Mercredi 25 mai 2016
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -Relancer la construction en milieu rural - Examen du rapport et du texte de la commission
La réunion est ouverte à 9 heures.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je salue la présence de notre collègue Jacques Genest, auteur, avec plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains, de la proposition de loi que nous allons examiner.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Je suis très honoré d'être votre rapporteur sur cette proposition de loi, que j'ai cosignée, et dont je remercie Jacques Genest d'avoir pris l'initiative.
Au cours des dix dernières années, et récemment encore avec la loi d'avenir pour l'agriculture, la loi Alur, la loi Macron, les textes relatifs à l'urbanisme se sont succédé, afin notamment que l'urbanisation prenne mieux en considération les impératifs de protection de l'environnement et que se concilient de manière plus aisée les objectifs parfois contradictoires qui doivent guider la décision d'ouvrir de nouveaux territoires à l'urbanisation.
Cette démarche n'a cependant pas toujours suffisamment pris en compte la nécessité d'accompagner les espaces ruraux dans leur développement économique et démographique. Or, la construction en milieu rural ou dans les zones de montagne, pour autant qu'elle reste maîtrisée, constitue l'un des moyens du développement de ces territoires, en particulier lorsqu'ils sont éloignés des centres urbains.
Ainsi, les dernières lois en matière d'urbanisme ont eu pour objectif principal la limitation de l'étalement urbain, passant notamment par un principe de « gestion économe de l'espace », en ce qui concerne les schémas de cohérence territoriale (SCoT), et de « modération » de consommation de l'espace concernant les plans locaux d'urbanisme (PLU).
Cet objectif de modération est incontestablement nécessaire. Ainsi que l'a rappelé, lors des auditions, la Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (FNSAFER), il a permis de réduire le rythme de l'extension urbaine et de ramener l'artificialisation des sols à quelque 50 000 hectares par an.
Néanmoins, l'interprétation souvent stricte de ces notions par les directions territoriales de l'Etat conduit à pénaliser particulièrement les communes rurales ou les communes de montagne, dans lesquelles les ouvertures à l'urbanisation et le nombre d'autorisations de construire délivrées depuis plusieurs décennies sont déjà significativement bas. On en vient alors souvent, au nom des principes précités, à imposer à ces communes de limiter plus encore leurs possibilités de construire, réduisant parfois à néant toute perspective de développement.
En outre, la réglementation sur les constructions nouvelles - applicable sur l'ensemble du territoire national - peut conduire à des situations ubuesques. Ainsi, il est des cas où il est plus facile à un nouveau résident de s'implanter dans une commune rurale qu'à un exploitant agricole retraité ayant cédé sa ferme de rester sur ses terres en aménageant certains locaux à usage agricole pour en faire son habitation principale. Nous sommes tous confrontés, sur nos territoires, à de telles situations.
Comme l'ont souligné les associations d'élus au cours des auditions, et en particulier l'Association des maires de France (AMF), il faut reconnaître un véritable droit des communes rurales ou des communes de montagne à se développer. Ces territoires doivent rester des lieux de vie pour nos concitoyens, et ne sauraient se transformer en des « conservatoires » où plus aucune évolution du bâti n'est envisageable. Car la vivification de ces zones où dominent espaces naturels ou espaces agricoles implique que la construction de nouveaux bâtiments à usage d'habitation, à usage agricole, commercial ou artisanal, ou bien encore que le changement de destination de bâtiments existants, restent envisageables, tout en préservant les milieux.
Il ne s'agit évidemment pas de prôner l'abolition de tout encadrement mais de procéder aux adaptations nécessaires pour que le développement rural et celui des territoires de montagne soient également et effectivement pris en considération par la législation sur l'urbanisme : si dans ces territoires, la lutte contre le mitage doit rester une priorité, elle doit aussi favoriser un étalement urbain raisonnable.
Des ajustements doivent donc être trouvés pour mieux répondre aux besoins ordinaires et légitimes de leurs résidents. C'est dans cette voie que s'engage résolument la présente proposition de loi, qui s'ordonne autour de deux axes.
Le premier vise à mieux adapter les contraintes d'urbanisation aux spécificités des communes rurales ou de montagne.
Le chapitre premier consacre expressément le développement rural parmi les principes fondamentaux du droit de l'urbanisme (article 1er).
Le chapitre II entend offrir de nouvelles possibilités de construction et d'installation en milieu rural. En premier lieu, il facilite le développement des constructions et installations utiles à l'exploitation agricole, au-delà de la stricte notion actuellement retenue par le code de l'urbanisme de bâtiment « nécessaire » à l'exploitation. Seraient ainsi autorisées, de manière plus large, les constructions et installations « participant à l'équilibre économique de l'exploitation agricole » (article 2).
En second lieu, il permet la construction d'annexes et de dépendances aux constructions existantes dans l'ensemble des territoires ruraux et, parallèlement, et dans ceux où cette possibilité est déjà ouverte, il assouplit les conditions, assez draconiennes, qui l'encadrent (article 3).
Le chapitre III propose plusieurs dispositifs destinés à assouplir les procédures qui autorisent l'édification de nouvelles constructions ou l'ouverture de nouveaux secteurs à l'urbanisation. Ainsi, serait supprimé le caractère conforme de l'avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) lorsqu'elle se prononce, d'une part, sur les constructions autorisées sur délibération du conseil municipal dans les territoires soumis au règlement national d'urbanisme (RNU), d'autre part, sur les règles relatives au changement de destination dans les zones A des PLU. De même pour l'avis rendu par la commission départementale de la nature des sites et des paysages (CDNPS) lorsqu'elle se prononce sur les règles relatives au changement de destination dans les zones N (article 4).
Par ailleurs, le PLU pourrait prévoir des secteurs ouverts à l'urbanisation lorsque ceux-ci comportent des équipements de dessertes réalisés ou programmés, ou ont fait l'objet d'acquisitions foncières significatives de la part de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent (article 5).
Ensuite, pour définir les objectifs chiffrés de modération de la consommation de l'espace et de lutte contre l'étalement urbain compris dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD), la taille des parcelles des communes de montagne ou à faible densité démographique devrait désormais être prise en considération (article 6).
Enfin, la réduction d'un espace boisé classé, d'une zone agricole ou d'une zone naturelle et forestière serait désormais soumise à la procédure de modification du PLU plutôt qu'à sa procédure de révision simplifiée, lorsque cette réduction est nécessaire pour accueillir un équipement collectif (article 7).
Le second axe vise à rétablir ou à renforcer certaines participations d'urbanisme pour favoriser les projets d'aménagement.
Les communes rurales ou de montagne n'ont souvent pas les budgets suffisants pour financer des projets d'aménagements publics fréquemment rendus plus onéreux par les contraintes topographiques. Le nouveau régime des participations d'urbanisme - avec notamment la taxe d'aménagement, qui s'est substituée aux participations préexistantes - ne permet pas de faire financer les projets par les bénéficiaires des autorisations de construire dans des conditions permettant de les mener à bien.
Pour y remédier, la présente proposition de loi prévoit, d'une part, de rétablir la participation pour voiries et réseaux, dans son régime antérieur au 1er janvier 2015, en la réservant aux seules communes de montagne ou faiblement peuplées (articles 8 et 10) ; d'autre part, d'élargir la possibilité, pour les communes de montagne ou faiblement peuplées, d'instituer une majoration du taux de la taxe d'aménagement (article 9).
À l'issue des auditions que j'ai conduites, et dans une démarche concertée avec notre collègue Jacques Genest, je vous soumets aujourd'hui plusieurs amendements afin d'assurer la plus grande efficience juridique des dispositifs de cette proposition de loi tout en les recentrant pour mieux répondre aux difficultés qui se présentent effectivement sur le terrain, dans les communes rurales ou de montagne.
M. Jacques Genest, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de votre invitation. Cette proposition de loi issue d'un groupe de travail créé par Les Républicains, vise à débloquer des situations qui deviennent catastrophiques dans nos communes rurales. J'habite une commune rurale de 800 habitants en Ardèche et mon intention n'est ni de pousser les agriculteurs au départ, ni de menacer l'environnement, d'autant qu'il nous attire des touristes. Je m'inquiète, en revanche, de voir gronder une fronde de la ruralité. Les habitants du monde rural veulent pouvoir y travailler, y disposer de services. Et avant tout, ils veulent pouvoir y vivre. Or, dans les départements ruraux, les maires disent qu'en matière d'urbanisme, la situation est catastrophique, et qu'ils ne peuvent plus rien faire. Si bien que les communes soumises à un plan d'occupation des sols (POS) venant à échéance, au lieu d'élaborer un plan local d'urbanisme (PLU), qui aurait pour conséquence une réduction drastique des terrains disponibles à la construction, préfèrent le retour au régime du règlement national d'urbanisme (RNU). Et c'est l'État qui, dans cette configuration, instruit les dossiers : sachant le manque de moyens dont souffrent les directions départementales des territoires, on se demande comment ils le seront...
En matière de règles d'urbanisme, on a, quelle que soit la couleur du Gouvernement, accumulé les contraintes - certes parfois nécessaires, mais qui pèchent par leur uniformité. Or, on sait bien qu'en termes de construction, les besoins d'une commune rurale n'ont rien à voir avec celles d'une grande ville comme Paris. J'ajoute que nulle part dans le droit de l'urbanisme il n'est question de développement rural. On peut y voir, au mieux, un oubli, au pire, une omission volontaire.
Je remercie mon collègue Daniel Laurent pour son rapport et ne reviendrai que sur quelques points susceptibles de soulever débat. Pourquoi proposons-nous de rétablir la participation pour voirie et réseaux (PVR) dans les communes rurales, alors qu'existe une taxe d'aménagement ? Les maires des petites communes savent que viabiliser un secteur, comme je l'ai fait dans mon village de Coucouron, a un coût. Or, il est impossible d'équilibrer l'opération avec la taxe d'aménagement. En revanche, le pétitionnaire d'un permis de construire est très heureux de payer la PVR et d'avoir un terrain viabilisé. C'est pourquoi il me semble indispensable de remettre la PVR en place, éventuellement cumulable avec la taxe d'aménagement - mais pas avec son taux majoré. N'oublions pas qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une taxe, puisque cela correspond aux travaux effectués pour viabiliser le terrain. Il faut bien sûr que les propriétaires jouent le jeu, et ne vendent pas plus cher au motif que le terrain est viabilisé.
Dans certains départements, c'est notre deuxième constat, la direction départementale des territoires (DDT) interprète bien souvent les textes avec la plus grande rigueur. À l'occasion du passage d'un POS à un PLU, il peut arriver que la DDT déclare qu'une zone n'est plus constructible, alors que la commune avait entrepris des investissements pour la viabiliser. Autant de dépenses engagées pour rien ! D'où notre proposition, améliorée par un amendement du rapporteur : quand une commune a, avant la promulgation de la loi, viabilisé ou acheté un terrain aux fins de le viabiliser, ce terrain doit rester constructible. Question de bon sens paysan, indispensable à l'avenir de nos territoires - un bon sens que l'on a perdu de vue depuis quelques années.
Ne nous voilons pas la face, nous savons tous que le PLU est fait par la DDT, pas par le maire. Moyennant quoi l'on applique mécaniquement des coefficients. Or, nous avons besoin de terrains constructibles. Veut-on que nous en soyons réduits, dans un village comme le mien, à bâtir, plutôt que des maisons implantées sur un peu de terrain, des immeubles de dix étages ? Il faut être raisonnable ! Il faut considérer, dans le PADD, la nature et la structure de la commune et adapter le PLU en conséquence, sans, bien entendu, consommer trop de terres agricoles. Je suis maire d'une commune qui compte le plus grand nombre d'agriculteurs de l'Ardèche et pourtant, durant de nombreuses années, je n'ai jamais eu de problème de permis de construire. Les agriculteurs ne se sont jamais offusqués d'en voir délivrer : ils ne veulent pas vivre dans un désert. Où scolariseraient-ils leurs enfants ? Où iraient-ils acheter leur pain ? Où se feraient-ils soigner ?
