- Mardi 10 mai 2016
- Mercredi 11 mai 2016
- Renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils - Examen du rapport et du texte de la commission
- Modalités de création d'une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue - Examen du rapport et du texte de la commission
- Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages - Suite de l'examen des amendements au texte de la commission
- Ratification de l'Accord de Paris - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Questions diverses
Mardi 10 mai 2016
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages - Examen des amendements au texte de la commission
La réunion est ouverte à 13 h 30.
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons 278 amendements à examiner, et le Gouvernement continue à en déposer de nouveaux, alors que l'examen du texte en séance publique commence dans quelques heures. Ces conditions de travail ne sont guère satisfaisantes, d'autant que nous aurons aussi deux propositions de loi à examiner demain matin. Je vous propose que le rapporteur se borne à donner son avis sur les amendements, sauf demande expresse de votre part.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Sur les amendements identiques nos 164 et 223, avis favorable sous réserve d'une rectification, consistant à remplacer la première occurrence des mots « dommage subi » par les mots « préjudice écologique. »
Mme Chantal Jouanno. - D'accord.
La commission émet un avis favorable aux amendements nos 164 et 223 sous réserve de rectification.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'amendement n° 279 du Gouvernement est à la fois rédactionnel et de simplification. Avis favorable, sous réserve de parler de l'inventaire du patrimoine naturel, en supprimant « national », par cohérence avec le texte de notre commission. Avis favorable aussi à l'amendement n° 282, qui encourage les associations environnementales et naturalistes à faire des atlas de la biodiversité.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 279 sous réserve de rectification, ainsi qu'à l'amendement n° 282.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'amendement n° 280 du Gouvernement supprime la mission d'évaluation des dégâts causés par les espèces animales protégées. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 280.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n° 81, sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement n° DEVDUR.5. Pour l'immense majorité des juristes, le principe d'une réserve est que les activités humaines en sont exclues. Si des dérogations sont possibles, par exemple pour la chasse, la pêche ou la promenade, l'interdiction doit rester la norme. Ainsi, sur quelques 250 000 hectares de réserves, 50 000 hectares sont interdits à toute activité humaine. L'amendement n° 81 inverse cette logique en faisant de l'interdiction l'exception. Ce serait un bouleversement du droit des réserves, tel qu'il est défini par les lois de 1930 et 1976, qui sont deux piliers de la protection de la nature en France. Pourquoi pas, me direz-vous ? On peut toujours changer d'avis. Mais en l'espèce, ce serait néfaste, à mon avis. Cela dit, la gouvernance des réserves n'est plus adaptée à notre époque, et la deuxième partie de l'amendement est bienvenue, qui prévoit que « pour les réserves naturelles créées à compter du 1er juillet 2016 ou dont le périmètre est modifié à compter de cette même date, ces règlementations et ces interdictions ne pourront intervenir qu'après concertation avec les utilisateurs habituels des territoires concernés. » La concertation est une bonne chose, car elle évite des frustrations.
Le sous-amendement n° DEVDUR.5 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 81 ainsi sous-amendé. Les amendements nos 143, 135 et 263 deviennent sans objet.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements de suppression nos 30, 147 et 187.
M. Charles Revet. - Sujet important, tout de même !
M. Jean Bizet. - Sur lequel il faudra avoir un débat.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Dans le texte d'origine, la finalité environnementale était obligatoire. Le maître d'ouvrage du remembrement peut lui donner la finalité qui convient à son type d'exploitation. Le Gouvernement ajoutait une obligation de finalité environnementale, que nous avons supprimée. Les députés l'ont rétablie, mais sur la base du volontariat. Il n'y a pas lieu d'empêcher celui qui souhaite faire du remembrement à finalité environnementale, puisque cela n'entraîne aucune contrainte.
M. Michel Raison. - Autant invoquer l'article 41 !
M. Jean Bizet. - Le rapporteur nous présente cette mesure sous un jour sympathique, mais pour un propriétaire foncier dont le fermier décide d'une telle orientation, les conséquences économiques peuvent être négatives. Je suis très réservé sur la question.
M. Charles Revet. - Tout dépend de qui décide ! On sait bien comment les choses se passent sur le terrain : outre ceux qui sont concernés par le remembrement, il y aussi autour de la table quantité d'organismes qui veulent imposer leurs vues - comme pour les documents d'urbanisme ! Voulons-nous d'une norme supplémentaire ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - C'est une norme facultative, ne confondons pas obligation et faculté !
M. Michel Raison. - Si nous ne l'inscrivons pas dans la loi, cette faculté n'existera pas moins.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Il y a plusieurs options.
M. Charles Revet. - Qui décide, en somme ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'association foncière, le propriétaire, qui choisit de faire un remembrement à finalité économique, ou environnementale...
M. Charles Revet. - Un remembrement se fait souvent pour une commune entière et peut concerner dix, vingt, cinquante propriétaires ! Si c'est le conseil municipal qui décide, très bien. Mais il faut le préciser.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 30, 147 et 187.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'amendement du Gouvernement n° 289 revient sur un amendement que nous avons adopté, qui repousse d'un an la date d'entrée en vigueur des mesures destinées à améliorer l'évaluation de la performance environnementale des projets commerciaux soumis à autorisation d'exploitation. Avis défavorable : les professionnels du secteur souhaitent ce report.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 289.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'amendement n° 255 est satisfait par l'alinéa 81 : le calcul de la redevance tient compte de la profondeur de l'eau, de la distance du gisement par rapport à la côte et des dépenses consenties pendant la période d'exploration et de développement. Retrait ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n° 244, sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement n° DEVDUR.6 car la notion de « navigation ponctuelle », tout comme celle de « navigation fréquente », n'est pas claire d'un point de vue juridique.
M. Ronan Dantec. - Très bien.
Le sous-amendement n° DEVDUR.6 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 244 ainsi sous-amendé.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements nos 245 et 246 : le dispositif REPCET coûte 9 000 euros à l'acquisition, puis 3 500 euros par an. Le montant de la sanction me semble donc adapté. Si l'expérience montre qu'il n'est pas dissuasif, nous le modifierons.
