Mercredi 31 mai 2017
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Groupe de travail sur l'aménagement du territoire - Examen du rapport d'information
M. Hervé Maurey, président. - Chers collègues, cette réunion fait suite à la réunion du groupe de travail de la semaine dernière visant à vous présenter les conclusions du rapport d'information de Louis-Jean de Nicolaÿ et de moi-même, que nous avons intitulé « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité ».
Vous le savez, nous avons créé l'année dernière un groupe de travail pour réfléchir à cette notion, pour, d'un point de vue tant théorique que pratique, en analyser les évolutions et les perspectives. Avec son rôle constitutionnel de représentant des territoires, le rôle du Sénat à cet égard est central.
Les fractures territoriales sont de plus en plus fortes et leurs conséquences se manifestent dans les urnes. Au premier tour de la dernière élection présidentielle, le Front national est arrivé en tête dans quelque 19 000 communes, ce qui est lié au sentiment d'abandon que l'on perçoit nettement dans la plupart des territoires ruraux. On a une France coupée en deux, avec d'un côté les grandes aires urbaines, qui, entre 2000 et 2010, ont concentré 75 % de la croissance économique et, de l'autre côté, des territoires ruraux ou périurbains, qui cumulent les « moins » : moins d'emplois, moins de dynamisme démographique, moins de services publics.
Face à cette situation, les gouvernements successifs ont été plutôt défaillants. L'aménagement du territoire est devenu au fil des ans le parent pauvre des politiques publiques. L'État a en effet relégué au second plan cette politique, qui était une spécificité française, en n'ayant plus de volonté réelle ni de vision stratégique sur ce sujet.
Pour autant, on ne peut plus aborder l'aménagement du territoire comme on le faisait dans les années 1960 et 1970. Il faut tenir compte de la décentralisation, de la mondialisation, de la construction européenne. En outre, de nouveaux acteurs ont émergé, l'État n'est plus le seul à intervenir dans ce secteur. Enfin, les méthodes ont fortement évolué ; il ne s'agit plus de définir une politique allant du haut vers le bas.
Je ne m'étendrai pas davantage sur le constat, largement partagé, mais je souhaitais tout de même rappeler que la situation est pour le moins préoccupante.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - À l'issue de nos travaux, des nombreuses auditions et de la consultation par internet mise en place en particulier en direction des élus des territoires, nous constatons qu'une demande d'aménagement du territoire continue à s'exprimer fortement. L'absence de réponse à la hauteur de cette attente alimente de vives déceptions et un sentiment d'abandon. Le président vient de le rappeler, dans plus de 19 000 communes, Marine Le Pen est arrivée en tête lors du premier tour de la dernière élection présidentielle.
Il est donc urgent de réagir en fondant une nouvelle ambition d'aménagement du territoire, afin de compenser ces déséquilibres. Le rôle de la puissance publique est d'amortir et d'atténuer les inégalités économiques, non de les amplifier, sans quoi elle n'a pas de sens. Nous sommes donc opposés à l'idée que la métropolisation soit le seul horizon territorial de notre pays, même si nous reconnaissons qu'elle est nécessaire pour le développement économique des territoires.
Il nous semble indispensable de proposer un modèle de développement plus équilibré, grâce à une politique volontariste d'aménagement du territoire. Ce nouveau modèle doit s'appuyer sur deux priorités. D'une part, il faut organiser la métropolisation pour qu'elle bénéficie au plus grand nombre, d'autre part, il faut aussi organiser la solidarité et la complémentarité entre les métropoles et les territoires alentour.
Il faut permettre aux territoires moins denses de se développer par des projets qui leur sont propres et non les laisser attendre les retombées, par redistribution, des métropoles. Pour cela, il faut en particulier renforcer le réseau des villes petites et moyennes, qui connaît un affaiblissement inquiétant alors même qu'il constitue l'armature territoriale de notre pays.
Nous vous proposons donc dix axes de réflexion se déclinant en vingt-six propositions.
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - Le premier axe consiste à renouveler le rôle de l'État dans l'aménagement du territoire. Il n'est pas question de remettre en place une politique allant du haut vers le bas mais on ne peut laisser perdurer cette situation, dans laquelle l'État est devenu un spectateur ou, pour reprendre son expression, « un facilitateur » en matière d'aménagement du territoire. Il a un rôle éminent de stratège, de régulateur, voire d'acteur, à jouer.
Nous proposons de mesurer systématiquement l'impact sur l'aménagement du territoire des décisions qui sont prises. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, au point que le Conseil d'État, dans son avis sur le récent projet de loi Montagne, avait souligné la faiblesse de l'étude d'impact. Les lois et décrets doivent mesurer l'impact de leurs mesures sur l'aménagement du territoire.
Nous proposons également d'évaluer les différents dispositifs de schémas et de zonages. Ces outils se multiplient ; il conviendrait de les évaluer et éventuellement d'en réduire le nombre.
Il nous paraît également essentiel que le critère d'aménagement du territoire soit pris en compte dans les choix de régulation et d'investissement de l'État, dans la mesure où, sur certains territoires, l'initiative privée ne suffit pas.
Enfin, nous proposons de revoir le pilotage stratégique de l'aménagement du territoire. Ronan Dantec se souvient sans doute que, lorsque nous avons auditionné le Commissariat général à l'égalité des territoires, le CGET, nous étions abasourdis d'apprendre que le commissaire général ne se positionne pas du tout comme un acteur de l'aménagement du territoire ; il se contente d'assister à des colloques... Nous souhaitons la mise en place d'une véritable structure de pilotage, placée sous l'autorité d'un secrétaire d'État rattaché directement au Premier ministre, car l'aménagement du territoire nécessite une action transversale.
Deuxième axe, il faut conforter le rôle des collectivités territoriales. Je le disais, il n'est pas question de tout remonter au niveau de l'État ; nous pensons qu'il faut encourager un binôme pertinent : le binôme région-établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). En effet, la loi NOTRe a renforcé les compétences des régions dans ce domaine ; elles disposent ainsi de la légitimité et de la capacité à intervenir. De même, les EPCI sont beaucoup plus grands depuis le 1er janvier 2017, et ils ont donc une importante capacité d'action ; ils ont même une obligation d'action, car ils ne peuvent plus concentrer tous les services dans le chef-lieu de l'intercommunalité. Ils doivent mailler leur territoire des différents services et équipements.
Tout cela n'est pas encore stabilisé, mais nous croyons beaucoup à ce binôme. Cela ne signifie pas que le département soit exclu de l'aménagement du territoire, notamment dans les zones très rurales ne disposant pas de grands EPCI.
Il est urgent par ailleurs de faire une pause dans le domaine de la gouvernance territoriale. Nous recommandons un moratoire sur les réformes territoriales. Il y a eu beaucoup de réformes ces dernières années et il faut maintenant laisser les choses se décanter.
Afin de conforter le rôle des acteurs locaux, nous préconisons de privilégier systématiquement la contractualisation entre collectivités territoriales. Cette démarche permet d'avoir une action concertée et efficace.
Par ailleurs, Rémy Pointereau y sera sensible, il convient de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales pour libérer les initiatives locales. Notre collègue a mené un travail important en tant que premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales. Ses préconisations doivent être reprises et appliquées.
Le troisième axe est celui des ressources. Les finances locales sont un levier privilégié pour réduire les fractures territoriales, mais nous savons aussi qu'à force d'accumuler les dispositifs - dotations, subventions - les finances locales se sont transformées en un système opaque, confus, incompréhensible.
Nous sommes donc favorables à une remise à plat des dotations et des subventions pour les rendre plus équitables, lisibles et transparentes. Il n'est pas normal que la DGF par habitant dans une commune urbaine soit de 1,5 à 2,5 fois plus élevée que dans une commune rurale. Ces inégalités de DGF sont souvent elles-mêmes amplifiées par les subventions régionales. En Haute-Normandie, par exemple, les subventions s'élèvent à 230 euros par an et par habitant en zone urbaine contre 50 euros en zone rurale.
