Mercredi 6 juillet 2016
- Présidence de M. Jacques Gautier, vice-président -La réunion est ouverte à 9 h 35.
Sommet de Varsovie - Audition de M. Jean-Baptiste Mattei, ambassadeur, représentant permanent de la France à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord
La commission auditionne M. Jean-Baptiste Mattéi, ambassadeur, représentant permanent de la France à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, sur le sommet de Varsovie.
M. Jacques Gautier, président. - Mes chers collègues, je remercie M. Jean-Baptiste Mattéi, de sa présence. Deux jours avant le Sommet de l'OTAN qui se tiendra à Varsovie, il est en effet important de connaître la vision de notre représentant permanent auprès de l'OTAN.
Monsieur l'ambassadeur, je vous prie de bien vouloir excuser le président Jean-Pierre Raffarin, qui est en déplacement à l'étranger, avec certains de nos collègues, et qui m'a demandé de le remplacer.
Lors du précédent sommet du pays de Galles, les membres de l'Alliance avaient pris conscience des menaces internationales. Des mesures assez fortes avaient été arrêtées afin de favoriser la réactivité et la déployabilité de l'Alliance, telles que : le plan d'action pour la réactivité (RAP), la création d'une force à très haute réactivité dite VJTF, du niveau brigade, et l'affirmation renouvelée d'un objectif visant à consacrer 2 % du PIB aux dépenses de défense, dont 20 % au moins aux dépenses d'investissement, ce que la France réalise déjà.
Nous souhaitons, à la veille de ce sommet, connaître votre opinion sur les déclarations de certains de nos partenaires. On voit bien que les menaces n'ont pas diminué. Elles se sont même aggravées et rapprochées. Nous sommes à la fois confrontés aux menaces de la force et à celles de la faiblesse. Les thématiques qui vont être abordées à Varsovie vont d'abord concerner la protection à 360°, afin de tenir compte des problèmes de la frontière orientale mais aussi de ceux du Sud-Est et du Sud, aggravés par la crise des migrants. Nous sommes aussi confrontés au retour des sous-marinades dans l'Atlantique, qui font que l'OTAN est forcée de regarder vers l'Ouest de l'Europe.
Nous aurons par ailleurs des discussions sur l'élargissement de l'OTAN. Il conviendra également d'étudier la meilleure façon d'imbriquer les actions de défense de l'Union Européenne et de l'OTAN qui devraient faire l'objet d'une déclaration conjointe.
Va-t-on aboutir à une position équilibrée sur le flanc Est pour répondre aux inquiétudes de nos Alliés à l'Est ? Il est clair que nous devons rester fermes vis-à-vis de la Russie par rapport à l'annexion illégale de la Crimée ou l'application des accords relatifs à l'Ukraine. Nous savons toutefois que la Russie restera un partenaire essentiel de la France dans le futur, et que nous ne pouvons faire autrement que de maintenir un dialogue fort, tout en montrant que nous n'acceptons pas que le droit international ne soit pas respecté.
Dans quelle mesure les annonces de « présence avancée » dans les trois pays Baltes et en Pologne sont-elles soutenables financièrement ? L'objectif d'augmentation des budgets de la défense annoncé au Pays de Galles n'est pas atteint, malgré de réels progrès. Comment, dans ce contexte, garantir le financement des mesures annoncées ?
Il semblerait que, sur le flanc Sud, les positions françaises sont maintenant partagées par l'Alliance. Nous l'avons constaté lors de l'audition par notre commission du général Pavel, Président du comité militaire de l'OTAN, et lors d'un déjeuner à l'Assemblée nationale, avec le secrétaire général de l'OTAN. Vous étiez d'ailleurs là, monsieur l'ambassadeur. Nous sentons que, malgré tout, sur le flanc Sud, les points de vue se rapprochent. Peut-on concevoir une action de l'Alliance dans ce secteur ? Comment articuler le concept de « projection de stabilité » des Alliés avec les actions de la PSDC ? Vous avez pu, à ce sujet, prendre connaissance de la déclaration de Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, sur la stratégie globale de l'Union concernant les questions de politique étrangère et de sécurité.
Ce sont là des questions essentielles. Nous soutenons ici, depuis longtemps, la nécessité de poursuivre et d'approfondir la réforme de l'Alliance. Nous sommes bien conscients qu'elle doit se transformer. Nous avons la chance de bénéficier, depuis notre retour dans le commandement intégré, du commandement suprême de la transformation, qui est essentiel pour l'avenir de l'OTAN.
Voilà une multitude de sujets d'actualité qui seront évoqués, pour la plus grande partie à Varsovie, et qui vont même au-delà du sommet de l'OTAN. Je vous donne donc la parole et je vous remercie encore de votre disponibilité.
M. Jean-Baptiste Mattéi, ambassadeur, représentant permanent de la France à l'OTAN. - Merci de me donner l'occasion d'être parmi vous. C'est toujours un plaisir.
Je vais essayer de vous présenter en quelques mots les principaux enjeux du prochain sommet de Varsovie, qui va se tenir à la fin de la semaine, vendredi 8 et samedi 9 juillet.
Un mot du contexte, avant d'en venir à la substance de ce sommet. Le contexte, on le connaît : le sommet de Varsovie sera le dernier sommet du président Obama. Cette participation du Président américain aux côtés des Alliés européens aura sans doute un côté testamentaire.
Ce sommet intervient quelques jours après le référendum britannique, et après le Conseil européen qui a suivi. Le Brexit n'entre bien évidemment pas dans les compétences de l'OTAN et ne figurera pas à l'ordre du jour du Sommet en tant que tel, mais on peut imaginer qu'il sera dans les esprits et nourrira sans doute en marge un certain nombre de contacts bilatéraux.
Il est un peu tôt pour apprécier l'impact du Brexit pour l'OTAN. À l'évidence, le Royaume-Uni, membre permanent du Conseil de sécurité, puissance nucléaire, une des principales puissances militaires en Europe, reste pour nous un Allié de tout premier plan. Nous avons des liens très étroits avec les Britanniques, depuis la déclaration de Saint-Malo jusqu'au traité de Lancaster House. Le Royaume-Uni gardera toute sa place au sein de l'Alliance atlantique. Le Brexit va-t-il réactiver un débat sur le rôle respectif de l'OTAN et de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense ? On verra. Il faut sans doute chercher à l'éviter.