M. Ronan Dantec. - En deux ans, le choix de ne pas s'équiper est amorti...
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 245 et 246.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements identiques nos 50 et 103, car le Gouvernement s'est engagé à ce que l'action de groupe figure dans la loi sur la Justice du 21ème siècle.
Mme Évelyne Didier. - Certes, mais nous voulons nous l'entendre dire !
La réunion est levée à 14 h 25.
Mercredi 11 mai 2016
- Présidence de M. Rémy Pointereau, président, puis de M. Hervé Maurey, président -Renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils - Examen du rapport et du texte de la commission
La réunion est ouverte à 8 h 35.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - J'ai été nommé rapporteur le 8 avril, ce qui ne m'a laissé qu'un mois pour procéder aux auditions. L'univers des drones connaît une expansion fulgurante et une excitation similaire à celle des débuts de l'aviation.
Cette proposition de loi, consensuelle et nécessaire, est la conséquence indirecte des premiers survols intentionnels de centrales nucléaires à l'automne 2014. En quelques semaines, une vingtaine de drones avait survolé les 19 centrales de production et les autres installations nucléaires françaises, en violation de la loi. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avait alors organisé en urgence une journée d'auditions, le 24 novembre 2014, sur le sujet.
Depuis, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a recensé 86 survols de sites sensibles - centrales, aéroports - pour la plupart liés à une mauvaise connaissance de la réglementation. Les 26 et 27 janvier 2015, ce fut notamment le cas de la base militaire de l'Ile-Longue, qui abrite nos quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins.
Le Parlement n'est pas resté inactif, puisque nous avons adopté la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires. Son article 2 prévoyait un rapport « évaluant les risques et menaces que constituent les survols illégaux par des aéronefs télépilotés » et présentant « les solutions techniques et capacitaires envisageables afin d'améliorer la détection et la neutralisation de ces appareils, ainsi que les adaptations juridiques nécessaires afin de réprimer de telles infractions. » Ce rapport, présenté en octobre 2015, a débouché sur deux chantiers : d'une part, l'adaptation de notre corpus juridique, avec de nouvelles obligations en matière d'information, de formation, d'immatriculation et d'identification ; d'autre part, l'accélération des travaux de recherche et de développement, y compris dans le cadre de coopérations bilatérales et multilatérales, afin de disposer au plus vite de moyens efficaces de détection, d'identification et de neutralisation des drones de petites dimensions.
Cette proposition de loi vise à mettre en oeuvre le premier volet du rapport. Tout l'enjeu consiste à ne pas freiner pour autant le dynamisme d'un secteur dans lequel plusieurs entreprises françaises sont leaders, tant dans le domaine des équipements que des services.
Le marché du drone civil connaît en effet une croissance dynamique. Son essor a déjà été évoqué par Mme Bonnefoy dans son dernier avis budgétaire relatif aux transports aériens, et est largement documenté dans le rapport du SGDSN.
Le mot « drone » recouvre des réalités très différentes. Les engins militaires, comme les Reaper déployés par l'armée de l'air, sont des appareils de quatre tonnes avec une envergure supérieure à celle d'un Rafale. En revanche, les drones civils pèsent au maximum 25 kilogrammes et 98 % d'entre eux sont des micro-drones de moins de deux kilogrammes. On en compterait entre 150 000 et 200 000 en France à la fin de l'année 2015, l'immense majorité relevant de la catégorie des jouets. Le SGDSN évalue à 30 000 le nombre de drones dont la masse est supérieure à 1 kilogramme en France, et à 4 000 le nombre de ceux qui dépassent les 2 kilogrammes.
Les utilisations professionnelles des drones civils se sont multipliées : les prises de vue pour les médias, le cinéma et la publicité représentent environ 60 % de l'activité, mais les drones réalisent également des inspections techniques de bâtiments et d'ouvrages d'art, font de la volumétrie et du suivi de chantier, des détections de stress hydrique et de manque d'engrais pour l'agriculture de précision, de la surveillance aérienne et des missions de sécurité civile, ces deux derniers domaines étant encore à l'état embryonnaire.
La filière professionnelle connaît un essor depuis 2012, à la faveur d'une réglementation innovante qui a permis à la France de prendre de l'avance dans ce domaine. La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) recense fin 2015 plus de 2 300 opérateurs déclarés de drones, exploitant environ 4 200 drones, principalement des multirotors, et représentant presque 5 000 emplois. En 2012, cette filière ne comptait que 50 opérateurs, mais ce développement rapide s'est fait sans réelle consolidation : à ce jour, 90 % des entreprises du secteur comptent moins de dix salariés et la proportion d'auto-entrepreneurs est élevée. La filière ne compte que peu de constructeurs - moins de 25 - dont seulement six ont un chiffre d'affaires supérieur à 500 000 d'euros. Parmi ceux-ci, Parrot est le plus gros fabricant français de drones de loisir et le deuxième mondial derrière le chinois DJI, avec un chiffre d'affaires annuel mondial de plus de 80 millions d'euros.
L'avance française dans ce domaine tient avant tout à la mise en oeuvre, depuis 2012, d'une réglementation pionnière et innovante qui encadre l'usage professionnel des drones. L'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui les utilisent, fixe les conditions d'utilisation des drones selon une typologie définie en fonction, non de l'appareil, mais de l'utilisation qui en est faite. L'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord, prévoit une autorisation préfectorale pour le survol des agglomérations, une obligation de localisation des activités pour les associations d'aéromodélisme et un plafond de hauteur maximale de 150 mètres au-dessus du sol. Globalement, ces deux arrêtés, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, rendent la réglementation plus lisible, simplifient les procédures administratives et assouplissent les contraintes pour les usages expérimentaux.
En parallèle, un projet d'arrêté en matière de formation et de compétences des télépilotes de drones professionnels prévoit, entre autres, la création d'un examen théorique de télépilote, dont le programme a été défini en coopération entre la DGAC, les industriels et l'armée de l'air. Une consultation formelle du projet de texte a été organisée jusqu'au 5 février 2016 : l'arrêté devrait être publié au cours de l'été, pour une entrée en vigueur avant la fin de l'année.
Une réglementation européenne est en cours de préparation, mais ne devrait pas entrer en vigueur avant 2019-2020. Il n'existe pas non plus de standards de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) relatifs aux drones.
