- Mercredi 16 décembre 2015
- Loi d'expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée - Examen du rapport et du texte de la commission
- Nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie - Désignation des candidats appelés à faire partie de la commission mixte paritaire
- Protection de l'enfant - Désignation des candidats appelés à faire partie de la commission mixte paritaire
Mercredi 16 décembre 2015
- Présidence de M. Alain Milon, président -La réunion est ouverte à 9 h 35.
Loi d'expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède à l'examen du rapport de Mme Anne Emery-Dumas sur la proposition de loi n° 246 (2015-2016), adoptée par l'Assemblée nationale, d'expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure. - La France a cette caractéristique peu enviable de subir, depuis maintenant plus de trente ans, une situation de chômage élevé que les politiques menées par les gouvernements successifs n'ont pas réussi à faire régresser. L'année 1985 s'était achevée sur un taux de chômage de 8,5 %. Il était de 9,7 % au terme de l'année 1995, de 8,5 % en 2005 et, reflet de la profonde crise de l'emploi que traverse notre pays, il est passé de 6,8 % au début de l'année 2008 à 9,3 % en 2012 et 10,6 % aujourd'hui.
Le corollaire de cette situation est l'apparition, puis la persistance, et enfin l'aggravation du chômage de longue durée - soit celui des demandeurs d'emploi inscrits depuis plus de douze mois.
Depuis 2003, la proportion de chômeurs de longue durée n'a jamais été inférieure à 35 % de l'ensemble des demandeurs d'emploi. En 2011, alors qu'elle s'élevait à 41,2 %, le conseil d'orientation pour l'emploi avait souligné dans un rapport les risques d'éloignement durable du marché du travail que le chômage de longue durée fait courir : dégradation du capital humain et accélération de l'obsolescence des qualifications, en particulier chez les moins diplômés et les seniors. C'est également un facteur déterminant de précarité et de pauvreté, les allocations d'assurance chômage expirant au plus tard deux ans après la perte d'un emploi.
Le chômage de longue durée est enfin la cause d'un sentiment de déclassement et d'inutilité sociale qui conduit nombre de nos concitoyens à une forme de résignation, renforce les inégalités et met en péril la cohésion sociale.
Selon l'Insee, en 2014, 42,7 % des chômeurs étaient sans emploi depuis au moins un an. Cela représente un peu plus de 4 % des actifs, soit environ 1,2 million de personnes. Il s'agit toutefois ici de la définition du chômage par le Bureau international du travail (BIT), qui ne retient que les personnes sans emploi, disponibles pour prendre un emploi dans les 15 jours et en cherchant activement un. Il existe au-delà de cette définition stricto sensu, un halo, mesuré également par l'Insee, de personnes inactives qui ne remplissent pas ces critères. Elles étaient environ 1,4 million en 2014. Cette bipartition permet de faire le lien avec les statistiques de Pôle emploi, selon lesquelles 45,6 % des inscrits sur ses listes en 2014 l'étaient depuis au moins un an, soit 2,4 millions de personnes, et 25,6 % depuis au moins deux ans, soit 1,4 million de personnes. En un an, ces deux catégories ont connu une croissance respective de 8,8 et 14,7 %.
Conscient de ces difficultés, le Gouvernement a entrepris depuis 2012 de lutter contre le chômage de longue durée, en renforçant notamment la formation des demandeurs d'emploi. Le 9 février dernier, il a présenté un plan intitulé « Prévenir, aider, accompagner : nouvelles solutions face au chômage de longue durée ». Certaines de ses mesures nécessitant une traduction législative ont déjà été mises en oeuvre par la loi du 17 août 2015, comme l'adaptation du contrat de professionnalisation aux demandeurs d'emploi très éloignés du marché du travail. Ce plan prévoyait également la création d'un « accélérateur d'innovation sociale », en coopération avec l'agence nouvelle des solidarités actives (Ansa), afin d'étudier la faisabilité, promouvoir et soutenir des initiatives novatrices portées par des acteurs associatifs au niveau local destinées à faire reculer le chômage de longue durée. La présente proposition de loi en constitue la première concrétisation, sur la base d'un projet porté par l'association ATD Quart Monde.
La philosophie du texte est originale. Comme l'indique l'avis du Conseil d'Etat, « l'approche qui sous-tend la proposition de loi se situe au croisement de deux composantes de la politique de l'emploi : l'aide à l'embauche de personnes rencontrant des difficultés particulières de retour et d'accès à l'emploi sans être les plus éloignées de l'emploi, et le développement, sur une base locale d'analyse des besoins, d'une offre de services socialement utiles ».
A titre expérimental pendant cinq ans, et sur au plus dix territoires volontaires, des entreprises à but d'emploi relevant de l'économie sociale et solidaire, conventionnées par un fonds national spécifique, embaucheraient en contrat à durée indéterminée (CDI) des demandeurs d'emploi de longue durée et les rémunéreraient au moins au Smic, pour effectuer des prestations répondant à des besoins sociaux locaux, avec pour objectif de les rendre solvables grâce à une réallocation, à budget constant, des dépenses publiques correspondantes.
Ce projet est innovant à plus d'un titre. Tout d'abord, il est issu d'une longue réflexion des acteurs associatifs de terrain. Il est heureux de constater que la loi promeut un projet qui a été pensé par et dans les territoires - Pipriac et Saint-Ganton en Ille-et-Vilaine, Colombey-les-Belles en Meurthe-et-Moselle, Prémery dans la Nièvre, Mauléon dans les Deux-Sèvres et Jouques dans les Bouches-du-Rhône.
Ensuite, le projet repose sur un nouveau paradigme en matière d'offre et de demande de travail : il vise à faire émerger de nouveaux emplois partiellement solvables grâce à une mobilisation de tous les acteurs d'un territoire.
Le recours à l'expérimentation est salutaire car l'un des maux français est d'appliquer uniformément et immédiatement de nouvelles politiques publiques de l'emploi sans les avoir testées au préalable. Si l'expérience est concluante, elle pourra être généralisée, dans des conditions à définir, en s'inspirant par exemple du déploiement de la garantie jeunes.
Enfin, le travail parlementaire a pu bénéficier d'appuis extérieurs de qualité. Les députés ayant modifié en profondeur le texte afin de se conformer à l'avis du Conseil d'Etat qui, sollicité sur cette proposition de loi, s'est montré soucieux d'assurer la sécurité juridique du dispositif, et à celui du Conseil économique, social et environnemental (Cese), dont la grande majorité des préconisations visant à assurer la réussite du projet ont été reprises.
Venons-en aux articles du texte.