Bref, il ne s'agit pas, pour nous, de pousser au laxisme mais d'essayer de débloquer des situations qui entraînent un mécontentement terrible. Le monde rural se sent abandonné : je compte sur votre sagesse pour lui rendre un peu d'espoir.
M. Alain Duran. - Certes, on ne peut que partager les objectifs inscrits dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi : rétablir l'attractivité des zones rurales et promouvoir un aménagement du territoire rationalisé et équilibré. Ma première démarche, lorsque j'ai été élu maire de ma commune, a été de m'atteler à établir un POS, puis un PLU. Ma commune comptait 170 habitants, elle en compte aujourd'hui 250. J'ai conservé mon école, mes agriculteurs.
Il faut comprendre que le monde a changé autour de nous, et changer de logiciel. C'est pourquoi nous ne pouvons souscrire à cette proposition de loi, jugeant que le remède proposé est bien pire que le mal. C'est lancer un mauvais signal, tant pour la protection du foncier agricole que pour l'aménagement du territoire et son attractivité.
Permettre la construction d'annexes et dépendances quel que soit le document d'urbanisme qui couvre la commune, supprimer les dispositifs d'encadrement et de concertation, en transformant, notamment, l'avis conforme de la CDPENAF en avis simple ? Ce serait renoncer à encourager les communes à se doter d'un PLU et tirer un trait sur tout le travail mené depuis vingt ans par de nombreux élus qui se sont engagés dans cette démarche.
En revenant sur des mesures de protection des zones naturelles et agricoles inscrites dans notre droit, depuis plus de quinze ans pour certaines, vous prenez le risque d'accélérer le mitage des paysages et du foncier agricole. À cet égard, la modification proposée du critère de continuité urbaine est particulièrement dangereuse pour la préservation de nos territoires.
Ce n'est pas parce que l'artificialisation des sols concerne davantage, ainsi que vous le soulignez, les zones urbaines et périurbaines qu'il ne faut plus protéger nos milieux ruraux. Cela va d'ailleurs à l'encontre du souhait d'une maîtrise rationnelle de l'artificialisation des sols exprimé par le monde agricole, que nous avons également entendu. Le postulat du texte est en réalité assez sommaire : les dispositions existantes sont considérées en bloc comme des contraintes, et il convient, selon vous, d'opérer un retour en arrière, en les supprimant une à une, quitte à passer par pertes et profits les équilibres qui les ont justifiées : cohérence dans l'aménagement du territoire, attractivité, préservation des paysages, du foncier agricole, de la continuité urbaine pour un meilleur accès aux équipements.
Pour relancer la construction et valoriser le développement en milieu rural, des outils existent. Il faut à présent s'en emparer. Des assouplissements ont été apportés, notamment dans la loi d'avenir pour l'agriculture. En matière de changement de destination des locaux, pour en faire des bâtiments d'habitation, les règles ont été assouplies. En matière d'extension des bâtiments d'habitation et de leurs annexes, la loi Macron a déjà donné des résultats. Par ailleurs, l'ouverture, à compter du 1er janvier dernier, du prêt à taux zéro pour la réhabilitation du bâti ancien s'est avérée très pertinente pour les zones rurales et les anciens centres-bourgs. En quatre mois, 40 % des opérations sont comptabilisées en zone C. Preuve que l'outil est utilisé dans le monde rural.
Il ne s'agit pas pour nous de dire qu'aucune question ne se pose, mais nous estimons que d'autres dispositions peuvent être proposées pour améliorer le droit existant. Les élus locaux auraient souvent besoin d'un accompagnement, d'un « service après vote » pour éviter des situations que vous avez évoquées, où l'on voit des maires ruraux revenir au RNU plutôt que d'élaborer un PLU - ce qui est très grave. On ne peut que souscrire aux tentatives d'allègement des contraintes procédurales en matière d'urbanisme, mais si et seulement si les principes fondamentaux de protection des espaces et de l'activité agricole sont respectés. Or, force est de constater que vos propositions et les critères qui les accompagnent sont sujets à trop d'interprétations, comme l'a confirmé l'Association des maires de France, que nous avons entendue. Cela pourrait remettre en cause le point d'équilibre que l'on a su trouver au travers de dispositifs que nous avons voté depuis quatre ou cinq ans. On ne peut que récuser cette approche, qui marque un recul dans la protection des terres agricoles et l'aménagement du territoire.
M. Daniel Dubois. - À l'aune de ce que je viens d'entendre, je me sens plus proche de Jacques Genest que d'Alain Duran. Sans doute l'approche de nos administrations déconcentrées n'est-elle pas la même partout, mais pour ce qui me concerne, j'entends parfaitement ce que dit notre collègue Genest, et je regrette que le peu de publicité donné à cette proposition de loi ne lui ait pas permis d'attirer des signatures qu'elle n'aurait pas manqué de recueillir.
L'aménagement du territoire ? Dans toutes les études, il est question de prospective sur le fait urbain, mais c'est oublier que notre territoire, qui n'est pas immense, est pourtant très diversifié : la France est un grand jardin. L'approche du fait urbain ne saurait se passer de la prise en compte de sa périphérie, et du rural. Or, on est aujourd'hui, je le dis sans détour, dans l'hypocrisie. N'opposons pas l'urbain au rural, entend-on répéter à l'envi, car ils sont complémentaires. Mais comme maire d'une commune passée de 250 habitants à 400 aujourd'hui, je sens très profondément une contraction : tous les textes mis en oeuvre depuis un certain nombre d'années, et leur application sur les territoires - peut-être, dans certains cas, du fait d'une administration trop zélée - témoignent très clairement d'une volonté de limiter la construction sur les territoires ruraux.
M. Alain Duran. - Allons !
M. Daniel Dubois. - Dans un certain nombre de groupes de travail, on prend de grands engagements, on jure de s'employer à préserver nos écoles. Mais à quoi servira-t-il de nous battre, demain, pour regrouper nos écoles et y introduire les technologies numériques, pour faire en sorte d'avoir des cabinets médicaux, des services publics, si la population de nos territoires ruraux, qui est en train de vieillir, ne se renouvelle pas ? L'équilibre dans l'aménagement du territoire passe aussi par la régénération de la population - ou pour le moins, son renouvellement. Or, dans un certain nombre de territoires, on voit la population vieillir et se paupériser. C'est une problématique majeure.
Quelles sont les raisons de ce dédain des territoires ruraux ? Y a-t-il derrière cela un dessein politique ? Je le pense. Je ne sais s'il faut y voir la volonté d'une haute administration qui imposerait ses vues, mais j'y vois en tout cas une grande, une réelle injustice pour les territoires ruraux. Ceux qui donnent la possibilité aux territoires urbains de se densifier, de se développer, d'utiliser des terrains, grâce aux réserves foncières, interdisent dans le même mouvement aux territoires ruraux d'utiliser une infime partie de ces réserves pour assurer le renouvellement de leur population.
Qu'au chapitre premier de cette proposition de loi, on mette le développement rural au même rang que le développement urbain est donc à mon sens une excellente chose. C'est reconnaître que les ruraux valent autant que les urbains.
Le rétablissement de la PVR me paraît incontournable. Ma commune a établi une carte communale. Quand l'administration s'est déplacée à cette fin, elle s'est contentée de dénombrer les « dents creuses » du village, pour nous déclarer in fine que nos projets de construction devraient désormais s'y limiter. Je le dis très ouvertement, si je n'avais pas été sénateur, si je n'avais pas connu le préfet, si je n'étais pas monté au créneau, en martelant que les propriétaires de ces dents creuses ne voulaient pas vendre, et que nous interdire de classer un terrain - en plein centre du village, soit dit en passant - en zone constructible, c'était nous interdire de construire. Pour pouvoir rendre constructibles ces deux hectares, que la commune avait achetés, il a fallu que je remonte jusqu'au préfet. Qu'on ne vienne pas me dire, après cela, que l'administration ne s'emploie pas à bloquer notre développement !
M. Michel Le Scouarnec. - J'appartiens au milieu rural, j'ai été maire d'une commune rurale. Il faut être très attentif aux difficultés que rencontrent ces communes. Je pense aux écoles, aux services publics en général. Souvent, il faut parcourir de grandes distances pour y accéder, et cela provoque une grande insatisfaction.
La question des dents creuses dans les hameaux et les villages me préoccupe d'autre façon. Dans le Morbihan, on nous interdit d'y construire. La ministre, Mme Cosse, a compris l'insistance des maires sur cette question. C'est un interdit contraire au souci d'économie du foncier, puisque l'on nous pousse à l'étalement, en même temps que l'on fait mourir les centres des hameaux et des villages. Nous voulons, à l'inverse, travailler en faveur de la vie en milieu rural et du bien-être de ceux qui y sont établis.
Cela dit, je crains que les dispositions de ce texte ne créent un risque d'étalement. Il ne faut pas aller trop loin. Tous les syndicats agricoles que je rencontre, dont la FDSEA du Morbihan, avec laquelle j'ai des réunions régulières, insistent sur la nécessité d'économiser le foncier agricole. Il faut dire que la Bretagne est très touchée par l'artificialisation. En quinze ou vingt ans, nous avons perdu l'équivalent d'un département. Le problème n'est peut-être pas le même en Ardèche. Oui, il faut permettre de construire dans les dents creuses, car ce ne sont pas des terrains agricoles, mais de là à faciliter la construction sur des terres agricoles... Certes, on ne peut pas, dans le monde rural, se mettre à construire des immeubles de plusieurs étages, mais on peut tout de même faire du semi-collectif, à un étage. On ne peut plus accepter de construire des maisons individuelles sur des parcelles d'un demi-hectare.
L'interprétation de la DDT ? Mme Pinel elle-même, du temps qu'elle était ministre, avait reconnu qu'elle varie d'un département à l'autre. Pour moi, une loi ne doit pas être à ce point interprétable : nous vivons dans la même république.
En somme, toutes ces questions méritent certes d'être posées, mais je ne suis pas favorable à des aménagements trop larges au droit de la construction.
Mme Élisabeth Lamure. - Je remercie l'auteur de la proposition de loi et notre rapporteur. Je partage assez largement la vision de Daniel Dubois sur l'aménagement de l'espace rural et juge cette proposition de loi très utile. Elle apporte les assouplissements nécessaires pour que les constructions se développent, d'une manière harmonieuse, dans les communes rurales. Je salue, notamment, le retour de la PVR, la suppression de l'avis conforme des commissions départementales, la substitution de la notion de « révision » par celle de « modification » du PLU, dans un certain nombre de cas. Des mesures bien nécessaires, à cette condition que soient respectés l'environnement et les terres agricoles.
En revanche, je redoute par-dessus tout le mitage. On a vu trop de paysages abîmés par des constructions mal placées. Aussi je m'inquiète, monsieur le rapporteur, de l'assouplissement que vous évoquez aux règles de construction ou d'extension en faveur du logement des agriculteurs. Il ne faudrait pas que l'on en revienne à la dérive observée dans les années 1960-1970 où le fils de l'agriculteur, reprenant l'exploitation, construisait sa villa où il le voulait. Le maire donnait toujours son feu vert. Et c'est ainsi que l'on se retrouve, quelque temps plus tard, avec des maisons in fine revendues à de nouveaux ruraux, qui ont d'autres exigences. Je souhaite que cet aspect du texte soit bien bordé : la réglementation qui existe aujourd'hui est assez bien appliquée et rend plutôt service aux maires lorsqu'il s'agit d'accorder des permis de construire.
Peut-être, enfin, serait-il bon de préciser ce que l'on entend par « commune rurale ». Est-ce affaire de densité, de démographie, de l'un et l'autre ? Car il faut savoir clairement à qui ces mesures s'adressent.
M. Franck Montaugé. - Nous sommes un peu, sur ce sujet, pris dans des injonctions contradictoires, et le mérite de cette proposition de loi est de nous permettre de mener une analyse ex post de la gestion du foncier dans notre pays. Pour moi, il ne faut pas aller jusqu'à la déconstruction réglementaire contre laquelle Alain Duran nous mettait en garde. Nous pouvons nous rejoindre sur un objectif commun, véritable enjeu national et de souveraineté, la préservation du foncier agricole productif. Il faut s'y recentrer.
