- Mardi 13 octobre 2015
- Mercredi 14 octobre 2015
- Loi de finances pour 2016 - Crédits du SGDSN - Audition de M. Louis Gautier, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), et de M. Guillaume Poupard, directeur général de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)
- Accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la Géorgie, d'autre part - Examen du rapport et du texte de la commission
- Questions diverses
- Loi de finances pour 2016 - Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
Mardi 13 octobre 2015
- Co-Présidence de MM. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense, Philippe Bas, président de la commission des lois et Bruno Retailleau, président du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens d'Orient et les minorités au Moyen-Orient -La réunion est ouverte à 16 h 32
Situation des réfugiés syriens et irakiens - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Nous remercions M. Cazeneuve de venir rencontrer les commissions des lois et des affaires étrangères et le groupe de liaison et de réflexion sur les chrétiens d'Orient et les minorités au Moyen-Orient.
Nous avons rencontré il y a environ un mois M. Fabius mais la situation a depuis évolué. Une importante réunion se tiendra à Paris, le 20 octobre, sur le dossier des réfugiés, entre les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne. Ce dossier est d'une grande sensibilité, puisque le conseil « Justice et affaires intérieures » du 22 septembre a adopté, à la majorité qualifiée, un dispositif de relocalisation qui, au total, bénéficiera à 160 000 réfugiés. Mais l'Union européenne est divisée, fragile : la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie ont voté contre ces mesures.
Le 23 septembre, le Conseil européen a décidé de mobiliser un milliard d'euros supplémentaires en faveur des agences de l'ONU qui viennent en aide aux réfugiés dans les pays voisins de la Syrie. La prise de conscience est là, mais la situation est fragile et l'espace Schengen est soumis à de fortes pressions ; sa vocation est mise en question.
Enfin, au plan français, aurons-nous la capacité matérielle et financière pour assumer le plan de relocalisation européen, qui nous conduira à accueillir 30 000 réfugiés supplémentaires d'ici deux ans ? Il faudra aider les collectivités, et lutter contre l'immigration irrégulière. Le sujet est très sensible dans notre pays. Un esprit de cohésion nationale s'impose. Nous devons respecter nos valeurs morales séculaires tout en organisant concrètement l'accueil de ces réfugiés dans une conjoncture économique et sociale tendue. Comment préparez-vous la réunion du 20 octobre ? Quels repères pouvez-vous nous donner sur une politique que nous mesurons très sensible ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - La commission des lois est très heureuse que vous ayez pris l'initiative de l'associer à cette audition, Monsieur Raffarin. Nous avons entendu il y a quinze jours M. Cazeneuve, sur le projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration qui vient d'être adopté par le Sénat, mais aussi sur la mise en place du dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés. Cette nouvelle rencontre permettra de voir comment les choses ont évolué ces quinze derniers jours. D'autant que nous sommes à la veille du conseil européen.
M. Bruno Retailleau, président du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens d'Orient et les minorités au Moyen-Orient. - La question des chrétiens d'Orient et des minorités nous a mobilisés au-delà de nos appartenances partisanes. Dans l'histoire du Sénat, ce groupe est un de ceux qui a réuni le plus d'adhérents, le plus rapidement. Nous nous sommes tous sentis concernés. La France, au fil des siècles, sous tous les régimes et sous tous les gouvernements, a en effet noué des liens étroits avec les chrétiens d'Orient et les minorités du Moyen-Orient.
Cette question a une dimension internationale, européenne et nationale. Les causes sont internationales : tant que le problème ne sera pas réglé en Syrie, en Irak et en Libye, la pression restera forte. Pour m'être rendu très tôt dans ces pays, je considère Daesh comme l'ennemi numéro un. Il s'agit du troisième totalitarisme ; tant qu'il ne sera pas éradiqué, le risque terroriste demeurera et l'afflux de réfugiés perdurera.
La dimension européenne est indéniable, avec Schengen qui montre ses limites et la mise en place des « hot spots ». Au niveau national, disposez-vous de données chiffrées en matière de visas ? Vous avez indiqué que les communes bénéficieraient de 1 000 euros par hébergement. Quelles sont les demandes en la matière, quelles sont les procédures ?
Avec l'accord du Président Larcher, nous allons dégager des fonds sur la dotation d'action parlementaire (DAP) pour financer une oeuvre qui vient en aide aux persécutés du Proche-Orient.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient, comme à vous, particulièrement à coeur : la situation des chrétiens d'Orient et des autres minorités religieuses persécutées en Irak et en Syrie.
Durant ces deux derniers siècles, la place occupée par ces minorités au sein des sociétés du Proche-Orient n'a cessé de se restreindre. Les chrétiens d'Orient représentaient encore 20 % de la population de l'Empire Ottoman au début du XXème siècle. Le génocide arménien, les persécutions, la volonté aussi de trouver une vie meilleure en Amérique ou en Europe, ont suscité des vagues d'immigration successives. Pourtant, même diminuées, de nombreuses communautés sont demeurées vaillantes, vibrantes, attachées à demeurer sur le sol où elles étaient fixées, souvent depuis les premiers temps du christianisme.