L'article 1er définit l'objet, la durée et le cadre financier de l'expérimentation. Il précise que les entreprises conventionnées devront exercer des activités complémentaires de celles qu'offre le secteur marchand, afin de garantir le respect du droit de la concurrence.
L'article 2 indique que tous les demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi depuis plus d'un an pourront bénéficier de l'expérimentation, dès lors qu'ils n'auront pas démissionné de leur précédent emploi ou signé une rupture conventionnelle. Le texte n'institue aucune priorité entre les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) car le champ de l'expérimentation se veut le plus large possible. Les conseillers de Pôle emploi et les comités locaux de pilotage devront, si nécessaire, réorienter en amont les demandeurs d'emploi intéressés vers les structures les mieux appropriées, comme celles de l'insertion par l'activité économique.
Le fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée, prévu à l'article 3, percevrait un financement équivalent au coût des différentes allocations auxquelles auraient eu droit les demandeurs d'emploi s'ils n'avaient pas participé à ce projet, et redistribuerait ces sommes, sous la forme d'une aide financière, aux entreprises conventionnées. Le texte fixe également sa composition, définit les missions du commissaire du Gouvernement en son sein, ainsi que le rôle des comités locaux. Il précise enfin l'étendue de l'expérimentation.
L'article 4 porte sur le conventionnement entre le fonds national et les entreprises de l'économie sociale et solidaire, afin de fixer les conditions de leur participation à l'expérimentation. Ces conventions définiront leurs relations financières. Elles établiront également le socle des engagements de l'employeur concernant les postes proposés, les conditions d'accompagnement des salariés et les actions de formation envisagées. Cet article prévoit en outre qu'un bénéficiaire de l'expérimentation qui romprait son contrat de travail à la suite d'une embauche dans une autre entreprise ou pour suivre une formation qualifiante conserverait ses droits à l'assurance chômage.
Les conditions de financement du fonds, et donc de l'expérimentation, sont traitées à l'article 5. Il prévoit la participation de l'Etat, de collectivités territoriales et d'organismes publics ou privés, qui pourraient être par exemple Pôle emploi ou l'Unédic. C'est là encore par convention entre le fonds et les différents acteurs concernés que serait déterminée la contribution de chacun - volontaire pour les collectivités territoriales accueillant sur leur territoire une expérimentation, obligatoire pour l'Etat.
L'article 6, qui concernait l'entrée en vigueur de la proposition de loi, a été supprimé par l'Assemblée nationale. Ces dispositions ont été réintroduites à l'article 7 ter : c'est au plus tard au 1er juillet 2016 que l'expérimentation sera applicable.
L'éventualité d'un arrêt prématuré de l'expérimentation est prise en compte à l'article 7. Dans ce cas de figure, chaque entreprise en serait informée et serait autorisée à rompre les contrats de travail conclus dans ce cadre. Il s'agirait d'un licenciement individuel pour motif économique, pour lequel la loi présume l'existence d'une cause réelle et sérieuse. Le fonds prendrait en charge une partie de l'indemnité de licenciement qui devrait alors être versée.
Enfin, l'article 7 bis dresse la liste des points qui devront être traités dans le décret d'application de ce texte. Comme nos interlocuteurs l'ont reconnu, sa rédaction devrait être complexe puisqu'il définira la méthodologie de l'évaluation de l'expérimentation, les modalités de fonctionnement du fonds et de passation des conventions ou encore le montant de la fraction de la rémunération des salariés que le fonds prendra en charge.
Avant de conclure, je voudrais répondre à deux critiques qui pourraient être soulevées à l'encontre du dispositif.
Certains doutent de la nécessité de recourir à la loi pour mener cette expérimentation. Mais le Conseil d'Etat, dans son avis, a indiqué que seule la loi pouvait prévoir les modalités de la participation des collectivités territoriales candidates, fixer le cadre de l'expérimentation et définir le motif du licenciement des salariés en cas de fin prématurée du projet. J'ajoute que la loi impulse une dynamique sur l'ensemble des territoires, indispensable pour susciter des candidatures, et vient renforcer la légitimité de l'action des associations.
Des doutes ont également été émis sur l'équation financière qui sous-tend ce projet. Or, c'est bien le but de l'expérimentation que de faire apparaître les coûts et les difficultés éventuelles dans la réallocation des dépenses publiques liées à l'indemnisation du chômage de longue durée. Les ressources issues du RSA et de l'ASS pourront être rapidement réallouées au fonds national. En revanche, les choses semblent plus compliquées pour l'allocation de retour à l'emploi (ARE), qui est versée par l'Unédic, car elle relève d'une logique assurantielle, est attachée à la personne et limitée dans le temps, comme l'a rappelé le Cese dans son avis. L'obstacle n'est cependant pas insurmontable et il reviendra aux partenaires sociaux qui gèrent l'assurance chômage de se pencher sur cette question une fois la loi votée.
En tout état de cause, la ministre du travail a indiqué, lors des débats à l'Assemblée nationale, que l'Etat consentirait, au cours de la première année de l'expérimentation, un « effort financier exceptionnel » pour amorcer le projet, qui devrait s'élever à 10 millions d'euros. Les collectivités territoriales et les organismes publics et privés devront se mobiliser dès le début de l'expérimentation, faute de quoi celle-ci ne verrait vraisemblablement pas le jour sur les territoires concernés. Au-delà de la première année, la participation de l'Etat devrait être équivalente à celle apportée aux contrats aidés du secteur marchand, soit 47 % du Smic. Pour mémoire, l'Ansa a estimé que le coût annuel de la rémunération d'environ 500 CDI dans quatre territoires précurseurs devrait avoisiner 10 millions d'euros.
Je ne vous présenterai pas aujourd'hui d'amendements car il m'a semblé préférable de vous exposer les enjeux du texte et ses conditions de réussite. En revanche, je souhaite d'ores et déjà vous indiquer les pistes de réflexion que j'ai identifiées et qui pourraient éventuellement donner lieu à des amendements d'ici à la séance publique, le 13 janvier prochain.
Tout d'abord, il me semble souhaitable de prévoir un accompagnement spécifique par Pôle emploi des personnes embauchées en CDI dans l'entreprise conventionnée, qui doit jouer un rôle de passerelle, afin de les inciter à sortir du dispositif, de les aider à obtenir un emploi stable dans le secteur marchand et d'assurer une rotation satisfaisante des effectifs.
Ensuite, les règles liées au financement des indemnités de licenciement pourraient être harmonisées et clarifiées.