Une remarque sur nos outils d'urbanisme : je suis convaincu que les outils que sont les PLU, les PLU intercommunaux (PLUI), construits sur des PADD, peuvent répondre aux attentes des territoires et de leurs élus, dans une approche rationalisée de consommation du foncier, notamment via la réhabilitation des bourgs-centres et de leur périphérie. Il y a là, pour moi, un axe pertinent, qui aiderait tant à préserver la surface agricole productive qu'à répondre aux objectifs légitimes d'accueil de populations nouvelles sur nos territoires ruraux. C'est une question nationale, qui touche la plupart de nos bourgs, dont les centres sont souvent désertés, et dont la réhabilitation, certes onéreuse, serait le moyen d'accueillir une population nouvelle. Le problème est le même que dans les centres-villes anciens. C'est un vrai sujet, que n'aborde pas la proposition de loi. S'y atteler nous ferait pourtant progresser collectivement, dans le sens des objectifs que se donne cette proposition de loi.
M. Michel Houel. - La paupérisation est partout, y compris en Ile-de-France. La Seine-et-Marne, dont je suis l'élu, et qui représente la moitié du territoire de la région, comprend des secteurs en voie de paupérisation. Parmi nos 400 communes de moins de 2 000 habitants, toutes les petites communes rurales de l'est du département sont concernées. Ceux qui y habitent doivent faire 80 à 100 kilomètres par jour, dans les conditions que l'on connaît, pour aller travailler. La loi Alur, avec la règle des fameux 300 mètres carrés, nous a fait beaucoup de mal. Cela ne laisse pas la place, lorsque l'on construit, de prévoir un emplacement de parking. Si bien que les véhicules se retrouvent sur le trottoir, avec les difficultés que l'on sait pour se garer le week-end.
Je soutiens donc pleinement cette proposition de loi. Il ne faut pas croire que seuls les territoires ruraux reculés sont abandonnés. En Ile-de-France, dans un département qui compte 1,4 million d'habitants, des zones sont touchées, qui méritent d'être soutenues.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Je voterai ce texte. Dans notre diable de pays, on ne cesse d'imaginer des dispositifs qui s'appliquent à tous, quelles que soient les situations locales. Nous sommes tous les observateurs de ce qui se passe chez nous : entre le prix du mètre carré à Biarritz et celui qui a cours à Estérençuby, il y a un gouffre. Les problématiques ne sont pas les mêmes. Je persiste à dire que la préservation du foncier agricole est un objectif pertinent, mais que la question se pose de façon absolument différente selon les lieux. Or, souvent, cet objectif devient un alibi qui nous empêche d'avancer. Les prélèvements fonciers problématiques concernent en priorité les terrains proches des zones urbaines, en première et en seconde couronne. C'est là qu'il y a des besoins ; c'est là que les paysans vendent très cher le foncier dont ils disposent, oubliant que c'est un fusil à un coup.
Dans nos départements, il y aura, à proche échéance, de la déprise agricole. Tout simplement parce que faire de la céréale à un prix de vente au quintal en dessous du prix de revient finit par être dissuasif... Tout débat autour des prélèvements fonciers doit donc se mener avec un minimum de précaution. Je suis persuadé que ces prélèvements ont des visages très divers, et ce n'est pas derrière cela que l'on doit s'abriter, au risque de s'interdire d'avancer. Il faut donner un peu de pouvoir, un peu de liberté aux acteurs. Entre une loi qui contraint et des espaces de liberté qui favorisent les initiatives, je préfère la seconde voie. Les possibilités qui seront offertes permettront peut-être à un agriculteur isolé de se diversifier un peu, de créer un atelier, de présenter ses propres produits. Je pense sincèrement utile que dans les secteurs les plus difficiles, on autorise l'initiative, et c'est pourquoi je voterai ce texte. La solution des collectifs, dans nos zones, est non seulement inappropriée mais destructrice de la culture française. N'allons pas nous embarquer dans des affaires qui ne marcheront pas.
Le mitage ? Les situations sont différentes selon que l'on se trouve en zone céréalière ou d'élevage. En zone d'élevage, comment empêcher un agriculteur de chercher à s'installer à proximité de son atelier, sauf à favoriser des ateliers hors sol, installés en zone urbaine ? Ce n'est pas là notre objectif.
Enfin, n'oublions pas que la loi encourage les PLUI et que les communautés de communes, devenues plus puissantes, imposeront leur document, quelle que soit la différence entre les zones sur lesquelles elles s'étendent. Il faut en tenir compte.
M. Ladislas Poniatowski. - Cette proposition de loi a le mérite de mettre les pieds dans le plat, mais elle ne répond absolument pas à toutes les situations. Je m'explique. La ruralité, dans certains coins de France, qui ne se limitent pas à l'Ardèche ou à l'Ariège, est en train de mourir. Même en Ile-de-France, a insisté Michel Houel, la paupérisation gagne. C'est très révélateur.
Toutes les dispositions récentes, qui ont conduit au regroupement des communautés de communes, aux créations de communes nouvelles, ne sont pas une solution pour les zones rurales qui rencontrent des problèmes. Elles accélèrent la disparition d'un certain nombre de services publics. Lorsque l'on regroupe des communautés de communes, certaines administrations en profitent pour supprimer des services. Les banques, aussi, suppriment des agences. Quant aux regroupements d'écoles, ils vont s'accélérer.
Daniel Dubois a eu raison d'insister sur la question du renouvellement démographique. Ce ne sont pas seulement les jeunes qui se détournent des zones rurales, les plus âgés, aussi, préfèrent aller s'installer où ils trouvent des médecins, des équipements de sécurité. Or, les médecins disparaissent des zones rurales. Et les pharmacies, si l'on en croit le rapport sorti la semaine dernière, suivent la même pente.
Mettre clairement le doigt sur ces réalités et tenter de trouver des solutions est une bonne chose, mais les réponses apportées dans ce texte ne peuvent valoir partout. Un exemple, dans la région PACA, tandis que le bord de mer fait face à une explosion touristique, l'arrière-pays compte bien des zones pauvres et menacées. Or, la loi s'applique à tous. L'idéal serait de pouvoir faire son marché, de mettre en oeuvre des idées s'appliquant à certains territoires et pas à d'autres. La tâche ne sera pas facile. Réintroduire la PVR dans certaines zones rurales, d'accord, mais sans pour autant remettre en cause l'ensemble des règles d'urbanisme du pays. L'exercice n'est pas facile, mais cela dit, bravo d'avoir mis les pieds dans le plat.
M. Martial Bourquin. - J'appelle l'attention sur le foncier agricole. Les Safer, qui ont été entendues, s'inquiètent beaucoup de ce texte. Comment aider à construire dans le rural, telle est la question posée. Il s'agit de ne pas y répondre n'importe comment. Il existe des règles en matière d'urbanisme. Beaucoup de communes ont mis en place des cartes communales, des SCoT s'établissent dans des zones qui ne sont pas seulement urbaines, la qualité de nos villages mérite d'être préservée : si l'on fait n'importe quoi, on s'expose à l'étalement, au mitage. Sur de tels sujets, le remède est souvent pire que le mal. Les questions posées sont bonnes, mais les réponses ne sont pas toujours adaptées. Je connais des communes rurales passées de 500 à 2 000 habitants. Cela suppose une stratégie d'aménagement du territoire qui ne passe pas uniquement par l'habitat mais prenne en compte l'emploi, les services, les voies de communication, le numérique. En matière d'habitat, il est une autre voie, qui peut être empruntée par les communautés de communes, pour donner les moyens à des communes de mettre en place des politiques. Cela peut passer, par exemple, par la construction de logements sociaux dans un centre-bourg, qui du même coup y ramènent du commerce. Tout autre chose est d'envisager d'assouplir les règles de construction dans les zones naturelles : on ne sait pas jusqu'où cela nous mènera.
Ceci pour dire que la proposition de loi qui nous est présentée comporte tellement d'incertitudes que nous ne pouvons pas la voter.
M. Joël Labbé. - On ne se penchera jamais assez sur la question de la ruralité et de son développement. La terre agricole, terre nourricière, doit être préservée, que ce soit en zone rurale ou en périphérie de villes. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille se montrer obtus.
Le risque de financiarisation des terres agricoles, un sujet sur lequel je travaille et dont nous parlerons bientôt, pose la question de l'agriculture familiale. Laisser notre agriculture basculer dans la financiarisation serait une catastrophe, au-delà même du cadre national, pour l'Europe et pour le monde. Il est essentiel de donner les moyens à l'agriculture familiale de vivre - cela passe aussi, d'ailleurs, par l'agrotourisme, par l'ouverture de chambres d'hôtes rurales.
La question du logement des agriculteurs, et notamment les jeunes, est elle aussi centrale. Les cantonner aux zones constructibles ne tient pas ; il faudrait trouver une formule qui, tout en autorisant l'aménagement sur l'exploitation, lie le bénéficiaire de l'autorisation, pour éviter que trois ans plus tard, la maison ne soit vendue.
Faisons confiance aux élus, ais-je entendu dire. Mais on sait que les élus locaux - je l'ai été, et j'en ai gardé la fibre - sont sous la pression de leur population. D'où la nécessité de cadrer. J'entends également dire que l'idéal serait, en légiférant, de cibler exclusivement les zones rurales, mais ce n'est pas possible.
Pour toutes ces raisons, je suis encore réservé sur ce texte et je souhaite que nous y travaillions encore, afin que les écologistes puissent le voter.
M. Bruno Sido. - Il est extrêmement difficile de légiférer en la matière, parce que la France a plusieurs visages. Quelle commune mesure entre les villages-rues de l'est de la France et les bourgs resserrés du Midi ? Entre le Morbihan, où l'on manque de terres, et la Haute-Marne, où les exploitations agricoles font des centaines d'hectares, sur lesquels il n'y aura bientôt plus de résidents ? Entre un village qui n'a pas perdu d'habitants et un autre à qui l'on interdit de faciliter l'installation d'un jeune, alors même qu'on n'y a pas construit depuis vingt ans ?
Il faudrait reprendre tout cela - mais cette proposition de loi, déjà sur le métier, nous arrive un peu tard -, afin que la loi reste très générale tout en laissant marge à des adaptations locales, via une réglementation départementale. On aura beau discuter sans fin, on ne trouvera jamais la solution qui convienne à tous, parce qu'aucune zone ne ressemble à une autre ni n'a les mêmes problèmes qu'une autre.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous reprendrons nos travaux après l'audition de Mme Isabelle Kocher, prévue à 10 heures.
La réunion est suspendue à 9 h 57.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous poursuivons notre examen, et passerons aux amendements après la réponse de notre rapporteur aux intervenants.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - L'audition à laquelle nous venons de participer nous en dit long sur les évolutions dans lesquelles nous sommes engagés - révolution technologique, changement climatique... Le moment est opportun de tenter de faire évoluer le milieu rural, et de lui donner la possibilité de se développer. Pour ne parler que des effets du réchauffement climatique, sachant combien dramatiques seraient les conséquences, alors que 80 % de l'économie mondiale est en bordure de mer, s'il dépassait les 2 degrés, on mesure tout l'intérêt à développer des territoires aujourd'hui négligés.
J'ai compris qu'Alain Duran était opposé à la plupart de nos propositions, et notamment celles qui touchent à la notion de continuité urbaine. Il est vrai que 50 000 hectares de terres agricoles continuent de disparaître chaque année. C'est bien pourquoi je propose, par voie d'amendement, de resserrer la formulation d'origine de la proposition de loi, un peu large, dans un souci de pragmatisme.
Daniel Dubois, comme toujours animé d'un réalisme pragmatique, a répondu à bien des objections d'Alain Duran, et conforté le sens de cette proposition de loi. Merci à lui. Il a raison de souligner la paupérisation et le vieillissement touchant les territoires ruraux, qui doit tous nous alerter, de même que les injustices dont souffrent ces territoires. Il a également pointé le zèle de l'administration, qui s'exerce de façon très variable selon la personnalité des agents, plus ou moins tolérants.
