Mercredi 1er juin 2016
- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président -Ratification de l'accord de Paris - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 09 h 35.
M. Rémy Pointereau, président. - À l'ordre du jour ce matin, nous avons l'examen du rapport pour avis sur le projet de loi n° 614 (2015-2016), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015.
La commission des affaires étrangères, saisie au fond de ce projet de loi, l'a examiné la semaine dernière, sur le rapport de Christian Cambon, et a donné son accord à cette ratification.
Notre commission a souhaité prendre un avis car ce projet de loi s'inscrit parfaitement dans le cadre de la mobilisation de la commission sur les questions climatiques et les négociations internationales qui les concernent. Nous nous étions d'ailleurs déjà saisis pour avis du projet de loi de ratification de l'amendement au protocole de Kyoto à la fin de l'année 2014.
Notre commission a suivi de près les négociations de l'accord de Paris et le déroulement de la COP21, notamment à travers son groupe de travail sur le climat présidé par Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Nous avons aujourd'hui à donner notre avis sur la ratification d'un accord international que l'on peut qualifier d'historique : l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 à l'issue de la COP 21.
La dernière fois que j'ai eu l'occasion de parler d'un accord sur le climat devant vous, c'était en décembre 2014, à l'occasion de la ratification par la France de l'amendement au protocole de Kyoto prévoyant une deuxième phase d'engagements, de 2013 à 2020. Il s'agit ici de permettre l'entrée en vigueur de l'accord de Paris qui s'appliquera à compter de 2020, sauf mise en oeuvre anticipée.
L'accord de Paris est le résultat d'une méthode d'élaboration unique et constructive. Les précédentes négociations avaient échoué lorsque les décisions venaient d'en haut et que les États refusaient de les appliquer. L'enjeu était donc très fort. Pour éviter les difficultés ou les erreurs du passé, et notamment celles mises en évidence par exemple lors de la COP 15 à Copenhague, la diplomatie française a travaillé toute l'année, en lien avec la présidence précédente du Pérou, selon une méthode originale dans les négociations climatiques. Pour la première fois, la logique a été de partir d'en bas, c'est-à-dire des États, selon une démarche bottom-up. Chaque État a dû soumettre sa contribution nationale à l'effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'objectif étant, une fois les contributions additionnées, de parvenir à un résultat soutenable pour la planète.
Les négociations préparatoires à la COP 21 et durant les deux semaines qu'a duré la conférence ont été très inclusives, qu'il s'agisse de prendre en compte tous les États, quelles que soient leur taille, leur population, leur situation géographique, mais également la société civile, c'est-à-dire les entreprises, les collectivités locales, les ONG, les associations. La société civile a joué un rôle à part entière dans les négociations, pour la première fois dans l'histoire de cette convention des Nations unies sur le climat.
Les Parlements ont également été associés, quoique peut-être encore insuffisamment, et c'est d'ailleurs un des points sur lesquels le Maroc a annoncé souhaiter être attentif à la COP 22.
Le Sénat a contribué à la position française en soulignant le rôle déterminant des territoires, à la fois en première ligne face aux dérèglements climatiques et comme principaux porteurs de solutions, notamment en matière d'adaptation. Nous avons adopté une résolution à l'unanimité en ce sens le 16 novembre 2015. Il est désormais reconnu et admis que 80 % des mesures requises pour l'application de l'accord de Paris seront mises en oeuvre par les territoires.
La réunion de l'Union interparlementaire qui s'est tenue à l'Assemblée nationale puis au Sénat a conduit, sur le rapport du président Maurey, à l'adoption le 6 décembre 2015 d'une résolution annexée à l'accord de Paris.
Nous ne pouvons que saluer la diplomatie française, qui a permis d'aboutir à un accord ambitieux.
L'élément clef de l'accord est l'objectif de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de s'efforcer de la limiter à 1,5°C. La référence à cet objectif inférieur à 2°C traduit toute l'ambition de l'accord et était un des points cruciaux pour obtenir la signature des États insulaires, pour lesquels il s'agit d'une question de survie. À 2°C de réchauffement, les petits États insulaires seront submergés.
L'accord vise également à renforcer les capacités d'adaptation et la résilience aux changements climatiques, notamment pour les pays ou les groupes de population les plus vulnérables. Pour cela, il faudra intensifier la coopération internationale dans plusieurs directions : échange d'expériences, appui et conseil technique, ou encore amélioration des connaissances scientifiques.
