maîtriser la dépense nous intéressent.

L'assurance maladie peine. Vous insistez sur de nombreuses marges d'efficience : médicament, molécules innovantes - nous avons mené une mission spécifique sur le prix du médicament -, télémédecine... Autant de sujets dont la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat s'est saisie. La question des pharmacies trouvera facilement un écho au sein de notre commission, compte tenu de sa composition, tout comme vos remarques sur la médecine de spécialité, qui rejoignent les conclusions de deux rapports récents de la commission sur les déserts médicaux et la pertinence des soins.

Notre objectif, impératif, est l'équilibre des comptes. Vous dites que ce n'est pas impossible mais que les progrès sont trop lents. Vous proposez une stratégie. Je vous en remercie. Mes questions sont inspirées de vos conclusions. Dans son chapitre sur le pilotage de la trajectoire financière de la sécurité sociale, la Cour met en évidence le brouillage qui s'est instauré dans le financement de la sécurité sociale à mesure que les cotisations cédaient la place à d'autres sources de financement. Elle montre les effets sur le solde de l'assurance vieillesse des transferts opérés au profit de l'assurance maladie tandis qu'elle plaide par ailleurs pour la budgétisation des prestations familiales. Comment envisagez-vous aujourd'hui la place des notions d'assurance et de contributivité dans le financement des régimes d'assurance vieillesse, d'incapacité et d'invalidité, d'accidents du travail et maladies professionnelles ou encore d'assurance chômage, qui ne sont pas dans le champ de la sécurité sociale mais dont le Gouvernement envisage d'alléger les cotisations ? Sont-elles encore pertinentes ou la diversification des financements a-t-elle vocation à les faire disparaître ?

La Cour plaide, depuis plusieurs années, pour un examen conjoint des recettes de l'État et de la sécurité sociale. L'autonomie, relative, des finances sociales à raison de la nature des recettes - cotisations - ou des dépenses - prestations - que reconnaissait l'existence des lois de financement a-t-elle encore une justification ?

M. Jean-Noël Cardoux, président de la Mecss. - Monsieur le Premier président, vous faites allusion à la nécessité de mettre fin à l'endettement social. Préconisez-vous au Parlement de donner une nouvelle autorisation de transfert de déficits de l'Acoss à la Cades ? L'an dernier, le précédent gouvernement en avait annihilé la possibilité. Ne serait-il pas plus pertinent d'augmenter la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) de quelques dixièmes de point plutôt que d'augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 point ? Le stock de la dette de l'Acoss était l'an dernier de 30 milliards, financés à court terme et exposés au risque de hausse des taux d'intérêt.

Mme Élisabeth Doineau. - Merci de votre éclairage. Les Français entendent, depuis plusieurs années, que le déficit de la sécurité sociale est récurrent. Ils ont parfois lieu de se plaindre des prestations qui leur sont offertes. Lorsqu'il y a un déficit, on s'attend à une amélioration. La situation est difficile à accepter pour les Français.

Page 69 de sa synthèse, la Cour évoque la budgétisation des prestations familiales. Cette idée fait écho à leur concentration sur les familles modestes, dans une logique de lutte contre la pauvreté dont on ne peut que se féliciter. La politique familiale n'a-t-elle plus vocation à relever de la sécurité sociale ? Doit-elle s'intégrer dans les autres dispositifs de redistribution horizontale ?

M. Yves Daudigny. - Merci, monsieur le Premier président, de cet exposé. Celles et ceux qui ont soutenu l'action du précédent gouvernement n'ont pas à en rougir, puisqu'il a obtenu des résultats : maîtrise des dépenses, réduction des déficits. Le dossier du médicament contre l'hépatite C a bien été géré par le ministère de la santé. Citons également la politique familiale accordant la priorité aux familles les plus en difficulté.

Nous partageons l'objectif de la Cour d'un retour à l'équilibre de l'assurance maladie, difficile à atteindre en raison de défis importants : maladies chroniques, allongement de la vie, territoires désertés par la présence médicale.

Est-il possible, aujourd'hui, de réduire les dépenses sans mettre en danger le fonctionnement des hôpitaux et la sécurité des patients, notamment dans les zones rurales où les services de proximité se diluent ?

Le président de la Mecss a souligné un point sensible : la Cades a épuisé son pouvoir de reprise de dette. La situation est invraisemblable. Un rapport souligne que l'Acoss a dégagé des bénéfices grâce à des emprunts à taux négatifs ! Faut-il augmenter la CRDS ? Aucun gouvernement ne l'a décidé depuis sa création.

Je partage vos propos sur les médicaments génériques. Les médecins n'ont pas suffisamment été associés à leur promotion. Dans le domaine du médicament, des efforts considérables de maîtrise des coûts, de l'ordre d'un milliard d'euros par an, ont été fournis. La dernière loi de financement de la sécurité sociale comportait des mesures sur les autorisations temporaires d'utilisation (ATU). Ne craignez-vous pas que ces restrictions conduisent les laboratoires à ne plus mettre de médicaments innovants sur le marché français - ou à les introduire plus tard en France qu'en Allemagne ou ailleurs ? Ce serait regrettable pour nos malades. Le système ATU a pourtant été salué à l'échelle mondiale.

Mme Catherine Deroche. - Vos observations reprennent celles qu'avait faites le Sénat lors de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale de 2017. Notre système d'encadrement de l'innovation thérapeutique est obsolète, malgré la notion d'ATU. Cette commission devra y travailler pour répondre aux attentes des patients, des médecins et des laboratoires - qui font un travail considérable. Dans le domaine de la médecine de spécialité, s'il y a une telle fuite du secteur 1 vers le secteur 2, c'est que la tarification des actes en secteur 1 est insuffisante. Je n'ai pas compris l'équilibre que vous préconisiez entre zones sur-dotées et sous-dotées. Concernant les retraites, doit-on aller plus loin que le simple contrôle des prestations versées à l'étranger ? La télémédecine peut être une solution pour le manque d'accès aux soins dans les territoires, mais elle bute aujourd'hui contre des obstacles réglementaires. L'élargissement des pratiques avancées par des professionnels de santé non médecins ne permettrait-elle pas de faire des économies ?