Le quatrième axe porte sur la couverture numérique du territoire et sur la lutte contre les déserts médicaux. Nous ne faisons pas de proposition nouvelle sur ces deux points mais il faut que les propositions déjà formulées par notre commission soient reprises dans leur intégralité.
En ce qui concerne le numérique, un classement récent publié par la Commission européenne classe d'ailleurs la France au vingt-septième rang sur vingt-huit pour l'équipement en très haut débit fixe. S'agissant du mobile, les engagements pris dans le cadre de la loi dite « Macron » sur la couverture 2G à l'échéance fin 2016 n'ont pas été tenus.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - Le cinquième axe concerne la nécessaire adaptation des services publics. Le désenclavement des territoires éloignés doit devenir un réflexe interministériel.
La mutualisation et la coordination des services de proximité doivent être poursuivies. Depuis la signature, en 2010, de l'accord national « + de services au public », la création de points d'accueil mutualisés en zone rurale est devenue le pilier de la politique publique d'accessibilité aux services essentiels. On dénombre aujourd'hui 1 100 maisons de services au public (MSAP) ouvertes ou en cours d'installation, dont près de 500 résultent de la transformation de bureaux de poste.
La loi du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste a permis de conforter les missions de service public confiées à l'entreprise, parmi lesquelles figure la mission de contribution à l'aménagement du territoire. Nous devons encourager l'État et les collectivités à donner de la consistance au souhait du législateur : il ne faut pas exclure d'installer un office du tourisme, un guichet de préfecture ou de centre des finances publiques, dans une MSAP.
Parmi les grands sujets de proximité se pose également la question de l'école. L'État doit se donner les moyens d'une réelle souplesse qui permette de maintenir des écoles de proximité partout où elles sont nécessaires à la cohésion et à la vitalité de nos territoires, et non seulement en zone sensible. Il y a des zones très sensibles aussi en zone rurale, où l'abaissement du niveau scolaire est de plus en plus important.
Le sixième axe porte sur les infrastructures et les réseaux. Il est nécessaire de construire une nouvelle politique de connectivité fondée sur deux piliers : d'une part, des investissements dans certaines infrastructures critiques, d'autre part, des soutiens ciblés sur les bourgs et petites villes dans les territoires les plus enclavés.
Nous avons été confortés dans cette position par les nombreuses contributions recueillies sur l'espace participatif du Sénat, qui ont souligné le caractère prioritaire de la mobilité et des transports. Le développement d'une offre multimodale - train, bus, vélo ou voiture à la demande, covoiturage - doit permettre de fournir une offre de transport économiquement et écologiquement viable sur chaque portion de notre territoire. Si cette multimodalité s'impose naturellement dans les zones denses, elle est souvent la dernière solution qui s'offre à la ruralité, où l'usage des transports collectifs diminue tendanciellement.
Mais nous avons vu récemment à quel point nos réseaux de transport se dégradent rapidement. Cela fait régulièrement perdre des places à la France du point de vue de l'attractivité : selon Infrastructure France, en l'espace de dix ans, notre pays est passé de la deuxième à la sixième place au niveau mondial pour le ferroviaire, de la dixième à la vingt-sixième pour le réseau portuaire, de la cinquième à la quinzième dans le secteur aéroportuaire, et de la quatrième à la quatorzième pour la distribution d'électricité. Le risque est d'entraîner à terme une dépréciation irréversible de ce capital précieux.
Nous préconisons également de réaliser un état des lieux des besoins prioritaires d'infrastructures et de faire en sorte que l'aménagement du territoire devienne le critère principal d'investissement public.
Le septième axe concerne naturellement la transition verte, qui constitue une véritable opportunité. Il est indispensable de valoriser les atouts de nos territoires dans l'économie plus responsable qui se dessine pour demain, à travers l'écotourisme, les filières d'excellence ou les circuits courts alimentaires. Nous devons aussi planifier un développement cohérent et ambitieux des énergies renouvelables car c'est une occasion inespérée d'offrir aux territoires les plus fragiles les moyens de conserver des emplois non délocalisables.
Le huitième axe vise à maintenir une vitalité économique dans chaque territoire. Les élus locaux ont longtemps misé sur leur capacité à attirer et à négocier l'implantation d'entreprises sur leur territoire. Mais ce paradigme a évolué sous l'effet de la mondialisation et les élus ont perdu une grande part de leur influence.
Pour les territoires défavorisés, l'enjeu n'est pas celui de leur réindustrialisation par l'implantation artificielle d'activités économiques ; il s'agit avant tout de créer des conditions favorables à l'implantation d'entreprises pour lesquelles la concentration spatiale importe peu. Ils peuvent en effet miser sur certains atouts, comme des coûts de production avantageux, un foncier peu coûteux, une échelle des salaires plus basse et une économie de proximité non délocalisable.
Il faut donc enrayer l'affaiblissement des centres-bourgs des villes petites et moyennes au moyen d'un plan ambitieux de rénovation de l'habitat et des commerces. On ne peut que regretter l'effondrement des crédits du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) depuis 2010, au profit d'une logique d'appel à projets qui pénalise toujours les plus fragiles. Il paraît indispensable que les aides économiques de la région et de l'État soient modulées en fonction de critères d'aménagement du territoire. Les pouvoirs publics doivent subventionner le maintien d'installations critiques comme des stations-service et des distributeurs de billets afin d'éviter que ne s'installent des cercles vicieux de désertification.
Il faut aussi remettre à plat notre système de formation, cela me semble très important. Il n'est pas rare que des formations soient proposées localement aux demandeurs d'emploi alors qu'aucun débouché réel n'existe sur le territoire. Dans le même temps, on trouve des entreprises confrontées à des difficultés réelles de recrutement dans certaines filières, faute d'une main-d'oeuvre qualifiée, adaptée et disponible à proximité - j'en ai des exemples concrets dans ma commune. Il est parfois nécessaire d'avoir douze candidats à une formation pour que celle-ci soit mise en place alors que les entreprises locales n'ont besoin au total que de quatre ou cinq personnes.
Le neuvième axe consiste à enrayer le démantèlement de l'ingénierie publique, dont l'État s'est progressivement désengagé. En raison du coût élevé de l'ingénierie, il existe une véritable fracture entre les collectivités. Seules celles d'une certaine taille - régions, départements et EPCI ou communes les plus importants - ont réellement les moyens de se doter de personnels d'encadrement et d'ingénierie en nombre suffisant. Les petites collectivités n'ont quant à elles pas les moyens de s'appuyer sur une réelle capacité d'expertise, ni en interne faute de personnel, ni en externe faute de crédits pour financer les bureaux d'étude.
Dans les faits, les capacités de management public sont ainsi concentrées aux deux tiers dans un millier de collectivités. Il devient donc indispensable que les nouveaux EPCI qui se constituent s'attachent à développer prioritairement leurs propres capacités d'ingénierie, en coordination avec la région ou le département, selon les territoires, ce qui légitimerait d'autant leur rôle auprès des maires concernés.
Nous préconisons également la création d'un « guichet unique de l'ingénierie publique », qui aurait pour mission d'organiser et de coordonner la mise à disposition de l'ensemble des compétences disponibles et d'orienter les territoires vers les acteurs les plus compétents. Cette initiative prolongerait les expériences actuellement menées consistant à mobiliser les corps d'inspection de l'État pour aider les collectivités sur des problèmes spécifiques. Il arrive en effet que les services de l'État aient d'importantes capacités d'ingénierie mais que si une collectivité ne peut leur demander de l'aide, ils ne le font pas spontanément.
Il est tout autant nécessaire d'accroître la fluidité entre les fonctions publiques, dans la mesure où les collectivités et l'État font désormais jeu égal dans de nombreux domaines, notamment dans ceux qui sont associés à l'aménagement du territoire. À cet effet, la fusion de l'Institut national des études territoriales (INET) et de l'École nationale d'administration (ENA), dont les parcours de formation sont proches, constituerait un signal fort pour nos territoires ; je crains que ce ne soit un voeu pieu, mais on peut tout de même le formuler...