Pour nous, il est important que le sommet de Varsovie réaffirme, dans le contexte du Brexit notamment, l'unité et la cohésion de l'Alliance et la volonté de l'OTAN de travailler en coordination étroite avec l'Union européenne. Nous oeuvrons actuellement à une déclaration conjointe, qui pourrait être signée juste avant le sommet par le Secrétaire général de l'OTAN et par MM. Tusk et Juncker, afin de réaffirmer cette coopération de façon solennelle.
Le second élément de contexte, c'est Varsovie. Ce choix n'est pas anodin. Vous l'avez dit, le contexte de la crise ukrainienne n'est pas extrêmement porteur : on fait face à un conflit prolongé, à une crise qui s'enlise. Les tensions avec la Russie persistent. L'Union européenne a prolongé ses sanctions mais, comme l'a dit le ministre des affaires étrangères, nous ne souhaitons pas que le sommet de Varsovie soit un sommet de confrontation avec la Russie.
Nous pensons que nous n'avons rien à gagner dans une escalade avec Moscou. Avec l'Allemagne, nous avons plaidé très activement à l'OTAN pour suivre une double approche vis-à-vis de la Russie, fermeté d'un côté, dialogue de l'autre. C'est le sens des décisions qui seront prises à Varsovie. On peut espérer que la tonalité vis-à-vis de la Russie sera plus modérée que ce qu'on pouvait anticiper il y a quelques semaines ou quelques mois.
Le terrorisme est évidemment dans tous les esprits. Il a frappé en France, en Belgique, aux États-Unis, en Turquie. Beaucoup d'Alliés sont directement touchés dans leur chair, et nous devons conserver cette fameuse vision à 360° sans être totalement obnubilés par les menaces venues de l'Est.
Les Alliés, individuellement, sont tous très engagés dans la coalition contre Daech, à commencer par la France. L'OTAN, en tant que telle, ne fait pas partie de cette coalition - et nous ne le souhaitons d'ailleurs pas. Toutefois, l'OTAN peut apporter son soutien, dans toute une série de domaines, comme le renforcement des capacités de l'Irak et des partenaires de la région. Dans le domaine maritime, l'OTAN travaille en mer Égée. Elle pourrait davantage travailler en Méditerranée en soutien de l'Union européenne. L'OTAN n'a donc pas un rôle de premier plan au Sud, mais peut venir appuyer d'autres initiatives.
Le dernier élément de contexte réside dans la question des valeurs sur lesquelles est fondée notre Alliance, et il n'est pas inutile de les réaffirmer à certains moments de l'Histoire. C'est ce que nous allons faire à Varsovie.
En substance, le Sommet porte sur le renforcement de la posture de dissuasion et de défense de l'OTAN. Au Pays de Galles, en septembre 2014, un certain nombre de décisions avaient été prises dans l'urgence, quelque temps après la crise ukrainienne. On avait adopté le plan d'action « réactivité », qui comportait plusieurs volets, comme les mesures destinées à assurer nos amis orientaux de notre présence. Notre pays y contribue. À partir de l'automne, la France va ainsi reprendre son rôle de police du ciel dans les États baltes, où seront stationnés quatre avions français. Elle participe aussi aux exercices et à toute une série d'autres mesures du même type.
A également été créée une force à très haute réactivité (VJTF), du niveau brigade, soit cinq mille hommes, que l'Alliance doit être capable de déployer très vite, les premiers éléments devant pouvoir arriver en quarante-huit heures. Sept nations-cadres participent à cette formation. La France en fera partie en 2022.
On a aussi augmenté les effectifs de la force de réaction de l'OTAN et intensifié les exercices. Récemment, des exercices ont été organisés à l'Est. Beaucoup étaient des exercices nationaux, comme celui dénommé Anaconda, dont on a beaucoup parlé. Ils ont un lien avec l'OTAN - et c'est un point important du renforcement de notre posture.
Enfin, ont aussi été créées six structures de commandement et de coordination sur le territoire des Alliés orientaux pour faciliter la réactivité et le déploiement rapide des forces. Ces unités d'intégration des forces de l'OTAN, dites NFIU ont été implantées en Lituanie, en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Pologne et en Roumanie.
Les décisions du Pays de Galles étaient fondées sur une approche de déployabilité. Si quelque chose se passe, on doit être capable de secourir très rapidement nos amis orientaux. Il est apparu que, pour les pays d'Europe orientale, cela ne suffisait pas. Ils nous ont dit qu'ils voulaient une forme de présence continue sur leur territoire pour être sûrs, en cas de problèmes, de recevoir un soutien allié rapidement. Ils ont mis en avant des arguments politiques, affirmant ne pas être des Alliés de deuxième classe et réclament de bénéficier du même traitement que les autres, ainsi que des arguments militaires en matière de capacités russes de déni d'accès.
Le fait est que la Russie, grâce à sa présence à Kaliningrad, et en Crimée, pourrait éventuellement empêcher le déploiement des forces de l'OTAN sur le territoire des Alliés orientaux, notamment sur le territoire des pays Baltes, les Russes pouvant boucher l'espace entre Kaliningrad et la Biélorussie par la passe de Suwalski et empêcher l'OTAN de venir soutenir lesdits pays.
Ces arguments valent ce qu'ils valent. Le débat avec nos alliés orientaux a été assez difficile. À Varsovie, c'est un compromis que l'on va décider. On ne va pas leur donner tout ce qu'ils auraient voulu, mais on va confirmer la décision de déployer par rotation un bataillon dans chacun des trois pays Baltes et en Pologne. Le total formera une brigade environ. Ce sont des nations-cadres qui formeront ces bataillons. Pour l'instant, l'Allemagne s'est déclarée pour la Lituanie, le Royaume-Uni pour l'Estonie, les États-Unis pour la Pologne et le Canada pour la Lettonie. La France a indiqué que, compte tenu de ses engagements extérieurs, elle ne pourrait être nation-cadre, mais qu'elle était prête à contribuer - et le Président de la République devrait le confirmer - en mettant chaque année à disposition une compagnie en lien avec un Allié, soit l'Allemagne, soit le Royaume-Uni.