M. Didier Migaud. - Nous n'avons pas cherché à reprendre les propositions du Sénat : il se trouve simplement que nous partageons quelques préoccupations avec vous ! Ces observations s'inscrivent dans la continuité de ce que nous disons depuis plusieurs années. Comment le Parlement pourrait-il aborder ces sujets ? Si la création des lois de financement de la sécurité sociale, faisant du Parlement le décideur des recettes, des dépenses et du solde de ce budget, a été un grand progrès, nous pensons que ce cadre de réflexion aurait vocation à être modernisé : les lois de financement de la sécurité sociale pourraient être transformées en lois de financement de la protection sociale, incluant les régimes complémentaires de retraite et l'assurance chômage ; le pilotage de la sécurité sociale pourrait être enrichi d'une vision structurelle, comme c'est le cas dans la loi de programmation des finances publiques, les soldes nominaux étant complétés d'une évolution des soldes structurels, ce qui permettait de mesurer l'ampleur des efforts consentis indépendamment de la conjoncture ; les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pourraient faire l'objet d'une discussion générale commune, faisant apparaître une cohérence générale, compte tenu des transferts de l'État vers la sécurité sociale et les mesures fiscales.

Oui, monsieur Cardoux, nous préconisons une hausse de l'autorisation de transfert de déficit de l'Acoss vers la Cades, sans aller forcément au-delà de 2024. La gestion par l'Acoss d'une partie de la dette sociale n'est pas sans risque. Certes, les intérêts ont été négatifs une année ; mais cela ne durera pas.

Dans le domaine de la politique familiale, l'articulation est de plus en plus difficile entre les aides fiscales et les prestations. À l'exception de la Belgique, qui a un système analogue au nôtre, la majorité des pays a budgétisé l'ensemble des dépenses relatives à la famille.

Oui, monsieur Daudigny, on peut réformer l'hôpital sans mettre en danger la sécurité des patients et l'accès aux soins. C'est même parfois le maintien de certaines situations qui comporte un danger pour les patients. Oui, il faudrait davantage responsabiliser les prescripteurs et les patients. Il y a deux ans, nous avions constaté, à l'occasion d'une analyse comparative entre la France et l'Allemagne, à quel point l'esprit de responsabilité caractérisait cette dernière, avec des médecins qui acceptent les mesures de régulation et bénéficient dès lors de revenus supérieurs, et des patients qui acceptent de contribuer à un meilleur équilibre du système de santé.

Il faut plus de contrôle des retraites des résidents à l'étranger. Sur les perspectives financières de l'assurance vieillesse, la Cour a longtemps considéré que les hypothèses du Conseil d'orientation de retraites étaient un peu trop optimistes. Nous sommes heureux de constater qu'il a modifié sa vision - même si ce n'est pas très agréable... mais plus vite les mesures d'ajustement seront prises, et moins elles seront douloureuses. Nous avions fait l'année dernière la liste des mesures permettant d'aller vers l'équilibre.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre. - Nous constatons un double décalage concernant les finances sociales. Les cotisations ne représentent plus aujourd'hui que 55 % des ressources, la CSG représentant 29 % et les autres impôts et taxes 12 %, érosion que nous avions constaté dans notre étude d'il y a quelques années. L'effort contributif individuel est aussi de plus en plus décalé avec l'accès au droit : un système assurantiel à l'origine est devenu de plus en plus universel, depuis 1975 pour la branche famille et depuis la CMU pour l'assurance maladie. Les prestations en espèce elles-mêmes - invalidité, accident du travail ou vieillesse - ressortissent elles-mêmes d'un système mixte, avec le minimum contributif par exemple. La lisibilité du financement de la sécurité sociale s'en trouve entachée, sans compter ses évolutions incessantes. Nous tenterons l'an prochain d'éclairer ce sujet de l'adhésion au régime.

La politique familiale s'est vue transférée peu à peu vers le budget de l'État, avec les aides au logement par exemple. Les caisses d'allocations familiales distribuent aujourd'hui plus de prestations pour le compte des départements et de l'État que de prestations propres. C'est un point qui mérite réflexion.

Concernant la dette, plusieurs solutions s'offrent à nous si l'on veut respecter la date d'expiration de la Cades fixée en 2024 : soit nous définissons une trajectoire de prise en charge par l'Acoss, ce qui suppose d'affecter des ressources spécifiques et des réserves - comme les réserves inutilisées du fonds de réserve des retraites ; soit nous profitons des taux d'intérêt bas pour faire rembourser progressivement sa dette à chaque branche - ce qui suppose qu'il y ait des excédents suffisamment importants, soit 25 milliards d'euros.

L'hôpital reste l'armature de l'accès au soin qu'il était devenu à partir de 1958, les médecins libéraux étant moins nombreux et n'acceptant pas toujours l'affiliation à la sécurité sociale. Mais certains établissements ont une gamme de soins trop importante, à tel point que pour certains, les patients votent avec leurs pieds en fuyant l'hôpital de proximité pour celui du chef-lieu. Nous avions montré il y a deux ans combien certains établissements pouvaient avoir une activité insuffisante pour garantir la qualité des soins. Or ce n'est qu'à cette condition que l'hôpital gardera son trésor intact, qu'il avait conquis en cessant d'être un lieu d'abandon pour un lieu d'excellence : la confiance des patients.

Nous avions dressé la liste des pistes pour équilibrer l'assurance vieillesse dans notre dernier rapport. Il est important de prendre les mesures suffisamment tôt, et d'agir de manière concertée sur le régime de base mais aussi sur les régimes complémentaires, afin de répartir l'effort équitablement entre les générations. C'est ce dernier point qui fait de ce sujet un sujet aussi sensible.

M. Michel Amiel. - La sortie de l'Ondam du fonds de financement de l'innovation thérapeutique met en doute sa sincérité. On l'a vu en 2014, les antirétroviraux directs comme le Sovaldi utilisés contre l'hépatite C peuvent coûter des sommes considérables. Le dispositif spécifique alors mis en place a permis un règlement relativement satisfaisant de cette question, mais peut-il être généralisé ? Il n'y a pas lieu de conserver un fonds pour l'innovation s'il ne permet pas l'accès de tous à cette dernière. Dans le cas du Sovaldi, cela n'avait pas été le cas, puisque sa prescription était réservée aux formes évoluées et on se retrouvait à dire aux gens : nous avons un médicament qui marche à 100 %, mais vous n'êtes pas assez malade pour en bénéficier...

La méfiance à l'égard de l'industrie pharmaceutique est malsaine : elle participe à la recherche et constitue un véritable fleuron économique pour la France, même si nous sommes passés en trente ans dans ce domaine de la deuxième à la sixième place. Auriez-vous des pistes pour une innovation simplifiée et apaisée ?