Enfin, le dixième axe dresse des perspectives pour inscrire nos territoires dans l'espace européen. La France doit affirmer son modèle d'aménagement pour orienter les priorités européennes. Les négociations du budget et de la politique des fonds structurels pour la période 2021-2027 se préparent dès maintenant. Notre pays doit peser en faveur d'une véritable « feuille de route des territoires » visant à éviter l'abandon et le déclassement des territoires en Europe, en plaidant pour la sanctuarisation de fonds spécifiques pour l'aménagement du territoire.
À l'heure actuelle, les crédits liés au développement rural sont intégrés à l'enveloppe de la politique agricole commune, pour laquelle ils servent de variable d'ajustement. Il convient également de veiller à ce que la nouvelle carte régionale française ne conduise pas à une forme de lissage dans l'attribution des fonds européens.
Pour les territoires frontaliers, nous préconisons d'expérimenter des mécanismes de délégation de souveraineté pour s'affranchir de négociations intergouvernementales encore trop pesantes dans la coopération transfrontalière.
Tels sont les dix axes que nous proposons au travers de notre rapport.
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - Nous allons transmettre rapidement ces propositions au nouveau Gouvernement. Le ministère a un nouvel intitulé : la cohésion des territoires - espérons que cela s'accompagne d'une vraie volonté d'améliorer la situation. C'est dans cette perspective que nous souhaitons prendre contact avec le ministre.
Par ailleurs, dans le cadre de la préparation de ce rapport, nous avons rencontré le président du Sénat et nous souhaitons que nos préconisations soient portées par la Haute Assemblée, y compris au travers de propositions de loi.
M. Rémy Pointereau. - Le pilotage de l'aménagement du territoire était autrefois conduit par la Datar, la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale. Cette institution n'existe plus, ce qui est dommage. Je félicite les deux co-rapporteurs pour la qualité de leur rapport et pour leurs recommandations.
Il me semble important de mentionner le sentiment d'abandon des territoires ruraux, qui se traduit dans les élections successives par des votes extrêmes. Dans une ville de 50 000 habitants, le Front national remporte 15 % des voix, mais dans la commune rurale située à quinze kilomètres, le score obtenu atteint 30 %, 40 %, voire 60 %.
Cela pose la question des services publics et des services de proximité. Cela soulève également le problème des centres-bourgs, les anciens chefs-lieux de canton, où le commerce périclite. Cela est d'ailleurs lié à la folie des installations de grandes surfaces à la périphérie des villes. Nos concitoyens ruraux travaillent souvent en ville et font leurs courses au retour ou à l'aller dans la grande surface, délaissant ainsi les commerces ruraux.
Il conviendrait donc de mettre un frein à cette frénésie. La population et le pouvoir d'achat des zones rurales diminuent mais, pourtant, on construit encore des grandes surfaces... Tout le monde y perd, puisque les commerces des centres-villes comme ceux des petits villages ferment. Il faut donc se poser la question de cette organisation territoriale. En outre, ces grandes surfaces pénalisent nos agriculteurs. Il s'agit d'un cercle infernal, qui mériterait un travail approfondi.
En ce qui concerne le binôme région-EPCI, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, monsieur le président. Pour ma part, je plaide pour un binôme région-département, la région compensant les moindres ressources du département, et pour un binôme commune-EPCI, l'EPCI permettant de faire ce qui ne peut être fait à un échelon territorial trop petit. En effet, il existe dans certaines régions une concurrence entre collectivités qui aurait pu être évitée.
La problématique de la DGF contribue aussi à ce sentiment d'abandon. Une DGF annuelle par habitant allant de 50 euros dans les communes rurales à plus de 200 euros dans les métropoles pose un véritable problème. Les métropoles et les villes ont, certes, des frais de centralité plus importants, mais les frais d'approvisionnement en eau, en électricité en milieu rural sont colossaux.
M. Michel Raison. - Ou en numérique.
M. Rémy Pointereau. - Absolument, d'autant que les communes rurales doivent payer pour en bénéficier alors que les opérateurs prennent en charge ces frais en ville.
Enfin, la question de la formation est importante, en particulier en matière agricole et viticole. Il y a ainsi une forte demande non satisfaite de travailleurs ruraux car il n'y a pas de centre de formation. Les viticulteurs font de plus en plus venir des salariés détachés de Roumanie ou de Pologne. Il y a donc un gisement phénoménal d'emplois agricoles qui ne sont pas pourvus. Il faut se demander pourquoi. Est-ce lié à l'absence de formation ? Aux faibles salaires ? À la difficulté du travail ? Il faudrait se pencher sur cette question.
Il s'agit donc d'un excellent travail, mais qui doit être suivi d'actions précises.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je veux d'abord féliciter les deux co-rapporteurs pour ce travail intéressant. J'ai participé à quelques réunions préparatoires et c'était toujours positif. On touche là à un sujet qui nous concerne tous mais je m'en tiendrai à quelques idées générales.
Il me semble positif que le Sénat fasse une proposition au ministre en matière d'aménagement du territoire ; la vision de l'État et du territoire a été largement développée par le Président de la République pendant la campagne électorale. Beaucoup de points que vous proposez seront considérés avec pragmatisme et intérêt par le Gouvernement.
On a beaucoup expliqué lors de notre réunion de la semaine dernière le vote en faveur du Front national par le sentiment d'insatisfaction en matière d'aménagement du territoire. Il y a certes nombre d'exemples d'insatisfaction, mais les tendances diffèrent selon les territoires. La ville de 12 000 habitants dont j'ai été maire pendant 31 ans bénéficie de tous les services, mais le Front national y a augmenté progressivement pour atteindre 1 500 électeurs sur 8 000. Je pose la question aux maires du département dont je suis élu et ils expriment de la colère et de la déception face à ces scores, car ils trouvent cela injuste ; ils font du bon travail. Leurs villages sont accueillants, agréables mais le Front national y recueille pourtant beaucoup de suffrages.
Globalement, ce n'est pas forcément l'aménagement du territoire qui est en jeu dans cette situation, mais la confiance dans notre pays et dans ses institutions. L'aménagement du territoire contribuerait à lutter contre cette tendance, mais ce n'est pas suffisant, il faut surtout développer une vision positive de la France. On y est tous partie prenante, dans notre manière de nous exprimer sur les territoires, sur les manquements ; nous sommes tous responsables de cette vision négative et nous devons être capables d'être positifs dans tous nos secteurs d'intervention, y compris au sein du Sénat.
Sans doute, il manque des médecins et l'organisation des services publics n'est pas partout satisfaisante, mais de nombreux efforts ont été faits, notamment par les régions. Je suis d'accord avec l'idée du binôme région-EPCI, mais cela ne signifie pas que les départements doivent être oubliés. Dans un secteur rural, le département joue son rôle d'aménagement du territoire. Il faut donc envisager les choses de manière pragmatique. Une loi ne peut s'imposer partout de la même manière, j'en suis convaincu.
Dans la perspective que vous proposez, messieurs les co-rapporteurs, le département jouera son rôle. En Indre-et-Loire, il existe maintenant une métropole, Tours, mais elle ne participera pas à l'aménagement du territoire, à la différence de Nantes, de Rennes, de Lyon et des autres vraies métropoles. Néanmoins, la petite métropole doit jouer son rôle par rapport aux territoires ruraux.
Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir une France coupée en deux. Je refuse cette expression. Il y a une France rurale, qui vit parfois très bien, souvent mieux que ce que l'on dit, et des France urbaines, qui ne vivent pas toujours bien. Là encore, faisons preuve de modération et de pragmatisme et définissons correctement nos objectifs.
Ce document sera, je pense, lu avec intérêt par le ministre et j'espère qu'il sera pris en compte parce qu'il le mérite, par les dix axes de recommandations que vous faites, monsieur le président, monsieur de Nicolaÿ.
