Mercredi 13 juillet 2016
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -La réunion est ouverte à 10 h 05
Questions diverses
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, comme vous le savez, le président du Sénat nous a écrit, au Président Jean Bizet et à moi-même, le 28 juin, pour engager une réflexion conjointe sur le processus de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne et la refondation de l'Union européenne.
S'agissant du calendrier, une forte incertitude demeure sur la date exacte de notification par le Royaume-Uni de sa décision de sortir de l'Union européenne. En outre, l'article 50 du traité sur l'Union européenne prévoit un délai d'au moins deux ans pour négocier un accord de retrait. Dans ces conditions, il nous semble indispensable que le groupe de suivi ait un fonctionnement assez souple et puisse exercer sa mission dans la durée tout en rendant compte régulièrement à nos deux commissions et au Sénat dans son ensemble de l'évolution du processus.
C'est dans cette optique que nous avons proposé un groupe de suivi de 20 membres, désignés à la représentation proportionnelle, nombre qui permet à tous les groupes politiques d'y être représentés et à nos deux commissions d'y siéger avec chacune 10 membres. Il sera placé sous la co-présidence des deux présidents de commission, en associant naturellement, en tant que de besoin, les autres commissions permanentes pour l'examen des sujets relevant de leur compétence.
Je vous propose de les désigner sans plus tarder, car la réunion constitutive aura lieu dès cet après-midi à 14 heures, pour entrer dès maintenant dans le vif du sujet puisqu'un premier sommet informel des 27 états membres aura lieu le 16 septembre à Bratislava, et que le gouvernement va préparer dans l'été ses propositions dans cette optique.
Pour la commission des affaires étrangères :
Groupe Les Républicains : Jean-Pierre RAFFARIN, Christian CAMBON, Jacques GAUTIER, Xavier PINTAT, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM ;
Groupe socialiste et républicain : Jean Pierre MASSERET, Éliane GIRAUD, Gisèle JOURDA ;
Groupe UDI-UC : Jean-Marie BOCKEL ;
Groupe RDSE : M. Jean-Noël GUERINI.
Seront en outre désignés aujourd'hui même par la commission des affaires européennes :
Groupe Les Républicains : Jean BIZET, Fabienne KELLER, Colette MELOT,
Groupe socialiste et républicain : Simon SUTOUR, Richard YUNG, Didier MARIE,
Groupe UDI-UC : Yves Pozzo di BORGO, Claude KERN,
Groupe CRC : Éric BOCQUET
Groupe Écologiste : André GATTOLIN
Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.
Je donne rendez-vous aux membres qui viennent d'être désignés salle A120 à 14h00 aujourd'hui même pour la réunion constitutive ; les auditions commenceront en septembre.
Nomination d'un rapporteur
La commission nomme rapporteur :
M. Jean-Pierre Cantegrit sur le projet de loi n° 751 (2015-2016) autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs.
Groupe de travail « Garde nationale-réserve militaire » - Examen du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information de M. Jean-Marie Bockel et Mme Gisèle Jourda, co-présidents du groupe de travail sur « Garde nationale/réserve militaire ».
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous passons à l'examen du premier rapport d'information inscrit à notre ordre du jour visant la « garde nationale » et donc la réserve militaire. La parole est aux rapporteurs, qui ont coprésidé le groupe de travail de notre commission sur ce sujet.
Je vous signale que, à ma demande, la conférence des présidents a décidé que les rapports d'information qui nous sont présentés ce matin feraient l'objet d'un débat en séance publique à la rentrée parlementaire.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur - Monsieur le président, mes chers collègues, le rapport d'information que Gisèle Jourda et moi-même avons préparé, au nom de notre commission, sous l'intitulé « garde nationale » est à mettre en rapport avec les déclarations faites par le Président de la République devant le Parlement réuni en congrès le 16 novembre dernier, à la suite des attentats survenus trois jours plus tôt. Le chef de l'État avait alors annoncé diverses mesures, dont le gel de la diminution des effectifs de la défense, mais aussi exprimé son souhait « que l'on tire mieux parti des possibilités des réserves de la défense, encore insuffisamment exploitées dans notre pays ». Il avait ajouté : « Les réservistes [...] constituent les éléments qui peuvent, demain, former une garde nationale encadrée et disponible. »
De fait, le Gouvernement soutient depuis lors un projet, ambitieux, qui tend à renforcer les réserves militaires. Ce projet avait d'ailleurs été engagé dès le lendemain des attentats de janvier 2015, donnant ainsi corps aux orientations définies en la matière dans le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale - des orientations données depuis fort longtemps, mais jamais véritablement mises en oeuvre.
Le Gouvernement a donc réaffirmé, dans un contexte nouveau, des intentions beaucoup plus anciennes et, avec M. Le Drian, il y a eu un commencement d'exécution.
Au mois de mars dernier, la commission a confié le soin de suivre cette initiative. Le groupe de travail que Gisèle Jourda et moi-même avons animé s'est enrichi de la participation de nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam, Michel Boutant, Alain Gournac et Jean-Paul Emorine, que je remercie pour la part qu'ils ont prise à nos travaux.
Entre avril et juin, nous avons auditionné plus d'une vingtaine de personnalités représentant le ministère de la défense et les armées, mais aussi la gendarmerie, dont la réussite en matière de réserve est marquante et qui joue un rôle territorial important, et les principaux viviers de réservistes, en particulier le monde des entreprises, la fonction publique et l'enseignement supérieur. En outre, nous avons obtenu du ministre de la défense une documentation sur l'organisation des réserves militaires de plusieurs pays étrangers.
Nous avons également tiré le plus grand profit du rapport sur les réserves établi en 2010 par Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam. Nos collègues ont été tout à fait précurseurs de la réflexion actuelle, puisque leur travail a donné lieu à la création par la loi, en 2011, du dispositif de réserve de sécurité nationale, sur lequel nous reviendrons. Les constats qu'ils ont dressés voilà près de six ans restent aujourd'hui largement valides.
Aussi n'avons-nous pas voulu refaire, au-delà de l'actualisation nécessaire, une analyse déjà disponible. Notre groupe de travail a surtout cherché à sonder, de façon pragmatique, les propositions d'ores et déjà avancées et à identifier les mesures qu'il conviendrait de prendre pour revivifier les réserves des armées, qu'il s'agisse de la réserve opérationnelle ou de la réserve citoyenne. Nous nous sommes ainsi efforcés d'explorer les enjeux de l'idée d'une « garde nationale », mise dans le débat public à l'automne dernier, par l'Exécutif, sans beaucoup plus de précisions - ce qui a laissé le champ libre à notre réflexion.
Gisèle Jourda présentera d'abord l'état des lieux de la réserve militaire, ainsi que le projet engagé par le Gouvernement dans ce domaine. Ensuite, l'un et l'autre, nous détaillerons les propositions auxquelles nous sommes parvenus pour réussir un redimensionnement de cette réserve, qui nous semble indispensable pour notre politique de défense et, au-delà, pour notre pays.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Monsieur le président, mes chers collègues, la réserve militaire s'est vue entièrement réorganisée par la loi du 22 octobre 1999, destinée à tenir compte de la suspension du service national et, donc, de la fin de la conscription qui l'alimentait jusqu'alors.
On distingue depuis lors, sous l'aspect organique, notamment budgétaire, trois réserves militaires : la réserve des armées, qui comprend aussi les réserves des services interarmées comme le service de santé, le commissariat des armées ou le service des essences ; la réserve de la direction générale de l'armement, la DGA ; la réserve de la gendarmerie, qui, comme la gendarmerie dans son ensemble, relève depuis 2009 du ministère de l'intérieur, en dehors d'éventuelles missions militaires.
Chacune de ces réserves se décompose en deux catégories, d'inégale importance quantitative : la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne.
La réserve opérationnelle se subdivise à son tour en deux composantes.
La réserve opérationnelle de 1er niveau, ou RO1, est constituée de volontaires ayant souscrit un engagement contractuel à servir dans les armées. Ceux-ci sont des « militaires à temps partiel » : ils sont pleinement intégrés aux forces, comme compléments individuels dans les unités et les services ou au sein d'unités principalement composées de réservistes, et participent à l'exécution de missions temporaires ou permanentes. Certains peuvent être recrutés avec le statut de « spécialistes ».
En 2015, au total, c'est-à-dire gendarmerie incluse, la RO1 comptait près de 54 400 réservistes ; 28 100 d'entre eux relevaient des armées et de la DGA - soit l'équivalent de 13 % du plafond d'emplois militaires du ministère de la défense.
En pratique, les réservistes opérationnels volontaires sont soit d'anciens militaires d'active ou appelés du contingent, soit des personnes directement issues de la société civile. En conséquence, ils ne disposent pas nécessairement d'une expérience militaire préalable. Suivant le cas, ils sont admis dans la réserve directement ou à l'issue d'une période militaire d'initiation ou de perfectionnement à la défense.
La réserve opérationnelle de 2e niveau, ou RO2, regroupe sous un régime de disponibilité obligatoire tous les anciens militaires pendant les cinq années suivant la cessation de leur état militaire. L'an dernier, la RO2 représentait un vivier de 127 000 réservistes, dont les trois quarts relevaient des armées. L'appel à tout ou partie de ces réservistes « statutaires » ne peut être décidé que par un décret pris en conseil des ministres, pour des cas exceptionnels de crise. Dans les faits, il n'a jamais été fait appel, à ce jour, à l'intervention de la RO2.
Quant à la réserve citoyenne, elle est composée de volontaires bénévoles, agréés par l'autorité militaire. Elle comprend plus de 4 000 réservistes, dont plus des deux tiers pour les armées.
La mission de ces bénévoles est de servir de relais des forces militaires vers la société civile par diverses actions de rayonnement, mais pas seulement. Ainsi, il existe une importante réserve citoyenne dans le domaine de la cyberdéfense : le « cercle de confiance » mis en place à la suite des préconisations de notre collègue Jean-Marie Bockel dans son rapport de 2012 sur le sujet. Un réseau de « réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté » a également été créé ; ceux-ci interviennent auprès de la jeunesse dans les quartiers populaires et les zones rurales. On peut encore mentionner les réservistes citoyens chargés de contribuer à l'action de Défense Mobilité, l'agence de reconversion du ministère de la défense.
Je voudrais insister sur deux aspects de la question, dont le premier est le statut du réserviste opérationnel salarié.
Pour la fonction publique, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, inscrivant dans le droit la pratique qui avait déjà cours dans l'administration, a introduit un droit à congé avec maintien du traitement pouvant aller jusqu'à trente jours cumulés par année civile, destiné à permettre à un agent d'accomplir une période d'activité dans la réserve opérationnelle.
Dans le secteur privé, le contrat de travail du salarié-réserviste opérationnel est suspendu lorsque celui-ci exerce son activité militaire sur son temps de travail. En principe, le salarié ne peut donc pas cumuler sa solde et son salaire. Toutefois, les périodes de réserve sont considérées comme des périodes de travail effectif en ce qui concerne l'ancienneté, l'avancement, les congés payés et les droits aux prestations sociales.
Le réserviste qui accomplit son engagement dans la réserve opérationnelle pendant son temps de travail doit prévenir son employeur de son absence au moins un mois avant celle-ci. Il peut accomplir cet engagement pendant son temps de travail jusqu'à cinq jours par année civile sans devoir recueillir l'autorisation de son employeur ; au-delà de cinq jours, il ne peut le faire qu'à la condition d'avoir obtenu cette autorisation.
Néanmoins, des mesures tendant à faciliter l'activité dans la réserve au-delà des obligations légales des employeurs peuvent être décidées par la voie conventionnelle, notamment dans le contrat de travail des réservistes ou dans des conventions conclues entre les employeurs et le ministère de la défense. À l'heure actuelle, plus de 360 employeurs publics et privés ont signé avec le ministère un partenariat visant à soutenir la politique de la réserve militaire, permettant ainsi à leurs salariés-réservistes de s'engager auprès des armées davantage que le minimum prévu par la loi. En particulier, les engagements à servir dans la réserve peuvent comporter, avec l'accord de l'employeur, une clause dite « de réactivité », qui permet à l'autorité militaire de faire appel au réserviste dans des conditions de préavis réduit.
Le second aspect sur lequel je souhaite attirer votre attention tient aux évolutions législatives intervenues ces dernières années dans l'organisation de la réserve militaire.
D'abord, en 2011, sur la proposition de nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam, la loi a créé le dispositif de « réserve de sécurité nationale ». Celui-ci prévoit, en cas de crise grave, le concours commun des réservistes de la réserve militaire opérationnelle de 1er niveau et de 2e niveau, de la réserve civile de la police nationale, de la réserve sanitaire, de la réserve civile pénitentiaire et des réserves communales de sécurité civile. Ce dispositif est activable depuis la publication du décret d'application en mai 2015, mais il n'a encore jamais été mis en oeuvre. Dans ce cadre, le préavis de convocation des réservistes serait limité à un jour franc, et leur durée d'emploi opposable à leur employeur civil portée à trente jours, renouvelable une fois.
Ensuite, la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense a assoupli les conditions de recours à la réserve opérationnelle en cas de crise menaçant la sécurité nationale. Dans cette hypothèse, il est en effet possible au ministre de la défense de prendre par arrêté deux séries de mesures. D'une part, il peut réduire le préavis que doit respecter le réserviste salarié pour prévenir son employeur de son absence pour activités dans la réserve ; cette réduction ramène le préavis à quinze jours pour le régime de droit commun, contre un mois en temps ordinaire, et à cinq jours pour les réservistes ayant souscrit une clause de réactivité, contre quinze en temps ordinaire. D'autre part, il peut augmenter le nombre de jours d'activité dans la réserve que peut accomplir le réserviste salarié sur son temps de travail sans avoir besoin de l'autorisation de son employeur : cette période peut être étendue jusqu'à dix jours par an, contre cinq en temps ordinaire.
La mise en application de ces mesures n'est possible que pour un temps limité. Ainsi, lorsque ces dispositions ont été activées, pour la seule et unique fois à ce jour, par un arrêté du début du mois de janvier 2016, leur durée de mise en oeuvre a été réglée sur celle de l'état d'urgence, dont la loi prévoyait alors qu'il se terminerait à la fin du mois de février.
Au-delà de ces ajustements juridiques, la réserve militaire, du moins celle des armées, s'est longtemps vue traitée comme un dossier de second rang.
Ainsi, de sa réorganisation en 1999 jusqu'à la loi de programmation actuelle, votée en 2013, cette réserve a constamment vécu au rythme des coupes budgétaires. Sur la période, à peu près aucune annuité prévisionnelle n'a été respectée. De fait, les enveloppes financières prévues au titre de la réserve -dans la programmation militaire, puis, chaque année, dans la loi de finances- ont été très couramment sollicitées pour servir de variables d'ajustement du budget de la défense. Par suite, l'activité de la réserve, pendant une quinzaine d'années, s'est vue traitée à l'image de son budget, c'est-à-dire « par solde » : elle était au niveau de ce qui restait possible après les régulations dont elle faisait les frais.
De la sorte, alors que la professionnalisation des armées avait vocation à s'accompagner de la mise en place d'une réserve opérationnelle plus disponible et mieux formée, la montée en puissance de celle-ci n'a jamais été réalisée, bien qu'elle ait été prévue, depuis une vingtaine d'années, par les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale et les lois de programmation militaire correspondantes. La chronique des résultats de la politique de la réserve, telle que la dresse notre rapport, est celle d'une ambition toujours déçue, quoique régulièrement revue à la baisse.
Pour s'en tenir à la dernière période, s'agissant du volume des effectifs, la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 prévoyait une cible pour la réserve opérationnelle de 1er niveau limitée à 40 500 réservistes à l'horizon de 2015. Or l'effectif de la RO1 constaté à la fin de l'année 2014 n'atteignait qu'un peu plus des deux tiers de cet objectif, l'absence de moyens, mais aussi de détermination, ayant aggravé les difficultés inhérentes à la mobilisation de réservistes volontaires.
Quant au niveau d'activité de la réserve, il est directement corrélé aux disponibilités budgétaires : un budget de 1 million d'euros représente environ dix jours d'activité pour mille réservistes. De manière significative, ce n'est qu'avec la récente remontée du budget consacré à la réserve, en 2015, que l'on a observé une hausse sensible du niveau d'emploi des réservistes : le taux moyen d'activité s'est en effet établi, l'année dernière, à 27,9 jours par réserviste, soit une progression de près de 16 % par rapport à 2014, où ce taux était de 24,1 jours à peine. Ce résultat représente 93 % d'une cible désormais fixée à trente jours.
