Mercredi 27 janvier 2016
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Prévention des risques en matière phytosanitaire - Table ronde
La réunion est ouverte à 9 heures.
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons déjà organisé, au cours de l'année 2015, plusieurs tables rondes sur l'aménagement du territoire, le diesel ou encore la biodiversité en outre-mer. Dans le cadre de notre programme pour 2016, nous organiserons plusieurs tables rondes comme celle de ce matin, notamment sur la question de la démographie médicale et de la prévention des risques naturels. Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est celui de la prévention des risques phytosanitaires. Dans son avis budgétaire pour 2016, Pierre Médevielle avait souligné l'ampleur des risques liés à l'utilisation des produits phytosanitaires, n'hésitant pas à dire qu'en matière de pesticides, nous nous trouvions à la veille d'un scandale sanitaire.
Ce n'est pas la première fois que nous nous emparons de la question des pesticides dans cette assemblée ; je pense notamment au rapport de notre collègue Nicole Bonnefoy, dans le cadre de la mission d'information présidée par Sophie Primas et publié en octobre 2012. La semaine dernière, durant l'examen du projet de loi sur la reconquête de la biodiversité, nous avons beaucoup parlé des néonicotinoïdes. La situation évolue, notre connaissance de ces produits progresse et nos concitoyens nous interrogent de manière pressante. Cette table ronde est l'occasion de réunir tous les acteurs et de mettre à jour les connaissances dont nous disposons.
M. Pierre Médevielle. - La prévention du risque phytosanitaire en France englobe l'usage des pesticides comme fongicides, herbicides et insecticides. Nous avons débattu de ces sujets la semaine dernière, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la biodiversité. Ces débats font suite à la remise d'un avis de l'Anses, le 7 janvier dernier, qui a mis en évidence les incertitudes concernant l'utilisation de ces substances, notamment en enrobage de semences de céréales. Les mentalités ont d'ailleurs évolué depuis le mois de février, lors du premier vote sur ces produits. Les agriculteurs sont conscients du fait qu'il faut trouver une solution aujourd'hui. La meilleure solution consisterait sûrement à fixer une date butoir, ce qui encouragerait la recherche de véritables solutions alternatives.
L'objectif de cette table ronde est de nous permettre de dresser un état des lieux du risque phytosanitaire en France, tout au long de la vie de ces produits, de leur conception à leur utilisation. Nous avons réuni à cette fin plusieurs catégories d'intervenants : des représentants de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, avec Françoise Weber, directrice générale adjointe aux produits réglementés, des représentants des firmes produisant les produits phytosanitaires, avec Eugénia Pommaret, directrice générale de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), des représentants de la profession agricole, avec Daniel Roques, membre de la Coordination Rurale, et Éric Thirouin, membre du Bureau de la FNSEA et président de la commission environnement de la FNSEA, enfin, des représentants de la Mutualité sociale agricole (MSA), avec Franck Duclos, directeur délégué aux politiques sociales et Dominique Lenoir, médecin chef de l'échelon national de la santé au travail et directeur de la santé sécurité au travail. La MSA a été parfois mise en cause du fait d'une certaine omerta, mais un pas a été franchi avec la reconnaissance de la maladie de Parkinson et d'autres maladies professionnelles.
Je me tournerai pour commencer vers l'Anses. L'Anses délivre les autorisations et procède à l'évaluation des produits. N'y a-t-il pas là un premier problème en ce que votre agence est à la fois juge et partie ? Comment conduisez-vous vos évaluations ? Comment examinez-vous les dossiers ? Une dernière question d'actualité, mais nous y reviendrons sans doute dans le débat qui suivra vos présentations : pouvez-vous nous rappeler les principales conclusions de votre avis sur les néonicotinoïdes ?
Mme Françoise Weber, directrice générale adjointe aux produits réglementés de l'Anses. - Le champ de compétence de l'Anses est très vaste puisque l'agence prend en charge la sécurité sanitaire des aliments, les risques dans les domaines de la santé environnementale et de la santé au travail, dans un champ couvrant aussi bien la santé humaine, la santé et le bien-être animal, que la santé des végétaux. Nous travaillons également sur les risques microbiologiques et chimiques ou encore physiques.
Parmi les grands principes guidant les travaux de l'Anses, il y a d'abord une vision intégrative des risques. Nous travaillons sur tous les risques auxquels sont exposés le consommateur, le travailleur, le citoyen tout au long de sa vie. Nous travaillons également dans un cadre déontologique renforcé pour garantir l'indépendance de l'expertise scientifique. Notre gouvernance est ouverte au dialogue avec tous les acteurs de la société depuis la fondation de cette nouvelle agence.
L'Anses peut être saisie aussi bien par les ministères que par les membres de son conseil d'administration, mais elle peut également s'autosaisir sur toute question relative à son champ d'action. Le Parlement n'a malheureusement pas cette possibilité ; nous le regrettons et serions favorables à une évolution en ce sens.
L'évaluation des pesticides et des médicaments vétérinaires en vue des autorisations de mise sur le marché se fait dans un cadre réglementaire. L'agence fournit aux autorités compétentes l'expertise nécessaire à l'évaluation des substances chimiques et des risques qu'elles présentent pour l'homme, via l'ensemble des voies d'exposition. Cette évaluation, que ce soit en amont de la mise sur le marché ou dans le suivi de leurs impacts après autorisation, est indissociable de la surveillance des résidus dans les aliments et dans l'environnement, dans l'eau et la biodiversité.
Depuis le 1er juillet 2015, l'Anses, qui assurait déjà l'évaluation scientifique de ces produits, s'est vue confier par la loi pour l'avenir de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt, la mission de délivrance, de modification et de retrait des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques et des matières fertilisantes et supports de culture qui était auparavant du ressort du ministère de l'agriculture.
Un mot sur les principes qui ont présidé à la nouvelle organisation de l'agence pour intégrer cette nouvelle mission. Les principes ont été les suivants : la rigueur de l'expertise scientifique et l'indépendance des conclusions de l'évaluation, par la séparation fonctionnelle de l'évaluation et de la gestion. Nous avons ainsi reproduit à l'intérieur de l'agence la séparation de l'évaluation et de la gestion au sein de deux départements différents. Le signataire de l'autorisation n'a aucune autorité hiérarchique sur l'évaluation. Cette séparation fonctionnelle est complétée par une procédure ISO9001 qui permet de retracer toute l'évaluation.
Nous avons renforcé les moyens de détection des signaux et des alertes, avec la mise en place de la phytopharmacovigilance. C'est un axe extrêmement important de cette nouvelle activité de l'agence qui avait d'ailleurs été préconisé par le rapport de la mission pesticides du Sénat des sénatrices Bonnefoy et Primas. Notre dispositif de phytopharmacovigilance s'accompagne de la mise en oeuvre de moyens d'inspection et de contrôle, encore assez réduits pour le moment. Nous avons maintenant une capacité d'études indépendantes, dans le cadre de la phytopharmacovigilance, pour remédier à une lacune pointée par le même rapport sénatorial.
Le processus de décision de mise sur le marché se déroule suivant deux étapes distinctes. La première est l'évaluation, qui se fait dans un cadre réglementaire très précis sur la base de dispositions européennes strictes. Les conclusions de l'évaluation interne sont soumises à un comité d'experts spécialisés indépendants, qui remplissent des déclarations d'intérêts que vous pouvez consulter sur le site de l'agence. L'évaluation est ensuite signée par le directeur ou la directrice du département d'évaluation des produits réglementés qui en prend seul la responsabilité.
La deuxième étape est le processus de délivrance des AMM. Ce processus s'appuie sur une nouvelle organisation, avec un département spécifique qui prépare la décision en mettant les propositions de l'expertise scientifique en perspective avec le contexte agronomique et l'impact des mesures prises. Cela permet une gradation des mesures de gestion qui accompagnent l'autorisation de mise sur le marché. À cette étape, l'agence s'appuie également sur un comité indépendant de suivi des AMM, composé de personnalités qualifiées, qui apportent un regard agronomique, sanitaire et économique sur les pratiques et les situations de terrain.
Au niveau européen, l'agence participe très activement aux évaluations des substances actives et fait valoir la position de la France, y compris dans les débats où est élaborée la méthodologie sur les critères d'évaluation dans les États-membres.
Notre évaluation bénéficie de nombreux autres travaux conduits au sein de l'Anses. Les travaux de l'observatoire des résidus des pesticides, qui rassemble, organise et optimise l'exploitation de l'ensemble des informations et résultats provenant des contrôles et mesures de résidus de pesticides nous permet de disposer de ces données nous conduisant parfois à retirer certains produits lorsque nous constatons des résidus trop élevés dans l'alimentation. Nous disposons d'autres travaux, comme ceux relatifs à la co-exposition des abeilles aux pesticides et aux agents pathogènes. Un travail est également en cours sur l'exposition des travailleurs agricoles aux pesticides, ainsi qu'une expertise sur les modalités d'une surveillance nationale des pesticides dans l'air ambiant. Nous conduisons par ailleurs d'autres travaux sur l'exposition des consommateurs aux produits d'entretien ménagers et aux produits de lutte contre les nuisibles dans la maison.