Surtout, le volet lié à l'évaluation de l'expérimentation, essentielle dans la perspective d'une généralisation au terme de cinq années, mériterait d'être renforcé. Il est souhaitable que cette évaluation soit réalisée par un organisme indépendant, à l'issue d'un appel à candidatures, sur la base d'un cahier des charges précis et rédigé avant le début de l'expérimentation. Elle devra comporter des points d'étape et permettre de comparer les effets du projet promu par la présente proposition de loi avec d'autres dispositifs concourant au même objet, avec des expériences étrangères ainsi qu'avec le droit commun. Elle devra être aussi exhaustive que possible et porter, comme le recommande le Cese, sur des éléments quantitatifs mais aussi qualitatifs tenant compte des exigences de développement durable des territoires.
Il y a maintenant 22 ans, un illustre élu de mon département déclarait, dans un raccourci sans doute réducteur, qu'en matière de chômage, tout avait été essayé. Une fois n'est pas coutume, à l'instar des initiateurs de cette proposition de loi, je ne partage pas cette analyse et, dans un contexte de chômage durable, je crois que l'on peut faire confiance à l'intelligence des territoires pour expérimenter au niveau local la création d'emplois nouveaux, accessibles aux chômeurs concernés, grâce à des financements innovants.
Ce n'est pas en conduisant des politiques rigides, conçues et pilotées par les administrations centrales, que les spécificités de nos territoires pourront être prises en compte dans la lutte contre le chômage. Il faut au contraire innover et mener, à l'échelle réduite d'une zone géographique homogène par ses caractéristiques économiques et sociales, des projets visant à offrir aux chômeurs de longue durée une réinsertion durable dans l'emploi et à faciliter le développement de nouvelles activités. De nombreux points restent à éclaircir quant au fonctionnement et au financement de cette expérimentation, et son succès reposera sur la mobilisation de tous les acteurs concernés, tout particulièrement les collectivités territoriales. Je ne doute pas, au vu des enjeux locaux, qu'elles seront au rendez-vous, et vous invite, comme nos collègues députés, à adopter ce texte.
M. Alain Milon, président. - Je remercie notre rapporteure d'avoir mené son travail avec diligence, clarté et honnêteté intellectuelle, sans occulter les points qui peuvent conduire certains d'entre nous à s'interroger.
M. Philippe Mouiller. - Je remercie notre rapporteure de la clarté de son propos sur un texte quelque peu complexe, en particulier dans son volet relatif au financement. Le principe en est clair, cependant : il s'agit de promouvoir une démarche volontaire des territoires pour contribuer à faire reculer le chômage de longue durée - je privilégie ces termes à dessein, pour ne pas laisser penser que nous tiendrions-là une solution miracle.
Dans mon département des Deux-Sèvres, j'ai eu l'occasion de rencontrer, sur le terrain, à Mauléon, ceux qui ont engagé cette initiative. Cela m'a permis de mieux comprendre la démarche, dont j'avoue qu'elle avait d'abord suscité de ma part quelques interrogations. Elle a commencé par un vrai travail de recensement, coordonné par la maison de l'emploi, des chômeurs de longue durée, des structures d'insertion et des collectivités volontaires - cette notion de volontariat devant, selon moi, clairement apparaître dans ce texte. Mais pour aller plus loin, il faut en passer par la loi, afin de clarifier le fonctionnement d'une telle initiative dans ses dispositions qui relèvent du ministère du travail et de Bercy.
Il convient de rappeler que cette initiative se situe dans le champs de l'économie sociale et solidaire, familier, notamment grâce aux mutuelles, au département des Deux-Sèvres, et vise des emplois qui n'entrent pas en concurrence avec ceux du secteur marchand.
Il reste néanmoins beaucoup d'interrogations. Qu'en sera-t-il au-delà de douze ou vingt-quatre mois ? Comment, au terme d'un financement via le reversement des aides liées à la perte d'emploi, enclencher un mécanisme vertueux ? Si la piste est intéressante à explorer, une inquiétude demeure : l'Etat ne sera-t-il pas tenté, une fois le dispositif sur les rails, d'en transférer le financement aux collectivités, le principe de leur participation « volontaire » tombant aux oubliettes ? Il est important de rassurer sur ce point les collectivités, et en particulier les départements, confrontés à une situation financière difficile. Il est juste de dire que dans le même temps, les départements, qui doivent mettre en place des politiques d'insertion et se posent bien des questions sur les outils pertinents à retenir, considèrent cette initiative avec intérêt. D'où mon insistance sur la nécessité de leur apporter des garanties quant au caractère volontaire, sur la durée, de la démarche.
M. Jean-Marie Morisset. - Je ne reviens pas sur l'initiative engagée dans le département des Deux-Sèvres, dont je suis également élu. Pour prendre un peu de recul, je dirai que tout dispositif visant à réduire le chômage mérite la plus extrême attention, mais que pour avoir longtemps été président cette collectivité, j'ai connu beaucoup d'initiatives que l'on présentait comme des solutions miracles et qui s'articulaient autour des mêmes mots d'ordre : mettre tous les acteurs autour de la table, assurer les financements et évaluer.
Il est prévu de retenir seulement dix collectivités pour mener cette expérimentation. Sachant que cinq d'entre elles, qui l'ont d'ores et déjà engagée, sont identifiées, je me demande sur quels critères se fondera l'association gestionnaire du fonds national pour les désigner. Il me semble que le taux de chômeurs de longue durée devrait figurer au premier plan.
Je m'interroge également sur l'amorçage de ce fond. Il est question de 10 millions d'euros versés par l'Etat, mais il n'en a pas été question dans le projet de loi de finances, ce qui signifie qu'il faudra attendre 2017 pour engager la démarche.
Troisième question : comment ce dispositif s'articulera-t-il avec les dispositifs existants - je pense en particulier aux structures d'insertion par l'activité économique, comme il en existe dans chaque département.
Vous avez, enfin, raison d'insister sur l'importance de l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires.
Nul doute que de nombreuses collectivités se porteront volontaires, mais elles le seront à condition de connaître les règles du jeu, tant pour ce qui concerne l'Etat que les départements. Il est question de s'appuyer sur les dépenses du RSA que ces derniers n'auront pas eu à engager, mais c'est oublier un peu vite les difficultés qu'ils rencontrent déjà à financer ce dispositif, au même titre que tout ce qui relève de l'accompagnement social dont ils ont la charge.
Telles sont mes interrogations, qui ne m'empêcheront pas de voter cette proposition de loi, car c'est à mon sens une bonne chose que d'engager une réflexion avec l'ensemble des acteurs.