Reste que cette moyenne masque d'importantes disparités, d'un réserviste à l'autre. En particulier, certains n'accomplissent aucune journée d'activité dans l'année : plus de 18 % se sont trouvés dans cette situation en 2015. Par ailleurs, la même année, seulement 46 % des réservistes ont accompli plus de vingt jours d'activité.
Les armées elles-mêmes n'ont pas accordé une attention prioritaire à leurs réserves.
D'une part, elles ont conservé l'habitude de bâtir leurs contrats opérationnels et leurs scénarios de crise sans y intégrer la réserve, qui constitue une variable d'ajustement des effectifs essentielle pour le fonctionnement militaire, mais une variable d'ajustement seulement. À cet égard, je dois dire que plusieurs des personnes que nous avons auditionnées se sont montrées dubitatives sur l'effet que pourrait avoir un rapport supplémentaire.
De fait, la professionnalisation des forces armées entreprise à partir de 1997 et la réduction sans précédent de leurs effectifs ont conduit les autorités militaires à n'exprimer de besoins en matière de réserve, pour l'essentiel, qu'en termes de renforts numériques ponctuels des unités et des états-majors, et pour se doter de spécialistes, sans chercher à mieux définir le rôle qui pourrait être dévolu en propre aux réservistes.
D'autre part, la gestion de la réserve de disponibilité statutaire, la RO2, a été complètement négligée. Au printemps dernier, l'armée de terre, consciente de cette lacune, a organisé un exercice, « Vortex », consistant à rappeler les anciens militaires soumis à l'obligation de disponibilité relevant de deux brigades. Or 41 % seulement des réservistes appelés ont effectivement répondu présents le jour dit. Plus du quart de l'effectif théorique a répondu à l'appel par la négative ou n'y a pas répondu. Un autre quart environ n'a pas pu être atteint, les adresses se révélant invalides. Cette situation n'est pas acceptable !
Un horizon nouveau s'est tout de même ouvert pour la réserve militaire en 2015. En effet, la pression de la menace liée au terrorisme djihadiste, qui a désormais prouvé sa capacité à frapper directement sur notre territoire, a rendu impérative la rénovation d'un dispositif peu ou prou négligé jusqu'alors, et qui doit être enfin considéré comme une partie intégrante de notre modèle d'armée - comme l'ont proclamé, de façon assez théorique, nos Livres blancs successifs. L'armée active, notamment l'armée de terre, déployée au-delà de ses contrats opérationnels du fait du niveau d'engagement et de la durée de l'opération « Sentinelle », a besoin de ce renfort.
Je trouve navrant que ce soit sous la pression de la menace qu'on ait enfin entrepris d'agir, s'agissant d'une question qui figurait dans les différents Livres blancs et dont on se préoccupait, officiellement, de longue date.
Toujours est-il que le Gouvernement paraît aujourd'hui véritablement engagé dans la voie de la rénovation de la réserve, dans le cadre d'un projet baptisé « Réserve 2019 ». Les objectifs, fixés en 2015, en ont été réaffirmés par le Président de la République lui-même au début de l'année. Il s'agit, d'une part, de porter l'effectif de la réserve opérationnelle des armées à 40 000 volontaires d'ici à 2019, contre 28 100, DGA incluse, en 2015. Il s'agit, d'autre part, de déployer 1 000 de ces réservistes en permanence pour la protection de nos concitoyens sur le territoire national, dans le cadre de l'opération « Sentinelle » ou de celle qui pourrait être appelée à lui succéder.
À cet effet, des moyens ont d'ores et déjà été dégagés.
En premier lieu, rompant objectivement avec le passé en la matière, la loi du 28 juillet 2015 a rehaussé le budget de la réserve des armées de 75 millions d'euros supplémentaires sur la période 2016-2019. La loi de finances initiale pour 2016 a relevé le budget prévisionnel de cette réserve à 96 millions d'euros, compte non tenu de 2 millions d'euros destinés à financer les besoins liés au système d'information et à la communication du ministère dans ce domaine. L'augmentation atteint 17 % par rapport à 2015 et 35 % par rapport à 2014.
L'objectif pour l'année en cours est d'accroître de 20 % l'activité des réservistes opérationnels des armées et de créer 3 100 postes supplémentaires parmi eux, soit 11 % de plus que l'année dernière. Cet effort devrait être presque intégralement consacré au renforcement de la mission stratégique de protection du territoire national.
En second lieu, un pilotage administratif ad hoc a été mis en place, avec la création d'une direction de projet, confiée au général de Raucourt, sous l'autorité du chef d'état-major des armées. Quatre groupes de travail ont été constitués, qui travailleront respectivement sur les thèmes suivants : la définition d'un nouveau concept de réserve associé à une gouvernance rénovée ; la simplification des procédures administratives et l'allégement de la gestion de la réserve ; la modernisation du système d'information existant ; l'élargissement des viviers de recrutement et la création de mesures incitant à s'engager dans la réserve.
J'ai moi-même été le témoin du début d'avancement de ces chantiers en participant, à l'invitation du ministère de la défense, à la réunion du comité directeur de la réserve militaire qui s'est tenue le 16 juin dernier, sous la présidence de M. Jean-Claude Mallet, conseiller spécial du ministre.
Parallèlement, les armées ont commencé à se réorganiser. Ainsi, l'armée de terre, concernée au premier chef, a mis en place au 1er juin dernier un « commandement pour le territoire national ». Dans ce cadre, l'armée entend notamment créer des synergies entre les unités d'active et la réserve opérationnelle, afin de développer l'emploi de la réserve dans les missions de protection du territoire national.
En outre, à la suite des annonces faites par le ministre de la défense au mois de mars dernier, dix-sept unités élémentaires de réserve supplémentaires doivent être créées pour l'armée de terre d'ici à 2019. Dans le même temps, l'armée de l'air doit bénéficier de la création de quatre sections de réserve et d'appui, et la marine de vingt et une compagnies dites « ROMÉO », toutes constituées de réservistes.
L'histoire de la réserve paraît donc bel et bien s'être accélérée.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - Comme l'a souligné Gisèle Jourda, 2015 a été pour la réserve une année de rupture. Les attentats qui ont meurtri notre Nation l'année dernière ont en effet débouché sur une double prise de conscience.
D'une part, le pays a réalisé que le terrorisme djihadiste pouvait frapper mortellement sur notre sol même. Le déclenchement de l'opération « Sentinelle » à la suite des attentats de janvier 2015 a mieux fait apparaître, en contribuant à l'accentuer, l'hyper-sollicitation de nos forces.
De fait, les armées étaient déjà engagées à un niveau élevé sur différents théâtres d'opérations extérieurs, et elles le demeurent ; nous y reviendrons en examinant le deuxième rapport d'information inscrit à notre ordre du jour. Dans ce contexte, les mesures de protection requises par la menace qui s'est nouvellement déclarée en 2015 excèdent ce que prévoyaient les contrats opérationnels inscrits dans la loi de programmation militaire et rendent nécessaires de nouveaux moyens pour les armées.
La réserve, par définition, constitue l'un de ces moyens, parallèlement à la révision à la hausse du schéma d'emploi de l'active. Elle doit permettre aux forces de s'inscrire dans la durée, en donnant à l'active des marges de manoeuvre et la possibilité de se concentrer sur le haut du spectre des opérations. Les réservistes paraissent ainsi devoir prendre toute leur place dans des opérations du type « Sentinelle », de façon à décharger un peu de son fardeau, en particulier, l'armée de terre. Il s'agit de permettre aux militaires d'active de retrouver le temps requis pour la formation, l'entraînement et le repos après les périodes d'engagement.
Or, actuellement, les opérations militaires ne représentent qu'une part très modeste de l'activité des réservistes opérationnels. En 2015, en prenant en compte la gendarmerie, seulement 1,6 % de cette activité a servi aux OPEX (2,7 % si l'on ne prend en compte que les armées), et 7,2 % aux opérations intérieures, dont « Sentinelle ». Une mesure plus fine permet d'estimer que 21,3 % -soit un peu moins d'un cinquième- de l'activité de la réserve opérationnelle des armées a été consacrée, l'année dernière, à la protection du territoire national, ce qui est évidemment peu.
Certes, du fait des déploiements de « Sentinelle », l'activité des réservistes dans les opérations intérieures a été multipliée par 2,5 en 2015 par rapport à 2014 ; mais les 400 réservistes environ qui participent à « Sentinelle » ne représentent que 4 à 6 %, tout au plus, des 7 000 à 10 000 militaires déployés au quotidien dans ce cadre. L'axe d'effort est donc clairement tracé.
D'autre part, le djihadisme ayant prouvé sa capacité à mobiliser des combattants parmi les populations européennes, en particulier au sein de la nôtre, la cohésion du pays apparaît désormais, peut-être plus que jamais depuis la Seconde guerre, comme une priorité pour l'action politique. Or la réserve militaire, élément clé du lien entre la Nation et son armée, est aussi un dispositif catalyseur d'engagements civiques et un incubateur d'esprit de service. Elle se trouve donc à même de contribuer puissamment à ce renforcement interne, qui est nécessaire.
De fait, au lendemain des attentats de janvier 2015, puis à nouveau après ceux du mois de novembre dernier, une aspiration à l'engagement au service de la collectivité s'est manifestée dans la société, notamment auprès des armées. Une hausse sensible des demandes de renseignements sur les modalités d'engagement militaire a alors été enregistrée. Toutes ces marques d'intérêt ne débouchent pas sur un recrutement, mais la période difficile que traverse notre pays s'avère propice à un essor de la réserve.
Mme Gisèle Jourda a présenté les grands axes définis par le plan « Réserve 2019 ». Nous donnons acte au Gouvernement d'avoir entrepris d'agir avec une certaine résolution. Toutefois, la réforme ne pourra produire d'effets que dans un temps relativement long, dans la mesure où le recrutement et la formation de réservistes opérationnels réclament des délais. De plus, la capacité d'absorption des armées en la matière reste limitée : une réserve de masse n'est pas gérable pour nos forces, compte tenu des besoins de formation et d'équipement des réservistes, ainsi que des infrastructures militaires existantes. Sans compter que, parallèlement à la montée de la réserve, les armées doivent à présent gérer la remontée de l'active, suivant les décisions prises l'année dernière.
Pour le plus court terme, l'enjeu est de définir au mieux un modèle de réserve qui, permettant dans une proportion croissante d'appuyer les forces d'active, contribue à notre défense de façon optimale. C'est à cette tâche fondamentale de redimensionnement de l'outil « réserve » que notre groupe de travail a souhaité prendre part.
Nos propositions sont fondées sur quatre principes cardinaux.
Le premier est la « militarité » : la réserve rénovée des armées devra conserver un statut pleinement militaire.
Le deuxième, non moins essentiel, est la « territorialisation » : la future réserve devra être ancrée dans le territoire national et structurée sur une base territoriale. C'est là l'axe fort de notre rapport.
Le troisième est l'unité : l'organisation de la future réserve devra assurer la capacité de celle-ci à exercer la pluralité des missions liées aux différents besoins militaires, mais dans le cadre d'une étroite coordination interarmées. Ce principe exclut tant la création d'une « armée bis » que la constitution de réserves de seconde zone.
Le quatrième tient à la cohésion nationale : de notre point de vue, la réserve devra accueillir en priorité la jeunesse française, en étant rendue attractive à cet effet. Car les jeunes représentent à la fois le coeur des besoins militaires pour renforcer les unités d'active dans leurs missions de protection et un levier majeur de consolidation des liens intranationaux.
Dans le cadre de ces principes généraux, nous avançons une série de propositions visant à revivifier effectivement la réserve militaire.
Nos préconisations concernent d'abord l'organisation de la réserve. En effet, si le maintien et l'amplification de l'effort budgétaire récemment engagé constituent une condition sine qua non de la réussite - ce n'est là qu'une question de volonté, car les sommes en jeu ne sont pas bien considérables -, il s'agit avant tout, pour le reste, d'instaurer une territorialisation.
Le but est de répondre efficacement aux menaces de tous ordres susceptibles de frapper sur notre sol : le terrorisme et les catastrophes naturelles, technologiques ou industrielles, mais aussi des troubles graves plus probables aujourd'hui encore qu'en 2010, lorsque nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam en traitaient dans le rapport que j'ai précédemment cité. Ces troubles, évidemment plus probables en certains points du territoire qu'en d'autres, il n'est pas toujours aisé de les prévoir, mais il est nécessaire de les anticiper, comme le font, d'ailleurs, nos services de renseignement. Les médias soulignent régulièrement l'importance de cette menace qu'il faut présenter au demeurant dans des termes modérés et équilibrés, car il ne s'agit pas d'agiter les peurs - d'autant que le but de nos ennemis est précisément de diviser notre pays en suscitant de tels troubles.
La territorialisation que nous appelons de nos voeux servirait une double ambition : en premier lieu, renforcer la présence militaire sur l'ensemble du territoire, y compris dans les « déserts militaires », qui se sont accentués à mesure que le format des armées était resserré, et dans les secteurs identifiés comme présentant un risque particulier au regard des critères que je viens de détailler ; en second lieu, faire jouer les effets positifs induits par la proximité entre bassins de vie et lieux d'activité militaire pour faciliter le recrutement de volontaires et optimiser l'emploi des réservistes. Il s'agit, en somme, de s'inspirer du modèle de la réserve de la gendarmerie.
L'armée de terre, par nature la plus concernée par les enjeux de cette territorialisation, envisage d'ores et déjà une manoeuvre en ce sens, qui semble rejoindre notre proposition. Ce projet est détaillé dans notre rapport écrit. Nous en suivrons l'évolution avec le plus grand intérêt.
Par ailleurs, nous proposons de repenser la gouvernance de la réserve militaire. L'organisation actuelle distribue les compétences entre plusieurs instances et responsables - pour l'essentiel, le Conseil supérieur de la réserve militaire, le comité directeur de la réserve militaire, le délégué interarmées aux réserves et les délégués aux réserves de chaque armée et service concerné, sans oublier la direction récemment créée pour le projet « Réserve 2019 ». Cette gouvernance multipolaire manque de lisibilité et, partant, elle nuit à la visibilité, à la bonne organisation et à la montée en puissance de la réserve.
Pour remédier à cette situation, nous proposons de créer une Inspection générale de la réserve militaire - une idée que j'ai défendue dès 2008, dans d'autres fonctions, mais sans succès. Ce service serait commandé, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, par un officier général de « bon rang », qui pourrait être assisté de deux adjoints, dont un gendarme et un réserviste. Il s'agirait ainsi de recréer, mais à l'échelon interarmées, la fonction d'inspecteur général de la mobilisation et des réserves qui existait au sein de chaque armée avant la loi du 22 octobre 1999.
L'inspecteur général et ses adjoints assumeraient le pilotage de la rénovation de la réserve désormais entreprise et assureraient une coordination renforcée entre les autres instances de gouvernance, les armées et les services concernés. Les personnes que nous avons auditionnées se sont montrées plutôt ouvertes à cette proposition, à condition qu'il ne s'agisse pas seulement d'affichage, mais que l'on mette en oeuvre une démarche cohérente. Ayant vocation à incarner la réserve à la fois au sein de l'appareil militaire, dans l'organisation administrative et sur le terrain médiatique, l'inspecteur général, à l'évidence, pourrait jouer un rôle très important de facilitateur de la montée en puissance de la réserve.
Encore conviendrait-il de bâtir une véritable gestion des ressources humaines de la réserve, qui fait encore largement défaut, et de simplifier les procédures administratives afférentes.
À cet égard, il s'agit d'abord de doter les armées d'un système de pilotage et de suivi de la réserve, notamment pour la programmation de l'emploi des réservistes opérationnels. En particulier, il est urgent de mettre en place un système d'information digne de ce nom ; on gagnerait sur ce plan à s'inspirer du système dont dispose la gendarmerie. Il faudra bien sûr veiller à la bonne conception de cet outil, très structurant par nature.
D'autre part, pour toutes les dimensions de l'emploi des réservistes opérationnels, il conviendra de rationaliser les procédures, notamment en les standardisant, en promouvant un formulaire unique et en recourant à la dématérialisation chaque fois qu'elle est possible.