Par ailleurs, on a décidé, en Roumanie et en Bulgarie, de mettre en place un dispositif sur mesure, fondé pour l'essentiel sur les forces roumaines et bulgares. Pour nous, cette présence a essentiellement une vocation de déclencheur : si quelque chose se passe, cela devrait provoquer une réaction de plus grande ampleur de l'Alliance. L'idée n'est évidemment pas de stationner des forces de combat en mesure de faire face à une attaque conventionnelle massive de la part de la Russie. Cela a une vertu bien plus dissuasive.
Je veux insister sur le fait que, pour nous, cette présence est parfaitement compatible avec l'acte fondateur OTAN-Russie de 1997. En effet, l'OTAN s'était alors engagée à ne pas déployer sur les territoires des Alliés orientaux des forces substantielles de combat de façon permanente. On ne l'a jamais défini en termes de seuil, mais il est évident qu'une brigade reste en deçà de ce qu'on peut qualifier de « force substantielle de combat ».
On est donc parfaitement en ligne avec cet acte fondateur. Cette présence, pour nous, ne constitue ni une provocation, ni une escalade. Pour reprendre la terminologie, elle se veut « proportionnée et défensive ».
Autre élément important : le sommet devrait réaffirmer la dimension nucléaire de l'Alliance. Pour nous, Français, c'est important. Tant qu'il y aura des armes nucléaires, l'Alliance restera une alliance nucléaire. La dissuasion française est indépendante, mais contribue à la dissuasion globale de l'Alliance. On a d'ailleurs organisé récemment une visite du Secrétaire général et du Conseil de l'OTAN à l'Île Longue, qui a permis aux Alliés de bien comprendre l'apport de notre dissuasion indépendante à la sécurité de l'Alliance.
L'autre point important pour nous concerne le renforcement de la cyberdéfense. Les Alliés prendront à Varsovie l'engagement de renforcer leurs capacités de cyberdéfense. On voit en effet qu'il existe une grande inégalité d'engagement de ce point de vue. La France est très en pointe avec d'autres pays, mais beaucoup d'Alliés sont à la traîne, le maillon le plus faible constituant en fait un maillon faible pour l'ensemble de l'Alliance. Il faut donc que tout le monde soit tiré vers le haut.
Le dossier de la défense antimissile de l'OTAN est un projet ancien, mais il avance. On a récemment inauguré un site en Roumanie avec des intercepteurs basés à terre, alors qu'on n'en avait jusqu'à présent que sur les Frégate et sur Aégis. C'est une étape importante. Un nouveau site verra le jour en Pologne en 2018.
La France, à Varsovie, serait d'accord pour qu'on déclare une capacité opérationnelle initiale de cette défense antimissile, mais nous y avons mis deux conditions. La première est qu'il y ait bien un système de commandement et de contrôle collectif, et non pas simplement un système américain commandé par des Américains, afin de pouvoir exercer un contrôle politique à vingt-huit. Ce n'est pas si simple, car on se heurte à un certain nombre d'obstacles de nature technique. Nous voulons la garantie d'avoir un système de commandement et de contrôle collectif.
La deuxième condition est de bien réaffirmer, lors du Sommet, que cette défense antimissile n'est pas dirigée contre la Russie, qu'elle n'a pas la capacité de faire obstacle aux missiles russes, et qu'elle est destinée à faire face à des menaces émanant de l'extérieur de la zone euroatlantique. C'est ce qu'on a écrit à plusieurs reprises. Nous allons le redire à Varsovie. On n'a jamais dit spécifiquement quelles étaient ces menaces. Nous avons un accord avec l'Iran sur le volet nucléaire, mais l'Iran continue à développer des capacités balistiques. C'est ce genre de menaces auxquelles le système antimissile de l'OTAN est destiné à faire face.
Le dernier point concerne l'effort de défense. Un engagement important avait été pris au Pays de Galles. L'idée est, non en l'espace de douze mois, mais en l'espace d'une décennie, de porter l'effort de défense des Alliés à 2 % du PIB, dont 20 % consacrés à la recherche et développement et à l'acquisition d'équipements majeurs.
Cela nous permet d'être sûrs que nos alliés mettent au pot commun. On aurait souhaité le même type d'engagements au niveau de l'Union européenne, mais c'est plus compliqué. Collectivement, on est assez loin de ces ratios. La France est plutôt en bonne position. Selon les normes de l'OTAN, différentes des normes françaises puisqu'elles incluent les pensions, on est à peu près à 1,8 % du PIB, et à 25 % pour le ratio équipement, recherche et développement. La France tend donc à se rapprocher de ces deux objectifs.
Dans ce domaine, nous pouvons nous féliciter d'une bonne nouvelle : pour la première fois en 2015, les Alliés européens ont arrêté de diminuer leurs dépenses de défense. On les avait énormément diminuées depuis la fin de la guerre froide, et depuis 2008 avec la crise financière. Pour la première fois en 2015, après avoir touché le fond, on commence à remonter faiblement - mais le signal est positif et l'on sait que beaucoup d'Alliés allemands, néerlandais, espagnols et autres repartent à la hausse, sans parler des pays d'Europe orientale, qui sont maintenant saisis d'une grande volonté d'investir dans le domaine de la défense.
J'en viens à présent au volet politique du sommet. Tout d'abord, après le déclenchement de la crise ukrainienne, on avait décidé de suspendre la coopération pratique entre l'OTAN et la Russie, mais on avait dit que l'on souhaitait maintenir le dialogue avec Moscou. Dans la pratique, le Conseil OTAN-Russie, lieu naturel de ce dialogue, a été mis en sommeil après 2014. On a toutefois réussi à le réactiver grâce aux efforts des ministres des affaires étrangères, et on a tenu une réunion le 20 avril dernier, la première depuis 2014. Il s'agissait d'une étape importante. Cette réunion n'a naturellement pas permis de résoudre les désaccords de fond, mais elle s'est déroulée dans une bonne atmosphère et l'on souhaite poursuivre cet exercice.