Si l'usage professionnel des drones est bien encadré en France, il n'en va pas de même pour leur usage civil. Compte tenu de leur rapide expansion, le SGDSN considère que des utilisations malveillantes de drones aériens civils constituent un risque réel.
Le premier risque est le risque d'accident, en cas de collision avec d'autres aéronefs ou de chute du drone par exemple. Plusieurs incidents ont eu lieu sur des aéroports, provoquant des retards, voire des fermetures de plateformes, à Paris-Charles-de-Gaulle, Heathrow ou Dubaï. Récemment, un sharklet - cette petite partie recourbée au bout de l'aile de certains avions - a été arraché par un drone aux États-Unis. Le 15 août 2015, un drone s'est écrasé en plein centre de Buenos Aires, blessant grièvement deux passantes, une hélice s'étant brisée en vol. L'accidentologie liée aux drones reste bien moins élevée que pour l'aviation commerciale, mais un accident grave stopperait le développement de la filière.
Le deuxième risque est celui de la captation indue d'informations, qu'il s'agisse de sites sensibles ou d'atteintes à la vie privée. Sur ce dernier point, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) propose de faire évoluer les textes relatifs à la vidéoprotection qui, jusqu'ici, ne prenaient en compte que la surveillance fixe et non mobile.
Le troisième risque est celui de l'utilisation du drone comme arme. Le 26 janvier 2015, un petit drone a survolé la Maison Blanche, avant de s'y écraser. En avril 2015, un drone transportant du sable radioactif s'est posé sur le toit de la résidence officielle du Premier ministre Shinzo Abe à Tokyo. Exemples sans grande conséquence, mais on dénombre de plus en plus d'attaques par drones civils en Syrie, en Irak ou au Haut-Karabagh.
Le quatrième risque est celui de l'utilisation du drone à d'autres fins délictuelles ou criminelles. Par exemple, le 29 juillet 2015, un drone a largué un paquet contenant de la drogue dans la cour d'une prison de l'État de l'Ohio.
Enfin, le cinquième risque est celui de l'utilisation de drones dans le cadre d'opérations démonstratives, revendiquées ou non, visant à décrédibiliser l'action de l'État. Le 15 septembre 2013, en Allemagne, un drone téléguidé a survolé la foule lors d'un rassemblement politique présidé par Angela Merkel, avant d'atterrir à quelques mètres d'elle. Le 14 octobre 2014, un match de football entre la Serbie et l'Albanie a été interrompu à la suite du survol du stade de Belgrade par un drone transportant un drapeau pro-albanais.
Bref, vu le caractère anxiogène de ces incidents, largement relayés dans les médias, il est temps de prendre des mesures.
Avant d'entrer dans le détail du texte, j'attire votre attention sur trois points. D'abord, le besoin de souplesse. Étant donné l'évolution rapide des technologies, il faut laisser des marges de manoeuvre en procédant au maximum par voie réglementaire - à condition que les parties prenantes soient associées à l'élaboration des décrets et arrêtés, ce qui semble être le cas jusqu'ici. Cette souplesse impose de ne pas distinguer loisir et usage professionnel, qui tendent à se confondre : la plupart des professionnels sont auto-entrepreneurs et utilisent également leur drone pour un usage amateur.
Cette souplesse impose également de ne pas figer de seuils dans la loi. Plusieurs niveaux font office de référence : le seuil de 250 grammes, à partir duquel un drone est capable de voler en extérieur, a été retenu par les États-Unis et le Danemark ; le seuil de 1 kilogramme correspond à la capacité d'emport d'un drone équipé d'une grenade légère, et est retenu par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) pour distinguer les drones jouets des autres engins ; enfin le seuil de 25 kilogrammes correspond à la limite historique du monde de l'aéromodélisme classique et a servi de base à l'harmonisation des règles en Europe. Il semble raisonnable de renvoyer les débats sur les seuils au niveau réglementaire.
Deuxième point : ne pas se contenter de poser des règles mais éduquer les usagers et les forces de l'ordre. Des démarches de communication ont été engagées à l'aide d'infographies ou de vidéos sur Youtube rappelant les « dix commandements pour l'usage d'un drone de loisir ». En parallèle, un tutoriel en ligne permettra de couvrir 90 % des besoins : une longue formation pratique au télépilotage n'est pas nécessaire, un drone étant beaucoup plus facile à faire voler qu'un avion radiocommandé. Faisons confiance aux usagers : un drone à 10 000 euros ne se pilote pas comme un drone à 50 euros, et l'utilisateur sera probablement enclin à prendre moins de risques en dépit d'une puissance supérieure.
Troisième point, aborder cette réglementation comme une démarche préventive, les moyens de détection, d'identification et de neutralisation étant limités. En théorie, l'armée de l'air a la responsabilité des interceptions en vol, mais elle est mal équipée pour gérer des drones et tout tir à partir d'hélicoptère risque de provoquer des dommages collatéraux. Les moyens des unités spécialisées de police et de gendarmerie, qui utilisent principalement des fusils pour abattre les drones non coopératifs au-dessus des sites sensibles, ne sont pas efficaces dans toutes les situations.
Plusieurs solutions innovantes sont en phase d'expérimentation ou de déploiement, qui vont des radars à courte portée aux lasers et ondes à forte puissance, en passant par l'optronique, le brouillage et le leurrage du signal radiocommandé ou GPS. Les Pays-Bas expérimentent même le dressage de faucons pour chasser les drones, une solution qui nécessite cependant deux ans de formation et ne fonctionne pas de nuit. Quant aux technologies de brouillage et de leurrage, la DGAC craint que leur utilisation aux abords des aéroports ne perturbe l'aviation civile, avec des conséquences potentiellement graves. On ne peut s'en tenir à la neutralisation en aval, il faut une réglementation préventive.
Cette proposition de loi met en place une stratégie de renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils reposant sur l'information, la formation, l'enregistrement et l'immatriculation, et le signalement électronique et lumineux.
L'article 1er définit, d'une part, les drones à travers la notion de télépilote, d'autre part, le champ d'application de l'immatriculation des drones. Je vous propose d'y ajouter une référence à un régime d'enregistrement en ligne, mentionnée dans l'exposé des motifs mais absente du texte. Par cohérence juridique, je vous propose également de déplacer la définition du télépilote à l'article suivant.