Mme Laurence Rossignol. - Je remercie la Cour pour la partie de son rapport sur la branche famille. Merci pour la comparaison internationale qui constitue une véritable leçon de modestie pour la France, sans être pour autant déshonorante. Je me réjouis qu'il constate une augmentation des aides pour les familles les plus vulnérables, d'un côté de la courbe vers l'autre. Nous avons de surcroît procédé à ce transfert avec une grande rigueur, puisque la branche famille est quasiment en équilibre pour la première fois depuis fort longtemps.

Ces discussions ne me semblent pas dissociables de celle qui concerne les finalités de la politique familiale, qui poursuit de nombreux objectifs. Je suis très perplexe sur sa vocation nataliste par exemple et j'ai du mal à faire le lien entre les mesures prises en 2015 et la baisse de la natalité constatée en 2016 ; je sais que tout va vite aujourd'hui, mais... Je vous remercie de noter toutefois que le taux de natalité est plus élevé qu'ailleurs. Merci d'avoir relevé la pauvreté spécifique des familles avec un seul enfant.

Certes l'objectif des 275 000 places d'accueil n'a pas été atteint, car les aides à l'investissement des caisses d'allocations familiales aux collectivités territoriales ne suffisent pas à les rassurer sur les risques en termes de dépenses de fonctionnement que nous ne parvenons pas à réduire sans réduire la qualité de l'accueil. Pensez-vous qu'il faille faire de l'accueil des jeunes enfants une compétence obligatoire d'un quelconque niveau de collectivité ? Ne craignez-vous pas que les économies imposées aux collectivités ne fassent baisser le taux d'accueil ?

M. Daniel Chasseing. - Vous avez expertisé méthodiquement le sujet et découvert des irrégularités notamment concernant l'Ondam. J'ai été étonné par vos préconisations sur les pharmacies : dans le monde rural, il faut absolument les conserver. Je peux témoigner du travail qu'elles font, notamment pour les Ehpad, où elles sécurisent les prescriptions. J'ai rencontré de nombreux responsables de clinique : la chirurgie ambulatoire pourrait se développer encore car son coût est faible.

Je rejoins le président de la commission sur la télémédecine, qui doit être encadrée. Même si cela peut choquer mes confrères, ne faudrait-il pas refuser le conventionnement aux généralistes qui s'installent dans des zones hyperdenses ? De nombreux jeunes médecins voulant être salariés, les groupements hospitaliers de territoire ne pourraient-ils pas devenir les employeurs de généralistes qui s'installent en zone rurale dans des maisons de santé ?

M. Olivier Henno. - On croit souvent que les inégalités territoriales sont causées par les efforts de régulations ; or vous démontrez que non. Les spécialistes sont en effet de plus en plus nombreux, et cela ne les empêche pas d'être répartis de manière inégale. Le système suédois, que j'ai étudié, a renforcé l'accès aux soins des plus modestes tout en se réformant. La régulation n'est pas contradictoire avec la justice sociale.

Mme Patricia Schillinger. - Quel est l'impact budgétaire de la fin du droit d'option des assurés frontaliers travaillant en Suisse ? Il y a 9 000 dossiers en suspens ou en contentieux. Avez-vous analysé ce sujet ? Quel sera l'impact en Alsace-Moselle de la baisse des cotisations salariales ?

M. Didier Migaud. - Ces dernières questions devraient plutôt s'adresser au Gouvernement. Monsieur Henno, nous sommes en effet convaincus que des mesures d'économie sont possibles sans remettre en cause l'accès aux soins et leur qualité. Nous avons tenté d'illustrer cette conviction dans les domaines du transport sanitaire, de l'hôpital, des soins bucco-dentaires et ophtalmologiques : il n'y aucune fatalité au déséquilibre des comptes sociaux. Ce dernier est d'ailleurs une anomalie dans le monde : la France est le seul pays de sa catégorie qui accepte des déficits durables, alors que les dépenses concernées n'ont aucune raison d'être financées par les générations futures à travers l'emprunt.

M. Antoine Durrleman. - Les innovations pharmaceutiques ont toutes les chances d'être très importantes dans les années qui viennent. La sortie de l'Ondam du financement de ces spécialités onéreuses donne aussi à l'industrie un levier supplémentaire pour déployer sa stratégie de prix, qui a changé. Si l'industrie pharmaceutique réclamait autrefois un retour sur investissement, elle préfère aujourd'hui différencier ses prix dans tel ou tel marché selon la capacité à payer de chaque système de santé, et cibler des pays riches comme la France. Cela exige un rééquilibrage des termes de la négociation, d'adopter une position qui ne soit pas isolée, et donc de développer une capacité de négociation au niveau européen. C'est ce que le Gouvernement a commencé à faire pour le Sovaldi, mais ce suppose que les États membres s'accordent au lieu de croire qu'ils seront seuls gagnants dans une négociation pays par pays.

Ensuite, il convient sans doute de négocier les prix indication par indication et non pas rechercher un prix global. L'ATU est un atout pour notre pays, puisqu'il permet une mise à disposition rapide du médicament sur le marché, mais les pouvoirs publics pourraient reprendre la main si ces médicaments étaient tarifés par indication.

Enfin, une meilleure évaluation médico-économique des médicaments est indispensable. La HAS a de la peine à exercer cette mission et à revenir sur ses évaluations une fois que le médicament est sur le marché. Nous sommes convaincus que des leviers existent pour améliorer le système.

Nous n'avons pas examiné les systèmes d'accueil obligatoires des jeunes enfants qui existent en Suède, mais aussi en Allemagne où existe un droit opposable au mode de garde.

Nous sommes convaincus que les pharmaciens sont des acteurs essentiels mais certains connaissent des difficultés économiques dans des zones géographiques spécifiques. Avec moins de pharmacies dans ces zones, l'équilibre serait meilleur : d'ailleurs, certains professionnels estiment avoir besoin d'outils de regroupement ou de fusion.

Le problème de tarification de la chirurgie ambulatoire pourrait s'améliorer si le nombre de lits conventionnels diminuait.

Il est important que les groupements hospitaliers de territoire et les autres établissements de soins privés à but lucratif ou non lucratif travaillent ensemble. Si l'on veut imposer une prise en charge efficiente, tous les acteurs doivent s'impliquer. Sinon, les filières publiques et les filières privées entreront en concurrence, ce qui se fera au détriment de la bonne utilisation des fonds publics.