Les dernières nouvelles sont plutôt bonnes. La Russie maintient son ambassadeur auprès de l'OTAN, ce qui est en soi intéressant à noter. On aura, juste après le Sommet - sans doute le 13 juillet - une nouvelle réunion du Conseil OTAN-Russie qui nous permettra de dire aux Russes ce qu'on a décidé et dans quel esprit. Il serait souhaitable qu'il y ait une certaine réciprocité et que les Russes nous fassent part de leurs projets en matière de défense. L'idée est de recréer un climat de transparence, et de travailler pour prévenir les incidents du type de celui qui s'est produit lorsque la Turquie a abattu un avion russe.
À plus long terme, côté français, nous ne souhaitons pas modifier le cadre existant des relations avec la Russie. Nous disposons de l'acte fondateur de 1997, auquel la France a beaucoup contribué, et de la déclaration de Rome de 2002 qui a créé le Conseil OTAN-Russie. Nous ne voyons pas de raison de remettre en cause ces éléments. Vous avez eu connaissance de la tribune publiée hier par le ministre polonais des affaires étrangères, et des propos du ministre de la défense de ce pays. Dans les conversations internes de l'Alliance, les Polonais se rallient à une ligne relativement modérée. Je pense que l'on pourra trouver un consensus sur l'approche que j'ai décrite.
L'autre dossier à caractère politique qui ne devrait pas tenir trop de place dans les discussions, c'est celui de l'élargissement. Pour nous, les décisions ont été prises en décembre dernier par le ministre des affaires étrangères. On a invité le Monténégro à adhérer. Il siège maintenant avec nous comme observateur. Le protocole d'adhésion sera bien évidemment soumis à la ratification des vingt-huit.
Pour ce qui est des autres candidats, nous ne voyons pas d'avancées possibles à Varsovie. La Bosnie-Herzégovine a toujours un problème sur les propriétés de défense, l'ancienne République yougoslave de Macédoine a toujours un problème de nom. Elle connaît aussi une situation intérieure assez difficile. Quant à la Géorgie, c'est naturellement un partenaire très proche de l'OTAN. On a adopté un paquet substantiel en sa faveur, mais on se heurte toujours à des difficultés de progression vers la voie de l'adhésion, une partie de son territoire étant occupée, ce qui soulève inévitablement des problèmes dès lors qu'on voudrait mettre en oeuvre une défense collective. C'est un point délicat, mais il s'agit d'un partenaire proche. La France contribue d'ailleurs au paquet substantiel dans le domaine de la défense aérienne, ainsi que vous le savez.
Pour ce qui est des pays partenaires non-candidats à l'adhésion, l'OTAN apporte son soutien à l'Ukraine et à la Moldavie. Une réunion de la Commission OTAN-Ukraine aura lieu lors du sommet avec le président Porochenko. Ceci constituera un soutien politique fort vis-à-vis de l'Ukraine et permettra également de faire le point sur la mise en oeuvre des accords de Minsk, ainsi que sur le soutien concret que l'OTAN peut apporter pour réformer l'outil de défense ukrainien.
Enfin, j'ai déjà dit un mot du flanc Sud. Les décisions du sommet devraient être relativement modestes. Il n'est pas question de lancer une nouvelle opération de l'OTAN en Libye ou ailleurs. Les Awacs de l'OTAN viendront soutenir la coalition. Les « capacities building » en Irak et ailleurs seront renforcées. L'OTAN fait déjà certaines choses, mais peut faire davantage et apportera son soutien à l'Union européenne en mer Égée et éventuellement en Méditerranée centrale.
Tout cela se décidera au cas par cas, en tenant compte du contexte politique. On ne veut évidemment pas que l'OTAN perturbe les équilibres politiques.
Je conclurai en évoquant les relations entre l'OTAN et l'Union européenne. J'espère, comme je l'ai dit, qu'une déclaration conjointe pourra être adoptée avant l'ouverture du sommet. L'idée est assez simple : il s'agit de voir comment les deux organisations peuvent travailler ensemble dans toute une série de domaines, comme la réponse aux menaces hybrides, dont l'OTAN ne détient qu'une partie, la question maritime, les exercices, la cyberdéfense.
C'est un état d'esprit positif qui caractérise les relations entre l'OTAN et l'Union européenne. On se heurte toujours à des obstacles institutionnels liés à la question chypriote, mais on avance, dans une atmosphère bien meilleure qu'elle ne l'était il y a une dizaine d'années.
M. Jacques Gautier, président. - Merci de cette présentation complète. Nous avons presque vécu en amont le sommet de Varsovie. Vous avez réussi à nous faire partager les grandes thématiques qui seront abordées, tout en nous faisant part de la position française, qu'il est indispensable de connaître par rapport à certains points. La parole est aux commissaires.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Une résolution proposée par la commission des affaires européennes du Sénat sur la défense européenne, qui a été adoptée à l'unanimité, a émis le souhait que le Conseil européen fixe la ligne directrice de la politique étrangère et de défense de l'Union. Les déclarations de l'été dernier de certains porte-paroles de l'OTAN paraissent parfois totalement déconnectées par rapport à notre analyse, en France, où le Gouvernement affiche une position assez modérée vis-à-vis de la Russie. Hier, Harlem Désir, à qui j'ai fait la remarque, a répondu que l'OTAN s'occupe de sécurité intérieure et la PSDC de sécurité extérieure.
Il me semble choquant que le discours politique de l'OTAN prenne parfois le pas sur le discours des chefs d'État ou de gouvernement du Conseil européen.
Avec Simon Sutour, nous rédigeons actuellement un rapport sur les relations entre l'Union européenne et la Russie. Il y a un mois et demi, nous avons rencontré l'ambassadeur russe à Bruxelles et son collègue ambassadeur auprès de l'Union européenne. Ce que vous avez dit m'a rassuré, mais nous avions été à l'époque surpris des relations distendues entre l'OTAN et la Russie.
Je reviens de Tbilissi, où se tenait l'assemblée parlementaire de l'OSCE, au sein de laquelle les Américains sont très présents. Une résolution un peu caricaturale a tenté de faire passer la Crimée quasiment pour un camp. Elle n'a recueilli que trente voix.
Une autre résolution a réclamé le droit pour les parlementaires de l'OSCE de pouvoir circuler partout librement. Cette résolution a été adoptée à une très grande majorité. On sent que l'état d'esprit est en train de se durcir dans les pays de l'OSCE, qui représentent une entité bien plus large que l'Europe, et qui reprend la position du Conseil européen.
