- Mercredi 20 janvier 2016
- Ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé, 1930 - Examen du rapport et du texte de la commission
- Nomination de rapporteurs
- Questions diverses
- Rapprochement entre l'Agence française de développement et le groupe Caisse des dépôts et consignations - Audition de M. Rémy Rioux, Secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères en charge des affaires économiques
- Audition de S.E M. Ali Ahani, ambassadeur de la République Islamique d'Iran
Mercredi 20 janvier 2016
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -La réunion est ouverte à 9 h 32
Ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé, 1930 - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Gaëtan Gorce et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 630 (2014-2015) autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé, 1930.
M. Gaëtan Gorce. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé de 1930, qui définit le travail forcé comme tout travail effectué contre son gré et sous la contrainte.
Cette lutte contre le travail forcé a été organisée autour de deux grands textes. La convention n° 29, adoptée en 1930, qui contient une interdiction progressive du travail forcé ainsi qu'une période transitoire pour permettre aux grandes nations coloniales de s'adapter. Elle porte la marque d'un certain nombre de grands représentants français, notamment Albert Thomas, le directeur du Bureau international du travail, et Léon Jouhaux, patron de la CGT avant de fonder la CGT-FO. La seconde convention sur le sujet est la convention n° 105, adoptée en 1957, qui est également très marquée par le contexte historique de la lutte contre le travail forcé dans les camps de prisonniers et les camps d'internement, notamment dans les camps de la Kolima.
Depuis, aucune autre disposition n'avait été adoptée sur ce sujet, même si ces deux conventions avaient été, entre-temps, intégrées dans le bloc des « huit conventions fondamentales » de l'OIT, ce qui signifie qu'elles sont obligatoires pour tous les États membres de l'OIT, qu'ils les aient ou non ratifiées.
Le travail forcé représente encore aujourd'hui une réalité importante. On estime qu'il touche 21 millions de personnes, dont une majorité de femmes. Les profits illicites qu'il génère, chaque année, s'élèvent à 150 milliards de dollars. Deux tiers de ces profits proviennent de l'exploitation sexuelle qui concerne 22 % des victimes.
Le travail forcé se rencontre sur tous les continents. L'Asie détient le record en chiffres absolus mais l'Europe n'est pas épargnée. L'Europe centrale et l'Europe du Sud-Est ont la prévalence la plus élevée, soit le nombre le plus élevé de victimes pour 1 000 habitants. Il s'agit essentiellement de victimes de l'exploitation sexuelle. La lutte contre l'exploitation sexuelle reste un enjeu considérable sur notre continent.
Le protocole, que nous examinons, a été adopté le 11 juin 2014 par la Conférence internationale du travail à une très large majorité et seulement 8 voix contre et quelques abstentions. Il a pour objet d'actualiser le dispositif adopté en 1930. Il supprime ainsi les dispositions de transition qu'il contenait, ce qui est la moindre des choses. Il crée des obligations supplémentaires à la charge des États, notamment l'élaboration d'un plan d'action national de lutte contre le travail forcé et la traite des personnes, ce dont la France s'acquitte déjà depuis plusieurs années. Il précise que les États doivent renforcer les mécanismes de contrôle. À cet égard, la France a déjà modifié sa législation en 2013, pour introduire l'infraction de travail forcé dans le code pénal. Une seconde modification devra être faite pour renforcer les compétences de l'inspection du travail et lui permettre de constater l'infraction de travail forcé, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cela devrait se faire par le biais d'une ordonnance qui devrait être prise prochainement par le Gouvernement. La troisième série d'aménagements prévue par ce protocole vise à renforcer la protection des victimes en faisant évoluer les législations nationales pour mettre ces victimes à l'abri des poursuites et des sanctions pour avoir pris part à des activités illicites, sous la contrainte. Enfin, ce protocole oblige les États à mettre en place des mécanismes de recours et d'indemnisation.
La France pourrait être le troisième État à ratifier ce protocole. Il est prévu qu'il entre en application douze mois après les ratifications de deux États membres. Le Niger, puis la Norvège, le 9 novembre 2015, l'ont déjà ratifié. En conséquence, il entrera en vigueur le 9 novembre 2016.
Après avoir procédé à plusieurs auditions, je vous recommande l'adoption de ce projet de loi. Deux dispositions toutefois auraient pu être précisées. Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) m'a fait savoir qu'elle souhaiterait que son rôle d'évaluation de ces politiques soit confirmé par la loi. Si vous en êtes d'accord, j'en ferai mention dans mon rapport. Une telle disposition pourrait être introduite lors de l'examen du projet de loi sur le travail qui devrait venir prochainement devant le parlement. Ma seconde préoccupation, qui relève davantage de la compétence de la commission des affaires sociales, a pour objet de faire en sorte que les entreprises françaises s'impliquent davantage dans la lutte contre le travail forcé - le travail forcé existe aussi en France, les ONG signalent des centaines de cas. On pourrait ainsi imaginer un dispositif, semblable à celui déjà mis en oeuvre par certaines grandes entreprises multinationales, qui consiste à passer des accords-cadres internationaux dans lesquels ces entreprises s'engagent à lutter contre le travail forcé dans leurs implantations à l'étranger et/ou vis-à-vis de leurs sous-traitants. On pourrait aussi envisager de renforcer l'obligation des entreprises d'informer leurs salariés en la matière, dans le bilan social ou dans le cadre des autres communications obligatoires, pour que la lutte contre le travail forcé, en dehors du continent européen pour ce qui nous concerne, puisse se faire avec la mobilisation des partenaires sociaux. C'est un objectif que l'on peut espérer atteindre. Il y a d'ailleurs eu récemment un débat sur le devoir de vigilance à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi. Cela reste un enjeu important dans la négociation sociale et en tout cas dans l'évolution législative des prochains mois. Je vous renouvelle donc mon invitation à autoriser la ratification de ce protocole.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Merci pour cette présentation dense et synthétique.
M. Claude Malhuret. - Merci pour cette présentation. Comment cette convention sur le travail forcé s'articule-t-elle avec les autres conventions qui existent sur des sujets voisins mais différents, comme celui de l'esclavage ? Comment fait-on la distinction entre ces deux notions ? Comment les organisations internationales concernées, notamment l'Organisation des Nations unies, choisissent-elles d'appliquer telle ou telle convention ?
M. Gaëtan Gorce. - Il y a une articulation un peu complexe entre ces différents dispositifs. D'ailleurs, les rédactions ne sont pas absolument satisfaisantes. On peut considérer que les organisations internationales engagent des actions au vu des situations particulières qu'elles choisissent de définir. C'est la même chose pour la lutte contre la traite, qui a un lien étroit avec la question du travail forcé. Les incriminations et la mobilisation des moyens dépendent vraiment des situations dans lesquelles on se trouve. Personnellement, j'ai regardé la rédaction des différents textes et l'on peut dire que ce n'est pas tout à fait satisfaisant d'un point de vue juridique. Ces définitions peuvent se chevaucher. C'est le résultat du travail qui est fait par les membres de l'organisation. Je ne pense pas que cela nuise à l'efficacité de la démarche. En tout cas, je reconnais que le dispositif n'est pas d'un « cartésianisme » total sur le plan de la rédaction et des moyens mobilisés.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour cette présentation. J'ai deux questions à vous soumettre. Vous avez mentionné des centaines de cas de travail forcé et dit que, pour l'instant, l'inspection du travail n'est pas compétente pour constater cette infraction. Dans ces conditions, comment arrive-t-on à identifier ces cas ? Par ailleurs, la délégation aux droits des femmes travaille sur le sujet de la traite des êtres humains depuis plusieurs mois. Au cours des auditions, on nous a signalé que le Parquet travaillait essentiellement sur les violences faites aux femmes et la prostitution et ne prenait quasiment pas en compte la traite. Avez-vous eu des retours semblables ?
M. Gaëtan Gorce. - Je n'ai pas d'information particulière à ce sujet. La difficulté tient à ce qu'il n'y avait pas d'incrimination spécifique du travail forcé dans le code pénal français avant la loi de 2013. Ce n'est donc logiquement qu'à partir de cette date que l'on dispose d'indications statistiques à travers les plaintes et les signalements des organisations non gouvernementales (ONG). Au préalable, ces situations étaient poursuivies sur d'autres fondements juridiques. Une ONG indique qu'elle a eu connaissance de 500 cas entre 2001 et 2015, ce qui est vraisemblablement inférieur à la réalité. Il faut avoir en tête, qu'à la différence du contexte qui prévalait en 1930 et même en 1957, où l'on visait essentiellement les États et les gouvernements, les situations de travail forcé sont aujourd'hui le fait d'employeurs privés. Pour l'essentiel, ces personnes sont dans une situation de droit privé et il faut donc créer des conditions qui permettent leur information sur les recours possibles, les ONG susceptibles de les aider, les dispositions législatives. L'inspection du travail déclenchait donc des poursuites sur la base d'autres infractions. D'ailleurs, la France avait été pointée du doigt par la Cour européenne des droits de l'Homme qui lui reprochait de n'avoir pas incriminé le travail forcé. Le travail de sensibilisation est utile, l'implication des ONG indispensable. Le fait que la CNCDH veuille se livrer à une évaluation du travail forcé indique une mobilisation et une prise de conscience accrues sur notre territoire.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité le rapport ainsi que le projet de loi précité.
Nomination de rapporteurs
La commission nomme rapporteurs :
. M. Jean-Marie Bockel sur le projet de loi n° 106 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord relatif au site technique de l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice entre le Gouvernement de la République française et l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ;
. Mme Gisèle Jourda sur le projet de loi n° 212 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'amendement à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest du 24 octobre 1978 ;
. Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 173 (2015-2016) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la Commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux, établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d'un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche, et une annexe) ;
. M. Jacques Gautier sur le projet de loi n° 286 (2015-2016) autorisant l'accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l'Atlantique Nord.
Questions diverses
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Comme convenu lors de notre réunion de commission du 16 décembre dernier, je vous propose de compléter la composition du groupe de travail intitulé « La Turquie, puissance émergente, pivot géopolitique » par la désignation de Mme Leila Aïchi et M. Alain Joyandet comme membres de cette mission. Il n'y pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.
Rapprochement entre l'Agence française de développement et le groupe Caisse des dépôts et consignations - Audition de M. Rémy Rioux, Secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères en charge des affaires économiques
La réunion reprend à 9 heures 57.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je remercie M. Rioux de sa présence. Nous apprécions sa disponibilité, dans un délai assez court après l'annonce du Président de la République. Nous sommes particulièrement intéressés par le grand projet de rapprochement entre l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
L'intérêt stratégique de rassembler ces deux entités doit cependant être précisé.
Nous connaissons l'impact de la CDC dans notre pays. Nous mesurons combien l'AFD joue un rôle important dans les projets de nos partenaires dans un grand nombre de pays. Selon moi, l'AFD a réussi un grand nombre de ses missions et véhicule une image honorable de la France ; elle nous donne souvent le moyen d'intervenir, quelquefois en utilisant des procédures souples et rapides.
Je salue Mme la présidente de la commission des finances, qui nous a rejoints pour cette circonstance, le sujet que nous allons traiter concernant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, mais aussi celle des finances.
Nous connaissons la légitimité et la puissance de ces différents outils mais, en matière de politique étrangère, nous sommes très attentifs aux changements qui peuvent affecter l'AFD, et nous veillerons particulièrement que ceux-ci soient positifs et ne fragilisent pas son action.
Nous évoquerons naturellement un certain nombre d'éléments plus techniques concernant l'avenir des fonds propres de l'AFD, ses moyens, l'organisation du mécano financier dans ses différentes structures, la gouvernance et le pilotage. Cette nouvelle organisation devra être dirigée, et la manière dont elle sera pilotée pourra en effet illustrer le sens dans lequel on veut que son action soit développée.
Il s'agit d'un sujet très important. Nous voudrions donc connaître la stratégie de ce projet. En quoi celle-ci pourra-t-elle constituer un élément positif pour l'AFD, qui est souvent l'outil au travers duquel un grand nombre de pays perçoivent la France ?
M. Rémy Rioux, secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères en charge des affaires économiques. - Merci beaucoup pour votre accueil.
Je suis très honoré d'être devant votre commission pour vous présenter mon rapport.
Le Parlement joue et va bien sûr jouer un rôle essentiel dans cette réforme, en particulier le Sénat, par la voix de ses représentants, dont le rôle sera évidemment maintenu dans la réforme, à la fois dans le cadre de la commission de surveillance de la CDC pour MM. Vincent et Delahaye, et dans le cadre du conseil d'administration de l'AFD pour Mmes Keller, Goy-Chavent, ainsi que MM. de Raincourt et Collin.
Je suis à leur entière disposition, au-delà de cette séance, pour leur apporter toutes les précisions utiles.
Votre assemblée s'est déjà exprimée sur ce sujet au moment de l'examen de la loi du 7 juillet 2014, et a précisé les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale ; elle sera appelée à le faire à nouveau dans le cadre de cette réforme, en particulier le Sénat, l'une des ambitions de ce texte étant de rapprocher l'AFD de nos territoires et d'accroître leur influence internationale. Vous en êtes les représentants. J'espère que vous serez sensibles à cet aspect des choses.
L'ambition de la réforme est de créer un instrument bilatéral plus puissant, plus visible, plus efficace et plus partenarial, de la façon la plus simple et la plus rapide, compte tenu des urgences auxquelles nous sommes confrontés dans les pays les plus proches de la France.
L'ambition est aussi de réunir tous ceux qui peuvent apporter quelque chose à notre politique de développement, et contribuer à la renouveler. C'est une conviction que je possède depuis très longtemps.
J'ai fait carrière au ministère de l'intérieur, au ministère des finances, au Trésor, à l'Agence des participations de l'État, à la direction du cabinet du ministre. Je suis à présent au ministère des affaires étrangères et du développement international, auprès de Laurent Fabius. Je connais bien l'AFD. Je l'apprécie beaucoup. J'ai travaillé avec M. de Raincourt, alors qu'il était ministre, lors de la crise ivoirienne...
J'ai donc pu apprécier la politique de développement de l'AFD sous ses différentes facettes. Ma conviction est que l'on peut davantage encore réunir les acteurs au service de cette politique et leur adjoindre les forces, la capacité d'innovation, le réseau de la CDC, qui ne sont pas aujourd'hui mobilisés à cette fin. Ceci ne figure pas parmi les missions de cette grande maison. C'est le but de la réforme.
