- Mercredi 9 mars 2016
- Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques - Audition du Dr Alain Masclet, président de AR2S (Améliorer les relations soignants-soignés)
- Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques - Audition de Mme Geneviève Chêne, directrice de l'Institut de santé publique (Inserm)
- Questions diverses
Mercredi 9 mars 2016
- Présidence de M. Alain Milon, président -Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques - Audition du Dr Alain Masclet, président de AR2S (Améliorer les relations soignants-soignés)
La réunion est ouverte à 9 h 30.
M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur le cadre général des essais cliniques. Nous recevons tout d'abord le docteur Alain Masclet, président de l'association AR2S (Améliorer les relations soignants-soignés), qui est affiliée à l'Uniopss Nord-Pas-de-Calais. Le docteur Masclet a souhaité nous parler de la relation soignant-soigné dans le cadre des essais cliniques. Lors de nos auditions de la semaine dernière, le professeur Jean-Louis Bernard a souligné les difficultés que pose la relation entre le médecin investigateur et le volontaire lors des essais de phase 1. A ce stade en effet, le volontaire est dit « sain », il n'est traité pour aucune pathologie et n'est donc pas pris en charge par le médecin comme l'est une personne malade dans le cadre des essais cliniques de phase ultérieure. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus et nous indiquer quelles seraient vos préconisations pour mieux garantir la protection des personnes participant aux essais cliniques ?
Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de vous parler des difficultés relationnelles qui peuvent exister entre les soignants et les soignés, en particulier dans le domaine des essais cliniques. Lorsque j'ai pris connaissance par la presse de l'accident survenu à Rennes, j'ai relevé que la définition donnée des essais cliniques de phase 1 ne correspondait pas à celle que j'en avais ou à laquelle fait référence l'Inserm. La définition proposée renvoyait à la mesure de la tolérance et des effets indésirables alors que la phase 1 porte en réalité sur la mesure de la toxicité. Il s'agit d'un glissement sémantique qui n'est pas anodin car il pose le problème du consentement des volontaires. La mesure de la toxicité peut révéler un risque d'empoisonnement, voire de mort, tandis que la notion de tolérance renvoie à la possibilité d'effets indésirables mais de moindre gravité. L'information donnée aux volontaires sains n'a pas porté sur la possibilité d'effets toxiques graves, voire mortels ; le respect du principe de leur consentement libre et éclairé pose question. En tout cas, l'avis des volontaires n'a pu être éclairé et leur consentement a sans doute été d'autant moins libre qu'il s'agit souvent de personnes particulièrement vulnérables. On ne participe pas à un essai de phase 1 par altruisme pour la science mais d'abord parce qu'on connaît des difficultés financières.
Dans sa grande sagesse, le législateur a limité les possibilités d'indemnisation des volontaires à 4 900 euros par an et il a interdit la participation à plusieurs essais en même temps. Ma première réaction a été de dire que ce n'est pas cher payé pour le risque encouru. Le participant fait don de son corps mais en face c'est la recherche du profit qui compte. Ce profit est légitime, beaucoup de personnes investissent de l'argent dans les essais. Les essais cliniques s'étalent au total sur dix, quinze, voire vingt ans, et le retour sur investissement est incertain. Je ne mets pas en cause les investisseurs, dont nous faisons partie puisque beaucoup d'entre nous avons des placements en assurance-vie.
J'ai visionné les auditions récemment organisées par votre commission sur les liens et les conflits d'intérêts. Les positions étaient tranchées. Il y était question d'abattre le monstre tentaculaire, de couper les têtes d'experts car ils sont corrompus. Je ne pense pas que cela soit la solution.
Je reviens au problème du consentement. Comment améliorer sa qualité ? Un certain nombre de mesures législatives ont déjà été prises. Je pense notamment aux comités de protection des personnes (CPP), dont le Sénat est un peu à l'origine. Leur mission est de s'assurer que le consentement est bien obtenu. Mais que peut-on espérer lorsqu'on communique sur des termes qui ne sont pas les termes réels de l'expérimentation ?
Dans son rapport d'étape sur l'accident de Rennes, l'Igas relève que le lieu de l'expérimentation ne pose pas de problème particulier. S'agissant du rôle de l'ANSM, elle souligne qu'au total, on a fait le minimum mais pas le maximum. En ce qui concerne l'expérimentateur lui-même, des remarques importantes sont faites sur les conditions d'augmentation des doses, sur le passage de la phase de dose unique aux doses multiples, sur les cohortes, sur la manière dont on a pris en compte le cas du premier volontaire hospitalisé et les conditions d'information et de réitération du consentement pour les autres volontaires à la suite de cette première hospitalisation. Ceux-ci ont reçu une nouvelle dose sans être averti de la situation du volontaire hospitalisé. L'Igas nous dit que la législation n'est pas très précise, que les recommandations sont imprécises et qu'il faudrait peut-être mettre en place un comité de surveillance qui s'intéresserait particulièrement aux essais de phase 1. L'avis de l'Igas va peut-être évoluer car à ce stade elle n'a pas eu le temps d'approfondir suffisamment ses investigations.
Le dossier à remplir pour obtenir l'autorisation de réaliser l'expérimentation comporte des documents très précis, notamment l'annexe 4, qui nous renvoie aux recommandations de bonnes pratiques de l'agence européenne du médicament (EMA). Ces recommandations sont mises en avant par l'ANSM mais on se demande si les gens qui ont étudié le dossier de demande d'expérimentation ont bien lu ces recommandations. Celles-ci existent en anglais et ne sont apparemment pas traduites en français, ce qui explique peut-être la situation. Contrairement à ce qu'affirme l'Igas, il existe donc en tout cas des recommandations très précises en matière de réalisation d'essais cliniques de phase 1.
On constate par ailleurs que l'ANSM s'est facilement contentée du refus du laboratoire de fournir des indications en ce qui concerne l'expérimentation préclinique, in vivo et in vitro chez l'animal, sous le prétexte fallacieux d'un article du code des relations entre le public et l'administration qui n'a absolument rien à voir avec le secret industriel. On se demande s'il y a des juristes à l'ANSM.
Des réactions se sont également fait entendre au niveau européen. Je pense notamment au professeur Cohen, éminent pharmacologue, qui a réagi vertement à ce qu'a dit l'ANSM.
L'Igas a fait remarquer que le CPP de la région Ouest 6 avait bien fait son travail et émis un certain nombre de remarques qui étaient pertinentes. Mais elle s'interroge sur les conditions de fonctionnement de ce CPP et rappelle notamment que les décrets d'application de la loi dite « Jardé » de 2012, pour améliorer les conditions de choix des CPP, ne sont toujours pas parus. On peut le regretter car nous savons très bien qu'un certain nombre de CPP sont privilégiés par les expérimentateurs, soit parce qu'ils connaissent bien les sujets, soit peut-être parce qu'ils donnent des avis plus volontiers favorables. On peut se poser la question.