M. Xavier Pintat. - Face aux menaces qui pèsent sur nous à l'Est et au Sud, il est bon d'avoir une force d'action rapide efficace, crédible et bien dimensionnée. La VJTF pourrait jouer ce rôle pour maintenir la paix en Europe, mais pourra-t-elle fonctionner ?
En second lieu, je suis d'accord avec Yves Pozzo di Borgo sur le fait qu'il faut renforcer les relations entre l'OTAN et l'Union européenne, mais peut-on encore parler de complémentarité des Britanniques après le Brexit ? Ne vont-ils pas être tentés de privilégier l'OTAN au détriment de la PSDC ?
Par ailleurs, on veut rétablir des relations avec la Russie - elles sont indispensables, et je me félicite que les Turcs aient renoué des liens avec ce pays - mais quelle est la ligne rouge à ne pas dépasser ? Il nous semble que l'élargissement en fait partie, de même que la présence massive aux frontières.
Je partage enfin votre analyse, monsieur l'ambassadeur, pour ce qui est de la défense antimissile, car on ne voit pas les choses de la même manière suivant que l'on est à New York, Paris ou Berlin...
M. Daniel Reiner. - Absolument !
M. André Trillard. - La Grande-Bretagne s'est disqualifiée il y a une semaine, et les suites politiques du Brexit sont impressionnantes ! L'Europe s'est disqualifiée, les dirigeants européens n'ayant pas eu d'autre idée que de traiter des conditions d'arrivée de la Turquie dans l'Europe et de l'annoncer ! Nous avons donc passé une très mauvaise semaine.
L'OTAN peut-elle être une victime collatérale de cette déliquescence de l'Europe, qui se transforme progressivement en forum ?
Par ailleurs, lors de la dernière réunion de la Conférence interparlementaire pour la Politique étrangère et de Sécurité commune et la Politique de Sécurité et de Défense commune (PESC/PSDC) réunissant les parlements nationaux à La Haye les 6 et 7 avril derniers, nous avons entendu certains dire que ce qui s'était passé avec Daech ne représentait que très peu de victimes, alors que les morts, en Ukraine, étaient bien plus nombreux et que le sujet était beaucoup plus important.
Comment calmer des va-t-en-guerre qui n'ont aucun moyen pour mener leur combat ? On a donné dans cette Conférence interparlementaire des voix à chaque pays, qu'il soit membre de l'Union, observateur invité, en mesure ou non de participer effectivement à la PSDC ou non. Il n'en demeure pas moins que l'on peut s'inquiéter du fait que, pour certains pays, Daech n'existe pas et que seul le voisin russe les intéresse. Ce n'est pas supportable. On ne peut pas toujours être diplomate : il faut leur demander de s'arrêter. Ces boutefeux ne peuvent déclencher une nouvelle guerre contre les Russes !
Enfin, s'agissant du commerce international, je ne peux pas ne pas évoquer la situation épouvantable dans laquelle va se retrouver l'Europe si les Britanniques se détachent des partenariats stratégiques de premier ordre que nous partageons avec eux en matière maritime.
Aujourd'hui, le Royaume-Uni est notre seul allié, le seul crédible. Je peux vous donner le nombre de jours de mer des autres marines européennes : vous serez édifié ! Les Français et les Anglais, ensemble, sont les seuls à pouvoir avoir une action sur le grand large. Nous sommes le premier groupe économique du monde, je le rappelle à tout hasard !
M. Jacques Gautier, président. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez la parole.
M. Jean-Baptiste Mattéi. - Quelques éléments pour répondre à M. Pozzo di Borgo.
S'agissant de l'articulation entre l'Union européenne et l'OTAN, je ne pense pas que l'Union européenne puisse dire à l'OTAN ce qu'elle doit faire et réciproquement. Nous sommes très attachés au principe d'autonomie. Cela pourrait être très dangereux pour l'Union européenne si ledit principe n'était pas respecté. Il y a vingt-deux pays en commun. Il n'y en aura plus que vingt et un après le retrait du Royaume-Uni. Il faut se placer dans une perspective de coordination. C'est ce qu'on fait.
De fait, les orientations prises sont assez semblables s'agissant de la Russie. L'Union européenne a prolongé ses sanctions à l'égard de la Russie, l'OTAN prend un certain nombre de décisions : tout cela me paraît relativement compatible.
Vous avez dit que l'OTAN affichait une sorte de syndrome de guerre vis-à-vis de la Russie. Je ne dis pas qu'il n'existe pas quelques personnes qui ont ce réflexe de la guerre froide, mais ce n'est pas la ligne suivie à l'échelon politique. La sensibilité du secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, ancien Premier ministre norvégien, est extrêmement équilibrée au sujet de la Russie. Il comprend la nécessité de l'ouverture au dialogue et d'une approche relativement modérée.
Dire qu'il serait bon que la défense collective appartienne à l'OTAN, et la gestion de crise à l'Union européenne, ne correspond pas exactement au schéma qu'on a en tête. La défense collective n'appartient pas exclusivement à l'OTAN. On a d'ailleurs invoqué l'article 42-7 du traité de l'Union européenne après les attentats. Cela montre bien que l'assistance mutuelle peut jouer, même si l'on peut penser que l'OTAN a peut-être un rôle plus marqué en matière de défense collective.
Quant à la gestion de crise, elle ne peut uniquement relever de l'Union européenne. L'OTAN a quand même treize mille hommes en Afghanistan, même si on a tendance à l'oublier en France parce qu'on n'y contribue plus. Ce n'est pas négligeable. L'Alliance a par ailleurs cinq mille hommes au Kosovo. Il faut l'avoir en tête. L'idée d'une espèce de division des tâches préétablie entre l'OTAN et l'Union européenne est quelque chose qu'on n'a jamais tellement apprécié, parce que cela pourrait d'une certaine façon empêcher le développement de l'Union européenne.