Nous n'avons pas encore étudié la question des frontaliers suisses.

A la demande de votre commission, nous avions effectué une enquête sur le régime d'Alsace-Moselle il y a quelques années, régime uniquement financé par des cotisations patronales supplémentaires. Nous n'avons pas examiné l'effet des réformes récentes.

Mme Véronique Guillotin. - Avez-vous évalué l'impact des praticiens intérimaires sur l'équilibre budgétaire des hôpitaux ? Disposez-vous d'une cartographie ?

Ne faudrait-il pas prendre en compte les soins qui auraient été faits à l'hôpital pour évaluer le coût réel de la chirurgie ambulatoire ?

Ne faudrait-il pas développer la prévention pour réduire les dépenses de soins ?

Enfin, l'équilibre des comptes ne doit pas se faire au détriment de la qualité des soins. N'oublions pas non plus la fracture territoriale. Quid des nouveaux métiers, des délégations de tâches, de la télémédecine ?

M. Didier Migaud. - Sur ce dernier point, nous reviendrons devant votre commission présenter notre rapport sur l'avenir de l'assurance maladie : la sixième chambre devrait être en mesure de le faire fin novembre, début décembre. Un autre rapport vous sera présenté un peu plus tard sur l'accès aux soins.

Je vous invite à consulter le rapport très complet du député Olivier Véran sur l'impact des praticiens intérimaires : cette solution de court terme n'est pas satisfaisante car elle est coûteuse.

M. Antoine Durrleman. - Le prochain rapport sur la sécurité sociale de septembre 2018 traitera du virage ambulatoire : nous voulons mettre à plat ce transfert d'activités. Nous croyons aux nouveaux métiers et la loi est déjà intervenue en ce domaine, mais beaucoup reste à faire en matière de pratiques professionnelles. L'article 51 de la loi HPST de juillet 2009 prévoit une mécanique extraordinairement compliquée, si bien que peu de projets ont vu le jour. Des simplifications devront donc avoir lieu.

M. Alain Milon, président. - Merci pour vos interventions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19h55.

Mercredi 11 octobre 2017

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. François Toujas, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Établissement français du sang

M. Alain Milon, président. - Nous recevons ce matin M. François Toujas, dont le Gouvernement souhaite renouveler le mandat à la présidence de l'Établissement français du sang (EFS), pour une durée de trois ans. Cette audition a lieu en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, qui prévoit l'audition préalable par les commissions parlementaires concernées, avant leur nomination, des présidents ou directeurs d'une dizaine d'agence sanitaires.

L'EFS est l'opérateur unique de la transfusion sanguine civile en France ; il collecte les produits sanguins, assure leur préparation et leur distribution, et contribue à garantir la sécurité de la chaîne transfusionnelle, du donneur au receveur.

Notre commission a toujours été particulièrement attentive à ces enjeux éthiques et sociétaux et à la préservation du modèle français du don du sang, qui repose sur des valeurs fortes : la gratuité, le bénévolat et l'anonymat. Le respect de ces valeurs doit être garanti alors que le contexte juridique et institutionnel dans lequel opère l'EFS a fortement évolué dans la période récente. S'il détient le monopole de la transfusion sanguine, l'établissement est entré en concurrence pour certaines de ses activités du fait de la requalification, par une décision de justice, du plasma SD en médicament.

Je souhaiterais, monsieur le président, que vous puissiez nous exposer les conséquences de cette évolution sur les missions et l'organisation de l'EFS. Une très large majorité du plasma entrant dans la composition de médicaments dérivés du sang vendus en France est issue de pays dont les conditions de collecte ne respectent pas les principes sur lesquels se fonde le modèle français. Comment assurer dans ces conditions le respect des valeurs auxquelles nous sommes tous attachés et la sécurité sanitaire ? Serait-il possible, selon vous, de mettre en place un mécanisme de traçabilité ?

Plusieurs autres évolutions consécutives à l'adoption de la loi « santé » de 2016 ont par ailleurs touché l'EFS, telle l'ordonnance du 20 octobre 2016 adaptant et simplifiant la législation relative à l'établissement et aux activités de transfusion sanguine. Quelle appréciation faites-vous de ce texte au regard des objectifs de qualité et d'efficience assignés à l'établissement ?

Par ailleurs, toujours dans le prolongement de la loi « santé », le questionnaire préalable à un don du sang a été modifié en 2016. Quel a été l'impact de ce changement sur le nombre de donneurs et la sécurité du don ? Plus généralement, au regard de votre expérience à la présidence de l'EFS depuis cinq ans, comment envisagez-vous les trois années à venir ?

M. François Toujas, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Établissement français du sang. - C'est un très grand honneur pour moi de présenter à cette commission ce qu'a fait l'EFS pendant ces cinq dernière années -qui n'ont pas été un long fleuve tranquille, avec des tensions et des réussites - et ce qui pourrait se faire dans les trois années qui viennent dans l'hypothèse où mon mandat serait renouvelé.

L'EFS est le produit d'un très grand scandale sanitaire, celui du sang contaminé. C'est l'unique opérateur civil chargé de la collecte, de la préparation, de la qualification, puis de la distribution des produits sanguins labiles. Il comprend 9 800 collaborateurs et son budget est de 900 millions d'euros. Des sénateurs y seront sans doute sensibles, il a une réalité locale très forte, avec des équipes de distribution dans tous les établissements de santé.

C'est un service public qui porte haut les valeurs éthique et s'appuie sur la générosité du public. Le 19 octobre, il y aura une collecte de sang au Sénat ; j'espère que comme à l'accoutumée, ce sera une très bonne collecte, avec 120 poches de sang. Je vous invite à venir y participer.

C'est un acteur majeur de la santé publique car les produits sanguins labiles collectés n'ont aucune alternative thérapeutique, et cela pour un long temps. Nous collectons 10 000 produits par jour. L'établissement est à la fois un établissement public administratif et un établissement public industriel et commercial.

Producteur d'une ressource très rare et très précieuse, c'est un acteur stratégique qui répond aux besoins essentiels d'un million de patients tous les ans, 500 000 pour les produits sanguins labiles, 500 000 pour les médicaments issus de ces produits. Il manie des produits à la durée de vie limitée : 5 jours pour les plaquettes, 45 jours pour les concentrés de globules rouges. C'est un établissement sensible, puisqu'on lui a confié comme mission l'autosuffisance pour l'ensemble des produits au jour le jour.