Mme Nicole Bricq. - Je salue le travail de notre rapporteure qui, avec une grande probité intellectuelle, n'a pas caché les difficultés techniques qui s'attachent encore à cette initiative, dont je veux dire ici tout le bien que j'en pense. Il s'agit, et c'est pour moi fondamental, d'une loi d'expérimentation, qui fait appel à deux valeurs : à la liberté des acteurs, qui s'engagent sur la base du volontariat, en même temps qu'à leur responsabilité, dans une logique territoriale. C'est une chose qui nous manquait que cette liberté donnée aux acteurs locaux de s'organiser, grâce à un appui initial de l'Etat, via ce que Jean-Marie Morisset a fort justement appelé un fonds d'amorçage, qui se mettra en place au terme d'un travail préalable, à engager dès l'adoption de la loi, de repérage des acteurs locaux, de formation et de concertation au niveau des comités locaux.
La démarche, qui vise à passer d'un accompagnement passif à une logique active, est ambitieuse. On y a jusqu'à présent échoué - rappelez-vous des difficultés auxquelles s'est heurté le RSA. D'où l'importance de l'évaluation, introduite à l'article 7 bis. C'est une culture qui, en France, nous fait défaut. L'évaluation, qui doit être extérieure, nous dira si ce dispositif mérite ou non d'être retenu. Sa réussite dépendra des acteurs de terrain. Ce qui exige de bien mesurer la portée de l'expérimentation et de ne pas oublier le droit à la formation. L'impact sur le projet de compte personnel d'activité, sur lequel nous seront bientôt amenés à nous prononcer, doit être pris en compte, sans oublier le temps de travail, qui, dans le cas présent, ne sera pas forcément normé.
Si cette expérimentation réussit, alors le vote de ce texte aura contribué à nous faire sortir de ce qu'il faut bien qualifier, car voilà trente ans qu'il en va ainsi, de préférence nationale pour un traitement passif du chômage. Sous ses dehors modestes, cette proposition de loi, qui renverse la logique habituelle, est ambitieuse. Ne l'accusons pas de l'être trop : c'est l'avenir qui en décidera.
M. Jean Desessard. - Je suis bien sûr favorable à une activation des dépenses liées au chômage, pour favoriser le retour à l'emploi de ceux qui en sont le plus éloignés en même temps que la création d'emplois qui devraient se révéler utiles. Certes, la mise en oeuvre d'un tel dispositif reste à définir mais il s'agit, ne l'oublions pas, d'une expérimentation. Cependant, l'article 2 soulève en moi quelque inquiétude puisque ne pourront participer à l'expérimentation que les chômeurs de longue durée dès lors qu'ils n'auront pas démissionné de leur précédent emploi ou signé une rupture conventionnelle. L'une et l'autre de ces restrictions peuvent être jugées discutables, mais la seconde l'est plus que tout. L'idée est que ceux qui ont quitté volontairement leur emploi précédent ont moins droit à une deuxième chance que ceux qui ont été licenciés. Je comprends mal cette logique, en particulier dans le cas de la rupture conventionnelle.
M. Michel Forissier. - Je salue l'excellent travail de la rapporteure, qui témoigne cependant de la complexité de nos dispositifs. Au lieu d'ajouter à cette complexité chaque fois que l'on entreprend une expérimentation, je préfèrerais, même si je ne suis pas opposé à cette proposition de loi, vu l'ampleur qu'a atteint le chômage de longue durée, que de telles initiatives soient conçues au niveau régional, l'Etat se bornant à un cadrage. Comment alimenter un fonds alors que ceux qui seront appelés à le faire manquent déjà de moyens pour financer les dispositifs existants ? Cela se fera inévitablement au détriment du reste.
J'abonde dans le sens de Philippe Mouiller : alors que l'incitation à l'embauche devrait être axée sur le secteur marchand, c'est plutôt vers le secteur non-marchand que l'on se tourne à nouveau. Les collectivités locales ne vont pas se précipiter : on sait ce que sont les difficultés des départements, et les nouvelles régions vont être avant tout occupées à se mettre en place.
Bref, l'intention est certes louable et la réflexion intéressante, mais le dispositif retenu vient ajouter de la complexité aux dispositifs actuels. J'ai insisté, dans mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2016, sur le déficit croissant de l'Unédic et je vois mal comment cet organisme pourra dégager un financement, sinon au détriment d'autres dispositifs. Autrement dit, cela revient à réorienter les politiques de traitement du chômage. Une telle réorientation relève, pour moi, de l'échelon local, le mieux à même d'identifier ce qui fonctionne le mieux sur son territoire.
Nicole Bricq regrette que la France manque d'une culture de l'évaluation. Je dirai plutôt que l'on s'en tient trop souvent à l'auto-évaluation.
Mme Nicole Bricq. - Tout à fait.
M. Michel Forissier. - Je suis enclin à faire confiance, plutôt qu'aux organismes indépendants, à la Cour des comptes et aux représentants de l'Etat. Je suis pour un Etat fort, qui tienne la barre. Or, il a du mal, aujourd'hui, à piloter ces dispositifs.
Mme Annie David. - A mon tour de féliciter notre rapporteure car cette proposition de loi, comme en témoigne les questions qu'elle soulève parmi nous, est assez complexe. Malgré les éclairages qu'elle nous a apportés, des interrogations subsistent.
Je veux dire avant toute chose que tout dispositif destiné à lutter contre le chômage de longue durée mérite un examen attentif. Telle sera la démarche de notre groupe et c'est pourquoi je ne puis vous dire, à ce stade, quelle sera sa position finale.
Quels seront les territoires et les publics retenus ? Quel sera le statut exact des personnes embauchées dans les entreprises conventionnées ? On a encore du mal à s'y retrouver. Quelles seront les formations délivrées ? Celles-ci sont indispensables si l'on veut créer des emplois durables sans enfermer ces salariés ad vitam aeternam dans ces entreprises conventionnées, qui ne sont là que pour leur remettre le pied à l'étrier. Cela suppose d'être attentif à la pertinence des activités proposées, déterminante pour la formation et la pérennité du retour à l'emploi.
Je ne reviens pas sur la question du financement, sur laquelle les intervenants qui m'ont précédée se sont interrogés. Pour nous, il ne s'agit, en effet, que d'une réorientation budgétaire, sans effort supplémentaire. Quid, enfin, de l'articulation du projet avec l'insertion par l'activité économique ?
Toutes ces questions méritent que l'on s'y penche et c'est pourquoi nous entendons, avant de déterminer notre vote, prendre le temps d'un examen attentif de ce texte, qui a le mérite de se donner pour objectif de lutter contre le chômage de longue durée.