M. Alain Fouché. - Ce rapport me paraît très clair et pragmatique. J'espère que ses recommandations seront entendues par le Gouvernement.
M. Pointereau évoquait la grande distribution. J'avais déposé il y a plusieurs années une proposition de loi, adoptée par le Sénat, sur l'équipement commercial, qui permettait à la commission départementale d'équipement commercial d'être beaucoup plus stricte mais cela n'a pas abouti. Au contraire, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, une loi a facilité l'installation des grandes surfaces. Désormais, les projets dans les départements sont généralement refusés mais, à Paris, tout passe. Par conséquent, la notion de bassin, de population, n'existe plus du tout et des grandes surfaces sont construites partout. Le malheur est donc fait, je le crains...
En ce qui concerne les services de proximité, c'est le Gouvernement Raffarin qui a créé la Banque postale à la condition que, en contrepartie, celle-ci offre des services publics - maintien de bureaux de poste ou ouverture d'agences dans les mairies ou les commerces ruraux. La Poste l'a assez largement fait et cela fonctionne plutôt bien, moyennant un coût important pour la Poste. Il faut maintenir cela.
S'agissant des maisons de services au public, les choses se sont compliquées avec la loi NOTRe : le département et l'Union européenne étaient financeurs et, désormais, la grande région du Bordelais refuse de les financer, bien que l'on abrite des services relevant de sa compétence. Donc on a fermé cette MSAP, que l'on a remplacée par une autre structure départementale, qui ne remplit pas tout à fait le même rôle pour les usagers.
Enfin, pour ce qui concerne les grandes régions et les grands EPCI, je suis inquiet de ce que je constate aujourd'hui : il y a dans ces EPCI des villes importantes - dans ma communauté de communes, une ville de 190 000 habitants et une autre de 40 000 - et, tout autour, 50 ou 60 communes de quelques milliers d'habitants. Or les entreprises sont essentiellement orientées vers les zones industrielles des grandes villes et pas du tout vers les communes rurales. Il faudra donc que, dans quelques mois, notre commission ou la commission des affaires économiques se penche sur cette question, qui me paraît préoccupante.
M. Michel Raison. - Je félicite les deux co-rapporteurs pour leur travail, qui est difficile. Tout le monde essaie d'analyser les raisons de ce vote pour le Front national dans le secteur rural. Il n'y a pas qu'une cause et le sujet de ce rapport n'est pas le seul facteur explicatif, je rejoins Jean-Jacques Filleul sur ce point. Il y a aussi ce problème de confiance, mais il n'y a pas que des facteurs cartésiens.
Il me semble qu'il y a aussi un effet de foule, notion relevant de l'encadrement des manifestations par les forces de l'ordre. J'ai moi-même organisé des manifestations, auxquelles participaient des personnes n'ayant aucune intention de casser ; puis un guignol se mettait à casser, suivi d'un deuxième et d'un troisième et ceux qui étaient venus pour manifester calmement s'y mettaient aussi dans un mouvement de suivi. Il existe aussi un tel effet dans le vote Front national.
Notre problème avec les rapports, c'est que, souvent, ils ne servent à rien, alors qu'ils sont de bonne qualité, surtout au Sénat.
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - C'est encourageant...
M. Michel Raison. - Un rapport sénatorial sur la démocratie participative vient de sortir. Je vous encourage à le lire, il est exceptionnel. Le président de la mission d'information, Henri Cabanel, et son rapporteur, Philippe Bonnecarrère, étaient tous les deux excellents et le rapport est très bon. Il constitue aussi une forme de réponse à cette interrogation et j'espère qu'il aura des effets.
Quand on analyse ce qui se passe dans notre pays, que voit-on de nouveau, de révolutionnaire ? Rien. On va essayer de réformer vaguement le code du travail, vraisemblablement sans y arriver ; on va convaincre les gens que les hommes politiques sont immoraux donc on va faire une loi de moralisation de la vie politique ; jusque-là rien de révolutionnaire...
En revanche, les propositions contenues dans ce rapport sont, elles, révolutionnaires. Vous l'avez dit, monsieur le président, l'État est devenu, en matière d'aménagement du territoire, facilitateur, voire seulement spectateur. C'est très grave. Notre pays faisait de l'aménagement du territoire autrefois. Le président de mon département ne fait que de l'accompagnement autour des pôles urbains, il se moque du reste !
Il faut peut-être créer un véritable ministère mais il ne doit pas être artificiel. Le dernier ministre qui ait tenté de faire quelque chose en matière d'aménagement du territoire, c'est Édith Cresson. Elle avait essayé de délocaliser des administrations - le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, l'ENA - et elle a eu des manifestations et des grèves dans tous les sens.
J'en reviens aux ressources. Lorsqu'elles ont été créées - maintenant elles sont devenues trop compliquées -, les méthodes de calcul de la dotation étaient intelligentes, elles étaient calculées en fonction des charges et des compétences des collectivités.
Le problème c'est qu'il faut maintenant se financer son pylône téléphonique, sa fibre optique. Dans mon département, on donne ainsi 9 euros par habitant, hors dotation, c'est une folie. Sans doute faut-il simplifier le calcul de la dotation mais non nécessairement le bouleverser.
Quant aux routes, voilà un vrai déséquilibre. Les impôts du monde rural financent des quadruplements d'autoroutes dans des pôles urbains mais on attend depuis quarante ans une autoroute - dans la Haute-Saône, il n'y en a pas. Il existe ainsi une banane aride de 130 kilomètres entre le sud de la Haute-Marne, le nord de la Haute-Saône et les Vosges, un tronçon bloqué entre l'Atlantique et la Suisse faute d'un nombre suffisant de véhicules. Évidemment, puisqu'il n'y a pas de route ! Arrêtons là les bêtises !
On doit financer le désenclavement et il faut que l'on puisse téléphoner. Lorsque le téléphone à fil est apparu, on l'a installé partout, y compris dans le moindre hameau. Depuis lors, on a privatisé la téléphonie mobile donc l'opérateur installe des pylônes là où c'est rentable, on ne peut pas lui en vouloir. On a le même problème avec la SNCF ; c'est un opérateur. C'est à l'État de payer. Un train d'équilibre du territoire est, par définition, déficitaire. Même si la SNCF était mieux gérée, il serait normal qu'elle conserve des déficits sur ces lignes.
On peut toujours parler mais le vrai problème d'équilibre et d'équité est là : on ne finance plus de route, de téléphone, de fibre optique, les gens doivent le financer. On nous subventionne un peu mais c'est insuffisant. Là est l'inégalité financière.
Vous avez beaucoup parlé des commerces. Plus de la moitié de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA, qui alimente le FISAC et qui a été doublée il y a un an ou deux, est captée par le budget de l'État. La grande distribution paie donc des taxes élevées, on ne s'en plaindra pas, mais cela n'abonde pas complètement le FISAC. L'État a donc volé la taxe au FISAC, qui n'a plus d'argent.
Enfin, nous avons un cheval de bataille commun, monsieur le président, c'est la santé. On ne va pas continuer à regarder la situation s'aggraver sans rien faire pendant dix ans. Depuis mon mandat de député, en 2002, je propose à chaque loi sanitaire le même amendement ; il n'est jamais adopté. Il n'est pourtant pas fracassant, il s'agit de plafonner les zones sur-dotées en médecins. Mais, que l'on ait un gouvernement de droite ou de gauche, il nous explique chaque fois que l'on ne comprend rien. D'un autre côté, on n'aura bientôt plus de médecin...
Il y a bien des problèmes que l'on aura du mal à résoudre mais la priorité, c'est que l'État ne soit plus spectateur, que l'équité dans le financement soit rétablie et que le monde rural ne finance pas les routes en voyant passer les trains, et même en ne les voyant plus passer...
Mme Nelly Tocqueville. - Je tiens également à vous féliciter pour le travail accompli, car ce sujet nous tient tous à coeur. En tant que sénateurs, nous représentons les territoires, et nous le revendiquons.