Un dernier mot sur les résidus de pesticides. Nous avons débuté une étude sur l'alimentation totale infantile, qui permettra de mieux connaître les contaminants auxquels sont exposés les enfants de moins de trois ans.
Enfin, l'agence a également récupéré, début 2016, le pilotage de la toxicovigilance, outil extrêmement important pour repérer les signaux sur la toxicité des pesticides.
Nous sommes conscients de la portée de notre mission et de notre responsabilité, mais nous sommes aussi très modestes, car nous savons que nous sommes loin d'avoir toutes les réponses aux problèmes scientifiques majeurs qui se posent à notre société dans ce domaine. Notre objectif est de faire état, en toute transparence et à tout moment, des connaissances comme des incertitudes. Vous l'avez d'ailleurs vu à l'occasion de notre avis rendu récemment sur les néonicotinoïdes, dans lequel nous avons fait état de ce que nous savions et de ce que nous ne savions pas. C'est en fonction de ces incertitudes que nous proposons des recommandations dont nous sommes d'ailleurs en train d'engager la mise en oeuvre. Nous sommes avant tout une agence de sécurité sanitaire et nous sommes convaincus que l'enjeu pour nous n'est pas tant la délivrance des AMM, que la capacité de capter et d'analyser, sans délai, les nouvelles connaissances et les signaux de terrains à propos des effets néfastes sur l'homme, la faune, la flore ou encore le milieu, induits par l'utilisation des produits autorisés. C'est sur cette capacité de détecter des signaux parfois très diffus que nous pourrons mesurer l'accomplissement de notre mission.
M. Pierre Médevielle. - Je passe maintenant la parole à Eugénia Pommaret, directrice générale de l'UIPP. Comment est envisagée chez vous la prévention des risques ? Comment sont réalisées les évaluations des risques sur les produits phytosanitaires ? Tenez-vous compte des conditions réelles d'utilisation ? Y-a-t-il des guides de bonnes pratiques ? Qu'en est-il enfin de la recherche de solutions alternatives à des produits toxiques, comme les néonicotinoïdes ?
Mme Eugénia Pommaret, directrice générale de l'Union des Industries de la Protection des Plantes. - L'UIPP comprend 22 adhérents depuis le début de l'année 2016. Il s'agit des entreprises qui mettent sur le marché des produits à usage agricole dont les produits phytosanitaires.
Pour commencer, rappelons que ces produits s'inscrivent dans une logique de facteur de production pour l'agriculture et que cette dernière a sans cesse besoin de produits innovants, pour répondre à des problèmes spécifiques aux usages et à l'évolution des questions sanitaires. À cet égard, vous avez vu et entendu parler des problèmes qui se posent dernièrement au niveau européen avec des bactéries, des ravageurs, qui posent de plus en plus de questions à l'agriculture européenne.
Il faut rappeler également que l'agriculture a besoin de protection pour les cultures. Les produits qui sont mis sur le marché répondent à des demandes plurielles et diverses. Cette diversité est justement la force de l'agriculture en France auprès des consommateurs qui peuvent chercher des produits conventionnels ou biologiques, pour certains, ou des marchés de niche, pour d'autres. Il est impossible de réaliser ces cultures sans les produits de protection des plantes appropriés.
La réglementation a déjà été présentée par Françoise Weber. Rappelons toutefois que c'est un cadre européen à double détente : au niveau européen, l'évaluation et l'inscription des substances actives est la première étape pour que les pétitionnaires proposent des dossiers au niveau national. Depuis le règlement de 2009, cette évaluation est assurée pour les trois zones que compte l'Europe, la France étant en zone Sud. Je tiens à rappeler que cette procédure est extrêmement encadrée et robuste. Sur certains points, la France est allée plus loin, notamment en matière de pharmacovigilance. C'est une très bonne chose, car il est important de pouvoir recenser l'ensemble des données, les traiter, et vérifier si elles présentent une incompatibilité avec le comportement eau, air, ou encore santé. Il est important que l'agence puisse avoir un regard transversal et que les différentes parties prenantes puissent participer à l'amélioration de ce dispositif.
Les aspects phytosanitaires soulèvent légitimement des questions. En tant que citoyens, nous partageons ces interrogations. En tant qu'industrie, nous essayons d'apporter des réponses et c'est sur ce point que j'aimerais évoquer la manière dont nous travaillons.
Tout d'abord, il faut avoir en tête que toute la partie concernant l'évaluation et la mise sur le marché est fondée sur la maîtrise des risques ; le risque étant le danger multiplié par l'exposition, il est nécessaire d'agir sur les deux. Au niveau des entreprises, ainsi que de l'innovation et de la mise sur le marché, des efforts très importants ont été consacrés à l'amélioration des profils des produits. Lorsque vous regardez les produits mis sur le marché aujourd'hui, l'évolution naturelle de la science a été d'améliorer constamment leur profil. Nous allons poursuivre cette boucle d'amélioration lors du dépôt de nouveaux dossiers.
Notre secteur investit énormément en recherche et développement. Il y a d'abord la phase de laboratoire et celle de l'expérimentation au champ où on se confronte forcément au problème des usages. Pour répondre aux demandes de l'agriculture d'adapter les produits aux usages, mais aussi en matière de maîtrise des risques et de prévention, par les utilisateurs agricoles. Les produits sont de moins en moins dosés. Pour preuve, les doses moyennes homologuées pour traiter un hectare ont été divisées par 34 en soixante ans. S'agissant de la toxicité, les produits sont de plus en plus ciblés. Parallèlement, les règles d'homologation n'ont cessé de se renforcer, et c'est uniquement lorsque le risque est jugé acceptable par rapport au risque environnemental et sanitaire que le produit peut obtenir une autorisation de mise sur le marché.
Il est par ailleurs possible, au niveau européen, en fonction des rapports scientifiques publiés, d'ajuster à tout moment cette autorisation et ces conditions d'emploi. L'autorisation est le terme général, mais tout se décline en conditions d'emploi pour lesquelles l'utilisation ne comporte pas de risque. C'est donc un élément important par rapport à tout ce qui est perçu comme un danger relatif à la caractéristique intrinsèque des substances actives.
Deuxième élément à garder à l'esprit : la réduction des dangers relatifs à la formulation. Sur ce point, je reviens sur l'utilisation globale des produits phytosanitaires. Il existe des produits de synthèse ou d'origine naturelle, qui sont utilisés dans l'agriculture biologique. Ainsi, le cuivre et le soufre n'ont pas changé depuis la nuit des temps. Pour autant, en termes de formulation, on peut agir et réduire l'utilisation de ces produits. Il est facilement compréhensible que l'utilisation en sachets dispersibles ou certaines formulations apportent une véritable amélioration en termes de risques. Nous sommes dans une démarche de progrès, qui relève de la responsabilité de ceux qui introduisent ces produits sur le marché.
Troisièmement, notre souci est constant de réduire les risques en matière d'emballage ergonomique, avec pour objectif un emboîtement direct sur les machines, ce qui implique une approche transversale avec les fabricants.
Il est important également de développer l'information et la sensibilisation. La responsabilité des metteurs sur le marché ne s'arrête pas au seuil de l'autorisation : il y a toute une phase de suivi, soit spécifique aux produits et imposée compte tenu de l'autorisation, soit plus globale au niveau de l'utilisateur. Dans ce cas, il faut bien s'assurer que les conditions d'emplois sont bien comprises et, dans le cas où elles soulèvent des questions de faisabilité, d'être là pour apporter des compléments et des solutions.
En termes d'ergonomie et de conditions de travail, nous sommes au coeur des questions de prévention sanitaire. Celle-ci ne se décrète pas de Paris, et nous faisons l'effort de lancer des projets multipartenaires sur le terrain. J'ai, comme exemple, le lancement d'un projet dans le Bordelais qui s'intitule « safe using initiative ». Cette initiative européenne consiste à regarder, en conditions réelles, l'utilisation, par les viticulteurs, et d'apporter en fonction des contextes des améliorations à l'application des produits. Entre la nouveauté théorique de certaines recommandations, nous avons appris à nous confronter à la pratique et à apporter des éléments qui sont pertinents et adaptés à chaque exploitation agricole. Ce qui a été fait pour la viticulture doit l'être pour tous les usages. Tout cela a donné lieu à des livrables, c'est-à-dire à des guides spécifiques pour les utilisateurs, que nous éditons et que nous adressons aux organismes de développement et de conseil pour qu'ils les transmettent aux agriculteurs lors de formations à l'utilisation des produits phytosanitaires ou à la gestion des risques.