Un chantier particulier de simplification est apparu au cours de nos auditions : celui des visites médicales d'aptitude, qui sont un moment important - moi qui ai été réserviste opérationnel pendant près de quarante ans, je puis en témoigner ! Nous recommandons en la matière une organisation qui permette aux volontaires de franchir rapidement l'étape, sans bien sûr que celle-ci soit négligée. Des exemples qui nous ont été décrits lors des auditions montrent qu'on peut faire bien, tout en réduisant les lenteurs actuelles. Nous appelons également à réexaminer la pertinence de la grille d'évaluation en vigueur en fonction des cibles de recrutement. En effet, pour l'heure, l'aptitude physique d'un ingénieur de l'armement retraité, candidat à la réserve de la DGA, est appréciée selon la même grille que celle de jeunes gens désireux de s'engager au service de l'armée de terre...
Une autre série de nos recommandations touche à l'effort nécessaire en direction des viviers de la réserve.
D'abord, et d'une manière générale, il convient de développer l'attractivité de la réserve, cet engagement pouvant rencontrer des freins nombreux et de tous ordres, notamment professionnels. La facilitation des relations avec l'employeur civil constitue d'ailleurs, d'après les sondages, la première demande des réservistes eux-mêmes, qui sont nombreux à être des « clandestins », ne déclarant pas leurs périodes d'activité militaire.
Actuellement, un accord avec l'employeur peut toujours aménager des dispositions plus favorables pour la réserve opérationnelle que le régime de base prévu par la loi. L'employeur est même incité par la loi à maintenir la rémunération de ses employés réservistes pendant leur absence pour formation militaire, vu qu'il peut l'intégrer dans sa participation obligatoire au financement de la formation professionnelle. Reste qu'il est sans doute possible d'aller plus loin.
Ainsi, nous recommandons l'instauration d'un dispositif permettant la conversion en droits à des heures supplémentaires de formation des activités accomplies au titre de la réserve militaire - à l'image de ce que prévoit le projet de loi « travail », mais avec une évaluation préalable que nous souhaitons plus aboutie. Nous préconisons aussi le rétablissement du crédit d'impôt qui a existé entre 2006 et 2011 pour les entreprises employant des salariés réservistes opérationnels.
Nous proposons également l'organisation d'une concertation en vue d'aboutir, pour les plus grands groupes et sociétés, à un relèvement du congé légal opposable par le salarié réserviste à son employeur. Ce congé devrait être porté à huit jours au moins, sinon à dix, contre cinq actuellement - hors meilleur arrangement toujours possible, car certains chefs d'entreprise sont très allants, conscients de l'intérêt qu'il y a pour leur entreprise à disposer de réservistes en son sein. On tiendrait ainsi compte de la moindre difficulté que rencontrent les grandes entreprises par rapport aux PME. Bien sûr, cette démarche n'est pas exclusive d'une concertation avec les PME en vue d'envisager tous les progrès possibles ; la situation au sein des PME tient beaucoup à coeur à ma collègue Gisèle Jourda comme à moi-même.
Enfin, nous invitons à la poursuite du développement des conventions de partenariat entre les entreprises et le ministère de la défense, par la sensibilisation des employeurs à la valeur immatérielle que les réservistes représentent pour leur entreprise.
Cette dernière préconisation vaut aussi, mutatis mutandis, à l'égard des établissements d'enseignement supérieur. À l'heure actuelle, seuls quatre de ces établissements ont signé avec le ministère de la défense une convention visant à promouvoir la réserve. Il convient d'intensifier la conclusion de tels partenariats, en sensibilisant les chefs d'établissement à la dimension formatrice de la réserve. Il faudrait également étendre cette politique à l'enseignement secondaire, en vue de recruter dans la réserve des lycéens. N'oublions pas que, traditionnellement, la préparation militaire commençait lors des dernières années du lycée.
Par ailleurs, pour faciliter l'engagement des étudiants, nous conseillons de promouvoir des dispositifs de validation des compétences et connaissances acquises dans la réserve au sein des formations supérieures. De même, il convient d'encourager les possibilités d'aménagements de scolarité au bénéfice des étudiants réservistes.
Pour renforcer les effectifs de la réserve opérationnelle, il conviendrait aussi de diversifier les recrutements, en ciblant trois catégories : les volontaires directement issus de la société civile, en priorité les jeunes gens, garçons et filles ; les demandeurs d'emploi, par définition relativement disponibles et, hélas, nombreux, auxquels une coopération entre les armées et Pôle Emploi, idée chère à notre collègue Jacques Gautier offrirait une expérience gratifiante et utile en vue de leur retour à la vie professionnelle, sans compter qu'elle pourrait jouer, le cas échéant, un rôle de « sas » pour de jeunes chômeurs ne remplissant pas immédiatement les critères pour s'engager dans l'active ; enfin, les travailleurs intérimaires.
Nous formulons aussi plusieurs propositions relatives à l'emploi des réservistes dans les armées.
D'abord, il convient de définir une doctrine d'emploi de la réserve opérationnelle de 1er niveau, qui déclinerait dans les contrats opérationnels des armées et leurs scénarios de crise les cas et les volumes d'emploi de réservistes. En particulier, la RO1 devra être prise en compte dans la nouvelle « posture de protection terrestre » de l'armée de terre.
Ensuite, il importe de rendre possible l'emploi de la ressource stratégique qu'est la réserve opérationnelle 2e niveau. La mise en place d'outils d'information adéquats devrait permettre de remédier à la situation actuelle que Gisèle Jourda a décrite, une situation de quasi « non-gestion », le cas échéant en ciblant, dans un premier temps, les anciens militaires ayant quitté l'institution depuis moins de deux ans, plus rapidement réemployables compte tenu de leur formation récente et de la validité conservée de leur certificat médical d'aptitude. La RO2 pourrait ainsi être intégrée aux schémas opérationnels.
Il faut aussi intégrer dans cette doctrine d'emploi la coordination avec la gendarmerie. Dans cette perspective, la multiplication des exercices et opérations faisant collaborer les différentes forces et réserves militaires paraît souhaitable, sur le modèle de l'expérimentation « Minerve » menée en avril dernier dans l'Isère. Cette capacité à travailler ensemble sera essentielle pour faire face aux menaces dont je parlais il y a quelques instants.
Nous sommes également soucieux d'optimiser la réserve citoyenne. À cette fin, nous proposons de mettre en place les éléments d'une coordination des activités de la réserve citoyenne. Un plan annuel de mobilisation de celle-ci serait élaboré par l'état-major des armées, puis les armées, localement, déclineraient ce plan en feuilles de route individualisées. Sur cette base, les réservistes citoyens rendraient compte à l'autorité militaire des objectifs qu'ils auraient pu atteindre. En outre, des kits d'information sur les enjeux de défense seraient mis au point et régulièrement actualisés, sous la responsabilité de l'état-major des armées, pour aider les réservistes citoyens dans leurs interventions au sein de la société civile et des différents réseaux où ces « amis de la défense » sont actifs.
Nous recommandons aussi de recentrer la réserve citoyenne sur sa vocation militaire, en l'employant exclusivement au bénéfice du rayonnement des armées et des besoins d'enseignement de défense dans la société civile. Il convient en effet d'éviter la confusion entre rôle militaire et rôle social, même si, bien sûr, ce dernier n'est pas sans intérêt.
Dans le même esprit, il convient d'encourager toutes les passerelles et synergies possibles entre la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne. Ce processus est d'ailleurs en cours dans le domaine de la cyberdéfense, où le réseau citoyen a préexisté à l'embryon de réserve opérationnelle qui est aujourd'hui en développement.
Par ailleurs, des précisions et clarifications seraient sans doute utiles en ce qui concerne le statut des réservistes citoyens, s'agissant notamment de la tenue vestimentaire et des grades, mais il faut veiller à maintenir, en la matière, les souplesses nécessaires.
Enfin, il faudra s'attacher à clarifier la relation de la réserve militaire avec les réserves civiles, quelque peu brouillée, notamment depuis la création, en mai 2015, de la réserve citoyenne de l'éducation nationale. L'articulation opérationnelle entre réserves militaires et réserves civiles reste assez abstraite en l'absence d'activation, à ce jour, du dispositif de réserve de sécurité nationale créé en 2011.
Ces développements me conduisent à la question de la « garde nationale », dont le Président de la République a émis l'idée en novembre 2015 sans en définir précisément le contenu, même si quelques explications ont été fournies ultérieurement, en dernier lieu par le ministre de la défense au mois de mars dernier.
En fait de « garde nationale », les modèles disponibles ne paraissent pouvoir inspirer que très faiblement une organisation de ce type dans la France d'aujourd'hui.
Du côté de l'histoire, force est de constater que l'expérience de notre pays dans ce domaine entre 1789 et 1871 a laissé dans la mémoire collective un souvenir plutôt contrasté. De fait, la Garde nationale a été tantôt magnifiée, tantôt discréditée du fait d'une action désordonnée ou sans nuance ; je pense en particulier à sa participation à l'épisode sanglant de la Commune de Paris, qui a entraîné la dissolution, en août 1871, de toutes les gardes nationales présentes dans les communes françaises, avant que la loi, l'année suivante, ne mette un terme à ce jour définitif à l'expérience.
Du côté de la géographie, les exemples de « gardes nationales » que l'on peut observer à travers le monde ne sont guère transposables dans notre pays, ou du moins ne répondraient pas à nos besoins. C'est le cas du premier modèle qui vient généralement à l'esprit : la National Guard des États-Unis, qui regroupe quelque 455 000 hommes formés, entraînés et équipés. Cette force sans commune mesure avec les moyens de la France s'avère en outre très fortement marquée par l'histoire et l'organisation constitutionnelles américaines. C'est aussi le cas de la réserve militaire suisse qui, bien qu'elle n'en porte pas le nom, constitue pour partie une « garde nationale » semblable au modèle américain, notamment dans la mesure où elle est liée à un système de type fédéral.
Rien n'est à puiser non plus du côté des gendarmeries que sont, en fait, les « gardes nationales » de la Tunisie et du Venezuela, entre autres. On ne pourra sans doute pas non plus trouver un modèle dans la toute récente « garde nationale » créée en Russie pour réorganiser les forces de l'intérieur du pays. Du reste, l'une des conclusions à laquelle aboutit l'étude sur l'organisation des réserves militaires de six États étrangers, élaborée à notre demande par le ministère de la défense et qui figurera en annexe de notre rapport écrit, est que les modèles, dans ce domaine, demeurent marqués par les cultures nationales.
En somme, si la France doit se doter d'une « garde nationale », c'est un schéma propre qu'elle doit adopter. Le champ des possibles est sans doute vaste, si l'on en juge par les diverses propositions de « garde nationale » qui ont été avancées, entres autres par le groupe de réflexion « Janus » en 2012 et, tout récemment, par notre collègue député Jacques Myard et l'Union-IHEDN.
Pour notre part, nous avons choisi de privilégier une approche à la fois réaliste et pragmatique. Dans cette optique, nous recommandons d'éviter deux écueils : d'une part, la tentation de créer une nouvelle armée - une « garde nationale » ne se conçoit qu'en appui aux armées, sous la chaîne de commandement militaire existante - et, d'autre part, une organisation trop complexe, qui serait impraticable.
Gisèle Jourda et moi-même sommes ainsi parvenus à la conviction que, en l'état des menaces qui pèsent sur notre pays et de notre outil de défense, compte tenu en particulier de l'implantation inégale des forces sur le territoire, la « garde nationale » dont nous avons besoin est celle que l'on constituerait à partir d'une réserve militaire rénovée, notamment, par sa territorialisation. Tel est le sens que nous souhaitons donner à la proposition esquissée par le Président de la République et le ministre de la défense.
Le plus urgent est de disposer, avec une réserve redimensionnée, d'un surcroît de forces qui permette à l'armée active de se concentrer sur ses missions et de maintenir son activité dans les limites que déterminent ses contrats opérationnels. La réserve de demain devra contribuer à la définition d'un format d'armée qui soit au niveau des besoins de notre défense, en passant d'un statut de complément de l'armée active à celui de force opérationnelle principalement dédiée à la protection du territoire national. À moyen terme, une régénération en profondeur de la réserve fondée sur la territorialisation et les autres orientations que nous préconisons contribuera à garantir la capacité de notre outil militaire à répondre, au plus vite et partout, aux différentes crises susceptibles de survenir.
Telle est, mes chers collègues, la « garde nationale » dont nous souhaitons la mise en place, fondée sur une réserve militaire plus forte et territorialisée.
Reste la question du nom à donner au futur dispositif. J'ai rappelé les souvenirs négatifs associés à celui de « Garde nationale », qui évoque aussi, cependant, des souvenirs positifs. Faudrait-il lui préférer celui de « garde territoriale », ou celui de « défense opérationnelle du territoire », qui a déjà existé ?
Sans vouloir trancher cette question de sémantique, observons que le souvenir glorieux de La Fayette, créateur de la première Garde nationale, et l'image de la Nation armée, issue de la Révolution, ne sont pas de mauvais atouts pour susciter les engagements. À cet égard, l'intitulé de « Garde nationale » pourrait avantageusement remplacer le terme de « réserve », que Jaurès qualifiait de « nom de second plan ». Ce changement d'appellation serait justifié, dès lors que la réserve, d'un simple réservoir de forces, deviendrait un outil de défense à part entière.
Mme Gisèle Jourda, rapporteur. - Pour conclure notre exposé commun, je voudrais d'abord souligner que, comme les sondages réalisés le prouvent, l'amélioration de la rétribution des réservistes - les nouveaux « gardes nationaux » de demain, peut-être - ne constitue pas un sujet de premier plan : au jugement de presque les trois quarts d'entre eux, leur engagement dans la réserve est suffisamment rémunéré, même s'ils ne sont que 60 % à le penser parmi les officiers et les sous-officiers. En revanche, la gratification sociale et symbolique qu'ils peuvent légitimement attendre de leur engagement ne doit pas être négligée.
De ce point de vue, nous recommandons d'assurer une évolution des réservistes dans les grades de la hiérarchie militaire conforme à leurs mérites dans le service et à leur fidélité aux armées. Nous préconisons aussi de mener en leur faveur la politique de proposition aux distinctions, militaires et civiles, que justifie leur engagement. Notre pays leur doit bien cela !
Toujours est-il que, parfois, l'amélioration de la condition matérielle peut être un vrai « plus ». À cet égard, nous conseillons d'ouvrir aux réservistes opérationnels, pour leurs périodes d'activité dans les armées, le droit à la prestation de soutien en cas d'absence prolongée du domicile (PSAD), qui vise à soutenir le conjoint du militaire absent du foyer ou les personnes fiscalement à sa charge. Le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire a fait la même proposition dans son dernier rapport public.
Nous souhaitons également que soit mise à l'étude l'instauration d'une prime de fidélité pour les réservistes qui décident de renouveler leur engagement auprès des armées. De même, il nous semble que, pour l'attribution des bourses d'études, la prise en compte de la participation des étudiants à la réserve militaire serait légitime.
J'ajoute que, dans une perspective de bonne gestion des ressources humaines, les armées devront s'efforcer de mieux exploiter les compétences individuelles des réservistes, qui ne semblent pas toujours optimisées pour le moment.
Le ministère de la défense doit en outre améliorer sa communication autour de la réserve. Notre rapport écrit suggère à cet égard différentes pistes : renforcer la thématique « réserve » dans le déroulement de chaque Journée nationale du réserviste, où elle semble insuffisante ; faire davantage appel à l'appui offert par les associations de réservistes et par les réservistes citoyens des armées ; diversifier les vecteurs de communication sur la réserve, en mobilisant davantage les ressources d'Internet, en particulier les réseaux sociaux, et en développant de nouveaux formats d'information ; diffuser une information qui comporte une dimension pédagogique forte sur l'organisation de la réserve militaire et, surtout, qui mette l'accent sur les valeurs attachées à cet engagement ; enfin, adapter cette communication en fonction des destinataires ciblés.
Si les mesures que nous proposons sont évidemment d'inégale importance, toutes visent à renforcer la réserve militaire pour accroître les capacités opérationnelles des armées, et à la territorialiser pour permettre à notre défense de mieux faire face aux crises.
Nous sommes convaincus que, dans le mouvement de cette réforme, qui pourra donner naissance à une « garde nationale » telle que Jean-Marie Bockel l'a préfigurée selon notre voeu commun, les réservistes représenteront un atout essentiel pour la consolidation de notre Nation. En effet, ces hommes et ces femmes engagés au service de la défense de notre pays incarnent d'exemplaires valeurs civiques, car être militaire « à temps partiel », c'est faire siennes constamment les valeurs du militaire d'active : esprit de sacrifice, discipline, loyauté, solidarité de groupe, etc.