Je partage les observations de M. Filleul, je ne suis pas tout à fait d'accord pour faire une lecture uniquement pessimiste des territoires. Dans tous les territoires, et dans les territoires ruraux en particulier, de nombreuses initiatives sont prises pour créer, inventer, voire réinventer, une dynamique ; je pense à l'économie sociale et solidaire en vue de réimplanter des commerces, des activités de proximité. Certes, ces initiatives peuvent sembler des gouttes d'eau dans l'océan, mais elles sont en réalité essentielles sur le plan local. C'est une manière de réintroduire de l'activité, de redynamiser les bourgs, les centres-bourgs, et d'inciter les habitants à revenir vers des activités de proximité.
Par ailleurs, je suis, comme vous tous, attristée par l'importance du vote Front national. Celui-ci est arrivé en tête au premier tour dans ma commune qui appartient à la métropole Rouen-Normandie comprenant 500 000 habitants. Même si l'on ne peut s'en satisfaire, ce fut rassurant de constater que ce ne fût pas le cas au second tour.
Au sein de la métropole, on observe que ce sont les territoires ruraux les plus éloignés de la ville-centre qui ont voté pour le Front national, y compris au second tour. On ne peut pas faire comme si le problème n'existait pas. Pourtant, ma commune ne rencontre pas de difficultés particulières, ne subit pas d'arrivées massives de migrants, bénéficie de nombreux services de proximité au niveau de la métropole et au niveau local et ne connaît pas de sentiment d'abandon. En fait, les habitants ont des peurs diffuses, qu'ils ne savent pas expliquer. Les médias jouent aussi un rôle et les réseaux sociaux ont des conséquences absolument dramatiques. Cette situation doit nous inciter à engager une réflexion sur ce sujet. Toutefois, plus les causes sont diffuses, plus il sera difficile de trouver des réponses.
Pour en revenir au rapport d'information, je veux vous interroger sur un point qui n'a pas été soulevé - c'est peut-être volontaire ! - concernant l'urbanisation des territoires.
Il importe d'avoir une réflexion sur les territoires, notamment ruraux. Aujourd'hui, les communes sont intégrées dans des documents d'urbanisme, les plans locaux d'urbanisme (PLU) bien sûr, mais aussi les schémas de cohérence territoriale (SCoT), les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI). L'aménagement du territoire devrait contribuer à trouver des solutions en matière de revitalisation des centres-bourgs, de réimplantation de commerces et d'activités économiques, ce qui aurait des effets sur la revitalisation des écoles, chaque service en entraînant un autre. Tout cela suppose bien évidemment l'aménagement des réseaux de transport. Il y a des solutions : nous avons installé un transport à la demande dans la métropole de Rouen, et tous les territoires sont desservis.
Il convient donc de réfléchir aux solutions qui n'existent pas encore aujourd'hui ou qui existent dans d'autres pays. Cette synergie des forces est l'une des solutions. Il n'y a pas une solution ; il y a des solutions. Les zones de montagne ne sont pas des zones de plaine. Mais il faut tirer bénéfice des expériences menées dans certains territoires, car elles sont de nature à aider d'autres territoires à nourrir leur réflexion.
M. Ronan Dantec. - Je vous remercie d'avoir traité cette question et je rends hommage au travail accompli, car la tâche n'était pas aisée.
Comme vous l'avez souligné, l'État n'a plus de doctrine. Vous auriez pu faire un rapport pour prendre position à partir de propositions de l'État, mais les auditions auxquelles j'ai participé ont montré que l'État n'avait plus de doctrine, ce qui est extrêmement inquiétant. Nous devons donc recréer nous-mêmes une doctrine sur l'aménagement du territoire, ce qui n'est pas facile.
Veuillez m'en excuser, mais le rapport d'information me semble relativement tiède. Il n'ose pas aller trop loin alors que les difficultés auxquelles nous allons être confrontés sont importantes. Vous avez voulu trouver des consensus : nombre des propositions formulées sont opérationnelles et pertinentes, mais il faudra aller plus loin demain, en faisant des propositions plus clivantes, je le sais bien.
Je ne reviendrai pas sur les points sur lesquels je suis d'accord avec vous, à savoir la fracture numérique, les déserts médicaux. À un moment donné, il faut que l'État joue un rôle un peu aménageur.
Un point, qui n'est pas traité dans ce rapport d'information porté par des élus de l'Ouest, dont je suis, me semble essentiel : la fracture entre l'Est et l'Ouest. La différence de vote est très nette entre les métropoles et les zones rurales. Dans la Loire-Atlantique, le Front national a obtenu 7 % des suffrages à Nantes, contre 30 % dans les communes rurales de deuxième niveau, si je puis dire. Il en est autrement dans l'Est de la France. Il y a donc là un enjeu géographique. Il importe de réduire le déséquilibre existant entre l'Est et l'Ouest. De même, le sud du centre de la France souffre beaucoup : le score du Front national a été très élevé dans des territoires où il était historiquement bas. Il y a donc bien là un enjeu de politique industrielle. Or, à ma connaissance, le rapport d'information ne traite pas cette question.
Je suis un élu d'un territoire qui va particulièrement bien - le Président de la République vient inaugurer cet après-midi le nouveau paquebot aux chantiers navals de Saint-Nazaire. Pourtant, comment allons-nous assumer le fait que l'État considère que nous ne sommes plus prioritaires ? Quels outils faut-il mettre en place pour réindustrialiser objectivement les zones qui vont le plus mal ? Même s'il ne sera pas évident de trouver un consensus entre nous, il faut tenter de résoudre cette fracture.
De même, la question du logement est peu abordée dans le rapport d'information. Doivent vivre dans les zones rurales les personnes qui ont envie d'y demeurer.
M. Jean-Jacques Filleul. - C'est vrai !
M. Ronan Dantec. - C'est un point clef. L'un des enjeux est la densification des métropoles : ne doivent y résider que les personnes qui en ont envie. Les personnes qui vivent dans les zones rurales parce qu'elles n'ont pas d'autre choix voteront pour le Front national par aigreur d'une vie subie. Le logement est un enjeu majeur.
Comme je l'ai déjà dit, il est souhaitable qu'un ministère regroupe l'aménagement du territoire et le logement. La première politique en matière d'aménagement du territoire, c'est le logement. Or, sur cette question centrale, vous n'êtes pas allés très loin. Il convient d'éviter la flambée des prix dans le coeur des métropoles. Je reste convaincu que l'encadrement des loyers, une mesure décriée en son temps, mais qui a des effets plutôt positifs, fait partie de la batterie d'outils à utiliser. Il y aura à un moment des désaccords politiques sur l'aménagement du territoire.
Je vous rejoins sur la question de l'ingénierie publique. Cette question recoupe d'ailleurs celle des départements. Nous avons fait un travail assez peu abouti sur les lois de décentralisation au cours du mandat précédent : les orientations ont changé avec les Premiers ministres. La question de la place du département est vraiment posée, y compris dans le cadre de l'ingénierie publique.
Dans la Loire-Atlantique, je suis surpris par la baisse de capacité d'accompagnement du département, et je doute que les grandes régions reprennent le flambeau. Je doute que les petits EPCI soient en capacité de développer cet accompagnement. C'est un régionaliste et un défenseur du couple région-EPCI qui le dit, je pense que le département doit s'interroger sur la place qui doit être la sienne. Avec les méga-régions, le département a, au final, conservé sa place, mais il faut peut-être moins de départements - il faut peut-être procéder à des fusions de départements, à l'instar des fusions de régions. Ne donnons pas l'impression d'être statiques sur l'évolution institutionnelle. On verra assez vite les problèmes posés par un système assez peu abouti. Certes, il fallait bouger, mais on l'a fait dans plusieurs directions et je ne suis pas certain que l'on soit parvenu à un schéma cohérent.
Enfin, il faut aller plus loin sur la question de la capacité d'investissement des collectivités territoriales, une question que vous avez effleurée.