Cela n'est pas rassurant du point de vue du consentement, de point de vue de la sécurité des volontaires et pour la suite de l'expérimentation qui se déroule en quatre phases. Le passage de l'expérimentation sur l'animal à celle sur l'être humain, c'est-à-dire la phase difficile qu'est la phase 1, pose une question fondamentale, formulée dès le XVIème siècle par les anatomistes, qui est celle de l'analogie : comment faire pour tenir compte des différences entre les espèces animales elles-mêmes et, à partir de là, pour passer à l'être humain ? Cette question est très complexe. Vous recevrez tout à l'heure Madame Geneviève Chêne, biostatisticienne et méthodologiste bien connue, avec qui cette problématique pourrait être évoquée. On se demande si on ne se trouve pas un peu dans une situation de bricolage. Comment fait-on pour déterminer la première dose ? Plusieurs méthodes de calcul existent. La plus usitée, mais j'ignore si c'est celle qui a été appliquée par le laboratoire Biotrial, consiste à tenir compte de la dose létale 10 chez les rongeurs et à administrer à l'homme le dixième de cette dose à condition qu'elle n'ait pas d'effet toxique chez le chien. En cas d'effet toxique chez le chien, on diminue la dose par trois.
Rassurez-vous, il existe aujourd'hui des méthodes mathématiques qui permettent d'améliorer les choses, bien qu'elles suscitent toutefois des interrogations. La méthode qui est la plus souvent retenue pour la phase 1 a été mise au point par un mathématicien italien exerçant à Pise au XIIIème siècle. Il s'agit d'une méthode de progression arithmétique de doses de laquelle nous nous sommes inspirés. Au début, la progression est relativement lente, puis elle s'accélère. Le coefficient de multiplication est de plus en plus important à mesure que les doses augmentent. Cette méthode ne fonctionne pas bien et on a donc essayé de modérer cela. Cependant, pour l'expérimentation d'une dose unique, entre la première dose et la deuxième, on opère une multiplication par cinq (de 0,25 mg à 1 mg). Ensuite, on utilise un multiplicateur par deux. Pour la dernière dose, on multiplie par 2,5 puisqu'on passe de 40 à 100 mg. Un mois s'écoule entre la première et la deuxième dose, huit jours, quinze jours ensuite mais on ne sait pas comment les délais sont respectés. C'est un peu la même chose en ce qui concerne les cohortes : on répète les mêmes doses pendant un certain nombre de jours jusqu'à l'accident qui est arrivé au cinquième jour. Dans cette cohorte, la dose précédente était de 20 mg par jour pendant dix jours, ce qui faisait un total de 200 mg. A la phase suivante, lorsque le problème est apparu, on était arrivé à 250 mg, c'est-à-dire qu'on administrait dix doses de 50 mg et c'est à la dose de 50 mg au cinquième jour que le patient a présenté des atteintes neurologiques qui ont par la suite entraîné son décès. On ne comprend pas bien la logique de progression des doses.
L'ANSM, qui a demandé à un comité d'experts de se pencher sur le fonctionnement du type de molécule expérimenté, pose la question de savoir pourquoi cette méthode de progression des doses a été retenue car plus la dose augmente, plus on devrait prendre des précautions et du temps supplémentaires et avoir un coefficient de multiplication des doses moins important.
Il semblerait que les experts n'aient pas joué leur rôle. Je rappelle que l'ANSM dispose d'un budget annuel de 150 millions d'euros et de 1000 salariés et qu'elle consulte 2000 experts. L'Igas appelle de ses voeux la mise en place d'un comité d'experts supplémentaire. Je ne sais pas à quoi cela va servir.
Notre association considère que les recommandations européennes existent. Un nouveau règlement a été adopté par le Parlement européen et la Commission européenne en 2014. Il doit être appliqué pour le mois de mai 2016 mais ne le sera pas car l'ANSM en est seulement à la phase pilote de la mise en oeuvre des nouvelles règles. De notre point de vue, la législation, qui n'est certes pas parfaite, et les recommandations, que l'on peut sans doute encore améliorer, existent mais le problème est leur mauvaise application ou leur inapplication. La vraie question est de savoir comment on peut les appliquer.
Cette question nécessite de remonter à la création de l'agence du médicament en 1993 avec l'affaire du sang contaminé. Jusque-là les décisions médicales étaient prises par le ministère de la santé et le Premier ministre en était le responsable. La création de l'agence a permis de mettre en place un fusible. On n'en est pas resté là. On lui a confié des missions en matière de sécurité du médicament. L'agence est devenue l'Afssaps, incluant non seulement les médicaments mais aussi les produits de santé. Est ensuite malheureusement arrivée l'affaire du Mediator. Donc, quelques têtes ont été coupées et on a changé de dénomination. L'Afssaps devient l'ANSM. Et voilà qu'apparaît une nouvelle affaire avec l'accident de Rennes. On s'empresse tout de suite de dire que finalement l'ANSM a fait son travail, même si elle a fait le minimum.
Notre association estime que tout cela révèle un problème de gouvernance. Quand les ministres décidaient, l'autorité politique décidait. Aujourd'hui, ce sont les experts qui décident. Manifestement, l'autorisation d'expérimentation est donnée au sein de l'ANSM par un groupe d'experts ou par un expert, on ne sait pas très bien comment cela se passe. On sait les liens qu'entretiennent les experts avec l'industrie pharmaceutique. On a 2000 experts répertoriés à l'ANSM, ils sont tous un peu consanguins. Plus grave, à l'issue de la phase 3, où l'on compare le candidat médicament à un placebo ou à un autre médicament qui existe déjà pour mesurer l'efficacité et le rapport bénéfice-risque, c'est le directeur de l'ANSM qui donne l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament, c'est-à-dire un expert.
Alors que faire ? Le politique est désinvesti, ce sont les experts qui prennent les décisions et puis ça ne marche pas bien.
A l'époque où j'étais médecin généraliste et où j'avais des responsabilités syndicales qui m'ont conduit à me préoccuper de l'évaluation en santé, j'ai été administrateur de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), qui a précédé la Haute Autorité de santé (HAS) et qui a succédé à l'association nationale de développement de l'évaluation médicale (Andem). Au sein de cette association, on s'était posé la question des experts. En suivant les auditions organisées par votre commission sur les liens d'intérêts, j'ai revécu un peu les débats qu'on a eus il y a trente ans. Nous avions mis en place une méthodologie qui a été utilisée par l'Anaes pour élaborer les recommandations et qui reposait sur trois possibilités.
La première méthode, la plus simple et celle qui a été le plus longtemps utilisée, est celle de l'avis d'expert. Un expert reconnu dans le monde entier définit la façon de procéder et on s'arrête là. On a ensuite évolué et les experts se sont réunis. La deuxième méthode définie a été celle de l'avis d'expert formalisé, c'est-à-dire reposant sur une méthodologie particulière faisant en sorte que les experts essaient de se mettre d'accord pour donner un avis consensuel. On arrive donc à une recommandation avec un consensus formalisé d'experts. Mais c'était loin d'être satisfaisant et on a utilisé une troisième méthode qui était, à mon sens, la meilleure et sur laquelle il va falloir revenir. C'est d'ailleurs un peu celle que vous utilisez dans votre commission. Il s'agit de la méthode de la conférence de consensus. Cela fonctionne comme un tribunal avec un jury formé non pas d'experts mais de gens qui s'intéressent au problème. Par exemple, pour la médecine, des médecins généralistes et des médecins spécialistes. Il y a quelques juristes, des représentants des usagers. Tous forment un jury qui écoute les experts qui viennent argumenter sur l'intérêt ou, au contraire, les défauts, de tel ou tel médicament ou de telle ou telle stratégie thérapeutique. Cette méthode, qui a l'inconvénient d'être lourde, a pleinement donné satisfaction. Cependant, elle n'est plus utilisée depuis que la HAS a remplacé l'Anaes.