Michel Le Scouarnec a évoqué les « dents creuses ». Question complexe. Selon qu'il s'agit d'une zone littorale ou d'une zone de montagne, les circonstances et les règles ne sont pas les mêmes. Sans compter qu'il peut s'agir de propriétés privées, sur lesquelles la commune n'a pas la main. Quant à sa préoccupation relative à la taille des parcelles, un article de la proposition de loi y répond.
Merci à Élisabeth Lamure d'avoir souligné l'utilité de ce texte. À ses remarques, je réponds que la CDPENAF continuera de rendre un avis, simple, et que le préfet jouera son rôle. Il faut avoir conscience, je le dis tout net, que certaines des personnalités qui font partie de ces commissions départementales ne s'avisent pas toujours de la réalité des sols ou des besoins de développement du territoire. D'où le passage que nous proposons d'un avis conforme à un avis simple.
Comment définir une « commune rurale » ? demandez-vous. J'avoue qu'il est difficile de se fonder sur un nombre d'habitants : quel plafond retenir, et comment éviter les effets de seuil ? C'est pourquoi j'ai pensé aux critères déjà retenus par un décret du 14 janvier 2013 relatif aux aides à l'électrification rurale, qui prévoit deux seuils cumulatifs : une population totale inférieure à deux mille habitants au regard du dernier recensement en vigueur et un territoire non compris dans une « unité urbaine », au sens de l'INSEE, dont la population totale est supérieure à cinq mille habitants. Cela correspond à ce que l'on vise : les communes rurales de faible densité ne se situant pas dans une zone urbaine importante. L'autre possibilité résidait dans l'application de la loi NOTRe, mais elle tablait sur des moyennes nationales et départementales. Ce qui veut dire que dans un département comme le mien, la Charente-Maritime, dotée d'un littoral attractif, très peuplé, tout l'arrière-pays, à vocation rurale, aurait été pénalisé.
À Franck Montaugé, j'indique que le texte ne remet pas en cause la démarche qui vise à élaborer des PLU ou PLUI intégrés au cadre du PADD. Pour ce qui est de l'aménagement des bourgs-centres, nous apportons une réponse. Quant à leur revitalisation, c'est un vrai sujet, mais que l'on ne saurait traiter au travers de cette proposition de loi. D'autres réponses peuvent être apportées, via l'Anah (Agence nationale d'amélioration de l'habitat) et d'autres organismes.
Michel Houel a souligné que même en Ile-de-France, des communes rurales se paupérisent. Il a émis des critiques sur le critère des 300 mètres carrés de la loi Alur. La proposition de loi recherche justement des solutions mieux appropriées.
Jean-Jacques Lasserre est soucieux de la préservation des terres agricoles, et je sais qu'il plaide pour que pèse l'avis favorable des chambres d'agriculture. Il est vrai qu'elles sont composées pour bonne part d'agriculteurs, qui ont conscience des difficultés.
Je le suis également sur les dangers des PLU intercommunaux. Dans les territoires ruraux, nous sommes réservés, considérant que c'est dans la proximité qu'on agit au mieux et qu'il faut laisser la possibilité aux maires de développer leur territoire. Il est vrai que ce ne saurait être un axiome...
M. Jean-Claude Lenoir, président. - J'avoue que je suis très favorable aux PLU intercommunaux. Mais je conçois qu'il y ait des divergences radicales de point de vue sur la question.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Merci à Ladislas Poniatowski de nous approuver pour avoir mis « les pieds dans le plat ». La ruralité s'affaiblit, on le constate tous les jours, avec l'élargissement des communautés de communes, les communes nouvelles, l'imbroglio de nouvelles lois qui nous handicapent plutôt que de nous rendre service, et la disparition des services publics. Comme je le disais, entre le littoral et l'arrière-pays, l'écart se creuse. Entre la terre et la mer, il faut trouver un équilibre.
Les Safer s'inquiètent de cette proposition de loi, nous alerte Martial Bourquin. Elles nous ont, en effet, fait part de leurs inquiétudes, et nous les avons reçues, pour les rassurer, et leur montrer que nos amendements corrigent les excès initiaux du texte, et tiennent compte des normes environnementales et autres, qui sont protégées.
Nous sommes tous d'accord, Joël Labbé, sur la nécessité de préserver les terres agricoles, avec sens, modération et intelligence. Le logement des jeunes agriculteurs ? Nos propositions le prennent en compte. Les vieux agriculteurs, qui veulent vivre et mourir - le plus tard possible, on les comprend - là où ils ont toujours vécu, ont souvent transmis leur exploitation à leurs enfants, qui ont besoin de se construire une maison à proximité du siège de l'exploitation. Certains sont tentés de dire que l'on n'a pas besoin d'être à proximité d'une exploitation nouvelle pour la gérer. Mais certains autres, comme Gérard Bailly, sont fondés à faire valoir que lorsque l'on a de belles bêtes à soigner, on a besoin d'être sur place. Les cas sont à apprécier. Il faut être conscient, et coopérant, pour permettre à l'agriculteur de s'implanter sur son siège d'exploitation.
Tout à fait d'accord avec Bruno Sido sur la nécessité d'adapter la réglementation à la spécificité des territoires. C'est précisément l'objet de cette proposition de loi.
M. Alain Duran. - J'ai bien compris le propos de notre rapporteur : ses amendements adoucissent, fait-il valoir, la première mouture du texte. Nous nous abstiendrons néanmoins, sauf sur celui qui concerne les coopératives d'utilisation de matériel agricole, intéressant.
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - L'article 2 vise à faciliter le développement des constructions et installations utiles à l'exploitation agricole au-delà de la stricte notion de bâtiment nécessaire à l'exploitation, actuellement en vigueur.
Si l'objectif est bon, puisqu'il s'agit de faciliter la diversification des activités pour assurer la pérennité de certaines exploitations agricoles, la notion de constructions « participant à l'équilibre économique de l'exploitation agricole » ouvre cependant trop largement les possibilités de construction. Les réalisations autorisées doivent rester en rapport direct avec l'activité agricole de l'exploitation, et donc servir à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles lorsque ces activités constituent le prolongement de l'acte de production. Par ailleurs, en cas de diversification vers des activités d'accueil touristique, ces dernières doivent conserver un caractère complémentaire à l'activité agricole, sans devenir prépondérantes.
Mon amendement n° 4 apporte ces deux précisions, qui bornent le dispositif. Il s'agit d'adapter le droit aux nouvelles réalités économiques de l'activité agricole sans rompre pour autant avec le principe selon lequel les zones agricoles doivent être avant tout destinées aux activités agricoles.
M. Alain Duran. - Le droit en vigueur autorise déjà les constructions destinées à des activités exercées dans le prolongement de l'activité agricole - vente de produits à la ferme ou hébergement touristique, par exemple. Nous nous abstiendrons.
M. Gérard Bailly. - Je suis cosignataire de cette proposition de loi, mais j'ai cependant deux inquiétudes. Dans ma région, presque tous les agriculteurs ont quitté les villages, déplaçant leur exploitation, la plupart du temps à grand frais. Martial Bourquin, qui connaît bien le Haut Jura, ne me démentira pas. Or, bien souvent, ils ont du se déplacer à nouveau, parce que l'on a laissé l'urbanisation s'étaler : comment étendre une exploitation quand des habitations se sont construites à 100 mètres ? D'où l'amendement que j'ai déposé, et qui vous sera soumis tout à l'heure.
Je suis d'accord sur le fond avec cet amendement du rapporteur, mais je m'inquiète à l'idée que les hébergements touristiques dont on va autoriser la construction pourraient être un jour vendus à une tierce personne, ce qui signifie que l'agriculteur ne pourra plus étendre son exploitation. Alors que 90% des exploitations sont amenées à s'agrandir, se heurter à un voisin ronchon peut être un vrai empêchement.
Autre remarque. On voit désormais des bâtiments se construire dans tous les anciens jardins de nos villages, au motif de ne pas empiéter sur les terres agricoles. Mais qu'appelle-t-on ainsi ? Quand, à l'orée d'un village comme le mien, on trouve quatre hectares d'un mauvais terrain qui n'est pas même propre à y faire paître des moutons, on n'a pas le droit d'y construire sous prétexte qu'il est à 300 mètres !
M. Gérard César. - Cet amendement, qui assouplit les dispositions de la loi Alur, est très important. Dans mon village, un jeune agriculteur a ouvert des chambres d'hôte « trois épis ». Or, le PLU lui interdit la construction d'une piscine, parce qu'il est en zone agricole. Il faut mettre un peu de souplesse et d'intelligence dans les textes, car l'interprétation qu'en fait à l'heure actuelle la DDT contredit souvent notre volonté de législateurs.
M. Marc Daunis. - Je confirme ce qu'a dit Alain Duran, les extensions sont déjà autorisées par la loi.
Pour rebondir sur ce qui vient d'être dit, je rappelle que lorsque l'on travaille en législateur, on n'aboutit jamais à des solutions parfaites, car la loi est générale, mais s'applique à une réalité complexe. À quoi sommes-nous invités ? A trouver une démarche prenant en compte cette complexité, tout en générant le moins possible d'effets nuisibles. Or, à peser les bénéfices et les risques de cette proposition de loi, on se rend compte que la balance est déséquilibrée : ce texte ouvre des brèches qui pourraient se révéler extrêmement dangereuses. Je rejoins en cela mes collègues Duran et Bailly. Et à Gérard César, je réponds que c'est justement par une révision du PLU, dans la confiance faite aux élus locaux, que le type de problème qu'il soulève peut se résoudre.
M. Gérard César. - La DDT ne veut pas !
M. Marc Daunis. - Au lieu de quoi, pour ne résoudre que quelques cas, vous envisagez des aménagements qui pourraient se révéler très dangereux.
Mme Élisabeth Lamure. - Pour revenir à l'amendement, comment circonscrire ce qu'est une installation « utile » à l'exploitation, par opposition à une installation « nécessaire » à l'exploitation ? La rédaction retenue ouvre à mon sens beaucoup trop largement la faculté de construire : je m'abstiendrai.
L'amendement n° Com-4 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article additionnel après l'article 2
M. Daniel Laurent, rapporteur. - L'amendement n° 2 vise à permettre aux coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) de bénéficier de la dispense de recours à un architecte pour les constructions à usages agricoles inférieurs à 800 m². Avis favorable.
L'amendement n° Com-2 est adopté et devient article additionnel.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Mon amendement n° 5 procède à plusieurs aménagements. Ses 1°, 2° et 3° suppriment la notion de dépendance, qui n'est pas définie en droit de l'urbanisme, pour ne conserver que celle d'annexe. Ils précisent par ailleurs que ces annexes doivent être situées à proximité du bâtiment principal, afin d'éviter le mitage.
Son 4° étend aux cartes communales le bénéfice de mon amendement à l'article 2 - qui ne visait précédemment que les territoires soumis au RNU ou couverts par un PLU. Ainsi pourront être autorisées dans les parties non urbanisées des cartes communales les constructions et installations utilisées en vue de la transformation, du conditionnement et de la commercialisation des produits agricoles et celles destinées à une activité d'accueil touristique. Son 5°, enfin, soumet lesdites constructions et installations à l'avis de la CDPENAF.
M. Alain Duran. - Autoriser de nouvelles constructions en zone naturelle agricole hors tout document d'urbanisme nous paraît très dangereux. Comme l'a souligné Marc Daunis, c'est une bombe à retardement. Nous voterons contre l'amendement.
L'amendement n° Com-5 est adopté.
M. Gérard Bailly. - Mon amendement n°1 vise à éviter que les projets d'extension des exploitations agricoles ou forestières ou des sociétés passant en groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) ne soient rendues impossibles par les règles d'urbanisme.