Trois objectifs m'ont été fixés. Le premier est le plus conjoncturel et le plus immédiat et découle de la nécessité de tenir les engagements pris par notre pays lors des conférences d'Addis-Abeba, en juillet, et de la préparation de la COP21.
J'étais en charge du volet financier de la négociation de l'accord de Paris ; après nos collègues allemands, l'annonce de financements accrus pour le climat faite par le Président de République française, à New York, le 20 septembre dernier, a joué un rôle extrêmement important pour que nos partenaires acceptent d'entrer dans la négociation, en ayant l'assurance que les financements augmenteraient d'ici 2020.
La réforme dont je viens vous parler ce matin porte sur la façon d'augmenter mes engagements pour l'aide au développement de 4 milliards d'euros, dont 2 milliards d'euros pour le climat.
L'engagement du Gouvernement est à la fois d'augmenter la capacité d'intervention de l'AFD, mais également d'apporter 400 millions de dons, au-delà des bonifications de prêts, d'ici à 2020, afin de maintenir un ratio entre les prêts et les dons permettant de recharger la politique bilatérale, en lui permettant d'intervenir là où les prêts ne sont pas possibles, ou dans certains domaines où seuls les dons peuvent être pratiqués, qu'il s'agisse de pays en crise, d'une partie des actions pour l'adaptation ou la lutte contre le changement climatique, ou des secteurs sociaux, auxquels je vous sais très attachés.
Le second objectif consiste à tirer les conséquences du nouveau cadre international du développement durable, tel qu'il a été défini lors des trois grandes conférences de l'année dernière. On est au début de la réflexion, mais on a à présent un agenda universel qui concerne à la fois les pays en développement et les pays développés. Celui-ci est très élargi et transversal, et touche de nombreux secteurs.
Cet agenda est également très inclusif et ambitionne de mobiliser tous les acteurs, et pas seulement les États. On veut également augmenter les financements pour le développement au-delà de la seule aide publique.
Ce très grand élargissement des priorités a été décidé par la communauté internationale l'année dernière ; il faut donc en tirer les conséquences au plan bilatéral.
L'ambition de cette réforme est de rapprocher les sources de financement domestique des sources de financement international et, au lieu d'avoir deux domaines qui dialoguaient finalement assez peu, d'essayer de voir si ce nouvel instrument est capable d'initiatives, de création d'instruments, d'innovations, d'actions plus puissantes.
On rejoint là - c'est le troisième objectif de la réforme - un mouvement qui est en train de prendre de l'ampleur dans de très nombreux pays, dont plusieurs d'Europe continentale, comme l'Allemagne, avec la Bank aus Verantwortung (KfW), ou en Italie, où la Cassa depositi e prestige, la Caisse des dépôts et consignations italienne, s'est vue adjoindre par la loi la mission d'aide au développement et se prépare à intervenir elle aussi dans ce domaine.
C'est un phénomène que l'on observe également dans de très nombreux pays émergents, qui se sont dotés de banques publiques puissantes pour développer leur propre pays ; ces banques publiques sont en train de s'internationaliser.
Ces « animaux », qui représentent plusieurs centaines de milliards de total de bilans, sont en train de créer des clubs, de se rapprocher, en complément ou en parallèle de ce que font les banques multilatérales, créant ainsi de l'action collective ; on a vu de façon assez spectaculaire, lors de la préparation de la COP21, à la fin de l'année dernière, que ces capacités d'actions internationales pouvaient être mobilisées au service de priorités collectives.
Mon rapport essaie de dégager les quelques axes d'un projet stratégique que la CDC et l'AFD pourraient bâtir ensemble au service de notre pays. Il conviendrait bien sûr de mener une stratégie commune autour des objectifs du développement durable du climat. C'est la CDC qui va devoir mettre en oeuvre, dans notre pays, un grand nombre des objectifs décidés à New York. Il va falloir rendre des comptes concernant cette mise en oeuvre. L'AFD pourra bien sûr apporter une contribution à nos partenaires pour la mise en oeuvre de ces objectifs. Il y a certainement là des instruments, des interventions et une stratégie que ces deux maisons peuvent construire en commun.
Le second axe du projet stratégique est de faire de cette agence une agence pleinement bilatérale. Beaucoup de choses se font déjà, mais il faut doter l'AFD d'un réseau en France, que les directeurs territoriaux de la CDC, qui représentent le groupe, échangent également avec les nouveaux présidents des conseils régionaux, les élus des métropoles, et ceux des petites villes, qu'ils évoquent le développement, l'internationalisation de nos territoires. C'est aujourd'hui un canal qui n'existe pas, et que l'on va pouvoir ouvrir et mobiliser pour faire remonter de nos territoires vers l'AFD beaucoup de projets, d'intentions, de capacités, qu'il faudra ensuite bien entendu transformer en actions à l'étranger.
Inversement, faire du réseau de l'AFD à l'étranger, dans les soixante-dix pays où elle se trouve, une forme de représentation du groupe CDC va faire remonter vers la France, nos territoires et vers la CDC elle-même ainsi que vers ses différents instruments des expériences, des intentions, des volontés de partenariat de très nombreux territoires dans les pays partenaires qui, aujourd'hui, ne remontent probablement pas facilement. L'idée d'un réseau unifié, sans maille, me semble très importante ; c'est une façon de servir l'action internationale des collectivités de façon beaucoup plus active et efficace.
Les relations avec la société civile sont déjà très actives au sein de l'AFD. Souvent, les grandes ONG ont dépassé ce mouvement et sont actives en France et au plan international. L'objet de la réforme est pour elles très naturel, puisqu'elles se partagent déjà ces deux regards, domestique et international.
Troisième idée du projet stratégique commun : les groupes CDC et AFD constituent deux maisons qui ont des métiers dans des géographies différentes, qu'elles réalisent avec des instruments différents. Elles ont pour mission de servir l'intérêt général, appuyer la définition des politiques publiques, d'appuyer les élus, de financer et de mettre en oeuvre des projets dans des domaines qui sont, qu'il s'agisse des services essentiels ou des infrastructures, souvent proches.
Il existe donc dans ces deux maisons des métiers, des capacités, des intentions, des idées qui peuvent être construites et rassemblées pour améliorer la pertinence de nos interventions en matière de développement.
J'ai déjà cité quelques têtes de chapitres : la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique, domaines d'excellence des deux maisons où l'on peut faire beaucoup de choses ensemble, le développement urbain et l'aménagement du territoire, auquel j'ajouterai volontiers l'agriculture pour les rapports entre la ville et la campagne, mais aussi la protection sociale, secteur où la CDC a une très longue expérience, qui constitue une demande très forte, notamment de la part de beaucoup de métropoles de pays émergents, qui sollicitent notre aide pour structurer leur épargne et bâtir des systèmes de protection sociale pour les classes moyennes et pour les plus vulnérables de ces cités.
On peut aussi envisager la diplomatie économique de façon nouvelle, si l'on raisonne non plus uniquement sur chacune des entités, mais en l'envisageant aux bornes du groupe CDC-AFD. Je pense qu'il existe une possibilité de mieux répartir les rôles entre l'AFD, Proparco, BpiFrance, la CDC elle-même ou sa filiale CDC international capital, sans rompre avec les règles auxquelles nous avons souscrit, en ayant des modes de financements plus intelligents, répondant mieux aux demandes des partenaires de la France, dans l'intérêt de notre économie et de son redressement.
Je ne développe pas le thème relatif aux crises, aux migrations et à la sécurité. La KfW est en train de bâtir une stratégie de réponse sur le sujet, en essayant de voir si elle peut articuler l'ensemble de ses instruments d'intervention dans les pays d'origine, souvent en crise, dans les pays de transit, où l'on peut souvent faire des prêts, et sur le territoire national, afin d'accompagner les collectivités locales dans leur besoin de logements ou d'entreprenariat. Il s'agit de voir si ce nouvel instrument peut répondre aux enjeux de la chaîne d'accueil et de traitement de ces sujets si prégnants.
Les deux institutions interviennent bien entendu fort efficacement outre-mer, peut-être plus en matière d'appui au secteur public que privé. C'est le message que j'ai perçu lors de la mission de préfiguration. Rassembler ces instruments ne peut-il apporter à l'outre-mer davantage de financements pertinents et efficaces ?
Enfin, je suis attaché à l'idée que l'aide au développement et la solidarité constituent des domaines où l'on peut réaliser beaucoup d'innovations. On a, en France, des capacités de recherche ; on peut valoriser la recherche. La CDC, via son lien avec la french tech, les start-up, et tout ce que la réforme souhaite mettre en place, pourra peut-être parvenir à établir des connexions et inventer de nouveaux outils, de nouveaux services en faveur des plus pauvres. On sait la révolution qu'a constituée la téléphonie mobile jusque dans les savanes africaines les plus reculées. Ce sont là des vagues d'innovation, notamment via le numérique, extrêmement puissantes et qu'il faut mettre au service du développement.
Cette connexion entre la CDC, qui connaît fort bien les innovateurs en France, et l'AFD, qui connaît bien les partenaires du Sud, peut présenter un certain potentiel, et les deux maisons doivent la construire ensemble ; son influence et son utilité peuvent être extrêmement importantes.
Le troisième volet de la mission consiste à trouver la forme juridique et financière que pourrait prendre ce rapprochement. Le premier objectif que l'on s'est fixé est de réaliser l'ambition annoncée par le Président de la République. Il faut donc trouver une solution permettant de libérer d'ici à 2020 les 4 milliards d'euros d'engagements supplémentaires vis-à-vis des États étrangers. Il faut aussi, compte tenu du projet, dégager les synergies et faire en sorte que les liens entre les équipes de la CDC et de l'AFD, qui se sont construites en parallèle et qui se connaissent assez mal, puissent être établis, même en matière financière.
Je pense aussi qu'il faut maintenir la forte identité de l'AFD qui, depuis la réforme de 1998, constitue en France le lieu du développement. C'est là que se concentrent les expériences, les expertises, les connaissances du monde en développement. Il faut donc préserver ce lieu et sa capacité d'actions, son personnel, ses pratiques. Il faut également une gouvernance très inclusive qui permette de rassembler les acteurs actuels de la politique de développement et d'en ajouter d'autres, notamment en réservant un accueil à la CDC et à ses représentants. L'État doit rester très fortement impliqué dans cette politique régalienne, qui constitue un élément de la politique extérieure, même si elle doit mobiliser bien d'autres acteurs que le Gouvernement.
Dans le groupe CDC, c'est probablement « l'objet » qui aura le contenu budgétaire le plus lourd ; ceci suppose une très grande attention de la part des administrations de l'État et, à la faveur de la réforme, un soutien renforcé à la politique de développement.
Il a été décidé - ceci fera l'objet d'un débat au Parlement - de placer l'AFD dans le groupe CDC. Plusieurs modèles ont été étudiés successivement. Il faut rapprocher l'AFD du coeur de la CDC, l'ambition de la réforme étant bien de contribuer à l'internationalisation de celle-ci. L'AFD ne doit donc pas être considérée comme une simple participation de la CDC, mais comme une entité représentant plus qu'une filiale et moins qu'une section.
La proposition consiste à conserver le statut d'établissement public de l'AFD en la plaçant, par la loi, dans le groupe CDC ; seul le législateur peut s'en charger, comme pour le groupe ferroviaire ou le groupe Banque mondiale. Cela permettra de conserve l'identité de l'AFD, tout en la mettant à la bonne place dans le groupe CDC, plusieurs éléments pouvant créer des liens entre les deux. La proposition est de considérer que la CDC va contribuer à la mission de développement et de solidarité internationale, principalement grâce à l'AFD, mais aussi, le cas échéant, grâce à d'autres moyens qui pourraient se développer au fil du temps et engager l'ensemble du groupe dans cette priorité.
Mon rapport propose également une gouvernance croisée, que le directeur général de la CDC préside le conseil d'administration de l'AFD, afin de faire le lien avec le reste du groupe, ce que lui seul peut faire, et qu'il instruise ses équipes pour que les projets se réalisent.
On renoue là avec une très vieille tradition : François Bloch-Lainé a été le président de la CDC de 1952 à 1967. On recréerait donc le lien entre les deux maisons, et je pense qu'il faut que le directeur général de l'AFD ait aussi une responsabilité au sein du groupe CDC, afin qu'il soit comptable de la réussite de cette intégration, au-delà même de la mission de l'AFD stricto sensu, elle-même renforcée.
Le Président de la République a beaucoup insisté sur les réseaux. Il faut les rassembler, les unifier, les faire travailler ensemble, faire en sorte que le réseau de l'AFD représente la CDC à l'étranger, et que le réseau de la CDC puisse apporter son aide aux activités de l'AFD en France. Il faut aussi des liens financiers pour que les projets se réalisent.
En parallèle, la proposition consiste concomitamment à renforcer considérablement l'AFD. C'est l'État qui remplirait ici son devoir d'actionnaire en restructurant le bilan de l'AFD, notamment en transformant toute une série d'éléments de passif de l'AFD en fonds propres de base. Vous l'avez sans doute lu dans la communication faite en conseil des ministres la semaine dernière : l'objectif serait de doubler très rapidement les fonds propres de l'AFD, dès cette année, probablement avec l'accord du Parlement dans une loi de finances, puis, progressivement, grâce à différents mécanismes, de les tripler avant de les quadrupler dans la durée de mise en oeuvre des objectifs de développement durable définis à New York.
L'AFD a accumulé depuis 1941, lors de sa création, à Londres, 3 milliards d'euros de fonds propres de base. La proposition est de quadrupler ce montant et de donner à cet instrument une capacité d'action accrue dans de nombreuses régions avec, en parallèle, un effort budgétaire de 400 millions d'euros portant sur les dons.
Il s'agit d'un net renforcement de l'outil. Vous verrez par ailleurs que le rapport propose de faire passer l'AFD du statut d'établissement de crédit à celui de société de financement, ce qui aura pour effet de revenir à une régulation nationale à titre prudentiel, réalisée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Banque de France.