Mme Catherine Deroche. - Je porte sur cette proposition de loi un regard bienveillant. Il est vrai que la question du financement reste posée, mais je ne doute pas que des amendements seront déposés sur ce point, et que nous devrions parvenir à un accord en commission mixte paritaire.
Cette proposition de loi est le fruit d'une initiative portée depuis longtemps par ATD Quart Monde, qui connaît bien les problématiques liées à l'exclusion sociale. Nous nous devons de saisir toute chance qui pourrait être donnée, par le biais de l'expérimentation, à des chômeurs de longue durée. Cette expérimentation sera évaluée. On peut certes lui reprocher sa complexité, mais on a mis en place tant de dispositifs de lutte contre le chômage qui ne fonctionnent pas qu'il ne faut pas se priver, à mon sens, de cette possibilité de mener, sur dix territoires volontaires, une expérimentation susceptible d'être bénéfique à tous points de vue aux publics concernés.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Comme Catherine Deroche, j'estime que cette initiative intéressante mérite d'être expérimentée.
Pour moi, il serait bon de spécifier, à l'article 5, qui précise quels acteurs pourront participer à l'expérimentation, que les maisons de l'emploi et de la formation, auxquelles Philippe Mouiller a fait référence, en font partie. Dans le territoire que je représente, la maison de l'emploi et de la formation représente aussi bien les territoires urbains que ruraux. Toutes les collectivités territoriales y participent. C'est un lieu où l'on peut rassembler les acteurs.
Tout l'intérêt de ce texte est de promouvoir l'emploi dans des secteurs indispensables mais qui ne sont pas couverts par l'économie marchande. C'est un levier pour trouver de nouveaux débouchés. Dans mon département, par exemple, l'entretien du littoral, secteur pourtant très important pour le tourisme, n'est qu'imparfaitement assuré. Il faut compter sur le bénévolat ou sur les quelques contrats que passent parfois les collectivités. Une telle activité pourrait être retenue dans l'expérimentation.
Mme Evelyne Yonnet. - Je salue le travail de la rapporteure sur un texte qui a le mérite de chercher à combattre le chômage de longue durée. J'entends les interrogations qui se posent, et auxquelles Nicole Bricq a voulu apporter quelques réponses, mais la loi ne peut pas tout régler a priori : c'est en marchant qu'on apprend à marcher, et tel est bien le sens de l'expérimentation, dont je rappelle qu'elle s'étendra sur cinq ans. Pour avoir suivi l'audition des représentants d'ATD Quart Monde, je suis convaincue qu'il faut avancer pas à pas. Si cette expérimentation fonctionne, elle pourra être étendue à d'autres territoires.
M. Gérard Roche. - Le législateur que nous sommes doit garder clairement à l'esprit, quand il entreprend de légiférer sur la question du chômage, qu'il lui faut répondre à trois impératifs : créer des passerelles entre le monde de l'exclusion - car telle est la réalité pour les chômeurs de longue durée - et le monde du travail, qu'un gouffre sépare ; préparer au retour à l'emploi ; créer, surtout, des emplois, car là est bien l'essentiel. Or, sur ce dernier point, les gouvernements successifs ont échoué. D'autres pays s'en sortent mieux que nous, même si, souvent utilisés à des fins politiciennes, les chiffres concernant le chômage de longue durée dans notre pays sont controversés.
Le texte met en évidence les insuffisances de Pôle emploi, dont la mission est pourtant bien d'orienter les demandeurs d'emploi vers des emplois non pourvus.
Ma deuxième remarque porte sur l'intitulé de la proposition de loi. Il laisse entendre que l'on va faire disparaître le chômage de longue durée, au risque de créer de la déception chez les intéressés. Ce titre racoleur me gêne beaucoup. Cela étant, je soutiendrai ce texte qui devrait être modifié.
M. Daniel Chasseing. - Je salue le travail de qualité de notre rapporteure. La bataille de l'emploi se gagnera par les entreprises, comme cela a été rappelé. Il faut diminuer les charges - le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est certes utile, mais surtout pour la trésorerie des entreprises - et modifier le code du travail, sans précariser les salariés. Car ce qui plonge dans la précarité, c'est avant tout le chômage.
N'oublions pas que le Gouvernement a sensiblement diminué, en 2014 et 2015, les aides à l'emploi dans les entreprises adaptées au bénéfice des travailleurs handicapés. Et dans l'économie sociale et solidaire, dont le champ porte essentiellement sur les secteurs peu rentables, les entreprises, qui font de la sous-traitance, sont débordées, mais ne peuvent embaucher faute d'aides publiques à l'embauche.
C'est pourquoi ce texte me paraît intéressant. Tout ce qui peut aider les chômeurs à retrouver un emploi mérite d'être tenté, et j'y suis a priori favorable.
M. Yves Daudigny. - Je suis moi aussi très favorable à ce texte et l'exposé de notre rapporteure n'a fait que renforcer ma conviction. Il repose sur un principe simple : l'argent public est mieux utilisé quand il contribue à un emploi que sous forme d'allocation.
Quelles sont les activités éligibles ? Celles qui sont utiles à la société et, en même temps, non solvables ou seulement en partie, nous a indiqué notre rapporteure. Cela me rappelle les travaux d'utilité collective (TUC), les premiers emplois aidés, dans lesquels je m'étais largement impliqué, et qui mettaient le même principe en avant. S'il ne peut que susciter l'adhésion, sa mise en oeuvre est éminemment délicate. Car comment définir si un besoin est ou non solvable et s'il y a ou non concurrence avec le secteur marchand ? Prenons l'exemple de l'entretien des chemins ruraux. Les entreprises peuvent le faire, mais personne n'est prêt à payer. Faut-il considérer que c'est un secteur éligible ?
Les territoires qui comptent le plus grand nombre de demandeurs d'emplois sont généralement ceux qui sont le plus en difficulté et disposent de moins de moyens. Or, paradoxalement, plus un territoire est en situation précaire, plus il est fait appel à ses propres ressources, pour développer son attractivité économique - je pense, par exemple, au déploiement du haut débit - et pour apporter une réponse sociale à ses difficultés, puisque la solidarité entre territoires ne joue pas.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je découvre ce texte sur lequel l'excellent exposé de notre rapporteure m'a largement éclairé.
Je rejoins Gérard Roche qui estime l'intitulé un peu racoleur. Je crains que l'on ne jette de la poudre aux yeux des chômeurs, en leur laissant croire que l'on va faire disparaître le chômage de longue durée. Soyons modestes ; soyons honnêtes. Essayons, pour commencer, de faire fonctionner l'expérimentation.
