- Mardi 18 juillet 2017
- Mercredi 19 juillet 2017
- Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Suite de l'examen du rapport et du texte de la commission
- Jeudi 20 juillet 2017
Mardi 18 juillet 2017
- Présidence de M. Alain Milon, président -La réunion est ouverte à 17 heures.
Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
M. Alain Milon, président. - Je remercie Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, de venir répondre à nos questions sur le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, dont l'Assemblée nationale a terminé l'examen jeudi dernier.
Madame la Ministre, ce texte concerne notre législation du travail dans un grand nombre de domaines.
Nous avons bien compris que le Gouvernement entend renforcer le rôle de la négociation collective en entreprise, simplifier les institutions représentatives du personnel et réduire un certain nombre d'aléas juridiques pesant sur les procédures de licenciement.
Le projet de loi embrasse également d'autres sujets, comme le compte pénibilité ou le travail détaché, mais sur ces seuls trois thèmes centraux, il ouvre la perspective de multiples évolutions de la législation, sans qu'il nous soit possible, pour le moment, de véritablement mesurer la portée des changements que le Gouvernement retiendra dans les futures ordonnances.
En effet, parallèlement à l'examen parlementaire des habilitations demandées, vous menez une concertation avec les partenaires sociaux sur le contenu de ces ordonnances, les arbitrages devant être rendus avant la fin de l'été.
Cette méthode a suscité beaucoup d'interrogations lors de nos échanges, la semaine dernière, avec les organisations syndicales et patronales.
Il nous paraît donc important que vous puissiez aujourd'hui préciser les intentions du Gouvernement, au vu des concertations engagées depuis le mois de juin. Avez-vous d'ores et déjà privilégié, ou au contraire écarté, certaines options ? Quelles sont, sur les principaux sujets en débat, les différentes alternatives en discussion ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. - Je suis heureuse de vous présenter la méthode et le contenu de la réforme que nous entreprenons. Conformément à l'engagement de campagne du Président de la République, le Gouvernement a choisi d'aller vite, tant est forte l'attente de nos concitoyens pour une transformation de nos règles. Le code du travail vise des sujets structurants, la réforme aura des effets de long terme, en profondeur, ce qui n'enlève rien à son urgence.
Notre objectif, c'est de libérer la dynamique de création d'emplois, tout en confortant les protections des salariés, réformées pour correspondre au monde d'aujourd'hui et de demain. Nous recourons aux ordonnances parce qu'elles articulent la démocratie politique, avec le débat au Parlement sur les projets de loi d'habilitation puis de ratification - et la démocratie sociale, ce qui est bien le moins pour une loi dont l'objet est de renforcer la démocratie sociale : c'est le sens de la concertation que nous menons avec les partenaires sociaux. Les ordonnances sont ainsi co-construites avec les partenaires sociaux et le Parlement.
Le Président de la République a reçu les trois organisations patronales et les cinq organisations syndicales, puis le Premier ministre et moi-même les avons reçues à notre tour, puis je les ai reçues chacune à deux reprises sur les trois grands sujets que nous avons identifiés - soit 48 réunions depuis le 9 juin et jusqu'au 21 juillet ; cette méthode nous fait aller au fond, examiner les idées nouvelles, les convergences possibles ; à la fin de ce cycle, je rendrai compte de l'ensemble à chaque responsable des huit organisations concernées. Il y a, également, le temps du débat au Parlement, à l'Assemblée nationale et au Sénat, sur la loi d'habilitation. Puis notre objectif sera de rédiger les ordonnances pour fin août, de les transmettre et de les publier avant la fin de l'été, soit le 21 septembre prochain - ce pourrait être lors du conseil des ministres du 20 septembre. Les ordonnances sont d'application immédiate mais nous reviendrons au Parlement pour leur donner force de loi, grâce à la ratification.
Le débat parlementaire est partie prenante. Le projet de loi d'habilitation s'est enrichi de 45 amendements à l'Assemblée nationale, sur 424 proposés, ils sont venus de nombreux bancs ; nous savons combien vous avez travaillé en profondeur sur la réforme du code du travail ces dernières années : vos éclairages sont précieux, notre état d'esprit est d'en tenir tout à fait compte.
Pourquoi rénover le dialogue social dans notre pays ? Nous n'entendons pas toucher à notre modèle social, à ses valeurs profondes qui fondent la société française, mais prendre en compte le fait que la loi a surchargé de détails le dialogue social, au point de le freiner ; la réponse consiste à définir les principes qui fondent le socle à quoi nous tenons, et à ouvrir davantage le dialogue social. De fait, notre code du travail et nos pratiques de dialogue social prennent insuffisamment en compte l'internationalisation de l'économie et les mutations du travail qui sont devant nous - l'OCDE estime par exemple que, dans les dix ans à venir, la robotisation et la numérisation auront détruit un emploi d'aujourd'hui sur dix et transformé profondément un sur deux, tout en ne créant qu'un dixième des emplois d'aujourd'hui. Dès lors, soit on subit cette transformation, avec d'énormes problèmes d'adaptation, soit on l'anticipe en définissant un cadre, pour que notre pays appréhende le futur avec confiance - et la France a tous les atouts pour le faire, technologiques en particulier.
Ensuite, les aspirations des salariés ont évolué, c'est un fait générationnel mais qui touche l'ensemble des salariés : ils demandent à être davantage partie prenante sur leur formation, sur leur évolution professionnelle, sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, nous voulons en tenir compte.
Sur le fond, notre objectif c'est plus de liberté pour les entreprises afin de libérer leur potentiel de création d'emploi quand la croissance reprend, en particulier les TPE et PME, plus de liberté également pour les salariés, mais aussi une protection et une sécurité juridique mieux établies pour les salariés comme pour les entreprises, en particulier parce que nous aurons mis fin à l'insécurité juridique qui est un frein à l'embauche et qui fragilise les perspectives des salariés.
La réforme est un ensemble qui comprend six volets, sur lesquels nous voulons aboutir dans les prochains dix-huit mois.
Premier volet, la refonte du code du travail, c'est l'objet des ordonnances dont je vous présente la loi d'habilitation.
Deuxième volet, l'élargissement de l'assurance chômage, pour que le filet de sécurité qu'il représente bénéficie également aux indépendants et, sous certaines conditions, aux démissionnaires. Aujourd'hui, les protections sont liées aux statuts, ce qui était pertinent quand on avait un emploi à vie ; dès lors que cette forme d'emploi devient marginale, le système de protection par statut laisse de côté de plus en plus de nos concitoyens, dans les trous du filet. Mieux vaut, alors, une protection à la personne et des droits transportables, comme vous l'avez fait avec le compte personnalisé de formation.
Troisième volet, la formation professionnelle. Des réformes ont été prises dans la bonne direction, il faut aller plus loin.
Quatrième sujet, l'apprentissage : nous peinons à atteindre quatre cent mille jeunes apprentis, alors que c'est une voie primordiale pour la professionnalisation, il faut la développer.
Cinquième sujet, la réforme des retraites, que je ne vous présente pas ici.
Sixième sujet, le pouvoir d'achat, c'est en particulier le sens de la suppression des cotisations salariales pour le chômage et la maladie.
Ces six domaines d'action visent, ensemble, à libérer l'initiative économique, donc la création d'emplois, à sécuriser les parcours professionnels adaptés au monde d'aujourd'hui et de demain plutôt qu'attachés à celui d'hier.
Ce projet de loi comprend lui-même trois volets.
Premièrement, il clarifie le rôle de la loi, de la branche professionnelle et de l'entreprise dans le dialogue social, en y renforçant la branche et l'entreprise. L'agilité économique et le progrès social exigent d'être au plus près de l'échelon pertinent, les textes généraux ne peuvent régler les choses dans leur détail, il faut donner plus d'espace au dialogue social et économique : c'est le fil rouge de ce texte. Nous voulons clarifier et étendre le champ des responsabilités des branches professionnelles et des entreprises ; nous sommes parvenus à un accord sur ce point, la répartition est claire, elle va dans le sens de la confiance aux acteurs et de la dynamisation de l'entreprise.
Deuxième bloc, nous voulons réformer le dialogue social dans l'entreprise, avec la fusion des instances d'information-consultation et la recherche d'une solution pour le dialogue social dans les petites entreprises. Actuellement, notre pays compte, et c'est une exception, quatre modes de représentation des salariés, dont trois sont d'information et de consultation, et un de négociation; ce système est complexe, il occasionne des doublons et il sépare artificiellement le dialogue entre la stratégie d'un côté, les questions de santé et de travail d'un autre, et les problèmes du quotidien d'un autre côté encore. La fusion des trois instances d'information et de consultation permettra de débattre de l'articulation entre les questions économiques et sociales, d'avoir une vue d'ensemble - à condition, et nous voulons le garantir, de ne perdre aucune compétence dans la fusion, en particulier celles du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). En revanche, nous considérons qu'il n'est pas pertinent de fusionner ces trois instances avec celle de négociation proprement dite - ce qui n'interdira pas à certaines entreprises volontaires, avec accord majoritaire, d'expérimenter une telle fusion qui a cours dans les pays d'Europe du Nord, je suis convaincue que des entreprises s'y attèleront.
Dans le même bloc, se trouve le sujet de la représentation des salariés dans les petites entreprises, en particulier celles de moins de 50 salariés. Nous savons que sous ce seuil, où travaillent 55 % des salariés, seulement 4 % des entreprises disposent de délégués syndicaux ou de représentants du personnels mandatés par une organisation syndicale - ce qui revient à dire, et l'on ne peut s'en satisfaire que, pour la moitié des salariés, le dialogue social ne peut aboutir à des accords d'entreprise, alors qu'on a particulièrement besoin de souplesse dans ces entreprises. Sur ce sujet, diverses propositions sont formulées, vous y avez travaillé depuis plusieurs années, un débat public est nécessaire. Le dialogue social avec les organisations syndicales est une priorité, la France leur reconnaît un monopole en la matière, c'est notre loi, notre culture - et c'est aussi notre vision. Cependant, on ne peut se satisfaire de ce que 96 % des entreprises de moins de 50 salariés n'aient pas accès au dialogue social formalisé ; nous recherchons des solutions.
Troisième volet, la sécurisation juridique, où plusieurs sujets concernent les PME et TPE. Sur les dommages et intérêt prud'homaux, d'abord, il ne s'agit pas de modifier les indemnités légales et conventionnelles de licenciement mais d'établir un barème, assorti d'un plafond, qui serve de référence. Aujourd'hui, le montant des dommages et intérêts prud'homaux varie du simple au quadruple, c'est une source de préoccupation pour les entreprises mais aussi pour les salariés, qui y voient de l'injustice - c'est aussi une question d'équité. Le sujet tient aussi aux délais de recours et à l'importance prise par la procédure, par la forme, qui en est venue à prévaloir sur le fond : nous connaissons tous des exemples d'entreprises condamnées à des dommages et intérêts au seul motif qu'une lettre de licenciement était mal rédigée, avec des conséquences pécuniaires importantes et, plus durablement, une réticence à toute embauche... Notre but, comme cela s'est passé avec le renforcement de la médiation, c'est de renforcer l'amont de la négociation - nous le faisons aussi en augmentant les indemnités légales de licenciement, qui sont parmi les plus basses dans les pays d'Europe.
Quatrième volet, le télétravail : 18 % des salariés y recourent en général un jour par semaine, la demande de la société est très forte puisque 59 % des salariés - et 71 % des cadres - souhaiteraient y recourir pour mieux s'occuper d'un proche, pour s'épargner des temps de transport mais le défaut de cadre juridique sécurisé les freine, il faut avancer sur ce dossier.
Qu'il s'agisse donc de renforcer la place de la branche professionnelle et de l'entreprise dans les négociations sociales, de fusionner les instances représentatives du personnel, de réformer les indemnités prud'homales et d'instaurer un cadre sûr pour le télétravail, notre objectif est le même : envoyer un signal fort aux entreprises pour qu'elles osent davantage l'embauche et aux salariés pour qu'ils voient leur parcours professionnel sécurisé, dans les conditions actuelles du travail.
M. Alain Milon, président. - Merci pour cette présentation. Vous soulignez notre travail sur le sujet : effectivement, nous avons eu à examiner pas moins de cinq lois en quelques années touchant au code du travail - et nous n'avons pas, nous, à subir le 49.3...
Vous envisagez de donner par ordonnance plus de place à l'accord d'entreprise par rapport à l'accord de branche. Quel sera le champ exact de cette ordonnance ? L'ensemble du code du travail sera-t-il concerné ou seulement certaines de ses thématiques ?
Comment comptez-vous faciliter la conclusion d'accords collectifs dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical ? Quel regard portez-vous sur le mandatement ?
Dans le cadre de la simplification des IRP, quelle pourrait être la place du délégué syndical dans la nouvelle instance unique ? Cette dernière reprendra-t-elle l'intégralité des missions actuelles du CHSCT et disposera-t-elle des mêmes prérogatives, notamment en matière de recours à l'expertise ?
Où en est le travail gouvernemental sur la définition du référentiel obligatoire pour fixer l'indemnité en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ? Quel pourrait être son plafond : 18 ou 24 mois de salaire ?
Ne pensez-vous pas qu'il est aujourd'hui temps de mettre en oeuvre une profonde réforme de la juridiction prud'homale compte tenu des résultats mitigés des mesures prises depuis 2013 pour développer la conciliation ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La réforme ne diminue pas le rôle de la branche professionnelle par rapport à l'entreprise, ni l'inverse, elle renforce les deux échelons - la concertation a bien mis en lumière la nécessité, en particulier, de renforcer la branche et la réforme ne consiste certainement pas à affaiblir un échelon vis-à-vis de l'autre.
En l'état actuel de la concertation, les branches professionnelles se verront confirmer trois domaines : d'abord les thèmes qui lui reviennent naturellement, comme les minimas conventionnels, les classifications, la mutualisation des financements paritaires, ou encore les complémentaires santé et les compléments d'indemnité journalière ; nous y ajoutons l'égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que ce que nous appelons la gestion de la qualité de l'emploi - en particulier la durée minimum de travail à temps partiel et des compléments d'heure, la nouvelle régulation des contrats courts CDD et intérim, ou encore les conditions de recours au CDI de chantier. Ce premier bloc est « verrouillé » : à défaut d'un accord de branche, la loi s'applique dans son texte même.
Un deuxième bloc regroupe des thèmes où la branche peut négocier mais aussi décider si sa décision prime, ou non, sur l'accord d'entreprise : y figureront par exemple le handicap, la prévention des risques professionnels, la pénibilité, les conditions et les moyens d'exercice d'un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquises et les évolutions de carrière ; la contrepartie d'un dialogue social renforcé, c'est que les partenaires sociaux soient en mesure de l'exercer.
Enfin, troisième bloc, les autres domaines où la priorité est donnée à l'accord d'entreprise.
Dans cette architecture, l'entreprise négocie sur plusieurs sujets simultanément, ce qui respecte mieux les réalités car les sujets sont liés - la négociation en voit ses marges de manoeuvre améliorées, cela permet d'aller bien plus loin, l'exemple des entreprises innovantes socialement le montre bien.
Les ordonnances énonceront ces principes, cette architecture, les branches s'en saisiront. Leur structuration même est en train de changer, nous sommes passés de 750 à 650 branches et notre objectif est de parvenir à 200 - nous envisageons d'en accélérer le calendrier.
Comment organiser le dialogue social dans les entreprises de moins de 50 salariés ? La concertation n'est pas encore parvenue à un accord, plusieurs hypothèses sont autour de la table, nous y travaillons.
La fusion des IRP d'information et de consultation, c'est-à-dire du comité d'entreprise, des délégués du personnel et du CHSCT, en un comité économique et social, s'effectuera avec transfert intégral des compétences, y compris la possibilité d'ester en justice et de recourir à l'expertise. Cependant, le fait de discuter ensemble sur l'économie, le social et les conditions de travail va changer la nature des discussions. Il y aura moins de personnes mandatées et il faudra d'autant plus renforcer leur accès aux ressources de formation, aux compétences dont elles auront besoin.
Sur le plafonnement des dommages et intérêts, nous écoutons les points de vue, nous n'avons pas fixé le plafond. Les dommages et intérêts ne seront pas plafonnés en cas de discrimination et de harcèlement car il s'agit là non pas du droit du licenciement mais d'atteinte à l'intégrité de la personne.
La Chancellerie nous a communiqué son étude sur les dommages et intérêts prud'homaux, elle établit les disparités fortes entre jugements, la nécessité de renforcer la sécurité juridique : nous la tenons à votre disposition.
M. Philippe Mouiller. - La concertation s'étend jusqu'au 21 juillet, vous prévoyez d'en communiquer une synthèse le 25 mais nous examinons le projet de loi dès le 24 en séance publique : pourrait-on disposer d'une synthèse avant nos travaux pléniers ?
Dans les entreprises de moins de 50 salariés, ensuite, comment se servir d'outils comme le référendum d'entreprise, s'il n'y a ni délégué syndical, ni représentant du personnel ? Comment donner plus de souplesse à ces petites entreprises pour adapter l'accord de branche ?
Comment assurer que, devant les prud'hommes, le fond prime sur la forme ?
Vous prévoyez, ensuite, de remettre à plat les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), alors qu'elles viennent tout juste d'être installées : pourquoi ne pas attendre au moins qu'elles produisent leurs effets ?
Des contrats de chantier seront possibles, c'est utile, mais ne faut-il pas également prévoir un type de contrat en cas de croissance de l'activité forte et soudaine, qui demande à l'entreprise de mobiliser des bras mais où le recours au CDI peut faire peur ?
M. Yves Daudigny. - Les enquêtes montrent que les chefs d'entreprises placent l'incertitude économique, parmi les freins à l'emploi, loin devant la règlementation du travail : dans ces conditions, qu'est-ce qui vous assure que la réforme du droit du travail améliorera la situation de l'emploi ?
Quelles modifications allez-vous apporter au régime juridique du licenciement lié au refus par le salarié de l'application d'un accord d'entreprise sur son contrat de travail ? La question est complexe, mais ce que vous semblez envisager est source d'inquiétude.
Quelle est votre position sur le référendum à l'initiative de l'employeur pour l'obtention d'un accord, demandé par certaines organisations patronales ?
Mme Catherine Génisson. - Avez-vous des études qualitatives qui démontrent qu'une lourdeur du code du travail empêcherait réellement l'embauche quand les entreprises ont de l'activité ? On parle beaucoup d'un poids excessif des règles mais on ne nous démontre jamais qu'elles dissuadent effectivement l'embauche...
Vous avez lancé une concertation sociale pour « co-construire » les ordonnances, vous parlez de convergences ponctuelles mais vous n'êtes pas dans une configuration de négociation sociale - et nous allons devoir voter une loi d'habilitation sans bien savoir où l'on va : pourquoi ne pas avoir commencé par une étude d'impact de la loi « Travail » ?
Le CHSCT, ensuite, n'a-t-il pas une vocation particulière, lui qui évoque les questions de santé, d'organisation du travail ? Quid, ensuite, de la médecine du travail ?
Ne craignez-vous pas, enfin, une sorte de professionnalisation des élus dans la nouvelle instance représentative, ce qui les éloignerait des conditions réelles de travail ?
M. Jean-Marie Morisset. - On ne peut que partager les objectifs de lisibilité, de souplesse, de négociation au plus près du terrain. Cependant, comment faire dans les entreprises de moins de 50 salariés ? Pourquoi, ensuite, remettre à plat les CPRI, qui se sont à peine installées ? Quel lien avec la relance du dialogue social dans les petites entreprises ?
Le comité d'orientation sur les conditions de travail a été consulté sur le compte pénibilité : quel a été le résultat de cette consultation ?
L'article 2 évoque des seuils d'effectifs pour la fusion des IRP : quels seront-ils ?
Dans quel ordre, ensuite, le Gouvernement compte-t-il présenter la série de textes que vous nous annoncez pour les dix-huit prochains mois ? Disposera-t-on au moins d'une synthèse de la concertation en cours avant la publication des ordonnances ?
Mme Michelle Meunier. - Comme membre de la délégation aux droits des femmes, je me félicite que l'égalité entre les hommes et les femmes relève du bloc où l'accord de branche s'impose aux accords d'entreprise. Cependant, ne craignez-vous pas que la fusion des IRP ne fasse perdre des compétences sur l'égalité professionnelle entre les sexes ? L'application concrète des règles exige la plus grande vigilance mais les négociateurs sont en grande majorité des hommes, c'est un sujet d'inquiétude.
Mme Laurence Cohen. - Vous vantez la flexibilité, rien de nouveau puisque, dans les années 1980 déjà, le travail à temps partiel était présenté comme une chance : en réalité, ce sont surtout des femmes peu qualifiées qui travaillent à temps partiel et 70 % des salariés se déclarent en sous-emploi - n'est-ce pas la preuve que la flexibilité ne réduit pas les inégalités ?
Comment, ensuite, allez-vous financer l'ouverture de l'assurance chômage aux démissionnaires, qui est une bonne idée ?
Vous affirmez vouloir renforcer le dialogue social et vous constatez que la plupart des petites entreprises sont dépourvues de délégué syndical ; vous savez que ce défaut tient pour beaucoup au lien de subordination salariale, au fait que les salariés craignent pour leur place s'ils se syndiquent. Dès lors, pourquoi ne renforcez-vous pas le pouvoir des salariés dans l'entreprise, en les associant aux décisions stratégiques de l'entreprise ?
Enfin, vous dites qu'il faut un débat public pour renforcer le dialogue social, mais alors, pourquoi recourir aux ordonnances ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La concertation est en cours sur le dialogue social dans les petites entreprises. Nous privilégions la négociation avec les délégués syndicaux, bien entendu, ou les salariés mandatés mais quand il n'y en a pas, ce qui est le cas de 96 % des petites entreprises, il faut trouver une solution, via le délégué du personnel et un référendum par exemple, avec l'idée que les délégués iront de plus en plus vers les syndicats, surtout si on les aide à se former davantage. Nous n'ignorons pas l'existence du lien de subordination, l'appartenance syndicale est un moyen de le contourner, c'est bien pourquoi nous voulons renforcer l'accompagnement des syndicats - c'est la raison d'être du fonds pour le financement du dialogue social.
La question des seuils, à l'article 2, n'a pas été soulevée par les partenaires sociaux, nous ne l'avons pas encore mise dans la discussion.
Les CPRI viennent tout juste d'être initiées... il y a 18 jours à peine, c'est dire qu'il est urgent d'attendre. Nous prévoyons simplement, par précaution, de les faire entrer dans le champ des ordonnances, pour le cas où ce soit utile.
Faire primer le fond sur la forme devant les prud'hommes ? C'est très important, en particulier pour les plus petites entreprises, nous y travaillons. Il faut trouver des moyens pour évacuer le vice de forme en droit et dans la procédure même, nous y travaillons.
Les CDI de chantier existent dans le BTP, nous voulons les développer, sous contrôle. Ils seront très utiles aux salariés - il s'agit bien de CDI, c'est déterminant pour accéder au logement, aux emprunts bancaires, et ce CDI fera sortir de séries de CDD multiples - mais aussi aux entreprises, en particulier pour saisir les opportunités de marché ; je pense à la construction navale, où un gros chantier n'a pas pu être pris faute de souplesse sur l'emploi. Cependant, il faut prendre garde à ce que ce type de contrat ne devienne pas la norme : c'est le sens de l'encadrement que nous proposons, via la branche, comme vient de le faire la branche Syntec.
Vous avez évoqué une récente étude de l'Insee qui montre que le premier frein à l'embauche est l'absence de marché, le deuxième l'insuffisance des compétences, le troisième les coûts salariaux et le quatrième le code du travail et les incertitudes juridiques. Il faut donc travailler sur ces quatre leviers en passant du CICE à la baisse des charges et en améliorant les compétences : à l'automne, nous lancerons un grand plan d'investissement en faveur des compétences pour les jeunes et les demandeurs d'emploi, notamment sur le numérique et la transition énergétique. Nous inciterons les branches et les entreprises à travailler sur les bons niveaux de qualification. Enfin, le droit du travail est évoqué par un tiers des sondés.
Ces dernières années, j'ai travaillé sur la façon d'aider les PME à se positionner à l'international et sur la façon de faire venir les investisseurs étrangers. Nous disposons d'une étude menée année après année auprès de 1 000 investisseurs dans le monde : pour eux, le premier frein à l'investissement en France tient à la rigidité et à l'insécurité perçues et réelles du code du travail. Nous devons donc faire un travail sur la perception mais aussi sur le réel car certaines dispositions n'existent qu'en France, d'où un désavantage compétitif. Or, l'insécurité ne profite ni aux salariés, ni aux employeurs. Une clarification s'impose donc.
Que se passera-t-il si un salarié refuse l'application d'un accord d'entreprise ? Aujourd'hui, il existe cinq cas de figure selon qu'il s'agit de tel ou tel dispositif. La loi d'habilitation dit que l'accord prime sur le contrat mais la rupture individuelle devra être sécurisée en cas de refus du salarié d'accepter l'accord. L'abondement du compte personnel de formation pourrait sécuriser ces situations. Le collectif doit l'emporter sans pour autant oublier l'accompagnement individuel.
Un référendum d'entreprise du seul fait de l'employeur ne serait pas compatible avec les conventions de l'OIT et la France n'a pas vocation à s'en affranchir. Une interrogation demeure néanmoins pour les petites entreprises.
Le CHSCT aurait plus de poids s'il était fusionné au sein d'une instance unique. Il y a quelques années, j'ai commis un rapport avec Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric et Christian Larose de la CGT sur les risques psycho-sociaux, le bien-être et l'efficacité au travail. Nous avons beaucoup auditionné et nous sommes parvenus à la conclusion que 20 % des cas de risques psycho-sociaux étaient liés à des comportements individuels inappropriés et 80 % à des décisions structurelles liées au management de l'entreprise. Ainsi en va-t-il du management matriciel qui augmente les risques, comme de l'éloignement des centres de décisions... Or, le management ne relève que du comité d'entreprise alors que le CHSCT ne se préoccupe que des conséquences. Avec une vue d'ensemble, la prévention sera plus aisée, sous réserve de disposer de suffisamment de temps pour examiner les conditions de travail, de santé et de sécurité.