Enfin, une grande attention sera apportée à la conduite du changement ; l'AFD a déjà beaucoup grandi depuis une quinzaine d'années, à la satisfaction de tous, je pense. On prépare une étape supplémentaire qui augmentera son activité de 50 % en cinq ans. La situation des personnels, la façon dont cette transformation va se réaliser, les liens avec la CDC sont autant de sujets qui requièrent une très forte attention, dont il faudra tirer des conséquences au plan budgétaire et dans l'organisation et la gestion de l'AFD.
Mon impression est que tout le monde est gagnant dans cette réforme ; la politique de développement peut en sortir grandie et renforcée au profit de nos partenaires, avec le renfort de la CDC et des moyens accrus.
La capacité d'action de l'AFD sera transformée ; son mandat sera encore plus fort. On poursuit également les transferts de compétence de l'État vers l'AFD. Le transfert de la gouvernance, qui aura lieu concomitamment à la réforme, va permettre de rendre les produits de l'AFD plus intelligents et plus pertinents. La CDC va par ailleurs y gagner un réseau international, une dimension et un poids dans les partenariats internationaux qu'elles n'avaient pas encore.
Les réactions sont plutôt favorables jusqu'à présent. Le syndicat majoritaire de l'AFD a pris position de façon très positive. Cités Unies France (CUF), présidée par M. Roland Ries, a également pris position publiquement, tout comme le MEDEF, qui a marqué son intérêt. Hier, Coordination SUD, au nom des ONG, a fait part de son analyse, manifestant son attention mais aussi un grand intérêt pour cette réforme.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci de cette présentation dont nous mesurons l'ambition, avec des fonds propres multipliés par quatre, et des missions très élargies. On peut se dire que l'on va enfin avoir les moyens de cette politique ; on peut aussi penser, comme Baudelaire, que les ailes de l'albatros vont être tellement grandes qu'il lui sera peut-être difficile de s'envoler ! Nous le verrons en précisant le rapport entre missions et moyens, ce qui est l'essentiel.
La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Monsieur le président, vous imaginez bien avec quel plaisir les sénateurs de la commission des finances ont souhaité rejoindre votre commission pour entendre M. Rémy Rioux, préfigurateur de cet ambitieux projet, dont nous avons l'impression qu'il répond à une attente.
Je me réjouis de retrouver M. Rémy Rioux, en compagnie des deux rapporteurs spéciaux de la commission de finances, Mme Fabienne Keller et M. Yvon Collin.
Je n'ai qu'une question, à laquelle vous avez déjà fait allusion, monsieur Rioux, celle de la gouvernance et du statut. Il me semble que les parlementaires se sentent parfois éloignés des décisions qui sont prises. Comment le Parlement et, au moment des lois de finances, la commission des finances, peuvent-ils être plus impliqués ?
Peut-être pourrez-vous également nous parler, bien que vous ayez déjà abordé le sujet, des exemples Allemands et Italiens.
Je suis heureuse de constater que de nombreux membres de la commission des finances sont présents ce matin.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Ils sont les bienvenus !
M. Henri de Raincourt. - Madame la présidente, monsieur le secrétaire général, mes chers collègues, nous étudions ce matin un projet politique assez très intéressant et novateur, qui peut et qui doit nous permettre, en matière d'interventions extérieures et d'aide au développement, d'être encore plus efficaces et performants. Le nombre de parlementaires ici présents en est l'illustration.
Monsieur le président, vous disiez dans votre propos introductif que la CDC et l'AFD constituent deux pépites françaises qui ont merveilleusement rempli leurs missions au fil du temps. Certes, la CDC a une antériorité que personne ne lui conteste, et l'AFD, plus récemment, fait également preuve d'une grande efficacité.
Je remercie M. Rioux de la présentation de son rapport. Je ne suis pas étonné qu'il ait été choisi comme préfigurateur, compte tenu de l'intérêt qu'il porte à tous ces sujets et de la connaissance qu'il en a.
En tant que parlementaire, je suis tout à fait prêt, sans aucune réserve, à partager l'idée, les objectifs, la stratégie, mais je crois qu'il ne faut pas manquer l'objectif. Il faut donc que l'on parvienne à monter quelque chose d'efficace, qui marque une certaine simplification du fonctionnement et que l'on ne crée pas une « usine à gaz ». Il convient donc de faire très attention.
J'éprouve quelque inquiétude quant à la gouvernance. Je souhaite vous poser deux questions particulières qui reprennent assez précisément ce que Mme la présidente de la commission des finances vient de dire - ce qui prouve que lesdites questions se posent à tout le moins.
J'ai lu que l'AFD serait « intégrée au groupe CDC pour créer un nouvel écosystème favorable à l'invention de nouvelles solutions et de nouveaux instruments pour le développement et le changement climatique ». Sur le plan pratique, j'ai un peu de mal à traduire !
Ce qui est très important, c'est que la CDC, ainsi que l'AFD, gardent leurs missions de départ, leur idéal en quelque sorte. Si l'AFD a, à l'extérieur, un tel rayonnement, c'est parce qu'on l'identifie comme un outil spécifique de développement qui a grandi au fil du temps. De grâce ! En l'intégrant dans un ensemble plus vaste, ne lui faisons pas perdre son état d'esprit, son âme, sa capacité d'intervention. La diplomatie française, dans cette hypothèse, en ressortirait affaiblie. Il faut donc veiller jalousement à préserver cet aspect des choses.
Si l'on conserve la commission de surveillance, le conseil d'administration, et des représentants du Parlement dans l'un et dans l'autre - ce ne sont d'ailleurs pas les mêmes - qui va assurer la coordination qui va permettre l'efficacité et le rayonnement de ce nouvel ensemble ? Il faut absolument travailler ce point.
J'ai bien compris ce que vous avez dit, monsieur Rioux, mais il faut encore travailler pour trouver la bonne formule. Ce sera au Parlement de le faire, mais pas seulement.
Deuxièmement - Mme la présidente de la commission des finances y faisait référence - il est très important selon moi, ainsi que vous l'avez dit, que l'État reste fondamentalement impliqué. Vous avez rappelé que c'est l'État qui va conforter les fonds propres de l'AFD, alors qu'on aurait pu penser que ce serait la CDC qui le ferait.
Puisque l'État est là, le Parlement doit être également présent. Il faut coordonner les réflexions entre Assemblée nationale et Sénat, les parlementaires de la CDC, les parlementaires de l'AFD. Il faut que, là aussi, on trouve quelque chose de relativement simple si c'est possible.
Nous sommes tout à fait disponibles ; nous éclairer un peu plus sur la gouvernance serait donc fondamental. Peut-être pourriez-vous également vous pencher sur la question de savoir comment renforcer le pilotage politique à l'intérieur de cet ensemble. Il ne faut pas en faire un « machin » administratif compliqué, car c'est un outil primordial pour la politique extérieure de la France.
Cette création va également permettre à la France, grâce à la mise en oeuvre de fonds nouveaux, de retrouver une place qu'elle est en train de perdre en matière d'engagements internationaux. Une part de 0,7 % du PNB doit être affectée au développement ; nous en sommes à 0,31 % : notre crédibilité est donc dorénavant mise en cause ! Saisissons cette opportunité pour la regagner. Pourquoi est-ce très important ? Selon moi, l'avenir du monde, la sécurité et la paix dépendent pour une large part de la réussite ou de l'échec des politiques de développement.
On peut toujours parler de migration : si on n'arrive pas à aider les pays à se développer, leurs populations viendront chez nous, et l'on pourra toujours élaborer des lois traitant de la migration de la manière la plus sophistiquée qui soit, ce seront des morceaux de papier qui ne résisteront pas à ces mouvements considérables. L'enjeu est véritablement un enjeu de civilisation !
Mme Fabienne Keller. - Merci de cette présentation. Nous partageons l'objectif d'allouer plus de moyens à notre aide au développement. Henri de Raincourt en a rappelé les enjeux à l'instant : il s'agit d'éviter une accentuation de la migration économique et d'aider ces pays.
Au moment du lancement de votre mission, il a été évoqué l'idée d'intégrer l'AFD à la CDC - c'était même un principe fondateur - afin que l'AFD puisse s'appuyer sur les fonds propres de la CDC. Les ratios seraient appréciés au niveau du groupe, ce qui serait bénéfique dans des pays tels que la Tunisie ou le Maroc, où l'on atteint la limite des ratios prudentiels.
Finalement, votre rapport va beaucoup moins loin et évoque même, page 28, une « étanchéité financière » entre la CDC et l'AFD. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la solution a été abandonnée ? Quels sont les blocages du côté de la CDC ? Quelles conséquences cela peut-il avoir pour l'AFD ?
Deuxièmement, tous les rapporteurs ont un souvenir quelque peu douloureux du débat budgétaire sur la mission d'aide au développement, qui a été la moins bien traitée dans le budget 2016. Les engagements de l'AFD dans des Etats étrangers devraient passer de 6 milliards d'euros à 10 milliards d'euros d'ici 2020. Quelle devrait être la hausse des bonifications d'intérêt dont on aurait besoin dans cette hypothèse ?
Je présente mes excuses à nos collègues des affaires étrangères pour ces questions financières, mais nous sommes très attachés à ces aspects...
M. Jean-Pierre Raffarin, président.- Je vous rassure, nous le sommes aussi !
Mme Fabienne Keller. - Et vous l'avez prouvé lors de l'examen du budget de la défense !
Le troisième point recouvre la question du statut. Vous proposez que l'AFD prenne un nouveau statut de société de financement et non de banque, ce qui change son contrôle, qui serait exercé non par la BCE mais au niveau national. L'AFD va notamment contribuer au Fonds de résolution national.
On peut comprendre que ce nouveau statut pourrait correspondre au fait qu'il ne s'agit pas tout à fait d'une banque comme une autre, puisque l'AFD n'a pas de dépôt, mais quand même... Quel est le sens de cette modification statutaire qui, dans les normes internationales, va faire régresser l'AFD, qui était au niveau d'une banque européenne, vers un statut plus spécifiquement français ?
Dans le même esprit, je voudrais souligner que les mesures que vous proposez dans votre rapport pour augmenter les fonds propres de l'AFD, dans la seconde partie de la page 29, pourraient être mises en place sans aucune modification statutaire. En effet, transformer une émission obligataire de l'État en fonds propres de premiers rangs, garder des résultats en réserve dans les comptes de l'AFD au lieu de les distribuer - qui est d'ailleurs un combat annuel pour Yvon Collin et moi-même devant le conseil d'administration de l'AFD, l'État faisant le contraire et distribuant - constituent des mesures indépendantes du changement statutaire. Ne perdons-nous pas là les principales justifications au transfert dans le groupe CDC ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je partage les inquiétudes qui viennent d'être exprimées, monsieur le secrétaire général.
Nous imaginions que vous nous feriez la démonstration qu'un plus un égale un ; or, nous restons sur le fait qu'un plus un égale deux, l'AFD devant conserver son statut d'établissement public, et la CDC bénéficier de son expertise internationale.
Si ce n'est ni une filiale ni une section, comment, comment envisagez-vous le fonctionnement de ces entités après leur rapprochement ? Il semblerait pour l'instant que celui-ci soit motivé par une approche comptable et financière, alors que nous attendions un peu plus - d'où une certaine déception.
Vous avez dit que l'AFD et la CDC ne se connaissaient pas. Je ne suis pas certaine qu'elles se connaîtront mieux.
Vous avez par ailleurs souligné la volonté de tenir les engagements en matière d'aide aux pays pauvres. On note que l'enveloppe des dons sera abondée à hauteur de 370 millions d'euros, alors que celle des prêts le sera à hauteur de 4 millions d'euros à l'horizon 2020. Pouvez-vous préciser la nature exacte des crédits, l'échéancier de leur déblocage, ainsi que les pays qui bénéficieront des dons ? Tout ceci démontre qu'il n'y aura en fait pas de déséquilibre et que l'AFD continuera dans sa mission d'aide aux pays les plus nécessiteux.
Deuxièmement, quel sera globalement le contrôle de l'État ?
Enfin, pensez-vous que la réforme aura des conséquences sur les moyens financiers et les actions de Proparco ?
M. Yvon Collin. - Au risque d'être redondant, je voudrais revenir sur quelques sujets.
Tout d'abord, les fonds propres constituent le coeur même de ce sujet. Cette question est d'ailleurs à l'origine même de votre mission et se révèle fondamentale, dans la mesure où l'action de l'AFD, dans certains pays, est d'ores et déjà très limitée. Je rappelle que le niveau adéquat des fonds propres de l'AFD constituait le premier point de votre lettre de mission.
Le Président de la République, vous l'avez rappelé, monsieur Rioux, a annoncé le triplement de ces fonds propres.
Vos propositions précisent qu'il s'agit de convertir les ressources actuelles en fonds propres, comme cela a été initié l'an dernier, et de calibrer strictement la distribution du résultat de l'AFD. Pourriez-vous nous expliquer, avec des éléments chiffrés, l'évolution que vous proposez des fonds propres de l'AFD, en rappelant leur niveau actuel et les moyens de l'atteindre ?
Deuxièmement, le rattachement de l'AFD au groupe CDC implique-t-il que l'AFD se voit appliquer des règles prudentielles propres à la CDC ? Quelles seraient les éventuelles conséquences ?
D'autre part, il avait été évoqué qu'une intégration financière de l'AFD à la CDC lui aurait permis de se financer à des taux moins importants. L'étanchéité financière que vous proposez l'empêche-t-elle ? Avez-vous chiffré la différence en termes de coût de financement que ceci pourrait constituer ?
Enfin, malgré le schéma que vous avez retenu, qui prévoit une intégration assez limitée des deux entités, pensez-vous que certains services pourraient être regroupés, voire fusionnés ? Quels services seraient concernés ? Quelles économies peut-on en attendre ?
M. Christian Cambon. - En tant qu'ancien rapporteur du budget du développement et ancien administrateur de l'AFD, je comprends la décision du Gouvernement et du Président de la République, car nous n'avons cessé d'être confrontés à la problématique des fonds propres.
Toute la pertinence et l'efficacité de l'AFD reposaient pour une bonne part sur les moyens financiers qui étaient à sa disposition, sachant que ceux-ci diminuaient d'année en année.
Cela étant, les interrogations ont toujours porté sur le fait de savoir si l'AFD constituait une banque de développement ou le bras séculier de l'État destiné à aider les pays plus pauvres. Or, il apparaît clairement que la part des dons se contracte. Les chiffres évoqués par Mme Conway-Mouret le confirment : 370 millions d'euros de dons supplémentaires divisés par dix-sept pays pauvres représentent 20 millions d'euros de plus par pays, soit moins que le budget de la ville du Val-de-Marne que j'administre, et qui ne compte que 18 000 habitants.