Notre rapporteure nous dit que ce texte repose sur un nouveau paradigme. Mais comme vient de le souligner Yves Daudigny, on a déjà expérimenté, depuis 25 ou 30 ans, des dispositifs qui visaient le même objectif : offrir à des demandeurs d'emploi de longue durée des emplois partiellement solvables dans des entreprises d'insertion qui n'entrent pas dans le champ de la concurrence. Je rappelle qu'il n'est pas toujours facile de les faire exister, car la concurrence avec le secteur marchand peut être sévère.
Je n'en suis pas moins convaincu qu'il faut continuer à expérimenter. Je m'interroge sur le nombre de collectivités ou intercommunalités éligibles : se limiter à dix sites, pour 500 CDI, me paraît trop limité pour mener une expérimentation valable. D'autant qu'en dehors des 10 millions d'euros supplémentaires que l'Etat mettra à disposition, ce sont des financements déjà existants qui vont être mobilisés.
Qui assurera, en deuxième lieu, le suivi ? En le confiant à Pôle emploi, on oublie l'existence des plans locaux pour l'insertion et l'emploi (Plie), souvent pilotés par des maisons de l'emploi et de la formation, qui doivent être associés à l'expérimentation. Comme je l'avais fait remarquer au directeur général de Pôle emploi, il est regrettable de s'engager dans l'accompagnement des personnes en chômage de longue durée en se plaçant en concurrence avec ces Plie qui sont financés par des fonds européens.
Prévoir une durée d'expérimentation de cinq ans, enfin, même si des étapes intermédiaires sont prévues, me paraît long. Ne serait-il possible de prévoir une évaluation à trois ans, pour une généralisation, en cas de succès, à moins longue échéance ?
M. Dominique Watrin. - Comme l'a dit Annie David, on ne peut que partager l'objectif d'activation des dépenses de chômage pour rendre emploi et dignité à des hommes et des femmes qui, dans une région comme celle où j'habite, sont nombreux à subir un chômage de longue durée.
Mais ainsi que l'a souligné Jean-Marie Vanlerenberghe, le périmètre retenu est modeste : 500 personnes seulement seraient éligibles à cette expérimentation alors que 2 à 3 millions sont potentiellement concernées.
J'insiste sur la formation. Sans un réel effort en ce sens, créer un nouveau dispositif aboutira, à l'instar des autres formes de contrats aidés, à un faible taux d'insertion dans la vie active. Je rappelle que la moitié de notre différentiel de croissance avec les Etats-Unis vient d'une moindre qualification et que 61 % des chômeurs ont un niveau d'études inférieur au bac. L'effort à entreprendre est énorme : profitons de ce texte pour la rendre obligatoire - ce qui n'est pas le cas en l'état.
Une remarque, pour finir, sur les conditions de rupture du contrat, qui me laissent perplexe. Une rupture pourra intervenir en fin d'expérimentation - c'est un peu sévère pour les intéressés - ou à l'initiative de l'entreprise, les droits reconnus étant alors ceux du licenciement économique, présumé d'office, ce qui me paraît moins protecteur qu'un licenciement collectif. Il n'y a pas de raison que ces salariés ne bénéficient pas de la protection de droit commun, tant en termes de salaire que de droits.
Le troisième alinéa de l'article 4 m'inquiète particulièrement. Il dispose qu'en cas de rupture du contrat à l'initiative du salarié avant la fin de l'expérimentation, soit pour exercer un emploi en contrat de travail à durée déterminée d'au moins six mois ou en contrat de travail à durée indéterminée, soit pour suivre une action de formation qualifiante, celui-ci conserve ses droits à l'assurance chômage. Ce qui signifie, a contrario, que ceux qui ne sont pas dans ce cas de figure les perdraient. J'estime que cette rédaction doit être revue.
Mme Patricia Schillinger. - Je m'interroge sur les activités éligibles. Les besoins existants dans les services techniques des collectivités territoriales en font-ils partie, étant entendu que bien des possibilités de formation y sont attachées ? Sera-t-il tenu compte, dans les financements, des bassins de vie à l'échelle de la région ? Sachant que ma région ne comptera pas moins de dix départements, je me demande comment elle pourrait s'impliquer dans l'expérimentation. Pourra-t-on, à terme, prendre en compte les partenariats transfrontaliers tels qu'il en existe dans ma région ? C'est une piste que je suggère pour l'avenir.
M. Michel Vergoz. - Les outre-mer sont d'autant plus concernés par ce texte que le chômage y est un fléau : 60 % des moins de 25 ans, à La Réunion, sont au chômage. C'est une bombe à retardement. Et cela ne date pas d'hier. Quelle que soit la couleur politique du gouvernement, on en reste, depuis des décennies, à l'incantation.
L'intitulé de cette proposition de loi peut paraître un peu provocateur, mais je remercie ses auteurs de ce choix, car c'est manifester clairement la volonté de dire non au fatalisme. « Contre le chômage, tout a été essayé » disait le grand homme, mais refuser de se résigner face à ce fléau est éminemment louable.
« Le social, c'est l'assistanat » : croyez bien que nous avons, outre-mer, été profondément humiliés par les discours de cette nature. Mais s'il est en revanche une chose qui peut nous rassembler, quelles que soient nos sensibilités politiques, c'est le principe de l'activation des dépenses passives liées au chômage. Comme maire d'une petite ville, je peux témoigner que jamais je n'ai reçu un de mes concitoyens au chômage se satisfaire de se voir proposer une allocation plutôt qu'un emploi. Tant que nous n'aurons pas admis que notre économie ne peut marcher que sur deux jambes, on ne résoudra pas le problème. Le secteur maître, c'est à dire l'économie marchande, ne créera jamais que les emplois que le marché lui permettra de créer. C'est bien pourquoi il faut aussi s'appuyer sur l'économie sociale et solidaire, sans opposer l'un à l'autre. Si l'on craint sans cesse que son développement ne fasse de l'ombre au secteur marchand, on n'arrivera à rien. Si l'on veut être vraiment efficace contre le chômage, il faut à tout prix lutter contre cette suspicion.
Mme Pascale Gruny. - Comme d'autres, j'estime que l'intitulé de ce texte est présomptueux. Lutter contre le chômage de longue durée n'est pas prétendre qu'on va le faire disparaître. Je suis favorable à l'initiative, qui me semble d'autant plus louable que les décisions partent trop souvent de Paris pour descendre vers le terrain, où elles sont souvent difficilement applicables. Et les semaines qui viennent de s'écouler ont montré ce qu'il en coûte de s'éloigner du terrain. Ce texte retient une logique inverse : expérimenter un dispositif conçu à partir du terrain, pour pouvoir l'appliquer ensuite plus largement.