Le service national a longtemps joué un rôle décisif en la matière, mais cette époque est révolue. Il nous faut d'autant plus en faire le deuil que le rétablissement de la conscription, serait-il même budgétairement et matériellement possible, ce qui n'est pas le cas, ne répondrait pas aux besoins opérationnels actuels. En revanche, les armées peuvent pleinement tirer profit de la volonté d'engagement que manifeste aujourd'hui toute une partie de la jeunesse française, dans l'intérêt de la société tout entière.
Cependant, les armées et leurs réserves restent un outil de défense. Elles prendront toute leur part dans l'effort de résilience et de renforcement interne de notre pays, mais elles ne pourront prendre que celle qui leur revient. Pour servir plus directement cette cause vitale, d'autres dispositifs existent, sont prévus ou peuvent encore être imaginés. Dans cette perspective, il nous appartient à tous de concevoir de nouvelles formes d'engagement civique. La « Garde nationale » telle que nous la concevons devrait constituer, auprès des armées, l'une des plus solides incarnations de cet engagement, mais elle ne pourra, bien sûr, pas être la seule.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Madame Jourda, monsieur Bockel, nous vous remercions pour ce travail dense sur un sujet essentiel.
Mme Nathalie Goulet. - Les rapporteurs, qui ont étudié certains exemples étrangers, se sont-ils penchés sur ce qui se passe en Israël, où le système des « milouim » a fait ses preuves ? Certes, il s'agit d'un pays en guerre, mais le Président de la République et le Premier ministre ne cessent de répéter que nous le sommes aussi...
En ce qui concerne la coordination des associations de réservistes, il conviendrait de souligner que nous disposons aujourd'hui de méthodes et d'outils qui ne sont pas les mêmes qu'il y a cinq ans.
Enfin, M. Bockel et Mme Jourda envisagent-ils de déposer sur le prochain projet de loi de finances des amendements traduisant certaines de leurs préconisations ? Il serait un peu frustrant pour tout le monde que, après avoir accompli un travail aussi important, on n'essaie pas de lui donner rapidement des suites concrètes.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je souscris à la philosophie des propositions issues de ce travail très fouillé.
Nos collègues ont insisté à juste titre sur le rôle de la réserve dans le renforcement du lien armée-Nation et en faveur de la cohésion nationale. Ils ont souligné que des efforts de communication importants devraient être entrepris. Est-il envisagé de cibler les publics les moins spontanément enclins à rejoindre la réserve ? Je pense en particulier aux jeunes qui ont décroché de l'école et sont marginalisés. Comment les motiver pour qu'ils intègrent la réserve ?
Pour les jeunes Français qui vivent hors de nos frontières, la « journée défense citoyenneté » représente souvent un moment très important, au cours duquel ils prennent conscience de leur citoyenneté française et ressentent le désir de s'y impliquer un peu plus. Ne serait-il pas juste d'élargir certains droits, notamment ceux dont il a été question pour les étudiants, aux jeunes Français qui ne vivent pas sur notre sol, mais qui sont aussi Français que les autres ? Dans un contexte sécuritaire fragile en bon nombre de points du monde, leur engagement auprès de nos services diplomatiques ou consulaires devrait être encouragé.
M. Alain Joyandet. - Les orientations du rapport qui vient d'être présenté me conviennent parfaitement. Il est bon que l'on s'éloigne d'une « garde nationale » un peu fourre-tout, dans laquelle seraient mélangés besoins militaires, besoins civiques et besoins de remise à niveau d'une jeunesse en difficulté, en inscrivant clairement la réorganisation et le renforcement de notre réserve dans la perspective de la défense nationale.
S'agissant du recrutement, il convient de s'adresser davantage aux personnes inscrites à Pôle Emploi, dont beaucoup ont envie de se rendre utiles et sont en pleine forme pour travailler. L'importance des besoins actuels en matière de sécurité rend encore plus nécessaire de creuser cette piste, pour que des chômeurs volontaires puissent servir dans la réserve pendant, par exemple, huit mois ou un an. On pourrait imaginer que cet engagement leur vale un prolongement de leurs droits.
M. Michel Boutant. - Le rapport d'information dont j'ai été le coauteur en 2010, qui avait pour objet l'étude de la création d'une réserve de sécurité nationale, s'inscrivait dans un contexte marqué par une catastrophe naturelle grave : la tempête Xynthia. L'une des suites de ce rapport a été le raccourcissement des délais d'appel aux réserves et l'allongement de leur période d'intervention, qui étaient indispensables en cas de crise majeure. C'est dans un contexte différent, à la suite des attentats terroristes de janvier et novembre 2015, que le Président de la République a appelé de ses voeux la mise en place d'une « garde nationale ».
Aujourd'hui, l'opération « Sentinelle » mobilise de nombreuses unités de l'armée régulière, des forces qui n'ont pas forcément vocation à assurer des gardes postées devant des écoles ou des lieux de culte. Il faudrait peut-être faire appel à d'autres forces que ces unités combattantes, par ailleurs sollicitées sur de nombreux fronts extérieurs. Que la réserve soit appelée à jouer ce rôle de présence armée sur notre territoire, un rôle important dans la situation actuelle, me paraît tout à fait cohérent, et l'idée de « garde nationale » me semble bonne.
Reste que les risques sont multiples ; nous devons aussi pouvoir répondre, par exemple, à des catastrophes naturelles. Le risque terroriste lui-même évolue : ainsi, il est à craindre qu'on cherche à nous frapper, non plus seulement avec des armes à feu, mais aussi avec des armes nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques. Tous ces risques doivent être pris en compte dans une perspective de défense de la population. La « garde nationale » dont nous parlons devrait donc avoir un rôle large, correspondant à celui de la réserve de sécurité nationale. Je comprends que les auteurs du rapport se soient attachés à répondre à une demande pressante, mais la réforme de la réserve doit prendre en compte tous les contextes possibles.
Un changement d'appellation n'est pas seulement affaire de sémantique ; il y a aussi une question d'organisation. De ce point de vue, je souscris résolument à l'objectif de territorialisation. Plus précisément, il faudrait s'appuyer sur les zones de défense et de sécurité, la concertation à cette échelle ayant fait la preuve de son efficacité.
Mme Christiane Kammermann. - Les réservistes assurent une mission très importante. Il me semble qu'ils devraient recevoir, ainsi qu'il a été proposé, une prime de réengagement. De façon générale, je suis favorable à toutes les propositions qui ont été avancées par les rapporteurs.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je trouve, pour ma part, beaucoup d'avantages à l'expression « garde territoriale », qui permettrait d'insister sur l'ancrage dans les territoires et de lever certaines ambiguïtés.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - Madame Goulet, la situation israélienne mériterait certainement d'être examinée de près, même si elle est très différente de la nôtre par certains aspects.
On peut toujours déposer des amendements pour essayer de pousser telle ou telle proposition ; Toutefois, l'esprit général dans lequel nous avons travaillé, qui est aussi celui dans lequel s'étaient inscrits les travaux que j'avais conduits sur la cyberdéfense, n'est pas de révolutionner ce qui se fait : il est d'aider ceux qui doivent agir, à commencer par l'Exécutif, à être plus efficaces. Nous suivrons les choses de près, en espérant que nos grandes orientations seront suivies. Je suis optimiste, car, lors de nos différentes rencontres, j'ai senti chez nos interlocuteurs une forte attention à notre démarche.
Madame Conway-Mouret, il convient en effet de s'appuyer sur la remarquable capacité d'insertion dans la société qui caractérise l'armée française. À vrai dire, l'armée est le corps social français qui fonctionne le mieux à cet égard, celui qui représente le mieux, dans la diversité de sa composition, la France telle qu'elle est.
Il faut tâcher d'attirer vers la réserve les publics les plus difficiles, de même que les chômeurs, sur lesquels a insisté notre collègue Alain Joyandet, à condition bien sûr qu'ils soient volontaires ; les deux publics se recoupent d'ailleurs en partie. Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi avec n'importe qui, mais il est certain qu'un engagement dans la réserve peut contribuer à mettre certaines personnes dans le « droit chemin », au meilleur sens de cette expression. Songeons à la réussite des centres de l'Établissement public d'insertion dans l'emploi (EPIDE).
Nous n'imaginons pas que nos compatriotes de l'étranger, héritiers d'une grande tradition d'engagement au service de notre pays, n'aient pas leur place dans le dispositif, d'autant que la réserve a aujourd'hui besoin de nombreuses spécialisations, qui sont utiles où que ce soit.
Monsieur Boutant, je suis d'accord avec vous, mais notre souci a été d'éviter de mal étreindre pour vouloir trop embrasser. Il y a, bien sûr, des liens entre les différentes formes de réserve, et le concept que vous avez mis au point dans votre rapport de 2010 est incontestablement utile face à certains types de crise. La réserve militaire qui vient sera insérée dans ce dispositif pour certaines missions, notamment en matière de sécurité civile. Un travail reste à mener pour faire collaborer toutes les forces au service de certains objectifs.
Pour conclure, j'insiste sur le caractère militaire que la réserve devra absolument conserver pour que la démarche entreprise soit un succès. Les collaborations avec d'autres forces seront d'autant plus fructueuses que cette dimension militaire sera maintenue. Toutes les conditions sont aujourd'hui réunies pour que, dans cet esprit, nous donnions un nouveau souffle à notre réserve !
Mme Gisèle Jourda, rapporteur. - Nous avons centré notre réflexion sur l'optimisation de la réserve militaire en vue de faire face à des menaces bien particulières, ce qui ne signifie pas que nous aurions ignoré la diversité des défis que nous devons relever.
Ainsi, nous avons constaté un déficit général en matière de citoyenneté. Le projet de loi « Égalité et citoyenneté » s'attache à ce problème en renforçant les réserves citoyennes, comme celle de l'éducation nationale, qui sert des objectifs différents de ceux de la réserve militaire. Nous avons eu le souci d'éviter toute confusion entre les dispositifs tout en assurant une bonne articulation entre eux.
Les responsables de la réserve militaire sont bien conscients de la nécessité de parfaire leur communication, notamment en vue d'atteindre des personnes qui ne se manifesteraient pas spontanément. Cette communication doit être claire sur la vocation de la réserve militaire, qui est de servir des objectifs de défense opérationnelle au côté de l'armée de métier.
Cette clarté nous a paru essentielle dans un premier temps, ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que les autres réserves n'auraient pas leur utilité. Au demeurant, la notion de « garde nationale » ou de « garde territoriale», recouvrera peut-être un jour ces différentes forces, qui ont chacune leurs objectifs propres.
Je terminerai en soulignant l'importance de la territorialisation de la réserve, qui nous permettra de disposer d'une capacité de réponse aux menaces harmonieusement répartie.
À l'issue de ce débat, la commission adopte le rapport des rapporteurs et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Groupe de travail « Bilan des opérations extérieures » - Examen du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information de MM. Jacques Gautier et Daniel Reiner, co-présidents du groupe de travail sur « Bilan des opérations extérieures ».
M. Daniel Reiner, coprésident du groupe de travail « Bilan des opérations extérieures ». - Monsieur le Président, mes chers collègues, M. Gautier et moi-même nous efforcerons d'être aussi synthétiques que possible, pour laisser place au débat.
Si notre commission nous a chargés de dresser un bilan des opérations extérieures, les OPEX, c'est parce que le nombre d'opérations en cours, extérieures et intérieures, est élevé, et que nos soldats sont employés au-delà de ce que prévoient les contrats opérationnels. Dans ce contexte, nous nous sommes demandé si la France n'en fait pas trop et si nous avons bien fait de lancer toutes les opérations que nous conduisons. Notre idée de départ était d'évaluer les opérations menées ces huit ou dix dernières années, dans l'idée que certaines avaient été bonnes et d'autres moins, que certaines pouvaient être rétrospectivement critiquées - même si la critique rétrospective est facile - et, même, que certaines n'auraient pas dû être entreprises - nous pensions à la Libye.
Chemin faisant, nous avons réalisé qu'évaluer les opérations extérieures était un exercice très difficile, pour lequel il n'existait pas de méthodologie clairement établie. En réalité, il y a de multiples façons d'appréhender les opérations extérieures !
Si nous portons un jugement globalement positif sur les opérations qui ont été conduites, nous émettons aussi certaines critiques, dans un esprit constructif. Ces critiques, sur lesquelles nous insistons avec le souci d'améliorer les choses, ne doivent pas faire oublier le jugement d'ensemble, qui est favorable.
Notre groupe de travail, auquel participaient également Jean-Marie Bockel, Cédric Perrin, Gilbert Roger et Jeanny Lorgeoux, a procédé à deux déplacements en Afrique et à de nombreuses et longues auditions de représentants des ministères de la défense et des affaires étrangères, ainsi que d'organismes internationaux.
Il s'agit d'un travail de parlementaires - nous ne sommes pas des experts militaires -, et de parlementaires français : je suis sûr que des parlementaires allemands ou américains n'auraient pas travaillé de la même façon. Il expose la vision qu'a le Parlement français des opérations extérieures et de la manière dont il y est associé. Il est destiné à proposer certaines améliorations sur le plan français et à promouvoir cette vision française en Europe et dans le monde.
Nous avons constaté qu'il n'existait pas de définition des opérations extérieures dans notre littérature administrative. Nous nous sommes également aperçus que ces opérations étaient décidées en Conseil de défense et de sécurité nationale par le Président de la République, chef des armées, avant d'être déclinées sur les plans administratif et réglementaire par le ministère de la défense.
Nous nous sommes demandé si toutes nos opérations avaient été menées dans un cadre légal et si toutes les règles éthiques et morales que la France s'est données avaient été respectées. Nous avons conclu par l'affirmative, les opérations entrant dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies ou invoquant la légitime défense.
Les contrats opérationnels définis par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 ayant été largement dépassés, nous proposons de les réviser.
Nous avons fait le constat, essentiel du point de vue des militaires, que toutes les opérations ont porté leurs fruits. En d'autres termes, nos opérations extérieures atteignent leur objectif sur le plan militaire. Reste que ces opérations ne résolvent à peu près jamais le conflit : elles sont un levier pour créer les conditions d'un règlement politique, qui fait intervenir d'autres acteurs, en particulier des organismes internationaux.
Ainsi, le but de guerre de l'opération « Sangaris » a été effectivement atteint, mais les problèmes de la Centrafrique ne sont pas pour autant résolus.
De là la nécessité d'une approche globale du règlement des conflits. Or les Livres blancs de 2008 et 2013 faisaient état de progrès à accomplir en ce qui concerne la manière dont la France met en oeuvre cette approche civile et interministérielle. Des progrès ont bel et bien eu lieu, mais on peut encore mieux faire. Au demeurant, ce n'est pas la France seule qui réglera ce problème. Elle aura de toute façon à faire suivre son action par une action internationale.
Nous portons une appréciation mitigée sur la qualité des forces de maintien de la paix de l'ONU ; je pense même qu'il faudrait être sévère dans certains cas. Nous avançons en la matière des propositions qui n'auront évidemment pas d'effets directs, mais qui marqueront que des progrès importants sont possibles.
Il en va de même des forces européennes qui assurent les formations. Celles-ci sont trop longues à se mettre en place et ne sont pas redoutablement efficaces. Il faut dire qu'elles sont parfois dispensées par des officiers qui n'ont jamais fait la guerre. La France doit accompagner autant que possible les progrès nécessaires dans ce domaine.
Une marge de progression existe aussi en ce qui concerne l'approche civile et les organismes chargés de ce travail. Nous avons mobilisé de gros moyens dans un certain nombre de pays, mais peut-être pas toujours de manière intelligente et cohérente.
Le coût des OPEX, 1 milliard d'euros par an, n'est pas considérable. Il fait l'objet d'une prise en charge interministérielle, il ne représente que 0,24 % du budget de l'Etat, mais plus de 3% du budget de la défense. Ce financement interministériel doit être conservé, peut-être même amélioré par la prise en compte de nouveaux surcoûts.