L'accord a vu les parties reconnaitre la nécessité d'éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques. C'est une question au centre des négociations depuis la conférence de Varsovie de 2013.
L'accord comporte par ailleurs un volet financier, selon lequel les pays développés fournissent des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement. Ce soutien financier doit être équilibré entre atténuation et adaptation.
La mise en oeuvre de l'accord repose sur un cadre de transparence visant à renforcer la confiance entre les parties. C'était un point délicat des négociations : sans s'ingérer dans la gestion interne des États, il fallait imposer le principe de la transparence pour s'assurer de la bonne application de l'accord. Une clause de révision engage les parties à actualiser et à faire progresser leurs engagements nationaux tous les cinq ans.
Enfin, tous les pays sont appelés à publier avant 2020 des stratégies bas-carbone de long terme, à l'horizon 2050.
Il s'agit donc véritablement d'un accord universel, ambitieux et équitable. Pour savoir s'il s'agira bien d'un accord juridiquement contraignant, il convient de faire le point sur le processus de ratification en cours.
Conformément à ce qui est prévu dans l'accord, il entrera en vigueur 30 jours après avoir été ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À ce stade, 17 parties ont déjà ratifié l'accord. La Chine et les États-Unis, qui représentent 38 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, se sont engagés à le ratifier dès 2016.
En Europe, la ratification des 28 États membres est nécessaire pour que l'Union européenne en tant que telle puisse déposer son instrument de ratification. La Hongrie a ratifié la première l'accord la semaine dernière. Notre pays pourrait être le deuxième en Europe. Le projet de loi de ratification que nous examinons ce matin a déjà été adopté à l'Assemblée nationale, le 17 mai dernier, et devrait être définitivement adopté par le Parlement le 8 juin, à l'issue de son passage en séance publique au Sénat. J'ai été invité par le président Raffarin à assister aux travaux de la commission des affaires étrangères en présence de Hakima El Haité, ministre de l'environnement du Maroc, et de Laurence Tubiana, championne française pour le climat. Je vous renvoie au compte-rendu de cette réunion qui a donné lieu à des échanges très intéressants.
Au vu de tous ces éléments, je vous propose bien évidemment d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi de ratification de l'accord de Paris.
Cette ratification est l'occasion de faire le point sur le chemin qui reste désormais à parcourir d'ici à la COP 22 et plus largement, d'ici à l'entrée en vigueur de l'accord en 2020. Plusieurs points présents dans l'accord de Paris demandent encore des précisions et des négociations pour pouvoir être mis en oeuvre.
Chaque État partie a soumis une contribution nationale à l'effort de lutte contre le changement climatique, selon la méthode bottom-up. À ce stade, ces contributions sont insuffisantes pour atteindre l'objectif fixé dans l'accord. L'enjeu sera leur traduction concrète par chaque pays, notamment dans le cadre de législations adaptées. En Europe, il faudra déterminer la répartition de l'effort entre les différents pays. Autre enjeu par rapport à ces contributions : la mise en place de mécanismes de transparence et de suivi, dont le principe a été acté à Paris mais dont les modalités concrètes restent à définir.
L'adaptation au changement climatique et le mécanisme de pertes et préjudices restent un enjeu central dans les négociations, avec les pays en développement notamment.
Le financement de l'accord de Paris est un autre sujet déterminant. Le financement est fortement lié à l'adaptation. Il s'agit d'ici à la COP 22 d'établir la feuille de route permettant la mobilisation des 100 milliards de dollars que les pays développés devront fournir chaque année aux pays en développement à compter de 2020.
En plus de ces sujets à préciser pour rendre l'accord de Paris opérationnel, certaines problématiques laissées en marge de l'accord doivent désormais faire l'objet de négociations, notamment la question de l'instauration d'un prix mondial du carbone, et son corollaire, l'inclusion des transports, en particulier l'aviation civile, dans l'effort de lutte contre le changement climatique. Il y a également la mise en valeur des océans et leur capacité à capter le carbone. Je vous signale à ce titre la publication prochaine d'un rapport intermédiaire du GIEC sur cette question.
Nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces points lors du colloque organisé jeudi 9 juin prochain à l'initiative du président Hervé Maurey et qui réunira des personnalités et des experts de renom.