L'effondrement de la capacité d'investissement du bloc communal a un impact important sur la désorganisation des tissus traditionnels artisanaux : beaucoup d'artisans avaient besoin de la commande de la commune pour boucler leur budget. L'impact en termes d'emplois est très inquiétant pour l'avenir. Cela pose la question des dotations de centralité et des péréquations. Considère-t-on que le cycle Guichard, avec les métropoles d'équilibre, est terminé ? Ces métropoles ont relativement bien fonctionné en termes macro-économiques, mais elles redistribuent très mal. Considère-t-on que les péréquations sont caduques et qu'il faut diminuer les primes de centralité ? Dans ce cas, je peux vous dire que des élus hurleront à la mort, y compris ceux qui sont aujourd'hui aux manettes - les élus des métropoles continuent à capter le pouvoir ; on le voit aussi avec le gouvernement actuel. Cette France-là est-elle prête à redistribuer ? Il va falloir revenir vers des dotations plus égalitaires, en finir avec la logique d'appel à projets, qui épuise les petites communes, lesquelles perdent à tous les coups. Il s'agit là d'un enjeu majeur.
Pour conclure, on a fait un travail utile, mais on a un peu oeuvré dans le noir. On manque de données, notamment culturelles. Le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) ou un autre organisme devrait réaliser une étude pour nous aider à mieux comprendre ce que l'on appelle « le sentiment d'abandon ». On utilise tous ce concept, mais sans savoir ce qu'il recoupe. Des études plus qualitatives sont nécessaires pour connaître les raisons pour lesquelles les gens se sentent maltraités et victimes d'inégalités. Est-ce dû au manque de médecins, à la mobilité, au logement ? On a un peu travaillé dans le brouillard - je ne critique pas le travail des deux co-rapporteurs, mais je pense qu'il nous manque des éléments pour mieux réussir à cerner les difficultés.
Je voterai ce rapport d'information, qui constitue une première étape : il reste au milieu du gué. Si l'on veut avancer, les clivages politiques seront plus importants, je l'ai dit. Toutefois, cette question sera centrale dans les cinq prochaines années, y compris pour ce qui concerne les perceptions culturelles. Cela prendra du temps de les changer.
M. Jérôme Bignon. - L'équivalent de la surface agricole utile d'un département disparaît tous les dix ans, c'est-à-dire environ 60 000 hectares. Or, lors d'une rencontre organisée hier par la FNSafer sur la consommation du foncier en France, j'ai appris que, selon les chiffres de 2016, le phénomène est en train de s'accélérer, avec la disparition de cette surface tous les cinq ou six ans.
M. Michel Raison. - Elle augmente.
M. Jérôme Bignon. - La consommation augmente et donc la diminution des terres agricoles disponibles pour l'agriculture est violente.
M. Michel Raison. - En général, ce sont les bonnes terres qui disparaissent en premier !
M. Jérôme Bignon. - On n'a pas beaucoup de statistiques sur cette question. En liaison avec la commission des affaires économiques, on pourrait travailler sur ce sujet pour connaître la nature des terres agricoles qui disparaissent et réfléchir à la manière dont on pourrait les protéger. C'est fort bien de développer l'activité agricole, mais si l'on n'a pas assez de terres pour satisfaire les besoins de la population, à quoi cela servira-t-il ?
Pour rejoindre les propos de Mme Tocqueville, il faut considérer l'urbanisation et les problèmes des nouveaux équipements à l'aune de ces mesures. On ne peut pas parler de compensation, en étant extrêmement exigeant sur les mesures de compensation à prendre dans le cadre des nouvelles lois adoptées, sans attacher une importance particulière à la consommation délirante de terres agricoles de bonne qualité. Et, dans le même temps, on ne peut plus construire : dans les zones rurales, on vous enquiquine de façon diabolique pour boucher une dent creuse, ce qui crée un sentiment d'abandon. Je suis frappé par tous ces paradoxes. Il faudrait réfléchir aux questions de désertification, d'urbanisation, de consommation de terres agricoles en vue de trouver des propositions intelligentes. Pour utiliser un terme grec, il s'agit de saisir le kairos : c'est le moment d'agir. L'excellent rapport d'information, que je salue, vient à point nommé.
Je dirai deux ou trois choses positives, car il ne faut pas non plus voir tout en noir et céder à l'idée d'un abandon permanent.
La cause de l'abandon est, c'est certain, plus rurale qu'urbaine. Les grandes agglomérations votent peu pour le Front national, contrairement aux zones rurales. Mais les zones rurales comprennent des zones profondément désertifiées - je pense à la Creuse, par exemple - et des zones qui se portent bien, où il y a du travail, des commerces, des médecins. Or celles-ci votent aussi Le Pen avec le même entrain, mais probablement pas pour les mêmes raisons. L'analyse de Mme Tocqueville est intéressante. Des sociologues et des politologues devraient interroger ces électeurs pour savoir fondamentalement pourquoi ils font ce choix. On dit toujours que l'on va régler le problème, mais il faut que nous disposions d'instruments scientifiques.
Dans le chef-lieu de canton dans lequel j'habite, on est en train d'agrandir la maison médicale : pour 1 200 habitants, il y a cinq médecins, trois bouchers, deux boulangers, un Intermarché qui draine 15 000 clients, et les habitants votent massivement pour le Front national. Allez comprendre...
Permettez-moi d'aborder la question de l'informatique à l'école. L'informatique dans les écoles est un point extrêmement important. Dans la Somme, des études ont été réalisées sur des cohortes d'élèves ayant disposé d'un matériel informatique du CP au CM2. On constate que 15 % de collégiens en plus obtiennent leur brevet. Il faut faire des investissements massifs dans les écoles. Ne pas le faire revient à ne pas donner aux personnes malades le vaccin existant, faute de moyens. L'informatique est vraiment un vaccin contre l'échec scolaire. Certes, des résistances se font sentir : les enseignants en partie, quelques élus un peu old-fashioned. Mais, globalement, on doit pouvoir impulser ce mouvement.
M. Jacques Cornano. - Je veux mettre l'accent sur le vote Front national dans les outre-mer.
C'est l'occasion pour moi de dire que j'attache du prix aux vingt-six propositions que vous avez présentées, organisées selon dix axes. Après la publication du décret du 27 avril 1848 relatif à l'abolition de l'esclavage, le chanoine Augustin Nicolaÿ a organisé en 1849 une fête commémorative dans ma commune à Saint-Louis de Marie-Galante au cours de laquelle a été érigée une croix posée sur une pierre où figure le mot « Liberté ». D'ailleurs, une fête commémorative a lieu tous les ans. Je dis cela pour faire le lien avec le travail qui est fait pour respecter la liberté à tous les niveaux.
Concernant l'aménagement du territoire, il convient de prendre en compte, je l'ai répété à maintes reprises, le caractère archipélagique de la Guadeloupe. C'est capital, car ce territoire est à la fois insulaire et archipélagique. Il est caractérisé par une double, voire triple, insularité, ce qui constitue une exception au sein des départements français. Je l'ai dit, et tous les élus avant moi l'ont écrit, ce point n'a pas été pris en considération. D'ailleurs, j'ai envoyé un dossier au Président de la République sur ce sujet, comme je l'avais fait voilà cinq ans. Dans le cadre de ses dix propositions pour les outre-mer, François Hollande avait écrit qu'il allait prendre en compte le caractère archipélagique de la Guadeloupe.
Je veux positiver en disant que cette spécificité dote la Guadeloupe d'atouts indéniables que vous connaissez grâce à sa diversité et ses richesses, qu'il s'agisse notamment des richesses marines, de la biodiversité, de la géothermie ou de l'éolien. Mais il y a des freins.