Pour ce qui est du contrôle parlementaire, nous sommes satisfaits de la relation entre, d'une part, le ministère de la défense et les états-majors et, d'autre part, les commissions parlementaires, qui sont régulièrement informées et associées. Nous sommes également satisfaits des nouvelles prérogatives conférées au Parlement par la révision constitutionnelle de 2008, mais il est sans doute possible de faire encore mieux. Il n'est pas inutile que le Parlement soit vraiment partie prenante des OPEX, car, si l'opinion publique est généralement favorable à ces opérations, on observe dans certains pays, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, une forme de fatigue de l'expédition qui pourrait se manifester aussi dans notre pays. Or le maintien du lien avec l'opinion publique passe par le Parlement !
M. Jacques Gautier, coprésident du groupe de travail « Bilan des opérations extérieures ». - Monsieur le Président, mes chers collègues, si nous sommes deux à prendre la parole ce matin, je tiens à signaler que les quatre autres membres du groupe de travail ont également beaucoup travaillé. M. Reiner vous ayant exposé notre constat, je vous présenterai nos propositions, qui, pour les unes, peuvent être mises en oeuvre par la France et, pour les autres, supposent des accords internationaux ou des pressions diplomatiques.
Nos propositions s'ordonnent en neuf catégories, dont les trois premières concernent le niveau français.
Premièrement, nous proposons une remontée en puissance des contrats opérationnels, qui ont été dépassés. Nos forces sont à bout et nos matériels s'usent. L'opération « Sentinelle » ne fait qu'aggraver la situation, nos troupes n'ayant pas le temps de se régénérer et de se préparer. La révision du format et du budget, déjà engagée par le Président de la République, doit donc être poursuivie. Le Président de la République élu l'année prochaine, quel qu'il soit, devra donner à la défense les moyens de nos ambitions. De ce point de vue, nous plaidons, une fois encore, pour que le budget des armées tende vers la norme OTAN de 2 % du PIB dans les années qui viennent.
Deuxièmement, il faut que les décisions prises ces derniers mois se traduisent dès la loi de finances initiale pour 2017. Un contrôle parlementaire très sérieux devra être mené à cet égard. Il faudra nous montrer vigilants, car Bercy a toujours tendance à vouloir revenir sur ce qui a été décidé !
Troisièmement, il faut améliorer le maintien en condition opérationnelle de nos matériels, dont l'usure est plus forte encore en OPEX. Les systèmes de gestion des parcs et de renouvellement des pièces de rechange doivent être modernisés. La France accuse en matière logistique un retard qu'il est nécessaire de combler, notamment en misant sur la numérisation et en établissant des liens plus directs avec les industriels.
Notre quatrième série de propositions se rapporte aux Nations unies. De manière fort diplomatique, M. Reiner a expliqué que nous n'étions pas particulièrement satisfaits de ce qui se passe à ce niveau.
Nous intervenons souvent en premier, seuls ou dans le cadre d'une coalition, pour sauver des vies ou restaurer la sécurité. Nous devons pouvoir, dans un second temps, passer la main à un partenaire capable de mener à bien un travail de stabilisation qui peut être long. On parle à cet égard de bridging operations : nous portons le glaive pour amorcer la stabilisation, avant de passer le relais pour un travail de longue durée.
Pour que cette transmission soit réussie, plusieurs conditions doivent être réunies qui, hélas, ne le sont généralement pas.
D'abord, la capacité opérationnelle des forces des Nations unies ne correspond pas à la réalité des menaces et de l'action qui doit être menée. En effet, on déploie des forces de maintien de la paix dans des zones où la paix n'est pas assurée ; elles sont nécessairement inadaptées aux nécessités du terrain. C'est pourquoi nous proposons d'adapter le mandat des forces des Nations unies en élargissant les possibilités qu'elles ont de mener des actions offensives contre des groupes armés irréguliers. Le mandat de la mission des Nations unies au Mali vient d'être durci, alors que c'est le contraire qui aurait dû se produire : il faut appliquer un mandat dur au départ, puis l'assouplir à mesure que la stabilisation progresse. Les Nations unies font les choses à l'envers, ce qui peut mettre en danger les Casques bleus. Un effort de conviction doit être mené à cet égard vis-à-vis des Nations unies, notamment des membres du Conseil de sécurité.
Ensuite, il faut que les forces onusiennes soient plus robustes et plus efficaces. Le secrétaire général des Nations unies a le projet d'une force permanente de quinze mille hommes. Nous préconisons, nous, au sein de cette force permanente, une force d'intervention rapide permanente de deux mille hommes susceptibles d'être déployés en quelques jours, avec leur équipement, dans une zone en crise. Aujourd'hui, il faut au moins une année aux Nations unies pour se déployer sur un terrain en effectifs pleins, alors qu'il faut agir sans délai !
Les forces des Nations unies sont également trop disparates et mal préparées. On sait bien que, pour certains pays, les missions onusiennes servent à payer les forces armées... Mais ce n'est pas comme cela que l'ONU disposera de forces efficaces et capables de faire respecter leur mandat. Il nous semble qu'il faut identifier, dès avant les conférences de génération de forces, les unités nationales susceptibles d'apporter de la puissance aux forces des Nations unies.
L'ONU doit aussi assurer à ses forces une préparation opérationnelle, en instaurant des cycles de formation. On ne peut pas envoyer sur le terrain des soldats qui n'ont aucune expérience d'un conflit dur ! Cette formation devrait être financée via un fonds spécifique des Nations unies.
Enfin, il convient d'améliorer le lien entre les forces onusiennes déployées et les forces de coercition comme les nôtres. Il est dommage de ne pas mener davantage d'opérations mixtes, alors que les troupes de l'ONU auraient beaucoup à apprendre de nos militaires, notamment sur le plan de l'approche du terrain - je pense en particulier à la capacité de nos soldats à dialoguer avec les populations. De fait, ces troupes tendent souvent à se bunkériser, au point de ressembler davantage à une armée d'occupation qu'à une force au service du développement. À ce sujet, une refonte complète de la pensée est nécessaire.
Notre cinquième proposition concerne l'Europe. Alors que, à cette échelle, nous pourrions disposer de troupes de bon niveau susceptibles d'être projetées, nous voyons bien que, chaque fois qu'on demande à l'Europe de se déployer, le processus est laborieux. Les battle groups doivent être utilisés pour mener des opérations de stabilisation, étant entendu que, si nous voulons mener une action coordonnée, les contingents nationaux ne doivent pas être inférieurs à la compagnie.
La sixième de nos propositions, qui porte aussi sur l'Europe, plaît davantage à nos partenaires qui n'ont pas forcément envie d'opérations durcies. Il s'agit d'améliorer la formation dispensée aux forces étrangères, s'agissant en particulier de la formation au combat. En ce qui concerne la mission EUTM Mali, il faut adopter une vision régionale, en s'ouvrant aux forces armées de l'ensemble du G5 Sahel. Il faut également permettre aux instructeurs européens d'accompagner sur le terrain les troupes qu'ils forment, en liaison avec Barkhane. Des missions mixtes Barkhane-forces locales doivent être menées dans le même esprit. L'Europe doit aussi financer l'équipement, au moins rudimentaire, des militaires qu'elle forme. Songez que, aujourd'hui, elle refuse de financer même les équipements nécessaires à la formation.
En République centrafricaine, il faut qu'EUTM et les Nations unies fassent lever l'embargo dont sont frappées les forces armées de Centrafrique, les FACA. On forme des soldats, mais on n'a pas le droit de les armer ! On ne peut pas continuer ainsi : soit on agit en se donnant les moyens d'être efficace, soit on n'agit pas. Des patrouilles mixtes MINUSCA-FACA doivent être mises sur pied.
Notre septième proposition est la plus importante, du point de vue non seulement français, mais aussi européen et international : il importe de concevoir une approche globale coordonnée pour la résolution des crises.
Comme le chef d'état-major des armées le rappelle volontiers, l'intervention militaire ne règle pas les problèmes, mais elle a un effet de levier. Pour qu'elle porte pleinement ses fruits, elle doit être intégrée à une approche plus large, qui permette d'agir sur les causes profondes de la violence. Le volet civil doit donc être développé, en prévention, en accompagnement et en prolongement des interventions armées. Nous regrettons que le Quai d'Orsay ne dispose pas actuellement dans ce domaine de moyens suffisants de veille, de planification et d'anticipation, même s'il travaille à s'améliorer.
Nous proposons d'élaborer une approche globale coordonnée au niveau français, avant d'essayer de la promouvoir en Europe et dans le monde. Plus précisément, un conseiller chargé des affaires stratégiques, à la présidence de la République, devrait veiller à la présentation d'un volet « approche globale » à chaque stade de décision du Conseil de défense et de sécurité nationale. Il nous semble que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale est l'acteur légitime pour conduire la politique interministérielle en matière d'approche globale. Nous proposons qu'il s'appuie sur un bras armé : un représentant spécial par théâtre d'opérations, qui serait en mesure d'imposer aux divers ministères concernés la mobilisation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de l'approche globale. Par exemple, si l'on mène une action de type économique, il est évident qu'il faut la protéger. Le représentant spécial, responsable d'un théâtre d'opérations, serait le patron capable de garantir la cohérence d'ensemble de l'action entreprise.
Il nous semble également nécessaire de renforcer les moyens budgétaires alloués à l'accompagnement des opérations extérieures et de la post-crise. Une opération extérieure coûte cher : si l'on est obligé d'y revenir après dix ans, parce que la phase post-militaire a été mal gérée, le coût est beaucoup plus élevé encore !
Il faut aussi augmenter les moyens de l'action civilo-militaire dans les budgets des opérations extérieures. Vous devez savoir que le patron de Barkhane dispose de 300 000 euros pour faire du civilo-militaire, pour un territoire grand comme l'Europe ! Pour valoriser une intervention militaire, il faut pouvoir réaliser tout de suite de petits travaux bénéfiques pour une famille, une tribu ou un village.
Par ailleurs, nous conseillons de recentrer l'assistance et l'aide au développement sur les États fragiles et les États faillis. De mémoire, l'Agence française de développement, l'AFD, ne dispose que de 230 millions d'euros par à répartir entre les 16 pays pauvres prioritaires, soit une quinzaine de millions en moyenne par pays. Il faut investir bien davantage, pour éviter d'avoir à y revenir ! Nous reprenons à notre compte la proposition de nos collègues Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret consistant à instaurer une facilité de prévention et de sortie de crise gérée par l'AFD. Nous estimons aussi qu'un tiers à la moitié de l'abondement annoncé de 370 millions d'euros des crédits de l'aide au développement devrait être alloué à la gestion post-crise. Il nous paraît également nécessaire d'agir au plan international pour que les bailleurs internationaux reconnaissent que les États fragiles et les États faillis doivent être prioritaires.
J'ai parlé ce matin, de façon caricaturale, d'un « plan Marshall pour la Tunisie ». Nous ne sommes pas militairement présents dans ce pays, même si nous l'accompagnons. L'Europe doit l'aider, notamment en investissant dans son économie, qui est sinistrée, car ce serait un échec s'il venait à exploser !
Enfin, il convient d'évaluer financièrement les dépenses réalisées et d'étudier la possibilité d'un financement interministériel du volet civilo-militaire des OPEX.
Voilà qui me conduit à notre huitième proposition : sécuriser le financement interministériel des OPEX. En particulier, la nomenclature des dépenses prises en charge au titre des surcoûts OPEX devrait inclure certains coûts dérivés, comme ceux liés à l'usure prématurée et à la destruction des matériels. Je pense aussi aux coûts liés aux conséquences humaines de nos opérations. Actuellement, le ministère de la défense supporte seul les coûts spécifiques engagés au titre de l'action sociale. Ces dépenses ne devraient-elles pas être comprises dans l'enveloppe OPEX ?
Notre neuvième série de propositions se rapporte au contrôle parlementaire. Si la Constitution révisée en 2008 permet un contrôle accru et que les ministres comme les chefs militaires jouent parfaitement le jeu, ce qui nous garantit une information maximale, certains progrès sont encore possibles. Ainsi, il convient d'appliquer l'article 4 de la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019, qui prévoit un débat annuel sur les OPEX. Il faut aussi que nous, parlementaires, mettions au point une méthodologie plus systématique d'évaluation et de contrôle des opérations extérieures ; nous pourrions aussi désigner un rapporteur permanent, ou plusieurs, qui mèneraient ce travail dans la durée. Peut-être aussi faudrait-il prévoir un rendez-vous parlementaire à des échéances régulières, après celle de quatre mois prévue par la Constitution. Les opérations extérieures sont une responsabilité et entraînent des coûts ; le Parlement ne peut pas en être tenu à l'écart !
M. Christian Cambon. - Je félicite MM. Reiner et Gautier pour le travail excessivement précis qu'ils ont accompli. Le Parlement est tout à fait dans son rôle en se livrant à ce genre d'évaluations, surtout quand 1 milliard d'euros sont en jeu.
Personne n'oublie que la France a des responsabilités particulières, notamment en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. D'autre part, notre armée fait face à de nombreuses difficultés liées à l'épuisement physique et moral de nos troupes et à l'usure de nos matériels. Dans ce contexte, notre commission doit porter haut et fort les observations et les recommandations de nos collègues.
Je conçois tout à fait qu'on respecte l'esprit et la pratique de la Constitution de 1958 : c'est au chef de l'État d'assumer ses responsabilités. Reste qu'il y a des limites : souvenons-nous que nous avons appris l'envoi de Rafales en Irak en lisant Le Parisien... Bien souvent, dans les réunions d'information organisées à Matignon, on entend ce qu'on a déjà lu dans le journal. Un effort doit donc être mené pour renforcer l'information du Parlement et ses procédures de contrôle. Il ne s'agit pas d'embêter les militaires, mais de jouer pleinement notre rôle à l'égard d'opérations qui engagent nos finances et la vie de nos hommes. Presque tout le monde a oublié que près de 120 militaires français sont morts dans les conflits de l'ex-Yougoslavie ! En particulier, le contrôle parlementaire doit s'exercer tout au long de la durée d'une opération extérieure.
Par ailleurs, il est essentiel d'améliorer le lien avec l'aide au développement. Si l'on ne lutte pas contre les causes des difficultés et des guerres, la violence sera sans fin ! Or la coordination est aujourd'hui insuffisante entre le ministère de la défense et celui des affaires étrangères. Que reste-t-il aujourd'hui de la conférence de Lyon sur le Mali ? Quand nos militaires risquent leur vie sur un terrain, il faut que les actions suivent en matière, notamment, de santé publique, d'enseignement et de formation des forces de sécurité.
Le travail mené par nos collègues est tout à fait excellent. Il faudrait qu'il donne lieu à de véritables recommandations de notre commission, qui feraient honneur au travail parlementaire dans le domaine de la défense.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Nos troupes sont engagées, je crois, en vingt-huit ou vingt-neuf points du monde. J'aimerais savoir quel est le statut juridique de chacune de ces interventions : lesquelles sont des OPEX, lesquelles sont menées dans le cadre de l'ONU et lesquelles dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune ?
Je voudrais également savoir à quelles opérations l'article 35 de la Constitution est applicable. De façon générale, je trouve que le Parlement devrait débattre plus régulièrement, non seulement en commission, mais aussi en séance publique, d'interventions qui mettent en jeu la vie de nos soldats.
Par ailleurs, monsieur le président, il me semble que l'intransigeance dont fait preuve le service juridique de la Commission européenne pour s'opposer au financement d'actions de formation fait partie des sujets sur lesquels le groupe de suivi du Brexit, qui tiendra sa première réunion tout à l'heure, devrait engager la réflexion.
Mme Nathalie Goulet. - La désignation d'un représentant spécial par théâtre d'opérations est excellente idée. Il faut que ce représentant, sur le choix duquel les commissions parlementaires devraient pouvoir se prononcer, dispose de compétences larges et de vrais moyens de contrôle, car tout se tient. Son rattachement à un terrain particulier évitera l'éparpillement, qui est un travers fréquent.
Par ailleurs, les auteurs du rapport ont-ils réfléchi à une clé de répartition financière à l'échelle européenne ? En effet, lorsque la France engage ses troupes et ses moyens, il serait juste qu'elle soit soutenue d'une manière ou d'une autre par ses partenaires, dont elle assure la sécurité.
J'observe qu'il n'a pas du tout été question de l'OTAN, alors que la coordination doit se faire aussi avec les troupes de l'OTAN.
Enfin, il faudrait faire respecter la disposition de la Charte des Nations unies aux termes de laquelle chaque pays doit fournir un contingent de troupes.
M. Joël Guerriau. - J'ai trouvé les interventions très intéressantes, elles donnent envie de lire le rapport dans le détail.