Vous avez voté une réforme en 2016 pour une meilleure complémentarité entre médecine du travail et autres professionnels de santé. Nous manquons de recul pour évaluer cette loi. La visite de reprise doit être organisée le jour même de la reprise, mais encore faut-il disposer de suffisamment de médecins du travail. L'Assemblée nationale a voté un amendement sur la question. Nous sommes tous d'accord sur cette question, mais il reste à la mettre en oeuvre. Une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été diligentée sur le renforcement de l'attractivité de la médecine du travail. J'en discuterai avec ma collègue ministre de la santé.
Mme Catherine Génisson. - Et avec la ministre de l'enseignement supérieur !
Mme Muriel Penicaud, ministre. - Tout à fait.
La professionnalisation des représentants siégeant dans ces instances leur ferait perdre le contact avec le terrain. En revanche, ces représentants devront bénéficier de plus de formation et de plus de moyens.
L'égalité salariale entre les hommes et les femmes nous concerne tous. Quinze ans après le vote de la loi, cette égalité est toujours virtuelle : à travail égal, la différence de salaire est de 9 %. Je me penche sur cette question avec ma collègue secrétaire d'État aux droits des femmes. Les branches doivent toutes se mobiliser. En outre, les femmes sont plus sujettes à l'emploi précaire et au temps partiel. Les branches devront se préoccuper de la gestion et de la qualité de l'emploi. En outre, les entreprises ont leur rôle à jouer à l'occasion des négociations annuelles et triennales. Les bonnes pratiques doivent être mieux connues. C'est un sujet sur lequel il ne faudra rien lâcher.
Les lois, textes et accords sur la pénibilité ont abouti à la reconnaissance de dix facteurs, dont les quatre les plus importants devraient entrer en application en octobre. Autant il est de justice sociale que les salariés qui ont eu un emploi physique pénible partent deux ans plus tôt avec une retraite à taux plein, autant les modalités d'application de cette mesure nous ont paru ubuesques. Les TPE et les PME étaient extrêmement inquiètes de l'échéance d'octobre, se demandant comment chronométrer quotidiennement le nombre d'heures de port de charges lourdes de leurs salariés. Vu l'urgence à régler cette situation, nous avons donc choisi les ordonnances : les dix facteurs seront ainsi confirmés et les quatre critères d'ergonomie seront du ressort d'un examen médical ; les entreprises n'auront pas à les mesurer elles-mêmes, ce qui aurait été absurde. Enfin, grâce à l'examen médical, 10 000 salariés pourront partir à la retraite dès l'année prochaine alors que le dispositif prévu ne serait entré en application que dans 15 ou 20 ans.
Enfin, vous m'avez interrogé sur le calendrier de la réforme : les ordonnances seront publiées en septembre. Ensuite, nous ouvrirons les discussions sur la formation professionnelle, l'apprentissage et l'assurance chômage cet automne. Nous proposerons une loi sur la sécurisation des parcours professionnels au printemps 2018. La concertation sur les retraites durera plus longtemps avec, pour objectif, de voter un projet de loi à l'automne 2018. La suppression de la cotisation d'assurance chômage salariée interviendra au 1er janvier 2018. Ce calendrier est donc très dense mais nous pensons que tous ces sujets sont liés et qu'il faut travailler à la fois sur l'agilité des entreprises mais aussi sur la sécurisation des parcours. Nous devons mener ces réformes structurelles rapidement pour pouvoir les mettre en oeuvre.
M. Dominique Watrin. - Sur le compte pénibilité, il suffit de lire les réactions de ceux qui s'opposaient à cette réforme : les organisations patronales ont eu gain de cause sur tous les points.
Votre réponse sur les ordonnances m'inquiète : ouvrir le champ des possibles, c'est bien pour un ministre mais les parlementaires souhaiteraient savoir ce qu'ils votent. Or, les ordonnances, c'est un chèque en blanc que vous nous demandez de signer.
J'ai du mal à comprendre la logique de ce projet de loi. Un député de la République en marche le justifiait en disant que le monde change. C'est un peu court. Pourquoi ne pas dire que la terre tourne ? Les Français veulent un emploi qui leur permette de vivre. Vous parlez de rigidité du code de travail. Mais 85 % des embauches se font en CDD ; et le nombre des CDD de moins d'un mois est passé de 1,5 million en 2010 à 4 millions en 2016. Quelle rigidité !
Dans les usines automobiles, plus de 50 % des salariés sont en intérim. Pour autant, il y 5 millions de chômeurs et 2 millions de précaires en France. Si le code du travail doit évoluer, il ne doit pas le faire dans le sens que vous préconisez.
Notre collègue Daudigny a rappelé la note de conjoncture de l'Insee. Pour les employeurs, le code du travail arrive en quatrième position comme frein à l'embauche. Occupons-nous des trois premiers freins !
L'OCDE, qui n'est pas un organisme particulièrement complaisant à l'égard du modèle social français, estime que la France est dans les moyennes européennes et mondiales pour les licenciements individuels et collectifs, les procédures, les préavis, les indemnités. En outre, l'Allemagne apparaît beaucoup plus rigide que notre pays et, pour autant, il y a moins de chômage qu'en France.
Vous aviez présenté dix propositions dans votre rapport sur le bien-être et l'efficacité au travail et vous y souhaitiez le renforcement des CHSCT. Aujourd'hui, vous demandez de les dissoudre dans une instance unique. Je ne comprends pas.
Mme Nicole Bricq. - M. Milon a rappelé que nous avions beaucoup labouré le champ de cette loi d'habilitation, avec les lois Rebsamen, Macron et El Khomri. Ce texte arrive au bon moment : il permettra d'accélérer la croissance qui repose en grande partie sur la confiance. Les organisations salariales et patronales, que nous avons auditionnées, estiment que l'article L. 1 du code du travail, issu de la loi Larcher, est respecté. C'est un bon point.
Un point ne manquait pas d'inquiéter : l'articulation entre les branches et le champ conventionnel laissé aux entreprises. Finalement, les choses se passent mieux que certains le pensaient, et c'est tant mieux.
Avez-vous eu, monsieur le président, communication de la lettre que le Premier ministre a envoyé aux partenaires sociaux sur le compte pénibilité ? Ce serait bien que nous puissions en disposer.
La concertation sur le C3P aura-t-elle bien lieu au niveau de la branche ?
Avec la barèmisation, la faculté d'appréciation du juge est amoindrie d'après certains juristes. Est-ce vraiment le cas ? Vous avez annoncé la semaine dernière aux partenaires sociaux que vous alliez augmenter les indemnités légales. C'est une bonne chose car nous étions en-dessous de la moyenne européenne et cela permettra de réduire les recours aux prud'hommes. Mais ces indemnités continueront-elles à être exonérées de cotisations sociales et fiscales ? Un article dans les Échos d'hier évoque la remise en cause de ces exonérations.
Dans la loi El Khomri, nous avions dit que le télétravail devrait être négocié au niveau des branches. Où en est-on, d'autant que le télétravail se développe de plus en plus en milieu rural ?
M. Jean-Marc Gabouty. - La position du Sénat sur la médecine du travail lors de la loi El Khomri était plus proche de celle des partenaires sociaux que du Gouvernement et de l'Assemblée nationale.
Il existe quatre méthodes possibles pour conclure des accords d'entreprise dans les TPE PME dépourvues de délégués syndicaux : les accords-types d'entreprise négociés au niveau de la branche, disposition née de la dernière loi travail ; les accords avec un mandatement, eux aussi prévus par la loi ; les accords qui pourraient être conclus avec les délégués du personnel et une consultation directe des salariés lorsqu'il n'y a ni délégués ni représentants du personnel. Lorsqu'il y a une consultation directe, le chef d'entreprise discute généralement avec un ou deux chefs de file. Je précise que les délégués du personnel ont souvent été élus au premier tour, donc syndiqués, mais ne veulent pas toujours devenir des délégués syndicaux. Ces accords directs existent déjà en matière d'intéressement et de participation dans les PME où il n'y a pas de délégués syndicaux. Ces accords sont ensuite soumis à la direction du travail. Ces quatre méthodes doivent pouvoir être utilisées.
Les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) ont été élues mais les taux de participation, extrêmement faibles, mettent en cause leur représentativité.
Ces ordonnances auraient pu être l'occasion de toiletter le code du travail d'un certain nombre de dispositifs bavards, inopérants, inutiles. Je pense au dialogue social dans les réseaux de franchise qui a été voulu par l'Assemblée nationale et dont la portée juridique est plus que limitée.
Les conventions collectives traitent du travail en équipe et du travail de nuit, avec des majorations à la clé. Nous avons parlé d'égalité salariale entre hommes et femmes : le taux de majoration des heures supplémentaires aurait pu être du ressort de la branche sauf si celle-ci souhaitait le déléguer aux entreprises. Vous auriez fait plaisir à plusieurs partenaires sociaux, tant du côté patronal que salarial.
Ne serait-il pas opportun de profiter de ces ordonnances pour mieux intéresser les salariés aux résultats des entreprises ? Si l'on leur demande plus de souplesse et de réactivité, il faut leur donner une compensation en renforçant les dispositifs de participation dans les TPE et les PME. Cela dépasse peut-être l'objet du projet de loi. Il constitue sans doute un véhicule plus approprié pour ce type de mesure que le report de mise en oeuvre du prélèvement à la source.
M. Jean-Louis Tourenne. - Tandis que nous avons cette aimable discussion, les auditions et la concertation continuent et apportent des éléments de réponse dont nous ne disposerons pas au moment de voter la loi. C'est ce qui est arrivé de façon encore plus brutale à l'Assemblée nationale. Vous avez parlé de situation ubuesque pour une autre disposition. Aujourd'hui, nous vivons un moment surréaliste.
Les grandes orientations de ce projet de loi d'habilitation sont pleines de bons sentiments mais les informations qui nous arrivent de façon partielle font naître certaines inquiétudes. En outre, vos propos sont parfois contradictoires : vous dites ainsi que la loi d'habilitation ne remplira pas tous ses objectifs. Ainsi, le CPRI figure dans le projet de loi par précaution : quelle incertitude ! Ainsi encore, il n'y aura plus qu'une instance unique afin que chaque délégué syndical ait plus de compétences mais, en même temps, alors qu'il pourrait l'acquérir par expérience, sur le tas, vous voulez limiter le nombre de mandats syndicaux.
La loi d'habilitation prévoit de réduire les délais de recours des salariés licenciés. Jusqu'à quel point ?
Le travail de nuit a toujours été considéré comme une circonstance exceptionnelle. Or, il figurera désormais dans l'accord d'entreprise : le travail de nuit ne va-t-il pas s'en trouver banalisé ?
Sous quelle forme sera pratiqué le télétravail ? Le travail a aussi une fonction sociale. Qui prendra en charge les équipements, les sujétions particulières ? Comment seront organisées les réunions pour éviter l'isolement et la désocialisation ?
Les CDI de chantier n'ont d'indéterminé que le nom, puisqu'ils se limiteront à la durée du chantier ou de la mission. Les CDD ont l'avantage de comporter une prime de précarité. Les contrats de chantiers n'en bénéficieront pas et ne donneront pas lieu à un licenciement de nature économique. Je ne crois absolument pas que les CDI de chantier permettront à leur détenteur de louer ou d'emprunter plus facilement : les propriétaires et les banques sont lucides.
Qu'appelez-vous présomption de légalité de l'accord collectif ? Saisi par un salarié, un juge ne pourrait pas se prononcer sur un tel accord considérant que ce dernier a été voté ? Le salarié serait alors immanquablement débouté.
M. Olivier Cadic. - Ces ordonnances sont bienvenues : il faut avancer vite. Je regrette que vous n'annonciez pas la disparition des CPRI, demandée par beaucoup d'acteurs. À l'évidence, un problème de représentativité se pose. Alors qu'il n'y a que 4 % de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 50 personnes, vous semblez vouloir leur donner plus de pouvoirs.
Pour le chômage, il faut passer de la protection par statut à la protection par personne. Quand bénéficiera-t-on des mêmes droits pour la même fonction ?
L'appartenance aux conventions collectives pourrait-elle devenir facultative, comme cela existe dans d'autres pays européens ?
Nous avons évoqué la médecine du travail avec la délégation sénatoriale aux entreprises : cette médecine protège-t-elle mieux les salariés que dans les pays où elle n'existe pas ? Comment mesurer son impact, comment justifier son existence alors que l'Éducation nationale n'est pas soumise à cette médecine ? Nous ne pourrons pas faire l'économie de ce débat.
Vous voulez aller vite et nous nous en réjouissons. Nous pensons même, comme beaucoup d'entreprises, qu'il faudrait aller encore plus vite. Alors, oui, je suis prêt à vous signer un chèque en blanc pour libéraliser le droit du travail.
Mme Agnès Canayer. - Les ordonnances répondent à l'urgence de la situation. Il faut libérer les entreprises tout en préservant le dialogue social.
Allez-vous modifier les seuils, frein à la croissance des TPE et des PME ?
Le recours accru à la conciliation devant les prud'hommes ne va-t-il pas engorger ces juridictions sans rien apporter de plus ?
Mme Évelyne Yonnet. - Nous devrons avoir le débat sur la médecine du travail car de nouvelles pathologies apparaissent. Ainsi, rien n'a été fait sur les burnout. Une réflexion de fond doit être menée : comment accepter une visite tous les cinq ans ? Il faudrait rehausser la filière de la médecine du travail pour susciter des vocations.
Comme M. Tourenne, je suis des plus réservée sur les CDI de chantier. Nous devons protéger les entreprises mais aussi les salariés. Or, un quart des salariés risque d'être laissé au bord de la route faute de formation dans les prochaines années. La France est l'un des pays où le niveau scolaire est le plus bas : les emplois précaires risquent de se multiplier. L'intérim et les CDD ne cessent d'augmenter. Un CDI de chantier de trois mois ne donnera rien de plus qu'un CDD de même durée.
Je ne comprends vraiment pas la précipitation du Gouvernement alors que cette loi traite de sujets des plus sensibles. Rappelez-vous la loi El Khomri ! Pourquoi ne pas commencer par l'évaluer avant de vouloir tout changer ? Les ordonnances vont-elles permettre de créer des emplois pérennes ? J'en doute.
Quel statut et quels liens sociaux pour les salariés en télétravail ? Ces personnes seront-elles considérées comme de vrais salariés ?
Mme Corinne Féret. - L'article 5 modifie les règles de la pénibilité au travail. De quelles données et études disposez-vous pour proposer cette réforme ? J'ai entendu vos arguments mais j'ai le sentiment que nous sommes plus sur de la réparation que sur de la prévention. Le financement de cette mesure sera-t-il pérenne ?
Mme Françoise Gatel. - Merci d'avoir rappelé que les salariés exercent différents métiers sous différents statuts tout au long de leur vie professionnelle, d'où la nécessaire réforme du droit du travail.
Le renouvellement de la vie politique est en marche et je serais favorable à une limitation du nombre de mandats syndicaux, comme cela est désormais le cas pour les parlementaires. Il faut en finir avec les discriminations.
Les salariés et les entreprises doivent connaître le montant des indemnités prud'homales. Je suis favorable à l'instauration d'un barème mais il faut aussi réduire les délais d'instruction. Allez-vous instaurer des limites en ce domaine ?
M. Jérôme Durain. - Lorsqu'une entreprise licenciera pour motif économique, quel sera le champ géographique retenu pour l'appréciation de ses difficultés ? Jusqu'à présent, c'est le groupe qui est pris en compte mais vous semblez vouloir restreindre le périmètre. Or, l'exemple de Molex nous rappelle l'importance de prendre en considération l'ensemble du groupe.
M. Georges Labazée. - La gestion de l'Unédic est paritaire car elle est financée par les cotisations salariales et patronales. Quelle sera la légitimité des syndicats si les cotisations salariales sont remplacées par la hausse de la CSG ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Merci à ceux qui nous font confiance. Vous disposerez de tous les éléments en ma possession pour éclairer votre jugement. La concertation sociale alimente le débat politique et je suis dans une logique de la plus totale transparence.
L'urgence de ce projet tient à l'attente de nos concitoyens.
Il existe plusieurs leviers pour créer des emplois et tous les sujets doivent être traités, dont le code du travail. L'accélération de la croissance passe par la confiance des acteurs. La libération des énergies et le renforcement du dialogue social sont des impératifs. L'OCDE considère que notre système rigide réduit l'effet de la croissance sur les créations d'emplois, contrairement à d'autres pays européens. Or, nous voulons tous une croissance riche en emploi.
Les partenaires sociaux estiment que l'article L. 1, issu de la loi Larcher, est respecté et je m'en réjouis. La concertation est réelle, ce qui ne signifie pas que tout le monde sera d'accord in fine.
Le C3P est maintenu et nous conservons les dix critères mais le mode de déclaration de quatre d'entre eux sera différent. La branche AT/MP, excédentaire, financera le C3P. Compte tenu de l'évolution des conditions de travail, les travaux pénibles devraient diminuer dans le temps. En outre, les branches seront chargées de la prévention. Aujourd'hui, il y a des branches et des entreprises très dynamiques sur le sujet et d'autres qui le sont moins.
Le Conseil constitutionnel a validé le principe du barème. En revanche, il a refusé la distinction entre petites et grandes entreprises car cela aurait modifié les droits des salariés.
Les indemnités légales sont calculées sur la base d'un cinquième de mois de salaire par an. Elles sont parmi les plus basses d'Europe et cela explique le recours quasi-systématique aux prud'hommes. Un licenciement sur cinq se retrouve aux prud'hommes et 60 % des jugements vont en appel. En outre, certaines branches ont négocié des indemnités conventionnelles assez élevées tandis que d'autres ont prévu des indemnités très faibles.
Non, le Gouvernement n'envisage pas de revenir sur les exonérations fiscales et sociales des indemnités mais il souhaite encourager la médiation en amont ; or, il existe beaucoup moins d'exonérations à ce stade. La réflexion est en cours.
Les délais prud'homaux posent effectivement problème, encore qu'il faille prévoir des délais assez longs pour tout ce qui relève du harcèlement. Aujourd'hui, il existe quatre délais différents : il faudra sans doute simplifier, surtout au regard de la situation dans les autres pays européens.
Le télétravail est un sujet de société intéressant : 60 % des salariés y aspirent. Il n'existe quasiment pas de télétravail à temps plein mais 21 % des cas se déroulent en co-working notamment dans les zones rurales ou les zones fortement urbanisées affectées par les temps élevés de transport. Il ne s'agit pas de travail à domicile mais de travail connecté, d'où un lien social effectif. Les salariés souhaitent travailler en télétravail une ou deux journées par semaine. En revanche, divers sujets ne sont pas bien traités aujourd'hui : si le statut du salarié n'a pas à changer, rien n'est en revanche prévu sur la prise en charge des équipements, sur le droit à la réversibilité et sur les accidents du travail lorsqu'on est chez soi.
Pour les TPE et PME, il faut poursuivre la réflexion et surtout ne pas imposer une solution unique.
Nous avons effectivement décidé de ne pas nous livrer à un toilettage général du code du travail. Les services pourraient présenter une centaine de sujets mais nous avons voulu concentrer le débat sur des questions prioritaires : c'est un choix politique plutôt que technique.
La loi du 8 août 2016 permet de déroger aux taux de majoration des heures supplémentaires. Nous n'y reviendrons pas pour l'instant.
Nous n'avons pas non plus abordé la question de l'intéressement ni de la participation lors des concertations. Les partenaires sociaux se sont concentrés sur leurs priorités. Aujourd'hui, toute entreprise, quel que soit sa taille, peut instaurer ce type de mécanisme. Enfin, dès que des négociations s'engagent dans les entreprises, ce sujet est sur la table.
La limitation du nombre de mandats dans le temps pourra concerner les élus du personnel mais pas les délégués syndicaux, du fait des conventions de l'OIT.
Les délais de recours sont d'un an en cas de licenciement économique et de deux ans pour le licenciement individuel. Nous regardons si une harmonisation est possible.
Les CDI de chantier dureront de 3 à 4 ans : il ne s'agit donc pas de durées comparables à celles des CDD. Ces CDI bénéficieront bien sûr du compte personnel de formation. En outre, les loueurs et les banques ne sauront pas qu'il s'agit d'un CDI de chantier. Enfin, l'intérêt des entreprises étant de cumuler les grands chantiers, elles voudront conserver leurs salariés. Ces derniers ne s'y tromperont pas et préfèreront bien sûr un CDI de chantier à un CDD.
La présomption de légalité est un simple rappel du régime général de la preuve : celui qui contestera le caractère illégal d'un accord devra en apporter la preuve.
Plusieurs d'entre vous m'ont encouragée à passer de la logique de statut à celle de personne : c'est fondamental pour l'évolution de notre droit dans les années à venir ; nous y reviendrons lorsque nous examinerons l'assurance chômage et la formation professionnelle. Pour le futur, il faudra insister sur la formation, la compétence et nous instaurerons des filets de sécurité liés à la personne plus qu'au statut.
L'adhésion à une convention collective est facultative mais vous posez implicitement le sujet des extensions automatiques. Nous allons demander aux branches de regarder comment leurs accords s'appliquent dans les TPE et les PME. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas et c'est regrettable.
J'attends le rapport de l'Igas sur la médecine du travail, notamment sur les questions de recrutement.
Il existe deux types de seuils : les seuils sociaux et fiscaux, qui ont des effets de coûts et sont d'ores et déjà lissés, et les seuils pris en compte pour la représentation du personnel, sur lesquels nous sommes en train de discuter.
De grandes mutations technologiques sont encore à venir et un grand nombre de salariés, de demandeurs d'emplois et de jeunes risquent de rester sur le bord du chemin si nous n'investissons pas massivement dans les compétences et la formation. Il nous fallait un plan Marshall des compétences, d'où notre plan d'investissement compétences sur lequel nous reviendrons prochainement.
Alors que nous réduisons les dépenses de l'État, cet investissement sera réalisé afin de préparer les mutations à venir : grâce à ces nouvelles compétences, nos emplois seront préservés et les entreprises gagneront des marchés.
Nous reparlerons bientôt de l'assurance chômage.
Nous sommes le seul pays européen à avoir créé un motif national d'appréciation des licenciements économiques. Aujourd'hui, 60 % des investissements étrangers en France sont européens, soit 2 millions d'emplois directs. Mais les investisseurs ont le sentiment que s'ils peuvent investir dans notre pays, ils ne peuvent pas se retirer. De nombreuses entreprises investissent donc un peu chez nous car elles trouvent des compétences, de la main d'oeuvre qualifiée, de la productivité et des infrastructures mais elles réalisent le gros de leurs investissements dans d'autres pays où elles savent pouvoir désinvestir en cas de problème. La plupart des entreprises ont un comportement responsable mais nous devrons prendre quelques dispositions pour les entreprises qui pourraient susciter des difficultés artificielles. Avoir une harmonisation européenne sur l'appréciation géographique des difficultés économiques ne serait pas absurde.
Nous souhaitons aller vers un code du travail numérique pour aider les entreprises et les salariés à obtenir des réponses rapides et compréhensibles. Il faudra qu'ils sachent ce que la loi et la branche disent. Le dialogue social sera ainsi bien nourri.
M. Alain Milon, président. - Merci, madame la ministre, pour cette audition.
Nous nous retrouverons demain matin pour l'examen du projet de loi.
La réunion est close à 19 h 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat
Mercredi 19 juillet 2017
- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -La réunion est ouverte à 9 h 40.
Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Gérard Dériot, président. - Notre rapporteur sur ce projet de loi n'est autre que le président de notre commission !
M. Alain Milon, rapporteur. - Notre commission effectue aujourd'hui sa rentrée législative avec un texte qui habilite le Gouvernement à modifier par ordonnances plusieurs aspects structurants du code du travail. Qu'il s'agisse de l'articulation entre la loi, la négociation collective et le contrat de travail, des institutions représentatives du personnel (IRP), des règles de licenciement ou encore du compte personnel de prévention de la pénibilité, le champ de ce projet de loi est extrêmement vaste et touche à des domaines qui sont parmi les plus techniques de notre droit social.
Compte tenu des contraintes de calendrier inhérentes à cette session extraordinaire, il aurait été préférable de limiter ce texte aux sujets les plus importants et urgents. Dans les délais extrêmement resserrés qui nous sont imposés, nous devons nous prononcer sur des habilitations touchant à près d'une quarantaine d'aspects de la législation du travail, dont certains auraient pu être traités ultérieurement.
Je souhaite qu'à l'avenir, comme l'a très justement demandé le Président de la République devant le Congrès le 3 juillet dernier, le Parlement dispose du temps nécessaire pour concevoir, discuter et voter la loi.
Pour autant, nous ne pouvons qu'approuver la philosophie de ce texte. Je soutiens résolument la volonté du Gouvernement de libérer les entreprises des contraintes juridiques qui entravent leur développement au détriment de l'emploi et de restaurer la compétitivité et l'attractivité de notre économie.
J'observe avec satisfaction que le projet de loi s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat réalisés depuis 2015 et reprend un très grand nombre de nos propositions. Rationalisation des IRP, harmonisation juridique des accords de flexisécurité, simplification du compte personnel de prévention de la pénibilité ou encore création du barème obligatoire prud'homal : autant de thématiques sur lesquelles le précédent gouvernement nous avait opposé une fin de non-recevoir. Que de temps perdu depuis deux ans ! Sur certains points - par exemple, l'article 7 - le Gouvernement nous donne même raison face à la précédente majorité.
Je m'interroge sur la méthode : le Gouvernement nous demande de l'habiliter à prendre des ordonnances, qui ne sont que des contenants, alors même que la définition de leur contenu est loin d'être arrêtée. La concertation avec les partenaires sociaux devrait en effet se poursuivre jusqu'à la veille de la publication des ordonnances, annoncée pour la fin du mois de septembre. Les dispositions qu'entend arrêter le Gouvernement restent dans l'ensemble très floues, en dépit des deux bilans d'étape sur l'évolution de la concertation publiés récemment par le ministère. Après avoir traité de thèmes relativement consensuels, la concertation sociale a abordé des sujets sur lesquels les positions des partenaires sociaux apparaissent difficilement conciliables, comme la réforme des IRP ou celle du licenciement économique. Le Gouvernement a jusqu'à présent refusé d'abattre ses cartes : ce peut être un choix stratégique... ou un signe d'hésitation.