J'en termine en évoquant les campagnes de sensibilisation auxquelles nous participons avec l'ensemble de la filière agricole pour diffuser des messages de généralisation de bonnes pratiques et de protection des utilisateurs. Nous allons travailler avec ceux qui entourent la filière agricole et apportent des conseils aux agriculteurs. Nous avons recueilli, lors de notre participation au salon du machinisme agricole, de nombreuses questions pratiques des agriculteurs que nous souhaitons mettre à disposition avec des outils de communication digitale. Nous avons lancé une réflexion sur la lisibilité des étiquettes pour attirer l'attention sur l'essentiel. J'ai parlé d'un dispositif de limitation des risques lors du transfert des emballages vers les pulvérisateurs et qui s'avère l'une de nos priorités. En termes d'environnement, tout ce qui concerne le débat sur les abeille, nous avons un projet mobilisateur destiné à souligner l'importance des bonnes pratiques en lien avec les préoccupations des apiculteurs, afin de voir dans quel contexte les industriels peuvent répondre aux besoins exprimés. Enfin, nous avons des projets dans le secteur du ruissellement qui concerne les pollutions de l'eau.
M. Pierre Médevielle. - Je passe la parole aux représentants de la profession, à savoir Daniel Roques, membre de la Coordination rurale et Éric Thirouin, membre du bureau de la FNSEA et président de la commission environnementale de la FNSEA. Ceux-ci sont directement concernés par ces risques et vont sans doute nous parler du bilan qu'ils tirent du plan Ecophyto, du dispositif Certiphyto ou encore des fermes Dephy. Quelle est la réalité de l'utilisation des équipements de protection individuelle ? On sait que les propriétés chimiques du produit ne sont pas le seul paramètre pertinent pour évaluer le risque de l'utilisation d'un produit, loin de là ! Votre retour sur les pratiques réellement constatées sur le terrain nous sera donc très précieux.
M. Daniel Roques, membre de la Coordination Rurale. - Je vous remercie de nous avoir conviés à cette table-ronde qui nous permettra de présenter le sérieux avec lequel les agriculteurs abordent la question des risques liés à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Tout d'abord, je voudrais, monsieur le Président, reprendre ce que vous avez dit en introduction : cette table-ronde devra aboutir à des solutions rapides s'agissant des alternatives à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Tant mieux ! Nous l'espérons ardemment car, pour nous, la problématique n'est pas tant dans le fait que les utilisateurs professionnels que sont les agriculteurs sont réticents à utiliser les alternatives, du fait d'une prétendue addiction aux produits phytopharmaceutiques, mais bien qu'ils n'en ont pas à leur disposition ou que ces alternatives ne leur garantissent pas une efficacité similaire au niveau biologique pour un coût économiquement supportable. Aussi avions-nous proposé, dans le cadre d'Ecophyto 2, que l'axe 2 relatif à la recherche passe en axe 1, afin que tous les efforts soient portés vers la recherche d'alternatives, en particulier dans le domaine du matériel agricole, avec des pulvérisateurs intelligents afin d'éviter les déperditions de produits et de matières ne touchant pas la cible souhaitée.
En ce qui concerne nos actions, la Coordination rurale est membre de l'association Audace que je préside. Depuis 17 ans, le président de la Coordination rurale m'a donné mandat pour intervenir sur les produits phytopharmaceutiques. C'est ainsi que j'ai été auditionné par la mission pesticides de Sophie Primas et Nicole Bonnefoy.
Cela fait longtemps que nous proposons des dispositifs et des mesures de précaution liés à l'utilisation, mais aussi à la fabrication et à l'autorisation des produits. Nous avons rendu à la Commission européenne un rapport, fort de trente propositions, dans le cadre de l'élaboration de la stratégie thématique relative à l'utilisation durable des produits pharmaceutiques dès 2002. Parmi ces propositions, une vingtaine a été reprise par la directive 2009-928 sur l'utilisation durable des produits pharmaceutiques.
Nous nous sommes opposés depuis longtemps à ce sophisme qui consiste à dire, de manière fort malencontreuse vis-à-vis des professionnels utilisateurs, que l'AMM est la garantie de l'innocuité d'un produit phytosanitaire. Nous avons dû, hélas, le dénoncer pendant pratiquement deux générations d'agriculteurs. Les autorités compétentes et l'industrie ont pris conscience que cette page avait été tournée et que les produits phytosanitaires représentaient un certain nombre de risques qui pouvaient toucher l'utilisateur mais aussi le voisinage autour d'un champ en cours de traitement, les consommateurs, s'agissant des résidus dont a parlé précédemment et enfin, l'environnement. Depuis vingt ans, nous faisons notre possible, dans le cadre de réunions ou de communications hebdomadaires publiées par la Coordination rurale au sujet des groupes de travail dans lesquels nous sommes présents à la DGAL, l'Anses ou la Commission européenne. Par ailleurs, la Coordination rurale rappelle, dans une publication mensuelle et de manière périodique, les précautions à prendre s'agissant de l'utilisation des produits phytosanitaires. De manière plus ponctuelle et personnelle, nous accompagnons les professionnels utilisateurs de produits pour suivre la réglementation souvent changeante.
Enfin, nous participons à des propositions qui vont dans le sens d'une réduction des risques. L'évaluation telle qu'elle est faite par l'Anses suscite la plus grande confiance chez nos agriculteurs. Les substances actives relèvent d'une évaluation communautaire. Cette confiance est telle que nous sommes parfois amenés à émettre des propositions pour prendre en compte des usages non pourvus ou pour obtenir l'autorisation de produits autorisés dans d'autres États membres, mais non en France. La multiplication des usages orphelins sur des cultures mineures, voire majeures, entraîne des risques accrus de tous ordres, y compris l'utilisation de produits non autorisés par des achats irréguliers dans d'autres États membres.
Enfin, le risque phytosanitaire ravive l'image de l'agriculteur pollueur avec son scaphandrier sur son pulvérisateur. Nous commençons à en avoir puissamment assez ! Nous fournissons à la population des aliments en qualité, en quantité et en diversité parfaitement sains, réguliers et conformes à la réglementation. L'activité agricole est cependant sujette à des impondérables : la climatologie, la différence des sols et des cultures, car notre agriculture française est victime, vis-à-vis de son opinion publique, de sa propre diversité. Nous avons en effet une diversité de productions absolument inouïe. Nous ne sommes pas dans l'exagération quant à l'utilisation des produits phytosanitaires. Nous sommes au neuvième rang des pays européens pour l'utilisation à l'hectare et les sixièmes utilisateurs mondiaux. Mais nous avons 30 millions d'hectares de surface agricole utile et toutes les productions représentées ! Nous avons donc besoin de toute la phyto-pharmacopée disponible sur le marché et nous l'utilisons, en règle générale, à bon escient.
M. Pierre Médevielle. - Je passe la parole à Éric Thirouin, membre du bureau de la FNSEA. Un petit mot par rapport aux chiffres que vous venez d'évoquer : nous sommes un peu pénalisés par la viticulture qui utilise 20 % des pesticides sur 3 % de la surface agricole utile.
M. Éric Thirouin, président de la commission environnementale de la FNSEA. - Je suis le seul agriculteur de cette table-ronde et je vous remercie de m'avoir invité. Ce sujet est pour nous vraiment prégnant car il est très large. En effet, le risque concerne les applicateurs, dont je suis, les travailleurs, que j'emploie, les consommateurs et les résidents, ainsi que le risque environnemental, pour la faune et la flore. Le risque phytosanitaire est en effet très vaste.
La FNSEA est résolument engagée en faveur de la prévention des risques. Notre rôle est de vous nourrir matin, midi et soir. Il faut que nous le fassions en toute sécurité sanitaire. Nous sommes particulièrement engagés, comme c'était le cas dans le Plan Ecophyto 1, et comme l'atteste le Plan Ecophyto 2.
Nous sommes favorables au Certiphyto. Aujourd'hui, aucun agriculteur ne peut acheter de produit sans Certiphyto. L'implication des agriculteurs est ainsi totale. Les pulvérisateurs sont soumis, un peu comme les automobiles, à des contrôles de pollution périodiques. Le plan Ecophyto prévoit également les fermes Dephy, ainsi que les bulletins périodiques sur le végétal qui arrivent aux agriculteurs chaque semaine pour savoir comment faire et agir. Nous appuyons et encourageons toutes ces pratiques qui favorisent l'évolution indispensable du monde agricole.
Comme en témoignent les chiffres que vous avez mentionnés et qui figurent dans les documents qui vous ont été distribués ce matin, ceux-ci sont exclusivement à charge. Lorsqu'on dit que la France est le quatrième consommateur mondial, ce n'est plus tout à fait vrai et lorsqu'on évoque le neuvième rang en Europe, il faut cependant préciser que nous sommes la première puissance agricole d'Europe ! Or, la France en neuvième place n'est pas du tout le message que véhiculent les médias qui font de nous les plus grands pollueurs de la planète. C'est faux puisque nous accomplissons des progrès immenses, notamment avec Ecophyto. Nous souffrons de cette image tronquée. Nous ne contestons pas les chiffres, mais leur interprétation qui est à charge.