Faut-il privilégier le secteur marchand ? Le principal, pour moi, est de remettre les chômeurs dans l'emploi, ou dans une forme d'emploi, et de ne pas laisser les personnes chez elles, car il leur devient ensuite très difficile de se réadapter à l'emploi. J'insiste également sur la nécessité d'une formation adaptée répondant aux besoins, variables, des bassins d'emploi.
Il est vrai que la rupture conventionnelle peut intervenir à l'initiative de l'employeur ou du salarié. Ses raisons peuvent être personnelles, mais aussi d'une autre nature, il faut y être attentif.
M. Jean-Louis Tourenne. - Comme chacun l'a reconnu, l'originalité de ce texte tient au souci d'une bonne utilisation de l'argent public, mais surtout, à la volonté de mobiliser tous les acteurs d'un territoire. La phase expérimentale sera financée par l'Etat, mais il serait sage de prévoir qu'au-delà, les collectivités territoriales y participeront, grâce aux économies réalisées, sur le RSA notamment.
Une durée expérimentale de cinq ans est-elle trop longue ? Je ne suis pas sûr qu'une évaluation à plus courte échéance soit d'un grand intérêt, car en matière d'intégration dans l'emploi, les évaluations à deux ou trois ans restent très approximatives, et tendent à embellir prématurément le tableau car ceux qui sont en formation, en CDD, voire en maladie sont considérés comme ayant trouvé une solution de sortie, ce qui est loin d'être le cas pour beaucoup.
Les emplois, arguent certains, seront difficiles à définir puisqu'il s'agit de répondre à des besoins qui ne sont pas encore exprimés ou ne sont pas satisfaits par le secteur marchand. Mais nous avons l'expérience des emplois-jeunes, guidés par la même philosophie. Or, ils ont été, pour la plupart, pérennisés, et les besoins auxquels ils répondaient satisfaits. Il n'y a donc pas lieu d'avoir des inquiétudes sur ce point.
J'insiste cependant sur la nécessité d'adjoindre deux compléments à ce texte. En premier lieu, il faut mettre l'accent sur la formation, et profiter de l'opportunité offerte à ceux qui bénéficieront du dispositif pour leur donner tous les moyens d'assurer au mieux leur avenir. Mais j'irai plus loin encore. Puisqu'il s'agit d'un projet de territoire, appelé à mobiliser tous les acteurs, il faut être capable d'anticiper les emplois à venir, en assurant une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, tant dans le secteur marchand que non marchand, afin d'offrir à ces personnels une formation ciblée.
L'intitulé de cette proposition de loi serait, aux yeux de certains, racoleur. J'estime ce qualificatif excessif, et tout ce qui est excessif est dérisoire. Ce titre est voulu par ATD Quart Monde, il n'y a là aucune récupération politique. J'ajoute qu'il est de bonne coutume qu'une loi définisse par son titre ses objectifs et ses ambitions, et cela ne me choque pas que l'on témoigne d'une volonté farouche d'aller vers zéro chômage de longue durée. Si tout le monde est mobilisé, il n'y a pas de raison qu'on n'y arrive pas.
M. Jean-Marc Gabouty. - Je suis favorable à une expérimentation car l'on n'a pas trouvé de solution miracle pour réduire le chômage de longue durée - et de moins longue durée. Mais il ne faut pas se bercer d'illusion et tromper ceux qui se trouvent dans cette situation en leur laissant croire qu'on tient la panacée. Je ne dirai pas que ce titre est racoleur, mais qu'il manque de crédibilité.
Améliorer la passerelle entre les chômeurs et l'emploi, fort bien, mais ce qui compte, c'est ce qu'il y a au bout de la passerelle. Il ne sert à rien d'aménager un chemin qui ne mène nulle part, en l'absence de capacité d'intégration.
Il ne s'agit pas d'opposer l'économie sociale et solidaire à l'économie marchande, mais je rappelle que les entreprises d'insertion trouvent des débouchés soit auprès du secteur public, et notamment auprès des collectivités, soit en sous-traitance, pour le secteur marchand. Autrement dit, l'économie sociale et solidaire est financée soit par le secteur marchand, qui manque de croissance, soit par le secteur public, dont les capacités de financement reculent. Au niveau de l'expérimentation, cela ne posera pas de problème, mais le but d'une expérimentation est de mesurer si elle est généralisable. Or, je crains qu'en cas de généralisation on se heurte à quelques difficultés.
Une remarque, enfin, qui touche à l'humain. Que pensera un demandeur d'emploi qui a six ou neuf mois de chômage derrière lui en constatant qu'il n'est pas éligible à ce dispositif ? Ne vaudrait-il pas mieux y faire entrer ceux qui sont au chômage depuis plus de six mois, avant de laisser leur situation se dégrader, au risque de rendre plus difficile encore leur retour vers l'emploi ? S'en tenir à ceux qui sont plus loin encore derrière ce peloton, c'est un peu faire de ce texte une voiture balai, et cela ne me satisfait pas totalement. J'ajoute, à l'instar de mes collègues, qu'il faut intégrer un volet formation au dispositif.
Mme Hermeline Malherbe. - Je suis d'autant plus favorable à cette proposition de loi que le département dont je viens souffre d'un taux de chômage parmi les plus élevés de France. La garantie jeune, mise en place il y a quelque temps sous forme d'expérimentation, porte ses fruits : le taux de chômage des jeunes a sensiblement reculé dans mon département. Mettre tous les acteurs autour de la table est une bonne chose. J'adhère à la majorité des interventions de nos collègues. Oui, il ne faut pas négliger la formation ni opposer secteur marchand et économie sociale et solidaire. Quant à l'intitulé de ce texte, je le qualifierais plutôt d'ambitieux que de présomptueux, mais je m'inquiète des réactions de frustration ou de désespoir auxquelles il pourrait donner lieu si le résultat n'était pas à la hauteur de cette ambition. Le retour de bâton serait terrible. Il faut certes viser l'idéal mais comprendre que sur le terrain, on donne trop souvent le sentiment que c'est le souci de communication qui hélas prévaut.
Mme Catherine Génisson. - Merci à notre rapporteure pour l'excellence et le sérieux de son rapport. Comme l'ont souligné Evelyne Yonnet et Michel Vergoz, l'expérimentation doit avoir lieu et en milieu rural et en milieu urbain - où elle ne sera pas simple à conduire - et bien évidemment dans les départements d'outre-mer.