Notre assemblée est convaincue que la réussite d'une réforme en droit du travail dépend de la qualité du dialogue social qui l'a précédée. Depuis 2007 et la création par Gérard Larcher de la concertation préalable des partenaires sociaux, procédure inscrite à l'article L. 1 du code du travail, aucune réforme d'envergure n'a été conduite sans qu'ils soient saisis, même s'ils ont parfois refusé d'ouvrir une négociation.
Le Gouvernement n'a pas rompu avec cette tradition, comme l'a reconnu le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi. Je déplore néanmoins les délais très courts imposés aux partenaires sociaux, le choix du Gouvernement de ne pas formuler des propositions concrètes qui leur auraient permis de réagir ainsi que l'absence de réunions multilatérales pour confronter tous leurs points de vue.
Comme souvent, le temps de la démocratie sociale ne correspond pas à celui de la démocratie parlementaire, et leur articulation reste perfectible. Il est, pour nous parlementaires, malaisé de nous dessaisir de l'élaboration d'une réforme dont le contenu précis sera défini après notre vote par le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Ce projet de loi d'habilitation compte dix articles. L'article 1er donne une place centrale à l'accord d'entreprise dans l'organisation des relations individuelles et collectives de travail, approfondissant ainsi la dynamique de la loi « Travail », tout en sanctuarisant le rôle régulateur de la branche. L'accord d'entreprise primerait sur toute autre norme conventionnelle, sauf dans les matières réservées par la loi à l'accord de branche ou dans celles, limitativement énumérées par la loi, que les partenaires sociaux de la branche décideraient de ne pas déléguer en les verrouillant.
Cet article prévoit également la suppression de la commission de refondation du code du travail, créée par la loi « El Khomri » et qui n'a jamais vu le jour. Le Gouvernement envisage donc de se dispenser d'une expertise extérieure pour appliquer cette nouvelle architecture à l'ensemble du code du travail et plus seulement aux rémunérations et aux conditions de travail, comme initialement envisagé.
Le texte harmonise et simplifie les conditions de recours aux accords de flexisécurité, à l'instar des accords de maintien de l'emploi (AME) de 2013 et des accords de préservation et de développement de l'emploi (APDE) de 2016. De manière plus large, il pourrait autoriser la création d'un régime juridique unique de la rupture du contrat de travail d'un salarié refusant l'application d'un accord collectif.
Dans le même sens, il donne une plus grande stabilité aux accords d'entreprise en cas de contentieux, en autorisant le juge à moduler dans le temps les effets d'une éventuelle annulation et à encourager le recours à la consultation des salariés pour valider un accord d'entreprise, sans toutefois à ce stade autoriser l'employeur à prendre l'initiative d'y recourir.
Enfin, l'article 1er modifie en profondeur les règles du mandatement syndical afin de faciliter la conclusion d'accords dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical.
L'article 2 pose les jalons de la plus profonde réforme de la représentation des salariés dans l'entreprise depuis trente ans. Il prévoit en effet une indispensable rationalisation. Je vous rappelle qu'aujourd'hui peuvent cohabiter dans les entreprises d'au moins cinquante salariés les délégués du personnel (DP), chargés de faire part à l'employeur des réclamations individuelles et collectives des salariés ; le comité d'entreprise (CE), qui doit être régulièrement informé et consulté sur la marche de l'entreprise ; et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), dont la mission est notamment de prévenir les atteintes à la santé et à la sécurité des salariés.
L'article 2 habilite le Gouvernement à procéder à leur fusion en une instance unique. Cette mesure de simplification est souhaitée par nombre d'employeurs et même par de nombreux salariés, conscients du caractère illisible du système actuel. De nombreux points restent toutefois à préciser, notamment sur les moyens de cette nouvelle instance. Il conviendra de garantir sa capacité à ester en justice ainsi que la reprise intégrale des missions du CHSCT. En même temps, cette réforme n'aura du sens que si elle s'accompagne d'une plus grande efficience dans le fonctionnement de la représentation du personnel en entreprise.
Une incertitude existe sur l'intégration du délégué syndical (DS) dans cette instance unique. Contrairement aux IRP, le DS est chargé de défendre face à l'employeur des revendications, et non des réclamations, au nom des salariés. Surtout, il dispose du monopole de négociation des accords d'entreprise. Le transfert de cette compétence à l'instance unique, qui reste facultatif selon le projet de loi, marquerait une évolution majeure dans l'organisation du dialogue social dans l'entreprise. Elle est souhaitable mais ses conséquences juridiques n'ont sans doute pas toutes été clairement identifiées à ce jour.
L'article 2 promeut également le développement du chèque syndical qui donne la liberté aux salariés de financer le syndicat de leur choix grâce à des bons fournis par leur employeur. Les expériences menées jusqu'à présent, notamment chez Axa, ont produit des résultats mitigés. L'objectif affiché d'augmenter le taux d'adhésion syndicale n'aurait pas été atteint et un salarié sur deux seulement utiliserait cet outil.
Le Gouvernement veut renforcer le rôle des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) qui représentent les salariés et les employeurs des TPE. Les députés ont préféré « redéfinir leurs missions ». Ces commissions, instituées par la loi « Rebsamen » contre l'avis du Sénat, ont été mises en place au 1er juillet dernier. N'est-il pas prématuré de les faire évoluer ?
L'article 3 instaure tout d'abord un référentiel obligatoire pour définir les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce référentiel avait été adopté dans le cadre de la loi « Croissance et activité » de 2015 sans susciter de polémique, avant que le Conseil constitutionnel ne le censure - tout en validant son principe. Il ne remet pas en cause les règles spécifiques applicables aux licenciements entachés par des actes de harcèlement ou de discrimination. Il est très attendu par les TPE et PME pour lesquelles la très grande hétérogénéité et l'imprévisibilité des jugements prononcés par les conseils de prud'hommes sont incompréhensibles et parfois préjudiciables à leur développement.
Ces mêmes employeurs sont parfois condamnés pour des irrégularités de pure forme dans la procédure de licenciement. L'article résout ce problème en faisant primer le fond sur la forme et en ouvrant la voie à une régularisation en cours de procédure contentieuse.
L'article 3 autorise également le Gouvernement à définir le périmètre géographique et le secteur d'activité dans lesquels doit être appréciée la cause économique d'un licenciement prononcé par une entreprise appartenant à un groupe international. En l'absence de définition légale, il est revenu au seul juge judiciaire de déterminer le niveau pertinent. Il s'agit le plus souvent, d'après une jurisprudence constante de la Cour de cassation, du niveau européen - voire mondial dans certaines affaires. Cette approche n'est pas partagée par la majorité de nos voisins et méconnaît la réalité économique.
Cet article encourage aussi le développement de certaines formes particulières d'emploi. Les accords de branche pourront ainsi adapter les règles de recours au CDD, à l'intérim et au « CDI de chantier ». Le développement du télétravail est encouragé, tout comme le prêt de main d'oeuvre entre de grands groupes et des start up.
Le Gouvernement entend également renforcer la conciliation prud'homale. Je crains que ce souhait n'ait pas plus d'effets que les mesures prises depuis 2013. Seule une réforme globale et ambitieuse des conseils de prud'hommes pourrait corriger les graves dysfonctionnements, liés notamment à un manque criant de moyens et de formation, qui pénalisent employeurs comme salariés.
Les députés ont adopté un amendement du Gouvernement prolongeant de trois mois le mandat des conseillers prud'hommes sortants, qui arrive à expiration le 1er janvier prochain, afin qu'ils puissent juger les dernières affaires dont ils auront eu à connaître.
L'article 4, très technique, adapte les règles d'extension et d'élargissement des accords de branche.
L'article 5 constitue le socle de la réforme à venir du compte personnel de prévention de la pénibilité que le Sénat n'a eu de cesse d'appeler de ses voeux. Le Premier ministre en a récemment présenté les grandes lignes et vous avez sous les yeux la lettre qu'il a adressée sur ce point aux partenaires sociaux. Les quatre critères de pénibilité les plus difficiles à mesurer - manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques dangereux - ouvriront droit à un départ anticipé à la retraite, après examen médical, en cas de maladie professionnelle ayant conduit à un taux d'incapacité d'au moins 10 %. Leur suivi annuel n'aura plus à être réalisé par l'employeur. Par ailleurs, le financement de ce dispositif sera désormais assuré par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) : nous en débattrons sans doute lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le Gouvernement pourra procéder à la mise en cohérence du code du travail pour tenir compte des différentes lois adoptées depuis 2015 en application de l'article 6. L'article 7 proroge d'un an la période transitoire dont disposent certains commerces pour s'adapter à la réforme du zonage dérogatoire en matière de repos dominical. L'article 8 fixe à trois mois à compter de la publication des ordonnances le délai de dépôt de leurs projets de loi de ratification. L'article 8 bis, inséré en séance publique à l'Assemblée nationale, est une demande de rapport, dans un délai de dix-huit mois, sur les effets des ordonnances - on sait ce qu'il en sera... Enfin, l'article 9 autorise le report d'un an de la mise en place du prélèvement à la source. Notre commission en a délégué l'examen au fond à la commission des finances.
Le périmètre et les implications de ces réformes sont comparables à ceux de la loi « Travail » qui nous avait mobilisés l'an dernier pendant deux semaines entières dans l'hémicycle. Nous n'en sommes certes qu'au stade de l'habilitation mais les délais et les conditions d'examen de ce texte ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Ce texte place sur un pied d'égalité des réformes structurelles ou techniques urgentes, d'autres tout aussi importantes mais moins urgentes ainsi que différentes mesures plus secondaires qui auraient eu davantage leur place dans un projet de loi ordinaire ultérieur. Le Gouvernement fait le pari qu'il pourra publier toutes les ordonnances dans un délai de six mois à compter de la promulgation de cette loi, à l'exception de celles de coordination prévues à l'article 6 pour lesquelles le délai est de douze mois.
Sans remettre en cause son équilibre général, je souhaite renforcer l'ambition de ce texte en poursuivant trois objectifs : développer la compétitivité et l'attractivité de l'économie ; tenir compte des spécificités des petites entreprises ; rationaliser notre droit du travail au profit des salariés et des employeurs. C'est l'objet des amendements que je vous présenterai.
Même si je n'appartiens pas à la majorité présidentielle, je souhaite sincèrement le succès de cette réforme qui peut moderniser le modèle social français en levant les trop nombreux freins qui pèsent sur l'emploi. Nous habiliterons la semaine prochaine le Gouvernement à transformer notre droit social. J'espère qu'il sera à la hauteur des attentes du Sénat : nous en jugerons lors de l'examen des projets de loi de ratification.
La commission mixte paritaire devrait se tenir lundi 31 juillet prochain à l'Assemblée nationale. Celle-ci prévoit dans sa délégation quatre députés En Marche, un député du Modem et deux de l'opposition, alors que jusqu'alors trois sièges étaient laissés à l'opposition dans chaque chambre. Si nous continuons à respecter nous-mêmes cette tradition, le Sénat n'aura pas son mot à dire sur ce texte.
M. Gérard Dériot, président. - La démocratie est en danger ! En République, c'est elle qu'il faut protéger avant tout.
M. Georges Labazée. - L'article 2 fusionne les CHSCT à un ensemble plus vaste. J'y suis très réticent. La santé des employés est un domaine bien spécifique, indépendant des négociations salariales ou des accords, qu'ils soient de branche ou d'entreprise. Quant aux conseils de prud'hommes, ils ont fait l'objet de nombreuses propositions de réforme par notre commission, notamment lors de l'examen de la loi « Rebsamen ». Il est désormais question de les faire quasiment disparaître, faute de moyens. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est exactement ?
Mme Catherine Deroche. - On ne peut que se réjouir de ce projet de loi, qui libèrera les entreprises comme nous le souhaitons depuis des années. Il profitera aussi aux plus petites, ce qui n'a pas été le cas pour les textes précédents, inspirés par le Medef et contre lesquels elles s'étaient insurgées. Je pense par exemple aux décrets ubuesques sur la pénibilité, imposant de mesurer l'angle exact de certaines postures au travail... Il a fallu plusieurs années au Gouvernement pour prendre conscience de l'absurdité de la chose. Il l'a fait, tant mieux ! Il faudrait néanmoins prévoir une clarification du contenu des ordonnances à venir. Sur ce point, j'attends avec impatience la présentation des amendements du rapporteur.
Nous avons reçu la semaine dernière les organisations syndicales. Alors que le Gouvernement parle d'un dialogue social formidable, l'une d'entre elles, réputée réformiste, a exprimé d'importantes réserves ; une autre, dont on nous disait qu'elle resterait silencieuse parce qu'elle représente surtout le secteur public qui n'est guère concerné, s'est montrée très critique... La CPME, coeur de cible en quelque sorte, parle certes d'avancées. La situation n'est en tout cas pas si idyllique ! Il est vrai qu'il est étrange de travailler en concertation sur un texte aussi mouvant. Mon groupe sera favorable à ce projet de loi d'habilitation, sous réserve des conclusions de la CMP. Je suis étonnée que cinq sièges soient attribués à des députés de la majorité... Sauf à considérer que le Modem est dans l'opposition ?
Mme Catherine Génisson. - Libérer l'énergie des entreprises, très bien. Je partage cependant les interrogations du rapporteur sur la méthode. Le CHSCT est un organe à part. La ministre nous dit qu'il ne doit pas s'exonérer des exigences liées à la productivité. Certes, mais de bonnes conditions de travail en sont un ingrédient essentiel ! Il faut préserver intégralement ses fonctions. Quant à la pénibilité, je veux bien qu'on fasse appel à des experts pour évaluer les quatre critères les plus délicats. Mais on en revient à la démarche antérieure qui consistait à l'associer à une réparation, quand nous souhaitions que sa reconnaissance débouche sur la possibilité de partir à la retraite en bonne santé. Le texte parle d'un taux d'incapacité de 10 %, comme le faisait la loi Fillon que nous avions combattue. L'objectif est de reconnaître un droit, pas de réparer une invalidité qu'on aura laissé survenir.
M. Dominique Watrin. - Nous voterons contre ce rapport qui s'inscrit dans la logique des ordonnances annoncées. Nous rejoignons toutefois le rapporteur dans sa dénonciation de la précipitation du Gouvernement qui cherche ainsi à déjouer toute contestation sociale. D'ailleurs, le rapporteur a dit la semaine dernière tout le mal qu'il pensait des ordonnances et ses critiques, aujourd'hui atténuées, étaient justes car le Parlement se trouve dessaisi d'une large part de son pouvoir. Vous dites également que le Gouvernement reprend nombre d'éléments du programme de la majorité sénatoriale. Voilà qui est clair et l'est encore plus dans la bouche de Christian Jacob qui a déclaré à l'Assemblée nationale que la ministre a repris 80 % d'une proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains !
Notre critique de ce texte est globale et nous l'expliciterons en séance publique, en dénonçant un par un les reculs qu'il comporte dans les protections des salariés. Ainsi, l'article 1er donne une place centrale aux accords d'entreprises, ce qui est une rupture historique qui facilitera le dumping social. Le recours unilatéral au référendum par l'employeur est très dangereux et dénature le sens même du droit du travail, élaboré au fil du temps pour compenser le lien de subordination.
La fusion des IRP est un recul grave et la disparition du CHSCT comme entité autonome aura des conséquences considérables. C'est la fin du contrôle spécialisé des conditions de travail, alors même qu'une agence de santé a révélé récemment qu'un salarié sur huit est exposé à un facteur cancérigène.
L'appellation de CDI de chantier n'est rien d'autre qu'un détournement de langage, puisque ces contrats sont pires que des CDD ! Ils n'ouvriront pas droit à la prime de précarité. Nous contestons également la barèmisation des indemnités prud'homales qui avait été retirée sous la pression sociale et en raison de la position du Conseil constitutionnel. Il n'y a pas à voir d'injustice dans la différence des jugements rendus car le but est d'indemniser un préjudice qui par définition varie selon les situations individuelles. C'est faire peu de cas de cette institution paritaire qui a démontré son utilité.
Nous contestons tout autant la modification du périmètre d'appréciation des difficultés économiques décidée à l'Assemblée nationale, censée favoriser l'investissement étranger en France. Quand on connaît l'agilité dont font preuve les grands groupes internationaux pour mettre en difficulté telle de leur filiale afin d'accroître leur rentabilité boursière, on peut imaginer que cette disposition sera détournée de son but.
Cette énième réforme du travail ne répond nullement aux graves problèmes du chômage et de la précarité. Comment accepter que des salariés ne parviennent pas à vivre de leur travail ? La ministre ne nous a pas expliqué en quoi ce texte va créer de l'emploi. Il s'agit surtout de reprendre de vieilles lunes patronales. Sous couvert de modernisation, ce projet de loi est largement inspiré par le Medef. Pierre Gattaz a promis la création d'un million d'emplois : nous verrons ce qu'il en sera. Venant d'un gouvernement si sensible aux évolutions technologiques, ce texte ne règle aucun des problèmes liés au numérique. Or les travailleurs qu'on appelle indépendants sont souvent subordonnés à une plateforme numérique, sans bénéficier des protections offertes par le code du travail. Et aucun bilan n'a été fait des apports des lois précédentes. Nous voterons contre ce texte.
M. Philippe Mouiller. - Bravo au rapporteur pour cet exercice difficile, contraint par des délais très courts et avec des informations délivrées au compte-goutte. Il faut faire encore davantage pour les plus petites entreprises. Nous attendons vos amendements avec impatience. Pourquoi le Sénat, qui a déjà beaucoup travaillé sur ces sujets, ne se ferait-il pas force de proposition au lieu d'attendre que les ordonnances soient rédigées par le Gouvernement ?
M. Jean-Louis Tourenne. - Je partage les observations formulées sur la méthode : il n'y a pas urgence ! Le Président de la République a toujours prétendu qu'il fallait avant tout évaluer l'existant. Or la loi « El Khomri » a été votée tout récemment et n'a nullement été évaluée. La précipitation du Gouvernement est regrettable. Je note que vous n'avez pas boudé votre plaisir à rappeler sur quels points vous avez eu raison avant tout le monde ou sur quels sujets le Gouvernement nous a donné raison : à la bonne heure !
Des deux ambitions de ce texte - accroître la compétitivité des entreprises et assurer davantage de sécurité aux salariés - seule la première est réellement servie. Pour les salariés, il n'y a que des régressions. Le plafonnement des indemnités prud'homales est inacceptable et contraire au droit français, dans lequel tout jugement doit être individualisé. La réduction des délais de recours sur les accords collectifs n'a d'autre but que de compliquer le dépôt d'un recours. Avec la lettre standardisée, le licenciement se transforme en une formalité administrative, ce qui est choquant quand on pense à ce qu'il recouvre de détresse humaine. Le travail de nuit doit rester exceptionnel et justifié par des circonstances particulières, c'est un principe fondamental. Ce texte le banalise.
Les CDI de chantiers durent... la durée du chantier. CDI n'est pas le meilleur nom à leur donner. Aucune prime de précarité n'y est associée et ils déboucheront sur des licenciements non économiques, donc avec une indemnisation réduite.
Je partage entièrement le point de vue de Catherine Génisson sur la pénibilité : ce texte renverse l'optique qu'avait adoptée le législateur. C'est sur la prévention qu'il faut travailler, pas sur la réparation.
La fonction syndicale subit des régressions par rapport à la loi « El Khomri ». Le mandatement disparaît. La négociation dans l'entreprise pourra se faire directement, en l'absence de syndicat, avec le délégué du personnel. S'il n'y en a pas, comment pourrait-il y avoir négociation ? Les deux parties doivent être au même niveau de maîtrise du droit. Et le référendum d'initiative patronale est toujours envisagé. Il faut absolument conserver le CHSCT, qui doit conserver la possibilité d'ester en justice. Je ne participerai pas au vote.
M. Yves Daudigny. - J'avais suivi attentivement les discussions sur la loi « El Khomri », que j'ai votée avec conviction. Je partage la philosophie de ce projet de loi - mais n'engage pas, sur ce point, mon groupe. Je m'appuie sur la position des syndicats réformistes, qui a évolué depuis les débats sur la loi « El Khomri ». J'ai bien sûr des réserves sur la procédure mais, en 1982, les parlementaires ont-ils eu plus d'informations sur les ordonnances que préparait le gouvernement Mauroy ? Il est vrai qu'il s'agissait de donner une cinquième semaine de congés payés...
Le diable est dans les détails, or nous ne connaissons pas le contenu des ordonnances. La ministre a évoqué à plusieurs reprises le monopole de négociation des accords d'entreprise, mais il n'y a pas de solution satisfaisante. Le Gouvernement veut rénover le dialogue social, ce qui suppose deux partenaires, et le deuxième ne peut être constitué que par les syndicats. Nous devons y veiller, tout en imaginant des adaptations pour les plus petites entreprises. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'article 4 ?
M. Jean-Pierre Godefroy. - Fusionner les IRP ? Il n'est pas interdit d'y réfléchir mais cela portera un coup grave aux missions du CHSCT. Celui-ci est là pour vérifier les conditions de travail et préserver la santé des travailleurs. Quid s'il est fusionné au sein d'une instance ayant pour vocation d'accroître la productivité ? Il doit au moins garder la possibilité d'ester en justice. Rappelons-nous la création des comités permanents amiante, censés vérifier les conditions d'utilisation de l'amiante et qui n'ont fait que l'autoriser sous conditions, ce qui a été déplorable pour les travailleurs. Ce texte m'inquiète pour la santé des travailleurs : remise en cause du compte pénibilité, suppression du CHSCT, transfert de la prévention à la branche AT-MP... Nous quittons la logique de prévention pour une logique de réparation. Or le rapport que j'avais rédigé avec Catherine Deroche montrait bien que la prévention devait être prioritaire, et la Cour des comptes a souligné que la branche AT-MP ne faisait pas suffisamment de prévention.
L'application d'un barème aux indemnités pour licenciement abusif est une erreur. En droit français, la peine est individualisée, la réparation aussi ! Le préjudice pour un licenciement abusif varie selon les cas, et confier au juge son évaluation est un frein aux licenciements abusifs.
Les contrats de chantier étaient une dérogation réservée à la sphère du bâtiment. Pourquoi cette généralisation ? Allons-nous passer des intermittents du spectacle aux intermittents de l'emploi ?
Enfin, on nous demande d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Soit. Mais si nous ne votons pas la loi de ratification de ces ordonnances, que se passera-t-il ? Eh bien, ces ordonnances resteront en vigueur. Simplement, elles auront valeur règlementaire, et pourront être contestées devant le tribunal administratif. En somme, c'est un 49-3 déguisé ! Voter une loi d'habilitation revient dès lors à se passer la corde au cou...
Mme Laurence Cohen. - Bravo, c'est clair !
M. Jean-Marc Gabouty. - J'approuve le rapport, tout en m'interrogeant sur la méthode. Plusieurs candidats à la présidentielle avaient annoncé des ordonnances. L'exercice est frustrant, car nous débattons sur le contenu mais ne votons que sur le contenant. Nous avons là l'un des six textes annoncés pour rénover en profondeur notre modèle social. Les cinq autres concerneront le pouvoir d'achat, la formation professionnelle, l'assurance-chômage, l'apprentissage et le système de retraite. Du coup, ce qui ne relève pas des cinq autres doit selon moi trouver sa place dans celui-ci. Ainsi, de la simplification du code du travail, qui est indispensable.
Le Gouvernement a bien fait figurer un article 9 ayant tout d'un cavalier. Philippe Mouiller a raison : essayons de faire passer nos propositions dans ce texte. Ce qu'attendent les acteurs économiques et sociaux, c'est une simplification.
Pour l'instant, nous ne connaissons ni les planchers ni les plafonds des référentiels des indemnités prud'homales. S'ils sont trop élevés, la réforme sera inutile. S'ils sont trop bas, le risque sera un nivellement. Et quid des procédures d'appel ?
Je suis contre les usines à gaz comme le compte pénibilité. Mais la prise en compte a posteriori de la pénibilité par le biais d'un taux d'incapacité m'interpelle, même si cela avait été prévu dans la loi Fillon. Il aurait fallu rechercher d'autres critères.
J'ai entendu les arguments avancés par certains sur le travail de nuit. N'oublions pas que celui-ci n'est pas uniforme ! Il ne s'agit pas forcément de travailler de 22 heures à 6 heures du matin. Parfois, c'est jusqu'à 23 heures, ou à partir de 5 heures. Le travail de nuit ne doit pas être considéré comme absolument exceptionnel.
Je suis favorable au texte du Gouvernement dans son ensemble, sous réserve que nous puissions l'améliorer, et je suis favorable au rapport.
M. Daniel Chasseing. - Je suis tout à fait favorable au rapport. La compétitivité et la baisse des charges sont primordiales pour l'emploi. Or les petites entreprises sont bloquées, dans leur développement, par le code du travail. Lorsqu'elles manquent de vision quant aux charges du travail, elles préfèrent ne pas embaucher plutôt que de risquer de licencier. Ce projet de loi n'est ni une régression ni une précarisation. La précarisation, c'est le chômage ! Ce texte aide les entreprises à embaucher et parfois malheureusement à débaucher plus facilement. Le code du travail a été conçu pour les grandes entreprises ; les petites dénoncent des plafonds d'indemnités prud'homales qui vont de un à cinq selon les juridictions. Il faut un seul plafond. Dans la même veine, le délai de deux ans pour faire un recours contentieux est bien trop long. Enfin, le compte pénibilité actuel est impossible à mettre en oeuvre par les chefs d'entreprise. Il faut qu'il soit gérable !
Mme Nicole Bricq. - Je voudrais faire un rappel historique, en matière de méthode. Au début du quinquennat précédent, les accords nationaux interprofessionnels, une fois conclus, avaient été transposés dans des projets de loi puis transmis au Parlement pour qu'il légifère. Nous n'avions pas pu en modifier une virgule. Là, les parlementaires jouissent d'une liberté d'action bien plus grande.