Nous dénonçons actuellement le prisme retenu par Ecophyto qui concerne uniquement l'utilisation. Si on veut changer l'utilisation, mais surtout baisser le niveau de risque, conformément à l'objectif donné par la directive européenne, il faut savoir s'il existe des solutions nouvelles. En France, avons-nous mis en oeuvre des moyens pour dégager des solutions nouvelles ? Nous souhaitons résolument qu'Ecophyto 2 s'engage sur ce point. Une fois les solutions nouvelles trouvées, elles doivent être diffusées auprès des agriculteurs qui en sont les applicateurs. Il est important de faire évoluer Ecophyto sur un mouvement positif et constructif, alors que les indicateurs ne montrent que des choses négatives. Nous n'arrêtons pas de progresser et d'innover. Les produits les plus attaqués sont retirés, les pratiques agricoles s'améliorent. Si l'on veut engager une agriculture plus respectueuse de l'environnement avec de moins en moins de risques, il faut que nous engagions le mouvement. Vous avez, en tant que politiques, un rôle extrêmement important dans cette logique positive et combattive que la France doit avoir.
J'ai parlé d'innovation. Lorsqu'on parle des risques, la FNSEA a créé, avec d'autres partenaires, la filière ADIVALOR qui permet de récupérer 83 % des emballages de produits phytosanitaires. Deux bidons sur trois sont recyclés, tandis que dans les autres secteurs, on n'atteint que 35 % de recyclage. Le monde agricole est, à cet égard, exemplaire, et nous n'avons pas eu besoin d'une loi pour le faire.
En définitive, en dix ans, nous sommes passés de 1000 à quelque 400 substances actives. Ce qui signifie qu'il y a moins de produits dangereux et risqués. A-t-on regardé le rapport coût bénéfice et les conséquences ? Ce qui est important dans la réflexion que nous conduisons actuellement, ce n'est pas le principe de précaution, mais celui d'innovation. Ne va-t-on pas générer des difficultés plus grandes encore ? Je pense qu'il faut qu'on avance dans cet équilibre.
Pour conclure, nous proposons d'avoir aussi des solutions gagnant-gagnant. J'ai noté qu'Eugénia Pommaret indiquait qu'il fallait que les agriculteurs disposent d'équipements adaptés. On sait que l'Anses travaille actuellement sur la protection de l'applicateur. Mais nous savons que nous pouvons sans réglementation, avec les firmes qui fabriquent les pulvérisateurs, mettre en oeuvre un dispositif n'impliquant aucun contact lors de la mise du produit dans le réservoir. Il existe des mécanismes qui permettent une aspiration directe dans le bidon, prévenant ainsi toute forme d'éclaboussure.
Nous souhaitons être associés plus étroitement aux débats, non seulement à l'Anses et dans les commissions spécialisées, de façon à ce qu'on puisse vérifier si ce qui est imaginé pour réduire les risques est effectivement applicable pour les agriculteurs. Nous avons des idées positives pour réduire ces risques et nous devrions aboutir dans les mois qui viennent sur cette question.
M. Pierre Médevielle. - En tant qu'élu rural d'un chef-lieu agricole, je suis parfaitement conscient des efforts qui sont ceux de votre profession. L'objectif de cette table ronde n'est pas de tenir un discours à charge et le Sénat est à la recherche de solutions et de compromis face aux problèmes que vous évoquez. Je vais passer la parole maintenant aux représentants de la Mutualité sociale agricole (MSA), à savoir Franck Duclos, directeur délégué aux politiques sociales de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, et Dominique Lenoir, médecin chef de l'échelon national de la santé au travail et directeur de la santé sécurité au travail de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole. Qui mieux qu'eux peut nous informer sur les maladies professionnelles liées aux pesticides ? Dans ma région, fortement agricole et viticole, les hôpitaux et les centres de médecine du travail tirent la sonnette d'alarme quant aux pesticides. Qu'en est-il selon les données dont vous disposez ? La maladie de Parkinson a récemment été inscrite au tableau des maladies professionnelles. L'expertise collective de l'INSERM publiée en 2013 dressait un panorama alarmant des pathologies liées aux pesticides. D'autres inscriptions au tableau des maladies professionnelles sont-elles prévues ?
M. Franck Duclos directeur délégué aux politiques sociales de la MSA. - La MSA est un régime obligatoire de la sécurité sociale, et non une mutuelle comme certains peuvent parfois le penser, qui couvre les populations salariées et non salariées agricoles, toutes branches de prestations de sécurité sociale confondues, y compris les cotisations. La santé/sécurité au travail est une spécificité de la MSA puisqu'elle cumule à la fois les compétences de prévention des risques professionnels et de santé au travail. Les médecins du travail sont également des salariés de la MSA et l'ensemble des équipes de santé/sécurité sont placées sous les ordres du médecin du travail chef dans chacune des caisses.
Les tableaux de maladies professionnelles sont une autre spécificité de la MSA que vous mentionniez. Il y a en effet une série de tableaux pour le régime général et une autre pour le régime agricole qui sont spécifiques, avec le tableau n° 58 relatif à la maladie de Parkinson, introduit en mai 2012, et le tableau n°59 introduit en mai 2015 sur le lymphome non hodgkinien. Ces tableaux ne figurent pas dans les tableaux de maladies professionnelles du régime général.
Vous parliez tout à l'heure d'omerta. Je rappellerai à ce sujet que la MSA exerce ses compétences dans le respect des dispositions réglementaires et législatives qui la régissent. Elle est parfois interpellée, car elle est en première ligne et directement en relation avec l'assuré et ce, souvent sur des sujets qui ne relèvent pas de son champ de compétences.
Je souhaitais également intervenir sur les constats d'exposition. Tout d'abord, le risque chimique est aujourd'hui plus large et on parle de multi-expositions. On parle désormais de risque phytosanitaire mais le risque chimique est plus large avec la combustion, le risque-machine, les produits dans les garages. De ce fait, les maladies qui peuvent se développer ne sont pas exclusivement liées aux produits phytosanitaires.
Je souhaite également rappeler que l'enquête Summer 2010 indiquait que 25 % des salariés déclaraient avoir été exposés aux produits phytosanitaires et plus précisément dans les secteurs jardins, espaces verts, cultures, élevages, entreprises de travaux agricoles.
Rappelons également la différence entre cancérogénicité et toxicité. En effet, la toxicité conduit au développement de maladies par effet de doses, tandis que la cancérogénicité peut n'impliquer qu'une seule exposition pour contracter une maladie, comme celle au benzène pour développer une leucémie.
Je reviens sur les tableaux 58 et 59 et sur les travaux qui ont été menés et ont conduit à créer ces tableaux, alors même que la surreprésentation de la maladie dans les populations exposées est beaucoup plus faible qu'elle ne l'est dans d'autres maladies professionnelles. Pour Parkinson, le facteur est de l'ordre 1,4-1,8 et on tombe à 1,2-1,3 pour le lymphome non hodgkinien. Les résultats connus des inscriptions au titre de la maladie professionnelle pour ces pathologies sont les suivants : au titre du tableau 58, 161 maladies ont été reconnues au 31 décembre 2015 et, pour le tableau 59, qui date de juin 2015, au 31 décembre, deux personnes avaient été reconnues malades. Ce dernier tableau connait actuellement une montée en puissance.
Les troubles musculo-squelettiques représentent 93 % des risques dans l'agriculture. Il faut ainsi pondérer le risque phytosanitaire par rapport à ces risques.
M. Dominique Lenoir, médecin chef, directeur de la santé sécurité au travail de la MSA. -Concernant la connaissance des risques phytosanitaires, nous disposons de systèmes de veille et de réseaux. Le premier élément est le réseau phyt'attitude qui s'intègre dans le réseau de toxicovigilance. Ce réseau a été créé en 1991 au niveau expérimental et a été diffusé à partir de 1997. Il permet d'avoir un recueil volontaire de la part des actifs salariés ou exploitants agricoles, par l'intermédiaire d'un numéro vert qui nous signale les pathologies et les symptômes cliniques qu'ils pensent avoir en lien avec un produit phytosanitaire. Cela déclenche une enquête par un médecin du travail et un conseiller en prévention, ainsi qu'une remontée anonyme au niveau national qui nous permet d'avoir une base de données et une expertise d'imputabilité par un toxicologue.
Cela nous permet, en nous intégrant dans le réseau de toxicovigilance, de répondre aux demandes de l'Anses qui nous sollicite pour certains produits pour lesquels nous faisons part des données lorsqu'une imputabilité est avérée.
Deuxième point de développement de connaissance du risque : nous faisons partie de l'enquête Agrican qui est un suivi de cohortes développé depuis 2005. 180 000 personnes sont ainsi suivies dans 11 départements. Quelques résultats de cette enquête ont fait polémique dans la presse. Ces premiers résultats étaient descriptifs et devraient nous permettre, à terme, de nous faire une idée précise de l'impact de l'environnement sur la population agricole. Cette démarche est réalisée en parallèle avec une étude de cohorte américaine, l'agricultural health study, qui étudie 50 000 personnes aux États-Unis. Les résultats de ces cohortes sont relativement cohérents, ce qui est un gage de fiabilité.