Quel bilan faire de ces cinq ans ? L'EFS a toujours été au rendez-vous : nous avons été autosuffisants avec, en permanence, un stock de 12 à 14 jours pour faire face aux évènements majeurs qui pourraient survenir. Les attentats ont été une période difficile. Mais le fait de disposer de ce stock a permis que les soignants ne se soient jamais posé la question de la rareté - ce qui n'a pas été le cas à Las Vegas il y a quelques jours.

L'établissement doit remplir sa mission sept jours sur sept, 24 heures sur 24. La sécurité sanitaire doit être assurée à très haut niveau. Tout président de l'EFS a toujours cela en tête. Nous luttons également contre les risques épidémiques émergents comme le chikungunya ou le virus Zika et avons réussi à y faire face grâce à des déploiements en urgence. Nous avons déployé des plans de continuité de l'activité et un dépistage systématique des dons collectés aux Antilles. Nous mettrons en place d'ici la fin de l'année une technique d'inactivation des risques bactériens. Pour renforcer la sécurité des donneurs, nous avons mis en oeuvre une vigilance renforcée, notamment par la généralisation de gestes simples pendant et après le don.

La prise en compte de la sécurité a été fondamentale pendant les attentats. Tant à Nice qu'à Paris, nous n'avons jamais manqué de sang grâce à la rapidité de notre réaction et à notre politique de stockage.

L'EFS doit faire attention à son modèle économique, aujourd'hui équilibré mais fragile, selon lequel il se finance par sa propre activité. Les cessions de produits sanguins labiles connaissent une croissance faible mais réelle d'1 à 2 % par an.

Notre politique nationale d'achat a permis d'économiser une dizaine de millions d'euros. Nous avons aussi réduit le nombre de plateaux de qualification de 14 à 4. Nous avons engagé une négociation avec les représentants des plus de 9 000 collaborateurs pour nous doter d'un accord unique de réduction du temps de travail et d'une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, de manière à savoir de qui on aura besoin demain. On aura forcément moins besoin de médecins de collecte, puisque les infirmiers peuvent désormais administrer l'entretien pré-don.

L'EFS évolue dans un environnement menaçant : à la suite d'une plainte d'une entreprise pharmaceutique, le Conseil d'État a jugé le 23 juillet 2014 que le plasma thérapeutique sécurisé par solvant-détergent n'était plus un produit sanguin labile, mais un médicament. L'établissement se retrouve donc en concurrence avec d'autres possibles opérateurs, et ce n'est pas une mince affaire.

La croissance mondiale de la demande en plasma, matière première pour fabriquer des médicaments dérivés du sang, est très forte. Le plasma sur le marché est aujourd'hui à 80 % d'origine américaine. Objectivement, les conditions de collecte de ce plasma sont quelquefois extrêmement éloignées de ce que nous pratiquons dans notre pays, comme divers reportages diffusés récemment l'ont montré. Nous devons donc préserver notre modèle éthique et trouver un prix de cession compatible avec les grands équilibres économiques. Nous devons continuer à faire en sorte qu'éthique et efficience soient compatibles.

Quels engagements prendrais-je pour un éventuel nouveau mandat ? Je veux d'abord continuer la transformation. Nous nous sommes engagés dans une réflexion prospective intitulée « EFS 2035 », pour laquelle nous avons mobilisé des experts y compris de l'extérieur de l'EFS. J'aurai cinq grandes priorités.

Il faudra imaginer et construire la collecte de demain avec les donneurs de sang. Sur les 1,7 million de donneurs réguliers, nous en perdons 170 000 par an : les donneurs vieillissent, dépassent l'âge de 70 ans à partir duquel ils ne peuvent plus donner, ou tombent malades. Le renouvellement des donneurs est donc un sujet fondamental. Il nous faut donc mieux connaître les donneurs, leur relation au don, mais aussi les non-donneurs et savoir pourquoi ils ne donnent pas. Il n'y a que 4 % de la population qui donne. Il faut donc mieux informer, mieux accueillir, mieux fidéliser. Il nous faut ainsi engager une transformation digitale, afin de disposer de nouveaux moyens de communication permettant de mieux communiquer avec les jeunes.

Il faudra améliorer la collecte dans les zones fragiles et éloignées, comme outre-mer, où nous devons gagner en autosuffisance, d'autant plus que les risques d'ouragans et de glissements de terrains par exemple y sont importants. Il faudra aussi mieux prendre en compte l'aspect qualitatif de l'autosuffisance : les donneurs doivent représenter la diversité phénotypique de la population, et nous devons veiller à collecter les sangs d'intérêt ou sangs rares.

Avec les risques protéiformes et la mutation des moustiques, nous aurons à gérer des risques émergents et devons donc améliorer la mise en place en urgence de plans de continuité, notamment concernant des maladies disparues mais qui pourraient revenir. Il est à noter que l'EFS a une activité de recherche importante ; nous avons ainsi mis en oeuvre en première mondiale une détection du Creutzfeld-Jacob même quand le patient est encore asymptomatique. Il faudra travailler sur d'autres risques. Mon mandat passé a été marqué par les attentats de Nice et de Paris, qui ont soulevé des questions de logistique. Il nous faudra aussi étudier ce que nous pouvons apprendre de la médecine de guerre.

L'EFS aura aussi à participer à une meilleure allocation des dépenses de santé. Peut-être en participant à l'élimination des actes médicaux inutiles et redondants. Il sera urgent et nécessaire de consolider la filière plasma matière première en lien avec l'opérateur de fractionnement.

Une révision des directives européennes sur le sang et les cellules est possible ; face à laquelle il faudra préserver le modèle français qui repose sur le refus absolu de la marchandisation du corps humain, dont le sang fait partie. Il ne faudra pas seulement défendre ce modèle, mais le promouvoir : il peut en effet constituer des solutions pour des pays aussi divers que le Liban, le Brésil ou la Chine.

Je souhaite donc m'inscrire dans le cercle vertueux de l'efficience. C'est pourquoi je sollicite ce nouveau mandat, afin de continuer à promouvoir la transfusion dans une société fracturée, où le don du sang produit du collectif, de la cohésion sociale.