Quel va donc être à terme l'impact, sur un terrain ou nous sommes très attendus, d'une CDC dont ce n'est pas le métier ?
Vu de Paris, les raisonnements tiennent. Sur place, les agents de l'AFD travaillent de manière totalement indépendante, sont animés par une volonté magnifique en matière d'aide au développement. Je pense donc qu'il va être très difficile de mixer les effectifs pour leur faire acquérir cette culture, la CDC étant par exemple peu habituée aux dons. Je fais appel aux élus locaux ici présents : il est assez rare de la voir se manifester sous cette forme !
Cet élément démontre qu'il existe deux cultures différentes ainsi qu'une différence sémantique. On parle au départ d'adossement ; cela peut se comprendre : on peut être adossé à de grands organismes internationaux, au Fonds européen de développement, etc., pour trouver des financements. En l'espèce, j'ai l'impression que, petit à petit, on va beaucoup plus, ainsi que certains de vos termes le laissent accroire, vers une intégration de l'AFD au sein de la CDC, quelles que soient les précautions oratoires que l'on prend en matière de gouvernance.
Sur le terrain, pour l'avoir vu dans plusieurs pays, je puis vous dire que les choses ne se passeront pas aussi bien qu'on l'imagine. Nous avons connu la même chose avec Pôle emploi : les agences de l'emploi et les Urssaf remplissaient le même rôle, mais ne pratiquaient pas de la même façon. Or, dans ce cas précis, la CDC ne fait pas du tout le même métier que l'AFD.
Les expériences étrangères montrent que bon nombre de pays se sont inspirés de l'expérience de l'AFD qui, à elle seule, cumulait la fonction de banque de développement et la fonction d'aide aux pays en voie de développement. Je connais les orientations du ministre et votre parcours. Vous êtes au coeur de la diplomatie économique développée par Laurent Fabius, et je ne suis pas contre le fait que les aides distribuées par la France permettent aux entreprises françaises de conquérir de nouveaux marchés. On ne va pas recommencer ici le débat sur l'aide liée ou déliée, mais c'est un élément qu'il faut prendre en compte.
En revanche, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a, depuis des années, montré un intérêt très fort pour l'aide aux pays les plus pauvres, ceux auxquels les prêts ne sont pas destinés pour la simple raison qu'ils ne peuvent les rembourser. Ces pays attendent de la France une aide plus substantielle ; malheureusement, sur le terrain, la France est peu à peu remplacée par la Chine ou par d'autres pays qui interviennent sous forme de dons, et qui ont donc, en termes d'influence, remplacé la France.
Comment allez-vous sortir de cette contradiction ? La présentation quelque peu « lénifiante », si vous me permettez cette expression, que vous offrez de Paris ne correspond pas à la réalité sur le terrain, et n'est pas vécue comme telle par nos interlocuteurs !
M. Alain Néri. - Le problème du développement va être crucial dans les prochaines années. On est conscient de la difficulté économique mondiale, plus particulièrement dans les pays émergents.
La vague d'immigration que l'on connaît aujourd'hui a sûrement des causes économiques. Se pose le problème non seulement des pays qui accueilleront l'immigration, mais également des pays de transit.
L'un de nos collègues l'a parfaitement souligné : si nous souhaitons pouvoir contrôler cette immigration, encore faut-il offrir à ces populations une réponse en matière de développement de leur propre pays.
C'est une politique cruciale. On a eu l'occasion de déplorer les moyens limités mis à disposition de cette action ; un effort a été annoncé par le Président de la République, puisque 400 millions d'euros de dons supplémentaires ont été débloqués, avec la possibilité d'avoir 4 milliards d'euros de crédits nouveaux d'ici 2020.
Tout ceci ne peut donc que nous conforter dans l'espoir de voir la politique qui est menée se renforcer.
Dans ce domaine, la France a une responsabilité important sur le plan financier, mais également sur le plan moral. On a pu constater, au cours des événements dramatiques qu'a connu notre pays en 2015, à travers les attentats, que la solidarité internationale s'est manifestée de façon très forte et que la France reste ce grand pays de défense des droits de l'homme.
Je pense que nous avons la volonté de développer notre action. Les moyens financiers étant cependant limités, peut-on penser que le rapprochement entre CDC et AFD permettra à l'AFD de disposer de moyens supplémentaires, en particulier au niveau des emprunts qu'elle sera amenée à consentir pour disposer de crédits, considérant que le rapprochement avec la CDC pourra peut-être améliorer les taux d'emprunt, ce qui permettra d'en faire davantage ? Nous attendons votre avis sur ce point, monsieur le secrétaire général.
La question est claire : le changement d'échelle entre la situation ante et la situation de fusion permettra-t-elle de démultiplier les moyens de l'AFD pour agir concrètement sur le terrain ?
M. Maurice Vincent. - Monsieur le secrétaire général, je suis membre de la commission de surveillance de la CDC. Vous avez dit que vous souhaitiez que l'entité qui va être créée devienne plus qu'une filiale. Juridiquement, vous proposez toutefois un établissement public intégré, ce qui pose plusieurs questions. La première, qui interroge la CDC, c'est celle de la responsabilité financière fondamentale des engagements pris par l'AFD. L'État conservera-t-il cette responsabilité ?
De manière plus pragmatique, il est question de bénéficier d'un véhicule législatif pour avancer sur ce dossier. Lequel, et dans quels délais l'envisage-t-on ?
M. Éric Bocquet. - L'AFD est un établissement bancaire, un outil financier et, à ce titre, elle est soumise aux règles de contrôle prudentiel et également aux règles d'éthique.
L'AFD avait été pointée en juin 2014 par la presse au sujet de sa filiale Proparco, à propos de centaines de millions d'euros qui transitaient par des paradis fiscaux - Luxembourg, îles Caïman, îles Vierges britanniques notamment. On citait en particulier l'entreprise Export Trading Group (ETG), en lien avec l'activité agricole en Afrique, dont les fonds étaient répartis entre Singapour et l'île Maurice. Ces éléments font-ils l'objet d'une attention particulière de votre part ?
Deuxièmement, la situation en matière de transparence a-t-elle évolué depuis ces révélations ?
Enfin, je rejoins l'avis d'Henri de Raincourt, qui s'interroge sur le contrôle par le Parlement du fonctionnement de cette instance...
M. Jeanny Lorgeoux. - Monsieur le secrétaire général, l'AFD véhicule une certaine idée de la France. Il ne s'agit pas simplement d'un outil financier.
Je crains que le fait de lui proposer un avenir qui soit plus qu'une filiale et moins qu'une section ne soit démobilisateur. L'idée du rapprochement avec la CDC est évidemment très bonne en termes de renforcement de capacités et de moyens, mais il faut donc trouver une solution double, souple, consistant plutôt en des adossements, des mutualisations, et non une intégration.
Mme Josette Durrieu. - Monsieur le secrétaire général, vous avez défini des axes ; j'en retiens un : solidarité, innovation, recherche et développement.
Dans ces pays, il faut brûler toutes les étapes et s'emparer de toutes les techniques d'information et de communication. Le satellite est à portée. Est-ce vraiment une priorité ? Si c'est le cas, comment fait-on sur le terrain ?
M. Alain Joyandet. - Je voudrais obtenir des explications plus précises sur deux points. Vous avez dit que l'État voulait doubler les fonds propres ; par ailleurs, vous dites que l'AFD sera intégrée au sein de la CDC avec un directeur général qui deviendrait président du conseil d'administration de l'AFD.
Je rejoins les préoccupations d'Henri de Raincourt... On veut conserver une certaine spécificité de l'AFD et un État qui garantisse ses engagements ; je ne vois pas bien comment l'État pourra doubler les fonds propres si l'AFD devient dans le même temps une filiale de la CDC.
Deuxièmement, je ne comprends pas très bien l'intérêt de croiser les réseaux. Il me semble que l'objectif principal est de donner plus de moyens à l'AFD. Croiser les réseaux me paraît compliqué. Henri de Raincourt redoute une usine à gaz : je crains que ce croisement des réseaux n'y contribue !
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur le secrétaire général, vous avez la parole.
M. Rémy Rioux. - Vous avez, monsieur le président, fait un parallèle avec l'albatros : oui, ce nouvel agenda est extrêmement vaste.
Il va falloir choisir et fixer des priorités. Vous l'avez fait, pour certaines, par la loi ; elles sont cohérentes, mais il va falloir se concentrer sur cet élargissement de l'agenda du développement.
L'idée est de créer un instrument plus disponible. Certaines choses pourront naître d'ici quelques années, à mesure que cet agenda se réalisera dans ses différentes dimensions, qui sont pour l'instant en partie inconnues. L'idée est donc de faire bouger les choses afin de ne pas laisser l'AFD toute seule.
J'ai parlé d'un écosystème : il s'agit de placer l'AFD dans un nouvel ensemble où il sera possible de développer des liens, des programmes, des actions et des projets qui n'existent pas afin de servir cet agenda. On verra si l'albatros décolle. Je l'espère...
Beaucoup de questions ont été posées à propos de la gouvernance.
J'ai entendu les ministres que j'ai servis naguère évoquer la volonté de préserver avec soin l'identité de l'AFD, sa marque, sa présence si patiemment construite. C'est un premier message.
J'ai également entendu la commission des finances envoyer un message d'intérêt concernant la puissance financière que ce nouvel instrument pourrait libérer.
J'ai dit qu'il fallait mettre l'AFD à la bonne place ; ce sera votre travail. Il faut à la fois maintenir un endroit clairement identifié, avec un bilan, des compétences, une organisation, mais aussi une forme morale, et faire en sorte que les synergies avec la CDC puissent se développer, et que des liens financiers se mettent en place pour donner plus de moyens à la politique de développement.
La proposition qui vous est faite et qui sera présentée par le Gouvernement est bien de garder l'établissement public que constitue l'AFD, d'en renforcer les moyens, et de le placer par la loi dans le groupe CDC. C'est quelque chose que seul le législateur peut faire. Il l'a fait avec le groupe ferroviaire, je l'ai mentionné. Il doit créer par la loi les liens indispensables pour développer des synergies telles que j'ai essayé de les imaginer dans mon rapport, et telles qu'elles se développeront sans doute à l'avenir, bien au-delà.
Il s'agit d'un aspect des choses très spécifique, qui ne figure pas dans le droit des sociétés classiques, et qui suppose une intervention du législateur. On gardera un conseil d'administration de l'AFD, avec présence de parlementaires. La loi pourra préciser certains points. Le décret statutaire devra tirer les conséquences de la réforme, mais je pense qu'il y aurait un grand paradoxe à vouloir rapprocher l'AFD de la CDC et à voir la place du Parlement dans l'AFD se réduire. Cela n'a évidemment aucun sens !
La place du Parlement dans l'AFD est déjà forte, et les parlementaires peuvent donc apporter leur part à la politique de développement.
J'ai également mentionné dans mon rapport l'idée que les collectivités locales, en tant que telles, et leurs associations, puissent trouver la même place que les ONG dans la gouvernance de l'AFD, ce qui n'est pas aujourd'hui le cas. Il va donc falloir, compte tenu de la discussion que vous aurez, tirer les conséquences de tout ceci au niveau réglementaire.
Pour ce qui est de la question des fonds propres et de la régulation - je parle sous le contrôle de M. Vincent en particulier - la CDC est déjà un « animal » financier un peu particulier.
L'idée a été évoquée, au titre de piste de travail, de créer une nouvelle section de la CDC - une troisième section. Évidemment, la CDC est très attentive au fait qu'il existe une étanchéité. Celle-ci existe déjà entre les fonds d'épargne et la section générale au sein du bilan de la CDC. On ne trouve d'ailleurs à ce jour aucune consolidation de ces deux bilans.
Quels que soient les cas, la démarche politique ne consistera pas à faire en sorte que l'épargne populaire serve à abonder le bilan de l'AFD.
L'étanchéité consiste donc à conserver des bilans nettement identifiés, avec des missions et des capacités propres, regroupés dans un ensemble, en conservant à la CDC le rôle qu'elle détient aujourd'hui vis-à-vis de l'établissement public mais aussi, périodiquement, vis-à-vis des filiales. Il faudra donc imaginer une façon de rendre des comptes devant la commission de surveillance de la CDC.
S'agissant de la capacité financière de l'AFD elle-même, madame Keller, le choix a été fait au terme des travaux de ne pas solliciter la CDC. On la sollicite en matière de métiers, de nouveaux instruments, plutôt que pour une opération de « sauvetage » de l'AFD, ce qui n'est pas l'objectif, notamment parce que l'État a pris la décision de renforcer l'image des fonds propres de façon très forte.
Mon rapport fournit de façon très transparente tous les chiffres et les éléments qui pourraient contribuer au renforcement du bilan de l'AFD. Deux opérations pourront être réalisées cette année ; elles auront pour effet de le passer d'un peu moins de 3 milliards d'euros à 6 milliards d'euros, ce qui aura en particulier un effet sur le ratio des grands risques et la solvabilité de l'AFD dans son ensemble.
D'autres éléments de restructuration sont encore possibles. Comme vous l'avez indiqué, la volonté du Gouvernement est de revenir sur la politique de redistribution des résultats de l'AFD. J'ai suivi les choses, lorsque j'étais administrateur de l'AFD, depuis la direction du Trésor. Je vois donc beaucoup de vertus au fait de verser un dividende à son actionnaire. C'est un élément de discipline important pour la gestion la gestion et le suivi des risques. J'étais chef de bureau lorsqu'on a pris un premier dividende à l'AFD au début des années 2000 ; à l'époque, le taux de distribution qui avait été décidé était de 20 %. Progressivement, on est monté jusqu'à 100 % du résultat.
Les calculs qui ont été faits ici se fondent sur un taux de distribution plutôt modéré. Il reviendra ensuite à l'État, sous votre contrôle, d'en assurer un suivi régulier pendant une longue durée.