Agir vite n'est pas se précipiter. Ce n'est pas parce que le débat à l'Assemblée nationale a été indigent qu'il le sera au Sénat, qui a un avantage compétitif : il est allé au bout de l'examen des lois « Rebsamen », « Macron » et « El Khomri », y passant des jours et des nuits, contrairement à l'Assemblée nationale dont les débats ont été interrompus par le 49.3. Nous ne découvrons pas ces sujets.
La méthode est inédite mais il ne faut pas s'étonner que le chemin se fasse en marchant, camino caminando. Ce projet de loi supprime la querelle sur l'application de l'article L. 1 issu de la loi Larcher. Les organisations syndicales et patronales ont toutes dit que les conditions étaient remplies.
Logiquement, l'article 1er de la loi « El Khomri », qui crée la commission de refondation du code du travail, doit être abrogé.
Nous avons eu une discussion infernale sur l'inversion de la hiérarchie des normes que l'article 2 de la loi « El Khomri » aurait créée. En droit pur, c'est faux. On nous demande plutôt d'élargir le champ conventionnel en consacrant le principe de la primauté de l'accord d'entreprise. La loi et le code du travail demeurent !
À la commission des affaires sociales, nous sommes six membres du groupe La République en marche. Nous nous opposerons à tout amendement accroissant la flexibilité ainsi que tout ce qui rejette la logique du texte. Quant aux amendements du rapporteur, nous les étudierons avec beaucoup d'attention.
Mme Isabelle Debré. - Félicitations au rapporteur. Dans son rapport, il précise que ce texte place sur un pied d'égalité des réformes structurelles ou techniques urgentes et d'autres tout aussi importantes mais moins urgentes. Les acteurs attendent avant tout de la stabilité et de la sécurité juridique. Nous légiférons beaucoup trop, beaucoup trop souvent.
Hier, la ministre a déclaré travailler sur les seuils. Monsieur le rapporteur, avez-vous de nouvelles informations à ce sujet, depuis hier soir ? Selon le seuil, les obligations des entreprises changent considérablement.
Avec Nicole Bricq, nous faisons partie du Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié (Copiesas). Nous nous sommes réunis il y a quelques mois sous la présidence de Christophe Castaner. On nous avait promis des avancées. Les entreprises de dix à cinquante salariés qui ne disposent pas de délégué syndical mais d'un représentant du personnel ou d'une personne mandatée par un syndicat - on sait que le mandatement ne fonctionne pas - pâtissent d'une iniquité évidente.
Je compte sur Nicole Bricq, qui est proche du pouvoir, pour l'influencer sur le sujet de la participation.
Mme Annie David. - Je partage le sens de l'intervention de Dominique Watrin. J'entends l'expression « libérer les entreprises ». Oui, mais pour quoi ? Pour faire plus de profits ou pour créer des emplois ? À l'issue de ce texte, je doute qu'il y ait beaucoup de créations d'emplois... On parle des entrepreneurs : n'oublions pas les salariés. On dit que ce texte serait gagnant-gagnant. Les grands gagnants, ce sont les employeurs. L'impact sur la création d'emploi est minime.
Dans sa dernière note de conjoncture, l'Insee place la crainte de ne pouvoir licencier en quatrième position seulement des freins à l'embauche ; le premier est le carnet de commande et le deuxième, le paiement dans les temps par les donneurs d'ordre.
Hier, la ministre a dit qu'elle venait pour la première fois à la commission des affaires sociales. C'est la deuxième. Elle était déjà venue, invitée par le groupe de travail sur le mal-être au travail. Avec Jean-Pierre Godefroy, nous avons rédigé un rapport très intéressant. En 2010, dans le rapport Bien-être et santé au travail, Muriel Pénicaud écrivait : « La santé au travail réconcilie le social et l'économique. Investir dans la santé au travail est d'abord une obligation sur le plan humain : de plus, ce n'est pas une charge, c'est un atout pour la performance. » Son discours a un peu changé... Parmi les facteurs de stress, elle citait la peur du chômage, l'utilisation à mauvais escient des nouvelles technologies, la financiarisation accrue de l'économie, les difficultés dans les relations avec la hiérarchie, surtout lorsque l'isolement réduit les temps d'échange et de passage des consignes. Elle préconisait en conclusion une place accrue pour le CHSCT, que ce texte élimine, ou plutôt fusionne. Si une entreprise est répartie sur plusieurs sites, chaque site dispose bien d'un CHSCT, mais pas de l'ensemble des IRP. Cette fusion d'instances est une mauvaise chose.
Pas moins de 92 % des contentieux prud'homaux concernent des licenciements abusifs. En plafonnant les indemnités, on donne un blanc-seing aux employeurs malhonnêtes.
Mme Nicole Bricq. - Ce ne sont pas les indemnités que l'on plafonne !
Mme Annie David. - Le rapporteur explique que les employeurs sont parfois condamnés pour des irrégularités de pure forme dans la procédure de licenciement et que l'article 3 vise à répondre à cette préoccupation en faisant primer le fond sur la forme. Pourtant, souvent, la forme est utilisée pour cacher le fond et favoriser les licenciements abusifs. On connaît les astuces de certains grands groupes pour isoler des unités et les mettre en faillite ou les vendre. Là encore, les patrons sont gagnants.
L'article 4 n'est pas seulement technique. Il donne la possibilité aux patrons des petites entreprises de faire ce qu'ils veulent, même s'opposer au ministre du travail !
Le compte pénibilité, évoqué à l'article 5, est compliqué à mettre en oeuvre. Mais le projet de loi n'autorise le départ en préretraite que des salariés déjà malades, avec 10 % d'invalidité. Or, l'espérance de vie en bonne santé des salariés effectuant des travaux pénibles est plus faible que celle des cadres. Ils ne pourraient pas partir plus tôt s'ils sont en bonne santé. C'est inacceptable, et ce, d'autant plus que la partie financière est transférée à la branche AT-MP, ce qui déresponsabilise les employeurs.
Nous devrons être vigilants sur la recodification du code du travail inscrite à l'article 6. Cela ne se fait jamais à droit constant... L'article 7 porte sur le repos dominical. Là encore, l'employeur est gagnant. Nous sommes face à un 49.3 déguisé, puisque nous devons voter pour un texte dont on ne connaît rien. C'est inacceptable.
M. Gilbert Barbier. - Le 1° de l'article 5 pose problème. Je m'interroge sur le devenir du compte pénibilité. La lettre du Premier ministre aux partenaires sociaux atteste de ce manque de prise en compte de la prévention des risques. Se contenter d'une visite médicale en fin de carrière pour évaluer les droits du salarié est un peu rapide. Le Premier ministre annonce dans sa lettre une révision de la liste des maladies professionnelles, au nombre de 99 dans le régime général et de 59 dans le régime agricole. Cet article ne nous satisfait pas.
M. Olivier Cadic. - Je partage les analyses du rapporteur et la volonté du Gouvernement de simplifier et d'assouplir le droit du travail. C'est la quatrième fois en trois ans que nous y revenons. Il faut aller plus vite, si c'est possible. Je regrette la suppression de la commission de refondation du code du travail. Le maintien des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) constitue un autre sujet. On pouvait se donner le temps de reporter leur mise en place. Je suis surpris que le Gouvernement se soit attaché ce boulet au pied.
Je tiens à dire à Jean-Louis Tourenne qu'on ne licencie pas comme on remplit un imprimé, on en est même très loin ! Il y a aussi des démissions abusives d'employés qui profitent de formations payées par leur entreprise et vont ensuite se vendre ailleurs au plus offrant.
Compte tenu de la situation, les entreprises ont une vraie attente. Le Président de la République a su créer de l'espoir. Montrons au Gouvernement que nous souhaitons qu'il aille le plus loin possible, faute de quoi la déception sera à la mesure de l'attente.
M. Gérard Roche. - Voici un exercice particulier. Rappelons-nous des débats sur la loi « El Khomri ». J'avais été choqué de voir que des élus de droite faisaient la fine bouche alors que le gouvernement accomplissait ce que la droite n'avait pas osé faire.
La gauche de la gauche a refusé de faire barrage à l'extrême-droite en raison de l'annonce des ordonnances. Cela pose problème. Le contexte sénatorial est différent de celui de l'Assemblée nationale. Le débat, insuffisant au sein de cette dernière, sera peut-être plus riche mais il ne sera pas clair pour autant, en raison de la composition de l'hémicycle.
Je soutiens le Gouvernement et le président Macron car je suis séduit par le concept de « ni droite ni gauche », dans mon tempérament depuis longtemps. Les Français ont voté en sachant qu'il proposerait des ordonnances. Peut-être ont-ils compris, selon le bon sens populaire, que les intérêts des salariés ne concordaient pas avec ceux de certains syndicats.
L'article 2 ne m'inquiète pas. Dans la fonction publique, j'ai suivi les comités techniques paritaires et les commissions d'hygiène et j'ai constaté que les questions abordées étaient les mêmes dans les deux instances. Qu'on fusionne les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le CHSCT ne me gêne pas.
On peut comprendre la réserve de certains collègues sur l'article 3.
Il est essentiel, comme l'a souligné Catherine Génisson, de ne pas confondre pénibilité et compensation. J'avais été outré par Nicolas Sarkozy lorsqu'il avait présenté comme pénibilité ce qui était une adaptation du handicap au travail. Dans ce projet de loi, on retombe dans la compensation, ce qui me gêne. Au Sénat, lorsque nous avions travaillé sur la pénibilité, nous avions proposé que celle-ci, dans les petites entreprises, ne soit pas définie par la tâche mais le métier. C'est important.
Mme Patricia Schillinger. - Seule Alsacienne présente dans cette commission, je voterai le projet de loi d'habilitation mais serai vigilante quant à l'atteinte éventuelle à notre droit local, que je défendrai, comme d'habitude. Le repos dominical, les jours fériés, le maintien du salaire en cas d'absence, la durée de préavis et la clause de non-concurrence sont déjà bien définis.
M. Alain Milon, rapporteur. - Je suis d'accord avec Nicole Bricq pour dire que les débats, à l'Assemblée nationale, ont été décevants, alors que l'an passé, elle n'avait pas pu discuter de la loi « El Khomri ».
Georges Labazée a parlé des prud'hommes. La réforme de la désignation des conseillers n'a pas d'impact sur leur fonctionnement. En revanche, on constate que les jugements, sur des cas identiques, sont totalement différents d'un conseil des prud'hommes à un autre. Les conseillers manquent de formation et de moyens. En tant que président de la commission des affaires sociales - et non rapporteur - je propose de rencontrer le président de la commission des lois, notre collègue Philippe Bas, pour que nous engagions en commun un travail sur les prud'hommes et puissions émettre des propositions de transformation et d'amélioration.
Pour répondre à Catherine Génisson, je présenterai un amendement de formation globale des salariés membres de l'instance unique. Le projet de loi prévoit la possibilité de créer des commissions d'hygiène et de santé au travail à l'intérieur de l'instance unique. Les CHSCT avaient une mission spécifique qui doit être conservée.
Dominique Watrin a dénoncé de la précipitation et regretté que nous votions une loi d'habilitation sur des ordonnances que l'on ne connaît pas. Nous avons toutefois la possibilité de bien cadrer la loi d'habilitation. C'est important. Nous pourrons suivre l'élaboration des ordonnances et aurons la possibilité de les ratifier ou non. Le projet de loi de ratification devrait être discuté en 2018.
Il a aussi évoqué le risque de dumping social. Je ne le crois pas. Ce prétendu dumping sera évité grâce aux accords de branche qui auront le monopole sur plusieurs sujets, dont la gestion de la qualité de l'emploi.
Enfin, il a parlé de la barémisation. Il ne s'agit pas de supprimer la liberté du juge de prononcer une indemnisation individuelle, mais de fixer un plafond selon l'ancienneté. Le Conseil constitutionnel a accepté le principe du barème en 2015.
Le volet numérique du projet de loi ne porte que sur le télétravail et le prêt de personnel entre grands groupes et start up. La numérisation est un sujet important. Si vous êtes intéressés, nous pourrions y consacrer une mission d'information et formuler des propositions.
Cher Jean-Louis Tourenne, on a le droit d'avoir des petits plaisirs : 80 % du projet de loi d'habilitation reprend la rédaction de la loi « El Khomri » adoptée par le Sénat mais non reprise par l'Assemblée nationale. C'est une reconnaissance importante de notre travail.
Lors de la ratification des ordonnances, il faudra être extrêmement vigilant sur le travail de nuit. Les négociations entre le ministère et les partenaires sociaux sont toujours en cours.
Yves Daudigny a parlé des ordonnances de 1982 : le Sénat les avait rejetées ; l'article L. 1 du code du travail n'existait pas ; les concertations n'étaient pas obligatoires. Dans le cas présent, la démocratie sociale a été respectée, mais la démocratie parlementaire ne l'a pas été complètement. Tel est le sens de ma critique.
Jean-Pierre Godefroy et d'autres ont parlé du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). En effet, la lettre du Premier ministre débloque une situation ancienne. Il était impossible d'avancer sur la manutention, les postures pénibles, les vibrations et les agents chimiques dangereux. Le rattachement à la branche AT-MP rend possible l'indemnisation d'une inaptitude évaluée à 10 %. En revanche, cela ne permet pas la prévention. Il est évident que nous devrons en discuter en séance publique et émettre des propositions par la suite.
Personne n'a trouvé le moyen de mettre en place le compte de pénibilité. Sinon tout le monde serait d'accord pour l'appliquer !
Il est vrai, comme l'a souligné Nicole Bricq, que les parlementaires peuvent définir un cadre dans la loi d'habilitation et ne sont pas bridés par un accord national interprofessionnel. Pour une fois, nous sommes d'accord.
En réponse à Isabelle Debré, effectivement, il faut de la stabilité et de la sérénité. Je présenterai des amendements pour lutter contre l'inflation législative. Je n'ai reçu aucune nouvelle information portant sur les seuils. Je rappelle en tout cas que lorsque Jean-Pierre Raffarin a augmenté le seuil de 10 à 11 salariés, des milliers d'emplois ont été créés sur le territoire.
Je présenterai un amendement relatif au mandatement.
Je ne suis pas d'accord avec Annie David. Le projet de loi ne dit pas que le petit patron pourra s'opposer au ministre du travail ! Aucune entreprise ne pourra s'affranchir d'un accord étendu. En revanche, depuis 2014, lorsqu'un accord de branche est conclu, les organisations patronales majoritaires de la branche peuvent s'opposer à son extension. Dans ce cas, celui-ci reste applicable seulement aux entreprises adhérentes des organisations signataires.
On pourrait réfléchir au rôle de la médecine du travail dans la prévention. Mais on sait que le vrai problème, actuellement, est la pénurie de médecins du travail.
Je rappelle à Gérard Roche que la rédaction de la loi « El Khomri », telle qu'adoptée par le Sénat, est reprise en grande partie dans ce projet de loi : nous pouvons le voter.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-51.
L'amendement COM-51 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-31. La notion de relations collectives intègre celle d'accords collectifs, qui comprend les accords sur l'épargne salariale.
L'amendement COM-31 est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - Si je souscris à la philosophie des amendements identiques COM-32 et COM-49, je me pose des questions sur le caractère opérationnel d'une telle précision. Il revient à la loi de fixer l'ordre public et le cadre juridique dans lequel les partenaires sociaux de la branche pourront négocier. À quel moment une stipulation d'un accord d'entreprise se transforme-t-elle en distorsion de concurrence ? Qui sera chargé de vérifier que le principe de concurrence est respecté ? Une telle précision juridique serait un nid à contentieux et pourrait bloquer le processus de promotion des accords d'entreprise. Demande de retrait.
Les amendements COM-32 et COM-49 sont retirés.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-52 de suppression de l'alinéa 3.
L'amendement COM-52 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-53 de suppression de l'alinéa 4.
L'amendement COM-53 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'alinéa 4 prévoit qu'une ordonnance fixera les critères, les conditions et les contreparties accordées aux salariés autorisant une entreprise de petite taille à ne pas appliquer certaines stipulations d'un accord de branche ou à appliquer celles qui lui sont adaptées. Avec mon amendement COM-13, je souhaite que le Gouvernement oblige les accords de branche à accorder une attention particulière aux petites entreprises dépourvues d'institutions représentatives du personnel comme les délégués du personnel.
Mme Catherine Procaccia. - Je m'étonne de la présence de l'adverbe « notamment ». Nous avons longtemps entendu le doyen Gélard en dénoncer l'usage.
M. Gérard Dériot, président. - Dans une loi d'habilitation, ce n'est pas pareil !
M. Alain Milon, rapporteur. - Même observation.
L'amendement COM-13 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-35 rectifié bis tout simplement parce que je vous proposerai moi-même à l'alinéa 12 un amendement plus adapté.
L'amendement COM-35 rectifié bis est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - Je suggère aux auteurs de l'amendement COM-79 rectifié de le retirer et de le déposer à nouveau pour la séance publique dans une version mieux rédigée. Ainsi nous pourrons en discuter avec la ministre.
L'amendement COM-79 rectifié est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-54 de suppression de l'alinéa 5. Je vous présenterai trois amendements sur cet alinéa.
L'amendement COM-54 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Mon amendement COM-14 supprime la référence aux accords de maintien de l'emploi (AME), créés par l'article L. 5125-1 du code du travail que le Sénat avait supprimés lors de l'examen du projet de loi « Travail », compte tenu de leur faible écho - seulement une douzaine conclus depuis leur création en 2013 - et de la création des accords de préservation et de développement de l'emploi (APDE) qui poursuivent les mêmes objectifs que les premiers, sans leurs contraintes juridiques. Conserver une référence aux AME dans la loi d'habilitation pourrait être assimilé à un soutien du Sénat à ces accords dont l'échec est désormais consommé.
Mme Nicole Bricq. - C'est une erreur de supprimer ces accords, qui existent. Les ordonnances prévoient d'unifier le régime quel que soit le statut des accords, défensifs, offensifs, etc.
L'amendement COM-14 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Mon amendement COM-15 précise que le motif de licenciement d'un salarié qui refuse l'application d'un accord collectif sera spécifique ; il écarte l'application des règles du licenciement collectif pour les salariés concernés.
Le licenciement d'un salarié qui refuse l'application d'un accord de flexisécurité repose actuellement sur un motif variable selon la nature de l'accord : tantôt un motif économique, tantôt un motif spécifique, voire un motif personnel.
Je souhaite qu'à l'avenir, tout refus d'un salarié entraîne un licenciement sui generis, comme le législateur l'a prévu pour les accords de préservation et de développement de l'emploi créés par la loi « Travail », avec une procédure spécifique unique, un dispositif d'accompagnement lui aussi unique, présentant les mêmes garanties que le contrat de sécurisation professionnelle, actuellement réservé aux salariés licenciés pour motif économique. En conséquence, même si plus de dix salariés sont licenciés, dans une entreprise de plus de cinquante salariés, sur une période de trente jours pour avoir refusé l'application d'un accord de flexisécurité, l'employeur ne serait pas tenu de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi. Cette dérogation existe déjà pour les accords de maintien de l'emploi et les accords de préservation et de développement de l'emploi.
Mme Nicole Bricq. - Nous ne sommes pas d'accord.
M. Jean-Louis Tourenne. - Il n'y a pas de raison de revenir sur l'existant, d'autant que le licenciement pour motif spécifique serait préjudiciable pour les licenciés actuellement licenciés pour un motif économique.
Mme Laurence Cohen. - Même si l'objectif était l'adoucissement, cet amendement durcit les choses. C'est encore plus défavorable au salarié. Nous ne pouvons voter cela.
L'amendement COM-15 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Puisque mon amendement COM-15 vient d'être adopté, l'amendement COM-28 rectifié bis est satisfait.
L'amendement COM-28 rectifié bis est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-55.
L'amendement COM-55 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Je partage une partie du constat des auteurs de l'amendement COM-56 : il faut éviter de contribuer à l'inflation législative. Mais je ne souhaite pas empêcher le Gouvernement de modifier les règles de la négociation en entreprise si les partenaires sociaux le souhaitent. Avis défavorable.
L'amendement COM-56 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-57.
L'amendement COM-57 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-44 rectifié rédige l'alinéa 12 pour favoriser le recours à la consultation des salariés en vue de valider un accord. Mon amendement COM-16 le satisfera largement. Retrait ?
L'amendement COM-44 rectifié est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - Mon amendement COM-16 est très important pour développer le dialogue social car il facilite la signature d'accords dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical. La ministre du travail a dit hier qu'elle partageait notre volonté, tout en s'interrogeant sur les moyens d'y parvenir. Tout le monde reconnaît que le statu quo n'est pas acceptable et que le mandatement a montré ses limites en raison, notamment, de sa complexité. Le Sénat, lors de l'examen de la loi « Travail », a déjà formulé des propositions concrètes que je souhaite reprendre dans cet amendement. L'objectif est de donner la possibilité aux employeurs de conclure directement des accords avec les délégués du personnel, ou en leur absence, par référendum. L'employeur aura toujours la possibilité de conclure un accord avec un salarié mandaté mais la recherche d'un mandatement n'est plus une obligation préalable. Le monopole du délégué syndical - lorsque délégué il y a - n'est pas remis en cause.
M. Jean-Louis Tourenne. - Le texte du projet de loi d'habilitation nous laisse encore l'espoir que l'exécutif renonce à ces dispositions et rétablisse le mandatement ou l'exigence d'un interlocuteur qui soit un responsable syndical. Monsieur le rapporteur, vous nous retirez cet espoir. On ne peut pas l'accepter.
Mme Nicole Bricq. - Le rapporteur nous a dit que cet amendement était très important : nous y sommes donc très défavorables.
M. Jean-Marc Gabouty. - J'y suis très favorable, il répond aux questions que j'ai posées hier à la ministre. Vous pouvez rester accrochés à votre ligne Maginot et empêcher les accords d'entreprise. C'est désobligeant pour les délégués du personnel que de les penser incapables de négocier. Il faut davantage de souplesse pour multiplier les accords d'entreprise qui sont autant au bénéfice des salariés que des employeurs. Nous sommes au XXIè siècle.
Mme Laurence Cohen. - Il n'y a pas de mépris de notre part pour les délégués du personnel, ce n'est pas le sujet. La réalité du monde de l'entreprise, c'est le lien de subordination que vous contestez et mésestimez. On peut donner l'exemple de nombre d'entreprises où, face à la menace d'une fermeture, le personnel est prêt à d'énormes sacrifices. Vous dites que les accords d'entreprise seront formidables. Non. Ils seront extrêmement défavorables aux salariés. Quel est leur pouvoir face au chantage d'un employeur ? Le code du travail est là pour donner des droits aux salariés.
M. René-Paul Savary. - Cet amendement est un marqueur du siècle nouveau pour assouplir le droit du travail en redonnant liberté, confiance et respect, mots qu'a régulièrement employés le Président de la République pour engager la discussion avec les collectivités locales lundi dernier. C'est au pied du mur qu'on voit le maçon. Les employeurs et les employés qui veulent travailler réclament de la souplesse dans l'entreprise.
M. Olivier Cadic. - Il s'agit effectivement d'un marqueur mais je pensais qu'un travail en ce sens allait de toute façon s'engager. Jusqu'où ces règles s'appliqueront-elles ? Seront-elles facultatives pour les PME dont les accords de branche entravent le développement ? Nous attendons la réponse de Mme la ministre qui sera un véritable indicateur sur la portée de la loi. Si elle ne répond pas aux attentes, la déception sera terrible.
M. Philippe Mouiller. - Je soutiens cet amendement puisque la difficulté portait essentiellement sur les très petites entreprises, dont seulement 4 % comprennent en leur sein des délégués syndicaux. Nous nous trouvons dans une situation de blocage complet que cette opportunité permettrait de lever. Je suggère juste une petite rectification dans l'objet de l'amendement afin de remplacer le terme « oblige » le Gouvernement par « permet » et ainsi répondre à l'interrogation de Mme la ministre.
Mme Évelyne Yonnet. - Cet amendement est assez subtil mais il enlève la possibilité du dialogue social sur laquelle Mme la ministre a beaucoup insisté hier. Les représentants syndicaux connaissent suffisamment la loi pour défendre les salariés. Il faudrait maintenir leur présence, y compris dans les petites entreprises, au risque de rompre le dialogue social entre l'employeur et les salariés. Par conséquent, je voterai contre cet amendement.
M. Daniel Chasseing. - Cet amendement est capital car il contribuera à favoriser le dialogue au sein des petites entreprises. Dans celles que j'ai fréquentées, je n'ai pas vu de conflit ni de chantage à la subordination. Dans la vraie vie, cela ne se passe pas ainsi.
Mme Laurence Cohen. - Pitié...
M. Daniel Chasseing. - Le plus souvent, le chef d'entreprise et les salariés ont la volonté de mettre en place un projet pour conserver l'entreprise ou la développer.
M. Yves Daudigny. - Je suis très opposé à cet amendement car le renforcement et la valorisation du dialogue social, qui sont au coeur de ce projet de loi, ne peuvent passer par une détérioration de la présence syndicale. Il faut au contraire assurer la présence des syndicats, leur octroyer des moyens et de la formation pour exercer leurs missions. Il faut laisser le temps à la démocratie sociale pour trouver les dispositifs adaptés aux spécificités des petites entreprises.
Mme Annie David. - Je partage les propos de mon collègue. Je m'insurge quand on affirme que « les salariés qui ont envie de travailler » veulent signer des accords. Pensez-vous aux 2 millions de chômeurs qui aimeraient travailler ? L'accord de branche existe déjà et règle le travail au sein des entreprises, dont la majorité compte moins de 50 salariés. J'ai même entendu parler de blocage complet en raison de l'absence d'accord d'entreprise. Ce n'est pas du tout le cas. Allez dans la vraie vie ! Quelle sera la formation des élus du personnel qui ne seront pas syndiqués ? L'accord qu'ils signeront ne respectera pas le droit du travail et sera défavorable aux salariés. L'employeur pourra alors faire tout ce qu'il veut...