M. Marc Daunis. - Vous allez finir par tuer l'agriculture !
M. Daniel Laurent, rapporteur. - L'article 2 apporte une réponse adaptée, puisqu'il autorise les constructions et installation nécessaires à l'exploitation agricole au sens large. L'amendement est satisfait : retrait ?
M. Gérard Bailly. - Je visais les extensions futures, qui ne sont pas mentionnées.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - En tout état de cause, la rédaction de cet amendement demanderait à être revue.
M. Gérard Bailly. - Je le retire, et le retravaillerai d'ici à la séance.
L'amendement n° Com-1 est retiré.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 4
L'article 4 est adopté sans modification.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Mon amendement n° 6 a pour objet de recentrer le dispositif proposé par l'article 5, dont la rédaction initiale pouvait laisser entendre que le principe de construction en « continuité » du bâti existant dans les zones de montagne était de fait totalement aboli. Or, cette règle doit être conservée dans son principe afin de préserver ces zones d'un mitage plus important de l'espace.
Le dispositif porterait dès lors sur les seules opérations d'aménagement ou les opérations d'acquisition foncière déjà effectuées, à la date de la promulgation de la présente loi, sur des terrains qui, dans un ancien état de la réglementation des sols applicable dans des communes précédemment situées en zone de montagne, avaient été ouverts à l'urbanisation. Il s'agit de garantir un bon usage des deniers publics en faisant en sorte que des investissements publics, souvent lourds, déjà réalisés servent effectivement à l'urbanisation. L'exception, très circonscrite, visant à tenir compte d'opérations passées, serait à ce titre mentionnée à l'article L. 122-7 du code de l'urbanisme. C'est ce que vous expliquait Jacques Genest dans son propos introductif.
L'amendement n° Com-6 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Mon amendement n° 7 a deux objets. D'une part, il tend à prendre en considération, pour la détermination des objectifs de modération de la consommation de l'espace et de lutte contre l'étalement urbain, non seulement la taille des parcelles, mais également l'implantation du bâti existant sur celles-ci, afin que ces objectifs soient définis au plus près des réalités locales. D'autre part, il tend à mieux définir la notion de « commune de faible densité démographique » par référence aux règles d'éligibilité aux aides à l'électrification rurale, ainsi que je m'en suis expliqué.
M. Gérard Bailly. - Qu'entend-on par « taille des parcelles » ?
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Il s'agit de tenir compte de la taille des parcelles dans le chiffrage des objectifs de consommation d'espace qui doivent figurer dans le PADD : lorsque des constructions sont implantées sur des parcelles vastes, la partie non construite de ces parcelles ne doit pas nécessairement être considéré comme un espace à consommer et donc être inclus dans ce chiffrage.
M. Gérard Bailly. - Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela manque de précision.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Il s'agit d'éviter un biais qui se rencontre en pratique dans le calcul de la consommation d'espace.
M. Daniel Gremillet. - L'idée est bonne, mais la rédaction proposée ne règlera rien. Une personne qui achète une parcelle sera certes limitée dans le bâti, mais le reste de la parcelle n'en gardera pas pour autant vocation agricole. La solution n'est pas simple à trouver, car on ne saurait porter atteinte au droit de propriété, mais je partage votre souci.
M. Jacques Genest, auteur de la proposition. - Quand on fait le PADD, on considère le bâti existant. Dans nos communes rurales, les maisons sont bâties sur des parcelles de 300 à 400 mètres carrés. Il s'agit d'éviter que s'applique bêtement une règle automatique, et de tenir compte du passé. Ce sont essentiellement les zones de montagne qui sont concernées.
Mme Anne-Catherine Loisier. - J'estime que vous placez le curseur un peu bas dans la définition de la commune « de faible densité ». A 2 000 habitants, on exclut tous les bourgs dans lesquels sont installés de petits commerces, qui participent à l'attractivité d'un territoire. Je crains un effet d'éviction : les gens ne s'installeront plus dans ces bourgs, mais dans les villages alentour. Je n'ai pas de solution, mais je constate que les bourgs qui comptent entre 2 000 et 3 500 habitants se trouvent dans un vide : ils ne sont considérés ni comme des bourgs d'appui, le seuil étant fixé à 3 500 habitants, ni comme des territoires ruraux puisqu'ils comptent plus de 2 000 habitants.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - On se heurte souvent à des difficultés avec des seuils, mais pas en l'espèce. Le décret relatif aux aides à l'électrification sur lequel je me suis fondé pour retenir ce seuil de 2 000 habitants prévoit que ces aides peuvent être étendues, par arrêté motivé du préfet, sur le territoire des communes dont la population totale est inférieure à 5 000 habitants, compte tenu notamment de leur isolement ou du caractère dispersé de leur habitat. La rédaction que je vous propose renvoyant à ce décret, les communes répondant aux conditions ici décrites pourront bénéficier de cette dérogation. Cela dit, je propose de retirer l'amendement, qui ne règle pas parfaitement les difficultés de formulation de l'article 6. Je vous proposerai un nouvel amendement afin de mieux préciser les choses.
L'amendement n° Com-7 est retiré.
L'article 6 est adopté sans modification.
Article 7
L'article 7 est adopté sans modification.
Article additionnel après l'article 7
M. Daniel Laurent, rapporteur. - On ne peut pas se mettre d'accord sur un projet urbanistique intercommunal tant que les frontières des intercommunalités ne sont pas arrêtées. Dans ces conditions, le délai du 27 mars 2017 pour élaborer le PADD paraît irréaliste. Je suis donc sur le principe, favorable à l'amendement n° 3, qui l'allonge au 31 décembre 2017. Toutefois, force est de constater qu'il est sans lien évident avec le texte en discussion... Retrait, sinon défavorable.
M. Alain Duran. - Le projet de loi égalité et citoyenneté en cours d'examen devrait y pourvoir, en assouplissant ce calendrier.
L'amendement n° Com-3 n'est pas adopté.
Article 8
L'amendement de cohérence n° Com-8 est adopté.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Mon amendement n° 9 vise à élargir le périmètre actuel de la PVR, afin d'autoriser une répartition de la participation entre les propriétaires de terrains qui, bénéficiant de la desserte, seraient situés jusqu'à 150 mètres de la voie. Le texte initial excluait les terrains situés entre zéro et 60 mètres, ainsi que ceux situés à plus de 80 mètres. Je propose, pour plus de cohérence et de lisibilité, de lisser la mesure de zéro à 150 mètres.
L'amendement n° Com-9 est adopté.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - L'article 8 prévoit le rétablissement de la participation pour voiries et réseaux (PVR) dans son régime antérieur au 1er janvier 2015. Il omet cependant de prévoir, à l'instar de ce qui existait auparavant, la possibilité d'exempter de PVR, lorsque la décision a été prise de l'instituer dans la commune, les opérations de construction de logements sociaux. Mon amendement n° 10 y remédie.
L'amendement n° Com-10 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Mon amendement n° 11 tend à rendre impossible, comme c'était le cas avant le 1er janvier 2015, un cumul du taux majoré de la taxe d'aménagement - qui peut aller jusqu'à 20 % - avec la participation pour voiries et réseaux, la PVR, dans les secteurs où elle est instaurée. Il reviendra donc à la commune ou à l'EPCI compétent de choisir, selon l'opération d'aménagement envisagée, entre l'un ou l'autre de ces dispositifs. En tout état de cause, la PVR restera cumulable avec le taux normal de la taxe d'aménagement - fixé selon les secteurs entre 1 % et 5 %.
L'amendement n° Com-11 est adopté.
L'amendement de cohérence n° Com-12 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Mon amendement n° 13 supprime l'obligation, instituée par le c) du 3° de l'article 10, de faire figurer dans l'autorisation d'urbanisme le montant de la participation pour équipement propre.
Il est indispensable que l'exigence d'une réalisation d'un équipement propre figure dans l'autorisation d'urbanisme; et c'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut comprendre les dispositions de l'article L. 332-15 du code de l'urbanisme.
En revanche, il est difficile, sinon impossible, de connaître, dès la délivrance de l'autorisation, le montant exact qui devra être acquitté par le bénéficiaire au titre d'un équipement propre. Dans ces conditions, imposer cette mention de la contribution qui devra être supportée au titre de l'équipement propre dans l'autorisation s'avèrerait irréalisable en pratique. Il semble donc préférable de la supprimer.
M. Marc Daunis. - On ne cesse de dire que la loi est trop bavarde, qu'elle modifie trop souvent les règles du jeu, qu'il faut simplifier. Nous avons créé un groupe de travail sur la simplification des règles d'urbanisme, dont je suis co-rapporteur avec François Calvet, pour tenter de simplifier le droit des sols et de la construction, et voilà qu'ici, nous ajoutons de la complexité. Il y a là un phénomène de schizophrénie, qui nous atteint tous.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je nuancerai ce propos. Si l'on n'est pas assez précis, ceux qui appliquent la loi que nous votons prennent des libertés. Voyez la loi SRU : les circulaires d'application vont à l'inverse de nos voeux, parce que le texte est resté trop vague.
M. Marc Daunis. - Rien ne nous interdit d'exercer notre contrôle sur la mise en oeuvre de la loi.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Sur les questions d'urbanisme, j'estime que nous avons tout intérêt à aller assez loin dans le détail, si l'on veut que nos intentions de législateur soient respectées.
L'amendement n° Com-13 est adopté.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Mon amendement n° 14 supprime le gage financier prévu pour la recevabilité de la proposition de loi. Les dispositions de ce texte ne créent pas de charge nouvelle ni n'entraînent une perte de recettes pour l'Etat ou les collectivités territoriales.
L'amendement n° Com-14 est adopté, et l'article 11 est supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts des amendements sont repris dans le tableau ci-dessous :
Audition de Mme Isabelle Kocher, directeur général d'Engie
M. Jean-Claude Lenoir. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Isabelle Kocher, directeur général d'Engie (ex-GDF-Suez). Elle est accompagnée de M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur de la régulation, Mme Valérie Alain, directeur des relations institutionnelles, M. Raphaël Contamin, chargé de mission auprès du directeur général, et Mme Armelle Dillar, adjointe du directeur du service de presse.
Je rappelle brièvement, Madame la directrice générale, que vous êtes entrée dans le groupe Suez en 2002, au département stratégie et développement, après avoir été, pendant trois ans, conseillère pour les affaires industrielles au cabinet du Premier ministre Lionel Jospin. Vous avez exercé successivement les fonctions de directeur de la performance et de l'organisation de Suez (2005-2007), directeur général de la Lyonnaise des Eaux (2007-2011), directeur général adjoint de GDF-Suez en charge des finances (2011-2014) avant d'être nommée, en novembre 2014, directrice générale déléguée en charge des opérations dans l'optique de succéder à M. Gérard Mestrallet comme dirigeant exécutif du groupe, ce qui est désormais chose faite depuis le 3 mai dernier.
Depuis 2002, vous êtes donc au coeur des transformations de ce groupe, avec pour symbole le changement récent de son nom commercial et pour ambition d'en faire l'un des leaders mondiaux de la transition énergétique. Dans vos précédentes fonctions, nous avions eu l'occasion de vous entendre au cours d'une réunion organisée par le groupe d'études sur l'énergie et nous avions été frappés par votre volonté de donner une orientation très forte en faveur des énergies renouvelables et, en particulier, du photovoltaïque.
Vous avez défini un nouveau projet d'entreprise à trois ans qui privilégie les investissements dans les activités peu émettrices de carbone, vise à réduire votre exposition aux variations de prix des produits de base et doit vous permettre de proposer à vos clients des solutions innovantes et intégrées. Dans ce cadre, vous avez décidé des cessions importantes d'actifs thermiques aux États-Unis, en Inde ou en Indonésie et engagé l'accélération de vos investissements dans les énergies renouvelables, à l'étranger comme en France. Je rappelle que votre groupe est déjà leader en France dans l'éolien et le solaire, grâce à ses filiales La Compagnie du Vent et SolaireDirect, et qu'Engie occupe aussi une place importante dans l'hydraulique, au travers de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) ou de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM). De plus, vous venez d'annoncer l'acquisition d'une participation majoritaire dans l'entreprise californienne Green Charge, spécialisée dans le stockage dans des batteries. Nous recevions la semaine dernière M. Patrick Pouyanné, président-directeur général de Total, et le parallèle entre vos deux groupes est notable : en particulier, Total a racheté l'entreprise Saft spécialisée dans les batteries, ce qui est fondamental pour développer les énergies renouvelables.