Concernant le cadre prudentiel, les choses se font sous le contrôle du régulateur, autorité indépendante. La proposition qui figure dans mon rapport consiste à reconnaître que l'AFD n'a probablement pas toutes les caractéristiques d'un établissement de crédit. Elle ne gère notamment pas les fonds des particuliers. Ce cadre juridique est donc peut-être inadapté à l'objet financier qu'est l'AFD. Il convient alors d'utiliser ce qui a été prévu dans la loi de 2013 et d'utiliser le statut de société de financement créé par le législateur, qui permet de revenir à une régulation par l'ACPR, qui constitue peut-être un régulateur plus proche, tout en conservant un cadre prudentiel de droit commun. On ne serait donc pas, avec cette proposition, sur un cadre ad hoc défini par la commission de surveillance de la CDC, comme c'est le cas des fonds d'épargne.
Pour ce qui est de la responsabilité financière de l'État, l'idée est de garder ce principe à l'avenir.
Certains d'entre vous ont insisté sur les dons. La politique de développement les rend nécessaires, je l'ai dit. L'érosion de ces enveloppes s'est faite progressivement, loi de finances après loi de finances. Vous avez souvent eu un débat entre aide multilatérale et aide bilatérale ; quelles sont les bonnes pondérations, comment articuler les outils bilatéraux avec les outils multilatéraux ? J'ai fait quelques propositions à ce sujet dans mon rapport, en essayant notamment de généraliser le mécanisme du Fonds mondial, où une partie de l'enveloppe est gérée à titre bilatéral.
J'ai constaté que cette réforme a ouvert un espace pour la politique de développement et de solidarité dont vous vous êtes saisis. Il existe un delta de 256 millions d'euros entre le projet de loi de finances tel qu'il a été présenté fin septembre et ce qui a été voté. Je le vois comme une inflexion significative qu'il faudra confirmer, l'ambition étant d'augmenter ces enveloppes de dons de 400 millions d'euros. La décision en reviendra au Parlement.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Pouvez dire un mot du véhicule législatif et du calendrier ?
M. Rémy Rioux. - C'est au Gouvernement de préciser les choses.
J'ai cru comprendre qu'un texte, présenté par Michel Sapin, pourrait accueillir cette disposition dans un calendrier assez rapide. Je verrais évidemment ceci d'un très bon oeil.
Vous m'avez interrogé sur les comparaisons internationales. Nous sommes allés à Rome et en Allemagne. Une annexe assez développée à propos de ces deux expériences figure dans le rapport.
Les modèles allemands et italiens sont assez différents du nôtre. Il s'agit, dans les deux cas, d'un système qui recoure à deux instruments, d'une part une banque qui joue le rôle de la CDC, qui développe essentiellement des instruments comme les prêts et les garanties et, d'autre part, une agence qui intervient plutôt en matière d'assistance technique ou de dons. Les Italiens sont en train de créer une agence en lui transférant des personnels et des moyens provenant du ministère des affaires étrangères et du développement.
Le modèle français, depuis 1998, est différent : on a fait le choix de regrouper nos instruments de prêts et de dons dans une seule entité qui peut, selon les géographies, les besoins des pays, faire le choix des instruments les plus pertinents dans la limite de ses moyens ; cet instrument, c'est l'AFD. Le schéma juridique choisi pèse peut-être aussi sur la gouvernance. L'État a, je pense, souhaité conserver un instrument bien identifié, en le plaçant dans le groupe CDC, sans fusionner l'ensemble, en partie parce qu'il est essentiel. Son conseil d'administration, où j'ai siégé, est le lieu de cohérence où l'on parle de développement de façon régulière, même si la réforme partage des similitudes avec ce qui se fait en Allemagne et en Italie, particulièrement à travers la volonté de disposer d'un outil qui ne soit pas uniquement tourné vers l'extérieur, mais également vers l'intérieur, comme peut l'être le dispositif allemand. Ceci permet de créer des liens plus forts avec l'ensemble des acteurs nationaux.
Ce que j'ai dit à propos du financement ne signifie pas qu'aucun lien financier ne peut se développer entre la CDC et l'AFD. Le Président de la République et le directeur général de la CDC ont annoncé qu'un premier investissement de 500 millions d'euros pourrait être débloqué pour contribuer à la politique de développement. Cet engagement doit être construit avec l'AFD, afin de déterminer son meilleur emploi.
Quant à Proparco, vous l'avez mentionné, elle peut aussi, assez naturellement, compte tenu des activités de la CDC, devenir un lieu où les forces se rejoignent.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Avec vigilance en matière de dérives, comme l'a dit tout à l'heure M. Bocquet...
M. Rémy Rioux. - Je l'ai en effet relevé. Je ne suis probablement pas le mieux placé pour vous répondre sur ce sujet.
Le nouveau système ne peut avoir pour conséquence de revenir en arrière sur des engagements en matière de responsabilités sociales et environnementales, ou en matière de transparence. Le maintien de la force juridique de l'AFD, d'une certaine manière, en est la garantie. Aucun risque n'est à craindre de ce point de vue. Il existe même certainement de bonnes pratiques - on l'a vu dans le domaine du climat - au sein du groupe CDC ou de l'AFD, que le rapprochement va peut-être permettre de généraliser, d'implanter ou de renforcer dans chaque maison et dans le groupe dans son ensemble. Aucun retour en arrière n'est possible sur ces sujets. Vous serez bien entendu vigilants sur ce point.
Une critique a été formulée s'agissant des réseaux. Je crois personnellement beaucoup à leur rapprochement. Il n'y a aujourd'hui qu'en outre-mer où l'on trouve des réseaux des deux institutions, en plus de Bpifrance.
C'est un sujet que j'ai essayé de commencer à traiter, mais qui nécessitera des travaux complémentaires, notamment avec les parlementaires représentants l'outre-mer, afin de déterminer, dans cette zone, la meilleure façon de gérer tout cela.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - La question de M. Joyandet sur les réseaux aborde un sujet plus général qui porte sur les missions de l'AFD.
Ce qui est à craindre, c'est qu'on confie à l'AFD de multiples activités et qu'elle finisse par perdre de ce fait son métier - si je traduis bien la question. C'est un sujet majeur.
Le développement durable occupe une place importante ; il fait partie du développement, mais tous les problèmes de développements ne sont pas des problèmes de développement durable.
La mission de l'AFD constituera un sujet en soi. Ce type de question révèle donc notre intérêt pour les missions futures de l'AFD.
M. Rémy Rioux. - Le rapport s'intitule : « Rapprocher l'AFD et la CDC au service du développement et de la solidarité internationale ». Il n'est donc pas question de changer le mandat de l'AFD.
L'expertise de l'AFD ne peut-elle être diffusée plus largement et mise à disposition ? C'est une question qui mérite d'être posée.
Les Allemands ont insisté sur le fait que se présenter dans un certain nombre de pays comme une entité qui n'apporte pas uniquement de l'aide, mais aussi comme le représentant de l'institution qui a contribué au développement de son propre pays - ce qui est le cas de la CDC depuis deux cents ans - constitue, dans la relation avec les autorités du pays partenaire, un élément assez important de positionnement et d'expertise.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci. Il est très intéressant de constater que les préoccupations de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et celles de la commission des finances se rejoignent. On peut en effet être financier et s'intéresser au développement, tout comme on peut être développeur et s'intéresser aux finances ! Il est donc utile de conjuguer nos approches.
La réunion est suspendue à 11 heures 25.
Audition de S.E M. Ali Ahani, ambassadeur de la République Islamique d'Iran
La commission auditionne S.E M. Ali Ahani, ambassadeur de la République Islamique d'Iran, à l'occasion de la prochaine visite officielle en France de S.E. le président Hassan Rohani.
La réunion reprend à 11 heures 27
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, je salue en votre nom à tous son excellence M. l'ambassadeur de la République islamique d'Iran, qui nous fait l'honneur de venir nous parler en cette circonstance historique : l' « implementation day » de l'accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien est intervenu le 16 janvier dernier. La nouvelle donne internationale qui en résulte soulève de multiples interrogations.
Cette nouvelle donne nous satisfait, dans la mesure où la France est fort désireuse de faire en sorte qu'en ces circonstances nouvelles, la relation bilatérale entre l'Iran et la France soit renforcée, afin que nos vieilles civilisations, nos pays, nos cultures, nos peuples puissent resserrer leurs liens, créer un certain nombre d'initiatives dans les secteurs économiques, sociaux, financiers, mais aussi sur le plan culturel, domaine dans lequel nous sommes significativement proches. Nous sommes aussi très intéressés par tout ce que nous pouvons faire ensemble, dans un monde particulièrement dangereux, face à des menaces qui nous concernent tous, notamment les menaces terroristes, contre lesquelles nous sommes les uns et les autres mobilisés.
La France va recevoir le président Rohani à la fin du mois, et c'est une étape très importante dans nos relations. Nous étions quelques-uns, avec le président Larcher - Bariza Khiari, Alain Gournac, Joël Guerriau - à participer à une mission en Iran en décembre dernier qui nous a beaucoup impressionnés, du fait du haut niveau de nos contacts et de l'intérêt des discussions. Nous partageons un grand nombre de vues et sommes également d'accord sur le fait qu'il existe des sujets à clarifier. J'ai adressé une invitation au président de la commission des affaires étrangères et de la sécurité du Parlement iranien, afin que nous puissions prolonger nos discussions ; cette visite pourrait avoir lieu au printemps prochain.
Beaucoup des sujets bilatéraux franco-iraniens concernent notre commission, en particulier les actions en commun que nous devons mener dans les crises auxquelles nous avons à faire face. Un processus de transition politique est engagé dans le dossier syrien ; vous pourrez peut-être nous dire ce que vous en pensez, et la façon dont vous voyez les choses évoluer.
Nous parlons bien évidemment ici de la lutte contre Daech et notamment, compte tenu des relations avec l'Arabie saoudite, de la façon dont la coalition peut être la plus efficace possible. Vous pourrez également évoquer l'Irak, pays où l'Iran a joué et joue un rôle très important. On a récemment noté des avancées particulièrement significatives dans les relations entre les deux pays.
Nous sommes par ailleurs très sensibles à la situation du Liban, et également préoccupés par ce qui se passe au Yémen. Il existe un certain nombre de crises à propos desquelles nos deux pays ont des intérêts communs en matière de paix.
Avant de vous laisser la parole, je voudrais vous dire que nous vivons votre présence comme un moment fort. Tous les parlementaires français sont engagés dans un dialogue au service de la paix. Nous ne sommes pas des responsables politiques belliqueux, mais pensons au contraire que les tensions nourrissent d'autres tensions, et nous voulons mener un dialogue en faveur de la paix.
C'est la mission que s'est toujours donnée la politique étrangère de la France, très attachée par ailleurs à sa propre indépendance. Nous avons certes des partenariats, mais personne ne peut inspirer notre politique. Nous voulons servir la paix par le dialogue, et nous prenons la mesure de la position de votre grand pays sur la scène internationale.
Les conditions actuelles permettent que l'Iran retrouve sa place dans les premiers rangs des nations ; c'est pour le monde une bonne nouvelle. Il nous faut traiter un certain nombre de sujets. C'est pourquoi nous sommes très heureux de vous accueillir, et vous exprimons tous nos remerciements pour votre présence parmi nous.
M. Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d'Iran. - Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Je vous présente tous mes voeux de bonne année, de bonne santé et de prospérité. Je vous remercie pour votre invitation, qui va me permettre de m'exprimer sur les sujets qui vous intéressent. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Cette audition, qui suit la mise en oeuvre, le 16 janvier dernier, de l'accord sur le nucléaire conclu à Vienne le 14 juillet 2015, est très importante. La levée des sanctions imposées injustement et illégalement pendant des années à notre pays va permettre de mieux développer notre économie et de soulager les souffrances de notre peuple.
La déclaration de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), juste avant le début de l'application de cet accord, a bien démontré que l'Iran est un pays responsable, qui a respecté ses engagements internationaux ; il va bien entendu continuer à le faire. Nous espérons également que les membres du groupe P5+1 respecteront aussi bien leurs engagements. La France est l'un des pays importants de ce groupe : nous espérons qu'elle sera vigilante.
A la suite de cet accord, l'Iran peut jouer un rôle plus significatif dans cette région très agitée, grâce à ses ressources humaines jeunes et bien formées, à ses ressources naturelles importantes, à sa situation géopolitique et à son influence dans le monde islamique, dans cette région et sur la scène internationale. Partageant des intérêts communs avec la France à propos de certains sujets régionaux, nous pouvons travailler ensemble et dialoguer. La concertation politique a débuté il y a un an et demi, après le feu vert de M. Fabius et sa visite officielle en Iran, qui s'est très bien déroulée.
Des déplacements à haut niveau ont eu lieu entre nos deux pays, comme la visite officielle du président Larcher en Iran ; ces visites ont été très bien accueillies et vont permettre d'ouvrir la voie à une collaboration plus étroite en matière de diplomatie parlementaire sur des sujets nouveaux, qui vont permettre aux parlements de jouer leur rôle dans la résolution de certaines crises régionales.
Nous sommes à la veille de la visite officielle du président Rohani en France. Une réunion a également été prévue, à l'initiative de M. Joël Guerriau, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran, la semaine prochaine, en présence du vice-ministre chargé de l'Europe et des Amériques. Le président Larcher doit également avoir un entretien avec le président Rohani. Un forum économique réunissant MM. Rohani, Valls et Macron, en présence des différents ministres iraniens, ainsi que des hommes d'affaires des deux pays, est également prévu. Environ quatre-vingts hommes d'affaires iraniens accompagneront la délégation officielle pour établir des liens avec les entreprises françaises, dont la plupart sont malheureusement absentes de ce marché de 80 millions de personnes. Ceci sera l'occasion pour le secteur privé de nos deux pays d'établir des contacts.
Certains accords et documents officiels vont être signés par les ministres concernés, ainsi que des contrats de base entre les grandes entreprises françaises et iraniennes, qui peuvent permettre une ouverture des échanges économiques et commerciaux dans un avenir proche.
La culture est un domaine important de notre relation depuis des siècles. 2015, marquait le trois-centième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques officielles entre l'Iran et la France. La relation entre nos deux grandes nations date de plus de six siècles. L'aspect culturel et l'aspect scientifique peuvent également jouer pour consolider nos relations. Une semaine culturelle iranienne sera inaugurée en France à l'occasion de la visite officielle du président Rohani.
Cette visite va donc ouvrir différentes portes dans les domaines économique, politique, parlementaire, scientifique, culturel, et va permettre le dialogue régional.