La ratification de l'accord de Paris ne constitue qu'un premier pas dans cette année remplie de défis. C'est un signal important pour maintenir la dynamique lancée à Paris, mais il nous faudra, tous, rester vigilants et mobilisés pour que, de la prise de décision, nous passions désormais à l'action.
M. Rémy Pointereau, président. - Au vu de la température et de la pluviométrie de ce mois de mai, nous aurions presque l'impression que l'accord de Paris produit déjà ses effets...
Mme Odette Herviaux. - Je remercie le rapporteur pour la clarté de son propos et le félicite pour son engagement continu sur ces sujets.
Je partage l'analyse qui a été faite, même s'il faut distinguer dans le bilan de l'accord de Paris ce qui relève du fond et de la forme.
Sur la forme, c'est un accord historique qui a su tenir compte des remontées des États et qui a réussi à mobiliser tous les pays, y compris ceux qui ressentent plus que nous l'immédiateté du problème et la nécessité d'agir. C'est un accord qui devrait permettre de rester sous les 2°C de réchauffement, même si l'on sait qu'il faudra aller au-delà. L'accord aborde aussi le sujet des financements à venir et des solidarités à mettre en place.
Sur le fond, je partage les inquiétudes du rapporteur. L'Europe a voulu apparaître comme le fer de lance de l'accord et l'élément moteur des négociations. Les États vont ratifier l'accord, mais il faudra ensuite définir le partage des responsabilités, des efforts à faire. Je ne veux pas faire de comparaison malvenue, mais la gestion actuelle de l'accueil des réfugiés illustre les difficultés à venir.
Les États-Unis ont montré une volonté affichée de ratifier l'accord avec le président Obama. Cela vaudra-t-il dans chacun des États fédérés ?
Certains secteurs ont été exclus des négociations, dont l'aviation civile et le transport maritime, qu'il faudra bien prendre en compte pour avancer.
L'objectif de 2°C est le maximum supportable mais on sait très bien qu'il faudra aller plus loin.
On peut donc se réjouir de la réussite de la COP 21, mais je serai plus pessimiste sur les jours à venir pour faire aboutir l'accord de Paris.
M. Charles Revet. - Je félicite également le rapporteur.
Quelle est la part de la France dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre ?
Les dérèglements climatiques sont particulièrement observables ce mois-ci en France. Quelle sera la situation dans d'autres pays plus sensibles aux submersions ?
Il nous faut tenir compte dans les décisions que nous prenons de la position des pays qui ont soutenu la France, notamment l'Indonésie. Les représentants indonésiens nous alertent sur les positions que nous prenons sur le sujet de l'huile de palme, qui risquent de leur porter préjudice. Si l'on souhaite que nos alliés sur le climat continuent de nous soutenir, il nous faut être cohérents.
Mme Évelyne Didier. - Je m'exprimerai plus largement en séance mais j'indique mon accord total à l'adoption de ce projet de loi pour permettre la ratification de l'accord de Paris. Tout reste à faire. Nous avons décidé de gravir la montagne, mais nous sommes aujourd'hui au pied de la montagne. Un grand pas a toutefois été franchi.
Je m'inquiète des contradictions entre les différentes politiques mondiales menées, notamment avec les accords internationaux en matière de commerce comme le TAFTA ou le TiSA qui visent, entre autres, à réduire les règles dans le domaine environnemental. De telles dispositions sont antinomiques avec l'accord de Paris. Si l'on ne tient pas compte de cet accord dans les autres négociations en cours, nous encourons de lourds revers et la température continuera de grimper.
Peut-être le rapporteur pourra-t-il utilement nous rappeler la distinction régulièrement soulignée par le GIEC entre les dérèglements météorologiques du quotidien et le changement climatique de long terme au niveau mondial ?
M. Benoît Huré. - Nous avons récemment beaucoup travaillé sur la biodiversité ; nous nous penchons aujourd'hui sur le climat. Ces deux questions sont posées à l'humanité. Comment faut-il définir les priorités ? Les événements vont nous conduire à des modifications de nos comportements, à des engagements financiers de la part des pays développés envers les pays en développement. La lutte contre le changement climatique est-elle prioritaire par rapport à la biodiversité ? Je pense que oui. Les espèces animales et végétales se sont toujours adaptées et sont encore en capacité de le faire. Avec un réchauffement de 2°C, plusieurs pays seront submergés. Une part importante de la population mondiale vit aujourd'hui dans des zones à risque de submersion.