L'article 2 impose une formation aux télépilotes d'aéromodèles, au-delà d'un certain seuil de masse. Spécifique à ce type d'aéronef, cette formation pourrait consister en un tutoriel sur Internet, en lien avec la procédure d'enregistrement, selon des modalités qui seront fixées par voie réglementaire. Je vous propose d'inclure une nouvelle définition du télépilote qui prend en compte tous les cas de figure : drone piloté, drone automatique, drone autonome dont la trajectoire est programmée par l'intelligence humaine ou l'intelligence artificielle. Outre des précisions rédactionnelles, je vous propose également de ne pas limiter l'obligation de formation au seul usage de loisir, de supprimer la dispense de formation pour les télépilotes affiliés à une fédération sportive ainsi que la référence aux sanctions applicables en cas de méconnaissance de l'obligation de formation, qui devrait être sanctionnée par des peines contraventionnelles. Enfin, je vous propose de prévoir la possibilité d'exiger la détention d'un titre de télépilote pour certaines activités professionnelles opérées hors vue du télépilote, qui sont par nature plus complexes.
L'article 3 crée une obligation d'information de l'utilisateur à la charge des fabricants de drones : il impose, en pratique, l'insertion d'une notice informant l'usager des principes et règles à respecter pour utiliser ces appareils en conformité avec la législation et la réglementation applicables. Je vous propose de supprimer la référence à l'obligation d'information pour les seuls drones destinés à un usage de loisir : les professionnels utilisent de façon croissante des drones grand public, tandis que des amateurs sont tentés par des drones très performants, dont le prix décroît. Je supprime aussi la référence à un seuil de déclenchement de cette obligation d'information, car il serait fondé sur la masse du drone, ce qui s'accorderait mal avec l'obligation d'inclure cette notice dans les emballages des pièces détachées, qui peuvent être très légères, également visées afin de toucher les constructeurs amateurs assemblant eux-mêmes leurs drones.
L'article 4 rend obligatoire un signalement électronique et lumineux des drones à partir d'une certaine masse. L'objectif est de distinguer rapidement les drones coopératifs des drones hostiles afin de limiter les risques de méprise dans les contre-mesures. Cette disposition nécessitant des adaptations industrielles, son entrée en vigueur est différée au 1er janvier 2018. Je vous propose un régime d'exemption pour les drones opérant dans un cadre agréé et dans certaines zones identifiées, notamment pour les usages expérimentaux, ainsi qu'un dispositif de limitation de performances afin d'assurer la sécurité des vols habités, à la suite de plusieurs incidents récents au cours desquels des pilotes ont indiqué avoir croisé des drones au-dessus de 150 mètres d'altitude.
Enfin, l'article 5 prévoit des sanctions réprimant l'usage illicite ou malveillant de drones. Je ne vous propose qu'un amendement rédactionnel, pour éviter toute confusion entre le pilote d'un aéronef et le télépilote d'un drone, en prévoyant une section spécifique dans le code des transports.
Il s'agit en somme d'une réécriture de la proposition de loi qui en conserve l'esprit tout en précisant le dispositif, en respectant le besoin de souplesse et surtout en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse.
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
M. Jean-Jacques Filleul. - Félicitations pour ce rapport - certes technique, mais comment faire autrement ? Ce texte est consensuel, et reprend les conclusions du rapport du SGDSN. La France est leader dans le domaine des drones civils. Les usages des drones sont multiples, et ces appareils - dont le nombre explose - participent assurément de la révolution numérique. Il convient donc de compléter notre cadre réglementaire par des dispositions législatives définissant la notion de télépilote, imposant une formation aux pilotes de loisir et obligeant les constructeurs à installer des dispositifs de signalement électronique et lumineux. Le groupe socialiste votera en faveur de ce rapport, sous réserve de l'examen des amendements, qui me paraissent aller dans le bon sens.
Mme Annick Billon. - Les technologies évoluent très rapidement. Quels sont les seuils distinguant les jouets des appareils professionnels ? Quelle garantie aurons-nous que la personne suivant la téléformation sera bien le télépilote ? Un contrôle technique régulier des appareils peut-il être imposé ? Dans l'affirmative, comment nous assurer que les drones bricolés y seront aussi soumis ? Ce sont justement les plus dangereux...
M. Louis Nègre. - Bravo pour ce premier rapport, sur un texte très technique. J'approuve votre démarche : il faut réglementer, oui, mais avec souplesse. Il s'agit en effet d'une technologie nouvelle, appelée à de fortes évolutions, auxquelles nous devrons nous adapter pour rester les meilleurs dans ce domaine - car, pour les drones militaires, nous sommes réduits à les acheter sur étagère... Comment les seuils dont vous confiez la fixation au pouvoir réglementaire seront-ils déterminés ?
M. Rémy Pointereau. - À mon tour de féliciter le rapporteur. Une réglementation stricte est nécessaire, car la France compte plusieurs cibles privilégiées, notamment des centrales nucléaires. En matière environnementale, les drones civils participent déjà à l'optimisation de notre agriculture et de notre viticulture en établissant des cartes des sols ou des masses foliaires, ce qui permet de calculer au plus juste les intrants. Dans mon département, une entreprise vient de se créer pour fournir en drones les vignobles du Centre-Val-de-Loire ; c'est une initiative à encourager. Les drones ne remplacent pas encore les abeilles, mais ils jouent un rôle important ! Nous voterons en faveur de ce rapport.
M. Michel Raison. - Je m'associe aux félicitations adressées au rapporteur. Que signifient les mots « non réellement malveillants » à l'article 5 ?
Mme Évelyne Didier. - Félicitations au rapporteur. Je rappelle seulement que les règlements sont faits pour ceux qui les appliquent, pas pour ceux qui les transgressent...
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Les amendements ont été préparés en collaboration avec le cabinet de M. Vidalies, ainsi qu'avec le Conseil des drones civils. Vu les évolutions rapides de la technologie, mieux valait passer par des décrets. En tous cas, nous avons voulu que ce texte soit aisément applicable.
Jusqu'à un à deux kilogrammes, les drones relèvent du domaine des jouets. De deux à 25 kilogrammes, nous sommes dans une zone tampon, avec un besoin de certification. Au-delà de 25 kilogrammes commence le domaine de l'aéronautique classique. Aux États-Unis et au Danemark, la masse suffisante pour voler en extérieur est fixée officiellement à 250 grammes. C'est le seuil que nous souhaiterions voir repris dans le décret.