Le point fondamental de notre action est aussi la prévention. Il est de notre mission envers les salariés et exploitants agricoles de veiller à ce qu'il y ait le moins de risques possible et de conséquences pour la santé, en cas de manipulation de produits phytosanitaires ou d'autres éléments. Nous avons intégré le risque phytosanitaire et chimique dans notre nouveau plan 2016-2020 qui sera principalement consacré à l'évaluation du risque chimique. C'est une obligation depuis une quinzaine d'années, mais il nous semble important, avant toute action, d'évaluer le risque. En effet, comment peut-on mettre en oeuvre des actions concrètes si l'on ne connaît pas le niveau réel du risque par rapport au produit ? Nous allons donc préconiser l'utilisation simple de la méthodologie développée par l'INRS pour que chaque manipulateur soit à même de conduire sa propre évaluation des risques. Nos conclusions devraient résulter de cette évaluation. Nous allons accompagner toute cette démarche de prévention, une fois que cette évaluation sera faite.
Il existe plusieurs grands principes en matière de prévention. On peut supprimer le risque : s'il n'y a plus de risque, il n'y a plus de problème. Ce n'est pas toujours facile, même si, dans certains cas, cette suppression du risque est obligatoire. Après avoir évalué l'utilisation de produits considérés comme risqués, il faut privilégier la prévention collective. On entend par prévention collective l'ensemble des systèmes sans contact qui permettent de manipuler lors de la préparation du produit avant traitement, comme de remplir les cuves sans aucun contact. Ce système existe déjà dans l'industrie depuis plusieurs années et il est indispensable de le développer. Il est d'ailleurs indispensable de définir une norme unique pour le système sans contact puisqu'actuellement, plusieurs systèmes coexistent. Le Royaume-Uni préconise une norme internationale unique afin que tous les tracteurs puissent utiliser le même système, ce qui serait beaucoup plus simple.
D'autres systèmes existent une fois que le produit est dans la machine, comme l'utilisation de cabines de classe IV qui sont étanches et permettent d'utiliser des produits sans vapeur aérosol. Actuellement, les revendeurs n'informent pas beaucoup les utilisateurs sur ces classifications de machines. Il y a donc une action à mener auprès des constructeurs pour qu'ils mettent dans leur catalogue des éléments sur la sécurité et la santé des applicateurs. Pour le moment, si les brochures contiennent des éléments techniques sur les machines, la prévention de l'utilisateur est une matière guère connue pour le revendeur.
Nous participons également à la démarche Certiphyto et aux certifications individuelles dans ce cadre, en contribuant à la formation des formateurs à l'Institut national de médecine agricole de Tours et à certains modules santé au niveau du terrain.
Nous avons intérêt à avoir sur le terrain une réflexion sur toute l'organisation, à savoir le circuit, le local à produits phytosanitaires, l'entreposage ou encore l'exigence de non-mélange de produits présentant les mêmes catégories de risques. Ce sont des messages que nous rappelons sur le terrain.
Notre mission a plusieurs volets : la connaissance, un circuit de veille sanitaire, qui nous permet de constituer un recueil d'informations et de faire remonter à l'Anses les éléments dont nous pourrions avoir connaissance, un système d'accompagnement à la prévention sur le terrain et de réparation en cas de maladie professionnelle. De nouveaux tableaux ont été créés et ont remplacé ceux qui n'étaient plus d'actualité, sur la base de la synthèse conduite par l'INSERM en 2013, sur l'étude américaine, et sur l'enquête Agrican. D'autres tableaux sont également en cours d'élaboration et un certain nombre de données, que nous devrions obtenir grâce à notre système de veille, devraient nous permettre de proposer de nouvelles pistes d'évolution, si certains liens entre produits de traitement et pathologies venaient à être identifiés.
M. Pierre Médevielle. - Nous sommes très intéressés par votre arsenal méthodologique préventif. Certains rapports font état - vous en avez sûrement eu connaissance - d'un grand nombre de cas de tumeurs cérébrales, notamment dans le secteur de la viticulture. Il y a aura peut-être des questions sur ce point.
M. Hervé Maurey, président. - Je passe la parole à Mme Nicole Bonnefoy qui a conduit des travaux sur les pesticides en 2012.
Mme Nicole Bonnefoy. - Je remercie les participants à cette table-ronde, même si je regrette fortement l'absence de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Je poserai tout de même les questions que je souhaitais poser à ses représentants ; elles seront au compte-rendu et nous aurons peut-être une réponse.
Les intervenants ont rappelé l'importance de l'EFSA, qui assure l'évaluation des substances actives à l'échelle européenne et qui, au regard de ces évaluations, les autorise ou les interdit. Un grand nombre de produits phytosanitaires proviennent de ces substances et leur autorisation de mise sur le marché dépend en France de l'Anses. Compte tenu de son importance, je regrette vivement qu'elle ne soit pas là pour répondre à nos questions.
La semaine dernière, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la biodiversité, nous avons adopté un amendement qui permet de renforcer l'encadrement des conditions d'utilisation des produits néonicotinoïdes au-delà du moratoire qui avait été décidé en 2013 au niveau européen. L'Anses a d'ailleurs confirmé que ce moratoire était insuffisant pour prévenir la grave nocivité de ces produits pour les pollinisateurs et, plus globalement, pour notre environnement. L'EFSA devait mettre à jour son évaluation des produits néonicotinoïdes avant fin 2015 en prenant en compte l'état global des connaissances sur ce sujet. Ses conclusions se font attendre. Je rappelle que le Tribunal de la Commission européenne a condamné le mois dernier la Commission pour n'avoir toujours pas adopté de définition des perturbateurs endocriniens et ce, plus de deux ans après la date qu'elle avait l'obligation de respecter. Tout cela est lié dans la mesure où les néonicotinoïdes sont des perturbateurs endocriniens. Tant qu'on ne les définit pas, les autorisations de molécules ne les prennent pas en compte. Les procédures sont longues et complexes. Les intérêts des États-membres divergent et freinent la reconnaissance des graves problèmes sanitaires et environnementaux posés par les néonicotinoïdes. Mais l'étau se resserre et on en arrivera à leur interdiction totale. C'est le sens de l'histoire.
Je souhaite demander à l'UIPP où en sont les industriels dans le développement de produits alternatifs. C'est leur responsabilité d'accélérer leur mise au point. Dans la mesure où un moratoire avait été mis en place en 2013, vous avez dû avancer sur ce sujet grâce à vos investissements dans la recherche.
Enfin, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a estimé, suite à une évaluation transparente effectuée par des experts indépendants de l'industrie chimique, que le glyphosate, qui est un perturbateur endocrinien, est probablement cancérogène. Pourtant, à l'automne dernier, l'EFSA a rendu un avis contraire sur le glyphosate. La presse spécialisée s'est fait l'écho de nombreux scientifiques renommés, qui ont tous fait part de leurs doutes quant à la méthodologie employée par l'EFSA, fondée sur des sources apparemment incomplètes et insuffisamment transparentes.
M. Hervé Maurey, président. - L'EFSA avait accepté de participer à notre table-ronde mais elle nous a fait savoir hier qu'un problème de personne l'empêchait d'être représentée. Son siège étant à Parme, il n'était pas aisé de trouver une solution en vingt-quatre heures.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je souhaite tout d'abord saluer le travail important réalisé par le secteur de la viticulture grâce aux traitements raisonnés, voire la biodynamie. En vingt ans, - je suis dans un territoire viticole, le Val de Loire -, des progrès fantastiques ont été réalisés. Il me paraissait important de le souligner. J'ai ensuite deux interrogations. Encore ce matin, j'ai entendu à la radio des responsables agricoles se plaindre que la France va trop loin en matière de normes par rapport aux autres pays européens, ce qui constitue un handicap pour la production. Est-ce vrai, et pourquoi ? Enfin nous avons voté à la quasi-unanimité la loi sur la biodiversité. Au cours de son examen, nous y avons introduit des dispositions sur la permaculture. Vous y intéressez-vous, en tant qu'organisation agricole et en tant qu'organisme de contrôle des produits phytosanitaires ?
M. Charles Revet. - Merci aux intervenants pour leurs communications très intéressantes. M. Roques, qui a parlé de la diversité des productions et M. Thirouin, qui a rappelé le poids des réglementations sur l'utilisation des produits et des matériels, ont bien montré que les agriculteurs sont toujours en première ligne ! En cas de problème, ce sont eux qui sont désignés comme responsables par la population. Je me tourne vers Mme Pommaret, représentante de l'industrie qui fabrique ces produits, et Mme Weber, de l'Anses, pour leur demander comment on élabore et comment on teste un produit avant sa mise sur le marché. Je voudrais aussi savoir si dans les pays étrangers, et pas seulement européens, des organismes analogues aux nôtres existent ? Cette problématique rejoint celle sur les anabolisants à laquelle je m'étais intéressé il y a quelques années. Qu'en est-il des productions traitées avec des pesticides interdits chez nous mais autorisés à l'étranger ?
M. Michel Raison. - Tout d'abord, je suis d'accord avec le représentant de la FNSEA qui a rappelé que, sur ce genre de dossiers, on a souvent affaire à des instructions à charge. Il faudrait avoir une vision globale de ce que certains produits de traitement apportent et ont apporté pendant des décennies en matière d'éliminations de maladies tant animales, transmissibles à l'homme, que relatives aux mycotoxines mortelles dans un certain nombre de cas. Personne n'en parle !