Je me souviens d'un texte qu'avait porté le ministre du travail de l'époque, Eric Woerth. J'étais curieusement assez d'accord avec sa proposition. Il s'agissait d'une sorte de plateforme syndicale qui devait affecter des représentants syndicaux aux négociations dans les petites entreprises afin de signer des accords. Ce texte a été rejeté par l'ensemble de la droite. Je le regrette encore aujourd'hui car cela aurait permis un vrai dialogue social.
Mme Catherine Génisson. - Les propos de Daniel Chasseing sur « la vraie vie » me font également réagir, comme s'il y avait, d'un côté, ceux qui connaissaient la vraie vie du monde de l'entreprise, et de l'autre, ceux qui défendaient de façon inconditionnelle les salariés sans rien y comprendre. Pour le reste, je fais mienne l'argumentation d'Yves Daudigny.
Mme Françoise Gatel. - On ne peut distinguer entre ceux qui connaîtraient la vraie vie et les autres. La vie est diverse, de même que l'entreprise. Au moment où l'on ne cesse de vouloir rétablir la confiance notamment grâce à la démocratie participative, au moment où l'on recueille l'avis de nos concitoyens sur un projet d'intérêt général comme Notre-Dame-des-Landes - sans pour autant en tenir compte - on interdirait aux salariés le droit de discuter avec leur employeur de ce qui les intéresse ? Aujourd'hui, défendre le monopole des syndicats, ce n'est pas faciliter l'accès au travail. Je ne connais pas une seule petite entreprise en France qui ait pour objectif de martyriser ses salariés et de négocier des accords qui aboutiraient à sa fermeture. Au nom de tous ceux qui meurent d'envie de travailler, de grâce, acceptons un peu de souplesse ! Enfin, je suis fort étonnée de l'attitude de certains membres du Gouvernement : ils disent vouloir faire sauter tous les verrous mais se cramponnent aujourd'hui à un verrouillage dramatique.
M. Jean-Marc Gabouty. - Aujourd'hui, certaines entreprises fonctionnent grâce à des accords non formalisés qui satisfont tant les dirigeants que les salariés mais les plongent dans une insécurité juridique complète. Des accords formalisés me sembleraient préférables - et s'ils devaient méconnaître le droit du travail, ils seraient rejetés par l'inspection du travail. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, des accords d'intéressement existent, ils ne sont pas au détriment des intérêts des salariés !
L'amendement COM-16 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-58 supprime l'alinéa 13 de l'article 1er. Avis défavorable.
L'amendement COM-58 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-17 autorise l'employeur à organiser un référendum pour valider un projet d'accord. Il s'inspire d'un amendement adopté par le Sénat lors de l'examen du projet de loi « Travail », à l'occasion duquel notre assemblée avait souhaité, par parallélisme des formes, autoriser l'employeur à organiser un référendum d'entreprise pour surmonter l'opposition des syndicats majoritaires à un accord.
Mme Nicole Bricq. - Cet amendement est le pendant de l'amendement COM-16, qui mérite le même vote. Mme la ministre tente difficilement de trouver une solution. Là, vous ne l'aidez pas dans sa tâche. Certes, cet amendement est un marqueur idéologique mais vous arrivez à un résultat auquel la discussion avec les organisations syndicales et patronales n'aurait pas forcément abouti. Les choses ne se passent pas ainsi... dans la vraie vie !
M. Jean-Louis Tourenne. - Cet amendement prolonge en quelque sorte l'amendement COM-16. Il existe certes des entreprises où tout fonctionne au mieux, où les relations sont excellentes. Néanmoins, au moment de signer des accords défavorables à certains individus, le signataire aura peur des représailles puisqu'il travaille dans l'entreprise. Les délégués du personnel ne sont pas protégés, ni les employés dans le cas d'un référendum décidé par l'employeur. En l'espèce, l'intervention d'une personnalité extérieure à l'entreprise est préférable.
Mme Laurence Cohen. - Je note un certain nombre de contradictions. En effet, les accords de branche figurent dans le code du travail. Vous finissez le travail de destruction entamé par la loi « El Khomri ». En outre, vous affirmez qu'il faut faire confiance aux salariés tout en autorisant l'employeur à organiser un référendum d'entreprise pour surmonter l'opposition des syndicats majoritaires à un accord. Ce n'est plus un parapluie, c'est un parachute !
Mme Évelyne Yonnet. - Avec cet amendement, on donne des illusions aux salariés car on laisse démarrer les négociations, avant d'avoir recours à un référendum d'entreprise. Cela casse complètement le dialogue social et reporte la faute sur les salariés.
M. René-Paul Savary. - Cet amendement est la conséquence du précédent. Il est opportun car il faut laisser de la liberté au chef d'entreprise. Les employés ont la liberté de participer ou non au vote, d'émettre un vote positif ou négatif.
Mme Pascale Gruny. - Cette possibilité lève un frein quand aucun accord ne peut être signé, faute de délégués désireux de participer aux réunions. Les accords sont toujours envoyés à l'inspection du travail et aux prud'hommes qui vérifient leur conformité avec le droit du travail.
M. Olivier Cadic. - Le recours à cette démocratie participative par l'employeur doit déjà être possible. Je soutiens néanmoins cet amendement car son examen sera pour nous l'occasion d'entamer un débat sur ce sujet et d'être fixés sur la position du Gouvernement.
M. Alain Milon, rapporteur. - Le texte tend à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures pour favoriser la négociation collective en facilitant le recours à la consultation des salariés pour valider un accord. L'autorisation donnée à l'employeur par cet amendement n'est pas exclusive. De plus, le code du travail autorise déjà l'employeur à consulter ses employés, en particulier en matière d'épargne salariale.
M. Yves Daudigny. - Je suis opposé à cet amendement comme au précédent, je partage les arguments invoqués par Mme Yonnet.
L'amendement COM-17 est adopté.
L'amendement COM-33 devient sans objet tandis que l'amendement COM-83 est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - Cet amendement COM-18, identique à l'amendement COM-59 supprime l'alinéa 14. Mon amendement s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat lors de l'examen du projet de loi « Travail » car notre assemblée avait supprimé l'article prévoyant la généralisation des accords majoritaires, en raison du risque de blocage du dialogue social dans les entreprises.
Les amendements identiques COM-18 et COM-59 sont adoptés.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-45 rectifié vise à supprimer l'alinéa 15. Je suis favorable à la restructuration des branches mais en respectant si possible le cadre posé par la loi « Travail ». Je ne m'oppose pas à quelques aménagements, par exemple pour assouplir les règles d'opposition des partenaires sociaux à un projet de fusion entre branches. Je ne souhaite donc pas la suppression pure et simple de l'alinéa. Retrait ou défavorable.
L'amendement COM-45 rectifié est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-19 supprime la réduction de trois ans à dix-huit mois de la période pendant laquelle le ministère du travail et les partenaires sociaux doivent restructurer les branches professionnelles. Cette modification, introduite à l'Assemblée nationale, paraît peu réaliste et modifie une disposition adoptée voilà moins d'un an dans le cadre de la loi « Travail ». Oui, il faut rationaliser le paysage conventionnel, mais en assurant la stabilité juridique et en laissant aux partenaires sociaux le temps nécessaire pour conduire à son terme ce chantier très technique.
M. Georges Labazée. - Nous en avons parlé avec les représentants des syndicats. Les services de la commission pourraient-ils nous fournir la liste des branches qui sont stables et de celles qui évoluent ?
M. Gérard Dériot, président. - Je m'associe à cette demande.
Mme Nicole Bricq. - Il existait 750 branches, il en reste 650 aujourd'hui. Il faut plutôt pousser les partenaires à aller plus vite. Ce n'est pas avec des manoeuvres dilatoires que nous résoudrons le problème car de nombreuses branches ne sont pas opérationnelles, tandis que d'autres ne fonctionnent pas.
M. Georges Labazée. - Nous ne portons pas de jugement de valeur.
Mme Nicole Bricq. - Moi si.
M. Dominique Watrin. - Nous approuvons cet amendement qui rétablit le délai de trois ans pour la restructuration. Ce qui importe pour les partenaires sociaux, ce n'est pas le nombre de branches, même si une simplification s'impose en la matière ; c'est surtout l'activité réelle de la branche. Le seuil des salariés n'est pas déterminant à cet égard.
M. Philippe Mouiller. - Quand la négociation des partenaires sociaux évolue rapidement, c'est parce qu'elle porte sur les sujets les plus simples. Pour les autres, le temps du dialogue sera nécessaire, avec une limite légale de trois ans. J'ai retiré mon amendement au profit de celui-ci car il représente à mes yeux un bon compromis.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'étude d'impact indique que les premiers travaux sur la restructuration des branches professionnelles se sont concentrés sur les branches sans négociation depuis vingt ans et ayant recueilli moins de onze suffrages lors des dernières élections professionnelles. Parmi les 179 branches concernées, 127 ont déjà fait l'objet d'une restructuration.
M. Jean-Marc Gabouty. - Il faut gagner du temps et favoriser la réactivité. Pourquoi laisser traîner la restructuration ? Dix-huit mois me paraissent largement suffisants. Je suis favorable au texte de l'Assemblée nationale sur ce sujet car on ne peut, d'un côté, arguer de ce besoin de rapidité pour les entreprises, et, de l'autre, ne pas l'appliquer dans la loi. Soyons logiques.
L'amendement COM-19 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement de suppression COM-60.
L'amendement COM-60 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement COM-61.
L'amendement COM-61 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-86 rectifié bis prévoit de supprimer le monopole syndical de présentation des listes au premier tour des élections professionnelles dans le cadre de la fusion des IRP. La réforme déjà prévue par le projet de loi va bouleverser profondément le fonctionnement de la représentation du personnel en entreprise. Y ajouter ce volet susciterait une forte opposition et pourrait ensuite rendre moins acceptable la fusion des IRP aux yeux des représentants des salariés. L'objectif aujourd'hui est de réussir dans les entreprises concernées, dont les TPE ne font pas partie. Une fois que la fusion aura été appliquée et que son évaluation aura été réalisée, il sera temps de réfléchir de nouveau à cette question.
M. Yves Daudigny. - Sage décision.
Mme Pascale Gruny. - J'entends les arguments invoqués, et je vais retirer cet amendement, mais il ne traite pas d'un cas d'école, il est inspiré par des cas concrets !
Mme Nicole Bricq. - L'habilitation n'emporte aucune systématisation de la suppression du monopole syndical. Des accords seront nécessaires, mais tout cela aura des incidences importantes pour le CHSCT, car la création du fameux conseil d'entreprise obligera les participants à être polyvalents. Ils devront être formés pour pouvoir s'occuper à la fois de sécurité et de stratégie économique...
L'amendement COM-86 rectifié bis est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-3 concerne, précisément, la formation des membres de l'instance unique afin qu'elle soit adaptée pour tenir compte de l'étendue des missions confiées à cette dernière.
Mme Évelyne Yonnet. - Nous sommes opposés à la fusion des instances qui aura des conséquences sur la formation ou le nombre d'heures de travail. Il faut approfondir la réflexion sur la médecine du travail car le rôle du CHSCT est essentiel au regard des nouvelles pathologies liées au travail. Le faire disparaître pour de simples raisons économiques n'est pas une bonne chose.
M. René-Paul Savary. - Cette instance unique apporterait une vraie souplesse, à condition que des efforts portent sur la formation et l'organisation. Des thématiques différentes pourraient être traitées. Cette fluidité serait favorable aux relations entre collaborateurs et employeurs.
M. Dominique Watrin. - Ce n'est pas seulement une question de formation des délégués du personnel. En les regroupant dans une instance unique et en diminuant leurs moyens, on remet en cause le lien de proximité qui les unit aux salariés. Qui se chargera de faire remonter les problèmes de ces derniers à l'employeur ? Les missions du CHSCT et des délégués du personnel seront dénaturées.
M. Jean-Louis Tourenne. - Je suis totalement opposé à la fusion des instances représentatives du personnel. La loi veut limiter le nombre de mandats des délégués syndicaux. Mais de quoi se mêle-t-on ? Ne peut-on laisser la démocratie s'exprimer au sein de l'entreprise ?
Mme Catherine Procaccia. - On le fait bien pour les maires, pour les parlementaires !
M. Jean-Louis Tourenne. - Toutefois, si cet article était adopté, cet amendement me semblerait bienvenu.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Rassembler l'ensemble des IRP est pour moi une erreur qui risquerait d'avoir des conséquences sur la santé de nos concitoyens. Le CHSCT doit rester totalement indépendant, car il traite des problèmes de santé, et non de production ou d'organisation. Les délégués qui le composent sont bien formés et ils ont l'expérience du terrain, qui est la meilleure des formations !
L'amendement COM-3 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Le Sénat a été à l'origine, grâce à l'adoption en 2013 d'une proposition de loi de Catherine Procaccia dont les dispositions ont été reprises par la loi du 5 mars 2014, de l'instauration d'obligations d'établissement et de contrôle des comptes des comités d'entreprise.
Si les comités d'entreprise dont les ressources sont limitées doivent présenter leurs comptes de manière simplifiée, les plus importants d'entre eux doivent désigner un commissaire aux comptes et faire appel à un expert-comptable. Ils doivent également mettre en place une commission des marchés, qui doit s'assurer de la mise en concurrence de leurs prestataires et fournisseurs à chaque commande.
L'amendement COM-4 vise donc à préciser l'habilitation afin que l'instance unique issue de la fusion des délégués du personnel, du comité d'entreprise et du CHSCT soit bien soumise à ces mêmes obligations.
Mme Catherine Procaccia. - Je remercie le rapporteur de ces précisions qui s'appliqueront, je l'espère, à tous les comités d'entreprise, y compris à ceux d'EDF et GDF : ils sont à l'origine de tous les scandales, mais n'appliquent toujours pas la loi !
L'amendement COM-4 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - La création de l'instance unique de représentation du personnel dans l'entreprise doit s'accompagner, comme le prévoit l'habilitation, de la limitation dans le temps du cumul des mandats de ses membres.
L'amendement COM-5 tend à fixer, dans un souci d'harmonie avec les règles applicables aux parlementaires, à trois le nombre maximal de mandats qu'un même représentant du personnel pourra effectuer au sein de l'instance.
Mme Évelyne Yonnet. - Je ne vois pas de quel droit il serait possible de limiter un mandat syndical au sein d'une entreprise. À l'heure où nous manquons de syndiqués volontaires pour s'impliquer dans la vie d'une entreprise, je ne comprends pas cette façon de s'ingérer dans le monde du travail.
Mme Françoise Gatel. - C'est cela, le renouveau !
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je ne vois pas pourquoi la représentation nationale s'occuperait de la limitation du cumul des mandats mais peut-être s'agit-il de faire à d'autres ce que l'on nous a fait... Personnellement, je pense que la limitation du cumul des mandats est une erreur. En l'espèce, Evelyne Yonnet a raison car on se plaint souvent en France du taux trop bas de syndicalisation. Ce phénomène ne s'arrangera pas en limitant le nombre de mandats. En outre, il faut favoriser la présence d'élus détenant une expertise.
Mme Nicole Bricq. - Je soupçonne une petite vengeance du rapporteur. Plus sérieusement, on a toujours intérêt à avoir un interlocuteur dans l'entreprise. Sinon, les conflits sont résolus ailleurs, dans la rue ou autre.
Mme Françoise Gatel. - Je soutiens cet amendement. D'abord, il répond à un souci de cohérence : nous souscrivons tous à cette volonté de renouvellement ; mais je ne vois pas pourquoi les élus seraient les seuls à subir une véritable discrimination à cet égard. C'est de la démagogie ! Ensuite, alors que les mandats de délégués syndicaux ne sont pas limités dans le temps, notre taux de syndicalisation est extrêmement faible. Au-delà de cette limitation, il faudrait peut-être aussi que les syndicats s'adaptent aux évolutions économiques et sociales, ainsi qu'à la diversité des entreprises.
M. René-Paul Savary. - Le taux d'abstention aux élections est très élevé en France, pour un renouvellement jugé insuffisant. C'est pourquoi l'idée d'une limitation des mandats dans le temps a fait son chemin. La situation est la même pour le taux de syndicalisation. Rester les bras croisés ne changera rien. Cette proposition permettra peut-être d'améliorer la syndicalisation au sein des entreprises. Les mêmes principes doivent s'appliquer au monde syndical comme au monde politique.
Mme Catherine Génisson. - Je vois aussi une certaine malice du rapporteur à présenter cet amendement. On marche sur la tête ! Le Président de la République estime qu'il faut diminuer le nombre des élus locaux alors que les candidats aux dernières élections municipales étaient très difficiles à trouver !
Cela dit, la démocratie politique et la démocratie sociale sont deux choses différentes. Nous avons besoin d'activer la seconde, mais je ne suis pas certaine que votre proposition y réponde. Je ne voterai pas cet amendement.
M. Jérôme Durain. - Je soupçonne dans cet amendement un esprit revanchard et corporatiste émanant d'élus politiques. Je souscris aux propos de Catherine Génisson sur la différence entre la démocratie sociale et la démocratie politique. Des arguments peuvent être invoqués à l'appui de l'interdiction du cumul des mandats syndicaux, comme le fait qu'il éloigne trop les élus de l'activité quotidienne de l'entreprise. Ils n'ont pas été soulevés par le rapporteur. Je suis donc réservé sur cette proposition.
Mme Catherine Procaccia. - Je voterai d'autant plus volontiers cet amendement qu'il est le fruit d'idées déjà anciennes sur le non-cumul des mandats, émises également par des syndicalistes qui déploraient eux-mêmes le manque de renouvellement. Je ne vois là aucune idée de vengeance.
M. Dominique Watrin. - Je ne voterai pas cet amendement polémique. Je vous renverrai à un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental sur l'engagement syndical, parfois considéré comme une marque de défiance à l'égard de l'entreprise, et la discrimination qui peut en découler C'est un vrai problème que l'on ne peut pas traiter aussi brièvement car le syndicalisme souffre d'une image négative. Les syndicats ont leur rôle à jouer, mais nous avons aussi notre part.
M. Alain Milon, rapporteur. - Il n'y a en moi ni malice ni désir de vengeance. Nous apportons notre contribution au Gouvernement qui mentionne dans le texte qu'il souhaite limiter le nombre maximal de mandats électifs successifs pouvant être occupés au sein de l'instance.
L'amendement COM-5 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-6 s'inscrit dans la continuité de la position adoptée par la commission des affaires sociales lors de l'examen de la loi « Travail » en 2016 : il est temps d'enrayer la croissance injustifiée du coût des expertises commandées par les institutions représentatives du personnel et payées par l'employeur.
L'an dernier, la commission avait prévu qu'au moins trois devis devaient être obtenus auprès de différents prestataires avant que l'IRP, comité d'entreprise ou CHSCT, puisse désigner son expert. Prévoyons donc que les ordonnances rendent la sollicitation de plusieurs devis obligatoires.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - Défavorable à l'amendement COM-62.
L'amendement COM-62 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-7 poursuit la simplification et la rationalisation de la représentation du personnel : je propose que l'exercice par l'instance unique de la compétence de négociation d'accords d'entreprise soit la règle de droit commun. Les partenaires sociaux dans l'entreprise pourront toujours décider, par accord majoritaire, de refuser le transfert de cette compétence.
L'amendement COM-7 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-8 prévoit de supprimer l'alinéa 4 de l'article 2, dont la rédaction est marquée par une trop grande imprécision.
Mme Nicole Bricq. - Qui traite notamment de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes...
L'amendement COM-8 est adopté.
L'amendement COM-30 devient sans objet.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-9, identique à l'amendement COM-78 rectifié bis, vise à supprimer l'alinéa 5, qui concerne la représentation des salariés dans les organes de gouvernance des grandes entreprises et ne tient pas compte des réformes récentes en la matière.
Les amendements COM-9 et COM-78 rectifié bis sont adoptés.
M. Alain Milon, rapporteur. - Les amendements identiques COM-10 et COM-46 rectifié visent à supprimer l'alinéa 8, qui porte sur la redéfinition des missions des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI).
Les amendements COM-10 et COM-46 rectifié sont adoptés.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est close à 12 h 50.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
La réunion est close à 12 h 50.
Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Suite de l'examen du rapport et du texte de la commission
- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 40.
Article 3
L'amendement de suppression de l'article COM-63 n'est pas adopté.
L'amendement COM-64 de suppression de l'alinéa 4 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-36 rectifié bis fixe un plafond de 18 mois de salaire brut pour le référentiel impératif dans le cas d'un licenciement. Il existe actuellement un référentiel indicatif en phase de jugement : son plafond est fixé à 21 mois et demi pour un salarié ayant plus de 43 ans d'ancienneté. Le référentiel indicatif en phase de conciliation fixe quant à lui un plafond de 24 mois pour les salariés ayant plus de 30 ans d'ancienneté. Le référentiel impératif en phase de jugement, qui était prévu à l'article 266 de la loi « Macron » avant sa censure par le Conseil constitutionnel, prévoyait même un plafond de 27 mois pour les salariés qui avaient plus de 10 ans d'ancienneté dans une entreprise employant plus de 300 salariés. Je souhaite que cet amendement soit retiré et redéposé en séance, en lui apportant des modifications rédactionnelles.
L'amendement COM-36 rectifié bis est retiré.
L'amendement COM-65 de suppression des alinéas 5 et 6 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-20 reconnaît un droit à l'erreur à l'employeur, qui serait autorisé à rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités mineures de procédure et de motivation, qui sont sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement. L'article L. 1235-2 du code du travail prévoit déjà que les erreurs de procédure de licenciement sont moins sévèrement sanctionnées que les erreurs de fond.
En effet, si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. Cette sanction doit être mise en regard de celles prévues à l'article L. 1235-3. En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant plus de onze salariés, l'employeur doit en effet réintégrer le salarié ou lui octroyer une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire.
Pour autant, comme l'indique l'étude d'impact annexée au projet de loi, et comme plusieurs organisations patronales nous l'ont dit, de nombreux salariés saisissent les conseils de prud'hommes quand ils estiment que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, même si l'employeur avait un motif réel et sérieux de les licencier.
Mme Nicole Bricq. - La reconnaissance d'un droit à l'erreur était un engagement du candidat Macron. Justement, le Conseil des ministres examinait ce matin un projet de loi sur la question. J'ignore ce qu'il comporte, mais nous devrions peut-être attendre d'en savoir plus ?
M. Alain Milon, rapporteur. - On ne le sait pas mais je crois qu'il porte plutôt sur les relations des citoyens avec l'administration, et non sur celles entre les employeurs et les salariés.
M. Jean-Louis Tourenne. - Je ne vois pas d'inconvénient à adopter cet amendement. Les modalités qu'il décrit favoriseront les petites entreprises, celles qui n'ont pas de service juridique.
Mme Évelyne Yonnet. - Oui, mais sur quels critères jugera-t-on de la bonne foi de l'employeur ?
M. Daniel Chasseing. - Cet amendement est justifié. Souvent, les petites entreprises ne disposent pas de l'encadrement juridique nécessaire, ce qui les expose à de graves problèmes.
Mme Anne Émery-Dumas. - La ministre avait mentionné une procédure de licenciement simplifié par formulaire-type. Cela limiterait les erreurs.
M. Alain Milon, rapporteur. - Oui, un formulaire Cerfa est effectivement prévu. Mais nous discutons d'un projet de loi d'habilitation, qui encadre ce que fera le Gouvernement. L'habilitation prévoit une possibilité pour l'employeur de corriger des irrégularités en amont ou pendant un contentieux. Et c'est le juge qui décidera de la bonne foi, ou non, de l'employeur.
M. Dominique Watrin. - Je crois qu'il est souvent difficile de distinguer la faute de procédure du non-respect des droits des salariés. Je suis donc défavorable à cet amendement, d'autant plus inopportun que l'on a enregistré une baisse de 40 % des recours aux prud'hommes depuis le durcissement de la procédure dans la loi « Macron » de 2015.
L'amendement COM-20 est adopté. L'amendement COM-80 rectifié devient sans objet.
M. Alain Milon, rapporteur. - Afin de préciser l'objectif de réduction des délais de recours en cas de rupture du contrat de travail, l'amendement COM-21 fixe comme objectif au Gouvernement de diviser au moins par deux le délai de recours portant sur le bien-fondé d'un licenciement économique.
Mme Nicole Bricq. - Je ne sais pas si c'est un feu rouge que vous grillez ou un chiffon rouge que vous agitez, mais dans les deux cas c'est non ! Il faut tout de même laisser un délai d'appréciation...
M. Jean-Louis Tourenne. - Je suis du même avis. Cet amendement est manifestement inspiré par la volonté de satisfaire les entreprises. Pourquoi pas ? Mais pas au détriment des salariés ! Je ne vois pas de raison de raccourcir ce délai. Il faut au moins laisser le temps de préparer le dossier...
M. Jean-Marc Gabouty. - Ces délais sont trop longs. La préparation effective des dossiers se fait après le dépôt d'un recours. Six mois suffisent largement.
M. Daniel Chasseing. - Même avis.
M. Alain Milon, rapporteur. - En Allemagne, le délai est de trois semaines.
L'amendement COM-21 est adopté.
L'amendement COM-66 de suppression de l'alinéa 7 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-38 rectifié bis vise à « simplifier » les mesures de reclassement pour inaptitude. Le terme « simplification » n'apporte rien par rapport à celui de « clarification » déjà retenu dans le texte. Avis défavorable.
L'amendement COM-38 est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-22 vise à clarifier les obligations de l'employeur en matière de reclassement pour inaptitude, selon que cette dernière est d'origine professionnelle ou non professionnelle. De nombreux employeurs à la tête de petites entreprises doivent parfois octroyer des indemnités très importantes à un salarié licencié pour inaptitude alors même que celle-ci n'est pas d'origine professionnelle et n'est pas imputable à l'activité de l'entreprise. Les indemnités pour inaptitude d'origine non professionnelle, qui sont parfois un frein important au développement des petites entreprises, devraient être supportées par les organismes d'assurance complémentaire, notamment lorsqu'il s'agit d'accidents dus au sport - tous les sportifs sont assurés !