Aujourd'hui, un PLU est commencé depuis plus de dix ans, mais nous avons de la peine à faire comprendre aux services de l'État qu'il faut faire des lieux de vie là où il y a déjà de l'eau, de l'électricité au lieu de regrouper, pour des raisons d'économies, la population en un seul lieu. L'État commence à comprendre la situation. Je tenais à insister sur ce point. L'une des priorités de la région Guadeloupe est l'aménagement équilibré et cohérent du territoire. Je le répète, il faut prendre en compte le caractère archipélagique de la Guadeloupe. À défaut, la fracture numérique, sanitaire, culturelle persistera, de même que la fracture concernant la formation.
M. Jean-François Rapin. - Je félicite les auteurs du rapport d'information et je veux vous faire partager une expérience personnelle, qui rejoint les observations formulées par tous ici.
Après le second tour de l'élection présidentielle, le président Larcher a souhaité, au regard des résultats, venir dans le Pas-de-Calais. Il y a rencontré des maires de toutes tendances politiques. Le président de la communauté de communes, maire d'un village de quelque 300 habitants, appartenant à une autre formation politique, lui a confié qu'il pensait être dans un village où les gens étaient heureux. Or 58 % d'entre eux ont voté pour le Front national. Ce maire remarquable, qui fait tout pour son village et sa communauté de communes, est dépassé par les événements.
Les causes de la montée du Front national ont été évoquées par tous. Elles sont multiples et différentes d'un territoire à un autre. Dans certains départements, l'inquiétude est peut-être plus grande que dans d'autres.
La vaste notion d'aménagement du territoire nous ramène aux territoires et, à mon sens, à leur base, c'est-à-dire la commune. La dynamique de l'aménagement du territoire dépend aussi - on n'ose peut-être pas l'évoquer, car cela touche nos électeurs, les grands électeurs - de la dynamique et de la volonté des élus. Il n'y a pas que des problèmes d'argent. Il y a différentes façons de travailler : des élus sont porteurs de projets, contrairement à d'autres qui ne le peuvent pas, au regard de la configuration de leur territoire.
Mais ce problème tient peut-être aussi à un manque d'outils de vision à moyen et long termes.
Lorsque j'étais maire - je l'ai été pendant seize ans -, je me référais toujours aux rapports de la Datar. On disposait alors, j'en suis convaincu, d'un outil de vision à moyen et long termes pour les territoires ruraux. Certes, cette structure existe encore sous une forme dévoyée, n'ayant certainement plus les moyens qui étaient alors les siens à l'époque. Il y a vingt-cinq ans, la Datar publiait déjà des rapports sur la désertification médicale, alors que les élus n'en parlaient même pas. Il faut vraiment que l'on retrouve aujourd'hui ces outils de vision.
Il est bon que l'Assemblée nationale et le Sénat publient des rapports, mais ceux-ci ne sont pas forcément proches du terrain, contrairement à ce que pouvait faire la Datar avec ses experts. Certes, mes propos peuvent aller à l'encontre des discours contre l'administration, mais les personnels étaient vraiment attachés aux territoires et apportaient leur expertise en fonction de la spécificité de chacun d'entre eux. Comme l'a très bien dit Mme Tocqueville, les solutions sont différentes d'un territoire à l'autre.
Aussi, il importe de retrouver un nouvel outil de nature à apporter des solutions. J'adhère aux propositions formulées dans ce rapport d'information concernant les territoires ruraux : ce sont ceux qui posent problème. Franchement, les métropoles, les grandes agglomérations, les grandes communautés urbaines ont aujourd'hui les moyens de réaliser leur aménagement du territoire.
Enfin, pour en revenir à une question plus politique, la suppression de la taxe d'habitation va terriblement impacter les territoires ruraux. Ce sera catastrophique.
Dans les territoires urbains, on trouvera toujours des solutions pour financer les projets au travers d'un aménagement budgétaire. La suppression de la taxe d'habitation dans les territoires ruraux sera compensée la première année. Puis cette compensation sera gelée la deuxième année et sera moindre la troisième année, considérant le service que l'État doit rendre à la nation et le respect de la bonne gestion des comptes publics. Je serai très attentif à cette question. Bien sûr une politique nationale sera mise en place, qu'il faudra respecter au regard de la démocratie. Mais les sénateurs auront certainement un combat à mener pour les territoires ruraux.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - Je remercie nos collègues de leur excellente contribution.
Comme l'a dit Ronan Dantec, il est compliqué de faire un rapport sur l'aménagement du territoire. Il en existe déjà de nombreux, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. On s'aperçoit que les points les plus importants sont évoqués depuis très longtemps.
Rémy Pointereau a abordé le problème du pilotage de l'aménagement du territoire. On en est tout à fait conscient. On a compris que le Commissariat général à l'égalité des territoires n'avait plus la même ambition que la Datar pour penser à l'avenir de notre territoire. C'est aujourd'hui un organisme facilitateur.
Concernant le vote pour le Front national, je suis frappé de constater, au vu de mon expérience sarthoise, que le vote FN est très fort dans les communes où se trouvent des élus de l'Association des maires ruraux de France - c'est très net, le Front national y dépasse les 50 %. Ces élus portent un message négatif sur l'abandon des territoires ruraux. Je comprends qu'ils défendent leur territoire, mais ce sentiment encore plus prégnant d'abandon est mis en avant par les maires eux-mêmes. Michel Raison a raison, le maire joue un rôle important dans la dynamique et la volonté de faire prospérer son territoire.
Rémy Pointereau a parlé du problème du binôme région-EPCI. Nous avons considéré que le département avait un rôle défini au travers des compétences qui sont les siennes, notamment en matière d'infrastructures routières, de solidarité et de gestion des collèges. L'action politique et dynamique du département est donc claire. Mais la question est de savoir si le département partage, en partenariat avec les communes, des investissements des communes. A-t-il encore une véritable vision de l'aménagement du territoire, avec la possibilité de contribuer au financement des collectivités ? Certains départements le font, d'autres le font moins. C'est un choix politique de l'assemblée départementale concernant l'attribution des finances publiques.
Concernant la dotation globale de fonctionnement (DGF), nous en sommes persuadés, il faut revoir le rôle de cette dotation. Celle-ci doit être mise en relation avec le revenu moyen des habitants sur le territoire et non pas simplement avec le potentiel fiscal de la commune. Des collectivités sont obligées de proposer les activités culturelles à très bas prix, voire gratuites.
Rémy Pointereau a également parlé des problèmes de formation de proximité. Je le rejoins, les arboriculteurs du sud de la Sarthe ont recours à des entreprises spécialisées, qui prennent des travailleurs détachés. Il n'y a plus d'embauche. Il s'agit d'une contractualisation de prestation de services. Il faut revoir tout cela.
Jean-Jacques Filleul a apporté une note d'optimisme quant à la volonté des Français de vivre heureux sur leur territoire. Il est compliqué d'obtenir la confiance des habitants de son territoire. Là encore, cela dépend de la responsabilité de chacun. Certes, les médias, l'ambiance nationale, les critiques jouent un rôle. Les résultats de l'élection présidentielle ont mis en lumière le pessimisme ambiant. Un an après les élections départementales et régionales, le Front national est monté en puissance. Dans certaines communes, le score du Front national a quasiment doublé.
Dans notre rapport d'information, nous avons la volonté de trouver des solutions simples et claires pour savoir qui doit faire quoi dans les communes rurales. C'est pourquoi nous voulons renforcer l'ingénierie aux niveaux régional, départemental ou des EPCI, pour les plus importants d'entre eux. C'est ainsi que les communes pourront essayer de se développer.
Alain Fouché a évoqué le problème des grandes surfaces, ainsi que les maisons de services au public.
Concernant les maisons de services au public, on y croit ou pas. Pour ma part, je crois que ces maisons en milieu rural sont importantes pour les petites villes-centres et les villes périphériques. L'État, les départements et la région implantent des permanences dans ces lieux bien organisés au service des populations.
Pour ce qui est des grandes surfaces, c'est la guerre entre les métropoles. Si elles acceptent de grandes enseignes, comme Ikea ou Leclerc, c'est aussi parce qu'elles doivent se développer.