Je comprends la démarche de la France qui assume son devoir et ses responsabilités. Elle ne représente cependant qu'1 % des terres émergées et de la population internationale. Les Nations unies doivent avoir un rôle important de coordination. Les égoïsmes nationaux risquent de reprendre le dessus, comme l'illustre la crise migratoire. Je redoute le jugement des générations futures sur la manière dont nous nous sommes comportés.
M. Jean Bizet. - Je voudrais tout d'abord adresser un certain nombre de compliments : au rapporteur, dont on connaît l'engagement, mais aussi, sur ce sujet, à Laurent Fabius et à Laurence Tubiana, qui ont énormément travaillé pour aboutir à ce succès diplomatique, climatique et de « transformation de nos comportements ».
J'insisterai sur deux points : la fin d'un dialogue stérile entre le Nord et le Sud et l'implication des entreprises privées dans cette mutation de nos comportements.
Comme points plus négatifs, je regrette deux choses : le caractère non contraignant de cet accord et la non-fixation du prix du carbone.
Pour autant, je m'abstiendrai sur ce texte car je déplore l'incohérence de la politique de la ministre Ségolène Royal sur le plan national. Je ne peux pas accepter qu'elle ne respecte pas des directives européennes environnementales majeures. J'ai eu l'occasion de le lui dire, que ce soit sur la liberté de circulation des poissons migrateurs ou bien sur la directive cadre sur l'eau. Il y a une immense incohérence entre son discours sur le plan international et son action sur le plan national.
Je déplore également que dans la dernière ligne droite on supprime des crédits en matière de recherche et de développement. Au moment même où il faudrait justement nous engager dans des modifications de comportement, investir massivement dans la recherche pour breveter et avoir un retour sur investissements pour nos entreprises, on diminue ces crédits.
Je souhaite manifester mon mécontentement sur ces points en m'abstenant sur ce texte.
Mme Chantal Jouanno. - J'aurais pu partager la dernière observation de M. Bizet mais je ne m'abstiendrai pas sur ce texte. En effet je pense qu'il est important de le ratifier le plus rapidement possible afin d'avoir un effet déclencheur au sein de l'Union européenne. Aujourd'hui il y a des positions divergentes au sein de l'Union entre ceux qui veulent attendre les engagements de l'Europe et la répartition de ce qu'ils appellent le « fardeau » et les autres.
Il est important également de le ratifier rapidement car le plus important se jouera à la COP 22, qui touchera la mise en oeuvre concrète de l'accord avec les mécanismes de vérification et surtout le fonds climat.
Au-delà de la ratification, la France serait bien inspirée de traiter à son niveau les points qui n'ont pas été traités dans le cadre de l'accord, en particulier celui des subventions et des dépenses fiscales en faveur des énergies fossiles. De la même manière, on constate un très fort ralentissement du développement des énergies renouvelables dans certains secteurs comme l'éolien, le photovoltaïque ou le solaire thermique. Il y a aujourd'hui un gros coup de frein et des incohérences budgétaires au regard des objectifs affichés dans le cadre de cette ratification.
M. Ronan Dantec. - Je félicite tout d'abord le rapporteur pour la qualité de son travail dans la durée.
J'étais la semaine dernière à Bratislava où j'ai pu rencontrer des parlementaires slovaques - c'est la Slovaquie qui va bientôt présider l'Union européenne. Je crois qu'on ne mesure pas à quel point la ratification au niveau européen n'est pas gagnée. Très clairement, les pays d'Europe centrale ont pour priorité leur développement économique et pas le climat et font passer la ratification derrière la négociation du paquet énergie-climat européen. D'ailleurs, la Slovaquie annonce aujourd'hui une ratification fin 2017, voire début 2018, avec un courant climato-sceptique encore très important au sein de leur Parlement.
Le Parlement français doit dans ce contexte jouer son rôle et mobiliser les Parlements européens. Le risque, c'est de voir les États-Unis et la Chine ratifier l'accord bien avant l'Europe. C'est un moment politique compliqué, où on ne sait pas arbitrer entre le court terme et le long terme. D'un côté, tout le monde est convaincu que le climat c'est important, mais dès que l'on commence à vouloir taxer le kérosène en France par exemple, tous les boucliers ressortent. Je rappelle tout de même que cette année, la France a vu ses émissions de CO2 augmenter.