Mme Évelyne Yonnet. - L'inaptitude est constatée par le médecin du travail, ainsi que par une commission spécifique. Son origine est généralement professionnelle. Sinon, elle ne serait pas reconnue. Je veux bien qu'on fasse payer les sportifs, vu l'argent qu'ils gagnent. Mais pour les petits ouvriers... Je vote contre.
M. Daniel Chasseing. - Cet amendement est justifié. Il m'est arrivé, alors que je dirigeais bénévolement une structure, d'avoir à licencier une personne faute de trouver à la reclasser. J'ai même dû cautionner personnellement un emprunt pour payer ses indemnités.
Mme Françoise Gatel. - Nul ne conteste l'inaptitude elle-même. La discussion porte sur sa cause. S'agit-il d'un accident imputable au travail ou au match de foot du dimanche après-midi ? On ne peut pas demander à l'employeur de payer les conséquences d'un risque dont il n'est pas responsable.
Mme Évelyne Yonnet. - Quid d'un accident survenu sur le trajet entre domicile et travail ?
M. Gérard Dériot, président. - C'est évidemment un accident du travail.
M. Jean-Louis Tourenne. - Ce sujet mérite mieux qu'un amendement au détour d'un projet de loi car le sujet est vaste. Que se passe-t-il en cas de maladie, par exemple ?
Mme Catherine Génisson. - L'inaptitude peut se déclarer du fait d'une maladie intercurrente, maladie cardiaque, diabète,... On peut devenir inapte à occuper un poste pour d'autres raisons qu'un accident. Or, dans les très petites entreprises, quand le médecin du travail demande un reclassement, le plus souvent, il n'y a pas de poste adapté.
M. Gérard Dériot, président. - C'est vrai aussi dans les petites communes.
M. Dominique Watrin. - Je suis moi aussi d'avis de temporiser. Si l'alinéa parle de reclassement, l'objet de l'amendement insiste sur les indemnités. Dans le doute, je ne voterai pas cet amendement.
Mme Pascale Gruny. - Merci de l'avoir déposé, car c'est un vrai problème pour les entreprises. L'indemnité de licenciement dépendant de l'ancienneté du salarié, son versement peut mettre en difficulté une petite entreprise, alors même que la cause du licenciement lui est totalement extérieure. Comme il existe une branche AT-MP, on a tout mis au compte de l'entreprise. Mais une indemnité de 70 000 euros peut contraindre un petit établissement à mettre la clef sous la porte.
Mme Patricia Schillinger. - Prenons le temps de la réflexion et de la comparaison. En Suisse, accidents du travail et accidents domestiques sont à la même enseigne : la distinction passe entre Nichtbetriebsunfall et Betriebsunfall. Il est vrai aussi que chaque sportif est assuré.
M. René-Paul Savary. - Il est bienvenu de clarifier les obligations des employeurs en matière de reclassement pour inaptitude d'origine professionnelle ou non-professionnelle. Mais l'objet de l'amendement indique que le coût serait pris en charge par les organismes d'assurance complémentaire. C'est au Gouvernement d'en décider dans les ordonnances.
Mme Chantal Deseyne. - La question est de savoir qui doit payer les indemnités.
M. Alain Milon, rapporteur. - Mon intention, à travers cet amendement, est justement de provoquer la discussion sur les inaptitudes d'origine non professionnelle afin que le Gouvernement soit incité à en tenir compte dans l'élaboration des ordonnances.
Mme Catherine Génisson. - Notre groupe s'abstiendra, car il s'agit d'un vaste sujet. Souvent, le salarié a un lien fort avec l'entreprise. S'il développe une maladie chronique, celle-ci peut-elle se dédouaner complètement de son avenir ? Cela mérite, à tout le moins, réflexion.
L'amendement COM-22 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-23 supprime une disposition issue d'un amendement du Gouvernement adopté en séance publique à l'Assemblée nationale et qui vise à modifier les règles de fonctionnement de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Il s'agit de reculer l'âge de départ en retraite des médecins qui y officient. Cette disposition ne présente pas de lien, même indirect, avec l'objet du présent projet de loi.
Mme Nicole Bricq. - Dans ce cas, rejetons l'article 9 tout entier ! Pourquoi la commission des finances s'en est-elle saisie ? Non, à mon sens, c'est le fond qui compte. En l'occurrence, l'afflux de réfugiés et la lenteur de nos procédures, due au manque de personnel, nous placent dans une situation d'urgence. C'est pourquoi il faut modifier les règles de fonctionnement de l'office.
Mme Évelyne Yonnet. - Sans doute l'inscription dans ce texte s'explique-t-elle par le souci de protéger et soigner ces migrants qui sont employés comme ouvriers du bâtiment, et sont suivis au sein des centrales du bâtiment pour des pathologies spéciales.
M. Alain Milon, rapporteur. - À vous de voir si vous souhaitez autoriser des amendements, dès le début de la législature, qui ne respectent pas l'objet du texte. De mon point de vue, l'article 9 est un cavalier, et si un recours est formé devant le Conseil constitutionnel, je le signerai.
L'amendement COM-23 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-67 supprime l'alinéa 10 relatif aux plans de départs volontaires. Avis défavorable car ces règles sont aujourd'hui très complexes et nuisent à leur développement.
L'amendement COM-67 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-68 supprime l'alinéa 11 relatif au licenciement économique. Avis défavorable.
L'amendement ' COM-68 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-24 vise tout d'abord à simplifier la rédaction de l'alinéa 11. Il prévoit ensuite que le périmètre pertinent pour apprécier la cause économique d'un licenciement sera désormais national, reprenant une proposition présente initialement dans le projet de loi « Travail ».
Faute de définition légale de ce périmètre, le juge a été amené à retenir un périmètre européen, voire mondial. Cette jurisprudence fait figure d'exception en Europe et nuit à l'attractivité de notre économie.
Cet amendement se contente de fixer un cap et laisse la possibilité au Gouvernement de définir par ordonnance les aménagements du périmètre national.
Je souhaite également vous proposer de rectifier cet amendement, en ajoutant, au a) du 2°, l'adjectif « éventuels » avant le mot « aménagements », afin de laisser plus de souplesse au Gouvernement.
Mme Nicole Bricq. - Ce sujet a été amplement débattu dans la loi « Macron », puis dans la loi « El Khomri », avec pas moins de quatre versions différentes au cours de la navette.
Le périmètre national est le plus restrictif. En le retenant dans la loi, vous répondez à la demande du patronat, mais vous prenez un gros risque alors que les discussions se poursuivent sur ce point avec les partenaires sociaux.
En la matière, c'est la jurisprudence - les arrêts de la Cour de cassation se sont succédé depuis 1993 - qui a fait le droit. Le juge a pris en compte les éléments permettant de vérifier si un groupe n'a pas organisé délibérément la défaillance d'une de ses filiales.
Le législateur doit-il vraiment reprendre la main ? Je comprends et respecte le point de vue d'une partie de la droite mais, pour notre part, nous sommes très défavorables à cet amendement.
M. Jean-Louis Tourenne. - L'alinéa 11 de l'article 3 du texte qui a été transmis au Sénat autorise à définir par ordonnance le périmètre, sans autre précision, alors que vous faites expressément référence, dans votre amendement, au périmètre national, ce qui restreint la possibilité de réflexion du Gouvernement. Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. Jean-Marc Gabouty. - Le projet de loi autorise le Gouvernement à prendre « toute disposition de nature à prévenir ou tirer les conséquences de la création artificielle ou comptable de difficultés économiques à l'intérieur d'un groupe ». Je préférerais que le terme « comptable » soit retiré. En effet, les règles comptables sont strictes et précises et, si elles sont détournées, ce sera bien considéré comme une création artificielle.
Je suggère en outre, au f) du 2° de l'amendement COM-68, d'ajouter les termes « totales ou partielles » après le mot « reprises ». Une reprise partielle d'une entreprise vaut mieux que rien.
Mme Catherine Génisson. - Je suis en désaccord avec Jean-Marc Gabouty. Je prendrai l'exemple de la mise en difficulté artificielle de la filiale française du papetier Stora Enso : le groupe propriétaire a sciemment acheté les matières premières au prix fort et s'est assuré de faire fuir les clients. La comptabilité a suivi, en toute légalité...
M. Jean-Marc Gabouty. - Ce n'est pas en contradiction avec mon propos. Il s'agit bien dans ce cas d'un artifice.
Mme Évelyne Yonnet. - À propos de la notion de « périmètre national », quelle législation s'applique à nos travailleurs détachés : le droit national, le droit européen ?
Mme Nicole Bricq. - Cela n'a pas de rapport avec le sujet. Ils sont soumis à la législation du travail applicable dans les pays où ils travaillent.
M. Olivier Cadic. - La rédaction initiale me convient. J'en profite pour dire un mot du fonctionnement de notre commission. Je regrette en effet l'absence de la ministre à nos travaux. Nous devrions modifier notre façon de préparer nos textes.
M. Alain Milon, rapporteur. - Je me concentrerai sur la question du périmètre géographique. Dans le texte transmis par l'Assemblée nationale, celui-ci reste indéterminé, ce qui laisse la liberté au juge de retenir le périmètre français, européen ou mondial.
Nous vous proposons de retenir le périmètre national pour procéder à des comparaisons entre entreprises ayant la même activité et qui appartiennent au même groupe, afin précisément que les fraudes dont parlait Catherine Génisson à l'instant puissent être évitées.
Quant à la réflexion de M. Cadic sur l'organisation de nos travaux, il me semble que le Parlement doit pouvoir, dans un premier temps, travailler de façon autonome.
L'amendement COM-24 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-41 rectifié bis devient sans objet.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-25 vise à simplifier la rédaction de l'alinéa 13. Il tend aussi à supprimer la notion de « travail nomade », dépourvue de définition légale, et qui nous semble d'ores et déjà couverte par celle de « travail à distance ».
L'amendement COM-25 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-40 rectifié bis prévoit d'étendre le champ de l'habilitation à la simplification des règles du temps partiel. Il est contraire selon moi à l'article 38 de la Constitution.
L'amendement COM-40 rectifié bis est retiré.
L'amendement COM-69 de suppression de l'alinéa 14 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-84 rectifié bis prévoit la possibilité pour les accords de branche de fixer les hypothèses de rupture des CDD et des contrats d'intérim avant leur terme. Je pense que la notion de « rupture avant terme » peut être englobée dans celle de durée. Le code du travail, quand il définit les durées des CDD, évoque justement les exceptions aux durées légales comme le CDD à objet défini, qui, par définition n'a pas de terme calendaire fixé a priori. Retrait ou avis défavorable.
L'amendement COM-84 rectifié bis est retiré, de même que l'amendement COM-82 rectifié bis.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-70 supprime l'alinéa 15. Avis défavorable.
L'amendement COM-70 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-47 rectifié s'oppose directement à la philosophie de l'amendement COM-27, que je vais vous présenter dans un instant, et qui subordonne le développement du contrat de chantier à la conclusion d'un accord de branche fixant ses règles d'utilisation.
Je suis favorable au renforcement de la branche, donc à des règles communes et à une concurrence équitable entre entreprises appartenant à un même secteur. Retrait ou avis défavorable.
M. Philippe Mouiller. - Je retire l'amendement COM-47 rectifié. Je fais de même pour l'amendement COM-48 rectifié, mais je le présenterai de nouveau en séance pour avoir un débat avec la ministre du travail sur le contrat de croissance.
L'amendement COM-47 rectifié est retiré, de même que l'amendement COM-48 rectifié.
M. Jean-Louis Tourenne. - Nous sommes par principe défavorables aux contrats de chantier ou de mission et ne pouvons donc souscrire à des amendements portant sur ces dispositions.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-27 prévoit que la possibilité pour un accord de branche de fixer les règles de recours à un CDI de chantier devra respecter le cadre fixé par la loi, à laquelle il reviendra de définir l'ordre public et les dispositions supplétives en l'absence d'accord.
Mme Nicole Bricq. - Cet amendement permet d'améliorer la rédaction du texte.
La loi de simplification adoptée en 2014 prévoit déjà le recours à ce type de contrats de mission pour employer, pendant une durée de trois à cinq ans, des chercheurs opérationnels en recherche et développement.
Je me permets de rappeler la tendance : une explosion des CDD, de l'intérim et des ruptures conventionnelles - plus de 400 000 en 2015. Dans ces conditions, ces contrats de chantier ou de mission me semblent ouvrir plus de perspectives qu'un CDD plusieurs fois renouvelé. J'y suis donc favorable.
Mme Évelyne Yonnet. - Ces contrats sont des CDD déguisés. Pour moi, un CDI ne peut pas porter sur une mission spécifique.
M. Alain Milon, rapporteur. - Nicole Bricq fait référence aux CDD à objet défini, ou CDD-OD, destinés aux ingénieurs et aux chercheurs. Catherine Procaccia avait suivi le dossier pour le Sénat. Ces contrats instaurés à titre expérimental n'ont pas connu un grand succès pour le moment, mais ils font désormais partie du droit commun et sont peut-être appelés à se développer.
M. Jean-Louis Tourenne. - Il ne suffit pas de qualifier un contrat de CDI pour qu'il en ait les caractéristiques. Le contrat de chantier n'en a ni la nature ni la durée. C'est une erreur sémantique, voire une tromperie sur les termes.
On fait croire que ces contrats permettront d'améliorer la situation des salariés, alors que les primes de précarité vont disparaître et que la rupture par consentement mutuel remplacera le licenciement économique !
M. Alain Milon, rapporteur. - Par définition, la durée de ces contrats est indéterminée, monsieur Tourenne ! Et ce sera aux ordonnances d'autoriser les accords de branche à définir les systèmes de licenciement applicables.
Mme Nicole Bricq. - Ne jouons pas à nous faire peur ! Actuellement, près de 90 % des contrats de travail sont encore des CDI.
L'amendement COM-27 est adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-71 vise à supprimer l'alinéa 16 relatif au travail de nuit. Avis défavorable.
L'amendement COM-71 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-72 vise à supprimer l'alinéa 17 relatif au prêt de main-d'oeuvre.
L'amendement COM-72 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-42 rectifié bis étend l'habilitation au prêt de main-d'oeuvre intra-groupe. Selon moi, il est contraire à l'article 38 de la Constitution.
L'amendement COM-42 rectifié bis est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-37 rectifié bis tend à imposer l'obligation de recourir à un avocat pour signer une transaction entre l'employeur et le salarié. Je préférerais réfléchir à une réforme profonde et structurelle des prud'hommes. La ministre partage cet avis. Retrait ou avis défavorable.
L'amendement COM-37 rectifié bis est retiré.
L'amendement rédactionnel COM-88 est adopté.
L'amendement de clarification COM-89 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Alain Milon, rapporteur. - Défavorable à l'amendement COM-73 de suppression.
L'amendement COM-73 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté sans modification.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-74 vise à supprimer la réforme du compte pénibilité. Défavorable.
L'amendement COM-74 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-29 vise à réduire le nombre de facteurs de pénibilité. Défavorable.
L'amendement COM-29 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-43 rectifié bis vise à modifier les règles de contentieux relatives à la pénibilité.
Les organisations patronales ne m'ont jamais fait part de demandes visant à modifier ce régime. La loi « Rebsamen » de 2015 a bien précisé dans le code du travail que le seul fait d'avoir déclaré une exposition d'un salarié à la pénibilité ne constitue pas pour l'employeur une présomption de manquement à son obligation de sécurité envers les employés. Retrait ou défavorable.
L'amendement COM-43 rectifié bis est retiré.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-75 vise à supprimer l'habilitation relative au détachement transfrontalier de travailleurs. Défavorable.
L'amendement COM-75 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-39 rectifié bis vise à simplifier l'épargne salariale.
Cet amendement est contraire à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel. Par deux décisions de 2005 et 2014, il interdit à un amendement parlementaire d'élargir le champ d'une habilitation, estimant qu'une telle faculté n'était pas prévue par l'article 38 de la Constitution.
Dans le cas d'espèce, la problématique de l'épargne salariale n'est pas abordée dans l'habilitation prévue à cet article, pas plus qu'elle ne l'est dans le reste du projet de loi. Retrait ou défavorable.
L'amendement COM-39 rectifié bis est retiré.
L'article 5 est adopté sans modification.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-76 est un amendement de suppression de l'article. Défavorable.
L'amendement COM-76 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-34 tend à habiliter le Gouvernement à simplifier le droit du travail.
L'article 6 porte simplement sur la mise en cohérence à droit constant du droit du travail. Faire référence à la simplification nous fait sortir de ce champ. Le Parlement, du reste, ne devrait pas laisser le Gouvernement mener seul ce chantier. Retrait ou défavorable
M. Jean-Marc Gabouty. - Quand le champ du dispositif de l'amendement est trop général, cela ne va pas ; mais quand il est trop précis, cela ne va pas non plus ! Je le retire, nous trouverons un autre moyen d'introduire notre volonté de voir simplifié le droit du travail.
Mme Nicole Bricq. - Il y aura une loi de simplification !
L'amendement COM-34 est retiré.
L'article 6 est adopté sans modification.
M. Alain Milon, rapporteur. - Défavorable à l'amendement COM-77 de suppression.
Mme Laurence Cohen. - L'examen de nos amendements peut paraître un peu fastidieux : nous demandons d'abord la suppression de l'article, puis la suppression de ses alinéas. C'est que, vous l'aurez compris, nous ne partageons ni le fond ni la forme de ce projet de loi. Cela dit, quand je vois que nos collègues qui essaient de moduler la rédaction n'ont pas plus de succès que nous, je me dis que nous n'avons pas tort de défendre des amendements plus radicaux !
L'amendement COM-77 n'est pas adopté.
M. Alain Milon, rapporteur. - À l'article 7, le Gouvernement souhaite proroger d'un an une période transitoire relative à la mise en place du nouveau zonage dérogatoire au repos dominical mis en place par la loi « Croissance et activité » de 2015. Sur le fond, le Sénat ne peut qu'approuver cette démarche puisqu'elle rejoint la position qu'il avait adoptée il y a deux ans. Sur la forme toutefois, le choix du Gouvernement de recourir à une ordonnance se heurte à des contraintes de calendrier.
En effet, la période transitoire prévue en 2015 expire le 1er août 2017. Il est très peu probable que la présente loi soit promulguée à cette date, puisque la lecture des conclusions de la CMP aura lieu le jeudi 3 août ; et l'ordonnance doit être soumise au Conseil d'État et adoptée en Conseil des ministres...
C'est pourquoi l'amendement COM-11 vise à modifier directement l'article 257 de la loi « Croissance et activité » pour porter à trente-six mois la période transitoire et prévoit, comme elle expirera avant la promulgation du présent texte, une entrée en vigueur rétroactive de ces dispositions.
Mme Évelyne Yonnet. - Pourquoi une durée aussi longue ?
M. Alain Milon, rapporteur. - Elle s'applique à compter de l'entrée en vigueur de la loi, en 2015.
M. Dominique Watrin. - Nous réitérons notre opposition au travail du dimanche, qui se banalise pourtant à toute vitesse. La loi est déjà suffisamment souple. Aujourd'hui, des salariés travaillent le dimanche pour gagner seulement 10 euros de plus. Où est le gagnant-gagnant ?
L'amendement COM-11 est adopté ; l'amendement COM-50 devient sans objet.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 8
L'article 8 est adopté sans modification.
M. Alain Milon, rapporteur. - Nous devions entrer dans une nouvelle ère, et voilà que l'Assemblée nationale récemment élue reprend les défauts de la précédente, et demande au Gouvernement un rapport.
Quand j'aurai un peu de temps, je m'amuserai à faire la liste des rapports prévus dans la loi « Travail » et que nous ne recevrons jamais. Quoi d'étonnant ? Les ministres et leurs administrations ont autre chose à faire, sauf si le Président de la République décide de nommer un ministre des rapports !
Mme Nicole Bricq. - Nous voterons cet article car nous sommes toujours favorables aux rapports destinés à faire utilement le point sur une question. Vous vous plaignez de l'absence d'évaluation des lois précédentes, puis vous la refusez.
M. Jean-Louis Tourenne. - Il faudrait calculer le coût de tous les rapports effectués depuis quelques années. Les fonctionnaires de l'État ne sont en effet pas les seuls à être mobilisés pour leur rédaction : ils vont chercher leurs informations au sein des collectivités territoriales et des entreprises. C'est toute une nation qui se mobilise pour écrire des rapports, dont il serait intéressant de savoir combien de personnes les lisent !
Mme Catherine Génisson. - Je ne suis pas une fanatique des rapports, mais il est parfois important d'avoir des évaluations des dispositions que l'on vote.
M. Alain Milon, rapporteur. - Personnellement, je m'abstiendrai sur cet article, car je veux voter la loi et ne pas créer de difficulté avec l'Assemblée nationale.
Une petite anecdote : il y a quelques années, j'assistais au pot de départ d'un préfet qui, avec drôlerie, disait que, dans sa prochaine vie, s'il en avait une, il voudrait travailler dans un bureau d'études ou faire des rapports, car c'est plus lucratif que les fonctions de préfet !
L'article 8 bis est adopté sans modification.
M. Gérard Dériot, président. - Notre commission a délégué au fond l'article 9 à la commission des finances. L'usage veut que la commission saisie au fond adopte tous les amendements des commissions délégataires. Je donne la parole au rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Autant le dire tout de suite, l'article 9 n'a aucun lien avec l'objet du texte : il prévoit le report d'un an de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Le Gouvernement a trouvé dans ce texte le vecteur dont il a besoin pour ce report, auquel nous sommes d'ailleurs favorables.
Nous vous proposons donc d'adopter trois amendements. Les amendements COM-90 et COM-92 sont rédactionnels. L'amendement COM-91 vise quant à lui, je vais vous décevoir, à enrichir le rapport prévu par cet article, dont l'objet est de présenter les résultats des expérimentations menées auprès de contribuables volontaires, d'ailleurs peu nombreux, et de l'audit commandé à l'Inspection générale des finances et à un cabinet indépendant. Nous souhaitons que des tests et des simulations soient effectués sur une proposition alternative au prélèvement à la source. Notre commission des finances a en effet proposé d'instituer un prélèvement mensualisé et contemporain, système dans lequel les entreprises ne seraient pas tiers collecteurs.
M. René-Paul Savary. - Les élus locaux pouvaient dans le passé choisir d'être prélevés à la source. On a supprimé cette faculté cette année, à cause de la mise en place du prélèvement à la source pour tous à compter du 1er janvier 2018. Si la réforme est reportée, il serait juste de rétablir le prélèvement à la source pour les élus locaux cette année.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Malheureusement, l'article 10 de la loi de finances pour 2017 est déjà entré en vigueur. J'ajoute qu'introduire un tel amendement dans ce texte serait un cavalier. La question de l'imposition des élus locaux n'est en réalité pas directement liée au prélèvement à la source. L'article 10 n'a fait que supprimer une option.
Mme Pascale Gruny. - L'entreprise n'a pas à être le collecteur des impôts. Elle n'a pas besoin de pâtir des décisions de l'État : un mauvais climat s'installera inévitablement si une augmentation d'impôt réduit le salaire net versé.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - C'est bien pour cela que la commission des finances propose la mise en place d'un impôt mensualisé et contemporain, au lieu d'un prélèvement à la source. Une solution serait de passer par la déclaration sociale nominative (DSN) et la mensualisation, sans faire des entreprises des tiers collecteurs. Nous aurons ce débat lors du projet de loi de finances.
Mme Nicole Bricq. - Le report de la mise en place de cette réforme était une demande très forte de la CPME. Nous sommes le seul pays d'Europe à ne pas avoir mis en place la retenue à la source. Cela dit, tous les autres l'ont fait avant l'apparition de la numérisation. Grâce à elle, on peut sûrement trouver des solutions alternatives.
Mme Isabelle Debré. - Ce report est tout à fait nécessaire. Il faut quand même se poser une question : la confidentialité des données sera-t-elle garantie ?
Mme Nicole Bricq. - J'imagine que je ne suis pas la seule à avoir reçu de ma banque des demandes de renseignements très détaillés... J'ai écrit au président Larcher pour m'en plaindre, qui en a référé au gouverneur de la Banque de France. Ce simple exemple pour vous dire : la confidentialité, c'est fini depuis longtemps !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Certaines banques font un usage inconsidéré de la directive anti-blanchiment et de la notion de personne politiquement exposée, en nous demandant des informations sur nous-mêmes, mais aussi sur notre famille.
L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) devrait donner des instructions pour faire la part entre les bonnes pratiques et la suradministration.
M. Jean-Marc Gabouty. - Les entreprises alimentent déjà le budget social et celui de l'État, avec les cotisations sociales et la TVA.
Le report du prélèvement à la source est sage dans l'état actuel des choses. Je regrette seulement que cet article 9 figure dans ce projet de loi. On nous demande d'être rigoureux dans nos amendements, le Gouvernement ne l'est pas. Il me semble que l'engagement du Gouvernement d'introduire cette disposition en projet de loi de finances aurait pu suffire.
Les amendements COM-90, COM-91 et COM-92 sont adoptés.
Les amendements COM-85 et COM-81 rectifié bis sont retirés.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
La réunion est close à 16 h 10.
Jeudi 20 juillet 2017
- Présidence de M. Alain Milon, président -La réunion est ouverte à 9 heures.
Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale - Interrégimes en matière de retraite au service des assurés - Communication
Mme Anne Émery-Dumas, rapporteure. - Comment simplifier notre système de retraites ? C'est à cette question que va s'atteler le Gouvernement dans les prochains mois avec son projet annoncé de réforme systémique des retraites. Mais c'est déjà à cette question que l'interrégimes des retraites tente, depuis quatorze ans maintenant, d'apporter une réponse pragmatique aux assurés.
Les faits sont connus. Le paysage des retraites en France est morcelé : 35 régimes de base, 29 régimes complémentaires. Chaque Français cotise en moyenne à 2,3 caisses de retraite différentes et la part des personnes polypensionnées, c'est-à-dire percevant une retraite d'au moins deux régimes de base, représente chaque année 40 % des départs à la retraite pour les hommes et 30 % des départs à la retraite pour les femmes. Et cette tendance devrait s'amplifier.