Je m'adresse maintenant aux médecins. On parle beaucoup d'agriculture biologique ou en « biodynamie ». Pourquoi, à ce moment-là, utiliser des médicaments pour soigner les gens puisque les plantes apparemment peuvent être curatives ? Et dans le secteur agricole, pourquoi faudrait-il absolument se passer de produits chimiques, alors que dans le même temps, on a recours, pour la santé humaine, à des médicaments tout aussi dangereux que ces produits-là et qui peuvent provoquer des allergies, voire certains décès ? Ces arguments, qui contrebalancent ce qui a pu être observé dans un certain nombre de rapports, doivent être mis en avant. On étouffe les évolutions techniques et les résultats des agriculteurs et des fabricants de produits de ces dernières décennies ! Alors que ces progrès sont considérables ! Lorsqu'on écoute ce qui est dit, on a l'impression que c'est l'apocalypse, que tout régresse alors que des progrès réels ont été réalisés, notamment dans les domaines de la formation et de la pulvérisation. D'ailleurs les pulvérisateurs d'il y a vingt ans n'ont plus rien à voir avec ceux que l'on trouve aujourd'hui ! Cela ne signifie pas que tout est parfait ni que tous les agriculteurs ont suivi les formations nécessaires à la bonne utilisation de leurs machines. Et cela ne signifie pas non plus que d'autres progrès ne doivent pas être réalisés !
Ma dernière remarque portera sur les produits alternatifs. Les produits actuels sont déjà des produits alternatifs qui ont remplacé, en leur temps, d'autres produits et qui seront à terme remplacés. Où en est-on sur les futurs produits qui remplaceront ceux qui sont remis en cause aujourd'hui ? Je crois que ce n'est pas le rôle du Parlement de voter la suppression de ces produits. C'est plutôt le rôle de l'Anses et du Gouvernement, comme l'avait indiqué l'amendement déposé par notre collègue Mme Nicole Bonnefoy !
Mme Nelly Tocqueville. - Merci pour vos interventions. Nous avons reçu un grand nombre d'informations concernant la prévention des risques. Disposons-nous en revanche d'informations sur les conséquences de l'utilisation ? Dispose-t-on d'une estimation du coût économique et du coût financier résultant de l'utilisation de ces produits phytosanitaires ? Ma seconde question portera sur les éventuels retours que vous pouvez obtenir des chambres d'agriculture. Travaillez-vous en partenariat avec elles ? Ces dernières vous font-elles remonter des informations concernant le coût sanitaire ? J'ai l'impression que, concernant la nature des pathologies, nous ne disposons pas d'un grand nombre d'éléments. Ma troisième question portera sur l'Europe. Celle-ci travaille-t-elle de la même manière que nous pour estimer les conséquences sanitaires, réaliser des évaluations et identifier des pathologies ? J'en parle d'autant plus que je suis sénatrice d'un département très agricole, la Seine Maritime.
Mme Chantal Jouanno. - Ce débat n'est effectivement pas nouveau, et je suis d'accord avec les représentants du monde agricole. Ceux-ci n'ont aucun intérêt à utiliser davantage de produits sanitaires. Dans cet hémicycle, c'est plutôt envers le monde industriel que nous faisons porter le doute. J'aurai juste trois questions.
Ma première question portera sur les propos tenus par les représentants de la MSA. Votre présentation a été assez claire sur les outils dont vous disposez, mais pas tellement sur les conclusions. Ainsi, je n'ai pas entendu de conclusion quant à la prévalence de certaines maladies dans le monde agricole.
Ma seconde question concerne l'Anses et le problème des néonicotinoïdes. Notre collègue Nicole Bonnefoy est intervenue sur le sujet. Nous avions deux désaccords dans l'hémicycle entre, d'une part, l'interdiction et, d'autre part, l'association du ministre en charge de l'environnement à la prise de décision. J'imagine que dans votre étude les pollinisateurs ne relevaient pas seulement de la réglementation du ministère de l'agriculture, puisqu'étaient mentionnés les pollinisateurs dits sauvages.
Enfin, ma troisième question a trait à la recherche d'alternatives. Aujourd'hui, quelles sont les alternatives à un coût acceptable ? Existe-t-il une initiative européenne en faveur d'une recherche européenne d'alternatives ?
Mme Annick Billon. - Merci pour l'organisation de cette table-ronde et notamment à notre collègue Pierre Médevielle. Les avis qui ont été présentés ne se rejoignent pas. Chacun des acteurs semble poursuivre des objectifs différents, ou tout au moins dans un ordre de priorité différent, d'où la complexité à faire émerger une solution qui protège l'environnement et les individus. Je partage les avis selon lesquels il ne faut pas stigmatiser l'agriculture. Celle-ci utilise les moyens dont elle dispose. Comme nous en avons parlé lors de l'examen du projet de loi relatif à la biodiversité, c'est sans doute notre responsabilité de fixer une date butoir pour imposer la suppression de certaines utilisations et obliger les industries à trouver des solutions de remplacement. Le politique a un rôle à jouer. Dans le secteur de l'industrie, les bonnes pratiques sont louables mais quelle est la garantie ? Dans un tout autre domaine, on voit que les habitudes en matière de tri par exemple ont pris des années avant d'être mises en oeuvre.
M. Hervé Maurey, président. - Nous souhaiterions en effet quelques informations complémentaires, notamment sur les produits alternatifs, dont dépendra, pour beaucoup, notre capacité à réglementer l'utilisation des produits phytosanitaires. Les autres questions portent également, dans leur majorité, sur les conséquences de l'utilisation de ces produits.
M. Daniel Roques. - Pour répondre aux questions posées par Mme Annick Billon s'agissant des objectifs, je ne crois pas que chaque parti en poursuive de différents et qu'il n'y ait pas d'objectif commun.
Au contraire, nous poursuivons tous l'objectif de nourrir nos compatriotes avec des produits sains, de qualité et variés, avec l'utilisation raisonnée et adéquate des produits qui sont à disposition des agriculteurs pour lutter contre les nuisibles. C'est la même chose dans le secteur de l'élevage pour l'utilisation de médicaments vétérinaires. Il y a sûrement eu des abus dans le passé et sans doute encore aujourd'hui ! Il y a des poissons volants, mais ce n'est pas la généralité du genre, comme le disait Michel Audiard. Cependant, les efforts réalisés par les agriculteurs et les organisations ont été considérables au cours de ces vingt dernières années et surtout depuis le démarrage du plan Ecophyto 1, il y a six ans. 380.000 agriculteurs ont été formés et ont reçu le Certiphyto. Les distributeurs ont également investi des sommes importantes pour être certifiés. Les conseils, également. Aucune profession, y compris dans le secteur médical, n'est autant suivie que celle d'agriculteur ! Est-ce que les médecins doivent renouveler leurs connaissances tous les cinq ans ? Les agriculteurs, c'est le cas. Aujourd'hui, les certiphytos valent pour dix ans. Demain, ils ne seront valables que cinq ans. Notre objectif partagé a été de convaincre les agriculteurs de suivre les formations pendant deux ou trois jours de session, ce qui n'est pas rien étant donné que les agriculteurs sont des chefs d'entreprise.
L'Anses évalue les produits de manière drastique. On le lui reproche parfois. Mais les firmes - et l'UIPP pourra en témoigner - préfèrent de loin l'Anses aux autres agences européennes, compte tenu de la rigueur de ses évaluations. Ces dernières peuvent parfois créer des distorsions de concurrence dans la mesure où les agences d'autres pays délivrent des autorisations de manière, oserais-je dire plus légère, c'est-à-dire en fonction davantage des besoins de leurs agriculteurs nationaux que de la préservation, très poussée, de la santé publique et de l'environnement.
Pour répondre à Mme Jouanno, la recherche d'alternatives existe. Mais reste à savoir, au niveau européen, qui la finance. Au niveau national, l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) a récemment sorti un rapport listant trente actions présentant des alternatives à l'utilisation ou concourant à la réduction des produits phytosanitaires. Des recherches sont également menées sur la question du matériel agricole. Les firmes s'attachent de plus en plus à la recherche d'alternatives à leurs produits phytosanitaires, tout en en améliorant la composition. Les firmes spécialisées dans les alternatives sont réunies au sein de l'Association française des entreprises de produits de biocontrôle (IBMA).
Mme Eugénia Pommaret. - Je répondrai à deux questions. Tout d'abord comment teste-t-on un produit ? Notre cadre européen est le plus robuste au monde. Il répond à une volonté politique et à celle des opinions publiques. Nous nous insérons dans ce cadre à partir du moment où un pétitionnaire dépose un dossier. Les évaluations sont conduites dans le cadre d'un zonage qui correspond à une volonté d'harmonisation pour tester les différents contextes et usages. Cette harmonisation répondait aux voeux des industriels et de la profession agricole. Dans le règlement européen, la notion de principe uniforme couvre en effet tous les enjeux liés à la santé et au risque de l'applicateur. Les risques pour les riverains et les consommateurs, au travers des résidus, sont pris en compte. Les tests sont menés en fonction des populations et des risques d'exposition. Conformément au principe uniforme, tous les pétitionnaires doivent inclure ces aspects dans leur dossier. Ensuite, les agences nationales donnent un avis. Par la suite, l'entité qui délivre les autorisations de mise sur le marché se prononce à l'aune de ces éléments. Je tiens à souligner l'aspect intégrateur de ce règlement européen.