Dans son introduction, Daniel Reiner a posé un certain nombre de questions - en faisons-nous trop ? Nos interventions sont-elles toutes légitimes ? Les résultats sont-ils satisfaisants ? - puis il a glissé le nom de la Libye. J'aimerais donc entendre le point de vue des rapporteurs à ce sujet. Fallait-il intervenir dans ce pays, le résultat a-t-il été à la hauteur de nos attentes ?
D'une manière générale, pour ce qui concerne la légitimité de nos actions en Afrique, lorsque l'on considère l'apport de ce continent à l'Europe et le nombre d'Africains morts pour défendre nos valeurs et notre liberté - nous célébrons actuellement le centenaire de la Guerre de 1914-1918 -, il me semble légitime et naturel que, en contrepartie, nous intervenions sans la moindre hésitation sur des territoires en danger ou en difficulté et qui sont victimes d'exactions. Il n'y a donc pas, à mon sens, de problème en la matière ; au contraire, c'est un devoir pour nous.
Cela dit, il y a deux types d'interventions possibles, les interventions avec troupes au sol et les autres, dont l'opération en Libye faisait partie. Ensuite, les interventions au sol connaissent deux moments. Il y a d'une part la phase offensive, comme celle du Mali, où nous nous sommes trouvés dans la situation d'un conflit entre blocs ou entre groupes armés, auxquels il fallait faire face. D'autre part, une fois le conflit éradiqué ou du moins circonscrit, il reste l'éclatement de ce conflit. Or les actes de guerre seront de plus en plus éclatés. On n'affronte plus un ennemi dans une situation claire, sur un champ de bataille fixé. Cette deuxième phase, plus défensive, de confrontation à des ombres, est extrêmement compliquée et je ne sais pas si nous sommes adaptés à cette situation.
Par ailleurs, peut-être aurions-nous intérêt à faire des évaluations par corps d'armée, pour estimer leur niveau d'efficacité. Avons-nous intérêt à devenir de parfaits généralistes, intervenant dans toutes les situations et dans tous les domaines ou à nous spécialiser, à avoir un domaine de compétence reconnu, avec des niveaux élevés de technologie, afin d'être le plus efficaces possible. Nous devons optimiser cette ressource financière importante, un milliard d'euros, et être efficaces sur le terrain.
Je pense en particulier à la marine. Quel a été son apport en matière d'interventions de l'aviation embarquée sur le Charles-de-Gaulle ou de support à nos troupes à terre ? Quelles ont été les actions des commandos de la marine ? Avons-nous maintenu, malgré la dispersion de nos actions, notre capacité d'évacuation des ressortissants français sur des zones dangereuses ? En effet, on pourrait considérer que le fait d'être toujours en mesure d'intervenir quand des ressortissants sont en danger constitue l'une de nos priorités. Enfin, avons-nous évalué les actions de la marine pour éviter l'approvisionnement en armes par voie de mer vers les terres en conflit - je pense en particulier à la Syrie ?
M. Daniel Reiner, coprésident du groupe de travail. - Nous partageons certaines observations formulées par Christian Cambon.
En ce qui concerne le statut juridique des opérations, c'est la Constitution qui fixe les choses, puisque, aux termes de son article 15, le Président de la République est le chef des armées. C'est donc en Conseil de défense qu'est prise la décision de lancer une opération extérieure. Il n'y a pas de décret ni d'acte spécifique. La décision est prise par le chef de l'État après un débat en Conseil de défense - nous l'avons vérifié -, sur le fondement de scénarios préparés de longue date par l'état-major et d'analyses du Quai d'Orsay. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, prépare l'ordre du jour.
La décision est suivie d'une déclinaison réglementaire, principalement au sein du ministère de la défense, qui prévoit les modalités très concrètes. Le ministère de la défense évalue aussi le coût de l'opération ; du reste, dès le Conseil de défense, une évaluation financière approximative de l'opération est fournie. Le statut juridique est donc directement lié au système institutionnel ; le rapport détaille le dispositif réglementaire.
En ce qui concerne la question de Nathalie Goulet, on a proposé de mettre en place un représentant spécial sur les théâtres d'opérations parce que, parfois, c'est l'ambassadeur qui joue ce rôle. Dans certains cas, il en est capable, mais pas toujours. Le rôle de l'ambassadeur dans un pays ne consiste pas à tout diriger, d'où l'idée de ce représentant.
J'en viens à la question de Joël Guerriau portant sur les limites des actions militaires de la France. Nous avons eu ce débat au moment du Livre blanc. La question est celle du rôle que la France veut jouer dans le monde et celle de l'outil militaire qu'elle construit pour jouer ce rôle. Personne n'imagine un responsable politique affirmer que le rôle de la France doit être moindre ; elle doit garder son rôle, celui de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et d'allié ancien de plusieurs États, celui d'un pays qui a une armée complète permettant d'être présent sur tous les théâtres. Quand on a rédigé ce Livre blanc, on a souhaité conserver cette ambition avec les moyens disponibles. Deux méthodes sont possibles. Celle des Anglais consiste à mettre l'ambition au niveau des moyens ; la nôtre consiste à définir l'ambition et à se débrouiller avec les moyens disponibles.
Cela dit, nous sommes en effet aux limites de notre capacité d'action. Quand on chiffre le format des armées dans le cadre des contrats opérationnels, quand on évalue les équipements et le modèle de l'armée de 2025, nous constatons que nous avons atteint la limite. En effet, on n'avait pas imaginé qu'on se trouverait sur autant de théâtres en même temps, que ce soit pour nos marins, pour nos aviateurs ou pour l'armée de terre, ni que l'on déploierait 10 000 hommes sur le territoire.
C'est cela qui nous conduit à affirmer que nous avons atteint notre limite. Néanmoins, je n'imagine pas un nouveau Président de la République dire qu'il va limiter l'ambition de la France à tel domaine qu'elle maîtrise bien et à laisser le reste aux autres. Les Anglais l'ont fait, mais ce n'est pas notre cas et, selon moi, nous ne devons pas le faire. Nous avons un rôle à tenir et une ambition à conserver, et nous devons faire les efforts nécessaires pour mettre les moyens au niveau de notre ambition.
En ce qui concerne l'opération en Libye, si la France s'en était dispensée, peut-être que Kadhafi serait resté, que le chaos actuel ne serait pas apparu, que Daech n'existerait pas, qu'il n'y aurait pas d'armes dans le Sahel, et ainsi de suite. On peut bien sûr soutenir cela ; néanmoins, quand on considère l'opération Harmattan proprement dite, indépendamment de tout ce qui s'est passé autour, on constate qu'il y avait une urgence terrifiante. Les troupes de Kadhafi descendaient sur Benghazi en annonçant un bain de sang. Les Nations unies ont voté une résolution affirmant que la communauté internationale devait intervenir, mais un certain nombre de pays ont choisi de ne pas lancer d'opération. La France et le Royaume-Uni ont alors décidé d'agir sans intervenir au sol et cette intervention, très rapide du reste, a bloqué ces colonnes et a empêché le bain de sang annoncé.
On peut dès lors affirmer que, dès ce moment-là, l'opération Harmattan a été un succès militaire. On l'a complétée en tentant de calmer peu ou prou le jeu contre des insurgés de toute nature, mais, quand on remplit notre grille d'évaluation, on doit reconnaître que l'opération est une réussite.
Certains affirment que, par la suite, la situation s'est dégradée et que l'on n'avait pas terminé le travail mais, disons-le clairement, on nous a mis dehors. Les Libyens ont indiqué, dès lors que Kadhafi n'était plus là, vouloir régler les problèmes entre eux. En outre, aucune résolution des Nations unies ne le demandait. Les troupes sont donc rentrées.
Ainsi, sur le plan militaire, nous avons fait le travail et, si l'on entre dans le détail, nous l'avons bien fait, l'opération interarmées a été magnifique. Évidemment, les suites n'ont pas été à la hauteur, mais cela n'entrait pas dans le but de guerre.
M. Jacques Gautier, coprésident du groupe de travail. - Je partage tout à fait ce que vient de dire Daniel Reiner à propos de la Libye. J'ajoute que l'on a fait plusieurs propositions à Kadhafi pour cesser les combats. Il les a toujours refusées, d'où le soutien aérien de la coalition aux révolutionnaires. La Libye est un État souverain, le gouvernement légitime de transition nous a dit que notre travail était terminé ; nous n'avons pas à nous substituer à la décision d'un État souverain.
Le représentant spécial doit pouvoir travailler avec nos alliés, le gouvernement local, les forces armées, les Européens, les Nations unies. Il doit donc avoir un poids politique. Pierre Lellouche a été pendant un temps représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan, et il a eu un pouvoir reconnu pendant quelques mois. Il faut quelqu'un qui ait un poids politique, reconnu au niveau national et international, et qui réponde directement à l'exécutif et au Parlement.
Je reviens sur la question du statut de la marine. Son action est définie en jours de mer et, quand on a défini une zone dans le cadre de l'opération Harmattan, les bâtiments se trouvant dans cette zone ont eu droit au statut d'OPEX, mais pas les ravitailleurs. Cela a posé des problèmes à la marine, qui, par définition, même s'il y a des commandos ou des avions embarqués, n'est pas engagée au fin fond du Sahel ou de l'Irak.
Cela dit, un porte-avions est avant tout un vecteur de puissance et de reconnaissance internationale. Nous sommes les seuls en Occident, avec les États-Unis, à pouvoir déployer un porte-avions et non seulement un porte-aéronefs. En revanche, son effet opérationnel est limité dans le temps et il est complémentaire d'autres forces. Les rapports opérationnels des frappes montrent effectivement que ce sont surtout les Mirage 2000 de la base en Jordanie qui font la plupart des frappes parce qu'ils sont situés près de la frontière syrienne et qu'ils n'ont pas besoin de ravitaillement en profondeur, sauf quand ils survolent Mossoul ou le Kurdistan. Quand on part du Golfe arabo-persique ou de notre base Al Dhafra aux Émirats arabes unis, le ravitaillement est nécessaire et il entraîne une perte de temps et d'efficacité ainsi qu'un surcoût. Une base située à proximité reste donc la meilleure solution, mais cela n'enlève rien au rôle de la marine pour assurer notre statut de puissance.
Vous avez senti que nous sommes critiques à l'égard des Européens - moins toutefois qu'à l'égard des Nations unies - mais il faut préciser que les Européens nous aident lors de nos interventions. Nous ne sommes pas seuls, en matière de ravitaillement en vol ou encore de transport stratégique et tactique ; nos alliés sont là.
Je veux ajouter un mot sur les difficultés à convaincre les Européens et l'OTAN de travailler avec nous. Le flanc sud de l'Europe a bien été évoqué à Varsovie, mais dans le cadre d'une politique à 360 degrés, comprenant la frontière orientale, le sud-est, le sud et l'ouest - avec les sous-marins russes qui gesticulent en Atlantique. L'OTAN a bien réaffirmé cette vision d'ensemble, que l'Europe partage.
Néanmoins, nous, Français, ne devons pas être obnubilés par le flanc sud, nous devons être capables de montrer à tous nos alliés européens du nord et de l'est que nous comprenons leurs inquiétudes. Pour un Balte, un Polonais ou un Allemand de l'est, la crainte vient toujours de l'est, de la Russie, non de Daech, même s'il a peut-être tort à long terme. Ces pays ont vécu l'occupation et la France doit être capable de montrer à ses partenaires qu'elle intervient aussi à côté d'eux.
Par exemple, il a été décidé à Varsovie que quatre bataillons seraient déployés dans chacun des pays baltes et en Pologne, avec un système de rotation. La France n'a pas été capable d'être nation-cadre, à la différence des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de l'Italie. Je le regrette. On a proposé une compagnie, je suis persuadé que l'on aurait pu faire un effort supplémentaire pour montrer aux Européens que l'on comprend leurs inquiétudes. Nous ne devons pas seulement demander de l'aide pour agir au sud, mais aussi montrer que l'on est aux côtés de nos alliés à l'est.
Toutefois, l'Europe vient tout juste d'étudier la possibilité de fournir le matériel non létal pour la formation ; elle doit aller plus loin. Le rapport de Mme Federica Mogherini relève plus de la réflexion sur la sécurité d'une belle ONG que de la réalité. L'Europe n'a pas envie d'agir militairement, de façon éventuellement coercitive, sur des théâtres extérieurs. Nous sommes la seule puissance, avec le Royaume-Uni, à avoir cette histoire, cette tradition, cette capacité. Nous avons en outre la chance d'avoir une Constitution qui nous le permette, grâce à cette boucle courte.
Certaines de nos recommandations sont relativement faciles à mettre en oeuvre. Je crois que le budget pour 2017 permettra d'avancer, vu les échanges que nous avons avec le ministère de la défense. L'effort sera donc fait pour le début de l'année 2017.
Nous devons par ailleurs tous sensibiliser les candidats à l'élection présidentielle à la nécessité de consacrer un effort durable à la défense. L'objectif est d'atteindre 2 % du budget, qui n'est pas un but en soi, mais parce que nous avons besoin de ce niveau. Par ailleurs, les effectifs sont une chose, mais les équipements, la logistique et le reste importent également.
Sans revenir au débat précédent sur la garde nationale, ces enjeux sont essentiels pour notre pays et nous pouvons y répondre s'il y a une volonté politique. Ensuite, il faudra convaincre les Européens et les Nations unies. Notre rapport titillera, je crois, les responsables européens et onusiens car, nous le savons, même s'ils ne sont pas très lus en France, nos rapports sont abondamment lus dans les pays étrangers. Nous avons semé ; espérons que les graines écloront demain.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je veux faire à mon tour quelques remarques.
Je regrette de n'avoir pas eu de réponse positive de Mme Mogherini pour s'exprimer devant le Parlement, notamment français. Les autorités européennes doivent montrer de l'intérêt pour les parlements.
L'instauration d'un représentant spécial permettrait de disposer d'un interlocuteur politique ayant une autre position que celle d'un ambassadeur. Cela constituerait une avancée importante.
De manière générale, même si les propositions du rapport ne sont pas toutes de la même puissance, il faudra suivre leur exécution dans la durée - cela est d'ailleurs vrai des autres rapports. La presse semble s'y intéresser. Nous devons continuer ce travail pour faire avancer ce sujet. Ce débat et les perspectives qu'il ouvre sont très intéressants.
Je mets aux voix le rapport d'information sur le bilan des opérations extérieures.
Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.
Groupe de travail « Migrants » - Examen du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information de MM. Jacques Legendre et Gaëtan Gorce, co-présidents du groupe de travail « Migrants ».
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, nous examinons le rapport d'information de nos collègues Jacques Legendre et Gaëtan Gorce sur les migrants.
M. Gaëtan Gorce. - L'Europe est confrontée depuis presque deux ans à une pression extrêmement forte à ses frontières, en raison de la crise syrienne. Elle a accueilli l'année dernière plus d'un million de personnes alors que le rythme d'accueil des 10 années précédentes était de l'ordre de 100 000 à 150 000 personnes par an. On a donc changé de dimension, et la crise syrienne explique, sinon la totalité, du moins l'essentiel de ce flux, composé également d'Afghans, d'Érythréens et d'Irakiens.
Cette pression migratoire a révélé la faible capacité de réaction de l'Union européenne. Celle-ci n'a pas manqué d'information - elle était bien consciente du processus qui s'amorçait -, mais elle s'est heurtée à la difficulté à mobiliser les États et à leur faire partager un point de vue commun. Le mouvement migratoire auquel on a assisté a été pour partie provoqué par la diminution des contributions des États, y compris européens, aux programmes du HCR et au Programme alimentaire mondial. C'est dire le manque d'intérêt de nombreux États pour ces sujets.
Par conséquent, les outils de l'Union européenne - Schengen, Dublin - se sont révélés extrêmement fragiles. Les accords de Schengen, initialement conçus pour gérer la circulation à l'intérieur de l'Union, ont été confrontés à une pression externe à laquelle nous n'étions pas réellement préparés d'un point de vue tant technique que politique. Le règlement de Dublin, qui prévoit les règles relatives à l'asile, traduit principalement l'idée selon laquelle il ne faut pas permettre à certains États de se défausser sur les autres, d'où la règle du premier accueil, qui attribue la responsabilité de la prise en charge du demandeur à l'État dans lequel celui-ci se présente. Cette règle a mis en avant des États particulièrement fragiles, comme la Grèce.