Deuxième point, n'oublions pas que l'accord de Paris ne rentre en application qu'en 2020. Or le GIEC est très clair sur ce point : ce qui se joue entre 2015 et 2020 sera déterminant, c'est-à-dire les initiatives des acteurs non étatiques comme les collectivités territoriales et les entreprises. Il faut aller beaucoup plus vite sur les dynamiques d'acteurs. JE signale qu'en septembre se tiendra à Nantes le premier sommet mondial non-étatique. Si on ne réussit pas à enclencher les dynamiques d'actions dans les prochains mois et si on n'arrive pas au premier processus de réévaluation des engagements volontaires en 2018 avec déjà des dynamiques très fortes sur les énergies et sur les approches territoriales, on risque de rater la fenêtre et les événements dramatiques actuels, comme par exemple la crise des réfugiés, seront les annonces de problèmes qui seront ingérables pour notre société.
M. Pierre Médevielle. - Félicitations au rapporteur qui a été très clair. Après le temps des inquiétudes est venu le temps des constats. Il y a eu à Paris une prise de conscience, ce qui est une bonne chose. Pour résoudre un problème, il faut d'abord commencer par en reconnaître l'existence. Il convient donc de ratifier ce texte et surtout de passer aux actes.
Je crois qu'il faut également lier ce texte de ratification aux atteintes à la biodiversité. L'augmentation des températures porte une atteinte très préjudiciable à la biodiversité, tant directement qu'indirectement.
La France doit donc être moteur dans ce processus de ratification et aller plus loin dans la protection de la biodiversité.
M. Rémy Pointereau, président. -Quelle est la position des États-Unis ? Doit-on avoir une inquiétude quant au processus de ratification de cet accord, au regard notamment des prochaines élections présidentielles ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Je vous remercie pour ces bonnes questions, qui montrent la connaissance, la sensibilité et l'intérêt des parlementaires. Je commencerais par rappeler qu'il existe au sein de notre commission un groupe de travail dédié au climat, qui a été présidé par Laurence Rossignol, par Chantal Jouanno puis par moi-même. Ce groupe s'est réuni à nouveau hier et prévoit une réunion de travail assez dense d'ici la fin de l'année pour préparer au mieux la COP 22 qui approche. Je pense par exemple à la question des États-Unis : il serait intéressant d'entendre dans le cadre de ce groupe un spécialiste du droit constitutionnel pour aborder cette question juridique précise qui concerne le droit américain.
Sur les États-Unis, il faut avoir en tête qu'il s'agit d'un État fédéral : certains sujets sont du ressort des États. Un certain nombre d'États ont saisi la Cour suprême, qui a suspendu l'éventuelle ratification de l'accord de Paris pour vérifier si cette compétence appartient à l'État fédéral ou aux États membres. S'il s'avère que la ratification est de la compétence des États, il faudra qu'une majorité des États ratifient et s'il s'agit d'une compétence de l'État fédéral, la ratification dépendra de la majorité du Sénat issue des prochaines élections.
Mais j'en reviens à vos interventions.
Odette Herviaux, je qualifierais volontiers votre pessimisme de réalisme. Il ne faut pas être béat d'admiration après la signature de cet accord. Notre collègue Evelyne Didier le rappelait fort bien, nous avons signé l'accord qui nous permet d'être au pied de la montagne : reste à la gravir. Et ce n'est pas impossible à partir du moment où l'on se donne les moyens de le faire.
Le problème des réfugiés, comme l'a dit justement Ronan Dantec, est la première des crises climatiques. On pense souvent au Vanuatu, aux îles Palaos ou aux Maldives qui font face à un risque de submersion. Mais tous les pays qui bordent le lac Tchad ou encore les pays du Moyen-Orient ont connu des périodes de sécheresse et les guerres de l'eau qui en ont résulté sont une conséquence de la modification climatique.
Évidemment, il faudra penser à inclure les secteurs du transport maritime et de l'aviation civile, pour l'instant exclus de l'accord. Malgré les progrès de la technique, nous ne sommes pas prêts d'avoir des A380 qui volent à l'électricité.