En 2009, une directive européenne, consacrée à l'ensemble du volet utilisation, est venue renforcer ce dispositif, ce qui représentait un pas vers l'harmonisation des consignes relatives aux matériels et des plans d'action nationaux. Ce système est donc cohérent et robuste.
En tant que consommateur, je fais confiance aux produits d'origine française et européenne. Avec un tel cadre, renforcé par des contrôles et des accompagnements, on peut toujours s'interroger en termes de consommation, mais on peut avoir confiance dans le système scientifique qui est à notre disposition. Nous continuerons toujours à nous nourrir et s'il s'agit de se nourrir avec des aliments produits dans des pays dont les contrôles, dans le domaine des intrants notamment, s'avèrent moindres, il est de notre responsabilité vis-à-vis des consommateurs de nous prémunir contre cette tendance.
Sur les questions des produits ou des méthodes alternatives, soulevées par Mme Bonnefoy et Mme Jouanno, il ne faut pas réduire la réflexion uniquement aux produits. Lorsqu'on parle de méthode alternative, on suit un raisonnement bien plus large. Ce raisonnement agronomique n'est pas nouveau. On traite la gestion des risques sanitaires, soit en prévention soit au fur et à mesure. Les principes de cette protection intégrée figurent dans la directive européenne ; c'est une obligation pour les États-membres. Cette protection intégrée va bien au-delà de l'aspect produit. On peut jouer sur différents outils et en matière de modélisation, la France est d'ailleurs pionnière. Avec les Ecophytos, nous avons investi dans la capacité de poser un diagnostic pour avoir la décision la plus avisée possible et ne recourir à un traitement qu'en cas de nécessité.
S'agissant du débat sur les produits alternatifs, on parle souvent de l'aspect « biocontrôle ». Plus de 50 % des produits qui sont sur le marché et qui répondent au label de produit vert sont élaborés par des adhérents de l'UIPP. Les produits issus du biocontrôle font appel à l'innovation, à la science et sont très souvent utilisés en complémentarité avec les produits dits classiques. Puisque les produits biocontrôle actuellement sur le marché sont de l'ordre de moins de 5 %, on comprend aisément que la complémentarité avec le reste du marché se fera de manière progressive. J'étais d'ailleurs hier au colloque organisé par l'IBMA et il y a manifestement d'énormes enjeux en matière d'innovation et d'accompagnement. Les entreprises qui proposent ces produits ont besoin d'un cadre stable. Toutefois, l'absence de définition du bio-contrôle au niveau européen est une difficulté pour nous. En matière d'harmonisation européenne, on se raccroche effectivement à la directive qui mentionne la protection intégrée. Le soutien des pouvoirs publics à l'innovation est réelle et le consortium public-privé qui découle du rapport « Agriculture et innovation 2025 », dont l'UIPP est partie prenante, permet d'oeuvrer en ce sens. En effet, près de 60 % des produits ou des brevets émanent du secteur privé. Ce qui signifie que les 40 % restants proviennent du secteur public. Il faut concrétiser cette dynamique.
En moyenne, dix ans séparent le « screening » de la recherche et la sortie d'un produit sur le marché. C'est la même chose pour les produits de biocontrôle qui s'appuient sur des méthodes biologiques. C'est même parfois plus compliqué dans la mesure où nous sommes sur du matériel vivant. Cela exige une grande technicité. De nombreux éléments doivent être testés en grandeur réelle.
Il va falloir gérer cette évolution et celle du marché. Il n'y a pas d'antinomie entre la chimie, qu'elle soit de synthèse ou naturelle, et les produits de biocontrôle qui agissent sur les méthodes biologiques. Les agriculteurs doivent avoir à leur disposition toutes ces solutions. À l'instar de la médecine humaine, il faut disposer d'une large palette de solutions pour pouvoir répondre, en fonction du seuil d'infestation, aux problèmes posés.
M. Pierre Médevielle. - Mme Weber, pouvez-vous nous dire un mot sur les rapports de l'Anses et de l'EFSA ainsi que sur les besoins d'harmonisation notamment au niveau européen ?
Mme Françoise Weber. - Je ne peux évidemment pas m'exprimer au nom de l'EFSA. Celle-ci est effectivement en train de travailler sur les néonicotinoïdes. L'EFSA a ainsi demandé aux industriels de fournir des données confirmatives sur l'impact des néonicotinoïdes et elle a reçu un ensemble de données sur tous les aspects de ces substances sur lesquels persistent encore des incertitudes. Ces données sont en cours d'analyse et nous n'avons pas encore de date précise quant aux résultats de ces travaux. Par ailleurs, elle ne s'est pas contentée de ces données industrielles. Il y a plus d'un an, l'EFSA a lancé un appel à contributions général, destiné à l'ensemble des scientifiques, des organisations non gouvernementales et des citoyens européens. Elle est en train d'analyser ces données.
L'EFSA ne conduit pas seule ses analyses. Les États-membres et la France, via l'Anses, contribuent également, participent et font en sorte que ces analyses soient communes à l'ensemble de l'Union. Ce sont pour nous des échéances très importantes. Nous espérons que ces échanges vont améliorer notre connaissance des néonicotinoïdes.
J'en profite également pour répondre à la question de Mme Jouanno sur les autres pollinisateurs. Nous nous intéressons beaucoup aux abeilles domestiques en effet mais des questions demeurent quant aux autres pollinisateurs. Les données que nous possédons sont incomplètes et concernent essentiellement les abeilles domestiques. On ne sait rien de l'effet sur les autres pollinisateurs ni sur leur équilibre avec les abeilles domestiques ! Sur la reconnaissance des néonicotinoïdes comme perturbateurs endocriniens, nous n'avons encore aucune certitude.
La question des alternatives nous préoccupe. Dès lors qu'un produit phytopharmaceutique est par exemple inscrit sur la liste des substances actives candidates à la substitution, le règlement nous impose, depuis le 1er août dernier, de conduire une évaluation comparative. Nous devons ainsi regarder s'il existe des alternatives et évaluer leur impact. En matière de substitution, il ne faut pas courir le risque de substituer à une substance toxique une autre substance présentant un autre type de toxicité. Nous devons tenir compte de l'impact chacune de nos décisions en matière de substitution. Nous avons ainsi mis en place un comité de suivi des AMM, composé de personnes compétentes en agriculture, en environnement, ainsi que de professionnels de santé publique.
Enfin, un dernier mot sur les alternatives et les produits biocontrôle en particulier. Nous favorisons comme alternatives les produits biocontrôle et à faibles risques. C'est vrai que la définition du biocontrôle n'est pas très claire tant au niveau national qu'européen. Les taxes sont drastiquement réduites pour ceux-ci et les délais d'évaluation de ces produits sont également beaucoup plus courts que pour les autres produits. Nous sommes très actifs sur ces produits. Notre seul regret, c'est que nous n'en ayons pas suffisamment ! Nous n'en avons que quelques dizaines par rapport aux centaines d'évaluations qui nous sont soumises chaque année. Je rejoins là l'avis des intervenants quant à la nécessité de la recherche et de l'innovation dans ce domaine.
M. Éric Thirouin. - Je sais que, depuis cet été, vous êtes sur cette approche consistant à vérifier si le retrait de l'un ne va pas générer quelque chose de pire à côté.
Je voulais réagir au sujet des normes et sur leur perception par les agriculteurs. Un sondage de novembre dernier a tenté de révéler les facteurs empêchant les agriculteurs d'être heureux. On aurait pu imaginer qu'il s'agissait des prix ou des revenus ! La première contrainte était en réalité une contrainte administrative, à savoir les normes, et la seconde, l'image. Le revenu n'était cité qu'en troisième et ensuite, le temps consacré à sa vie personnelle et à sa famille. Cet ordre est révélateur de la manière dont le monde agricole vit cette pression normative et réglementaire.
Deux exemples pour illustrer mes propos. Le premier concerne les décisions de l'Anses et de l'EFSA, ainsi que les débats qui se sont tenus au Sénat sur les néonicotinoïdes. Aujourd'hui un agriculteur producteur de riz en Camargue a à sa disposition six produits pour traiter les mauvaises herbes, qui peuvent être particulièrement nombreuses lorsqu'il fait chaud. Dans la même zone de délivrance des AMM, son homologue espagnol dispose, quant à lui, de dix-huit produits et son homologue italien en a vingt-et-un ! En France, les conditions d'homologation des produits sont drastiques. On pourrait s'en féliciter en termes de gestion des risques, mais il ne faut pas créer des résistances, ou pire encore, des stratégies de contournement.
Ce que Mme Weber vient d'évoquer va nous permettre, je l'espère, de prendre davantage de recul pour savoir comment gérer une telle situation. Sinon, il n'y aura plus de riz en France. Certains s'en féliciteront peut-être... Or, la riziculture permet de désaliniser la Camargue et contribue à la préservation de la biodiversité. Il faut raisonner selon une logique globale de coûts et de bénéfices, en examinant l'ensemble des impacts résultant des décisions, avec beaucoup de recul.