Cette situation a justifié la création, lors de la réforme des retraites de 2003, d'un droit à l'information retraite (DAI) qui permet à chaque assuré de disposer, lorsqu'il prépare son départ à la retraite, d'une vision consolidée de ses droits acquis et d'une évaluation de son futur montant de retraite. Ce droit à l'information retraite a été mis en oeuvre par l'ensemble des régimes de retraite, réunis au sein d'un groupement d'intérêt public (GIP) appelé Info retraite. En 2015, ce GIP est devenu le GIP Union retraites à l'occasion de l'élargissement de ses missions, décidé par la réforme des retraites de 2014. Outre le droit à l'information retraite, il est désormais chargé du pilotage de l'ensemble des projets de coordination, de simplification et de mutualisation ayant pour objet d'améliorer les relations des régimes avec leurs usagers.
Aux termes de nos auditions avec notamment des régimes de retraite aussi différents que le régime général, le service des retraites des fonctionnaires de l'État ou le régime spécial de l'Opéra de Paris, il apparaît que l'interrégimes de retraite entre aujourd'hui dans une ère de méfiance. Si le droit à l'information retraite est un succès incontestable qu'il faut souligner, la définition concrète de la nouvelle mission du GIP de simplification et de mutualisation de l'assurance vieillesse ne fait pas l'objet d'un consensus entre le GIP et les régimes. Cette absence de consensus sur le rôle du GIP et les tensions actuellement perceptibles au sein de l'interrégimes au niveau budgétaire résulte en réalité de l'absence de vision stratégique de l'État quant à l'organisation de notre système de retraite. En ce sens, le projet de réforme systémique contribue pour l'instant à l'incertitude du monde de la retraite quant à son avenir.
Aussi, et afin de lancer les travaux de notre commission en vue de cette future réforme, il semble utile de faire le bilan de l'action de l'interrégimes de retraite depuis sa création avant d'analyser les conséquences de cette absence de vision stratégique de l'État sur l'avenir de l'interrégimes et du GIP Union retraite en particulier.
M. Gérard Roche, rapporteur. - Le Général de Gaulle considérait « [qu']une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique ». Ce triptyque pourrait très utilement être repris pour analyser le bilan de l'interrégimes en matière de retraite.
L'interrégimes c'est, en effet, tout d'abord des institutions. Le GIP Union retraite a mis en place un système sophistiqué de conseils et de comités permettant une large représentation de l'ensemble des régimes mais très hautement consommateur de ressources. L'Assemblée générale du GIP rassemble 36 organismes couvrant presque l'intégralité des régimes de retraite légalement obligatoires, de base et complémentaire. Il nous semblerait logique que les derniers régimes de retraite à ne pas avoir intégré le GIP Union retraite, en particulier ceux des assemblées parlementaires ou le régime temporaire des enseignants du privé, puissent le faire prochainement. Le conseil d'administration à la composition plus resserrée est l'instance délibérative ordinaire. Les projets informatiques sont discutés au sein de groupes de travail composant une « comitologie » assez complexe et qui s'avère chronophage de l'aveu même des services du GIP et des régimes. Les plus petits régimes spéciaux n'ont d'ailleurs pas les moyens de faire face à toutes les sollicitations. Ils sont représentés au sein du conseil d'administration par le collège des régimes spéciaux qu'anime la caisse centrale de retraite de la SNCF. La démocratie sociale n'est pas en reste puisqu'un comité des usagers, réunissant des représentants des partenaires sociaux, joue un rôle de veille sur les projets développés dans l'intérêt des usagers.
L'ensemble des personnes auditionnées juge que les rapports entre les régimes au sein du GIP, fondés sur le consensus, le respect de l'identité de chaque régime et la transparence, sont de bonne qualité et se développent au sein d'une atmosphère courtoise et constructive. Il semblerait toutefois utile que l'assemblée générale, seule instance à associer directement chacun des régimes et qui se réunit une fois tous les trois ans, puisse le faire chaque année. Les plus petits régimes ont en effet indiqué qu'une instance plus régulière d'information directe sur l'état d'avancement des projets manquait réellement. Nous formulerons une proposition en ce sens qui est partagée par le président du GIP, également président du conseil d'administration de la Cnav et bien connu de notre commission, M. Gérard Rivière.
L'interrégimes c'est aussi une pratique, celle du droit à l'information retraite, qui constitue aujourd'hui encore le coeur de métier du GIP.
Le DAI s'est tout d'abord développé au cours des campagnes d'information annuelles lancées depuis 2007. À partir de 35 ans et jusqu'à ses 50 ans, chaque assuré reçoit tous les cinq ans un courrier, son « relevé individuel de situation » (Ris), commun à tous ses régimes de retraite récapitulant l'ensemble de ses droits acquis. À partir de ses 55 ans et jusqu'à 65 ans, l'assuré reçoit tous les cinq ans également une « estimation indicative globale » (EIG) de sa future retraite. Depuis la loi de 2010, une information aux nouveaux assurés est également transmise à toute personne qui valide pour la première fois une durée d'assurance d'au moins deux trimestres afin de lui présenter le système de retraite par répartition et l'impact potentiel d'une activité à temps partiel. Le coût annuel des campagnes d'information « papier », à la charge des régimes, s'élève à environ 7 millions d'euros.
La loi de 2010 a également institué la possibilité, pour chaque personne à partir de 45 ans, de demander un « entretien d'information retraite » auprès de sa caisse de retraite de base ou complémentaire pour faire le point sur sa situation et réaliser des simulations sur les montants futurs de pension.
En parallèle, le GIP a développé de nouveaux outils numériques d'information des assurés, leur permettant à tout moment de disposer de ces mêmes informations sans attendre l'envoi du courrier quinquennal. Après avoir créé le portail commun d'information interrégimes, le GIP a lancé en octobre 2016 le compte personnel retraite afin de rendre disponible en ligne les outils de simulation et d'évaluation des droits retraite, appelés EVA et M@rel. Ces deux programmes interrogent en temps réel les bases de données de chacun des régimes pour un assuré et lui fournit en quelques secondes le récapitulatif de ses droits acquis et, en fonction de son âge et de l'avancée de sa carrière, une évaluation ou une estimation indicative du montant de sa future retraite. Depuis février dernier, les assurés de plus de 55 ans peuvent également demander en ligne des rectifications de carrière. Ce compte, qui a déjà été ouvert par 1,3 million de personnes, va continuer à s'enrichir dans les prochains mois.
Vos deux rapporteurs ont été véritablement séduits par la facilité d'utilisation de ce compte et par son ergonomie. L'assuré peut désormais estimer le montant de sa future retraite en fonction de différents scenarii de carrières et évaluer, par exemple, assez précisément la conséquence financière du recul d'un an de son départ à la retraite. Le compte personnel retraite est donc un véritable outil d'aide à la décision qui devrait à terme modifier les comportements des assurés en leur faisant mieux appréhender les mécanismes de surcote et de décote qui sont encore, d'après les dernières enquêtes disponibles, mal connus.
Du droit à l'information retraite « version papier » au DAI « 2.0 », il faut vraiment saluer le succès de ce projet de l'interrégimes qui, sans simplifier en soi le système des retraites, en offre une vision simplifiée pour chaque assuré. Les enquêtes de satisfaction menées auprès des assurés sont d'ailleurs très encourageantes puisque 9 assurés sur 10 considèrent que la qualité et la complétude des documents transmis est satisfaisante.
L'interrégimes c'est enfin un esprit, inscrit dans la loi depuis 2014, de mutualisation et de simplification de l'assurance vieillesse. Cet esprit sous-tend l'ensemble des projets contenus dans le contrat d'objectif pluriannuel 2015-2018 (COP) du GIP. Au-delà de l'approfondissement du DAI, deux projets concrétisent ce nouvel enjeu : la demande unique de retraite en ligne, qui est une avancée formidable pour l'assuré, et le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU). Il aurait d'ailleurs été plus clair de l'appeler répertoire unique de gestion des carrières - RUGC, sa fonction aurait été plus compréhensible à l'oreille.
La demande unique de retraite en ligne devrait être effective à partir du 1er janvier 2019. C'est une étape très importante dans la simplification des démarches de l'assuré qui s'inscrit dans le mouvement « Dites-le nous une fois ». Notre rapport reprendra la demande formulée par le Comité des usagers d'engager sans tarder la mise au point de la demande unique de pension de réversion en ligne, notamment lorsque l'assuré décédé était déjà pensionné.
Le RGCU est actuellement le principal chantier de l'interrégimes de retraite et est considéré comme la future colonne vertébrale de son système d'information. Il constituera à terme, soit 2022, le référentiel unique et commun des carrières des assurés de l'ensemble des régimes de retraite obligatoire. Cet outil contiendra les informations relatives aux droits mais ne calculera pas les montants de retraite. Contrairement aux craintes exprimées par les régimes de retraite lors de nos auditions, ces derniers ne seront pas dépossédés de leurs données car ils demeureront responsables de l'alimentation du répertoire et continueront de valider la partie de carrière qui leur est associée.
Décidé dans le cadre de la réforme des retraites de 2010, ce projet a pris un retard considérable qui a nécessité, à la suite d'un audit de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), la mise en place d'une nouvelle gouvernance à la fin de l'année 2016 afin de stabiliser son périmètre fonctionnel. La trajectoire financière du RGCU, dont le coût final s'élèverait à ce stade à 188 millions d'euros, soulève des inquiétudes de la part des régimes de retraite qui se sentent tenus à l'écart du processus de décision. Ils ont, par exemple, regretté de ne pas avoir été destinataires du rapport d'audit de l'Igas. Or, comme le prévoit la loi de 2014, le GIP est censé jouer le rôle de pilote du projet. Il semble toutefois que les décisions se prennent directement entre l'État et la Cnav qui est l'opérateur du RGCU sous l'égide de la personne désignée « sponsor » du projet, M. Jean-Jacques Marette, ancien directeur général de l'Agirc-Arrco. Un effort de transparence apparaît donc nécessaire pour mieux associer l'ensemble des régimes et doit avoir pour cadre le GIP Union retraite.
A l'image du RGCU, l'esprit de mutualisation et de simplification, activement porté par les services du GIP, suscite donc une certaine réticence de la part des régimes. Au cours de nos travaux, les régimes auditionnés ont exprimé leurs inquiétudes face à la progression exponentielle du budget du GIP passé de 7,7 millions d'euros en 2016 à 13,1 millions d'euros en 2017. Cette progression s'explique par l'intégration dans le compte personnel retraite du nouveau simulateur ainsi que d'une offre de service étoffée comme par exemple la consultation d'un bulletin de paiement des pensions unique. Mais cette évolution pèse sur les comptes des régimes. Ces derniers ont de plus pointé l'absence d'articulation entre les projets portés par le GIP et leurs impératifs de service et de gestion expliquant leur difficulté à s'approprier les nouveaux projets alors même que leur coût est élevé.
Vos rapporteurs considèrent que cette différence de vue est davantage due à une absence de vision stratégique de l'État quant à l'organisation du système de retraite qu'à une volonté des régimes de freiner l'activité interrégimes.
Mme Anne Émery-Dumas, rapporteure. - Cette absence de vision stratégique de l'État se retrouve en effet à la fois dans le domaine budgétaire, dans celui de l'architecture du système d'information de l'assurance vieillesse et au niveau de l'organisation du système de retraite.
Dans le domaine budgétaire tout d'abord, les priorités d'investissement de l'interrégimes, identifiées dans le COP du GIP, ne sont presque pas abordées dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) des régimes. Ainsi, la COG de la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole signée en septembre 2016, soit un an et demi après le COP du GIP, n'évoque que très indirectement et partiellement les projets de l'interrégimes de retraite. De plus, les participations financières des régimes au GIP sont contenues dans des enveloppes limitatives alors même qu'elles recouvrent également des dépenses d'investissement par nature évolutives. Tous les régimes auditionnés nous ont ainsi confié que la progression non anticipée des crédits du GIP en 2017 avait entraîné une hausse de leur contribution qui avait dû être financée au prix d'une baisse de leurs moyens de fonctionnement en interne. L'imputation des contributions des régimes au GIP sur les enveloppes limitatives des COG devait permettre une meilleure régulation budgétaire de l'interrégimes en nourrissant un dialogue contradictoire entre les régimes et le GIP sur le coût des projets. Toutefois la dynamique constatée des dépenses de projets, insuffisamment anticipée lors de la négociation du COP du GIP en 2014, pose désormais des difficultés.
L'absence d'articulation entre le COP du GIP Union retraite et les COG des régimes ne nous paraît donc plus tenable. Il s'agit là de la principale recommandation que nous formulons. Il apparaît en effet nécessaire d'inscrire dans chacune des COG un chapitre interrégimes identique, identifiant les projets auxquels les régimes sont tenus de contribuer. Le calendrier de signature du COP du GIP et des COG des régimes doit être revu afin de faire coïncider, sur une même période, l'ensemble des priorités et moyens associés de l'assurance vieillesse. Il conviendrait également de pouvoir distinguer, au sein des contributions des régimes au GIP, la part des dépenses relevant du fonctionnement du groupement et celle recouvrant les dépenses d'investissement. Ces dernières doivent pouvoir être inscrites au titre des crédits évaluatifs de façon à ne pas faire peser trop lourdement, sur les crédits de fonctionnement des régimes de retraite, le coût d'éventuelles hausses des budgets finançant des projets structurants. Afin d'associer plus en amont les partenaires sociaux dans la définition des priorités de l'interrégimes, il semblerait opportun de pouvoir faire délibérer les conseils d'administration de chacun des régimes sur le projet de COP du GIP avant sa signature, à l'instar de la pratique en cours pour les COG.
L'absence de vision stratégique de l'État se révèle également problématique au niveau de l'architecture du système d'information de l'assurance vieillesse et plus généralement de la protection sociale. Les projets du GIP ne s'inscrivent en effet dans aucune vision d'ensemble. Le schéma stratégique des systèmes d'information du service public de la sécurité sociale, arrêté en juillet 2013, n'intègre aucun des grands projets actuellement développés par l'interrégimes comme le RGCU ou la liquidation unique des régimes alignés. Si ce schéma stratégique a permis des avancées notables pour sécuriser l'immatriculation et l'identification des assurés et déployer la déclaration sociale nominative (DSN) dans l'ensemble des organismes de la sécurité sociale, il apparaît aujourd'hui obsolète et est en cours de refonte avec comme axe de développement la relation à l'usager.
Par ailleurs, nous avons pu constater au cours de nos auditions que les projets du GIP sont concurrencés par les autres priorités informatiques définies par l'État avec des calendriers souvent plus urgents. Les régimes ont ainsi souligné la lourdeur des développements exigés pour la mise en oeuvre de la déclaration sociale nominative ou encore le projet de prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu qui devait, récemment encore, entrer en vigueur au 1er janvier 2018. Ces projets, annoncés sans tenir compte des plans de charge des régimes, perturbent leur ordre des priorités de développements informatiques. L'accumulation de ces trois projets en particulier- le RGCU, la DSN et le prélèvement à la source- a provoqué une sorte de saturation au sein des régimes qui explique la réticence de ces derniers à appréhender de nouveaux projets au sein de l'interrégimes.
Enfin, le projet de réforme systémique des retraites, aux contours encore incertains, ne manquera pas, dans un premier temps, de freiner l'action de l'interrégimes. En 2010, la réforme des retraites s'était contentée de lancer le débat en demandant que soit remis au Parlement un rapport sur les « conditions de mise en place d'un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition au coeur du pacte social qui unit les générations ». Le Président de la République a précisé, pendant sa campagne, que son projet d'unification des règles des retraites devant tendre à « un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé », n'entraînerait pas forcément la création d'un régime unique. Néanmoins, et c'est bien normal, cette réforme va entraîner des interrogations de chacun des régimes quant à leur propre avenir ce qui aura des conséquences sur le fonctionnement de l'interrégimes dans les prochaines années et sur l'avenir du GIP.
À ce stade, trois pistes semblent possibles pour le GIP, qui dépendent très étroitement du schéma qui sera retenu et sur lequel vos rapporteurs n'ont pas encore d'information. La première verrait le GIP disparaître à l'issue de la mise en oeuvre de la demande unique de retraite en ligne en 2019, parachevant le droit à l'information retraite. La création d'un système de retraite fondé sur des règles identiques voire un régime unique lui ferait perdre son objet social.
La deuxième piste lui ferait jouer un rôle dans la réforme qui s'engage en lui donnant la mission d'approfondir la convergence des régimes de retraite pendant la période de transition. Depuis 2003, le GIP a acquis une connaissance des règles et des modalités de fonctionnement de chacun des régimes qu'il pourrait être pertinent d'utiliser pour la mise en place de la réforme.
Enfin la troisième piste d'évolution serait de transformer le GIP Union retraite en un instrument, non plus seulement interrégimes, mais interbranches. Les travaux liés au schéma directeur du système d'information du service public de la sécurité sociale ont souligné l'importance des problématiques transverses à l'ensemble des organismes de sécurité sociale en matière d'identification des assurés, de simplification de leurs démarches ainsi que de celles des employeurs mais aussi de lutte contre la fraude. Je rappelle que nous avons évoqué ce sujet très récemment devant notre commission avec ma collègue Agnès Canayer. Le portage et le pilotage de cette stratégie commune pourraient être confiés à un GIP, en l'espèce le GIP Union retraite. Ce dernier n'est pas le seul dans la sphère sociale à pouvoir revendiquer ce rôle. Le GIP de modernisation des déclarations sociales, qui met en oeuvre le déploiement de la DSN et que nous avons aussi auditionné pour nos travaux, pourrait également apporter son expertise interbranches.
Quoi qu'il en soit, le bilan de l'interrégimes en matière de retraite représente un héritage positif qui bénéficiera au futur système de retraite. Cet héritage repose d'abord sur les outils créés au sein de l'interrégimes au premier rang desquels le droit à l'information retraite et le futur RGCU. Le GIP aura également permis de faire dialoguer des régimes qui aujourd'hui encore ne parlent pas toujours le même langage, sont gérés selon des règles différentes et sont soucieux de leur identité propre et de leurs spécificités issues de notre histoire sociale. Néanmoins, cette habitude acquise d'un travail en commun aidera sans nul doute à la réforme. Enfin, l'interrégimes a su insuffler une culture de l'assuré à travers son exigence de simplifier les relations avec les régimes de retraite. Ce point me paraît très important à souligner.
Le droit à l'information retraite, qui est une vraie avancée au service de l'assuré, s'est patiemment construit, sans bénéficier sans doute de l'attention qu'il méritait. Puisse ce rapport donner le coup de projecteur mérité au travail accompli depuis quatorze ans.
M. Philippe Mouiller. - Je remercie nos rapporteurs pour ce travail d'éclairage sur le fonctionnement de l'interrégimes de retraite qui est insuffisamment connue. Vous avez souligné l'efficacité des outils mis à la disposition des assurés en particulier pour le droit à l'information retraite. Mais j'aimerais vous interroger plus spécifiquement sur le rôle du GIP dans le débat sur la future réforme des retraites. Les différents régimes de retraite vous paraissent-ils enclins à utiliser cet espace de dialogue pour avancer sur l'objectif politique fixé par le Gouvernement ou au contraire sont-ils dans l'idée de penser prioritairement à leur propre avenir ? Et donc quel rôle donner au GIP dans ce contexte ?
M. Yves Daudigny. - La dernière phrase de votre intervention me paraît en effet essentielle : le GIP et les différents projets qu'il a réalisés sont largement méconnus. J'en avais déjà pris conscience en janvier 2016, lorsque nous nous étions déplacés, avec quelques collègues de la commission des affaires sociales, dans les locaux du GIP dans le quartier de Bercy à Paris. Je pense que notre rapporteur général Jean-Marie Vanlerenberghe et notre rapporteur « retraite » Gérard Roche se souviennent très bien de cette visite au cours de laquelle nous avions été impressionnés par les services proposés. Votre rapport souligne une nouvelle fois le poids des systèmes d'information dans toute réflexion sur l'évolution de notre protection sociale. On constate une multiplication des logiciels dans chacune des branches de la sécurité sociale qui peut être un frein pour la simplification des démarches des usagers. L'unification des systèmes d'information pose à la fois des problèmes juridiques mais aussi financiers puisqu'elle s'effectue à des coûts exorbitants et votre rapport le montrera dans le cadre de l'interrégimes de retraite. Je veux enfin remarquer que la mise en oeuvre du projet du Gouvernement de réforme systémique des retraites, de par l'ampleur de la tâche qu'il suppose, nécessitera un poids politique et une légitimité qui ne devront pas être remis en cause.
M. René-Paul Savary. - Votre rapport va lancer le débat sur la réforme des retraites et souligne bien l'importance des problèmes informatiques pour la mise en oeuvre de ces réformes. Comme cela commence à être déjà le cas, l'utilisation du numéro d'identification de sécurité sociale (NIR) permet d'être un point d'entrée concernant l'assuré pour tous ses organismes de sécurité sociale. Mais les progrès accomplis ne règlent pas tous les problèmes de compatibilité. On le constate notamment dans les relations entre les conseils départementaux, les maisons départementales des personnes handicapées et la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie qui ne partagent pas de système d'information commun, ce qui est à la fois une perte d'argent et d'énergie.
Mme Catherine Génisson. - Je constate que l'Etat, réputé centralisateur, peine à unifier les systèmes d'information des régimes de retraite alors même que les pouvoirs publics doivent avoir l'exigence de simplifier les démarches des assurés.
M. Gérard Roche. - Le bilan de l'interrégimes en matière de retraite est un sujet beaucoup plus complexe qu'il n'en a l'air et il nous a fallu du temps pour y voir clair parmi les nombreux projets informatiques développés mais aussi pour comprendre les relations complexes entre les régimes de retraite et le GIP. Comme l'a rappelé Yves Daudigny, nous avions été conquis lors de notre visite du GIP par le dynamisme et la rapidité d'action de l'équipe du groupement. On a pu le constater une nouvelle fois lors de notre audition avec les représentants de l'Union retraite. Le simulateur interrégimes, c'est une application extraordinaire. Ils avancent vite, parfois trop même pour les plus petits régimes...
M. Alain Milon, président. - Donnons-leur le dossier médical personnel !
M. Gérard Roche, rapporteur. - Effectivement ! Il n'en demeure pas moins que les plus petits régimes se sentent dépassés par les projets envisagés dans le cadre de l'élargissement des missions du GIP. C'est pourquoi nous proposons la tenue d'une réunion annuelle de l'assemblée générale du groupement. La demande concerne essentiellement un besoin d'information. Le problème majeur que nous avons identifié concerne le dyschronologie, comme l'on dit en psychiatrie, entre les priorités fixées aux régimes dans leur COG et à celles définies dans le COP du GIP. Ce manque de coordination se ressent actuellement sur le dossier du RGCU. Ce répertoire, auquel j'associe souvent l'image d'une vaste « grange » dans laquelle les régimes stockeraient leurs données, inquiète véritablement les régimes. Deux raisons à cela : bien évidemment le dérapage financier du projet que l'on a évoqué mais surtout le fait d'être dépossédés de leurs données. En réalité, les nouveaux projets du GIP touchent désormais au coeur des procédures « métiers » des régimes, ce qui conduit à les interroger directement sur leurs pratiques.
Mme Anne Émery-Dumas, rapporteure. - En complément, j'ajouterais que ces projets de simplification et de mutualisation ont pour vocation la convergence de l'information mais surtout le service à l'assuré. C'est pour le service à l'assuré que l'on a besoin d'un système d'information unifié et le plus complet possible. Mais c'est vrai qu'il y a des réticences de la part des régimes à tendre vers cette unification et bien évidemment vers un régime unique. Le GIP a réussi à diffuser cette culture de l'usager à laquelle les régimes n'étaient pas directement sensibles, soucieux de rendre correctement leur service de liquidation et paiement de leur pension. L'objectif désormais, je le répète, c'est bien d'aller vers plus de simplicité pour l'assuré et aussi pour les régimes dans leurs procédures de gestion. En ce sens, le RGCU est un beau projet. Je vous invite vraiment à vous rendre sur le site du GIP Union retraite, www.info-retraite.fr et d'ouvrir votre compte personnel retraite. Vous pourrez y faire le bilan sur votre carrière et je vous assure que vous serez bluffés par la complétude des informations qui remontent.
M. Gérard Roche, rapporteur. - C'est d'autant plus vrai pour les assurés à la carrière complexe. Si les régimes de retraite rendent de nombreux services à leurs assurés, y compris en ligne désormais, seuls les travaux du GIP et de la communauté des régimes permettent de répondre aux interrogations de ces assurés qui sont très satisfaits du résultat obtenu.
Mme Patricia Schillinger. - Le travail de nos collègues permet de mesurer à quel point le virage du numérique est difficile à prendre, même en 2017, pour les administrations de sécurité sociale. Votre rapport questionne-t-il le prélèvement de cotisations d'assurance vieillesse sur les salariés ? Je m'étonne toujours du rapport entre ces cotisations et le faible niveau de prestation vieillesse qui peut être versée à certains assurés après une vie de travail. En Suisse, qui ne présente pas le même niveau de vie que la France, la retraite minimale est à 1 700 euros par mois quand un salarié a travaillé 44 ans. Loin des chiffres de petite retraite que l'on peut observer en France...
M. René-Paul Savary. - Dispose-t-on d'une analyse actuarielle concernant les réserves financières des régimes ? De plus, le passage d'un système de retraite par répartition à un système par point vous semble-t-il réaliste ? Le passage d'un système à l'autre est complexe. L'avez-vous abordé ?
M. Alain Milon, président. - Les comparaisons avec la Suisse sont difficiles car il faut considérer l'ensemble du système. L'assurance maladie est beaucoup moins avantageuse selon les niveaux de vie.