Pour des raisons de philosophie de la médecine, on considérait à l'Anaes que les recommandations devaient être négatives compte tenu du fait que les décisions médicales sont généralement prises avec une part d'incertitude. Elles devaient être formulées négativement (en disant par exemple qu'il n'y a pas lieu, dans une situation donnée, de faire telle ou telle chose).
On est cependant revenu à un fonctionnement où, comme à l'ANSM, on ne demande l'avis de personne d'autre ; ce sont les experts qui décident. Nous pensons que si on veut se sortir de ces difficultés, il faut rétablir une certaine forme de gouvernance : il faut évidemment tenir compte des avis d'experts qui sont indispensables, mais également de celui de toutes les personnes concernées : professionnels de santé ou utilisateurs.
Je voudrais rajouter un mot, parce que vous allez recevoir tout à l'heure un expert brillant, qui est l'un des coordinateurs d'une structure dénommée EUCLID rattachée au réseau F-CRIN. F-CRIN est une structure opérationnelle au service d'acteurs académiques, hospitaliers et industriels de la recherche clinique, qui bénéficie de financements issus du Grand emprunt de 2010 à hauteur de 70 %, soit 18 millions d'euros. Il y a, lit-on sur les documents de F-CRIN, incitation à trouver des cofinancements complémentaires. Et qui voit-on apparaître au nombre de ces cofinancements complémentaires ? Le laboratoire Pierre Fabre SA, le monstre tentaculaire qui revient. Alors je ne remets pas en cause l'indépendance de Mme Geneviève Chêne, que vous allez écouter par ailleurs, mais je pense qu'il faudra lui poser la question. EUCLID est financé par F-CRIN ; EUCLID a pour ambition de faire fonctionner une plateforme académique de services pour les essais cliniques et les interventions de santé. On est encore une fois entre experts...
M. Alain Milon, président. - La parole est à Jean-Pierre Godefroy, qui a été notre rapporteur de la proposition de loi Jardé.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je voudrais vous interroger essentiellement sur les comités de protection de la personne. Lorsque nous avons examiné la proposition de loi Jardé, qui visait à mettre à jour la loi Huriet-Sérusclat de 1988, nous avons eu beaucoup de difficulté à imposer que les comités de protection des personnes soient choisis de façon aléatoire, avec une possibilité de refus du promoteur qui ne peut ensuite refuser le second comité désigné par une commission nationale. On sait très bien que les promoteurs n'étaient pas du tout d'accord avec cette proposition, pour une raison évidente, à laquelle vous avez fait allusion : ils souhaitaient pouvoir choisir eux-mêmes le comité auquel confier leur essai, estimant que certains étaient plus qualifiés que d'autres qui, n'ayant pas le niveau requis de connaissance, demanderaient, le cas échéant, trop de temps pour être formés. Depuis quatre ans, nous attendons les décrets d'application. Nous avons eu une tentative d'explication la semaine passée qui ne m'a pas vraiment convaincu ; c'est un peu facile de renvoyer sur l'Europe les responsabilités. En ne prenant pas les décrets d'application, n'espère-t-on pas finalement pérenniser la situation précédente ? Celle-ci a ses inconvénients : on ne peut certes pas porter d'accusation mais, bien souvent, le promoteur est tellement lié au comité de protection des personnes que l'indépendance de jugement se trouve parfaitement altérée.
Le deuxième point qui m'interroge, sans aller plus avant dans l'affaire de Rennes, est que, selon cette procédure, les volontaires doivent être, selon vos dires, des volontaires sains. Or, il semblerait que cela ne fut pas le cas à Rennes. Des personnes admises dans la cohorte participant à cette recherche auraient eu préalablement des problèmes de santé et n'auraient pas dû y être acceptées.
Troisièmement, vous avez eu raison de soulever la question du profit. Nous avions fait en sorte de limiter la possibilité de rémunération à 4 500 euros par an et de ne pas permettre plusieurs essais simultanément, mais nous constatons sur Internet des publicités de type « Devenez cobaye » qui vantent la perspective de « revenus complémentaires ». Quel est votre sentiment sur cette dérive qui risque de porter gravement préjudice à la fiabilité de la recherche ?
Enfin, les comités de protection des personnes autorisent l'essai mais sont dépourvus par la suite de tout moyen d'investigation ou de contrôle. Ne serait-il pas utile de donner aux comités de protection de la personne la possibilité de suivre les essais qu'ils ont autorisés ?
Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - Vous avez quasiment donné les réponses dans vos questions. Effectivement, la loi Jardé a essayé d'apporter un certain nombre de réponses aux questions qui se posent sur l'indépendance des experts. Lorsque l'on fait expertiser son dossier par des gens que l'on connaît, avec lesquels on travaille, se pose alors le problème du consensus d'experts, qui fait loi. Personnellement, j'irais plus loin que la loi Jardé qui dispose simplement que le comité ne doit pas être géographiquement proche du promoteur. Je pense qu'il faut aller vers plus d'indépendance dans la prise de décision et qu'elle ne soit pas uniquement affaire d'experts. Il faut faire intervenir le politique éventuellement ou, par respect de la démocratie sanitaire, les représentants des usagers et des professionnels de santé qui sont peut-être plus à même de former ces fameux jurys. Pareille mise en place serait difficile pour tous les sujets, mais au moins, en ce qui concerne la décision d'AMM, on devrait procéder de cette manière.
S'agissant du contrôle une fois l'autorisation donnée, rien n'interdit à l'ANSM de mettre en place une structure de suivi des expérimentations. Elle en a les moyens, et si elle ne les a pas, peut-être faudrait-il les lui donner. Cela devrait permettre à terme d'éviter les accidents importants qu'on a connus. On parle beaucoup du Médiator, mais il y a eu le Vioxx, l'affaire des cancers du vagin chez les femmes traitées par le distilbène, ou plus actuellement le problème des antiépileptiques. Au stade des essais, que ce soit durant la phase 1, la phase 2 et surtout la phase 3 qui mérite une grande attention, il faut accorder les autorisations dans des conditions strictes après avoir écouté tous les avis et construit une opinion. Au niveau de l'AMM, la décision ne doit pas être prise par un seul individu ou par un groupe d'experts, mais selon une méthode beaucoup plus formalisée comparable à celle d'un tribunal.
La Haute Autorité de santé (HAS) a aussi un rôle à jouer. Elle a une mission d'évaluation globale : évaluation des techniques, dont relève le médicament, évaluation des stratégies, évaluation des structures et certification hospitalière. La plupart des expérimentations ayant lieu à l'hôpital, la HAS devrait spécifiquement certifier les services qui conduisent des expérimentations sur les médicaments. En effet, il se passe des choses pas tout à fait normales, notamment avec les patients cancéreux. On mène auprès de certains d'entre eux des expérimentations de médicaments de phase 1, en leur faisant croire qu'ils peuvent améliorer leur état, une sorte de médicament de la dernière chance, alors qu'il ne s'agit pas du tout de cela. On a même imaginé des essais phase 1/phase 2 destinés à évaluer à la fois la toxicité et la tolérance, ce qui est complètement antinomique. Ainsi, la HAS peut jouer ce rôle. Nos structures existent, les règlements existent. Il faut simplement aller un peu plus loin dans l'indépendance des gens qui prennent les décisions car on voit bien qu'un certain lobbying est toujours présent.
Mme Corinne Imbert. - Sur votre dernier propos, je ne dis pas qu'il n'y a pas de lobbying, ni d'intérêts mais on parvient tout de même à mettre au point un grand nombre de médicaments qui font avancer la médecine.