M. Michel Amiel. - Dans notre société où la transparence passe au premier plan, comment associer cette dernière avec la traçabilité ? Nous sommes nombreux à refuser la marchandisation du corps. Mais l'éthique a changé. C'est l'objet de la tribune signée par deux professeurs marseillais il y a quelques jours dans la Libération sur la valorisation des donneurs du sang. Comment les valoriser sans les payer en monnaies sonnantes et trébuchantes ? Par ailleurs, participez-vous à la recherche sur le sang artificiel ?

Mme Florence Lassarade. - Plus qu'une question, je veux partager un témoignage. L'idée que l'on puisse importer du plasma d'autres pays me fait frémir. J'étais en pédiatrie pendant les années 1980 et j'ai fait des transfusions à des hémophiles. M. Garretta a fait de nous des assassins. J'avais pourtant appelé le centre de transfusion de Bordeaux pour vérifier que le plasma avait bel et bien été chauffé... mais ce n'était pas le cas.

Quelles garanties avons-nous que cela ne se reproduira pas. En Belgique, 4 % d'hémophiles ont été contaminés, contre 95 % en France. À l'époque, les produits venaient de prisons américaines...

Mme Frédérique Puissat. - Nous, sénateurs, sommes attachés à nos territoires. Les zones fragiles ne sont pas seulement outre-mer, mais aussi dans la ruralité. Quand on supprime des points de collectes sans autre raison que la rentabilité, on manque à nos obligations et on n'améliore pas la collecte...

Mme Brigitte Micouleau. - J'ai reçu une association qui souhaitait me sensibiliser aux risques de transmission de la maladie de Lyme lors des dons de sang. Qu'en-est-il ?

M. Jean Sol. - Qu'envisagez-vous en direction des jeunes ? Le renouvellement passe par eux. Qu'envisagez-vous pour assurer l'harmonisation des pratiques de traçabilité ? D'une région à l'autre, il y a des divergences.

M. Guillaume Arnell. - Je suis ravi de constater que vous avez englobé la dimension ultramarine de la France et ses problématiques propres dans votre projet. La Guadeloupe est très fortement accidentogène, et connaît souvent des problèmes d'approvisionnement. Comment comptez-vous aider l'établissement du sang local à faire preuve de pédagogie à l'égard de la population ? Il y a quelques années, l'idée de fermer l'établissement du sang local pour tout concentrer en Martinique avait suscité des craintes eu égard aux difficultés d'approvisionnement et à la forte dépendance au transport aérien.

M. Yves Daudigny. - Je me fais l'interprète de Mme Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, qui a les mêmes préoccupations.

M. François Toujas. - Quid des principes éthiques et de la traçabilité après la décision classant le plasma en médicament ?

Nous n'avons pas été surpris par cette décision, qui avait été prise en Belgique précédemment. Nous nous sommes interrogés pour savoir si nous pouvions être concurrentiels du point de vue du prix et de la qualité. C'est le cas, puisque nous conservons une très grande part de marché. Les principes éthiques sont intangibles en France. Mais avons-nous assez de médicaments dérivés du sang aujourd'hui pour la totalité de patients ? La réponse est non. Nous avons donc besoin d'importer. Il ne vous a pas échapper cependant que je ne suis pas candidat pour diriger l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ni pour présider le laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB).

Dans notre pays, la traçabilité du produit, du donneur et du receveur est complète, harmonisée sur tout le territoire. Quand nous avons des informations post-dons, nous pouvons aller rechercher le don pour l'analyser. Cette traçabilité est imposée pour l'ensemble des plasmas importés. Le vrai sujet, c'est le respect de la traçabilité et le contrôle. Mais ce n'est pas au coeur de ma responsabilité.

Je le dis avec solennité : l'EFS est un produit du scandale du sang contaminé. Par les lois de 1993 et 1998, les pouvoirs de police sanitaire ont été séparés de l'opérateur et confiés à l'ANSM. L'EFS n'a aucun de pouvoir de santé propre. Le producteur pouvant être accusé de favoriser la production de médicaments issus du sang, la loi interdit que nous soyons à la fois collecteur et fractionneur : c'est donc l'EFS qui collecte, prépare, qualifie, mais le LFB est le seul qui peut fractionner.

L'ordonnance que vous avez citée a eu pour conséquence ce que nos voisins et amis nous envient : la construction d'un établissement intégré. Cela signifie qu'une collecte à Lille permet de distribuer des produits à Pointe-à-Pitre. La gestion nationale de ces produits permet d'atteindre un taux de péremption qui est le plus faible au monde : 0,05 %. Le donneur peut ainsi être presque sûr que son sang sera utilisé et correctement utilisé.

Relisez ce qui s'est passé après le 11 septembre : les hôpitaux américains ont connu une arrivée massive de donneurs et une partie du sang collecté n'a pu être utilisé dans le délai de péremption. Après les attentats de Paris et Nice, nous avons connu une augmentation de 55 % des dons, faisant monter nos stocks à 21 à 23 jours, augmentant d'autant le risque de péremption. Mais nous avons ventilé ce stock sur tout le territoire et évité le problème.

La transparence, nous la devons à vous, législateurs, au Gouvernement, au donneur et au malade. Le don du sang est-il un droit ? Les patients ont surtout le droit d'avoir la certitude que les produits qu'on leur administre sont les plus sûrs possible. Voici comment fonctionne la traçabilité : un donneur arrive, un numéro lui est affecté, qui suit le produit jusqu'au receveur. Ce numéro est généré par notre système informatique sécurisé.

La tribune des professeurs marseillais soulève une vraie question. Je maintiens une relation très proche avec les associations de donneurs, ces héros anonymes. Valoriser, cela peut être mieux les prendre en compte, leur donner plus de pouvoir dans la gestion de l'établissement. Mais l'accueil est aussi important. Le plus difficile reste pourtant l'accueil de ceux dont on refuse le don, parce que leur état de santé ou leurs voyages nous y obligent. Là-dessus, nous pouvons nous améliorer.

Concernant la recherche sur le sang artificiel, je ne vois pas de système ou l'on puisse se passer de donneurs de sang. En revanche, des pas importants sont faits y compris en France sur la création de cellules sanguines à partir de cellules souches.