M. Michel Raison. - C'est la même chose dans les villes plus petites ! Même si ce n'est pas au même niveau, la guerre existe aussi !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - Michel-Edouard Leclerc nous a expliqué lors de l'assemblée générale des Fermiers de Loué qu'il commençait à se faire doubler par Amazon, malgré les drive mis en place. Les grandes surfaces se remettent aussi en question à cause du nouveau service à domicile proposé par d'autres sociétés. À mon avis, le développement des grandes surfaces va s'atténuer.
Michel Raison a raison, le rapport de la mission d'information sur la démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire est très important.
L'État quitte les territoires. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), par exemple, qui a été installée au Mans par François Fillon, réorganise ses services à Paris, même si l'actuel président a déclaré qu'il y maintiendrait le siège. C'est à Paris que se prennent les grandes décisions en matière d'infrastructures. Se pose en effet un véritable problème des services de l'État qui se concentrent à Paris, en dépit des liaisons TGV ou des autoroutes qui traversent quand même certains départements !
Quant au problème du financement et du désenclavement des territoires, il est prégnant. Il en est de même pour la santé, mais tous les médecins ne sont pas d'accord avec nous.
M. Michel Raison. - Pas tous certes !
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - Ce sont plus les syndicats de médecins...
M. Michel Raison. - Mais pas tous !
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - ... et les étudiants en médecine qui y sont hostiles ! Les médecins se rendent de plus en plus compte que la situation ne peut perdurer.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - Mme Tocqueville a posé le problème de l'urbanisation. L'ingénierie de l'État, que nous proposons, doit être un véritable conseil et ne doit pas sanctionner systématiquement. La réflexion menée au travers des SCoT, à un niveau horizontal - agricole, industriel, urbain - montre les investissements et les aménagements qui doivent être réalisés pour accueillir à la fois les populations qui veulent s'installer et les populations qui veulent développer leur entreprise. Il faudrait développer ce schéma au niveau vertical - quel type d'entreprises, de maisons, les équipements nécessaires aux réserves foncières pour les valoriser. La réflexion sur l'urbanisation dans l'aménagement du territoire est primordiale. Aujourd'hui, on ne sait pas à qui s'adresser, hormis les cabinets privés, pour engager une réflexion d'accompagnement, de conseil, de soutien et non pas d'interdiction.
Mme Nelly Tocqueville. - Au niveau local, on peut discuter avec certaines structures. La SAFER, par exemple, est un interlocuteur essentiel dans la réflexion. Dans le cadre des PLU et des PLUI, un certain nombre de recommandations et d'orientations sont de nature à aider les élus locaux en vue d'anticiper l'aménagement de leur propre territoire. Je suis d'accord avec vous, il ne doit pas s'agir de contraintes. Il faut engager une réflexion et des concertations avec les interlocuteurs de proximité.
Les élus sont de plus en plus conscients de la nécessité de préserver les terres agricoles. C'est l'intérêt même de la préservation des espaces naturels, et c'est aussi important pour le patrimoine bâti.
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - Je veux répondre à Ronan Dantec sur la tiédeur du rapport. Je ne me prononcerai pas sur son jugement. Nous avons essayé de faire les propositions les plus concrètes possibles. On ne peut pas entrer dans le détail des points qu'il a évoqués, comme le clivage Est-Ouest. L'aménagement du territoire est déjà un sujet compliqué à traiter, car il embrase de nombreux thèmes et sous-thèmes. Nous n'avons pas eu la volonté d'être tièdes ni prudents. Nous avons formulé des propositions assez claires et nettes.
M. Michel Raison. - Demander qu'un secrétaire d'État prenne le problème à bras-le-corps, cela n'a rien de tiède !
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - Tout à fait !
Contrairement à M. Dantec, je ne pense pas que l'aménagement du territoire et le logement doivent incomber au même ministère. L'expérience le montre, quand un ministre s'occupe de l'aménagement du territoire et d'un autre secteur, l'aménagement du territoire est délaissé au profit de l'autre domaine, qui exige des décisions plus urgentes. Ce fut le cas lorsqu'il a été rattaché à l'agriculture ou au logement.
M. Michel Raison. - Ces domaines n'ont strictement rien à voir ! S'il existe une activité qui ne se délocalise pas, c'est bien l'agriculture !
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - Sur la brève période au cours de laquelle un ministre a été dédié à l'aménagement du territoire, Michel Mercier a créé les maisons de services publics, qui sont, me semble-t-il, un outil plutôt pertinent.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - Jérôme Bignon a évoqué le problème de la consommation des terres agricoles et de l'urbanisation des territoires ou de la multiplication des infrastructures. Il faudrait en effet disposer d'une analyse fine. Les métropoles ou leur périphérie consomment-elles plus de terres agricoles avec les grandes surfaces, les voiries, les parkings ? Ou est-ce le milieu rural ? Honnêtement, je ne le sais pas. Il serait intéressant que la SAFER mène précisément une réflexion sur cette question.
M. Michel Raison. - C'est le cas pour les grandes infrastructures surtout !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - Le TGV et la LGV !
M. Michel Raison. - Ils consomment énormément de terres agricoles !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur. - Il serait intéressant de connaître la part entre les infrastructures, le développement des métropoles et des territoires ruraux.
Je rejoins Jérôme Bignon sur la question de l'informatique à l'école. Il est vital que les écoles bénéficient assez rapidement du haut débit, à défaut de pouvoir disposer de la fibre optique dans certains territoires, sinon les parents privilégieront les écoles disposant d'outils numériques. Cela fait partie des priorités en matière d'aménagement du territoire.
Jacques Cornano a rappelé l'influence d'Augustin Nicolaÿ sur la liberté. Sachez que mon arrière-grand-mère a également aboli l'esclavage au Brésil. C'est vous dire à quel point notre famille aime la liberté.
Dans ce rapport d'information, nous avons traité de la France métropolitaine. Mais, bien évidemment, les problèmes se posent avec une acuité encore plus forte outre-mer, le développement territorial des îles étant limité.
Enfin, je rejoins le diagnostic de Jean-François Rapin : si une entreprise fonctionne bien, c'est parce que le chef d'entreprise est dynamique. Dans les communes, la responsabilité des maires est importante, même si elle est partagée. La situation est compliquée pour un maire seul au milieu d'un territoire abandonné.
Notre collègue a évoqué la Datar. Il est indispensable d'avoir un État stratège en matière d'aménagement du territoire. Et je le rejoins politiquement sur la question de la suppression de la taxe d'habitation. En effet, la compensation à l'euro près est un voeu pieux.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je m'étonne que mes collègues doutent de l'intérêt de la suppression de la taxe d'habitation.
D'abord, il s'agit d'un impôt injuste. Il faut redonner du pouvoir d'achat. Pour élargir mon propos, un gouvernement ne peut pas demander aux chefs d'entreprise d'augmenter les salaires. La suppression de la taxe d'habitation apportera du pouvoir d'achat aux familles et sera totalement compensée par l'État la première année.
M. Michel Raison. - Oui, la première année !
M. Jean-Jacques Filleul. - Une convention sera passée avec l'Association des maires de France pour pérenniser cette compensation. L'autonomie fiscale des collectivités sera préservée. Cela n'empêchera pas la commune d'augmenter les impôts de 2 % l'année suivante si elle le souhaite.
M. Hervé Maurey, président, co-rapporteur. - Nous n'allons pas ouvrir ce débat maintenant. Je remercie l'ensemble de nos collègues, qui ont globalement apporté leur soutien au travail que nous avons accompli.
Sur un tel sujet, il importe de dépasser les clivages. Je réaffirme notre volonté de tout mettre en oeuvre pour que ce rapport ne reste pas lettre morte. Avec le président du Sénat, nous avons fait le point pour que ces propositions soient celles du Sénat. Nous allons les relayer immédiatement auprès du Gouvernement, en espérant un accueil positif. Mais, si tel n'était pas le cas, nous essaierions de les faire avancer au travers d'initiatives parlementaires.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 11 h 30.