Ceci étant dit, je m'interroge sur le rôle du législateur au regard des événements récents et du décès d'un volontaire. Je déplore le fait que sur Internet on incite les gens, par des arguments financiers, à tester des médicaments. En ce qui concerne les experts, 2 000 experts à l'ANSM, ils sont quand même très nombreux. Je n'ai rien contre la conférence de consensus que vous proposez, mais les experts resteront incontournables.
Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - Les experts ont aussi vocation à intervenir lors de la conférence de consensus !
Mme Corinne Imbert. - Mais il y aura forcément des liens ! L'indépendance, je crains qu'elle ne soit pas réaliste. Il y a des chercheurs qui font du bon travail, il y a un besoin d'expérimenter, la médecine attend et des malades attendent : c'est cet équilibre qu'il faut atteindre. En revanche, si l'on revient à ce qui s'est passé à Rennes, l'Igas a pointé des manquements majeurs. Il semblerait que, malgré l'hospitalisation du premier volontaire, le lendemain l'expérimentation a été poursuivie. La loi prévoit-elle cela ? Normalement, l'ANSM aurait dû être prévenue et les essais auraient dû être interrompus. Que pensez-vous du manquement du laboratoire qui n'informe ni l'Agence ni les autres volontaires ? Je m'interroge sur la façon dont le législateur peut limiter l'occurrence de ces événements, même si l'on ne pourra jamais totalement empêcher les erreurs humaines. Enfin, je souhaiterais souligner l'importance de la notion de service médical rendu.
M. Alain Milon, président. - Plusieurs anomalies ont en effet été constatées par l'Igas. L'une d'entre elles concerne des essais faits sur deux animaux, qui ont révélé des problèmes et qui n'ont pas empêché la poursuite de l'expérimentation, alors qu'ils auraient dû être immédiatement annoncés.
M. Michel Amiel. - Un mot n'a pas été prononcé jusqu'à présent, qui me paraît essentiel : l'éthique. Ce doit être une préoccupation majeure, en particulier en phase 1, dans cette zone qualifiée de grise la semaine dernière par le professeur Bernard. Il est certain qu'il y a eu des fautes éthiques majeures : le patient présente des troubles graves, malgré lesquels on continue l'essai. Deuxième concept qui fait écho à vos propos : la démocratie sanitaire et le partage de la prise de décision entre les experts et le citoyen qui a bien évidemment son mot à dire. Vous parlez de conférence de consensus, ce qui me paraît une excellente chose, mais à quel moment va-t-elle jouer son rôle ? Dès le départ ? Dès la phase 1 ? Tout le long de l'étude ? Lors de l'AMM ?
M. Yves Daudigny. - Vous avez pointé un problème de gouvernance et, de façon convaincante, vous avez appelé à la constitution de jurys de composition diversifiée. Quelle place y faire au politique ? Le politique peut-il fonder sa décision autrement qu'en s'appuyant sur des avis de personnes averties, ces fameux experts, à moins d'être lui-même expert ? Deuxièmement, les experts ont acquis leur expérience, leur connaissance au cours de phases de travail qui les lient obligatoirement à des laboratoires. La notion d'expert indépendant n'est-elle pas une notion rêvée et qui ne peut se trouver dans la réalité ? L'expert honnête existe mais l'expert indépendant de laboratoires existe-t-il ? Un expert est inévitablement lié à tel ou tel laboratoire... Par ailleurs, vous avez repris le terme de monstre, utilisé dans une autre audition menée ici pour décrire de façon forte l'industrie pharmaceutique. En quoi serait-elle plus monstrueuse que l'industrie automobile ou que la métallurgie ?
Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - S'agissant du rôle du législateur et de celui du politique, je pense qu'il faut d'abord mettre en oeuvre les lois votées et les règlements européens. Je vous rappelle que le règlement de l'Union européenne 536/2014 du Parlement et du Conseil, relatif aux essais cliniques à usage humain abrogeant la directive 2001/20 n'est toujours pas mis en application. La loi Jardé n'est pas mise en application. D'autre part, on a évidemment besoin des avis d'experts, qui restent indispensables. Mais qu'attend-on d'eux ? Une expertise ou une prise de décision ? C'est bien là que se pose le problème. À partir du moment où on a créé une agence du médicament en 1993, on a abandonné la prise de décision en matière de médicament aux experts. Il faut donc réinvestir la prise de décision. Qui va reprendre la décision ? Le politique ? Je ne peux pas répondre à votre place. Mais je revendique pour le professionnel et pour les usagers la possibilité de participer à cette décision, sous la méthodologie que vous voudrez bien mettre en oeuvre. Chacun doit y trouver sa place.
Mme Catherine Génisson. - Je crois qu'on tourne autour du même problème : qui prend la décision et comment est-elle prise ? Bien évidemment, les experts sont incontournables, avec toutes les questions qu'on peut se poser, notamment les liens d'intérêts qu'ils peuvent avoir avec les laboratoires, qui ne sont pas forcément des choses condamnables, et qui sont aussi des réalités. Il est vrai que depuis une vingtaine d'années on assiste à la création de nombreuses agences qui dépossèdent le politique de la prise de décision. Celle-ci relève de gens qui revendiquent une très forte indépendance, au grand contentement de tout le monde. C'est un vrai sujet politique, qui va au-delà même du médicament et des essais cliniques. Cela dit, le politique, même entouré de professionnels et d'usagers dans un souci de démocratie sanitaire, a une marge de manoeuvre très faible et ne peut prendre une décision qu'en fonction du respect de la méthodologie. La compétence personnelle du politique n'a pas à entrer en ligne de compte dans la prise de décision. Il n'y a que le respect de la méthodologie que le politique peut examiner. On ne peut pas contester ce que nous dit l'expert. Peut-être faudrait-il alors réunir plusieurs experts d'horizons différents, sans qu'une seule formation d'experts ne propose la décision...
Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - Le déroulement de la conférence de consensus est une question ouverte. Il faut y réfléchir, trouver des méthodes acceptables pour tout le monde, trouver la place de chacun. Il est évident qu'on ne peut pas se contenter de l'avis d'un expert ou de l'avis favorable du directeur de l'ANSM pour accorder l'AMM alors que, dans le même temps, d'autres experts ont exprimé leur désaccord. De pareilles situations existent : je pense en particulier à certains antidiabétiques depuis retirés, qui ont reçu l'AMM après l'accord du directeur de l'ANSM contre l'avis des experts. La prise de décision n'est pas bonne. Certains experts ne font pas le travail, ceux qui le font ne sont pas toujours écoutés. Le directeur de l'ANSM est lui-même un expert. On ne peut pas laisser des gens seuls prendre des décisions aussi importantes. Il faut à mon sens revenir sur cette question, qui est au coeur du problème. Il faut le faire à un moment clef, celui de l'AMM. Pour le suivi, il existe des structures qui en sont normalement chargées. Le technology assessment est mené par la HAS. Elle est là pour veiller à l'existence de la quatrième phase de pharmacovigilance, pour donner son avis sur le rapport coût-efficacité, sur la notion d'efficience et sur le service médical rendu. Elle doit normalement le faire avant que la Caisse nationale d'assurance maladie ne fixe le prix. Pour ne pas être totalement négatif, des choses ont été faites depuis la loi Huriet-Sérusclat : des règlements européens ont été pris, des recommandations ont été faites, tout cela va dans le bon sens. Mais il reste des choses imparfaites, et il faut d'abord mettre en place ce qui a été voté.