On a donc pu avoir le sentiment que la réponse de l'Union européenne n'était pas à la hauteur des enjeux et que ce mouvement la fragilisait, malgré les tentatives de la Commission européenne d'avancer, reconnaissons-le, un certain nombre de propositions. Elle a en effet proposé dès le mois de mai 2015 - cela peut paraître tardif, mais c'est en réalité assez rapide - un plan d'action comportant des mesures de relocalisation. Toutefois, elle n'a pas réussi à convaincre les Etats membres, le dispositif temporaire de relocalisation adopté à l'automne étant même contesté par certains États membres devant la Cour de justice de l'Union européenne. Par ailleurs, elle a mis en place dès 2014 un fonds destiné à soutenir les pays d'accueil confrontés à l'arrivée de réfugiés, sans doute pas suffisamment abondé. Par ailleurs, il aura fallu attendre mars 2016 pour qu'un fonds destiné aux pays européens de premier accueil, aujourd'hui abondé à hauteur de 700 millions d'euros, soit constitué. Aussi, notre première impression est que l'Union européenne a eu du mal à mobiliser ses outils et que ses réponses n'ont pas été à la hauteur des enjeux.
M. Jacques Legendre. - Finalement, c'est l'accord UE-Turquie, signé le 18 mars dernier, qui semble montrer une réaction un peu plus organisée de l'Union européenne. Cet accord prévoit le renvoi vers la Turquie de tous les migrants, y compris ceux qui demandent une protection internationale, en échange d'une aide initiale de 3 milliards d'euros destinée aux réfugiés, de la libéralisation des visas et de la relance du processus d'adhésion de la Turquie. Cela a permis de faire baisser significativement les flux sur cette route - on observe actuellement une cinquantaine d'arrivées par jour en moyenne, ce qui est très loin des chiffres du printemps dernier -, même s'il est difficile de dire si l'efficacité de l'accord est imputable au caractère dissuasif de la menace de renvoi, à un meilleur contrôle des flux par la Turquie ou encore à la fermeture, quelques jours plus tôt, des frontières sur la route des Balkans, sans doute les trois facteurs jouent-ils de manière combinée.
Je vous demande, mes chers collègues, de faire preuve d'un peu de patience à ce sujet, puisqu'une mission d'information a été mise en place au Sénat - notre collègue M. Billout en est le rapporteur et j'en suis le président - et que nous aurons l'occasion de vous présenter plus précisément nos analyses sur cet accord vers la fin du mois de septembre. Sans vouloir déflorer le sujet, je peux d'ores et déjà vous dire que nous nous posons toujours la question de son efficacité.
Le problème est-il définitivement réglé ? Il est trop tôt pour l'affirmer, l'existence de routes alternatives ou de voies de contournement étant à surveiller. Nous avons entendu parler de la réactivation d'une route partant d'Égypte et visant à rejoindre la péninsule italienne via la Méditerranée ; c'est une route extrêmement dangereuse, qui évite les opérations maritimes de la mer Égée et les côtes libyennes. Une ONG nous a également parlé d'une route entre la Turquie et l'Ukraine, mais rien ne confirme encore cette information.
Surtout, les arrivées ont repris sur la route de Méditerranée centrale, sans qu'il s'agisse d'un transfert de migrants syriens puisqu'elles concernent principalement des migrants économiques provenant d'Afrique subsaharienne et de la Corne de l'Afrique - Nigérians, Gambiens, Somaliens. Cette reprise est d'abord saisonnière, cette route, particulièrement dangereuse, étant moins empruntée l'hiver. L'entonnoir d'Agadez attire beaucoup de monde au Niger et tient lieu de tête de pont pour la traversée du Sahara en direction du rivage libyen.
Ce flux de Méditerranée centrale s'inscrit dans une migration transméditerranéenne classique qui existe depuis des années, même si la situation en Libye depuis 2014 a, sans aucun doute, contribué à son accentuation. Il s'agit là d'un phénomène constant, structurel, et qui est appelé à perdurer. En effet, l'Europe, continent stable et que l'on croit prospère par rapport à une périphérie secouée par les crises et les conflits, attire et continuera d'attirer. Le différentiel de développement et l'explosion démographique en Afrique - elle pourrait compter 2 milliards d'habitants en 2050 contre moins d'un milliard actuellement - ne peuvent que conforter ce mouvement. Pour mémoire, au Niger, les femmes ont en moyenne sept enfants. Comment assurer, avec une telle pression démographique, le développement et l'amélioration du niveau de vie pour tous les enfants ?
À cet égard, le lien doit être fait entre ces flux vers l'Europe et un mouvement d'intensification des migrations qui est à l'oeuvre à l'oeuvre à l'échelle mondiale. Selon les chiffres des Nations unies, le nombre de migrants internationaux a augmenté de 71 millions depuis 15 ans pour représenter aujourd'hui 244 millions de personnes, cette migration majoritairement régulière. Nous n'avons pas eu l'occasion d'enquêter sur les migrations asiatiques, mais elles sont importantes. En ce qui concerne l'Afrique, à côté des migrations vers l'Europe, il y a aussi des migrations intra-africaines importantes, qui contribuent aussi à déséquilibrer certains États.
M. Gaëtan Gorce. - Nous sommes effectivement confrontés à un phénomène mondial, qui concerne l'Europe depuis longtemps puisqu'elle n'a jamais été à l'écart des migrations, que ce soit comme point de départ ou comme point d'arrivée. Ce processus, qui paraît spectaculaire, reste relativement limité au regard de la population mondiale. En effet, cela correspond à une proportion de 2,8 % à 3,2 % de la population mondiale. Cela permet de relativiser un mouvement puissant, mais qui ne concerne qu'une toute petite minorité de la population mondiale. Au début du XXe siècle, on estime que la population de migrants correspondait plutôt à 5 % de la population mondiale.
Pourtant, on ressent ces mouvements plus fortement de nos jours parce que les écarts de richesse et les enjeux de sécurité ne sont plus les mêmes. Aujourd'hui, l'Europe est la première destination des mouvements de migration. Elle est la destination d'environ un tiers des migrants, juste devant l'Asie, l'Amérique attirant environ 20 % des migrations. Une partie importante des mouvements ont lieu dans un cadre régional, entre des pays voisins ou proches. On observe ce phénomène en Amérique, en Europe avec le nord de l'Afrique et une partie de l'Afrique centrale et en Asie, où les mouvements sont dirigés vers les pays les plus riches, le Japon et la Corée du Sud.
Dans ce contexte, la réponse de l'Europe doit être triple : tout d'abord traiter l'urgence, ensuite concevoir et mettre en place des dispositifs plus complets de contrôle des flux migratoires et enfin instaurer une vraie politique de migration prenant en compte ce phénomène important et croissant.
En ce qui concerne les mesures d'urgence, celles-ci sont notamment justifiées par la situation très difficile des personnes concernées. Près de 3 770 personnes sont mortes l'an dernier en traversant la Méditerranée et 2 800 sont déjà mortes depuis le début de l'année 2016. Il ne s'agit en outre que des chiffres connus, c'est-à-dire comptabilisant les personnes identifiées comme ayant disparu ou dont le corps a été retrouvé. Les morts doivent donc être beaucoup plus nombreux...
En second lieu, il faut réfléchir aux manières de maîtriser ou d'atténuer ce processus. C'est évidemment l'objet de l'accord passé avec la Turquie le 18 mars dernier.
Dans un premier temps, cela suppose de renforcer les moyens consacrés au maintien des populations tentées par la migration, dans les territoires où elles se trouvent. La plupart souhaitent rester à proximité de leur pays d'origine pour pouvoir y retourner dès que possible. C'est d'ailleurs sans doute l'impression que le conflit syrien ne cesserait pas rapidement qui a conduit des réfugiés syriens de Turquie à tenter de se rendre en Union européenne pour offrir un avenir à leurs enfants. Il convient donc de mobiliser des moyens pour maintenir ces personnes sur ce territoire. La conférence des donateurs pour la Syrie a recueilli 11 milliards d'euros de promesses de dons, qu'il faudra tenir. De ce point de vue, nous sommes sur la bonne voie, mais il faut garder une attention très forte pour concrétiser ces moyens.
Dans un second temps, il s'agit d'offrir des solutions d'installation sécurisée aux migrants. L'Europe s'y est essayée en mettant en place un dispositif de réinstallation de 22 000 personnes, objectif très modeste ; la réinstallation désigne le fait pour une personne qui se trouve dans un pays de premier accueil et qui est placée sous protection internationale d'être sélectionnée pour s'installer dans un pays européen ; à ce jour un peu plus de 8 200 personnes en ont bénéficié.
Il existe parallèlement un processus de relocalisation à l'intérieur de l'Union, pour accueillir les personnes installées en Grèce ou en Italie. L'objectif s'élève à 160 000 personnes ; pour l'instant, environ 3 000 personnes ont été concernées, dont environ 1 000 en France.
Depuis la signature de l'accord avec la Turquie, il y a une confusion puisque les réinstallations effectuées dans ce cadre peuvent s'imputer sur les relocalisations à effectuer. En outre, pour permettre les réinstallations, des retours de Grèce vers la Turquie sont théoriquement nécessaires. Au 11 juillet, le mécanisme du « un pour un » n'avait concerné que 735 personnes. Cela signifie qu'il est totalement inadapté au regard de la situation à laquelle nous sommes confrontés. On sait qu'un certain nombre d'États font preuve d'une mauvaise volonté manifeste pour participer à ces opérations, notamment le groupe de Visegrád qui a indiqué qu'il ne souhaitait pas s'associer à cette démarche.
En parallèle, d'autres mécanismes permettent de répondre à des situations d'urgence, notamment le visa humanitaire, auquel la France recourt. On a accueilli plus de 4 400 personnes par ce biais en 2015. D'autres États emploient ce mécanisme, mais dans des volumes encore insuffisants.
Enfin, une autre mesure d'urgence réside dans l'accueil des personnes arrivées sur le territoire de l'Union européenne. On connaît les difficultés que connaît la Grèce avec les 48 000 personnes qui sont restées sur son territoire. La logique voudrait qu'elles fussent progressivement relocalisées ; l'Union européenne a mobilisé plus de 260 millions d'euros pour aider la Grèce à gérer cette situation. Elle doit également aider l'Italie, qui est de plus en plus concernée par ce problème, puisque les flux se déplacent vers la Méditerranée centrale, mais les moyens qui seront mobilisés ne seront manifestement pas à la hauteur des besoins.
Concernant la France, qui a été relativement « épargnée », si l'on peut dire, l'accueil des réfugiés se fait principalement au travers de la réinstallation ou de la relocalisation, mais dans des proportions très limitées, quoique plus importantes que dans d'autres États. Se pose également la question très spécifique des migrants qui veulent rejoindre le Royaume-Uni, mais qui sont bloqués par la frontière de Schengen, et bientôt de l'Union européenne, à Calais et à Grande-Synthe.
Nous nous sommes rendus sur place pour constater la situation. Le camp de Grande-Synthe accueille à peu près 1 000 personnes et celui de Calais 6 000 migrants, dont 1 500 dans l'espace aménagé par l'État en début d'année, offrant des conditions d'accueil décentes.
La situation des personnes qui ne sont pas accueillies dans le camp aménagé par l'État est en revanche indigne. Ils habitent ce que l'on peut appeler un bidonville, c'est-à-dire des habitations de carton, de tôle, de bois ou de toile. Comme il n'y a pas de système de chauffage ni de cuisson, les migrants utilisent le feu dans les tentes et les habitations, avec tous les risques d'incendie que cela peut présenter. L'hygiène est très précaire en dehors de l'appui des services municipaux pour ramasser les ordures. Il n'y a pas de sanitaires à l'exception de ceux qui sont installés par certaines associations humanitaires. Enfin, s'agissant de terrains non aménagés, dès qu'il pleut, ils sont couverts de boue.
Il existe en outre des trafics et des pressions des passeurs, qui se battent pour prendre le contrôle de ces populations et monopoliser cette source de revenus. Cela ajoute encore à l'agressivité et à la délinquance sur place. Dans ce contexte, les mineurs isolés sont dans une situation très fragile. Le département a beaucoup de mal à organiser le suivi et l'accueil de ces jeunes, qui doivent se déplacer au chef-lieu du département pour être prises en charge, ce qui n'est pas adapté.
Il conviendrait de s'inspirer de ce qui a été fait à Grande-Synthe, dont le maire, sur sa propre initiative, a mis en place un camp en bois avec des conditions d'hébergement décentes et une présence médicale importante. Ce camp est ouvert, mais reste sous surveillance policière, ce qui est plus rassurant pour les migrants qui s'y installent. Néanmoins, la question de la pérennité de ce camp se pose puisque l'objectif des autorités locales est de réduire la taille et le nombre de logements, alors que le besoin ne cesse de se renouveler. Sa fermeture sera donc très difficile à envisager.
Il serait souhaitable d'adapter la situation de Calais dans une telle perspective, pour ne pas laisser plusieurs milliers de personnes dans les conditions précédemment décrites. J'espère que l'État ne renoncera pas à l'appel d'offres qu'il a lancé pour construire des logements de cette nature. Il serait impensable de laisser les familles dans cette situation, il y va de la dignité de la République.
On nous objectera que cela créera un appel d'air. Pourtant, quand on rencontre ces migrants, on constate que leur détermination est telle que, quoi que l'on fasse pour tenter de les empêcher de venir, rien ne pourra les arrêter. Il faut imaginer ce que représente la décision de quitter le Kurdistan, le Pakistan, l'Érythrée ; cela suppose une détermination, une énergie et des ressources telles qu'ils ne s'arrêteront pas. Ils iront au bout de leur démarche.
Cela pose le problème des accords du Touquet, puisque la France s'est mise en situation, vous le savez, d'assumer la protection de la frontière britannique, qui se trouve désormais au niveau de l'embarquement et du passage sous le tunnel - elle se trouvait auparavant au milieu de la Manche. On gère donc une politique décidée par un autre gouvernement que le nôtre. Le Royaume-Uni investit beaucoup d'argent pour construire des barrières destinées à empêcher les migrants d'accéder à l'autoroute, au parking des camions, ou aux ferries ou pour installer des systèmes de caméras thermiques. Cela crée à Calais une situation impossible, qui décourage l'installation dans ce département.
M. Jacques Legendre. - J'ajoute quelques mots sur Calais, cas que je connais personnellement. Quand on visite le camp, on réalise à quel point il est abominable ; on ne peut souhaiter que cela perdure. Les bombonnes de gaz au milieu des baraques en bois et les voies étroites pouvant retarder l'arrivée des secours engendreraient une catastrophe si un incendie se déclarait. La situation des mineurs isolés est également difficile. Disons-le franchement, la situation est indigne.
Le camp de Grande-Synthe est particulier, car il n'accueille que des Kurdes. Le camp de Calais n'est pas principalement peuplé de Syriens, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Ceux-ci sont minoritaires, mal vus et maltraités par les autres migrants. Il s'agit essentiellement d'Afghans et d'Érythréens.
Cette situation appelle deux commentaires. Dans un premier temps, on ne peut pas laisser ces personnes dans cette situation, il faut les traiter mieux ; ce camp n'est pas à la hauteur de ce que les Turcs, par exemple, font pour leurs propres migrants. Ensuite, il y a un problème de fond : nous faisons le sale travail pour le compte des Anglais.
Le Gouvernement ne propose pas de revenir sur les accords relatifs à la frontière de Calais, contrairement aux souhaits de tous les élus de la région. Certes, tant que les Britanniques ne seront pas officiellement sortis de l'Union européenne, la situation restera la même, mais cela conduit à la présence d'un camp pitoyable et, en outre, cela transforme une ville et un port français en une forteresse avec des barbelés et des caméras partout, ce qui la rend détestable.
J'en reviens à notre exposé pour aborder les mesures visant à permettre un meilleur contrôle des flux irréguliers. A ce sujet, il n'y a pas de réponse unique, il faut agir simultanément à plusieurs niveaux.
La crise a démontré la nécessité de renforcer la protection des frontières extérieures de l'Union européenne. La mise en place à l'automne, sous l'égide de Frontex, d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes doté d'une réserve de 1 500 gardes immédiatement mobilisables, est une avancée considérable, que la France appelait d'ailleurs de ses voeux depuis plusieurs années. Elle permettra d'aider davantage les États membres situés en première ligne à remplir leur mission de protection. Le renforcement de l'implication de Frontex dans la politique de retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière va également dans le sens d'une protection accrue aux frontières, comme la mise en place d'un système de contrôle entrée-sortie permettant de suivre la validité des visas et des autorisations de séjour sur le territoire européen. Il importe que ces mesures soient mises en oeuvre sans tarder.