Vous avez évoqué les propos tenus par l'ambassadeur russe auprès de l'OTAN. Je pense qu'il y a parfois une part de rhétorique. Il ne faut pas ignorer totalement cet aspect des choses. Je ne pense pas personnellement que la Russie se sente très menacée par quatre bataillons dans les pays Baltes et en Pologne. Il faut faire la part des véritables préoccupations et de la rhétorique.
Monsieur Pintat, la force à très haute réactivité est maintenant une réalité militaire. Pourra-t-on l'utiliser le moment venu d'un point de vue politique ? Pour nous, ce qui est important, c'est qu'il existe un contrôle politique. Le contrôle politique, c'est le Conseil Atlantique qui l'exerce à vingt-huit. Le moment venu, ce sera à lui de décider ou non de l'emploi de cette force. On ne peut y échapper. L'OTAN est basée sur le consensus, et il pourrait même être très dangereux selon nous, Français, de contourner ce principe. Je suis assez confiant sur le fait que, si l'on était véritablement dans une situation d'agression, on pourrait assez rapidement mobiliser cette force.
M. Xavier Pintat. - Que signifie « assez rapidement » ?
M. Jean-Baptiste Mattéi. - On peut la faire monter en puissance. De fait, l'OTAN fait pas mal d'exercices, dont des exercices de prise de décisions, pour se préparer à ce type d'options.
S'agissant du Brexit, je pense que c'est une mauvaise nouvelle, à la fois pour la défense européenne et pour l'OTAN. L'idée selon laquelle il existerait des vases communicants - certains à l'OTAN pourraient être tentés de le penser - et que les Britanniques, moins engagés dans la défense européenne, le seront davantage dans l'OTAN constitue un raisonnement à courte vue. Je ne pense pas que c'est ainsi qu'on peut voir les choses.
L'intérêt des Français, compte tenu de nos liens avec le Royaume-Uni, est de continuer à travailler avec lui dans le cadre de l'OTAN. Il faudra sans doute trouver une forme de coopération entre le Royaume-Uni et la défense européenne. Ce n'est pas interdit. Un pays ne faisant pas partie de l'Union européenne peut malgré tout contribuer aux opérations et participer à la défense européenne. C'est à cela qu'il faut travailler.
J'observe pour l'instant que mes collègues britanniques sont très prudents sur ce sujet et ne cherchent pas à mettre en avant l'OTAN par rapport à l'Union européenne. Ce n'est pas le sentiment qu'ils donnent actuellement, et je ne pense pas que ce soit celui qu'ils donneront à Varsovie. Ils nous ont répété qu'ils étaient très attachés à la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne. Ils sont très favorables à la déclaration conjointe que j'ai mentionnée.
Concernant la question des lignes rouges, il est dangereux d'en définir.
M. Xavier Pintat. - C'est votre sentiment ?
M. Jean-Baptiste Mattéi. - En même temps, il y a des sensibilités russes qu'on ne peut ignorer. Il n'est pas question d'admettre un droit de veto de la Russie sur l'élargissement de l'OTAN mais, comme je l'ai dit, le concept de défense collective appliqué à la Géorgie pose évidemment des questions.
S'agissant de la présence à l'Est, tout ce que nous faisons est, dans notre esprit, compatible avec l'acte fondateur OTAN-Russie. Je ne pense pas que la Russie puisse, d'un point de vue politique, trouver à y redire.
Quant à la défense antimissile de l'OTAN, la Russie ne l'a jamais appréciée, mais je rappelle qu'avant la crise ukrainienne, on avait mis en place avec les Russes des groupes de travail OTAN-Russie sur la défense anti-missiles. On leur avait même offert d'y participer. Ce sont eux qui, avant la crise ukrainienne, ont décidé de suspendre ce dialogue avec l'OTAN. Je pense là aussi que l'OTAN a été plutôt ouverte et transparente dans sa démarche.
Je ne pense pas que les Russes soient convaincus que ce système de défense antimissile puisse déstabiliser la dissuasion de leur pays. Je crois qu'il s'agit d'un argument très largement utilisé à des fins politiques.
M. Trillard a demandé si le Royaume-Uni était disqualifié. Je ne le sais pas. Il est vrai que le Brexit affaiblit la position du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Je ne pense pas qu'il renforce sa position à l'intérieur de l'OTAN. Incontestablement, pour les Américains, le fait de s'appuyer sur le Royaume-Uni sera plus difficile qu'auparavant. Je vous renvoie à ma réponse précédente.
Pour ce qui est de la tendance des pays Baltes à minimiser la menace de Daech et à mettre en avant la menace russe, la perception des menaces est très différente selon les opinions publiques. C'est peut-être vrai aussi pour certains parlementaires. Dans nos discussions à vingt-huit, au niveau des ambassadeurs, des ministres, on essaye d'éviter cette opposition. Cela n'a aucun sens. C'est pourquoi on a une approche à 360°. On doit être prêt à faire face à tous les types de menaces. Les Français ne souhaitent pas que la menace terroriste soit relayée au second plan. Il y a un assez large consensus là-dessus.
Le dernier point abordé par M. Trillard constituait plus une remarque qu'une question. Il est vrai que Royaume-Uni est un partenaire essentiel dans le domaine maritime. Je rappelle qu'il accueille le siège du commandement maritime de l'OTAN (MARCOM). C'est aussi le siège de l'opération Atalante de l'Union européenne. En matière maritime, comme dans d'autres domaines, le Royaume-Uni restera un allié essentiel de l'OTAN et de l'Union européenne.
Mme Gisèle Jourda. - Malgré les propos très rassurants que vous avez tenus, j'en reviens à l'installation d'une station de défense en Roumanie et d'un centre antimissile en Pologne. Vous nous avez expliqué le contexte. Néanmoins, cela peut être apprécié par la Russie comme une démonstration de force.
Que se passera-t-il si Moscou décide de renchérir en annonçant le déploiement d'armes nucléaires dans son enclave de Kaliningrad, qui est située entre la Pologne et la Lituanie ? La Russie a déjà installé des missiles sol-air capables de balayer de vastes territoires et de compliquer les relations. Je suis navrée de revenir là-dessus, mais je m'interroge par rapport à ce qui s'est passé en Crimée ou en Géorgie. Je n'aime pas l'angélisme politique : les implantations d'armement ont des conséquences. Je souhaiterais donc connaître votre sentiment sur ce sujet.