Le dernier règlement européen cherche à améliorer et raccourcir le circuit de décision pour répondre certes aux préoccupations de l'industrie. Il comporte aussi un paragraphe 5 qui évoque de manière très développée le consentement libre et éclairé et la méthodologie permettant de le garantir.
En matière d'éthique, on distingue l'éthique professionnelle et l'éthique déontologique. Chacun, en fonction de ses convictions et de croyances, respecte un certain nombre de valeurs et n'en respecte pas d'autres. Il y a quatre grands principes en médecine. Le principe de bienfaisance selon lequel toute activité médicale doit apporter du bénéfice au patient ; le principe de non-nuisance selon lequel il ne doit pas y avoir de risque inutile ni d'inconvénient ; le principe d'autonomie selon lequel le patient prend la décision pour un acte dont les conséquences lui incombent. Dans le cadre d'un essai au cours duquel il se met en danger, va-t-il se contenter de 1 900 euros ? Est-ce vraiment éthique de n'accorder que 1 900 euros à quelqu'un qui se met en danger alors qu'il est en difficultés financières et qu'il se trouve particulièrement vulnérable ? Il va donner son corps pour permettre à l'industrie de faire des bénéfices. Bien que le monstre soit une image, à laquelle bien évidemment je ne souscris pas, il n'en demeure pas moins que si l'on veut que l'industrie pharmaceutique se comporte bien, il faut mettre en place des règles dans cet objectif. Et si elle se comporte mal, il faut prendre des sanctions, y compris contre les experts. Quatrième principe, dont on n'a pas parlé ici : la justice distributive. On donne énormément d'argent pour des médicaments qui n'ont aucune utilité et cela pose une vraie question. Dans les thèmes de ces auditions, vous évoquez « l'innovation thérapeutique » et je me dois de signaler un glissement sémantique : ce qui est innovant est-il effectivement facteur de progrès ?
Mme Catherine Procaccia. - Souvent !
Dr Alain Masclet, président d'AR2S. - Se contente-t-on de l'innovation ou cherche-t-on le progrès ? La HAS est capable de mesurer le progrès. Elle sait mener des évaluations médico-économiques. L'innovation fait marcher l'industrie et crée des emplois. Mais à quoi sert-elle si elle est synonyme de nuisances supplémentaires ? La nouveauté n'est pas garante de la qualité. Il faut abandonner ce terme, il faut parler des progrès thérapeutique et non de l'innovation thérapeutique.
M. Alain Milon, président. - Merci beaucoup, monsieur Masclet. Avant de recevoir Mme Chêne, je voudrais constater que le cadre législatif et réglementaire des essais cliniques suscite un fort intérêt, du fait de l'actualité mais aussi des retards dans l'application de dispositions que nous avons votées. Si la commission en est d'accord, je solliciterai l'inscription à l'ordre du jour d'un débat à ce sujet lors de la semaine de contrôle du mois de mai.
Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques - Audition de Mme Geneviève Chêne, directrice de l'Institut de santé publique (Inserm)
M. Alain Milon, président. - Nous recevons maintenant le professeur Geneviève Chêne, directrice de l'Institut de santé publique (Inserm).
Vous avez, madame le professeur, un parcours remarquable au coeur de la recherche clinique française et vous êtes particulièrement bien informée de ses enjeux.
Notre objectif est évidemment de promouvoir la recherche et particulièrement la recherche en France pour permettre le développement des thérapies au service des malades. Le cadre légal et réglementaire de la recherche clinique est cependant en évolution avec la loi dite Jardé, à ce jour non appliquée dans l'attente de la mise en oeuvre d'un règlement européen. On s'inquiète parallèlement de la baisse du nombre d'essais cliniques en Europe et en France.
Pourriez-vous nous faire part de votre analyse et de vos préconisations ?
Pr Geneviève Chêne, directrice de l'Institut de santé publique. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j'interviens comme directrice de l'Institut de santé publique qui dépend de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale dont le président directeur général est M. Yves Levy. Vous avez également rappelé, monsieur le président, qu'au gré de mon parcours, j'ai acquis une expérience personnelle des essais cliniques, mais assez peu des phases 1 ou très précoces comme l'essai Biotrial qui préoccupe aujourd'hui votre commission.
L'Inserm est le seul organisme public de recherche français entièrement dédié à la santé humaine. L'expertise et la veille scientifiques figurent également parmi les missions officielles de l'Institut. La communication des expertises collectives, qui contribuent en particulier à l'élaboration de la norme, donnent également lieu à des auditions. L'Inserm comprend 289 unités de recherche majoritairement implantées dans des universités, hôpitaux ou centres de lutte contre le cancer. Plus de 10 000 personnes travaillent dans des unités labellisées Inserm. Les liens privilégiés avec les hôpitaux, que ce soit auprès des laboratoires ou auprès des patients, voire des volontaires sains, sont également une particularité de l'Inserm, dont l'objectif est notamment d'améliorer la santé de la population française.
L'Inserm assure une mission de coordination qui a conduit à la création de 10 instituts thématiques qui lui sont associés depuis 2007. Les domaines de ces instituts sont variables et comprennent la biologie la plus fondamentale, la lutte contre le cancer ou encore l'amélioration de la santé publique.
l'Inserm assume une ambition très forte au niveau international et joue un rôle de première importance dans la construction de l'espace européen de la recherche. En effet, la recherche dans le domaine clinique demeure internationale et ses résultats sont jugés à l'aune de ce qui se passe dans le monde entier. L'environnement européen est ainsi pris en compte et la compétition est internationale pour l'ensemble des unités de recherche qu'elles soient publiques ou privées. L'Inserm est ainsi parfaitement consciente de ces aspects.
L'Inserm joue également un rôle de promoteur des recherches cliniques translationnelles, en relation directe avec les résultats des travaux de ses unités. Cette translation vise l'application des résultats des recherches conduites en laboratoire aux patients ou aux volontaires dans les cliniques. À ce titre, l'Inserm intervient comme promoteur pour une vingtaine de nouveaux projets chaque année. Le profil de promoteur de l'Inserm concerne peu les essais cliniques de produits de santé, mais celle-ci suit la tendance générale constatée dans la recherche clinique où les innovations vont désormais bien au-delà des médicaments eux-mêmes pour concerner les dispositifs médicaux jusqu'aux applications sur internet et aux études observationnelles de grandes cohortes qui sont très importantes pour fournir des données.
L'Inserm bénéficie d'un réseau régional de 36 centres d'investigation clinique dont la plupart sont situés dans les hôpitaux ou les universités. Ils fournissent des lits et une organisation dédiée afin de constituer un environnement optimal pour la recherche et bénéficient d'un cadre très réglementé afin d'assurer les conditions requises pour la sécurité des volontaires.