Le poids politique et l'influence de chacun des deux pays au Proche et Moyen-Orient peuvent aider à résoudre les problèmes et les crises qui sévissent dans cette région agitée. Nous avions, à l'époque de M. de Charrette, en 1996, mené une expérience intéressante au Liban, lorsque ce pays se trouvait dans une impasse politique dont il n'arrivait pas à sortir seul ; le dialogue politique entre M. de Charrette et son homologue iranien, M. Velayati, a permis à l'époque d'aider les Libanais. Nous avons la chance, s'agissant des différents sujets régionaux, de pouvoir travailler et réfléchir ensemble pour trouver des solutions politiques. Les crises qui malheureusement nous encerclent depuis des années n'ont que des solutions politiques. Il faut une volonté politique, de la part de tous les acteurs de la région, et hors de la région pour essayer de trouver les moyens de sortir de ces situations.
Vous avez évoqué l'incident survenu récemment avec l'Arabie saoudite. L'Iran et l'Arabie saoudite sont deux acteurs importants du monde islamique. Ils doivent résoudre leurs difficultés par le dialogue ; il y a la capacité de travailler ensemble pour parvenir à résoudre les crises existantes de la région.
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Rohani a essayé, par ses initiatives, d'établir le dialogue avec l'Arabie saoudite. Il n'a malheureusement pas reçu des réactions convenables. Vous êtes au courant des problèmes internes que connaît l'Arabie saoudite et de sa fragilité.
L'Arabie saoudite espérait que l'accord nucléaire n'aboutirait pas et a, durant des années, abusé de la crise artificielle créée autour du nucléaire pour provoquer l'iranophobie. L'accord qui a abouti les a rendus très nerveux, d'autant qu'ils étaient critiqués à propos du soutien direct et indirect apporté au groupe terroriste Daech, qui se présente comme « l'État islamique » : or celui-ci n'a rien à voir avec l'islam ! L'islam est en effet une religion de paix, opposé à la violence. Aujourd'hui, tout le monde a bien compris qui est derrière Daech, qui le soutient, le finance et l'équipe.
L'Arabie saoudite cherchait à créer la tension afin d'empêcher l'Iran de profiter du résultat de l'accord nucléaire. Ils ont par ailleurs des problèmes avec leur minorité religieuse.
Cheik Al-Nimr, dignitaire musulman, a été fait prisonnier et condamné à mort il y a presque un an. On a essayé par différentes manières de les empêcher de le décapiter, car nous savions bien que cette exécution barbare entraînerait des conséquences. On a même attiré l'attention du président Hollande, du secrétaire général des Nations unies ou d'autres chefs d'État pour dissuader les autorités saoudiennes d'exécuter Cheik Al-Nimr. Ils n'ont malheureusement pas écouté et ont procédé à la décapitation. Ceci a entraîné maintes réactions de colère, non seulement dans les pays islamiques, mais également en Europe et ailleurs.
Malheureusement, certains éléments ont attaqué l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran. Ceci a été condamné à un haut niveau en Iran, car ces actes vont à l'encontre de nos engagements internationaux. Nous les avons interpellés et formé une commission d'enquête.Nous avons bien entendu pris la décision d'indemniser l'Arabie saoudite. Ce sont des choses qui arrivent dans nombre de parties du monde. Rompre les relations diplomatiques peut-il résoudre quelque chose ? Non !
Certaines de nos ambassades, en Europe, dont en France et en Allemagne ont déjà été attaquées par le groupe terroriste que vous connaissez, les moudjahiddines du peuple. Nous n'avons pas interrompu nos relations diplomatiques : nous avons essayé de résoudre la difficulté.
Malheureusement, la nouvelle équipe saoudienne, qui manque d'expérience et qui a choisi une mauvaise politique, est furieuse de l'aboutissement de l'accord nucléaire et en plus leur politique menée en Syrie, en Irak, au Yémen, ainsi que les bombardements quotidiens contre les plus pauvres des Yéménites, n'ont pas été couronnés de succès.
Nous ne voulons pas la tension avec l'Arabie saoudite. Nous restons vigilants et insistons sur le dialogue. Certaines initiatives ont pour but de calmer le jeu. Même la France peut avoir un rôle à jouer en Arabie saoudite. Le premier ministre pakistanais est ainsi venu à Téhéran après Riyad. Différents pays ont eu des initiatives. Nous sommes accueillants et ne voulons pas entretenir de relations tendues avec l'Arabie saoudite, mais certains actes intervenus dans le Golfe persique sont provocateurs et dangereux.
Nous nous sommes jusqu'ici abstenus de toute réaction ; nous espérons que l'Arabie saoudite s'assagira, car si elle opte pour une provocation militaire, elle recevra une très forte réponse dont on ne peut prévoir les conséquences. Cependant, ils sont confrontés à un certain nombre d'autres difficultés, et nous espérons qu'ils feront preuve de sagesse. La France peut aussi jouer un rôle pour les mettre sur de bons « rails » en vue d'assurer la paix dans la région.
Daech est malheureusement toujours en Syrie et en Irak, et les manipulations étrangères sont nombreuses. Certains acteurs de la région ne souhaitent pas vraiment stopper la confrontation et aident Daech en lui achetant du pétrole, ce qui lui a permis de recruter des combattants en Europe et ailleurs, et qui constitue une menace pour la communauté internationale. Il faut une volonté réelle de celle-ci pour arrêter la confrontation et lutter contre le terrorisme.
En Syrie, nous cherchons toujours la solution politique. Nous avons soutenu les initiatives internationales sous les auspices des Nations unies. Nous espérons que la politique saoudienne n'influencera pas le processus, qui est important pour tout le monde. Il faut encourager les différents groupes d'opposants pacifiques syriens à venir autour de la table pour essayer de régler les problèmes.
On ne doit pas donner aux Syriens l'impression que ce sont les États-Unis, l'Iran, la France, ou l'Arabie saoudite, qui décident pour eux. Il faut lutter réellement contre le terrorisme et, parallèlement, travailler sur le processus politique. C'est notre principe et nous oeuvrons en ce sens. Nous sommes en contact avec le gouvernement et les différents groupes d'opposants syriens. Nous espérons que les autres acteurs auront le même comportement et chercheront à calmer le jeu.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur l'ambassadeur, je vous félicite pour la qualité de votre français. Nous sommes très sensibles à cette expression dans notre langue, et nous vous en remercions. Je passe la parole à nos rapporteurs sur l'Iran.
M. Jacques Legendre. - Monsieur l'ambassadeur, je voudrais tout d'abord dire combien ceux d'entre nous qui se sont rendus en juin dernier à Téhéran se réjouissent de voir que l'accord nucléaire a finalement été signé et que nous entrons maintenant dans une phase de concrétisation. Nous sommes persuadés que c'est un élément important de stabilisation, et nous souhaitons que la France puisse reprendre avec l'Iran une relation permanente de qualité.
Dans le rapport d'information que nous avons fait à la suite de notre mission, nous avons souligné la nécessité, pour la France, de développer à nouveau ses relations culturelles avec l'Iran. Ainsi que vous l'avez rappelé, la relation entre la France et votre pays est très ancienne et marquée d'empathie culturelle.
Pourriez-vous, de manière plus approfondie, nous dire ce que vous envisagez en ce domaine ? Sera-t-il possible à des établissements culturels français de fonctionner à nouveau en Iran ? L'Iran pourra-t-il également aider à ce que des études iraniennes soient développées en France ? Nous avons en effet besoin de mieux connaître votre pays et sa culture.
M. Daniel Reiner. - Nous nous sommes naturellement réjouis de l'accord signé au mois de juillet, mais aussi, très récemment, du rapport favorable de l'AIEA, qui permet de mettre celui-ci en oeuvre dès maintenant, et en particulier de lever un certain nombre des sanctions imposées par les Nations unies, l'Union européenne ou d'autres pays.
Dès à présent, un certain nombre de leviers nouveaux s'offrent à l'Iran à la suite de la levée de ces sanctions. Votant le budget chaque année, nous connaissons l'importance de l'arrivée de moyens financiers en cours d'exercice. Nous aimerions savoir s'il existe un plan gouvernemental iranien pour utiliser ces leviers, à la fois en termes de moyens financiers nouveaux et de moyens de commercialisation - circuits bancaires, etc. Quels seront les objectifs affichés ?
M. Joël Guerriau. - Je souhaite souligner tout le travail qui a pu être fait depuis la mission qui a été menée et le rapport qui a été présenté, l'année dernière, dans cette commission. On peut constater que la question de l'Iran revient régulièrement dans nos échanges. Nous avons tous à coeur de développer à nouveau des relations les plus fructueuses possibles avec l'Iran. Nous sommes manifestement dans une démarche très positive, où de nombreuses occasions ont été données au groupe d'amitié interparlementaire, mais aussi aux membres de cette commission, de participer à des réunions et à des moments d'échange. Je remercie M. l'ambassadeur, qui s'est toujours montré très disponible.
Nous avons le sentiment que les choses évoluent très vite : lors du déplacement que plusieurs d'entre nous avons effectué, en décembre dernier, avec le président Larcher, nous avons pu constater à quel point, en quelques mois, une dynamique s'était mise en place. L'Iran éprouve une vraie appétence à renouer des accords avec la France, notamment avec de grands donneurs d'ordre issus de nos industries françaises. Mon sentiment est que nous avançons vite.
La levée des sanctions, qui est aujourd'hui effective, va encore accentuer ces perspectives. Nous avons à coeur de faire en sorte que ce travail aboutisse à des résultats.
Comme l'a dit M. l'Ambassadeur, une réunion se tiendra le 27 janvier au Sénat avec le vice-ministre iranien des affaires étrangères chargé de l'Europe et des Amériques. L'affluence des sénateurs sera une façon pour nous de montrer l'attachement que nous portons au développement de ces relations.
Je voudrais revenir sur la question de l'Arabie saoudite. Vous avez fait part de griefs à l'égard de ce pays, du fait d'un passé lourd en la matière. Nous sommes très attachés à la paix dans cette région et à un retour à la sérénité, de manière qu'on revienne à des rapports diplomatiques plus sains. Comment pouvons-nous faire pour que l'Iran et l'Arabie saoudite, qui constituent les deux poids lourds de cette région, renouent de meilleurs rapports diplomatiques ?
Mme Bariza Khiari. - Monsieur l'Ambassadeur, la wahhabisation de l'islam est un cancer qui gangrène l'islam sunnite depuis quelques décennies, mais je ne vous interrogerai pas sur ce point.
Je suis présidente du groupe d'amitié France-Liban ; vous avez évoqué le travail réalisé par M. de Charrette et votre ministre des affaires étrangères de l'époque, qui a abouti à trouver une solution dans un passé récent. Aujourd'hui, ce pays est fragilisé par le blocage qui empêche la nomination du président de la République. Les réponses des responsables iraniens sont tout à fait acceptables : les Libanais doivent trouver en leur sein la réponse, et ce de manière démocratique. On ne peut qu'approuver ce type de réponse. Cela étant, les choses durent... Ce n'est un secret pour personne que vous avez dans ce pays une influence à travers le Hezbollah. Cette difficulté persistant, ne pourriez-vous user de cette influence pour faciliter une solution ?
Mme Nathalie Goulet. - Monsieur l'ambassadeur, je n'ai pas de doute sur le fait que vous soyez aujourd'hui un ambassadeur heureux : vous avez beaucoup de nouveaux amis ! Je suis quant à moi une amie ancienne de votre pays, que je connais plutôt bien. Je n'ai jamais douté du changement de politique, notamment avec l'arrivée du président Rohani, et je partage l'enthousiasme de tous les nouveaux amis que vous avez autour de cette table, qui étaient moins nombreux il y a quelques années.
Je désire vous interroger sur le conflit avec l'Arabie saoudite. Joël Guerriau l'a déjà fait, mais le sujet est important. Je dois me rendre en Arabie saoudite dans quelques jours, avec le groupe interparlementaire d'amitié France-Pays du Golfe - qui, pour moi, est persique, sans aucun doute, - pour échanger sur cette question. Quel serait le premier pas et quelle serait la première disposition à prendre pour apaiser les choses ?
La France est restée quelque peu en retrait, alors que nous avons une position stratégique extrêmement importante, et que le président Hollande a été le premier président à être invité lors du Conseil de coopération des pays du Golfe, à Riyad. C'était une prouesse diplomatique sans précédent. La visite de Laurent Fabius, puis celle du président Larcher en Iran, ont été intéressantes et positives. La France avait donc une position particulière. Regrettez-vous qu'elle ne soit pas plus audible dans ce conflit ?
Enfin, s'agissant des circuits bancaires, que Daniel Reiner a évoqués, vous ne pouvez avoir aujourd'hui d'investissements étrangers sans la Coface, ni ne pouvez bénéficier de la sécurité des circuits bancaires. Je voudrais à cet égard rendre hommage au président Marini, notre ancien collègue, qui, il y a deux ans, s'était rendu en Iran pour anticiper cette ouverture.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci d'avoir rappelé que l'amitié est importante en diplomatie, même si l'on ne peut pas résumer la diplomatie à l'amitié !
M. Jean-Marie Bockel. - Monsieur l'Ambassadeur, je ne suis ni un ancien ni un nouvel ami de l'Iran, mais cela fait quelques années que j'ai une vision ouverte, positive et attentive des évolutions espérées et attendues concernant les relations avec l'Iran. Aujourd'hui, je voudrais évoquer un point sensible, à propos duquel je sais qu'il est difficile à un diplomate chevronné comme vous l'êtes de s'exprimer - et je voudrais à mon tour saluer votre engagement. Dans les années récentes, qui ont été parfois compliquées, vous avez toujours su jouer un rôle très positif.
Nous vivons des moments d'espérance, voire d'enthousiasme, en tout cas de fortes attentes en matière de relations bilatérales, d'opportunités économiques de part et d'autre - et je suis élu d'une région, notamment avec PSA, qui a vécu durement l'interruption de la relation économique qui fut jadis très forte et qui, je l'espère, devrait reprendre. Mais un point apparaît souvent dans les discussions et dans les médias. Est-il exagéré ? Cela fait-il partie des choses que l'on dit toujours à propos de l'Iran ? Il s'agit de la distorsion entre, d'une part, un courant ouvert, symbolisé par le président Rohani, qui a remporté le succès que vous avez dit concernant la levée des sanctions, et, d'autre part, le poids des éléments conservateurs et très conservateurs.