Pour accompagner cette évolution, vous avez réorganisé l'entreprise autour de 24 entités opérationnelles réparties par territoire, et non plus par métier, et annoncé une réduction des coûts nets d'un milliard d'euros d'ici trois ans. Comment ces orientations se traduisent-elles concrètement, surtout en termes d'emplois ?
Enfin, l'attention de l'opinion ayant été appelée sur le compteur Linky dont l'installation suscite un débat - que j'estime pour ma part surprenant - sur d'éventuels risques encourus, pourriez-vous nous dire quelques mots de son équivalent en gaz, baptisé Gazpar, dont le déploiement dans 24 communes pilotes débute cette année, avant sa généralisation entre 2017 et 2022 ?
Mme Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie. - Je vous remercie de votre accueil et constate que votre connaissance du sujet vous a d'ores et déjà permis de résumer l'essentiel. Votre invitation me donne l'occasion de dire d'abord un mot du secteur dans lequel nous évoluons - en faisant ressortir la singularité du cas français - avant de vous présenter les principales orientations stratégiques de notre groupe.
Engie, qui est présent dans 70 pays, vit dans un monde qui connait une véritable révolution industrielle, et le mot de transition énergétique parait bien trop faible pour caractériser les transformations profondes qui sont à l'oeuvre, non seulement dans les structures économiques mais aussi et surtout dans les esprits. Nous avons connu dans l'histoire beaucoup de défis régionaux : par exemple, dans le secteur de l'eau, un enfant meurt dans le monde toutes les 18 secondes en buvant de l'eau insalubre. Pour autant cela n'a pas entraîné de mobilisation planétaire des moyens scientifiques et financiers pour résoudre ce problème spécifique à certaines régions du monde, tandis que le changement climatique concerne tout le monde et suscite, en particulier chez les jeunes générations, une sorte de rébellion pour faire évoluer nos modes de vie. Je rappelle que 5 % du carburant d'un véhicule sert à transporter le passager, tout le reste étant consommé pour faire avancer le véhicule ainsi que les places vides et - autre exemple - que 50 % de l'énergie diffusée dans les bâtiments est perdue.
Il s'agit donc d'une invitation à repenser notre modèle et, selon notre analyse, l'énergie et le numérique sont les deux poumons de cette recherche d'une autre voie car ces deux secteurs ont connu un rythme d'innovations qui ne cesse de s'accélérer depuis 10 ans. Je citerai plusieurs illustrations de ce phénomène. Tout d'abord, dans le photovoltaïque, les prix extrêmement onéreux de production qui atteignaient, il y a quelques années 700 euros le mégawatt-heure (MWh) ont été divisés par dix en France. En Amérique du Sud, nous avons remporté un appel d'offres pour produire à 45 dollars le MWh et nous venons de candidater dans le Moyen-Orient, où les prix sont tombés à 30 dollars. Nous estimons que le solaire est un point de bascule fondamental pour trois raisons : ce réservoir d'énergie est d'abord sans limite - en physique pure, une heure d'ensoleillement représente une année de consommation d'énergie dans le monde ; elle est ensuite répandue partout, certes de manière inégale, et enfin la technologie photovoltaïque s'adapte aux objets et à des formats très variés de petite ou très grande puissance. Pour que cette évolution réussisse, il faut, en premier lieu, améliorer les possibilités de stockage. Dans ce domaine, l'évolution est moins rapide puisqu'en cinq ans, le coût des batteries a été divisé par deux. Nous sommes très attentifs à l'utilisation de l'hydrogène qui permet de stocker l'excès d'électricité par électrolyse et d'optimiser la gestion de l'énergie solaire. Cet ensemble ne fonctionnera que si on développe massivement les objets connectés afin de coupler la production, la consommation ou l'économie d'énergie et le stockage au niveau local. Tout ceci préfigure une infrastructure duale de l'énergie avec le maintien de grands réseaux mais aussi un foisonnement de production d'énergies décentralisées et intégrées aux objets.
Nous allons vers un monde différent où chacun aura accès à l'énergie, alors qu'aujourd'hui plus d'un milliard de personnes en sont privées, tout en respectant les grands équilibres de la planète. Du côté de l'offre, cette évolution sera surtout positive pour les acteurs qui s'adapteront à ce nouveau schéma. Les opportunités d'investissement sont immenses mais la transition n'est pas simple à gérer.
J'en viens à la situation d'Engie qui a décidé d'être un pionnier de cette révolution énergétique à la fois par conviction et par réalisme. Notre approche est triple. La première ligne d'action est d'être parfaitement cohérent du point de vue industriel : nous avons ainsi décidé de stopper la production d'électricité à partir du charbon pour focaliser nos moyens humains et financiers sur les secteurs d'avenir. Dans les trois années qui viennent nous allons transformer notre portefeuille d'activité en cédant 15 milliards d'euros d'actifs, en particulier des centrales de production à partir du charbon, du pétrole ou du gaz, partout où elles sont exposées aux fluctuations des prix de l'énergie. Nous allons reconvertir ces moyens en investissant 15 milliards d'euros pour permettre à nos activités, au terme de ces trois ans, d'être focalisées à 90 % sur des énergies bas carbone ; dans le même temps, 7 milliards d'euros seront alloués à la maintenance de nos usines. Avec ces 22 milliards d'euros d'investissements, Engie aura doublé la taille de ses productions décentralisées. Je fais observer que notre groupe, qui, selon l'idée reçue, apparaît comme un opérateur centré sur de très grandes unités de production emploie, en réalité, deux tiers de ses 150 000 collaborateurs dans les services. Nous allons également nous immuniser des fluctuations des prix de l'énergie : l'objectif est qu'en 2018 85 % de notre résultat d'exploitation ne dépende pas de ces variations. Aujourd'hui, les prix de l'électricité, du gaz et du pétrole sont directeurs et cela complique le pilotage du groupe. Il s'agit donc de privilégier des modèles d'affaires contractés ou régulés dans lesquels notre réussite dépendra de notre seule performance économique.
Notre deuxième orientation consiste à accélérer notre transformation technologique. Pour la mettre en oeuvre, nos actionnaires ont accepté une diminution du dividende d'un tiers afin d'investir massivement à cinq et dix ans, à hauteur d'1,5 milliard d'euros, dans le digital orienté vers la transition énergétique. Nous sommes en train de créer « Engie Tech », c'est-à-dire une plateforme permettant de développer un éco-système de partenaires et abritant une usine de production de logiciels qui sera au centre de nos activités.
Enfin, notre troisième orientation vise à adapter la structure du groupe, voire même à changer sa culture tant la gestion d'un foisonnement d'installations très locales, en lien direct avec des clients qui souhaitent désormais être aussi des acteurs, diffère du modèle passé des grandes centrales. Tout cela implique un immense changement en interne afin que la communauté de nos collaborateurs porte cette nouvelle configuration. Un certain nombre d'entre eux devront changer de métier et nous consacrerons 100 millions d'euros par an à la formation pour gérer cette « bascule ».
Je termine ici mon exposé liminaire pour pouvoir évoquer, dans le jeu des questions-réponses, la situation particulière de la France dans ce schéma stratégique.
M. Ladislas Poniatowski. - Nous avons bien entendu votre message sur la transition énergétique qui a d'ores et déjà été abondamment diffusé dans les médias. Soyons réalistes, Engie reste cependant très diversifié et un leader dans la production d'électricité à partir du gaz. Vous demeurez également présent dans le nucléaire, et à ce sujet, pouvez-vous rappeler de quels réacteurs vous disposez et si vous comptez ou non réduire cette activité ? En particulier, par quoi remplacerez-vous la centrale belge qui vient de fermer pour alimenter les particuliers et les entreprises - à moins qu'elle n'ait redémarré ? En second lieu, Engie est le plus grand distributeur de gaz en France et, tout comme le pétrole importé, il semble bien impossible, en analysant sa composition, de déceler son origine... C'est pourquoi j'ai entendu avec beaucoup d'étonnement la ministre en charge de l'énergie vous enjoindre de stopper les importations en provenance de zones de productions de gaz de schiste. Comment allez-vous appliquer cette prescription aux méthaniers qui livrent du gaz d'origine mixte ?
M. Roland Courteau. - Engie a de nombreux projets : vous avez inauguré une centrale photovoltaïque en Corse, acheté une entreprise américaine, etc. L'un des principaux enjeux dans le développement des énergies renouvelables est de trouver une solution au stockage de l'énergie. Pour cela, vous avez évoqué plusieurs pistes, notamment l'utilisation de l'hydrogène. La méthanation consiste à transformer les excédents d'électricité en hydrogène par un procédé d'électrolyse, puis à combiner ce produit à du CO2 pour obtenir du méthane de synthèse. Pensez-vous que cette méthode soit une piste à envisager pour développer le stockage de l'énergie ? Je sais qu'il y a un grand pas à faire entre la méthanation et la méthanisation, mais cette dernière méthode présente un potentiel de biomasse considérable, puisqu'elle permettrait d'atteindre des capacités énergétiques de près de 210 TWh ! D'après vos collaborateurs sur le terrain, il serait ainsi possible de créer autant de gaz « vert » que de gaz consommé en France. Partagez-vous ces objectifs et cette ambition ?
Quelle est la stratégie d'Engie concernant le développement de la biomasse ?
Allez-vous vous engager dans le biométhane comme carburant ? Il est plus respectueux de l'environnement, créateur d'emplois sur le territoire, et susceptible de réduire la facture énergétique de la France.
Enfin, la lutte contre la précarité énergétique et hydrique est une responsabilité sociale que nous devons collectivement assumer. Engie a développé un chèque-énergie : est-ce l'unique solution mise en place ? Envisagez-vous un renforcement de la communication envers les bénéficiaires de ce dispositif ?
M. Gérard César. - Je vous remercie pour votre exposé liminaire, particulièrement intéressant à la lumière de la situation économique du pays. Vous avez annoncé vouloir vendre des centrales à charbon pour réinvestir dans les énergies nouvelles : pouvez-vous nous préciser combien de centrales vous comptez vendre ? Avez-vous déjà des acheteurs potentiels ? Il me semble que c'est un produit difficile à vendre...
Par ailleurs, qui sont les actionnaires d'Engie ? Quelle est la part de l'État dans l'entreprise ?
M. Yannick Vaugrenard. - Je tiens à saluer la qualité d'une intervention qui était à la fois technique, financière et philosophique, ce dont je vous remercie. Quand vous commencez par nous expliquer qu'un enfant meurt toutes les 10 secondes dans le monde parce qu'il boit de l'eau non potable, ça interpelle forcément...
Vous avez dit que nous nous dirigions vers un foisonnement de la production locale : voilà une logique bien plus girondine que jacobine... (Sourires) De fait, n'est-ce pas la preuve de la nécessité d'un système de régulation national ?
Notre pays est en train de vivre une révolution numérique et une évolution énergétique considérable et dont l'interconnexion est déjà visible : les objets connectés permettent de plus en plus l'autorégulation par les ménages de leur consommation énergétique. Comment éviter que les hommes et les femmes en situation d'exclusion - et ils sont malheureusement nombreux - ne soient laissés sur le bord du chemin ?
Mme Élisabeth Lamure. - Je souhaite pour ma part vous interroger sur l'orientation de votre groupe en matière de partenariats. Vous avez mentionné la mise en place de partenariats avec des start-ups, mais en France, de nombreuses PME et ETI dans le domaine des énergies renouvelables ont besoin de s'adosser à de grands groupes pour assurer leur développement. Trop souvent, ces groupes achètent des parts pour ensuite orienter les stratégies des petites entreprises, nous en avons malheureusement eu plusieurs exemples récemment... Le savoir-faire de ces entreprises efficaces est capté, puis elles disparaissent. Cela ne s'appelle évidemment pas du partenariat. Quelle est votre vision d'un vrai partenariat ?