Comme les drones évoluent rapidement, les appareils deviennent vite obsolètes. Parrot confirme que le taux de renouvellement est élevé. Instaurer un contrôle technique régulier n'aurait donc guère de sens. Pour les drones bricolés, le problème vient davantage des télépilotes que des appareils.
L'ambition de la loi est d'élaborer une réglementation qui puisse être exportée, sans entraver les ventes à l'étranger. Un premier groupe de pays ont adopté une réglementation très permissive : Royaume-Uni, Australie, Suisse...
M. Michel Raison. - Sans doute parce que les drones y apportent de l'argent dans les banques !
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - La France fait partie des pays ayant opté pour un encadrement technique structuré. Les États-Unis, enfin, ont choisi un régime dérogatoire.
Les seuils sont proposés, de manière consensuelle, par le Conseil pour les drones civils, qui compte des représentants des constructeurs et opérateurs de drones, des grands groupes aéronautiques, des grands donneurs d'ordre, des laboratoires de recherche, des pôles de compétitivité et des pouvoirs publics.
M. Louis Nègre. - Le Parlement y est-il représenté ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Non, mais l'administration y siège.
M. Louis Nègre. - Il devrait l'être. Nous le demanderons.
M. Hervé Maurey, président. - Nous pourrons déposer un amendement.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Comme ce conseil a été créé par la filière, nous ne pouvons peut-être pas décider cela par amendement...
M. Louis Nègre. - La loi peut beaucoup - surtout si nous sommes tous d'accord.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Le développement de l'usage des drones dans l'agriculture butte sur le problème de la rentabilité. La réduction des coûts devrait lever cet obstacle, à terme.
Les sanctions sont identiques à celles du régime général, qui s'applique déjà aux pilotes. Le survol de certaines zones est interdit. L'identification des drones déclarés vise à éviter la mise en oeuvre de contremesures qui ne s'imposeraient pas. Ceux qui ne sont pas signalisés seront présumés malveillants. L'amendement de M. Pozzo di Borgo prévoit, alors, qu'ils soient saisis lorsqu'ils survolent une zone non autorisée.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - L'amendement n° COM-2 concerne l'immatriculation et l'enregistrement des drones. Il supprime la définition du télépilote, déplacée à l'article 2. Il prévoit un régime d'enregistrement par voie électronique, qui figurait dans l'exposé des motifs mais pas dans l'article.
L'amendement n° COM.2 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - L'amendement n° COM-3 concerne la formation des télépilotes. Il propose une nouvelle définition du télépilote, qui inclut les cas de drones programmés ou pilotés par l'intelligence artificielle.
L'amendement n° COM.3 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - L'amendement n° COM-4 concerne l'information des acheteurs de drones sur la réglementation en vigueur.
L'amendement n° COM.4 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - L'amendement n° COM-5 concerne les dispositifs de signalement électronique et lumineux et de limitation de performances. La société Parrot craint de s'en trouver pénalisée, mais notre réglementation pionnière pourrait, à l'inverse, s'imposer au niveau européen et être adoptée dans d'autres pays.
L'amendement n° COM.5 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - L'amendement n° COM-6, rédactionnel, concerne les sanctions applicables aux télépilotes.
L'amendement n° COM.6 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - L'amendement n° COM-1 prévoit la confiscation de l'aéronef au moyen duquel il est porté atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui. Cet amendement est rendu sans objet par l'amendement de rédaction globale de l'article 5, mais je souhaite l'intégrer à cette nouvelle rédaction.
En effet, l'article 226-1 du code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende « le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui » par des enregistrements ou transmissions effectuées sans le consentement de la personne intéressée. En pratique, ces dispositions sont très peu suivies d'effet en matière de drones, alors que le risque s'accroît. Il est donc judicieux de prévoir une peine de confiscation du drone qui a servi à commettre l'infraction, que son caractère immédiat rend d'autant plus dissuasive.
Je vous propose donc une rectification de l'alinéa 9 de mon amendement COM-6 afin d'y inscrire une nouvelle rédaction de l'article L. 6232-13 du code des transports :
« Article L. 6232-13. - Le télépilote coupable d'une des infractions prévues à l'article L. 6232-12 ou qui s'est rendu coupable des infractions prévues aux articles 223-1 et 226-1 du code pénal encourt également la peine complémentaire de confiscation de l'aéronef circulant sans personne à bord qui a servi à commettre l'infraction. »
M. Louis Nègre. - Je comprends cette peine complémentaire, mais quelle est la peine principale ? Une photo de paparazzi peut rapporter gros...
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - L'article 226-1 du code pénal prévoit au maximum un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous nous abstiendrons en attendant l'avis du ministre. Des expertises sont nécessaires.
L'amendement n° COM.1 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.
Modalités de création d'une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Michel Raison, rapporteur. - La proposition de loi de Gérard Longuet et Christian Namy précise les modalités de création d'une installation de stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Concrètement, il s'agit de permettre la poursuite du projet Cigéo à Bure, entre la Meuse et la Haute-Marne.
Les délais d'examen de cette proposition ont été, une fois de plus, très contraints, mais j'ai pu procéder aux auditions nécessaires : l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) qui est maître d'ouvrage du projet à Bure ; Areva, pour les opérateurs du nucléaire ; Bertrand Thuillier, expert scientifique proche des associations militant contre le projet ; et bien sûr les auteurs de la proposition de loi. Les opposants au projet nous ont adressé un courrier.
Pourquoi faut-il une nouvelle autorisation législative ? L'histoire commence avec le vote de la loi du 28 juin 2006, qui a retenu le stockage en couche géologique profonde comme solution pour la gestion à très long terme des déchets radioactifs, considérés comme présentant des caractéristiques ultimes qui les rendent incompatibles avec les installations de stockage en surface ou à faible profondeur. La loi de 2006 a décrit la procédure d'autorisation pour un tel centre et en a défini le calendrier. Elle a permis de lancer le projet Cigéo de stockage en couche géologique profonde à Bure, a imposé que ce stockage soit réversible et que les conditions de la réversibilité soient définies dans une loi ultérieure, dont l'adoption serait le préalable au lancement du chantier de stockage profond. Une nouvelle autorisation législative est donc nécessaire pour la poursuite du projet. Or nous disposons aujourd'hui de tous les éléments nécessaires pour adopter un nouveau texte.