M. Gérard Roche. - Je rappelle à notre collègue Patricia Schillinger qu'en moyenne, le niveau de vie des retraités en France est égal à celui des actifs ce qui place notre pays en tête des pays de l'OCDE, s'agissant de cet indicateur. Sur la réforme systémique, on sait que c'est une réforme qui pose des problèmes informatiques mais qui sont en réalité des problèmes institutionnels et surtout des problèmes financiers. L'intégration des régimes spéciaux de la fonction publique va être très difficile en raison du décalage entre le taux de cotisation employeur de droit commun dans le secteur privé et celui appliqué aux employeurs publics et qui permet d'équilibrer artificiellement ces régimes. C'est un point dur que le Gouvernement devra trancher.
M. Alain Milon, président. - Cette communication est effectuée au nom de la Mecss et la commission doit en autoriser la publication.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Pertinence des soins - Communication
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - La thématique du « juste soin » ou de la pertinence, sous l'angle des actes redondants ou sans valeur ajoutée pour la santé, est au coeur des préoccupations de notre commission depuis plusieurs années.
Les enjeux sont majeurs : la dépense de santé représente près de 11 % du PIB ; les dépenses publiques de santé sont supérieures de 27 % en 2015 à leur niveau de 2006 ; cette tendance devrait se poursuivre, nous en connaissons les déterminants : vieillissement de la population, poids des maladies chroniques, technicité croissante des soins...
À côté de cela, plusieurs rapports ou enquêtes ont mis en avant des marges d'efficience globale : dès 1992, le Professeur Beraud de la Caisse nationale d'assurance maladie relevait que le toujours plus n'est pas toujours synonyme de mieux en matière de santé. Plus récemment, l'OCDE a montré que le « gaspillage » - dont les interventions évitables ou « de faible valeur » - représentait près d'un cinquième de la dépense de santé dans la plupart des pays développés, alors que les budgets sont sous tension. Une enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF), que j'ai déjà eu l'occasion de citer, révèle que 28 % des actes prescrits sont jugés, par les médecins eux-mêmes, non pleinement justifiés ; rapportés aux dépenses d'assurance maladie, ce sont de l'ordre de 50 milliards d'euros potentiellement concernés.
Face à ces constats, des actions ont été engagées : dans les trois derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, « la pertinence et le bon usage des soins » sont un volet du programme d'économies visant à assurer une croissance maîtrisée de l'Ondam.
Dans le prolongement de ces discussions, j'ai souhaité entendre, au cours des derniers mois, les principales parties prenantes pour dresser un état des lieux des actions menées et en évaluer les résultats.
Un premier constat, positif, est la prise de conscience, par tous les acteurs, de l'enjeu que l'amélioration de la pertinence des soins représente pour la pérennité de notre système de santé. Cet enjeu, c'est de continuer à garantir les meilleurs soins, en préservant les grands équilibres économiques, face aux défis de la médecine de demain.
Un second constat, plus nuancé, est qu'en dépit des actions engagées, les résultats sont réels mais ils plafonnent : de l'avis quasi-unanime des personnes entendues, notre système de santé, par son organisation cloisonnée et ses modes de financement insuffisamment incitatifs, constitue un frein à des avancées plus substantielles. Cela me conduira à vous soumettre quelques pistes de réflexion, pour passer d'une logique de rabot à des évolutions plus structurelles.
Qu'entend-on, d'abord, par la « pertinence » des soins ?
Les termes ont leur importance sur ce sujet, qui a un sens médical précis mais aussi une dimension organisationnelle.
L'ancienne présidente de la Haute autorité de santé (HAS), devenue depuis ministre en charge de la santé, a défini lors de son audition un acte de soin pertinent comme « le bon acte, pour le bon patient, au bon moment ». La pertinence fait l'objet de définitions scientifiques internationales : elle renvoie à la balance bénéfice/risque, à ce qui est approprié, adapté aux besoins et préférences des patients, conforme aux recommandations de bonnes pratiques et aux meilleurs standards cliniques. Il s'agit de protéger le patient des risques potentiels de l'intervention inutile ou excessive du système de santé, mais aussi du sous-usage ou du mésusage des soins. Cette exigence première de qualité et de sécurité des soins donne à cette notion une légitimité auprès des professionnels de santé.
La recherche de la pertinence est également un levier d'efficience, en évitant, par voie de conséquence, des dépenses inutiles, sans que cela ne porte atteinte à l'amélioration de la santé. Il est à cet égard intéressant de noter que cela nous amène à penser les deux objectifs - l'amélioration de la qualité des soins et celle de l'efficience du système de santé - comme allant de pair, et non de façon antagoniste.
La pertinence des soins recouvre des aspects transverses de l'organisation de notre système de santé que je n'ai pas l'ambition de tous appréhender : la pertinence des prescriptions médicamenteuses, la pertinence des séjours (comme le recours inapproprié aux urgences, sujet sur lequel nos collègues Laurence Cohen, Catherine Génisson et René-Paul Savary ont conduit une mission), la pertinence des modes de prise en charge (chirurgie ambulatoire versus hospitalisation complète), enfin la pertinence des actes diagnostiques et thérapeutiques : c'est sur ce dernier sujet que mon propos est davantage ciblé, suivant l'axe principal retenu au titre de la pertinence dans les actions engagées au plan national.
Quels sont les enjeux ?
Personne ne conteste globalement les constats des rapports ou enquêtes que j'ai cités. Pour autant, cela ne signifie pas que le sujet soit simple à aborder, bien au contraire :
- comme l'a relevé la HAS, l'approche scientifique de la pertinence est complexe ; ses recommandations de bonne pratique sont le socle de toute action ; or, elles requièrent un travail d'expertise lourd, une sélection fine des thématiques en amont et doivent s'adapter aux évolutions parfois rapides des techniques et des connaissances ;
- le dialogue patient-médecin est lui-même singulier ce qui rend délicat l'appréciation de la pertinence de certaines prescriptions ;
- enfin, les constats globaux traduisent un ressenti général mais ne se déclinent pas en plans d'actions opérationnels. Si les uns et les autres reconnaissent l'existence de « poches d'efficience », elles se situent souvent, selon eux, hors de leur domaine d'action.
Des données ciblées existent toutefois : deux enquêtes de la Cour des comptes sur la biologie et l'imagerie médicales, présentées en 2013 et 2016 par nos collègues Jacky Le Menn et Daniel Chasseing, avaient mis en avant la banalisation de certains actes, comme l'échographie ou le dosage de la vitamine D, sans que la croissance des volumes - un million d'échographies en plus chaque année entre 2007 et 2014, des dosages multipliés par 7 pour la vitamine D entre 2007 et 2011 - corresponde à une utilité médicale avérée.
Il est possible d'agir, en étroite concertation avec les professionnels de santé. La plupart des acteurs ont d'ailleurs estimé qu'il était aujourd'hui indispensable d'aller plus loin sur ce sujet « stratégiquement clé », comme l'a qualifié l'ancienne présidente de la HAS.
Quelles actions sont engagées et avec quels résultats ?
La « pertinence et le bon usage des soins » a émergé comme un axe prioritaire du dernier programme de gestion du risque entre l'assurance maladie et l'État et, parallèlement, comme un volet d'économies du plan Ondam 2015-2017. Les actions sur ce volet englobent la maîtrise médicalisée mise en place par l'assurance maladie depuis plus de dix ans dans le domaine des soins de ville.
Plus récente, une démarche nationale de pertinence, axée sur le secteur hospitalier, est portée depuis 2011 par la Direction générale de l'offre de soins et la Caisse nationale d'assurance maladie, au sein d'un « groupe technique » associant la HAS et l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation. Ces travaux ont conduit à identifier, en 2014, 33 thématiques prioritaires, correspondant à des actes chirurgicaux dont la variation interdépartementale des taux de recours interroge la pertinence. Un premier Atlas des variations des pratiques médicales, ciblé sur dix de ces actes, pour lesquels des référentiels de bonne pratique existent, a été publié en novembre 2016. C'est une avancée à saluer même si l'intérêt résidera surtout dans le suivi des résultats que les prochaines éditions de cet atlas permettront d'assurer.
Les actes ciblés sont : la chirurgie de l'appendicite, la césarienne, la chirurgie bariatrique ou de l'obésité, la chirurgie de la prostate, la chirurgie du syndrome du canal carpien, l'ablation de la vésicule biliaire, celle des amygdales, de la thyroïde et de l'utérus, et la pose d'une prothèse du genou. La part des séjours évitables pour ces actes va jusqu'à 18 % d'après l'assurance maladie.
Un cadre de pilotage en région entre les Agences régionales de santé (ARS) et Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) s'est structuré : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a prévu l'élaboration par chaque ARS d'un plan d'actions d'amélioration de la pertinence des soins. Ces plans ont été élaborés à l'été 2016, ciblés principalement sur les dix actes mentionnés. En parallèle, l'assurance maladie a développé, comme elle le fait déjà en direction des professionnels de ville, une méthode de ciblage des établissements de santé « atypiques », servant de base à une réponse graduée, en trois temps :
- l'accompagnement des établissements de santé (information, échanges confraternels, mise à disposition d'outils) ;
- la contractualisation tripartite, pour fixer les objectifs à atteindre, selon un cadre qui a été refondu et simplifié par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, ce qui va dans le bon sens mais a de fait retardé la contractualisation sur le champ de la pertinence ;
- en cas de non-respect des engagements, la mise sous accord préalable de certains actes, déclenchée depuis 2015 par l'ARS alors que l'assurance maladie était jusqu'alors force de proposition. Sur le champ de la pertinence, cette procédure a été appliquée presqu'exclusivement à la chirurgie bariatrique, dès 2010 au titre des actions préalables de l'assurance maladie.
Alors que l'axe « pertinence » du plan Ondam avait vocation à renforcer la portée des actions de maîtrise médicalisée, ses résultats au plan budgétaire révèlent un certain plafonnement.
La maîtrise médicalisée en ville a représenté en moyenne 500 millions d'euros par an depuis 2005, principalement sur les prescriptions de médicaments et d'arrêts de travail, avec des actions ciblées en direction des gros prescripteurs.
En 2015 comme en 2016, les objectifs étaient de 700 millions d'euros : ils ont été atteints à 85 % en 2015 puis à 65 % en 2016. Hors prescriptions médicamenteuses qui représentent plus de 80 % des économies réalisées en 2016, les autres actions présentent des résultats modestes et contrastés (65 millions d'euros, seulement 24 % des objectifs fixés) :
- elles concernent principalement les prescriptions d'arrêt de travail et de transport sanitaire en ville et établissements : les objectifs ne sont atteints qu'à 24 % et 15 % en dépit d'actions ciblées (visites, plateformes de régulation des transports en établissements...) ;
- le volet « actes » (concernant la kinésithérapie, la biologie ou les examens d'IRM) représente de l'ordre de 30 millions d'euros soit moins d'un tiers de l'objectif. A titre d'illustration, l'assurance maladie avait évalué à 200 millions d'euros le potentiel de diminution sur trois ans des tests redondants et non pertinents en biologie.
Le rapport « charges et produits » présentant les propositions de l'assurance maladie pour 2018 marque une volonté d'amplification des actions qu'il faut saluer : hors produits de santé, l'objectif au titre de la pertinence, recentré sur les actes, passerait de 290 millions d'euros en 2017 à 510 millions d'euros en 2018. L'effort soutenu sur les actes en ville et à l'hôpital serait porté sur la diminution des taux de recours sur les dix actes chirurgicaux ciblés au plan national, la poursuite des actions sur les tests biologiques non pertinents et la radiologie. Les actions sur les indemnités journalières seront poursuivies, avec une communication nationale prévue sur la lombalgie. Un effort porterait également sur les actes paramédicaux, pour lesquels la répartition géographique des professionnels de santé pose une question de pertinence : on note en effet une corrélation entre la densité des professionnels de santé et la consommation de soins.
Quels axes de réflexion appellent ces constats ?
Les actions menées ont contribué à donner plus de visibilité à l'enjeu de pertinence des soins. Toutefois, des avancées sont encore possibles et personne ne le conteste. Elles sont aussi nécessaires, alors que notre système de santé est sous tension, pour lui redonner des marges de manoeuvre, notamment pour financer la dépendance.
D'abord, la démarche engagée a besoin, de l'avis des personnes entendues, d'une nouvelle impulsion pour mieux coordonner des acteurs dont les rôles sont imbriqués. L'absence de véritable stratégie donne le sentiment d'un tâtonnement et les initiatives restent dispersées et peu lisibles. La FHF va lancer son programme de pertinence des actes, jugeant les actions nationales lourdes et inefficaces. La finalité des saisines de la HAS est parfois trop peu concertée en amont pour conduire à des résultats opérationnels. Par ailleurs, la construction d'outils de pilotage et de données structurées, par une exploitation optimisée des systèmes d'information, permettrait d'identifier des axes de progression et d'assurer le nécessaire suivi dans le temps des résultats, aux niveaux national et territorial.
De plus, les actions menées demeurent cloisonnées entre la ville et l'hôpital, sans s'attacher à la liaison - pourtant fondamentale - entre les deux. La Cour des comptes avait relevé, pour l'imagerie, que des répétitions inutiles d'examens étaient en partie liées à des carences dans la transmission et le partage des informations. Des outils existent mais leur fonctionnement reste perfectible : pour les syndicats de médecins, le format de la lettre de liaison ville-hôpital est à simplifier ; un enjeu sera aussi de convaincre les praticiens de l'intérêt du dossier médical partagé (DMP), alors qu'ils restent pour le moins sceptiques quant à son caractère opérationnel et la réalité de son déploiement, limité à 770 000 aujourd'hui, en phase de test : il est essentiel d'associer les praticiens de terrain au bilan de ces outils pour les ancrer dans les pratiques quotidiennes. Une attention particulière doit être portée en parallèle au déploiement des messageries sécurisées et à l'interopérabilité entre les logiciels.
Une condition de réussite des actions est l'appropriation de la démarche de pertinence par les professionnels de santé. Cela passe par la répétition et la continuité des messages, et donc un travail en réseau entre les acteurs. L'implication des sociétés savantes est, à cet égard, cruciale, suivant le modèle des « leaders cliniques » dans certains pays, en particulier sur les sujets pointus. Plusieurs ont investi cette thématique, comme la Société française de radiologie qui a élaboré un guide de bon usage. Une autre idée avancée serait d'instaurer des rendez-vous réguliers avec l'assurance maladie, ce qui présenterait l'intérêt de renforcer la place de ces sujets dans les relations conventionnelles. Un levier essentiel est enfin de sensibiliser les internes et de former les médecins aux enjeux médico-économiques.
Face à la pression consumériste que subissent les praticiens, la sensibilisation des patients est un autre moyen, complémentaire, de changer les comportements. Des initiatives intéressantes, dans le cadre du programme « choosing wisely » (choisir avec soin) ont été développées dans plusieurs pays, notamment au Canada, autour de messages courts. Plusieurs acteurs ont montré un intérêt à approfondir ce champ, dans la continuité des « mémo patients » de l'assurance maladie. Ces actions sont à mener en association étroite avec les professionnels de santé puisqu'ils sont en première ligne dans le dialogue avec les patients.
Les actions d'amélioration de la pertinence des soins gagneraient, enfin, à être accompagnées de modes de financement plus incitatifs. Quasiment toutes les personnes entendues ont relevé les limites de la tarification à l'acte ou à l'activité. Deux leviers seraient intéressants à explorer :
- Le paiement forfaitaire au parcours ou à l'épisode de soins répond à un double objectif : rompre la logique « en silos » de notre système de santé, tout en améliorant la qualité des prises en charge. Le sujet n'est pas nouveau : notre président et Jacky Le Menn préconisaient déjà, dans un rapport de 2012 sur la tarification à l'activité, l'expérimentation de ces modes de financement. Nous avons, depuis, peu avancé : des expérimentations ont été ouvertes par la LFSS pour 2014 mais le cadre se révèle lourd et les actions ne commenceront qu'à l'automne prochain. Passer par des appels à projet auprès des établissements ou professionnels de santé volontaires serait un moyen d'avancer plus efficacement. Les professionnels sont ouverts, même si les questions de répartition de l'enveloppe globale de financement sont complexes à résoudre et que des référentiels bien balisés doivent être disponibles. Une piste a été ouverte par l'assurance maladie, pour appliquer cette rémunération à la pose de prothèse de hanche, en incluant les phases pré et post-opératoire, comme cela se pratique en Suède avec succès. Nous serons attentifs aux modalités qui pourraient être proposées dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
- Un autre axe de réflexion serait d'associer davantage les professionnels et établissements de santé à la régulation des dépenses de santé par la qualité et la pertinence. Nous vous présentions l'an dernier, avec Yves Daudigny, un rapport sur les soins de ville en Allemagne qui en montrait un exemple très abouti, reflet d'une maturité dans la relation conventionnelle qui n'a pas son équivalent en France. Pour autant, une plus forte valorisation d'autres éléments de rémunération que l'acte (par exemple en s'appuyant sur la rémunération sur objectifs de santé publique, la ROSP) serait un levier pour responsabiliser les professionnels et les intéresser plus encore aux résultats. Le principe d'un accord prix-volume a été engagé avec les biologistes, pour une meilleure maîtrise du volume de certains actes. Les discussions avec les professionnels et établissements de santé devraient s'engager plus résolument dans cette logique, selon un cadre pluriannuel. Les représentants de la FHF sont demandeurs, en souhaitant que la valorisation de la qualité, encore embryonnaire pour les établissements de santé, repose sur des indicateurs finaux de résultats - comme les taux de ré-hospitalisations évitables, ou basés sur le recueil de l'expérience des patients - et non seulement des indicateurs intermédiaires de processus. Une autre idée en ce sens, avancée par les radiologues, serait de les inciter à réorienter les prescriptions dans un objectif de pertinence. Cette piste mériterait d'être approfondie avec les professionnels.
En conclusion, les réflexions autour de la pertinence des soins émergent, elles sont complexes mais elles sont un levier pour permettre à notre système de santé de faire sa mue et de préserver des marges de manoeuvre pour maintenir une haute qualité. Les acteurs du système de santé semblent disposés à les aborder et y prendre toute leur part, si tant est qu'une volonté politique les conduise en ce sens, en engageant un dialogue de confiance et de responsabilité.
Voici, monsieur le président, mes chers collègues, les principales observations que je souhaitais vous présenter.
Mme Catherine Génisson. - Je remercie le rapporteur général pour sa présentation. Un point relevé est selon moi le pivot du sujet : l'amélioration de la qualité des soins et l'efficience du système de santé vont de pair. Cela doit s'ancrer dans les esprits. En revanche, faisons attention à la corrélation entre la densité en professionnels de santé et la consommation de soins : cela a justifié, dans le passé, la baisse drastique du numerus clausus.
Le DMP est une arlésienne depuis plus de dix ans. Il y a un problème d'adhésion au projet. Il est inimaginable que le bilan soit encore aussi faible, alors que le carnet de santé de l'enfant fonctionne bien. Je souscris également au principe du déploiement des messageries sécurisées, qui s'est heurté au fait que certains médecins ont eu longtemps des réticences à utiliser les nouvelles technologies.
Les leaders cliniques sont importants. Mais la difficulté à laquelle sont exposés les médecins est la pression consumériste des patients. Être capable de refuser la demande d'un patient suppose d'avoir une certaine expérience et une formation à la sémiologie.
Je partage également l'idée d'associer les professionnels à la régulation du système par la qualité et l'efficience. Il y a tout un travail à engager pour sortir de l'organisation en silos, principalement verticale, de notre système de santé. Le rapport avance des pistes importantes. Il est essentiel d'informer nos concitoyens et de les éduquer à un recours pertinent au système de santé, tout en continuant d'appréhender la médecine comme une science avant tout humaine.
M. René-Paul Savary. - Je partage assez largement les propos de ma collègue Catherine Génisson. Pour un médecin, cela prend plus de temps de dire non à un patient que d'accéder à sa demande. Toute décision entraîne une prise de risque à laquelle les nouveaux praticiens ne sont pas formés. Aujourd'hui, les médecins n'ont plus le droit à l'erreur. Or, il y a toujours un jour particulier où ils sont confrontés au risque d'erreur. Cela rend difficile l'appréhension du sujet des actes inutiles. Il en est de même pour les prescriptions d'arrêts de travail non justifiées : les patients n'hésitent pas à placer le médecin face à sa responsabilité. Il est essentiel de changer les habitudes. Or, je doute de la réelle volonté de l'assurance maladie de faire évoluer les choses. Celle-ci dispose d'une source d'informations extraordinaire mais sous-exploitée. Des évolutions du pilotage territorial seraient aussi nécessaires. J'ai dû imposer dans le cadre du projet régional de santé Grand Est que l'assurance maladie soit associée.
Sur les modes de tarification, des difficultés se posent également concernant les urgences : le rapport qui sera présenté la semaine prochaine avancera des propositions.
Enfin, il est faux de dire qu'un nombre plus élevé de médecins entraîne un plus grand nombre d'actes. Desserrer le numerus clausus médical est aujourd'hui une nécessité.
M. Daniel Chasseing. - Il n'y a pas de corrélation, en effet, entre le nombre de professionnels de santé et la consommation de soins. Cette considération a conduit à la baisse du numerus clausus dans les années 1990, avec les conséquences que l'on sait.
Les médecins ont une part de responsabilité mais il n'est pas facile de refuser un acte. L'éducation des patients est à faire, en particulier pour l'imagerie. Il faut également former les médecins généralistes au bon usage des prescriptions d'IRM ou de scanner. Les problèmes de transmission d'informations entre la ville et l'hôpital existent dans les deux sens et sont encore fréquents. Pour l'imagerie, il y avait également des problèmes de transmission induisant des redondances d'actes au sein même de l'hôpital.
M. Gérard Roche. - La médecine est une grande école d'humilité. On n'est jamais sûr de rien. Un de mes professeurs de médecine nous enseignait par exemple que l'on ne doit poser un diagnostic de malaise vagal que lorsque toutes les autres causes de malaise ont été éliminées. Ce qui peut paraître anodin peut avoir des conséquences graves. Une des clés de la pertinence me paraît être le DMP à disposition immédiate de tout intervenant, qui permettra un suivi personnalisé et permanent des patients. Je m'étonne que la médecine sportive ne soit pas évoquée comme piste d'économies pour la sécurité sociale. Les sportifs se blessent le week-end, ne sollicitent pas leur assurance et font reposer le coût de leurs soins sur l'assurance maladie. Le développement des sports extrêmes, dont les pratiquants s'exposent volontairement à des risques importants, soulève également des questions.
M. Alain Milon, président. - Le sport est effectivement un sujet. En réponse à certains intervenants, je voudrais dire qu'à titre personnel, je considère que les ARS et l'assurance maladie dépendent du ministère de la santé et que si des engagements contractuels doivent être pris, il revient au ministère de les assumer.
M. Philippe Mouiller. - Je voudrais à mon tour remercier le rapporteur général et les différents intervenants. Je suis atterré par les chiffres évoqués. Le fait que les choses n'évoluent pas traduit l'absence de volonté réelle. Je m'interroge sur les effets de la judiciarisation de notre société dans le domaine qui nous occupe. Le poids de la judiciarisation de la médecine ne conduit-elle pas à multiplier les actes ? Pour ce qui concerne le comportement des patients, je m'interroge sur l'impact du tiers-payant généralisé. Le sujet des arrêts de travail est complexe. On observe notamment une augmentation à certaines périodes de l'année. Enfin, les cures thermales sont-elles dans le champ de notre sujet ?
Mme Catherine Génisson. - C'est un sujet tabou !
M. Alain Milon, président. - La ministre de la santé a annoncé qu'elle souhaitait rendre onze vaccins obligatoires. Je suis complètement d'accord. Cette obligation devrait se traduire, comme c'est déjà le cas, par un certain nombre d'accidents vaccinaux, dont l'État devra assumer la responsabilité et la réparation. En revanche, quand un enfant contracte une maladie contre laquelle ses parents ont refusé la vaccination, les frais de santé devraient rester à leur charge.
M. Yves Daudigny. - Je salue à mon tour le grand intérêt des interventions. L'idée du « jour particulier » du médecin, au cours duquel il peut commettre une erreur, a été évoquée. Le patient qui consulte souhaite 100 % d'efficacité. Vous avez évoqué le malaise vagal, je confirme que le diagnostic en est très difficile. Un patient qui a finalement subi 50 jours d'hospitalisation à la suite d'un tel malaise avait consulté trois médecins, dont deux cardiologues, qui, tous, avaient confirmé l'absence de problème cardiaque. Les arrêts de travail sont un poste de dépense très dynamique, qui augmente de 4 % par an. Les lombalgies, mais aussi les difficultés psychologiques, en sont souvent la cause. Pour ce qui concerne les transports sanitaires, il y a une difficulté à transformer certains transports couchés en transports assis et à responsabiliser les établissements de santé.
M. Daniel Chasseing. - Je suis convaincu que le DMP sera généralisé d'ici quelques années. Je voudrais insister sur le fait que dans un département rural, si les patients se présentent aux urgences, c'est que le médecin le plus proche est à 50 ou 80 kilomètres. Or, le manque de médecins va s'accentuer dans les territoires ruraux. Il faut relever le numerus clausus et développer les stages en médecine générale au cours de la formation des médecins.
Mme Catherine Génisson. - L'augmentation des transports sanitaires est aussi liée au développement de la médecine ambulatoire. Il faut souligner que les transports assis par ambulance coûtent moins cher que les transports assis par taxi, dont les tarifs, très divers, relèvent des préfectures. Le métier d'ambulancier doit être préservé.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Je sais pouvoir m'appuyer sur les médecins de notre commission pour faire partager largement cette démarche de pertinence, notamment par le Gouvernement.
Je voudrais apporter quelques précisions.
La corrélation entre la densité de la présence médicale et le nombre d'actes médicaux est un fait. Elle est particulièrement forte pour les soins infirmiers et de kinésithérapie, ainsi que l'a démontré la Cour des comptes.
Le DMP devrait être opérationnel en 2018. Il faut que les médecins s'en saisissent.
M. Gérard Roche. - Le DMP permet une traçabilité de la qualité des soins, c'est aussi ce que peuvent craindre certains médecins.
M. Alain Milon, président. - La commission autorise-t-elle la publication de ce rapport effectué au nom de la Mecss ?
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 11 heures.