De l'autre côté, nous dénonçons le phénomène « parapluie » engendré par des systèmes en cascade. Au-delà de l'autorisation des produits, il faut prendre en considération les conditions d'application. Plus les années passent, plus elles se multiplient et se complexifient. Chacun essaie de se protéger : les firmes, le Gouvernement, voire l'Anses ! À la fin de cette chaîne, c'est l'agriculteur, qui se retrouve avec des zones de non-traitement par rapport à des cultures adjacentes, ou avec des dispositifs végétalisés permanents. À cause de cette accumulation, nous n'y arrivons plus ! Nous ne disons pas que les décisions sont bonnes ou mauvaises ou que les protections ne sont pas nécessaires ! Il en faut ! Mais il faut aussi du bon sens et de l'applicabilité. Notre souhait aujourd'hui, ce n'est pas l'absence de norme ou de réglementation ; les appellations d'origine protégée (AOP) par exemple nous protègent et sont positives. Mais il faut que les normes soient applicables.
En matière de néonicotinoïdes, l'Anses et l'EFSA n'énoncent pas d'interdiction. Au cours du débat au Sénat la semaine dernière, vous vous êtes rangés à l'avis de l'Anses qui préconise d'encadrer les choses. Mais il faudra un débat sur l'applicabilité. À titre d'exemple, l'avis de l'Anses préconise une attention particulière à l'environnement proche lors du traitement, pour protéger les pollinisateurs. C'est effectivement important, mais faut-il regarder seulement les fleurs ou aller au-delà ? Est-ce que le problème, ce n'est pas également de traiter les poussières ? Ce n'est pas forcément prévu aujourd'hui, et il ne faut pas légiférer excessivement, notamment lorsqu'il s'agit davantage de bonnes pratiques. Nous comptons sur vous pour favoriser l'innovation et assurer l'applicabilité des règles adoptées. Il faut préserver la liberté des applicateurs et laisser ouvertes certaines discussions pour que l'application soit intelligente, donc efficace ! Une interdiction stricte est un gage de contournement de la loi... Il faut donc un équilibre entre la loi, que vous élaborez avec sagesse, et l'application, pour laquelle les agriculteurs en bout de chaîne doivent disposer de marges de manoeuvre.
M. Pierre Médevielle. - Pourrions-nous avoir des précisions de la part de la MSA quant à son domaine de compétence en matière de santé des agriculteurs ?
M. Franck Duclos. - A la question posée par Mme la sénatrice Nelly Tocqueville sur le chiffrage du coût économique et financier, je ne pourrai répondre que sur le champ de la sécurité sociale en tant que gestionnaire de la branche maladies professionnelles-accidents du travail des assurés agricoles. Nous conduisons évidemment des travaux sur la gestion du risque, qui ont abouti à plusieurs rapports. Nous pourrons bien sûr vous transmettre le dernier rapport, paru à l'automne dernier et consacré au risque chimique, qui mentionne le coût des prestations en nature et en espèces.
Pour répondre à Mme Chantal Jouanno, pour nous le sujet est celui de la connaissance des effets de l'exposition professionnelle et du lien avec la pathologie. Aujourd'hui, nous n'avons pas identifié de lien déterministe et nous abordons la question de façon statistique avec le sujet du sur-risque. Je citais les fourchettes des deux tableaux pour les nouvelles pathologies, à savoir la maladie de Parkinson et le lymphome non hodgkinien. Que signifie une fourchette de 1-2 et 1-3 pour le lymphome non hodgkinien ? Cela signifie que pour une population exposée, six personnes vont présenter ce symptôme tandis que pour une population non exposée, cinq personnes développeront le lymphome. Si vous prenez un autre tableau de maladies professionnelles, comme l'exposition au plomb et le saturnisme, quatre personnes exposées développeront cette maladie, pour une qui la développera lorsqu'elle n'est pas exposée.
Il faut bien comprendre ce que signifie l'ouverture des tableaux 58 et 59. En matière de lymphome non hodgkinien, si vous avez six personnes qui le développent en cas d'exposition et cinq qui le développent en cas de non-exposition, le tableau 58 conduira à reconnaître en maladie professionnelle les personnes du premier groupe, tandis que pour les personnes du second groupe, aucune ne sera reconnue souffrante d'une maladie professionnelle. Malgré ces tableaux qui facilitent la reconnaissance des maladies professionnelles, et qui n'existent pas pour le régime général, un faible pourcentage de la population demande la reconnaissance d'une maladie professionnelle en fonction des critères des tableaux. La grande majorité des pathologies issues des maladies professionnelles restent les troubles musculo-squelettiques, qui représentent 93 % des reconnaissances. Il faut donc prendre en considération le poids de ces maladies en matière de reconnaissance. Comme je le disais précédemment, le sujet pour nous est vraiment celui de la connaissance des effets de l'exposition et du lien entre l'exposition et le développement de la pathologie.
M. Dominique Lenoir. - S'agissant du domaine de compétence en matière de santé et de sécurité au travail, la MSA regroupe les médecins du travail et les conseillers en prévention des risques professionnels. Cela nous permet tout à la fois d'avoir une vision individuelle et d'être en mesure de conduire des actions collectives en matière de prévention professionnelle, vis-à-vis des professionnels salariés et non-salariés.
Notre échelon national nous permet de participer à une veille et à certaines enquêtes, avec plusieurs structures comme l'Anses. Concernant la prévalence de certaines maladies, je n'ai peut-être pas été clair dans mes conclusions. En tant qu'organisme de protection sociale, il nous faut nous baser sur des éléments sûrs et consolidés. Actuellement, la seule étude de cohorte à partir de laquelle nous pouvons comparer les populations agricoles et non-agricoles, c'est l'étude Agrican que j'ai évoquée précédemment. Les premiers résultats de 2010 ont été quelque peu polémiques puisqu'ils mettaient en évidence une espérance de vie supérieure à la population générale. De tels résultats s'expliquent notamment par une moindre consommation de tabac au sein de la population agricole et, par conséquent, une moindre mortalité par cancer du poumon et une plus grande espérance de vie. Cela ne présageait en rien de l'exposition ou non à des produits.
Les résultats de 2015 sont plus fins mais ne fournissent, pour l'heure, que des éléments de tendance. Ils confirment ce constat en matière de cancers du poumon et mettent en lumière une augmentation des mélanomes de la peau, des lymphomes et des cancers de la lèvre. Ces premiers résultats sont en phase avec l'étude américaine de cohorte évoquée précédemment. Aujourd'hui, il s'agit de rechercher un lien entre le produit phytosanitaire et l'apparition de la pathologie. Une étude complémentaire est en train d'être conduite à partir de questionnaires, en ciblant une quinzaine de produits utilisés pour voir s'il existe un lien entre l'utilisation de produits et l'apparition de certaines pathologies. C'est un processus qui prend du temps. Scientifiquement, il faut prouver un tel lien au-delà d'une série d'études, qui peuvent se contredire les unes à la suite des autres ; d'où l'intérêt des méta-analyses, c'est-à-dire d'une synthèse de plusieurs analyses qui permet de pondérer scientifiquement le lien éventuel entre agent et pathologie.
En début d'audition a été évoquée une omerta, puis nous avons été considérés comme timides, ce qui témoigne de notre progression dans le débat ! Je rappellerai que nous avons réalisé une étude en 2011 qui a conduit à l'interdiction de l'arsenic de sodium pour la vigne. C'est un excellent produit contre l'esca, mais les risques pour les utilisateurs, même bien protégés, étaient tels qu'il n'était plus possible de l'utiliser ! Preuve en est que nos contributions sont bénéfiques à la santé des utilisateurs !
M. Pierre Médevielle. - Nous faisons confiance à l'épidémiologie. C'est une approche fastidieuse, mais qui donne de très bons résultats. Merci donc à tous les participants de cette table-ronde. Le sujet est tel qu'il serait souhaitable d'approfondir ces questions par d'autres tables rondes, notamment avec l'agence européenne, pour évoquer la question de l'harmonisation et développer le contenu des études menées sur ces maladies et sur la santé des agriculteurs.
M. Hervé Maurey, président. - Je souhaite remercier à mon tour les participants. Je voudrais être rassurant à l'égard de la profession agricole qui s'est montrée inquiète tout à l'heure. Si notre commission n'est pas celle qui a compétence en matière agricole, nous sommes naturellement conscients des différents enjeux que votre profession a à gérer. En tant que responsables politiques, nous avons effectivement à trouver un équilibre entre des mesures protectrices pour nos concitoyens, qu'ils soient producteurs, utilisateurs, ou consommateurs, et la nécessité de permettre à une profession de travailler. Cette démarche implique une bonne analyse des risques en prenant en compte, comme l'a dit notre collègue Michel Raison, les apports d'un produit, ainsi que la nécessité d'avoir des produits de substitution. Il n'était nullement question d'un procès à charge, comme vous avez semblé le craindre au début ! Merci à tous.
La réunion est levée à 11 h 10.