Il est certain, ainsi que l'a mentionné Jean-Marc Gabouty, que plus le chômage est long, plus il est destructeur. Ce dispositif est fait pour les chômeurs de longue durée. Respectons cette cible. En l'élargissant à ceux qui sont au chômage depuis plus de six mois, on risque d'évincer ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi.
M. Georges Labazée. - Quels sont les obstacles qui empêchent l'Unédic de participer, à travers la réallocation de l'ARE, au financement de ce dispositif ?
M. Alain Milon, président. - Toute expérimentation mérite, comme chacun l'a souligné, d'être tentée. Mais n'oublions pas que celle-ci ne sera pas la première en matière d'emploi, et que l'on a déjà connu des échecs. Pour moi, la meilleure façon de créer de l'emploi est de réduire les charges salariales et de modifier le code du travail.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure. - Il est vrai, comme le relève notre président, que c'est le secteur marchand qui doit créer l'emploi, mais sur les territoires que visent cette expérimentation, il y a des travailleurs privés d'emploi qui ne relèvent pas nécessairement du domaine de l'insertion et seraient en mesure de trouver rapidement un emploi classique : s'ils ne le trouvent pas, c'est parce que l'emploi, dans ces anciens bassins industriels, a disparu. Les entreprises industrielles ont fermé, et ceux qui y travaillaient depuis trente ou quarante ans se retrouvent au chômage. C'est ce qui est à l'origine de notre réflexion. Il s'agit de recenser, sur ces territoires, des emplois nouveaux qui sont pour l'heure peu solvables. Ce peut être des emplois atypiques, relevant du secteur marchand, du secteur public, ou à cheval sur les deux. Il peut s'agir de services aux personnes, de services de transport en complément du ramassage scolaire, ou de toute autre activité répondant à un besoin qui ne donnerait pas spontanément lieu à création d'emploi. L'intérêt de ces initiatives est de mettre tout le monde autour de la table - entreprises, collectivités, acteurs locaux et chômeurs - pour travailler ensemble à mettre en cohérence les besoins d'utilité sociale identifiés sur le territoire et les besoins et compétences des chômeurs de longue durée. C'est ce qui fait l'originalité de ce texte.
L'ARE n'est pas versée par l'Etat mais par l'assurance chômage. Pour que l'allocation qui était perçue par les chômeurs de longue durée qui auraient intégré le dispositif soit reversée au fonds, il faut une décision des partenaires sociaux, qui seront saisis une fois la loi votée.
Les dix territoires expérimentaux retenus seront choisis sur la base d'un appel à projets lancé par le fonds national. Les cinq territoires déjà engagés dans une telle expérimentation, s'ils se portent candidats, ont sans doute un peu plus de chance que les autres d'être retenus, mais rien n'est joué d'avance. On peut considérer que c'est peu, mais ce n'est pas rien que de mettre sur pied une telle expérimentation. La ministre s'est engagée à ce que soient retenus un territoire ultramarin et un territoire urbain. C'est un appel, pour ces territoires, à se porter candidat, puisque tout est fondé sur le volontariat.
J'en viens aux interrogations sur le financement. Je tiens à rassurer Michel Forissier : il n'y aura pas, pour les territoires, de charges nouvelles, puisque le principe même du projet est de réallouer des charges existantes. L'allocation que percevaient les chômeurs de longue durée sera reversée, dès lors qu'ils entreront dans le dispositif, au fonds national. Le seul besoin nouveau est d'amorçage : l'Etat s'en chargera en versant au fonds, ainsi que l'a annoncé la ministre à l'Assemblée nationale, 10 millions d'euros, ce qui suffira largement sachant que l'expérimentation ne portera, à terme, que sur 2 000 à 3 000 CDI et que le dispositif ne montera que progressivement en puissance.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué les maisons de l'emploi. Si elles ne font pas partie des membres du conseil d'administration du fonds national, c'est qu'il n'en existe pas dans tous les territoires. En revanche, elles seront pleinement associées, partout où elles existent, aux comités locaux. Le conseil d'administration a pris du volume au cours des débats à l'Assemblée nationale, et j'espère que le Sénat aura la sagesse de ne pas en rajouter, au risque d'entraver son fonctionnement.
Quelle articulation avec l'insertion par l'activité économique ? Ce dispositif vise les chômeurs de longue durée. On peut discuter sur le seuil de douze mois d'inscription à Pôle emploi, mais je précise qu'il vient du travail mené sur le terrain. Cela permet de viser des demandeurs d'emplois immédiatement employables, sans fermer la porte à ceux qui sont au chômage depuis plus longtemps.
Pour répondre à Jean Desessard, le texte vise les chômeurs de plus de douze mois « involontairement privés d'emploi ». Les restrictions que j'ai indiquées ne font que traduire cette rédaction, qui signifie que ceux qui ont démissionné de leur emploi ou ont signé une rupture conventionnelle ne sont pas éligibles. Cela ne signifie pas que l'on ne puisse pas l'amender. Nous savons ce qu'il en est de la rupture conventionnelle, qui se substitue bien souvent à un licenciement économique. Pour moi, ce qui est important, c'est de conserver de la souplesse, sans verrouiller ni cadrer à l'excès l'expérimentation, au risque de perdre en efficacité.
Nous partageons tous la volonté de faire disparaître le chômage de longue durée, mais n'allons pas faire croire que cette seule expérimentation y suffira, au risque de créer des frustrations. Cet intitulé s'inspire des termes qu'avait à l'origine retenus ATD Quart Monde, qui évoquait une expérimentation visant à créer des territoires « zéro chômage de longue durée ». Cette formulation reflétait bien l'idée que, grâce au volontariat de tous les acteurs, on cherchait à parvenir, sur un territoire bien circonscrit, à résorber le chômage de longue durée.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
Nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie - Désignation des candidats appelés à faire partie de la commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Alain Milon, Gérard Dériot, François Pillet, Jean-Pierre Godefroy, Georges Labazée, Mmes Françoise Gatel et Annie David comme membres titulaires, et de M. Michel Amiel, Mmes Chantal Deseyne, Catherine Génisson, Brigitte Micouleau, Patricia Morhet-Richaud, Stéphanie Riocreux et M. Gérard Roche comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie.
Protection de l'enfant - Désignation des candidats appelés à faire partie de la commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Alain Milon, Jean-Noël Cardoux, François Pillet, Mmes Claire-Lise Campion, Michelle Meunier, Elisabeth Doineau et Laurence Cohen comme membres titulaires, et de M. Olivier Cigolotti, Mmes Corinne Féret, Corinne Imbert, Hermeline Malherbe, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller et Jean-Louis Tourenne comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant.
La réunion est levée à 11 h 12.