En tant que président de l'EFS, ce qui est important pour moi, c'est que les dérives dont vous avez parlé sont aujourd'hui impossibles. L'ANSM, la haute autorité de santé me surveillent, et c'est heureux. Lorsque je suis arrivé à l'EFS, les collaborateurs à qui je demandais depuis combien de temps ils y travaillaient m'ont dit : « on est en transfusion depuis... » Cela dénotait un vrai engagement, et c'est bien. Mais il ne fallait pas que cela signifie être dans un bocal. Nous devons donc replacer l'EFS dans une chaine où l'on prenne en compte les besoins des médecins et où l'on est surveillé par d'autres acteurs.

La question des territoires ruraux est importante - les associations locales me le rappellent suffisamment ! Nous réalisons chaque année 40 000 collectes mobiles, qui, comme au Sénat, peuvent rapporter 120 à 130 poches, mais aussi, dans certains endroits, à peine deux... Les donneurs sont encore essentiellement des ruraux, dans une France de plus en plus urbaine. J'encouragerai volontiers des associations par canton, et non par village. L'établissement est également présent dans presque tous les hôpitaux pour la distribution des produits sanguins.

Aucun article scientifique ne signale de risque de transmission de la maladie de Lyme. Mais nous devons faire attention : le Gouvernement a mis en place un plan spécifique sur ce sujet.

Concernant les jeunes donneurs, qu'a-t-on vu en novembre 2015 ou en juillet 2016 ? Cela fait chaud au coeur : les jeunes se sont précipités pour donner, mais dans des conditions très inférieures à la normale. Lorsque j'ai été voir les donneurs pour leur dire de rentrer chez eux, la plupart refusaient. On leur a donc fait signer des promesses de dons pour une date ultérieure. Quand les jeunes vont donner leur sang, ce doit aussi être festif : ils se font un selfie avec l'infirmière et le partagent sur les réseaux. Nous ne devons pas être ringards par rapport à ces pratiques. Sur 100 donneurs qui donnent la première fois, seuls 30 % reviennent ; il faut donc les fidéliser.

L'avenir de la collecte dans les DOM est un sujet à construire. Nous ne pouvons pas nous satisfaire que la Martinique et la Guadeloupe ne soient pas autosuffisantes. La question de la relation au don mériterait peut-être d'être approfondie. De l'autre côté de la terre, La Réunion est autosuffisante ; il n'y a donc pas de raisons que ces régions unidépartementales ne le soient pas. Nous sommes très favorables à l'autosuffisance des régions. Celles qui ne le sont pas sont l'Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur et les deux régions antillaises. L'EFS fait aussi un effort quotidien notamment logistique pour que les équipes soignantes puissent avoir des produits sanguins nécessaires, y compris en affrétant des avions spéciaux.

Mme Patricia Schillinger. - Pouvez-vous nous faire un bilan sur le don de sang des homosexuels ? Comment cela se passe-t-il en France et ailleurs ?

M. François Toujas. - Il y a cinq ans, les hommes ayant eu une relation sexuelle avec un homme (HSH) étaient définitivement exclus du don du sang, car on constate une prévalence bien plus importante du VIH que dans les populations hétérosexuelles. Mais une exclusion permanente n'était pas tenable. Comme le Conseil de l'Europe l'avait indiqué, il ne fallait pas discriminer, même si le don de sang n'est pas un droit car le droit est du côté du receveur.

Le 10 juillet 2016, le don de sang total a été ouvert aux HSH  qui n'avaient pas eu de relations sexuelles avec un homme depuis 12 mois - ce qui est critiqué par le milieu LGBT. Le don de plasma a été, quant à lui, ouvert à ceux qui ont un partenaire stable, dans les mêmes conditions que pour les hétérosexuels. Le sujet n'est pas de juger les pratiques. Ce n'est pas un sujet moral, mais de sécurité. Il a fallu changer le questionnaire pour mettre en valeur les prises de risque, et non les choix sexuels. Nous avons choisi la durée de douze mois parce que nous ne disposons pas d'études épidémiologiques sur une durée inférieure, comme pour les hétérosexuels, pour qui la durée est de quatre mois.

Ce n'est pas le président de l'EFS qui décide : c'est la Haute Autorité de santé et le ministre, ce qui est normal : l'EFS aurait plutôt tendance à privilégier l'autosuffisance, et donc à récolter le plus de dons possibles. Le taux observance des règles ne s'est détérioré après le passage de l'ajournement définitif à l'ajournement de 12 mois. Nous travaillons donc sur un possible passage à quatre mois. Le volume des donneurs est faible, mais c'est une affaire symbolique.

M. Alain Milon, président. - Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projets de loi ratifiant quatre ordonnances relatives à la santé- Examen des amendements au texte de la commission

M. Alain Milon, président. - Nous allons examiner les amendements aux textes de la commission sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la profession de physicien médical et l'ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé ; sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ; et sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 27  avril 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives au fonctionnement des ordres des professions de santé.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Nous examinons d'abord des amendements de notre rapporteur sur deux des trois textes.

Projet de loi de ratification des ordonnances « physicien médical » et « reconnaissance des qualifications professionnelles »

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement n° 5 porte sur l'article 2. C'est une coordination, après l'abrogation du dispositif d'accès partiel.

L'amendement n° 5 est adopté.

Projet de loi de ratification de l'ordonnance  « fonctionnement des ordres des professions de santé »

Les amendements rédactionnels n° 4 à l'article 2 et n°5 à l'article 3 bis C sont adoptés.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Projet de loi de ratification des ordonnances « physicien médical » et « reconnaissance des qualifications professionnelles »

Article additionnel après l'article 2

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Aujourd'hui, dans la procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles, l'évaluation des compétences linguistiques diffère d'une profession à l'autre, et même d'un département à l'autre au sein d'une même profession. Les amendements identiques n°  1, 2 rectifié, 3 et 4, visent à préciser les conditions de l'évaluation linguistique s'agissant des orthophonistes.

Mais le problème concerne aussi les autres professions ; la réponse passe en outre par la voie réglementaire. Il faudrait tout simplement qu'un outil d'évaluation de référence soit mis à disposition des ordres...

Je proposerai donc soit le retrait, soit le rejet des amendements, sans nier le problème, car quel praticien n'a pas entendu au moins un patient lui expliquer qu'à l'hôpital, il n'a pas compris ce que lui disait le médecin ?

M. Dominique Watrin. - Outre l'effectivité du contrôle, le stade où il intervient est important : il doit avoir lieu avant la reconnaissance des qualifications !

Mme Laurence Rossignol. - La question ne se pose pas à l'identique pour toutes les professions, certains praticiens peuvent exercer sans maîtriser finement notre langue, mais un orthophoniste ne le peut pas, un psychanalyste non plus. Pour un psychanalyste lacanien, ce serait compliqué !