Il s'agit là d'un sujet essentiel. Si nous ne sommes pas capables de faire exister la frontière extérieure de l'Union européenne et d'en assurer le contrôle par Frontex, toute la zone de Schengen sera remise en cause. En effet, une fois cette frontière franchie, on peut se déplacer dans toute l'Europe. Or Schengen, la libre circulation dans l'espace européen, constitue un acquis essentiel de l'Union européenne, auquel on tient. Si l'on veut le conserver, il faut s'en donner les moyens.
M. Daniel Reiner. - Tout à fait !
M. Jacques Legendre. - Néanmoins, la seule protection de nos frontières ne saurait suffire, il nous faut agir en amont, sur les causes des migrations. La priorité est d'oeuvrer par la diplomatie à la résolution des conflits, car, parmi les migrants figurent les réfugiés de guerre, qui doivent sauver leur vie. C'est le cas des Syriens. Tout doit donc être fait pour mettre fin à cette crise qui n'a que trop duré. Beaucoup de pays semblent avoir pensé que ce conflit se réglerait vite et peut-être que certains concours extérieurs n'auraient pas été apportés au gouvernement syrien si l'on avait bien mesuré les enjeux.
La Libye, autre État failli, est devenue une véritable plaque tournante pour le transit et le trafic de migrants. Je rentre d'Afrique, où j'ai rencontré des parlementaires qui disent que nous avons voulu mettre de l'ordre dans ce pays, mais que nous l'avons fait de manière hâtive et que nous avons contribué à déstabiliser tous les pays voisins. Il convient donc de stabiliser cet État. Plusieurs centaines de milliers de candidats potentiels à un départ vers l'Europe sont actuellement en Libye. Au milieu d'eux se trouvent aussi des agents de Daech ; je ne dis pas que les migrants sont tous des terroristes dangereux, mais il ne faut pas non plus être naïf, des terroristes utilisent la couverture de la migration pour frapper le territoire européen.
Nous souhaitons que le gouvernement d'entente nationale de Libye réussisse son action. L'étape suivante devrait donc être le passage à la phase III de l'opération Sophia, dont l'utilité dans sa forme actuelle est sujette à caution, compte tenu des moyens qu'elle mobilise et de l'instrumentalisation dont elle fait l'objet de la part des passeurs. À ce sujet, il faut élever le ton. Un autre axe fort doit être, à notre sens, la lutte contre les passeurs, qui sont étroitement liés aux réseaux de la criminalité organisée.
M. Daniel Reiner. - Bien sûr !
M. Jacques Legendre. - Ce sont de grandes organisations criminelles, liées à la drogue ou à la prostitution. Le « chiffre d'affaires », si j'ose dire, lié au trafic de migrants dans et vers l'Europe donne le vertige, puisqu'il aurait représenté entre 4 milliards et 6 milliards d'euros en 2015, plus d'un milliard d'euros rien que pour les traversées de la Mer Égée depuis les côtes turques.
On se pose d'ailleurs à ce sujet quelques questions, à voix haute ou tout bas. Il fut un temps où l'on prétendait que les côtes turques ne pouvaient être contrôlées. Puis, une fois l'accord conclu, cette frontière s'est révélée miraculeusement contrôlée. Il faut donc avoir le courage de remonter ces filières pour les casser.
Nous devrons faire de la lutte contre les passeurs une priorité, particulièrement au plan multilatéral, en mettant en commun les ressources et les compétences et en partageant l'information. Europol s'est positionné fortement sur cette question, en créant en son sein un centre chargé de lutter contre le trafic de migrants. Grâce à un accord passé récemment avec Frontex, Europol peut désormais exploiter les informations recueillies par cette agence lors de ses entretiens avec les migrants. Nous devons renforcer notre coopération avec Europol ainsi qu'avec les autres États membres et les pays tiers, pour démanteler ces réseaux. Obtenir des résultats dans ce domaine suppose notamment d'exercer un meilleur contrôle des flux financiers liés à cette activité illicite et une surveillance accrue de l'utilisation d'internet et des réseaux sociaux par les passeurs. Ceux-ci se comportent comme de véritables agences, non de tourisme, mais de passage, et les sommes en jeu sont très élevées. Ainsi, si la frontière de Calais est à peu près bloquée, pour 9 000 euros, on vous garantit d'arriver au Royaume-Uni. Le migrant sans argent qui ne peut payer est obligé de monnayer ses services auprès des passeurs, au risque de se faire prendre, alors que celui qui a de l'argent passe la frontière sans problème. C'est insupportable.
Concernant les pays de transit, nous renforçons notre coopération avec la Turquie au travers de l'accord du 18 mars dernier. Pour que cet accord fonctionne comme prévu, nous devons continuer à soutenir la Grèce, notamment pour le traitement des demandes d'asile dans les hotspots. Nous n'avons pas pu en visiter, mais la situation n'y semble pas très bonne.
La plupart des 8 500 migrants arrivés dans les îles après l'entrée en vigueur de l'accord ont demandé l'asile en Grèce, ce qu'ils ne faisaient pas auparavant. Or le service grec d'asile non seulement est débordé, mais il ne parvient pas à prononcer des refus, ce qui empêche les renvois vers la Turquie, dispositif central de l'accord. Par conséquent, les Turcs ont beau jeu de souligner que l'accord prévoyait des échanges de migrants avec l'Europe, mais qu'ils ne peuvent envoyer de réfugiés vers l'Europe. Bref, une situation kafkaïenne...
Il est urgent de parvenir à surmonter ce problème, eu égard non seulement à la situation humanitaire dans les hotspots, où l'assignation à résidence des migrants crée des tensions et parfois des débordements, mais aussi à la nécessité de garantir l'efficacité de l'accord. À défaut, le message dissuasif de celui-ci, fondé sur le principe du renvoi, risque de s'éroder et les flux pourraient reprendre.
L'accent doit être également mis sur la coopération avec l'Égypte, pays par lequel transitent actuellement 10 % des flux de la route de Méditerranée centrale, et qui semble être une voie en développement depuis la fermeture de la route par la Grèce.
Enfin, il faut dialoguer et resserrer la coopération avec les pays plus lointains, en Afrique, mais aussi en Asie. Nous avons, par exemple, bien des difficultés à faire réadmettre par le Pakistan ses ressortissants. Il importe également de ne pas négliger le dialogue avec un pays comme l'Iran, qui abrite un très grand nombre de réfugiés afghans - un million selon le HCR, mais en réalité probablement plutôt 3 millions - dont la situation économique et sécuritaire se dégrade. Un nombre croissant de ces réfugiés afghans, qui n'ont jamais vécu dans leur pays d'origine, emprunte les routes de la migration vers l'Europe. Il s'agit d'un point d'attention dont il convient de se préoccuper.
M. Gaëtan Gorce. - L'objectif de la coopération à mettre en place avec les pays d'origine doit être une meilleure gestion des flux migratoires et des frontières. Cela passe par la coopération policière, l'amélioration de l'état civil, la fiabilisation des documents d'identité et la diffusion d'une meilleure information sur les risques des mouvements irréguliers.
En même temps, il faut aider financièrement ces différents pays, soutenir davantage leur développement économique. Le récent sommet européen de La Valette a ouvert des pistes en la matière, pour l'Afrique de l'Ouest. Néanmoins, les moyens mobilisés - 1,8 milliard d'euros - sont manifestement insuffisants. Rappelons que les ressources transférées par les migrants vers leur pays d'origine représentent 450 milliards d'euros par an, soit trois fois l'aide au développement qui leur est apportée. Les moyens mobilisés doivent donc être appropriés.
Cela renvoie d'ailleurs à la réflexion de notre commission sur l'aide au développement et sur la nécessité de redéfinir son organisation pour favoriser son caractère bilatéral et lui affecter des objectifs vérifiables.
Il paraît nécessaire également de réfléchir à long terme à la définition d'une politique de migration légale applicable à l'ensemble de l'Union européenne. Les mouvements irréguliers des flux migratoires ne pourront pas être maîtrisés par la simple répression et par le contrôle aux frontières ; nous ne parviendrons à l'organiser qu'en proposant à certains États - la France peut commencer par l'Afrique occidentale - de discuter des conditions selon lesquelles on pourrait accueillir par des voies légales un volume déterminé de personnes pendant une durée limitée - 5 ou 10 ans. Ces quotas pourraient être fixés tous les quatre ou cinq ans par le Parlement. On accueillerait ainsi des personnes en fonction de leur nationalité, de leur âge et de leurs aptitudes professionnelles ou à se former.
Organiser l'arrivée de ces migrants constitue la seule manière de réguler le phénomène et d'exercer de manière plus efficace et plus légitime les contrôles et la répression que la progression de l'immigration irrégulière rend nécessaires. Nous ne voyons pas d'autre solution qu'une réflexion en ce sens.
M. Jacques Legendre. - Les pays européens sont confrontés à des situations diverses. Certains pays manquent de main-d'oeuvre.
M. Daniel Reiner. - Absolument.
M. Jacques Legendre. - Ils peuvent donc accueillir des migrants. Or quand on accueille un migrant avec un emploi, son intégration est plutôt bonne. D'autres pays, en revanche, ne sont pas dans cette situation. Il est plus difficile d'accueillir des migrants si l'on ne peut pas leur donner de travail. S'ils ne sont pas en mesure d'avoir une vie normale, cela pose des problèmes importants.
Cela ne signifie toutefois pas qu'il ne puisse pas y avoir de besoins en main-d'oeuvre dans tel ou tel secteur. C'est pourquoi il nous paraît important d'engager une réflexion sur cette politique et d'en débattre au sein du Parlement. L'opinion s'inquiète et s'insurge quand elle a l'impression que l'on prend des décisions sans rien lui dire et quand on lui impose, au travers de dispositions techniques ou administratives, des personnes qu'elle ne souhaite pas spontanément accueillir. C'est un sujet politique important et il appartient au Parlement d'en connaître.
Pour conclure, nous voulons souligner que la crise des réfugiés que nous avons connue en 2015, au-delà des difficultés qu'elle a suscitées en Europe, a permis une prise de conscience mondiale de la nécessité d'avancer en direction d'une gestion ordonnée des flux migratoires. Je citais précédemment des chiffres à propos d'un continent qui me préoccupe personnellement, l'Afrique. Notre commission a adopté un rapport il y a peu affirmant qu'elle est notre avenir. Il s'agit de faire discuter entre eux des parlementaires français et africains à propos des migrations, pour aller au fond des choses. Ces débats sont devant nous.
Le 19 septembre prochain, un sommet est organisé dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations-Unies à propos des déplacements massifs de réfugiés et de migrants, qui devrait être l'occasion d'aborder ces questions.
Le rapport que nous présentons aujourd'hui traite d'un problème qui concernera une ou plusieurs générations.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Je vous remercie, mes chers collègues, de cet immense travail, qui n'est pas fini. La réflexion que vous appelez de vos voeux doit se poursuivre.
Mme Nathalie Goulet. - Préalablement à ma question, je prie les rapporteurs de bien vouloir m'excuser. J'étais initialement incluse dans ce groupe de travail, mais la mission commune d'information sur l'islam a été constituée et je n'ai donc pu participer à ses travaux.
Je souhaite faire deux remarques. Tout d'abord, quelle est notre capacité d'acceptation de la détresse humaine ? On en parle comme on traiterait n'importe quel autre sujet alors qu'il s'agit d'êtres humains. Par ailleurs, soulignerez-vous dans votre rapport la question de la capacité d'acceptation de migrants qui n'ont pas la religion majoritaire du pays ? En effet le rejet vient aussi du problème de l'islam.
De même, analyserez-vous les politiques de nos voisins - je pense en particulier à l'Allemagne, au Danemark et à la Suisse -, consistant à confisquer les biens des migrants ?
Enfin, quelles sont vos préconisations en ce qui concerne le contrôle des aides financières ? L'Europe est capable de concentrer un budget important ; comment pensez-vous que l'on pourrait améliorer l'efficacité du fléchage pour mieux recevoir et protéger ces migrants dans le cadre de l'obligation humanitaire qui nous incombe ?
M. André Trillard. - Je relève que, dans ce rapport, comme dans le reste de la société, on a fini par évacuer le statut de réfugié pour le remplacer par celui de migrants. Or, il s'agit de deux réalités différentes. Cela s'inscrit dans une façon très française de penser, qui incitait déjà parler de « sans-papier » plutôt que de personnes en situation irrégulière. On trouve toujours un mot pour éviter de dire la réalité. Il existe pourtant toujours des réfugiés et l'une des règles de la République consiste à les soutenir. Cela est passé à la trappe ; je le regrette.
M. Jacques Legendre. - Monsieur Trillard, nous faisons clairement la distinction entre les réfugiés et les migrants. Lorsque des personnes quittent leur pays pour sauver leur vie, les autres États ont un devoir d'assistance, de même qu'un capitaine de navire ne laisse pas se noyer des personnes qui se trouvent en mer et qui coulent. Cela est une règle.
Nous n'avons en revanche pas les mêmes devoirs à l'égard des personnes qui souhaitent venir travailler chez nous et qui sont d'ailleurs souvent demandeuses de l'aide sociale et de la protection qu'elles ne se trouvent pas dans leur pays d'origine. Cependant, nous ne pouvons pas échapper totalement au débat. L'époque est ainsi faite que les gens circulent. On pourrait d'ailleurs aussi évoquer le cas des étudiants, qui veulent parfois rester en France. Cela peut nous arranger, mais cela peut aussi être très mauvais pour leur pays d'origine, c'est une forme de fuite des cerveaux.
M. Gaëtan Gorce. - Nous n'avons pas abordé dans le rapport les questions d'intégration, nous considérons qu'il s'agit d'un problème différent.
En ce qui concerne de développement, nous souscrivons aux conclusions de nos collègues Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret. Il est nécessaire de réorganiser ces aides. Il faudrait que cela ressemble plus à ce que fait le Royaume-Uni, qui se fixe des objectifs clairs et n'engage ses crédits dans des opérations multilatérales que dans ce cadre-là.
Enfin, il faudrait prioriser et donner une priorité absolue à l'Afrique subsaharienne francophone, qui s'annonce demain comme l'une des sources principales d'immigration au regard de sa situation économique et climatique.
Au fond, nous avons eu le sentiment que l'Union européenne a fait l'essentiel sur les principes. Qu'il s'agisse de la mise en place de la relocalisation et de la réinstallation, de l'ouverture de fonds destinés aux pays d'origine et au pays de premier accueil, de l'amorce d'une réforme de Schengen et de Dublin, du renforcement de l'agence Frontex aux frontières, tous ces éléments semblent aller dans la bonne direction ; c'est pour cela que nous n'inventons pas de propositions nouvelles. Le problème réside dans la capacité politique à mettre ces dispositions en oeuvre et à dégager des financements.
Nous insistons particulièrement sur la nécessité de revoir les politiques d'accueil. Nous ne pourrons pas régler convenablement ces questions d'un point de vue économique, humain et social si nous ne mettons pas en place ce que certains appellent les « quotas », formule qui ne me plaît guère. Je n'étais pas convaincu par cette démarche lorsque nous avons initié ce travail, mais nous constatons bien que c'est la seule issue possible pour assurer une organisation viable des choses.
Enfin, la question syrienne est évidemment déterminante dans ce contexte. On ne peut pas, d'une part, mener une politique consistant à alimenter le conflit en bombardant la Syrie et d'autre part, ne pas en tirer les conséquences pour les réfugiés. Cela crée des obligations. Sinon, il faut sortir de cette situation pour gérer le problème des réfugiés à la hauteur de nos ambitions. Vouloir mener ces deux actions de front sans considérer les conséquences de l'une sur l'autre n'est pas responsable.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Cette matinée aura donc été marquée par la réflexion selon laquelle on peut réussir une opération militaire et échouer une opération politique. Le rapport sur les Opex montrait que, si l'analyse militaire est indispensable, les questions politiques le sont tout autant. En l'espèce, les conséquences politiques des actions militaires sont aussi significatives que les décisions militaires.
Je mets aux voix le rapport d'information sur les migrants.
Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.
La réunion est levée à 14 heures 20.