Par ailleurs, M. Stoltenberg a de nouveau appelé la Russie à cesser son soutien aux séparatistes pro-russes dans l'Est de l'Ukraine en lui demandant de retirer ses forces et équipements militaires, y compris sur la partie annexée de la Crimée. Quel bilan peut-on tirer des recommandations de l'OTAN lors du sommet de Newport en 2014 : ont-elles été suffisantes et efficaces ?
M. Jean-Pierre Masseret. - Vous avez parlé de réactiver le débat entre l'OTAN et l'Union européenne, puis, dans la foulée, vous avez dit que l'on verrait et qu'il valait peut-être mieux l'éviter. Vous évoquez une déclaration commune sur l'OTAN, au début du sommet de Varsovie.
J'ai le sentiment que les politiques veulent mettre sous le boisseau la plus importante des conditions actuelles : on ne peut ignorer aujourd'hui les conséquences probables du Brexit sur l'organisation globale. On ne peut non plus ignorer le sentiment dominant aux États-Unis qui consiste à penser que les Américains n'interviendront probablement plus en Europe, dans l'espace méditerranéen, au Proche-Orient, au Moyen-Orient et en Afrique.
Cette question est centrale et ne pas l'aborder apporte une fois de plus la démonstration que les politiques veulent ignorer cette situation. On se réveillera demain une fois de plus devant une situation qu'on aura voulu éviter, et qui sera bien plus difficilement maîtrisable que si l'on avait osé poser les problèmes.
Deuxièmement, il ne faut pas se laisser entraîner par les peurs, partiellement compréhensibles, des voisins polonais et baltes, où l'on constate des montées de nationalisme, tout comme en Russie. On connaît le résultat de la confrontation des nationalismes, surtout si l'on y ajoute la compétition économique débridée : cela débouche sur les conflits.
On veut ignorer une fois de plus ces risques et, bien que l'on sache que Poutine a pris un chemin contestable pour gérer son pays, on joue avec le feu. Je ne comprends pas que les politiques n'osent pas affronter les situations avant qu'elles ne tournent à la tragédie.
M. Alain Gournac. - Merci de votre intervention très complète. On peut être d'accord sur certains points, moins sur d'autres.
Je reviens sur ce qu'a dit Xavier Pintat : vous êtes extrêmement optimiste concernant nos amis anglais, qui étaient déjà à moitié dans le bateau américain avant le Brexit. Nos amis américains désirant moins s'occuper de cette partie du territoire où nous nous trouvons, cela soulève des questions. Je me demande s'il n'y aura pas de conséquence dans ce domaine également.
Par ailleurs, je vous ai écouté avec une attention particulière concernant la Géorgie, un pays que je chéris. On en a assez de la double peine, voire de la triple peine ! Les Russes ont mis la main sur deux parties de territoire. Comme on désire se rapprocher des Russes, on ne souhaite pas les ennuyer et on demande donc à la Géorgie de rester dans son coin. Je connais bien ce pays : il désire venir vers nous.
Je connais également l'article 5 : on ne peut donc aller trop loin, mais je trouve que c'est cher payé pour la Géorgie, dont je souhaite que l'on puisse continuer à se rapprocher.
M. Jacques Legendre. - En réaction à certains propos tenus ici, je voulais vous remercier, monsieur l'ambassadeur, d'avoir précisé qu'il ne fallait pas exagérer les réactions des Baltes, que je ne connais assez bien puisque je préside le groupe d'amitié France-Lettonie du Sénat.
Il ne faut pas oublier qu'ils ont été martyrs de l'histoire, et les premières victimes du pacte germano-soviétique. C'est le 17 juin 1940 que les Russes ont occupé Riga, lorsqu'ils ont été sûrs que la France était à genou et que l'Angleterre ne pouvait intervenir. Tout cela a valu à ces pays d'être massacrés, dépecés, et de perdre beaucoup des leurs. Une partie de l'élite de ces pays a eu quelques soucis avec les autorités soviétiques avant d'accéder au pouvoir. Certains sont nés dans des camps de travail en Sibérie, où leurs parents étaient déportés. D'autres ont dû fuir et se sont retrouvés aux États-Unis ou au Canada, ce qui explique une sensibilité exacerbée à l'égard de leur voisin.
Si nous étions passés par les mêmes drames, nous aurions probablement la même hypersensibilité. À nous de leur expliquer que nous ne voulons pas les laisser choir, mais que nous ne pouvons pas non plus nous laisser entraîner. Il est possible que certains aient expliqué qu'ils se sentaient plus concernés par la Russie que par Daech. Ils ont eu tort, mais on est peut-être de notre côté plus nerveux lorsqu'il s'agit de Daech que lorsqu'il s'agit d'un incident de frontières du côté des pays Baltes.
Au moment du drame du Bataclan, des habitants de Riga sont allés manifester devant l'ambassade de France pour témoigner de leur solidarité avec les Français. Il ne faut pas l'ignorer.
On a eu quelques discussions, lorsque nous étions de passage là-bas, à propos des BPC que l'on devait vendre. Cela inquiétait beaucoup les Baltes. On a longtemps essayé de défendre la vente de ces bateaux, mais il ne faut pas caricaturer. Il faut simplement écouter et dialoguer.
Je vous remercie de vos propos, monsieur l'ambassadeur, qui m'ont paru assez équilibrés. Ces pays font parfois des efforts. Je crois me souvenir que la Lettonie a envoyé des soldats en RCA : on ne peut dire que nos partenaires européens aient été nombreux à le faire ! C'est un geste par lequel ils voulaient montrer leur solidarité à l'égard de la France, dans un secteur où on s'attendait à voir des soldats lettons. Voilà ce que je voulais dire pour équilibrer les choses.
M. Jean-Baptiste Mattéi. - Mme Jourda est revenue sur la question de la défense antimissile. On ne peut nier que cela tienne une certaine place dans le discours de la Russie vis-à-vis de l'OTAN.
Sur le fond, je voudrais répéter ce que j'ai dit : c'est un projet ancien, qui ne prend pas les Russes par surprise, un projet sur lequel on a eu l'occasion de dialoguer avec la Russie. C'est elle-même qui a décidé de suspendre le dialogue. Comme je l'ai dit, il n'existe aucune intention de diriger ce projet contre la Russie. Nous l'avons dit explicitement dans tous les communiqués de l'OTAN depuis plusieurs sommets. Nous allons le redire à Varsovie.