Pour répondre à Charles Revet, l'Europe à 28 a une contribution aux émissions de gaz à effet de serre de 11 % dont 1,1 % pour la France, ou peut-être 1,2 % puisque Ronan Dantec dit qu'elles ont augmenté. Malgré tout, au risque de heurter certains, grâce au nucléaire, notre niveau d'émissions est assez bas. Les Allemands ont renoncé au nucléaire et polluent l'atmosphère avec des centrales à charbon.
En ce qui concerne l'Indonésie, nous sommes confrontés à une difficulté. Nous souhaitons avoir des relations commerciales importantes avec ce pays, qui de son côté considèrerait comme une mesure injuste l'instauration d'une contribution additionnelle à la taxe sur l'huile de palme. Je ne sais pas ce qu'adoptera en définitive l'Assemblée nationale sur ce sujet. Je sais en revanche que le Président de la République François Hollande a rencontré le Président de l'Indonésie en marge du G7 à Tokyo pour en discuter. C'est dire l'importance diplomatique de ce sujet.
Pour rejoindre Evelyne Didier, je dirais qu'on se souvient de la tristesse de l'échec de Copenhague. Réjouissons-nous donc d'avoir obtenu cet accord à Paris et faisons tout notre possible pour l'appliquer. Les traités TAFTA ou TiSA ne donnent pas toujours une idée très généreuse ou solidaire des pays du monde qui négocient. Sur le traité TAFTA, les négociations sont toujours en cours donc il ne faut pas être forcément pessimiste. On ne peut pas empêcher les pays du monde de défendre leurs intérêts. Est-ce que les grands pays occidentaux n'ont pas toujours privilégié leurs intérêts ? Et ne peut-on pas regarder aujourd'hui avec indulgence les pays émergents qui à leur tour veulent leur part dans le développement ? Il faut penser que le développement n'arrive pas pour chaque pays au même moment et qu'on ne peut pas considérer que certains sont égoïstes parce que nous l'avons été aussi à un autre moment. Il faut tendre à la solidarité mais on peut comprendre que les efforts doivent se faire dans le temps.
Benoit Huré a posé une question très importante sur la biodiversité : je crois qu'il n'y a pas d'un côté la biodiversité et d'un autre le climat. La disparition des zones humides et des forêts par exemple a un impact sur le climat. Autre exemple, l'état de l'océan est essentiel pour le climat. J'assistais hier à une réunion avec des représentants du monde maritime. Ils s'estimaient stigmatisés sur la pollution, alors qu'ils contribuent à la richesse du monde marin. J'avais l'impression d'être à une réunion du monde agricole où les agriculteurs demandent à ce qu'on les laisse produire pour nourrir la planète. Tout cela est vrai mais c'est dans un équilibre de solidarité qu'il faut avancer.
Ce que nous dit Jean Bizet est très vrai sur le rôle de M. Fabius et de Mme Tubiana. J'ajouterais pour ma part la mobilisation du réseau des ambassades françaises. Les entreprises privées jouent un rôle essentiel. Je citerais par exemple ENGIE qui a décidé de décarboner son métier : elle le fait au rythme d'une entreprise cotée et qui défend des intérêts capitalistes, mais elle va dans cette direction.
C'est vrai qu'objectivement, l'accord de Paris n'est pas contraignant, mais ratifié il le sera un peu plus, et en 2020 il le sera complètement, dans la mesure où les engagements devront être tenus et où il y aura des vérifications. Si on aboutit à un prix du carbone, ce sera également une avancée.
Chantal Jouanno a raison sur l'effet déclencheur : il faut aller vite pour ratifier car la COP 22 sera là demain et nous serons plus qu'à quatre ans de l'échéance. Il est vrai aussi que la France devrait faire des efforts sur les subventions aux énergies fossiles.
Ronan Dantec dit des choses très intéressantes sur les hésitations de la Slovaquie : cela ne va pas être facile en Europe. Sur l'approche territoriale, c'est la même chose que pour l'approche entrepreneuriale, tout le monde doit s'y mettre.
Je suis d'accord avec Pierre Médevielle qui appelle à passer aux actes et à aller plus loin sur la biodiversité. Le problème est qu'il faut agir en maintenant un équilibre où personne n'ait l'impression d'être victime.
M. Rémy Pointereau, président. - Passons au vote. La commission donne un avis favorable à la ratification et au rapport de Jérôme Bignon. Il y a trois abstentions et aucune opposition.
La séance est levée à 10h35.