Vous m'aviez posé la question de fond de savoir si le cadre législatif et réglementaire français encadrant les essais cliniques assurait le bon équilibre entre la protection des personnes et la nécessité de développer la recherche. On peut répondre à cette question à l'aune de la situation d'aujourd'hui ou avec comme perspective l'application de la loi Jardé. Dans les deux cas la réponse est oui, et l'analyse des conséquences de l'essai de Biotrial souligne que le problème n'est pas tellement le cadre législatif et réglementaire français. En effet, celui-ci est assez complet et adapté à la recherche clinique depuis la loi Huriet-Serusclat et les évolutions induites par la loi Jardé. À cela s'ajoute une circulaire très récente de la DGS aux directeurs d'ARS leur demandant, dans les essais de phase 1, d'être extrêmement attentifs, en particulier quant à la déclaration très rapide des effets indésirables graves conduisant à une hospitalisation. Cette contrainte est assez logique en effet. Certaines dispositions législatives et réglementaires ne sont pas totalement appliquées. Par ailleurs, les CPP qui sont en charge d'évaluer les projets a priori ont une charge de travail qui n'est pas à la hauteur des enjeux de la complexité scientifique des projets à revoir. Ils n'ont d'ailleurs pas les moyens de mobiliser toutes les compétences dont ils ont besoin en fonction du type d'études. Ce point est important, car toute évolution de la législation requiert des conditions suffisantes pour qu'elle soit effectivement appliquée. On est dans le cadre de la recherche mais également dans ce que nous désignons sous l'appellation de « frontière de la science », à savoir des nouvelles formes d'essais pour prendre en compte des interventions nouvelles dont la méthodologie et les aspects opérationnels ou de « gouvernance » restent largement à définir. Ainsi, la revue des protocoles, telle qu'elle est aujourd'hui conduite, nécessite d'être renforcée.
Dans ses grands principes, la législation pose que l'intérêt de la personne prime toujours sur les seuls intérêts de la science et de la société. Pour les chercheurs, ce point est crucial car tout au long de l'application des protocoles, la sécurité de chaque participant est primordiale. Même en déviant parfois de l'aspect méthodologique, il est absolument crucial de se rappeler à chaque instant cette primauté. La formation des personnels à cette priorité est aussi importante. Enfin, les accidents sont historiquement rarissimes ; le cadre législatif et réglementaire français peut certes être amélioré, mais dans l'ensemble, il est plutôt suffisamment contraignant et doit être rappelé dans des conditions opérationnelles.
Néanmoins, des marges de progrès demeurent, mais elles doivent être guidées par la prudence. D'après les rapports sur l'accident de Rennes, la législation semble avoir été appliquée, mais il apparaît tout aussi important que certaines informations, collectées au fur et à mesure, soient examinées avec beaucoup d'attention et que le déroulement des traitements mobilise des personnels ayant la capacité d'analyser chaque événement. Cette analyse doit être conduite dans le sens du maintien permanent de la sécurité pour les participants concernés. Par exemple, qu'un participant ait été hospitalisé un dimanche tandis que la déclaration n'a eu lieu que le jeudi constitue évidemment un problème. Les personnels sont particulièrement conscients de l'importance de la sécurité des participants aux essais cliniques. La réglementation permet déjà de faire cette déclaration et il y a là des marges d'amélioration.
La première catégorie d'améliorations concerne l'évaluation et le déroulement scientifiques. Il n'y a pas d'attention suffisante portée sur la justification de la pertinence des doses choisies. On voit ainsi dans le rapport conduit par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) que la pertinence des doses, allant jusqu'à la dose maximale, n'est sans doute pas suffisamment précisée dans le protocole. Le second élément relevant de l'évaluation et du déroulement scientifiques concerne l'étendue des études précliniques, réalisées chez les animaux en particulier, et les informations que l'on doit analyser. Ce point n'est toujours pas stabilisé.
La seconde catégorie concerne les méthodes et les schémas. J'ai à cet égard demandé à mes équipes situées à Paris et Bordeaux de regarder, avant cette audition, si ceux-ci étaient stabilisés. Pas du tout ! À combien de personnes sentinelles dans chaque cohorte doit-on administrer la première dose avant d'en administrer d'autres à l'ensemble des personnes ? Rien n'est écrit là-dessus, faute d'une recherche très active sur ce sujet. Les leçons de l'accident de Londres n'ont pas été totalement tirées et je pourrai dire que j'en fais le mea culpa au nom de la communauté des méthodologistes, des épidémiologistes et des statisticiens qui devraient se préoccuper davantage de ces aspects. Il faudrait également se pencher sur la clarification des séquences d'administration chez les volontaires, ainsi que sur l'espacement entre l'administration des traitements. Rien n'est écrit.
La troisième catégorie concerne la décision et la gouvernance. J'ai été frappée de voir, dans cet exemple, que la décision de passage d'une cohorte à l'autre était faite par l'investigateur et le promoteur. Des recommandations, ainsi que l'arrêté du 24 mai 2006 fixant le contenu, le format et les modalités de présentation du dossier de demande d'avis au comité de protection des personnes sur un projet de recherche biomédicale portant sur un médicament à usage humain, précisent que cette décision doit demeurer a priori indépendante et qu'un comité indépendant de surveillance doit être instauré. Il importe ainsi que ce soit ce comité qui décide de passer à chaque palier de doses même en l'absence de problème. Ces outils existent déjà. D'ailleurs, dans les modalités prévues par l'arrêté du 24 mai 2006, on doit justifier qu'un comité indépendant n'est pas constitué. Ce point a-t-il été revu lors de l'examen du protocole de Rennes ? Une telle démarche permet que la décision ne puisse pas venir que du promoteur et de l'investigateur, dans un contexte où tout ne saurait être automatisé et où les résultats provenant d'autres essais doivent pouvoir être précisément pris en compte.
La formation initiale et continue des personnels représente enfin la quatrième catégorie susceptible d'être améliorée. On pourrait délivrer une autorisation de professionnels à l'instar de celle accordée aux lieux de recherche. J'ai le souvenir d'avoir personnellement validé en ligne, pour un essai américain où j'étais méthodologiste, près de sept modules de formation pour que le CPP examine le projet. Cette démarche est organisée de manière très motivante et représente quelque quarante heures de formation nécessaire à l'obtention d'une autorisation valable deux ans. Des progrès quant à la connaissance de la législation par les personnels ainsi qu'en matière d'encadrement me semblent ainsi pouvoir être accomplis.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie, madame le professeur, de vos propos liminaires et passe la parole à mes collègues.
M. Jean-Pierre Godefroy. - J'aurai une question sur les comités de protection des personnes (CPP). Vous semblez dire que ces comités n'ont pas les moyens de formuler un avis éclairés. Nous avions souhaité, dans le cadre de la loi Jardé, que les comités de protection des personnes soient choisis de manière aléatoire afin d'améliorer leurs connaissances et leur qualité. Les promoteurs, quant à eux, nous disaient qu'ils souhaitaient recourir à des comités dont la formation pouvait, le cas échéant, leur incomber, ce qui me paraît douteux. Que manque-t-il, selon vous, à ces comités de protection des personnes pour qu'ils puissent disposer de la compétence requise ? Par ailleurs, si ce comité donne initialement l'autorisation, il est par la suite totalement exclu de la procédure. Ne faudrait-il pas, à l'inverse, qu'il soit tenu régulièrement informé et qu'il puisse rendre un avis lors des modifications des dosages de traitement par exemple ? Sommes-nous donc en deçà du rôle qui devrait être celui de ce comité ?
Mme Catherine Procaccia. - Vous avez évoqué votre expérience de formation aux protocoles dans le cadre d'un essai impliquant des partenaires nord-américains. Une telle formation est-elle systématique aux États-Unis ou celle-ci était-elle plus ponctuelle, en s'inscrivant uniquement dans une étude spécifique?