Le Secrétaire général l'a répété à plusieurs reprises : compte tenu du dimensionnement du système, du nombre d'intercepteurs, du positionnement de ceux-ci, même si nous le voulions, nous ne pourrions utiliser ce système pour porter un coup aux capacités russes dans ce domaine.
Nous allons le rappeler à Varsovie. Vous le verrez dans le communiqué final. Nous allons en reparler avec les Russes. C'est sans doute un des points sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir avec eux dans le cadre du Conseil OTAN-Russie, le 13 juillet.
Quant à d'hypothétiques réactions russes, ce sont des scénarios que nous avons tous en tête : nous ne souhaitons bien évidemment pas que la Russie s'engage dans cette voie.
Où en est-on sur le dossier ukrainien ? C'est un dossier sur lequel l'OTAN n'a pas de rôle moteur : il s'agit du format Normandie, de l'Union européenne et de l'OSCE. L'OTAN a un rôle assez mineur. L'Ukraine est un pays partenaire de l'OTAN, mais ce n'est pas un pays allié.
Pour nous, il est important de progresser sur le volet de la sécurité. Vous avez évoqué les appels du Secrétaire général pour que Moscou cesse d'apporter son soutien aux séparatistes. Avec les accords de Minsk, on avait réussi à beaucoup diminuer le niveau des violations du cessez-le-feu, mais celles-ci sont reparties à la hausse. Une des priorités est de stabiliser la situation sur le terrain. On ne pourra le faire sans une certaine bonne volonté côté russe.
Parallèlement, Il faut progresser sur le volet politique de l'accord. La balle est plutôt dans le camp des Ukrainiens, notamment pour mettre en oeuvre la loi électorale et la décentralisation. Il faut donc avancer en parallèle sur ces deux points. C'est ce que la France essaye de faire avec l'Allemagne dans le cadre du format Normandie.
Je ne dis pas qu'il ne faut pas se poser la question des rôles respectifs de l'OTAN et de l'Union européenne, monsieur Masseret. Je pense qu'il faut éviter de réactiver avec le Brexit de vieilles rivalités institutionnelles entre les deux organisations.
Quand j'étais adjoint à l'OTAN, au début des années 2000, au commencement de la défense européenne, la concurrence était très forte entre les deux organisations. On a dépassé ce stade. Il faudrait éviter qu'on y revienne - mais la question de fond se pose : comment faire pour répondre collectivement aux défis ?
Quand la défense européenne a débuté, l'OTAN était convaincue que l'Union européenne allait venir piétiner ses plates-bandes. Il existait une sorte de concurrence entre les deux. On n'est plus dans cette situation, puisque le problème est plutôt inverse. Personne ne veut s'engager : l'OTAN a de moins en moins d'appétit pour des opérations lointaines, et les États-Unis aussi. Du côté de l'Union européenne, on ne peut dire que nos partenaires se bousculent pour s'engager. On est dans une situation inverse de celle que l'on a connue il y a quelque temps.
Pour ce qui est des risques d'engrenage et du nationalisme, je partage tout à fait ce que vous avez dit. Encore une fois, les mesures que l'on prend sont raisonnables à tous points de vue, militairement et politiquement. De toute façon, il existe un verrou politique : tout ce que l'on fait à l'OTAN doit être validé par le Conseil Atlantique. Le risque que l'on soit un jour, par un jeu des alliances, amené à une forme d'escalade ou d'engrenage me paraît évitable.
Monsieur Gournac, je ne suis pas particulièrement optimiste s'agissant du Royaume-Uni mais, ainsi que vous l'avez dit, cela pose des questions. Il faudra voir comment on les traite et comment l'équilibre s'établit après le Brexit.
Concernant la Géorgie, vous avez parlé de doubles peines et de triples peines. Je souscris à ce que vous avez dit : la Géorgie est un partenaire extrêmement actif, un des tout premiers dans les opérations de l'OTAN. La Géorgie a apporté une contribution majeure aux opérations de l'Union européenne, tout le monde le reconnaît. D'ailleurs, à Varsovie, on aura, en marge du Sommet, une commission OTAN-Géorgie au niveau des ministres. C'est la première fois que ce type de réunion aura lieu. Ceci permettra d'adresser un signal positif aux Géorgiens, qui le souhaitaient. Ils auront des élections à la rentrée. Le Conseil Atlantique effectuera une visite en Géorgie début septembre. Ce sera là un autre signal politique.
Ce que j'ai dit tout à l'heure n'est pas nouveau : il existe un facteur objectif que tout le monde reconnaît : il est compliqué d'imaginer la défense collective appliquée au cas géorgien. Nos ministres l'ont dit à plusieurs reprises...
M. Alain Gournac. - Chypre est bien divisée en deux ! Ils ont même l'euro !
M. Jean-Baptiste Mattéi. - Chypre n'est pas dans l'OTAN...
Monsieur Legendre, la perception que j'ai des pays Baltes à l'OTAN va tout à fait dans le sens que vous indiquez. Je crois qu'il y a, en tout cas au niveau politique, bien plus de subtilités dans la position des pays Baltes que ce que l'on veut parfois décrire. Ils ont bien compris que leur intérêt, s'ils souhaitaient que l'on soit à leurs côtés en termes de défense collective, était d'être près de nous dans certaines opérations de gestion de crise. Le fait que certains pays Baltes et la Pologne participent à des opérations en Afrique en est la meilleure illustration.
M. Jacques Gautier, président. - Monsieur l'ambassadeur, merci d'avoir répondu à l'ensemble des questions et d'avoir rappelé à nos collègues qu'il faut savoir décrypter certaines déclarations, qui sont parfois destinées à la politique intérieure et non pas forcément à la politique extérieure. Nous devons le garder en mémoire.
Vous nous avez consacré votre dernière intervention en tant qu'ambassadeur auprès de l'OTAN. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos nouvelles fonctions, qui nous permettront de vous recevoir lorsque vous aurez pris vos marques dans les mois qui viennent.
La réunion est levée à 10 heures 46.