Je ne veux pas entrer ici dans différentes nuances que je ne prétends pas bien maîtriser, mais certaines autorités, notamment religieuses, conservent du poids dans votre pays. La dialectique avec le pouvoir n'est donc pas une question simple. Ce sujet constitue-t-il pour l'avenir un élément de fragilité important, ou cela fait-il partie des choses avec lesquelles il faut compter, mais qui n'empêchent pas d'avancer ?
M. Ali Ahani. - L'aspect culturel est une question importante. Nous accordons beaucoup d'intérêt au développement des coopérations culturelles. Nous sommes désolés que la francophonie en Iran ait reculé par rapport à ce qu'elle était il y a plusieurs décennies.
Durant ma première mission en France, dont j'ai gardé bien des souvenirs, à l'époque du président Mitterrand, nous avons essayé d'introduire la langue française dans les lycées iraniens. À l'époque, la seule langue étrangère existante était l'anglais. nous avons essayé de proposer un autre choix aux lycéens et j'ai attiré l'attention des instances culturelles du Quai d'Orsay sur le fait qu'il fallait encourager plus de lycéens à opter pour le français.
La volonté existe. Nous avons aidé l'ambassade de France à Téhéran à renforcer et à officialiser le Centre de langue française. Plusieurs centaines de candidats sont actuellement inscrits pour l'apprentissage de la langue française dans ce centre.
Bien entendu, il faut préparer le terrain afin que les intéressés puissent venir facilement en France pour compléter leurs études. Malheureusement, la restriction de la délivrance des visas d'étudiants a poussé les jeunes Iraniens à aller vers d'autres pays, comme l'Allemagne, l'Angleterre, les États-Unis, etc. C'est dommage !
Le gouvernement iranien souhaite renforcer les liens culturels et scientifiques entre nos deux pays. Un accord en ce sens avec la France doit être signé durant la visite officielle du président Rohani par le ministre de l'enseignement supérieur et celui de la santé, qui sont tous deux en charge des universités.
En matière économique, le plan gouvernemental existe-t-il ? Oui, il existe. Plusieurs projets n'ont pu être finalisés auparavant, pour des raisons financières et du fait du blocage des échanges bancaires et des sanctions, en particulier avec la France. Depuis quelques mois, des négociations ont heureusement lieu entre la Banque centrale iranienne, le ministère de l'économie et des finances et la France. Un accord a été récemment signé avec la Coface pour couvrir les différents projets. Il faut bien entendu encourager les banques françaises à aider les entreprises françaises à revenir sur le marché iranien.
Il y a quelques années, les échanges entre la France et l'Iran s'élevaient à plus de 5 milliards d'euros ; ce chiffre est aujourd'hui tombé à 500 millions d'euros. C'est fort dommage. Les échanges avec l'Allemagne se sont élevés à 2 milliards d'euros l'année dernière !
Les entreprises françaises sont compétentes. Il faut leur ouvrir la route dans le domaine énergétique, industriel, automobile. Nous espérons que le PSA signe des accords pendant la visite présidentielle. J'ai eu mon rôle, durant ma première mission, aux accords de coopération avec PSA, qui ont duré plus de vingt ans ; les pressions américaines les ont obligés à arrêter. Je suis optimiste pour ce qui concerne l'agriculture, l'industrie, le domaine minier, ainsi que pour le transport - qu'il s'agisse du transport aérien, routier ou ferroviaire - et pour les activités portuaires.
Pourquoi ne pas envisager une coopération dans le domaine de la construction de centrales nucléaires, surtout après l'accord qui vient d'autoriser cette coopération ? Il faut être rapide ! Si la France ne bouge pas, ce seront les autres qui lui raviront la place ! Ce serait dommage...
Je crois aux échanges auxquels ce plan pourra donner lieu. Une délégation conduite par le MEDEF international est en ce moment à Téhéran pour mener des discussions dans le secteur pharmaceutique. Un accord doit être signé avec Sanofi à cette occasion.
En ce qui concerne l'Arabie saoudite, nous sommes désireux d'apaiser la situation actuelle ; nous ne cherchons pas du tout l'affrontement. Ce n'est dans l'intérêt ni de l'un ni de l'autre. Nous pensons pouvoir arriver à régler les difficultés actuelles ; les pays qui ont des relations fortes avec l'Arabie saoudite doivent conseiller ce pays pour qu'il corrige sa politique. Je fais ici référence à la question de Mme la sénatrice Goulet, que je remercie de ses efforts, alors que la situation était très tendue. Certaines initiatives n'ont pu être menées à bien à cause des réserves émises à l'époque par le Quai d'Orsay, du fait de la situation qui existait alors, mais je suis reconnaissant à Mme la sénatrice de ses efforts et de son amitié.
Que faut-il faire ? Vous devez attirer l'attention des Saoudiens sur le fait qu'il ne faut pas considérer l'Iran comme un rival, mais comme un partenaire. Les Saoudiens n'apprécient pas que l'Iran entretienne de bonnes relations avec certains pays de la région. À qui la faute ? Notre système politique est apprécié par leurs populations, même si c'est difficile à comprendre pour la France, pays laïc. Ce système démocratique religieux a son bilan remarquable bien qu'il y ait encore des insuffisances. L'Iran a été, durant des siècles, placé sous un régime dictatorial. Après la révolution, nous avons choisi un modèle démocratique. Même en France, la démocratie n'est pas complète et impeccable, alors qu'elle a été instaurée depuis longtemps. L'installation de la démocratie prend du temps. On ne peut pas l'injecter d'un seul coup ! Même si les lois sont bonnes, ce sont les individus qui doivent les appliquer ! On ne peut placer un contrôleur derrière chaque citoyen. Il faut laisser du temps et tenir compte des traditions et des valeurs sociales. On ne peut imposer un modèle des droits de l'homme sans tenir compte de la diversité culturelle.
L'Iran peut tirer le bilan de trente-sept ans de démocratie. Comparez-le avec ce qui se passe dans les pays qui entourent l'Iran... Certains ne savent même pas comment s'écrit le mot « démocratie » ! Quel rôle les femmes ont-elles dans ces pays ? Leur voix est-elle prise en compte ? Qu'en est-il du droit des minorités ? Ces pays ne comptent pas une seule église active, alors qu'on en compte plus de trois cents en Iran ; il existe aussi de nombreuses synagogues en activité. Des représentants de chaque minorité religieuse sont présents au Parlement : ils peuvent s'exprimer librement. Est-ce le cas ailleurs dans la région ?
Les populations de ces pays ne sont pas satisfaites de ce qui se passe chez elles, et éprouvent une certaine sympathie à l'égard de l'Iran. Nous n'intervenons pas pour autant. C'est à eux de choisir ! Il ne faut pas considérer l'Iran comme un rival. Il faut conseiller à ces pays d'être réalistes. Les données ont changé. Il faut y être attentif. Du reste, je ne suis pas d'accord pour distinguer le chiisme du sunnisme. Il existe des différences, mais tous croient en un même Dieu, au saint Coran, et en le même prophète. Tous sont musulmans. Mais il existe malheureusement, chez chacun, des éléments extrémistes. Il faut les éviter. Ceux-ci essayent de mettre de l'huile sur le feu. Ce n'est pas dans l'intérêt du monde islamique.
On sait d'où vient le wahhabisme. Il comporte certaines différences. Malheureusement, la violence de ses adeptes, leur regard dogmatique, font qu'ils sont différents des chiites. Les chiites ont un principe, l'ijtihâd, qui consiste à interpréter les principes islamiques en tenant compte de l'évolution du monde. Ce principe n'est appliqué chez les sunnites, ce qui ne signifie pas pour autant que tous soient extrémistes. Certains éléments le sont cependant, et sont inspirés du wahhabisme et financés par certains Etats de la région, qui ont préparé le terrain pour Daech.
On peut toutefois dialoguer avec l'Arabie saoudite. Nous ne sommes pas pessimistes. Il faut aller dans cette direction.
Pour ce qui est du Liban, nous partageons certains points communs avec la France. Nous insistons sur l'intégrité territoriale et nationale du Liban. Il faut travailler ensemble. On peut les aider. Le choix d'un président de la république se trouve entre les mains des chrétiens. Hier, Samir Geagea, candidat à la présidence, a décidé de soutenir Michel Aoun. Cela peut modifier l'équation. La visite officielle du président Rohani est une bonne occasion de dialoguer sur ce sujet. Nous sommes prêts à les aider, mais il faut les convaincre de trouver eux-mêmes la solution. Nous sommes en relation étroite avec le Hezbollah au Liban ; sans lui, Daech serait aujourd'hui à Beyrouth ! Nous espérons pouvoir aider les Libanais à sortir de cette situation.
Enfin, la démocratie n'est guère facile à mettre en place dans des pays comme le nôtre avec un passé dictatorial. Cela coûte parfois cher. Il faut tenir compte des différentes tendances politiques. Certaines lois doivent être améliorées mais, quand même, les différentes instances politiques actuelles en Iran sont toutes élues, à commencer par le Guide suprême. Le suffrage universel en Iran joue véritablement son rôle. Il existe évidemment des différences entre, selon vous, les modérés et les conservateurs, mais il faut être patient et continuer à renforcer la voie de la démocratie...
La démocratie est irréversible. Il faut donc continuer. Quand la population y a goûté, la démocratie ne peut plus reculer. C'est un point important et positif.
M. Robert del Picchia. - Monsieur l'Ambassadeur, tout le monde se réjouit de ce qui se passe actuellement à la suite de l'accord de Vienne, mais regardons plutôt l'avenir entre l'Iran et l'Arabie saoudite. L'Iran fait preuve de responsabilité, c'est vrai. Cependant, un secteur va vous amener à être en confrontation ouverte avec l'Arabie saoudite, celui du pétrole.
En tant que journaliste, j'ai couvert durant trente ans les conférences de l'OPEP, à Téhéran et partout dans le monde. L'Iran a toujours voulu maintenir un prix suffisamment élevé pour que l'OPEP puisse fonctionner normalement. Dans certains conflits, l'Arabie saoudite produisait six à sept millions de barils par jour. L'Iran en produisait quatre, mais avait la possibilité d'aller au-delà. Il ne l'a pas fait afin de maintenir les prix.
Aujourd'hui, le prix du pétrole est à environ 30 dollars le baril et pose des problèmes à tout le monde. Les automobilistes se réjouissent, mais c'est une vue à court terme, car un prix du pétrole trop bas est plutôt mauvais pour l'économie, celle des pays producteurs comme celle des économies occidentales. Il est donc dans l'intérêt des pays pétroliers d'avoir un prix du pétrole plus élevé.
L'Arabie saoudite continue cependant à produire beaucoup. Que va faire l'Iran ? Il serait normal que vous augmentiez la production de façon sensible. C'est votre droit. Ce sont vos revenus. Ce sont là des ressources dont vous avez besoin. N'arrivera-t-on pas à un conflit pétrolier entre l'Arabie saoudite et l'Iran ?
Mme Josette Durrieu. - Vous avez dit que l'Iran est un pays responsable. Nous en sommes convaincus. C'est le fruit d'une civilisation ancienne, solide, qui marque tout votre peuple. Nous nous réjouissons donc de l'accord historique et de la visite de votre président. Tout cela est très positif.
Vous avez très souvent employé le mot de « dialogue régional » pour tout le Moyen-Orient - et vous avez raison. N'ayez pas peur d'établir des relations avec les instances européennes, surtout quand vous y avez des amis ! C'est important.
En ce qui concerne le monde islamique, nous avons peur de l'explosion et vous avez bien résumé le rôle des deux acteurs. On vous fait confiance mais, en France, on se réfère toujours aux guerres de religion, qui ont marqué notre histoire. C'est toutefois essentiellement votre affaire...
Pour ce qui est de la Syrie, vous avez dit que la décision appartient au peuple, ce qui signifie que vous privilégiez des élections, probablement à brève échéance. Pour qu'elles soient indiscutables, il faut que les réfugiés puissent voter - et ils sont nombreux à être partis.
Par ailleurs, imaginez-vous un processus de paix, issu de la volonté du peuple, qui puisse aboutir à une partition de la Syrie qui laisserait sa place au régime de Bachar el-Assad, - voire à Daech, qu'on n'aurait pu éradiquer ! -, sans un espace réservé aux kurdes ?
M. Alain Néri. - Monsieur l'Ambassadeur, chacun se réjouit de l'accord signé à Vienne qui vient d'être mis en oeuvre, car c'est un élément de détente, ainsi qu'une possibilité de coopération et d'ouverture qui traduit une volonté d'apaisement, dans une situation plus que troublée.
Vous affirmez que votre démocratie est jeune ; la culture perse est cependant très ancienne. Il est vrai qu'il faut du temps pour installer une démocratie. Je rappelle souvent qu'avant qu'on stabilise la République en France, il s'est écoulé un certain nombre d'années : la période de 1790 à 1830 a été très agitée dans notre pays ; en 1830, la République n'était pas encore très solide !
Vous le savez, la France est le pays des droits de l'homme. Nous avons pu le vérifier, après les attentats barbares qui ont frappé notre pays au début et à la fin de 2015. La solidarité s'est manifestée à la suite de l'attentat contre Charlie Hebdo, en mobilisant des Français et d'autres nations à l'occasion de la grande manifestation organisée à Paris à l'initiative du Président de la République, mais aussi après les attentats du 13 novembre dernier, qui ont donné lieu à maintes manifestations à travers le monde.
Je dois par ailleurs vous dire notre inquiétude par rapport au respect des droits de l'homme en Iran. Quelques documents émanant des Nations unies et de nos collègues américains du Congrès dénoncent des manquements très importants à ce sujet dans votre pays. La France, il est vrai, a mis du temps à abolir la peine de mort, mais le nombre d'exécutions publiques que pratique l'Iran nous inquiète énormément.
Je me félicite bien sûr des accords économiques, qui ouvrent le dialogue, mais nous resteront cependant vigilants sur le respect des droits de l'homme en Iran, afin qu'on en finisse avec les exécutions capitales et autres manquements.
M. Jacques Gautier. - Monsieur l'Ambassadeur, vous avez insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de régler par le dialogue les problèmes entre les deux puissances majeures de la région, l'Iran et l'Arabie saoudite. Nous applaudissons des deux mains ! Nous sommes tous persuadés que la lutte contre Daech ne peut se faire sans une action commune, ou à défaut, complémentaire de ces deux grandes puissances.