M. Joël Labbé. - J'ai moi aussi beaucoup apprécié le côté philosophie et éthique de votre intervention. Peu de femmes occupent des postes comme le vôtre, et une approche féminine apporte beaucoup au débat. Je ne m'étendrai pas sur les gaz de schiste - j'ai eu l'occasion de débattre de ce sujet récemment sur le plateau de Public Sénat face à notre président Jean-Claude Lenoir ! - mais un expert du GIEC m'a indiqué qu'un constat manquait alors à mon intervention : aujourd'hui, 80 % des ressources fossiles doivent rester dans le sol si l'on veut limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C.
Vous avez parlé de l'autre partie du monde, celle qui vit très mal, celle où les enfants meurent. Jean-Louis Borloo s'est engagé avec son projet Énergies pour l'Afrique, ce que je salue et soutiens car c'est une résolution d'actualité et un problème qui devient urgent. Engie se projette-t-elle déjà dans de futurs travaux sur ce continent ? Allez-vous tenter de développer une économie avec l'Afrique et pour l'Afrique ? J'ai bien dit « avec », et non pas « sur le dos de », car je ne parle pas de faire du « fric », mais bien de développer une économie !
M. Bruno Sido. - J'ai beaucoup apprécié votre propos, Mme Kocher - et je dis cela en tant que professionnel des discours ! C'était très... dans le vent ! Très COP 21 !
Vous savez comme moi qu'une entreprise ne vit pas de bonnes intentions, mais d'investissements productifs et de bénéfices. Vous nous avez annoncé la vente de 15 milliards d'euros d'actifs, qui devaient eux-mêmes produire des bénéfices. Vous allez réinvestir l'argent de cette cession d'actifs, en espérant qu'ils produisent au moins autant de bénéfices.
Vous n'avez rien dit du nucléaire : des centrales sont arrêtées car elles ont des fissures, le charbon émet beaucoup de gaz à effet de serre... Pardonnez-moi, j'ai vraiment l'impression d'une tartufferie ! Si l'on suit les recommandations de la COP 21, il faudrait arrêter le nucléaire, fermer les centrales au charbon. Alors que fait-on ? On laisse les autres se débrouiller avec la production, parce que si cela pollue ailleurs, ce n'est plus notre problème ? Où est la cohérence dans cette politique ?!
M. Marc Daunis. - Pour ma part, je partage le point de vue de Joël Labbé sur votre intervention : elle avait un accent de sincérité qui fait du bien...
Le capital d'Engie est aujourd'hui détenu à hauteur d'un peu plus de 32 % par l'État, et à 56 % par le public (actionnaires individuels et investisseurs institutionnels). Cette structure capitalistique peut-elle devenir un problème dans le futur ? Ou au contraire un atout ?
Je souhaite également vous faire part de mon sentiment sur votre groupe : j'ai l'impression qu'il y a une perte de lisibilité et de notoriété d'Engie, en comparaison avec l'image positive dont bénéficiait GDF-Suez. Il semble y avoir beaucoup moins de capillarité avec les territoires...
Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie de votre entreprise en matière de recherche ?
M. Daniel Dubois. - Madame la directrice générale, j'en parlais à mon voisin, j'ai été très impressionné par votre vision et votre stratégie pour Engie. Le groupe effectue une vraie transition, passant d'un métier de producteur à celui d'un prestataire de service, et je pense que cette évolution est liée à l'avancement sur la question du stockage de l'énergie. Vous en avez parlé, mais j'aimerais que vous soyez plus précise. Avec les cessions d'actifs envisagées, vous quittez des investissements rentables pour vous orienter vers une nouvelle stratégie. C'est une décision qui ne se prend pas à la légère, vous pouvez certainement nous en dire un peu plus !
M. Jean-Pierre Bosino. - J'ai moi aussi été très sensible à votre discours philosophique et humain, en particulier sur les enfants qui meurent dans le monde...
Je prolonge la réflexion que vous avez initiée : pensez-vous que le marché seul puisse réguler l'énergie, en France comme dans le monde ?
Les rapports sont inévitables entre Engie et EDF. Pour autant, doivent-ils nécessairement se dérouler uniquement sur le mode concurrentiel ? Peut-on encore se permettre d'être dans la concurrence lorsque l'humanité est confrontée à des problèmes cruciaux ?
Pouvez-vous nous parler de l'évolution des emplois ?
Enfin, j'ai bien entendu votre discours sur le charbon, mais il me semble qu'encore récemment, Engie investissait dans cette filière... Au-delà des annonces qui ont été faites, quelle est la réalité ?
M. Martial Bourquin. - Je salue à mon tour votre vision qui prend en compte la dimension solidaire de l'énergie : c'est très important, et je vous en remercie !
Vous avez évoqué le besoin d'un changement dans le secteur de l'énergie et dans la culture du groupe. Pensez-vous que les élus et l'administration doivent également changer d'attitude ?
Vous avez abordé la question du changement climatique comme une problématique incontournable. L'enjeu, aujourd'hui, est de produire plus d'énergie qu'hier, tout en émettant moins de CO2. Je m'interroge donc sur le rôle du solaire : il irrigue l'ensemble de la planète, sa production ne cesse d'augmenter, et ses coûts vont probablement diminuer. Si la question du stockage est résolue, je crois que ça peut devenir, dans un futur proche, l'énergie bon marché et locale que nous attendons. C'est une vraie question de société.
Je crois que le but de votre intervention était d'affirmer qu'Engie pouvait à la fois être en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique tout en produisant de grandes quantités d'énergie.
Mme Delphine Bataille. - Madame la directrice générale, vous avez clairement fait le choix d'un développement décentralisé, des énergies décarbonées et de l'innovation. Vous prévoyez même la fin des énergies fossiles d'ici quelques décennies, au profit d'énergies renouvelables comme le solaire. Au-delà de cette transition, pouvez-vous partager votre vision du rôle du numérique dans l'énergie du futur ?
Concernant la cession d'actifs, vous avez choisi de vendre vos parts dans les centrales à charbon en Inde et en Indonésie. Cela réduit certes les émissions de gaz à effet de serre, mais également les capacités de production d'électricité d'Engie ! Ce manque sera-t-il compensé à très court terme par une augmentation de la production d'énergies propres, comme le solaire ou l'éolien ?
Pour terminer, pouvez-vous nous préciser quelles entités opérationnelles pourront optimiser leur organisation pour générer le milliard d'euros d'économies visé sur trois ans ?
M. Philippe Leroy. - Juste une question : quel mix énergétique envisagez-vous pour Engie d'ici cinq à dix ans ?
Mme Frédérique Espagnac. - Madame Kocher, j'ai moi aussi beaucoup apprécié votre intervention philosophique, éthique, et féminine ! Cela fait du bien d'avoir une autre vision des choses.
Sur le sujet des énergies renouvelables, Engie a-t-elle l'intention de développer l'hydraulique ? Comment comptez-vous vous saisir les opportunités offertes par la loi de transition énergétique ?
Enfin, vous le savez, le maintien de l'activité hydroélectrique dans la vallée d'Ossau me tient à coeur. Le renouvellement de l'engagement d'Engie y est très attendu...
M. Jean-Claude Lenoir. - L'indépendance énergétique est absolument essentielle pour un pays. Grâce à Engie, nous disposons d'une capacité de stockage, à travers l'hydraulique et le gaz. Quels sont les projets du groupe pour prolonger les réseaux actuels de gaz et augmenter les capacités de stockage ?
J'en viens à la situation de l'Allemagne. Elle a récemment réussi à fonctionner toute une journée sur les seules énergies renouvelables. Pouvez-vous nous expliquer l'organisation du réseau allemand ? L'équilibre entre l'offre et la demande est-t-il atteint ? Comment se déroule la gestion d'une unité de production à partir d'énergies aléatoires ? Enfin, nous connaissons tous les coûts d'installation des infrastructures photovoltaïques et éoliennes : avez-vous un retour sur l'équilibre financier atteint par nos voisins ?
Madame la directrice générale, beaucoup de questions ont été posées : nous vous écoutons maintenant avec attention et intérêt !
Mme Isabelle Kocher. - Commençons par le nucléaire.
Engie est un opérateur important en Belgique. Nous possédons sept réacteurs datant des années 70 et 80, et tous sont en fonctionnement. Deux tranches ont été arrêtées pendant 18 mois, car nous avions découvert une inclusion anormale d'hydrogène dans l'acier des cuves. Nous avons réuni des experts, qui ont conclu que cette inclusion était apparue au moment du refroidissement du métal lors de la formation des cuves. A la même époque, des problèmes, bien que de nature différente, étaient également rencontrés à Tricastin. Le fabricant des cuves a livré de nombreux opérateurs. Nous sommes les seuls - et j'insiste sur ce point - à avoir arrêté les centrales le temps de mener les études, et à avoir attendu les résultats de l'autorité de sûreté belge avant de relancer la production. C'est un gage du sérieux d'Engie et de la fiabilité de nos infrastructures.
Par ailleurs, trois de nos réacteurs viennent de voir leur autorisation de fonctionnement renouvelée pour dix ans. Nous avons déjà lancé les investissements nécessaires à ce prolongement pour une des tranches, et nous ferons de même pour les deux autres dès lors que le cadre économique et régulatoire dans lequel se feront les investissements aura été adopté par le Parlement belge. Cela devrait intervenir d'ici au 31 juillet.
Le nucléaire est une technologie très sûre, de grande qualité, et l'investissement pour le prolongement de cette filière est donc tout-à-fait sensé ! Il est d'ailleurs marginal au vu du coût, pour le consommateur, de l'énergie produite. En attendant une nouvelle tranche technologique, il faut savoir cultiver ses points forts historiques. Le nucléaire continuera donc à faire partie de notre mix.
Quant au nucléaire neuf, nous avons deux projets au Royaume-Uni et en Turquie, mais ils n'en sont qu'à leurs prémices, et nous suivons avec attention les développements à Hinkley Point.
J'en viens aux questions sur le gaz. Engie est l'un des plus grands spécialistes mondiaux du gaz, notamment en termes d'expertise et de gestion des infrastructures (réseaux de transport et de stockage, jusqu'aux terminaux). Nous sommes finalement assez peu présents dans la production.
Il y a aujourd'hui deux problématiques autour du gaz : le gaz de schiste, et le « verdissement » du gaz.
Nous considérons le gaz comme le meilleur ami de la transition énergétique car il offre une excellente bande de continuité entre les différents systèmes de stockage. En effet, nous pouvons en réguler le rythme, le profil, et il est particulièrement flexible.
Il faut actuellement quarante minutes pour démarrer une usine de production d'électricité à grande échelle à partir de gaz. Quarante minutes ! C'est incroyable, et inédit. L'hydraulique est également très facile à réguler, c'est une des grandes forces de cette énergie.
Le gaz est donc un élément-clé du dispositif, mais il faut maintenant le verdir en injectant des biogaz (issus de la fermentation des déchets agricoles ou domestiques) dans les réseaux. La loi de transition énergétique a fixé un objectif de 10 % à horizon 2030, mais nous pensons qu'il faut, et qu'on peut, faire mieux.
Monsieur Courteau m'a interrogée sur la méthanation, ce mélange d'hydrogène et de CO2. C'est un procédé qui existe, et nous en avons un pilote, baptisé Jupiter 1000, près de Fos. Il ne produira pas à grande échelle à court terme, mais c'est la vitrine d'une solution technique pour laquelle nous devons préparer le développement industriel, afin qu'elle soit opérationnelle d'ici cinq à sept ans.