Un débat public a été organisé en 2013 sur le projet Cigéo par la Commission nationale du débat public. Une de ses principales conclusions a été l'idée d'un nouveau jalonnement du projet, intégrant une étape de stockage pilote. Ce n'est qu'à l'issue de cette étape que la décision de poursuivre la construction du stockage et de procéder à son exploitation courante pourrait être prise, et non au stade de la demande d'autorisation de création, comme le prévoit actuellement la loi. Le lancement d'une phase industrielle pilote permettrait de tester la faisabilité des conditions de stockage et, le cas échéant, de les adapter.
Ce débat a également permis de définir la notion de réversibilité, qui est une des conditions posées par la loi de 2006 pour la réalisation du projet. C'est la clé de ce texte. La réversibilité se définit comme la capacité à offrir aux générations suivantes des choix sur la gestion à long terme des déchets radioactifs, parmi lesquels le scellement des ouvrages de stockage ou bien la récupération de colis de déchets. Cette réversibilité est assurée notamment par le fait que le développement du stockage est progressif et flexible.
Sur la base des travaux de l'Andra et des conclusions du débat public de 2013, plusieurs véhicules législatifs ont tenté de relancer le projet Cigéo ces dernières années, sans aboutir. Le présent texte a été inséré dans les avant-projets de loi relatifs à la transition énergétique, d'une part, et à la croissance et à l'activité, d'autre part, puis retirés avant le dépôt de ces textes au Parlement. Le dispositif a été intégré par un amendement de Gérard Longuet à la loi Macron en première lecture au Sénat, mais censuré par le Conseil constitutionnel, qui y a vu un cavalier législatif. À l'Assemblée nationale, une proposition de loi d'Anne-Yvonne Le Dain, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Louis Dumont et Christian Bataille a été déposée le 10 novembre 2015, avec un texte identique.
Ce n'est pas un débat partisan, le texte étant porté par des élus de droite comme de gauche. Il traite un sujet délicat, mais c'est un texte pragmatique. Il apporte quatre modifications principales à la loi de 2006 et au chapitre correspondant du code de l'environnement : la définition de la notion de réversibilité, le lancement d'une phase industrielle pilote qui marquera le début de l'exploitation industrielle du site, l'adaptation de la procédure d'autorisation et l'adaptation du calendrier initialement prévu. Ces quatre modifications sont cohérentes et s'emboitent comme une poupée russe - même si cette référence n'est peut-être pas bien choisie quand on parle de radioactivité...
Le texte définit la réversibilité comme « la capacité, pour les générations successives, à revenir sur des décisions prises lors de la mise en oeuvre progressive d'un système de stockage. » Elle n'est pas nécessairement synonyme de récupérabilité des colis de déchets, mais doit permettre à tout moment de réévaluer les choix de gestion et de les adapter le cas échéant. Le dispositif prévoit par ailleurs que la mise en oeuvre du principe de réversibilité fasse l'objet de revues périodiques au moins tous les dix ans.
Conformément aux attentes exprimées lors du débat public organisé en 2013, le texte prévoit que l'exploitation du centre de stockage Cigéo débute par une phase industrielle pilote, qui doit notamment conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l'installation par un programme d'essais in situ. Les colis de déchets devront rester aisément récupérables durant cette première phase. L'article adapte les procédures d'autorisation afin de tenir compte de cette nouvelle phase pilote, qui fera l'objet d'une autorisation de mise en service restreinte, tandis que l'autorisation de création couvrira ensuite l'ensemble du projet. L'autorisation de mise en service des phases ultérieures ne pourra être accordée qu'après la promulgation d'une loi, prise sur la base d'un rapport de l'Andra qui présentera les résultats de la phase pilote : aux précautions techniques s'ajoutent des précautions juridiques. Cette proposition de loi ne demande pas au législateur de signer un chèque en blanc sur la poursuite du projet Cigéo. D'autres échéances législatives sont prévues, et la phase pilote garantit une identification précoce des problèmes et leur ajustement.
Enfin, l'article adapte le calendrier de mise en oeuvre du projet. Il reporte notamment l'exigence de maîtrise foncière au moment de la mise en service : l'idée est de permettre à l'Andra d'acquérir progressivement, et non en une fois, les terrains et les tréfonds, en cohérence avec le développement progressif des ouvrages.
Les auteurs de la proposition de loi ont déposé, en concertation avec moi, trois amendements : le texte initial est aujourd'hui un peu daté depuis les travaux menés par l'Andra, notamment pour préciser le concept de réversibilité. J'y serai bien entendu favorable.
Le débat qui nous occupe n'est pas un débat entre pro et anti-nucléaires. Sans préjuger des choix de politique énergétique à venir, la question est celle de la gestion des déchets radioactifs existants. La directive Euratom du 19 juillet 2011 nous impose de mettre en place un stockage dans des installations appropriées, qui serviront d'emplacement final. Le simple entreposage de déchets radioactifs, comme à La Hague, ne peut constituer qu'une solution provisoire et non une alternative au stockage.
Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi qui permet la poursuite du projet Cigéo dans des conditions garantissant à la fois la sûreté des installations, la réversibilité des choix opérés et un droit de regard final du Parlement. En agissant rapidement, nous prenons nos responsabilités par rapport aux conséquences de nos choix énergétiques passés et nous facilitons les choix des générations suivantes. Il s'agit là de continuité de l'État et d'exigence éthique.
Mme Nelly Tocqueville. - Le débat, en effet, n'est pas entre pro et anti-nucléaires, mais soulève notre responsabilité et notre devoir vis-à-vis des générations futures. Responsabilité, réversibilité : ce texte fait consensus, à notre avis. De fait, on ne peut préjuger des avancées scientifiques futures.
Toutefois, pourquoi restreindre par les mots « le cas échéant » la capacité du Parlement à prendre en compte les recommandations de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ? La proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale prévoit, elle, une participation des citoyens. Sur un sujet aussi sensible, la concertation est essentielle. Pourquoi l'avoir supprimée ?