Je voudrais revenir un instant sur les événements graves de début janvier, avec l'exécution de chiites en Arabie saoudite. Il est évident que notre attachement à l'abolition de la peine de mort fait que nous avons été profondément choqués mais, en même temps, ce qui s'est passé à Téhéran avec l'attaque et l'incendie de l'ambassade saoudienne nous semble insupportable. En effet, une ambassade est un lieu d'extraterritorialité et il appartient à l'État qui l'héberge d'en assurer la sécurité. C'est le message amical que je veux faire passer ici : nous avons besoin de garanties pour les représentations diplomatiques. Face à une colère du peuple iranien que l'on peut penser légitime, il faut que l'État iranien assure ses partenaires que leurs légations seront protégées.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Monsieur l'Ambassadeur, quatre jours après la mise en oeuvre effective de l'accord de Vienne, j'aimerais avoir votre sentiment sur la levée des sanctions qui va notamment vous amener à reprendre votre place dans les échanges commerciaux dans le secteur de l'énergie. Au moment où le cours du pétrole est au plus bas, quelles peuvent être, selon vous, les incidences de ce retour de l'Iran dans le concert des grands producteurs de pétrole ?
M. Claude Malhuret. - Monsieur l'Ambassadeur, tout le monde se réjouit de la conférence de Vienne, qui a permis de réunir autour d'une table, sur la question de l'avenir de la Syrie, des pays qui ne s'adressaient plus la parole. Cette conférence doit être suivie d'une rencontre, le 25 janvier prochain. Or celle-ci est aujourd'hui remise en question par un certain nombre d'événements, notamment les tensions entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Pouvez-nous dire, à cinq jours de l'échéance, si cette rencontre va bien avoir lieu ou si elle doit être reportée ? C'est en effet un sujet fondamental.
En second lieu, je poserai une question, non en termes diplomatiques, mais en termes parlementaires, car je suis parlementaire, comme nous tous ici. Plusieurs d'entre nous ont évoqué la démocratie. Vous avez vous-même abordé le sujet, ainsi que celui du suffrage universel en Iran. Le 26 février prochain vont avoir lieu dans votre pays des élections législatives. Or nous venons d'apprendre que 60 % des candidats ont été invalidés par la commission centrale de surveillance, émanation du Conseil des gardiens de la Constitution, et que 99 % des candidats réformateurs ont été invalidés ; 1 % seulement de ces derniers pourront donc se présenter au suffrage ! Si cela doit rester en l'état, cette consultation, pourtant fondamentale, serait - excusez le mot- une farce ! Le Comité des réformateurs s'est adressé au président Rohani en lui demandant d'intervenir pour que les choses changent. Quelles sont les chances, dans les jours qui viennent, qu'on en revienne à une pratique plus démocratique ?
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Un mot pour vous dire combien nous avons été choqués de l'attitude des Américains, qui souhaiteraient que toute personne s'étant préalablement rendue en Iran fasse l'objet d'une procédure d'admission spécifique aux États-Unis. C'est extrêmement inquiétant pour tous les entrepreneurs français qui voudraient aller en Iran, et qui pourraient avoir ensuite des difficultés pour se rendre aux États-Unis. Certains comparent cette procédure à de la malveillance. Nous avons initié une démarche avec le président Larcher pour protester contre cette mesure.
M. Ali Ahani. - Merci de cette appréciation. Je dois dire que c'est un choc pour tout le monde : cette mesure va à l'encontre des lois internationales et de la liberté des échanges entre les pays. Il est évident que cela peut dissuader les entreprises françaises et européennes de se rendre en Iran. Une conférence universitaire sur le cancer est ainsi prévue en Iran à l'initiative de l'Institut Pierre et Marie Curie, dans quelques semaines. Six universitaires ont été invités ; quatre d'entre eux ont renoncé ! Il faut donc faire quelque chose. Je l'ai évoqué auprès du Quai d'Orsay, parce qu'il faut que les autres pays membres de l'Union européenne fassent aussi un effort. Il faut faire annuler cette décision.
Quant aux droits de l'homme et à la démocratie, laissez-moi vous raconter une petite anecdote... Fin 1989, début 1990, jeune ambassadeur, j'allais chaque mois à Strasbourg pour rencontrer les parlementaires européens - car je suis convaincu qu'il faut renforcer le dialogue et le lien avec les instances européennes. Tous les mois, une, voire plusieurs résolutions contre l'Iran étaient déposées et la plupart ont été coparrainées par Claude Cheysson, ancien ministre des affaires étrangères socialiste, député européen, concernant les droits de l'homme, les droits des enfants, les exécutions, le nucléaire, etc. Au cours d'un entretien à Paris avec lui, je lui avais demandé si la situation des droits de l'homme en Iran était pire que celle qui existait en Arabie saoudite, au Koweït, dans les Émirats arabes unis, ou en Irak à l'époque de Saddam Hussein. Il m'avait répondu par la négative. Je l'avais alors questionné sur les raisons pour lesquelles il coparrainait sans cesse des résolutions contre l'Iran, mais jamais contre ces pays où la situation des droits de l'homme était pire. Il m'avait répondu : « ces pays obéissent à nos conseils, contrairement à l'Iran » ! Je lui ai répondu : « j'ai bien reçu le message, nous sommes fiers de notre indépendance bien que nous croyons en la promotion des droits de l'homme ».
J'ai revu Claude Cheysson bien après, alors qu'il n'avait plus de mandat, au cours d'une visite qu'il effectuait en Iran avec sa famille, alors que j'étais vice-ministre. Je les avais invités à dîner et lui avais demandé comment il voyait, à présent, les choses. Il m'avait avoué regretter d'être venu si tard en Iran, car ce qu'il y avait vu n'était pas conforme à ce qu'on lui avait dit.
Deux ou trois ans après, au cours de ma deuxième mission en France, invité à la Sorbonne à une conférence du CNRS pour la présentation d'un livre sur les six cents ans de relations entre l'Iran et la France, édité par le CNRS, j'ai raconté cette histoire et Jean-Pierre Masset, ancien ambassadeur de France en Iran, aujourd'hui décédé, a raconté qu'en raccompagnant Claude Cheysson après notre rencontre à Téhéran, celui-ci lui avait dit que s'il était venu en Iran avant, il n'aurait jamais pris la position qu'il avait prise à l'égard de Saddam Hussein pendant la guerre contre l'Iran !
Regardez ce qui passe actuellement en Arabie saoudite, pays allié de la France, pourtant berceau de la démocratie et des droits de l'homme ! De quel poids ce sujet pèse-t-il dans votre relation avec l'Arabie saoudite ?
C'est vrai, nous connaissons un nombre élevé d'exécutions, mais les décapitations sont courantes en Arabie saoudite !
M. Alain Néri. - Les excès des uns n'excusent pas ceux des autres !
M. Ali Ahani. - Ce n'est pas ce que je dis ! Il faut être réaliste : en Iran, on exécute, c'est certain ; c'est d'ailleurs une des raisons qui nous empêche d'avoir des liens avec le Conseil de l'Europe. La loi prévoyant la peine de mort existe. Mais nous sommes très sensibles à ce sujet de l'exécution. Selon des chiffres internationaux, plus de 80 % des exécutions en Iran sont liées à la drogue et plus de 90 % de cette drogue viendrait en Europe. Nous sommes obligés de lutter contre ces phénomènes néfastes. Nous sommes en effet à côté de l'Afghanistan et du Pakistan, dont la frontière peut aisément être franchie.
Les mafias de la drogue nous ont fréquemment demandé de fermer les yeux et de leur assurer le libre passage et en contrepartie ils promettaient de ne plus écouler de drogue en Iran, mais nous sommes résolus à lutter contre ce fléau. Plus de 4 000 membres des forces de l'ordre iraniennes ont été tués par la mafia. Ils ont essayé de distribuer de la drogue à bon marché en Iran et ont créé beaucoup de difficultés, d'ordre social et familial. Certes, l'Iran applique la loi du talion en cas d'homicide, mais nous disposons de plusieurs filtres afin de ne pas commettre d'erreurs. L'islam accorde beaucoup d'importance à la vie humaine. Nous sommes obligés d'agir ainsi, mais nous veillons à promouvoir les droits de l'homme. Nous sommes, certes, un pays ancien, mais notre système démocratique est encore jeune, puisqu'il n'a que trente-sept ans.
On raconte que, lors d'une élection, durant le règne du père du dernier chah, une personnalité politique bien connue en Iran s'était portée candidate. Le décompte n'ayant fait apparaître aucune voix en sa faveur, il a protesté, en disant qu'au moins il était sûr d'avoir voté pour lui-même et a demandé où était son bulletin !
Après la révolution, nous avons veillé au bon déroulement de la démocratie. Cela nécessite cependant du temps, notre pays ayant vécu durant des siècles sous un système dictatorial. Nous avons déjà changé beaucoup de lois, en particulier en faveur des femmes. C'est un élément rare dans les autres pays de la région, qui peut même parfois faire défaut en France !
Des critiques se font également entendre en Iran à propos du grand nombre de candidatures invalidées. On a accepté environ 6000 candidats pour 290 sièges. Selon la loi, il existe une procédure de contestation, que le président a demandé de respecter.
Pour ce qui est du pétrole, nous avons toujours essayé de réagir comme un pays responsable. Nous ne devons pas payer le coût pour les autres. Durant les années précédant les sanctions, nos exportations s'élevaient à 2,1 millions de barils par jour. Lorsque les sanctions ont été appliquées, l'Arabie saoudite et d'autres pays ont essayé d'occuper la place laissée vide par l'Iran. Avant la levée des sanctions, nous exportions environ 500 000 barils par jour ; ce chiffre va passer à un million de barils par jour. C'est notre droit. Ils se sont enrichis durant des années : ils doivent maintenant réduire leur production afin de nous permettre de tirer parti de nos ressources.
L'économie de presque tous les pays pétrolier est trop dépendante du pétrole. C'est regrettable. Grâce ou à cause des sanctions, nous avons essayé de réduire notre dépendance pétrolière. Le gouvernement iranien a pris soin, pour le futur pour que notre nouveau budget annuel ne dépende pas du pétrole à plus de 21 %. Nous ne cherchons pas à déclencher une guerre du pétrole ; nous sommes convaincus qu'il faut préserver l'équilibre du marché et rester attentifs à ne pas aller en ce sens.
M. Robert del Picchia. - À travers l'OPEP ?
M. Ali Ahani. - Bien entendu !
S'agissant de la protection des ambassades, nous sommes désolés de ce qui s'est passé. Le président Rohani et d'autres ont condamné ces actions. Nous sommes, en effet, responsables de la protection des ambassades. Certains policiers ont été blessés, mais n'ont heureusement pas permis que les diplomates saoudiens soient atteints. Ils en sont sortis sains et saufs. Nous avons fait en sorte qu'il en soit ainsi.
Il faut que vous sachiez que l'Arabie saoudite n'a pas autorisé notre avion à aller chercher nos personnels d'ambassade. Nous allons bien entendu indemniser l'Arabie saoudite.
Nos ambassades ont plusieurs fois été attaquées par le passé, même en France. C'est arrivé alors que je m'y trouvais. J'ai dû quitter la résidence en voiture pour aller me garer place d'Iéna et me mettre sous la protection de la police, en attendant le retour au calme avant d'aller à l'Ambassade. Quelqu'un a alors jeté un grand bloc de ciment sur le pare-brise de ma voiture. La personne a été arrêtée, puis libérée. La France a aussi sa part de responsabilités pour protéger les ambassades. L'ambassade n'a jamais été indemnisée !
S'agissant de la paix en Syrie, nous sommes plutôt optimistes bien que la situation soit très compliquée. Nous ne voulons pas laisser les tensions avec les Saoudiens influencer les négociations. Bien entendu, ils doivent jouer leur rôle, mais nous sommes en contact avec le représentant du secrétaire général des Nations unies et sommes prêts à participer activement au processus. Nous espérons qu'une décision logique sera prise pour aider le peuple syrien.
Une nouvelle Constitution est bien évidemment nécessaire, ainsi qu'un nouveau processus d'élection. Il faut stopper la confrontation, préparer le terrain pour que les réfugiés puissent rentrer et voter, et continuer à lutter contre le terrorisme. Nous avons récemment eu une réunion trilatérale avec la Suisse et la Syrie pour apporter une aide humanitaire.
Il faut être réaliste. Il est évident que tout le monde n'aime pas Bachar el-Assad, mais il a été préféré aux autres, même par ceux qui ne l'apprécient pas. Car ils ne savent pas ce qui se passe si Bachar quitte le pouvoir, qu'il s'agisse de chrétiens ou de sunnites. Il faut aider le peuple syrien à s'en sortir. Cela fait quatre ans qu'on entend dire que l'ère de Bachar el-Assad est terminée et qu'il doit partir, mais il est toujours là !
M. Alain Gournac. - C'est tout de même un assassin !
M. Ali Ahani. - Il a peut-être commis des erreurs. Il faut cependant tenir compte de ce qui se passe en Syrie. Ce pays a été confronté à bien des manipulations et à bien des attaques, contre son armée et ses services de sécurité. L'armée syrienne ne pouvait rester les bras croisés... En ce qui nous concerne, nous avons essayé de les conseiller militairement pour lutter contre le terrorisme.
Merci de votre attention. Je reste à votre disposition, et je compte sur le Sénat pour renforcer la diplomatie parlementaire avec l'Iran, qui peut être un partenaire fort pour la France dans différents domaines.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, Monsieur l'Ambassadeur.
La difficulté sera toujours de trouver un équilibre entre démocratie et stabilité du système politique. Les pays qui ne sont pas stables ont généralement du mal à lutter contre le terrorisme. La bonne nouvelle, avec le « retour » de l'Iran, c'est que nous allons avoir face à nous un pays qui peut apporter de la stabilité, même si nous avons avec lui un certain nombre de débats sur des sujets que la visite du président Rohani va contribuer à éclaircir.
Nous avons apprécié votre disponibilité. Vous avez enrichi notre réflexion. Nos collègues, vous l'avez vu, ont participé à ce débat avec leurs convictions, mais aussi leur sens des responsabilités. Merci à vous.
La réunion est levée à 13 heures 03