Concernant le gaz de schiste, je vous confirme que le gaz a certes une odeur artificielle- pour en déceler la présence - mais pas de couleur. Aussi est-il impossible de distinguer le gaz selon qu'il a été produit de façon conventionnelle ou par fracturation hydraulique, les molécules étant rigoureusement identiques. À cet égard, nous n'avons qu'un seul objectif : fournir le marché de façon efficace en diversifiant les sources pour assurer la meilleure sécurité d'approvisionnement possible, y compris en cas de crise majeure comme entre l'Ukraine et la Russie. Cette sécurité d'approvisionnement passe non seulement par le réseau physique - les tuyaux - mais aussi par les terminaux gaziers. Avec le contrat que nous avons signé, le gaz américain représentera, à partir de 2019, 1 % des approvisionnements d'Engie. Une éventuelle interdiction d'importation des gaz de schiste serait extrêmement complexe à mettre en place d'un point de vue technique comme juridique et devrait en tous les cas être discutée à l'échelle européenne.
Notre mix énergétique est diversifié et le restera : du nucléaire, du gaz - qui a vocation à devenir de plus en plus « vert » - et des énergies renouvelables, à commencer par l'hydraulique dont Engie est l'un des grands opérateurs, en France comme à l'étranger ; nous mettons d'ailleurs en service ce mois-ci les dernières turbines d'un très grand barrage au Brésil et nous continuerons à nous développer dans l'hydraulique, dont le potentiel reste très important.
Notre portefeuille d'activités sera composé de trois grandes catégories : la production d'électricité à grande échelle, la gestion des infrastructures de gaz et d'électricité et des solutions décentralisées, le foisonnement de ces dernières étant encore plus exigeant pour des réseaux jusqu'alors conçus en étoile, à partir d'un nombre limité de sites de production, et dont il faudra revoir toute l'organisation pour équilibrer le système.
Notre plan de cessions d'actifs est-il crédible et faisable ? Depuis le début de l'année, nous avons déjà réalisé un tiers du programme en signant pour 5 milliards d'euros de cessions. Sont concernés des actifs de production centralisée de gaz aux États-Unis, pour lesquels nous avons jugé qu'une cession était la meilleure façon de cristalliser la valeur - il s'agit là de notre analyse de groupe, a contrario l'acheteur, qui est un acteur local, entend bénéficier de synergies avec son propre parc -, mais aussi une partie du parc de production d'électricité à partir de charbon en Indonésie et en Inde. Nous trouvons donc des acheteurs et ne sommes pas sous pression, car nous nous sommes donnés trois ans pour réaliser l'ensemble de ces cessions. Notre raisonnement est simple : lorsqu'il s'agit d'un actif lié à des prix de marché qui ont une chance de remonter, nous attendons ; en revanche, lorsque ces prix n'ont pas vocation à rebondir, nous vendons. Notre politique de dividende a d'ailleurs été définie pour laisser un maximum de liberté dans nos choix : en fixant sur trois ans un dividende en montant, et non en pourcentage de résultat - ce qui incite alors à vendre du résultat rapidement -, nous nous laissons le temps de maximiser la valeur de ces actifs pour les réinvestir ensuite. Mais peut-être aurons-nous à constater des pertes de temps à autre.
Avant les deux cessions d'actifs en Asie, le charbon représentait 15 % du mix de production d'Engie ; après ces ventes, cette part tombera à 8 %. Nous préférons désormais focaliser nos ressources pour être les meilleurs sur quelques technologies. Lorsque nous examinons nos centrales à charbon, nous arbitrons de la façon suivante : soit la technologie mise en oeuvre n'est pas convertible ou est en fin de vie et alors nous fermons - comme nous l'avons fait en Belgique et au Royaume-Uni, pour l'équivalent d'1,6 GW de capacité de production ; quand c'est possible et efficace, nous convertissons des centrales pour les alimenter par de la biomasse, comme par exemple près de Gand en Belgique, même si les conditions à réunir sont complexes - qualité des intrants, fiabilisation des volumes, prix, etc. ; enfin, lorsque les centrales sont neuves, de bonne qualité et servent un besoin auquel aucun autre actif ne peut répondre, nous les vendons. Ne nous leurrons pas : 50 % de la production d'électricité est aujourd'hui issue du charbon et de nombreux pays mettront des années pour en sortir.
Je peux aussi rassurer ceux d'entre vous qui s'interrogeaient sur la pertinence d'une stratégie consistant à vendre des actifs rentables pour investir dans des activités dont on ne sait pas ce qu'elles vont rapporter. Les 22 milliards d'euros que nous investissons - 7 milliards en maintenance et 15 milliards en nouveaux développements -, nous les investissons dans des métiers qui existent, pour lesquels nous figurons parmi les meilleurs au monde et qui gagnent de l'argent, qu'il s'agisse de la production d'électricité à partir de gaz et d'énergies renouvelables, des grands réseaux ou des solutions décentralisées chez nos clients.
Dans le même temps, nous procédons à des grands efforts d'économies. Le monde de l'énergie est un secteur très compétitif, ce qui nous oblige à optimiser en particulier le coût de nos fonctions support - et nous en sommes tous là. Le digital doit nous y aider, en permettant de simplifier, de réduire les coûts et d'augmenter la rapidité du fonctionnement.
En outre, la manière dont les actionnaires jugent la qualité d'un portefeuille d'activités évolue très rapidement : il n'est plus question simplement de ce que rapporte un actif mais aussi de la qualité intrinsèque de cet actif, en particulier sur le plan environnemental - il n'est qu'à voir les décisions de grands investisseurs institutionnels d'écarter tel ou tel secteur d'activité de leurs investissements. Aussi la bascule à laquelle nous procédons crée-t-elle de la valeur en elle-même. L'alignement entre les préoccupations économiques, environnementales, la prise en compte de la précarité énergétique ou l'attention portée au consommateur n'est certes pas parfait mais le monde de la finance s'y intéresse désormais et les choses évoluent rapidement.
En matière de technologie, nous avons choisi de porter nos investissements en recherche et développement à un niveau conséquent, 1,5 milliard d'euros. Le rapport de notre groupe à la technologie va changer : dans un monde articulé autour de grandes usines, nous étions de grands experts mais ne possédions pas la technologie, dont nous étions simplement des agrégateurs ; dans un monde d'objets connectés et de solutions décentralisées, il nous faudra maîtriser, à l'issue d'un développement en interne ou via des partenariats, des briques technologiques qui pourraient ne pas être accessibles sur le marché et seraient très différenciantes. Nous travaillons depuis longtemps sur les batteries - notre « batteries lab » permet de tester tous les types de batteries et sert parfois aux fabricants eux-mêmes - et venons d'acquérir la société californienne Green Charge qui est spécialisée dans la conception de solutions intégrées de stockage.
Le numérique va aussi s'intégrer aux infrastructures existantes : en équipant par exemple de capteurs nos réseaux ou nos usines, nous disposerons de données en temps réel qui seront un gisement d'efficacité considérable. Nous serons aussi en mesure de proposer de nouvelles offres : smart grids, Internet des objets, etc.
Madame Lamure, vous m'avez interrogé sur nos partenariats avec les PME. Nous acquérons il est vrai très fréquemment des PME et dans la quasi-totalité des cas, vous n'en entendez jamais parler car les choses se passent très bien. Une fois rachetées, ces entreprises disposent de moyens pour accélérer leur développement. Le plus souvent, elles restent d'ailleurs identifiables à l'intérieur du groupe afin que leur savoir-faire puisse se diffuser dans toutes nos entités opérationnelles. C'est le cas notamment de Solairedirect, société acquise fin 2015 qui dispose d'un savoir-faire très pointu en matière de développement de parcs solaires, de conception, d'assemblage industriel, de recherche de financement et de relation-client.
Nous avons 70 000 fournisseurs en France et le travail que nous leur confions représente l'équivalent de 60 000 emplois, soit le nombre de collaborateurs d'Engie dans le pays. Nous y portons donc la plus grande attention. Ce maillage territorial est une chance, en particulier pour développer des solutions intégrées. Avec environ la moitié de ses effectifs en France et des infrastructures réparties, par définition, sur l'ensemble du territoire, Engie est donc très ancrée sur le plan national. Nous sommes aussi très présents dans les services, la gestion des bâtiments, l'éclairage public ou les réseaux de chaleur et de froid.
Nous avons une approche territorialisée car ces métiers décentralisés nécessitent la mise en place d'équipes au plus près des clients et qui rassemblent tous les savoir-faire. Nous essayons de mettre en face de nos clients des « architectes » qui disposent d'une palette d'outils et qui sont capables d'assembler les meilleures techniques et solutions au cas par cas.
S'agissant de notre actionnariat, nous sommes un groupe privé, dont la majorité des capitaux sont privés. L'État est actionnaire à hauteur de 32 %. La plus grande partie de nos investisseurs institutionnels sont étrangers, essentiellement Anglo-Saxons (Royaume-Uni, États-Unis), même si on observe une évolution vers des investisseurs d'Asie et du Moyen-Orient. Notre actionnariat n'est pas un problème. Nous avons tous les moyens pour continuer à nous développer avec notre structure actionnariale actuelle.
S'agissant de la centrale électrique de Hazelwood, dans l'État de Victoria en Australie, nous l'avons acquise en 2012 lors du rachat d'International Power. Elle est située dans un État dans lequel la majeure partie de l'électricité vient de ces centrales à charbon. Elle a la particularité d'être située à côté d'une mine à ciel ouvert qui a malheureusement brûlé. Nous examinons tous les scénarios possibles : fermeture, cession ... C'est dans notre plan de sortie du charbon.
La précarité énergétique est un sujet majeur. Les prix de l'énergie ont fortement augmenté, non pour les producteurs mais pour les consommateurs suscitant ainsi leur incompréhension. En effet, ces derniers entendent parler de baisse des prix du pétrole, du gaz et dans le même temps voient leur facture augmenter. Les prix augmentent pour plusieurs raisons : hausse des taxes, hausse des prix du réseau et subventionnement des énergies renouvelables.
Nous essayons d'agir par plusieurs moyens complémentaires. Le chèque énergie est un des moyens de lutter contre la précarité énergétique ; il y a aussi le passeport de rénovation pour l'habitat. Si le prix unitaire de l'énergie augmente, il faut en conséquence essayer de consommer moins d'énergie, en rénovant énergétiquement son habitat par exemple. Nous sommes actifs sur ces questions et nous allons faire un premier retour d'expérience du passeport.
Je reviens sur l'évolution des prix de l'énergie. Si les prix de l'énergie ont augmenté, c'est parce que l'Europe a décidé de lancer un mouvement en faveur du développement des énergies renouvelables. Les États membres, qui ont lancé ce mouvement en pratique, l'ont fait de manière séparée, mal coordonnée et mal calibrée dans le rythme et les volumes, ce qui s'est traduit par une augmentation des prix pour le consommateur.
Vous m'avez interrogée pour savoir quel pouvait être le rôle de régulation de l'État ? Dès lors que ce sont les États européens qui ont lancé ce mouvement, il faudrait que la technologie qui doit être mise en oeuvre soit, autant que faire se peut, développée par les industriels européens. Or, ce n'est pas vraiment ce qui se passe ! Il faut réfléchir aux mesures permettant de fixer en Europe, et si possible en France, les nouvelles filières technologiques. Le régulateur national doit se fixer pour objectif que dans dix ans les sommes d'argent injectées, qui sont considérables, auront permis de constituer des filières technologiques en Europe.
Enfin, sur l'hydroélectricité, la loi de transition énergétique pour la croissance verte et ses mesures d'application contiennent des dispositions utiles.
Nous souhaitons prolonger la concession de la Compagnie nationale du Rhône qui est, je le rappelle, la seule à avoir été ouverte à la concurrence et la seule qui paie une redevance. Sa concession arrive à échéance en 2023. Pour maintenir l'équité, nous souhaitons que la durée de vie de cette concession soit alignée sur la durée de vie moyenne des concessions de nos concurrents. Pour la Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM), nous devrions obtenir une prolongation du contrat en échange de la réalisation de travaux. Nous avons engagé de nombreux échanges avec les régulateurs nationaux et européens pour trouver une solution équitable.
Je pense avoir répondu à l'ensemble de vos questions.
M. Jean-Claude Lenoir. - Nous vous remercions pour votre présentation.
La réunion est levée à 12 h 27.