M. Louis Nègre. - La loi de transition énergétique avait abordé ces questions, de manière consensuelle. Nous avons la responsabilité de traiter ces déchets, de ne pas les abandonner. La procédure est longue et démocratique : débat public, textes de loi. Comment les autres pays gèrent-ils ces situations ? La réversibilité permet-elle la récupérabilité ?
M. Ronan Dantec. - Je vais troubler le consensus.
Mme Chantal Jouanno. - Étonnant !
M. Ronan Dantec. - Nous sommes ici au coeur du déclin français. EPR, crise à EDF... Nous avons tout misé sur une filière qui est à présent marginalisée par le développement du solaire. Nous avons fait une erreur historique dans les années 1970 en mettant tous nos oeufs dans le même panier, qui est désormais cassé. Face à une telle crise, nous devrions collectivement être capables de nous réorienter rapidement. Or, la France persiste et signe, se révèle incapable de changer de cap et fonce dans le mur. Pourtant, elle n'a plus les moyens de cette politique. Le rapporteur a omis d'évoquer le coût estimé de Cigéo : 35 milliards d'euros, qui représentent dix ans de baisses des dotations des collectivités territoriales et sont autant d'investissements en moins pour les filières d'avenir !
De tous les pays qui ont fait du nucléaire, nous sommes les seuls à nous obstiner à considérer que le stockage en couche profonde est la solution. Cette méthode pose d'énormes problèmes techniques aux Allemands, car les mines de sel qu'ils ont choisies ne sont pas étanches. Comment la réversibilité peut-elle ne pas impliquer la récupérabilité ? Cette seule faille montre que ce projet est une impasse. Les États-Unis pratiquent le stockage sur site à faible profondeur et s'en trouvent très bien. Cette solution est la plus fiable, la moins onéreuse et garantit la récupérabilité. Cigéo est une absurdité totale ! Hélas, les lobbies sont si puissants qu'ils nous empêchent de changer de cap. Le déclin français tient à notre incapacité à nous adapter à la réalité du monde.
M. Alain Fouché. - Je connais ce sujet, pour avoir une centrale nucléaire dans mon département. Un projet de stockage des déchets a été arrêté à l'arrivée du Gouvernement de M. Jospin - peut-être pour des raisons autant politiques que techniques... Il était pourtant aussi avancé que le projet de Bure, sinon plus ! Depuis vingt ans, ce dernier site mobilise beaucoup de ressources. Entre les salaires et les taxes, combien a-t-il déjà coûté, en tout ?
M. Michel Raison, rapporteur. - Madame Tocqueville, on applique aujourd'hui ce qui a été prévu. Si le Gouvernement ne prend pas la responsabilité de proposer un texte, le Parlement le fera : c'est ce que signifie « le cas échéant ».
La participation des citoyens est garantie par les débats publics. Il y en a eu un en 2013, d'autres autorisations seront également précédées de tels débats. Il existe en outre un comité central d'information et de suivi du site de Bure, avec une participation du public.
Monsieur Nègre, la France fait partie des leaders mondiaux sur le plan technique en matière de nucléaire. Si nous nous lançons dans cet enfouissement à 500 mètres de profondeurs c'est parce que nos spécialistes jugent que c'est la meilleure solution - ou peut-être la moins mauvaise, comme dit M. Dantec. Je n'ai pas d'avis personnel sur la question. Faisons confiance à nos ingénieurs. Le dossier n'est pas simple, bien sûr. Les États-Unis pratiquent les enfouissements à 20 ou 30 mètres de profondeur, ce qui n'est pas sans poser problème. Cependant, laisser nos déchets radioactifs à la Hague dans des containers n'est pas une solution.
La récupérabilité est prévue, en particulier au début. Les premiers containers seront pilotés par des robots. Ils ne seront pas verrouillés en profondeur et pourront être récupérés, le cas échéant. La réversibilité, c'est, d'une part, la récupérabilité, d'autre part, la lenteur de la carrière, jusqu'à mille ans.
Monsieur Dantec, vous avez raison : nous explorons une voie différente des autres pays. Le coût est considérable : il faut payer les infrastructures, mais aussi 150 salariés en emplois directs...
M. Alain Fouché. - Et la taxe professionnelle.
M. Michel Raison, rapporteur. - Il y a des bagarres de chiffres. Les opposants parlent de 35 milliards d'euros...
M. Ronan Dantec. - Ce sont les chiffres de l'Andra.
M. Michel Raison, rapporteur. - L'Andra dit 25 milliards.
M. Ronan Dantec. - Ça, c'est le chiffre de Mme Royal !
M. Michel Raison, rapporteur. - En tout état de cause, les ordres de grandeur sont énormes, entre 25 et 35 milliards d'euros sur 150 ans. On n'a pas fini de débattre sur le coût du nucléaire par rapport aux autres énergies. Ce qu'on peut dire pour l'instant, c'est qu'il est très important.
Encore une fois, je suis loin d'être un spécialiste ; je ne fais que m'appuyer sur les auditions que nous avons menées.
Mme Évelyne Didier. - Je ne suis pas en charge de ce dossier dans mon groupe. Lors de l'examen de la loi de 2006, il était impensable de ne pas prévoir la réversibilité, car nous manquions d'informations sur les plans technique et financier pour faire nos choix sereinement. Notre position de principe était qu'il fallait absolument traiter la question des déchets, en responsabilité. D'où la proposition de revoyure dix ans après, et l'initiative prise par nos collègues de déposer cette proposition de loi. Le coût sera énorme, c'est vrai. Il serait bien téméraire d'avancer un chiffre.
Si nous sommes leaders dans le domaine du nucléaire, nous restons un petit pays comparé aux États-Unis, qui dispose de vastes étendues inhabitées. En tout état de cause, l'enfouissement profond des déchets nucléaires est une solution qui mérite d'être étudiée absolument. D'autant que selon l'ASN, il n'est pas nécessaire de statuer immédiatement. La réversibilité consiste à garder ouverte la possibilité de ressortir les colis au cas où une nouvelle technique apparaitrait. Je ne sais pas comment elle pourrait s'appliquer en cas d'accident. Elle vaut surtout dans l'hypothèse d'une évolution technique.