Pr Geneviève Chêne. - S'agissant des CPP, il me semble qu'il y a une légère contradiction entre le fait de souligner leur hétérogénéité de penser que leur choix aléatoire par tirage au sort permettrait de la réduire. Le tirage au sort présuppose comme condition la véritable équivalence entre les personnes. Cependant, les CPP n'ont pas nécessairement les moyens de travailler au regard de leur charge de travail et des délais qui sont les leurs. Disposent-ils des ressources humaines suffisantes ? En outre, chaque CPP dispose de deux méthodologies pour conduire son évaluation, ce qui est en soi une bonne chose, mais qui conduit à avoir quatre-vingt méthodologies pour l'ensemble du territoire français. Ce processus d'évaluation scientifique doit être indépendant et considérer les aspects également éthiques. Car ce qui n'est pas éthique ne saurait être scientifique. Ces CPP doivent être en mesure, notamment sur la phase 1 d'un médicament, de mobiliser toutes les compétences nécessaires.
Par ailleurs, je pense qu'un tirage au sort stratifié serait plus efficace. Je comprends qu'on veuille casser le lien potentiel entre un investigateur et un CPP au niveau local. En revanche, si l'on imagine que l'envoi des projets est centralisé et que les CPP ont une sorte de spécialisation, on peut alors tirer au sort parmi les CPP qui ont la même spécialisation et dont les méthodologistes connaissent le sujet. Telle est cette stratification des compétences que j'appelle de mes voeux. Il me semble également que les CPP demeurent les mieux armés pour envisager les aspects éthiques et scientifiques qui ne sont pas dissociables.
Sur la formation, le programme de recherche scientifique auquel j'ai fait référence était commun à l'Agence nationale de recherche sur le SIDA et une université américaine. Les industriels fabricants de vaccins étaient très peu impliqués dans ce programme. La formation relevait ici de l'application d'une règle systématique.
M. Michel Forissier. - Madame le professeur, je m'exprimerai comme une personne, sans formation médicale initiale, qui a été le témoin direct de l'expérimentation de médicaments sur mon épouse qui souffrait d'un cancer et était traitée au Centre Léon Bérard dans l'agglomération lyonnaise. Il était question d'employer un nouveau produit pour pallier l'absence d'effets de la chimiothérapie. À aucun moment je n'ai éprouvé de doutes tant les choses me semblaient encadrées. Le médecin traitant apportait la garantie et devait être, me semble-t-il, tenu informé à tout moment de l'évolution de ses patients. Du fait de l'aggravation de l'état de santé de mon épouse suite à une seconde injection de ce traitement, celui-ci fut stoppé immédiatement. En revanche, le délai de réactivité me semble manquer dans cette affaire qui préoccupe tout le monde.
Pr Geneviève Chêne. - Vous venez de citer un cas qui vous est personnel et douloureux qui souligne l'importance de la déclaration sans délai. Dans le cas particulier de l'essai Biotrial, il s'agissait de volontaires sains. Ceux qui font ou ont l'expérience des essais cliniques savent en permanence qu'il peut se passer quelque chose. Il faut ainsi les former à la gestion d'une crise qui a un impact sur l'ensemble des personnes concernées. C'est la raison pour laquelle ce circuit est important, via la déclaration de pharmacovigilance, et peut permettre d'éviter des problèmes. La sécurité du participant doit demeurer la préoccupation prédominante.
M. Olivier Cigolotti. - Vous avez, madame le professeur, évoqué la nécessaire prise en compte de l'éthique dans la formation des personnels. On constate, à travers les auditions organisées au sein de notre commission, que se fait jour une volonté de réduire les délais entre les schémas d'administration. Selon vous, comment peut-on mieux encadrer ces délais ? En outre, leur raccourcissement peut être à l'origine de gains financiers pour l'industrie pharmaceutique relativement conséquents?
M. Alain Milon, président. - Cette question rejoint d'ailleurs une autre question que nous vous avions précédemment adressée par écrit à madame le professeur, à savoir si la recherche publique nécessite un cadre distinct de celui de la recherche par les promoteurs privés.
Pr Geneviève Chêne. - Cette question est difficile, puisqu'il y a assez peu de recherche méthodologique pour savoir quelles doivent être les délais. Il est par conséquent assez difficile de les fixer de manière réglementaire puisque la science évolue dans le temps et toute tentative de fixer ces délais peut s'avérer très vite caduque et s'avérer un frein à la compétitivité. Par ailleurs, pour les industriels, le risque de perdre de leur notoriété en cas d'incident est bien supérieur au bénéfice tout à fait marginal qui résulterait d'une accélération des procédures.
Dans la compétitivité des essais cliniques, de nombreuses enquêtes, comme celles de l'organisation professionnelle des entreprises du médicament (Leem), démontrent que la France jouit d'une réputation sans doute insuffisante dans certains domaines par rapport à la qualité réelle des équipes qui y sont mobilisées. Or, la notoriété vis-à-vis de l'industrie est fondée sur la capacité à conduire des études et à discuter des bons délais au regard du coût supplémentaire généré. Celui-ci n'est pas exorbitant au regard de la perte de notoriété induite par la catastrophe humaine que représente le décès d'un volontaire sain.
La justification de la posologie, dont l'amélioration dépend des industriels comme le souligne le rapport de l'ANSM, demeure un facteur important. Si la première dose était justifiée, on est allé jusqu'à prescrire certaines doses sans doute assez élevées, qui n'étaient justifiées ni par l'hypothèse scientifique ni par les données précliniques dont on disposait. Cette analyse-là est aussi importante que celle des délais et elle doit être conduite avec les industriels qui disposent des données suffisantes pour l'approfondir.
Mme Corinne Imbert. - Puisque l'industrie pharmaceutique est souvent pointée du doigt, quels sont les progrès qu'il lui reste à faire ? Vous venez effectivement de répondre pour partie à cette question. Ma seconde question portera sur votre évocation des doses de plus en plus élevées qui ont été testées, alors que, dans le même temps, prescrire un médicament implique de s'assurer de la dose minimale qui soit efficace. À partir de ce constat, faut-il tirer des conclusions ?
Pr Geneviève Chêne. - S'agissant de la dose, la séquence de l'évaluation clinique d'un nouveau produit de santé inclut la recherche de la dose minimale efficace, mais après avoir recherché la dose maximale tolérée. La première étape est ainsi de rechercher la dose maximale tolérée pour un patient qui doit demeurer en vie. Dans cette phase, cette étape de dose maximale tolérée peut recevoir un plafond. Or, dans ce cas, le plafond n'était vraisemblablement pas très bien défini au regard de l'indication que l'on recherchait et de la connaissance des récepteurs neurologiques, c'est-à-dire du mécanisme d'action de ce médicament. Il a été, du reste, assez intrigant de voir pour les connaisseurs de ces phases 1, dans une forme de recherche de dose maximale tolérée, qu'on pouvait avoir un plan d'études impliquant jusqu'à une centaine de personnes.
Ce point est assez inhabituel pour des essais précoces visant la dose maximale tolérée. On est sans doute allé très loin dans l'augmentation des doses d'une manière qui n'était pas suffisamment étudiée à l'avance. Les industriels ont ici un rôle à jouer car ils connaissent le mieux leurs molécules.
Mme Catherine Génisson. - Vous avez parlé, dans la définition du schéma d'expérimentation, du rôle des personnes sentinelles. Vous avez également souligné que le promoteur ne pouvait assumer la responsabilité de la conduite de cette expérimentation. Pouvez-nous définir ce qu'est une personne sentinelle, ainsi que les personnes qui peuvent intervenir dans la surveillance de la conduite de cette expérimentation ?