M. Michel Amiel. - Ce serait... lacanien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Mais c'est le patient qui parle, non ?

Mme Laurence Rossignol. - Je partage l'avis de M. Watrin, un contrôle a posteriori comme aujourd'hui n'a pas de sens. C'est pourquoi nos amendements visent à instaurer un contrôle a priori : ils ne me semblent pas redondants avec le texte comme l'a prétendu la ministre à l'Assemblée nationale.

M. Michel Amiel. - Qu'est-il prévu pour les autres professions ? Pour un interne en chirurgie, cela ne me semble pas moins grave de ne pas maîtriser le français.

M. Philippe Mouiller. - Il faut qu'un niveau insuffisant en langue française fonctionne comme couperet par rapport à l'autorisation d'exercer.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'article 3 mentionne bien que le contrôle des compétences linguistiques intervient au moment de la délivrance de l'autorisation d'exercer. Nous interrogerons tout de même le Gouvernement en séance. Aujourd'hui, un contrôle existe, mais il n'existe pas d'outil de référence, une batterie de tests pour déterminer le degré de maîtrise de la langue.

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques n°s 1, 2 rectifié, 3 et 4.

Projet de loi de ratification de l'ordonnance « mise en cohérence des textes au regard de la loi de modernisation du système de santé »

Article unique

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement n° 1 vise à préciser que l'activité libérale dans les établissements de santé ne peut donner lieu à dépassements d'honoraires. L'ordonnance de mise en cohérence des textes par rapport à la loi santé se contente de maintenir la dérogation, mais puisque les modalités d'application de ces dispositions sont renvoyées à un décret, je propose de demander l'avis du Gouvernement sur cet amendement.

M. Dominique Watrin. - Cela nous convient. Nous saurons alors s'il y a un recul, comme nous le craignons.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1.

Projet de loi de ratification de l'ordonnance « fonctionnement des ordres des professions de santé »

Article 3

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Nous avons reçu tardivement les amendements du Gouvernement. L'amendement n° 1 tend à réserver une place de titulaire et une place de suppléant aux représentants du conseil régional de Corse, au sein de la chambre disciplinaire interrégionale de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse. La proposition me semble raisonnable, mais je n'ai pas eu le temps matériel d'interroger les ordres concernés. Sagesse, donc.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 1.

Article 4

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement n°  3 vise à rendre immédiatement applicable (au lieu de juin 2018) la participation de deux représentants du ministère de la santé au conseil national de l'ordre des pharmaciens, avec voix consultative. N'ayant pas recueilli la position de l'ordre, je vous propose un avis de sagesse.

Mme Catherine Deroche. - La prétendue concertation avec les ordres professionnels a été, dans les faits, plus que limitée...

M. Gérard Dériot. - Et les autres ordres ? Celui des pharmaciens, et celui-là seul, doit-il être mis sous surveillance ?

Mme Chantal Deseyne. - Les ordres sont autonomes, ils n'ont pas besoin de représentants du ministère.

M. Dominique Watrin. - Nous sommes contre les ordres professionnels, nous ne prendrons donc pas part au vote.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - La disposition figure dans l'ordonnance de février 2017, c'est seulement la date d'entrée en vigueur qui change.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 3.

Article additionnel après l'article 5

La commission émet un avis favorable à l'amendement rédactionnel n°  2 du Gouvernement.

ORDONNANCES - PHYSICIEN MÉDICAL ET RECONNAISSANCE DES QUALIFICATIONS PROFESSIONNELLES

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article additionnel après l'article 2

M. PERRIN

1

vise à apporter des précisions sur le mode d'évaluation des compétences linguistiques dans le cadre de la procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles applicable aux orthophonistes.

Défavorable

M. BOTREL

2 rect.

vise à apporter des précisions sur le mode d'évaluation des compétences linguistiques dans le cadre de la procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles applicable aux orthophonistes.

Défavorable

Mme COHEN

3

vise à apporter des précisions sur le mode d'évaluation des compétences linguistiques dans le cadre de la procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles applicable aux orthophonistes.

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

4

vise à apporter des précisions sur le mode d'évaluation des compétences linguistiques dans le cadre de la procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles applicable aux orthophonistes.

Défavorable

ORDONNANCE - MISE EN COHÉRENCE AVEC LA LOI DE MODERNISATION
DU SYSTÈME DE SANTÉ

Article unique
Ratification de l'ordonnance de mise en cohérence des textes au regard des dispositions
de la loi de modernisation de notre système de santé

Mme COHEN

1

Cet amendement vise à préciser que l'activité libérale exercée dans les établissements de santé publics ne peut donner lieu à des dépassements d'honoraires.

Avis du Gouvernement

ORDONNANCE - FONCTIONNEMENT DES ORDRES DES PROFESSIONS DE SANTÉ

Article 3
Précisions relatives à l'ordre des pharmaciens

Le Gouvernement

1

Cet amendement du Gouvernement tend à prévoir une clé de répartition au sein de la chambre disciplinaire interrégionale de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse, pour garantir la présence d'un membre du conseil régional de Corse.

Sagesse

Article 4
Entrée en vigueur du régime des incompatibilités

Le Gouvernement

3

Cet amendement du Gouvernement vise à rendre immédiatement applicable la participation des représentants du ministère en charge de la santé au sein du conseil national de l'ordre des pharmaciens.

Sagesse

Article additionnel après l'article 5

Le Gouvernement

2

Cet amendement du Gouvernement corrige une erreur matérielle.

Favorable

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 - Nomination des rapporteurs

M. Alain Milon, président. - Il nous faut désigner nos rapporteurs sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Je vous propose, outre notre rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, qui se chargera des recettes et des équilibres généraux, de désigner Mme Catherine Deroche pour l'assurance maladie, M. Gérard Bonne pour le secteur médico-social, Mme Elisabeth Doineau pour la famille, M. René-Paul Savary pour l'assurance vieillesse, et M. Gérard Dériot pour les accidents du travail et maladies professionnelles.

Projet de loi de finances pour 2018 - Nomination des rapporteurs pour avis

La commission désignera le mercredi 18 octobre les rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2018.

Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande à être saisie pour avis du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 et désigne M. Jean-Marie Vanlerenberghe comme rapporteur pour avis du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

La réunion est close à 10 h 50.