M. Jean Bizet. - J'appuie les propose de Mme Didier. Notre expertise nationale est reconnue dans le domaine de la radioactivité et du nucléaire. En matière d'émissions de CO2, monsieur Dantec, l'énergie nucléaire reste la plus vertueuse. On n'aurait pas pu financer les énergies renouvelables sans le nucléaire !
Il faut évidemment observer ce qui se fait dans les autres pays, et je suis un fervent défenseur de l'Union européenne de l'énergie. Les choix unilatéraux de l'Allemagne se sont faits au détriment de l'environnement.
Élu de la Manche, je ne peux que regretter les mésaventures de l'EPR. Le renforcement des exigences après l'accident de Fukushima a engendré un surcoût. Depuis cinquante ans que nous n'avons pas construit de centrale, nous manquons d'expertise, sans compter qu'un certain nombre d'entreprises n'ont pas été à la hauteur.
Quant à la compétitivité et au coût du kilowattheure par rapport aux énergies renouvelables, il faut rester prudent. Le jour où nous devrons accéder à la demande de la Chine et lui reconnaître le statut d'économie de marché, ce sera la fin du dumping environnemental sur la production des cellules photovoltaïques : les prix remonteront, même si les coûts de production et l'expertise se sont améliorés.
En ce qui concerne le stockage en couche profonde, je suis d'accord avec Evelyne Didier, et je ne peux que citer le professeur Charpak, selon lequel les déchets d'aujourd'hui seront les sources d'énergie de demain. L'Union européenne s'est fortement investie sur la fusion nucléaire avec Iter. Je me réjouis de l'approche des Verts allemands sur ce projet. Le réacteur ne devrait quasiment pas fabriquer de déchets et produire une énergie qui est à portée de main, l'énergie de demain pour ainsi dire, dans une cinquantaine d'années. Le nucléaire est un sujet plus émotionnel que rationnel. Jusqu'à présent, la maîtrise de la technologie française reste exceptionnelle.
M. Michel Raison, rapporteur. - Areva maîtrise déjà toute une partie de la technologie de l'enfouissement des déchets. Ce qui est nouveau, c'est la partie mécanique : quelles difficultés surgiront lorsque l'on descendra les containers à 500 mètres de profondeur ? Les autres pays nous observent et sont prêts à importer la technologie d'Areva si elle fonctionne. Bien sûr, la configuration des États-Unis n'est pas la même qu'en France. Cependant, en matière technologique, qu'il s'agisse de l'équipement informatique des véhicules ou du matériel agricole, la France a toujours été beaucoup plus en pointe que les États-Unis. On est parfois surpris par l'archaïsme des modes de fonctionnement américains. Nous sommes beaucoup plus modernes que les Américains, y compris sur le plan sociétal.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Michel Raison, rapporteur. - L'amendement n° COM-3 ajuste la définition de la réversibilité. Je précise que la récupération fait partie de la réversibilité. Une brochure très pédagogique a été publiée par l'Andra sur ce sujet.
L'amendement n° COM-3 est adopté.
M. Michel Raison, rapporteur. - L'amendement n° COM-1 propose un ajustement relatif à la maîtrise foncière, en ouvrant la possibilité d'opérer par palier.
L'amendement n° COM-1 est adopté.
M. Michel Raison, rapporteur. - L'amendement n° COM-2 aménage le prochain jalon législatif, à l'issue de la phase industrielle pilote sur laquelle l'Andra devra rendre un bilan. Si le Gouvernement ne prend pas ses responsabilités, le Parlement pourra s'autosaisir du sujet. En tout état de cause, le projet ne pourra se poursuivre sans autorisation de l'ASN.
Mme Nelly Tocqueville. - Abstention.
L'amendement n° COM-2 est adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages - Suite de l'examen des amendements au texte de la commission
M. Hervé Maurey, président. - Nous reprenons l'examen des amendements de séance sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, en commençant par ceux du Gouvernement.
M. Hervé Maurey, président. - Nous poursuivons l'examen des autres amendements.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Je suis réservé sur l'amendement n° 294 du Gouvernement. Il faudrait y retravailler, dans le cadre de la possibilité du travail législatif. En l'état, avis défavorable.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Cet amendement n° 296 comporte un certain nombre d'erreurs, d'imperfections juridiques - comme souvent quand on ne nous laisse pas le temps d'étudier les ordonnances... Avis défavorable, à défaut de rectifications techniques d'ici le débat.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Même avis de sagesse sur l'amendement n° 188 rectifié quinquies. Il n'est toutefois pas compatible avec le précédent : il faudra donc arbitrer.
Ratification de l'Accord de Paris - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
M. Hervé Maurey, président. - Le Gouvernement a déposé la semaine dernière le projet de loi de ratification de l'accord de Paris. L'Assemblée nationale l'examinera le 17 mai et le texte devrait arriver en séance publique au Sénat le 8 juin. La commission des affaires étrangères sera saisie au fond. Je vous propose que nous nous saisissions pour avis, comme notre homologue de l'Assemblée nationale. Je suggère de nommer comme rapporteur Jérôme Bignon, qui préside le groupe de travail sur les négociations climatiques.
M. Jérôme Bignon est nommé rapporteur pour avis sur le projet de loi n° AN 3719 (XIVe leg.) autorisant la ratification de l'Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015.
Questions diverses
M. Hervé Maurey, président. - J'assistais hier au comité de suivi de la COP 21, présidé par Ségolène Royal, qui souhaite que nous incitions les parlements européens à ratifier le traité aussi vite que possible. Monsieur Bizet, vous présidez la commission des affaires européennes : peut-être pourriez-vous sensibiliser les commissions des différents parlements à cette urgence ?
M. Jean Bizet. - Je suis davantage sensible à votre appel qu'à celui de Mme Royal. Je me prêterai à l'exercice. Si Mme Royal respectait un certain nombre de directives européennes majeures, nous irions avec beaucoup plus d'entrain.
M. Hervé Maurey, président. - Nous présidons la COP 21 jusqu'à la prochaine réunion de Marrakech, il est normal que nous veillions à ce que la ratification se fasse le plus rapidement possible.
Enfin, il nous reste à nommer un secrétaire du bureau de notre commission en remplacement de Natacha Bouchart. Le groupe Les Républicains propose la candidature d'Alain Fouché.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 10 h 20.