Pr Geneviève Chêne. - Lorsqu'on commence l'expérimentation d'un nouveau médicament sur l'homme, pour minimiser le risque, on l'administre d'abord à une personne puis, à l'issue d'un délai suffisant, à une seconde personne. On peut ainsi continuer, notamment en cancérologie, un traitement par séquences de trois personnes. Plus on observe de personnes sans événement indésirable grave, plus la sécurité d'emploi du médicament est confortée. Ces premières personnes sont ce que nous appelons des patients sentinelles. Combien faut-il de personnes sentinelles sans événement ? On n'en sait rien ! Le délai qui doit s'écouler entre plusieurs prises dépend également du médicament lui-même et notamment de sa rapidité d'action. On ne peut avoir de forme standard pour l'ensemble des médicaments. Il faut ainsi interroger la base des connaissances et des différents essais cliniques, parmi lesquels les essais précliniques faits sur les animaux.
Les comités indépendants de surveillance, qui relèvent de l'arrêté de 2006, rassemblent un petit groupe de spécialistes d'essais, dont un clinicien du domaine, un méthodologiste, un pharmacologue voire un éthicien ou un représentant de patients, qui peuvent être rapidement mobilisés pour examiner, par exemple, les données de la première cohorte. Ceux-ci sont totalement indépendants et ne sont liés en rien ni aux investigateurs, ni aux centres cliniques, ni aux promoteurs, ni aux financeurs. Ils n'ont pas non plus d'intérêt avec le déroulement de l'essai et leur rôle est d'assurer la sécurité d'emploi, en donnant un avis sur la possibilité de passer à l'étape suivante. Le promoteur et l'investigateur disposent ainsi d'un avis indépendant. La sécurité des patients est ainsi évaluée par des personnes qui sont totalement indépendantes. Ce comité existe pour tous les essais cliniques et l'arrêté de 2006 précise que les CPP devraient trouver dans chaque protocole les motifs du non-recours à ce comité indépendant de surveillance. Il faut ainsi justifier de leur absence. Je ne suis pas sûre que ce point ne figurait pas dans le protocole et qu'il n'ait pas été examiné par le CPP car je ne l'ai vu dans aucun des rapports.
M. Georges Labazée. - Votre réflexion est-elle nourrie par des exemples étrangers et européens ?
Pr Geneviève Chêne. - Du point de vue de la méthodologie des essais et de la réflexion scientifique, les scientifiques, s'agissant notamment des bonnes pratiques, travaillent plutôt à l'échelon international et européen. Lorsqu'on réfléchit sur l'intérêt d'un comité indépendant ou l'évolution de la méthodologie, l'ensemble de cette réflexion se nourrit des expériences étrangères, y compris nord-américaine. Les préoccupations sont les mêmes partout quant à la bonne marche des essais et la poursuite de l'innovation.
Vous aviez posé la question de savoir si, du point de vue de l'accès à l'information, le secret industriel était un obstacle au bon exercice de leur mission par les CPP et l'ANSM. À ma connaissance, l'ANSM dispose, a priori, du pouvoir de demander toute l'information nécessaire aux industriels et ceux-ci ont l'obligation de fournir ces informations. Le secret industriel n'est donc pas opposable à l'ANSM.
S'agissant des CPP, j'ajouterai que la loi Jardé leur donne compétence pour examiner les projets tant interventionnels que non interventionnels. Leur charge de travail ne va pas diminuer à l'avenir. En outre, les CPP ne fonctionnent pas de manière standard. C'est la raison pour laquelle je propose une répartition aléatoire et stratifiée par groupe de compétences.
S'agissant du contrôle de la méthodologie, je souhaite souligner à nouveau le caractère crucial de l'élaboration de la méthodologie des projets. Il est ainsi difficile de juger des aspects éthiques d'un projet sans pouvoir juger également de sa méthodologie et de ses aspects scientifiques. L'objectif de la méthodologie est ainsi d'aboutir au meilleur niveau de preuve possible, tout en respectant la sécurité des participants. Construire de tels projets est assez complexe et le protocole doit refléter cette justification scientifique qu'apporte la méthodologie. En effet, on peut s'interroger sur l'inclusion, dans des essais de volontaires sains, de personnes d'un certain âge, puisque celles-ci présentent davantage de risques de faire des événements graves. Inversement, la généralisation des résultats est plus compliquée à partir du moment où l'on n'étudie que des sujets jeunes. On peut également s'interroger sur l'interaction dans l'étude d'un produit donné d'autres substances comme le cannabis, le tabac ou encore l'alcool. Ce point est en effet crucial dans l'élaboration du protocole.
Ces points de sécurité sont essentiels. Comme l'a souligné le rapport de l'ANSM, tous les examens cliniques doivent être complets pour l'ensemble des personnes qui se prêtent à ce type de protocoles, ainsi que les conditions de levée de l'aveugle et tous les aspects afférents à la répartition des rôles que doit préciser un protocole ou un manuel d'opérations. Qui fait quoi lorsqu'un problème survient ? Un tel point doit ainsi être absolument précisé et toute imprécision dans ce domaine génère un risque pour les personnes.
Par ailleurs, s'agissant de la visibilité des essais cliniques, leur inscription à un registre international est une condition requise pour publier les résultats obtenus. Ce registre répond à deux objectifs : d'une part, éviter de reconduire des essais cliniques déjà opérés et, d'autre part, garantir la disponibilité des résultats des essais qui peuvent ne pas être publiés, ce dernier point étant favorable à la mesure du bénéfice risque.
S'agissant du contrôle a posteriori de la méthodologie, les promoteurs et l'ANSM peuvent toujours diligenter des audits sur place.
En ce qui concerne la préconisation du rapport d'étape de l'IGAS sur la mise en place d'une commission internationale à la suite de cet accident, il faut être vigilant face à l'impact qu'aurait une telle démarche en termes d'image. La France est membre d'un certain nombre d'instances internationales et à ce titre, elle peut porter cette demande dans ces instances d'une manière générale et non pour être évaluée sur une question particulière.
Je ne crois pas que la recherche publique doive bénéficier d'un cadre distinct, ni plus ni moins contraignant que la recherche privée.
Je répondrai enfin à la question de savoir si la mise en place des essais impliquant les enfants répond à un enjeu spécifique. Les essais « first in human », qui désigne la première administration chez l'homme d'un traitement, ne sont pas autorisés chez les enfants. Ce qui est très bien.
M. Alain Milon, président. - Merci madame le professeur pour votre intervention très intéressante et documentée.
Questions diverses
M. Alain Milon, président. - Comme vous le savez, le projet de loi sur la réforme du code du travail devait initialement être délibéré aujourd'hui même en Conseil des ministres. Cette échéance a été reportée de quinze jours.
Nous attendrons le dépôt effectif de ce texte pour procéder à la désignation de nos rapporteurs. Mais pour la pleine information de la commission, je voudrais d'ores et déjà vous indiquer que les groupes de la majorité sénatoriale proposeront de confier l'examen de ce projet de loi à trois de nos collègues : Jean-Baptiste Lemoyne, Michel Forissier et Jean-Marc Gabouty. En tant que rapporteurs pressentis, ils vont ainsi pouvoir pleinement suivre les débats en cours sur la modification de ce texte avant même son dépôt au Parlement.
La réunion est levée à 11 h 45.