Depuis 2003, la guerre civile en Irak, puis en Syrie a frappé durement les fidèles des églises chrétiennes orientales. En Irak, les chrétiens étaient encore 1,5 million en 1987, date du dernier recensement. Leur nombre s'établirait aujourd'hui entre 250 et 300 000 personnes. En Syrie, ils représentaient 5 % de la population avant le début de la guerre civile, qui a provoqué la mort d'au moins 240 000 personnes (selon les estimations les plus basses), à quoi il faut ajouter 4 millions de réfugiés et 7,6 millions de déplacés à l'intérieur même du pays. Il est difficile de savoir la part exacte des chrétiens parmi eux. Le régime baasiste s'est toujours indûment présenté comme leur protecteur, bien que le nombre de chrétiens ait diminué de moitié en Syrie sous le régime de Hafez el-Assad. Il est certain qu'aujourd'hui les projets de départ se multiplient au sein de la communauté chrétienne syrienne, qu'ils résultent d'une volonté de fuir la guerre lancée par Assad contre son propre peuple ou de la crainte que suscitent les avancées de l'État islamique. Les minorités chrétiennes sont en effet parmi les premières victimes du projet totalitaire que Daesh impose aux territoires qu'il contrôle, et qui comporte toujours une dimension d'épuration religieuse. Aux chrétiens, les djihadistes ne laissent le choix, en Irak comme en Syrie, qu'entre la conversion, la soumission - qui implique d'accepter un statut de deuxième ordre et de s'acquitter d'un impôt supplémentaire - l'exil ou la mort. Ceux qui résistent subissent des persécutions et des atrocités. Bien des chrétiens de Syrie et d'Irak n'ont pas accepté de se soumettre à un tel chantage. À Mossoul, à l'été 2014, après que les maisons des chrétiens ont été marquées par les djihadistes, ils ont dû se résoudre à fuir, rançonnés, dépouillés de leurs maigres biens, soumis à diverses violences, avant de trouver refuge, pour les plus chanceux d'entre eux, au Kurdistan irakien. Quant aux Yézidis, cette communauté qui compte 100 à 250 000 personnes en Irak, et 15 000 en Syrie, pratiquant l'une des plus vieilles religions du monde, ils sont considérés comme païens par Daesh, qui les réduits en esclavage et leur fait subir un effroyable martyre.
Face à de telles persécutions, c'est donc toute cette partie du Moyen-Orient qui se vide aujourd'hui d'une population fermement attachée à sa foi, à sa culture, à ses traditions et à cette terre où reposent ses ancêtres. En décembre 2014, pour la première fois sans doute depuis seize siècles, la messe de Noël n'a pas été célébrée à Mossoul. Nul ne peut demeurer insensible au sort tragique des chrétiens d'Orient, et nous moins que quiconque. L'histoire permet de comprendre les liens particulièrement forts qui unissent notre pays aux communautés chrétiennes, comme ils nous lient aux peuples d'Irak et de Syrie. Une histoire longue, qui aujourd'hui nous oblige.
Je ne m'étendrai pas sur les initiatives diplomatiques prises par notre pays pour mobiliser la communauté internationale et l'amener à réagir face au drame que subissent les chrétiens d'Orient et les autres minorités persécutées en Syrie et en Irak. Le ministre des affaires étrangères est venu vous présenter cette action, le 9 septembre dernier, au lendemain de la Conférence de Paris qui a vu l'adoption d'un plan d'action en trois volets : l'accompagnement humanitaire, pour le retour des déplacés ; la lutte contre l'impunité des terroristes de Daesh ; enfin, la promotion d'un cadre politique nécessaire au retour durable de ces populations dans un environnement national pacifié. Dans l'attente d'une telle pacification, il est de la responsabilité de notre pays d'assurer à ces femmes et à ces hommes fuyant les persécutions accueil et protection sur notre territoire.
Les minorités religieuses persécutées relèvent pleinement du droit d'asile, tel que défini par la Convention de Genève de 1951. En outre, le Gouvernement fait jouer à leur profit un mécanisme de solidarité exceptionnel, la délivrance de visa pour asile. Le dispositif français de l'asile, dont les chrétiens de Syrie et d'Irak peuvent bénéficier au même titre que toute autre minorité ou toute personne victime de persécutions, s'adresse indistinctement à tout demandeur d'asile, quelle que soit la nature de la persécution dont il fait l'objet. Il serait en effet contraire à la Convention de Genève de faire un distinguo entre les demandeurs. Pourtant, peu de Syriens, et moins encore d'Irakiens, toutes confessions confondues, se sont tournés vers la France pour déposer une demande d'asile. Il y a deux ans, la Syrie ne venait encore qu'en septième position parmi les pays d'origine des demandeurs d'asile, très loin derrière l'Albanie et le Kosovo. Et aujourd'hui, les réfugiés syriens qui parviennent en Europe s'efforcent par priorité de gagner l'Allemagne ou la Scandinavie. Une telle situation s'explique par une série de facteurs, au nombre desquels figurent la barrière de la langue et la relative modestie des communautés syriennes et irakiennes déjà installées sur notre sol. En outre, il faut prendre en compte le travail abject des organisations internationales de la traite des êtres humains et des passeurs, qui orientent les réfugiés vers des pays depuis longtemps perçus comme des eldorados, afin de prélever des sommes très importantes sur ceux qui veulent rejoindre l'Europe.
Cette situation s'explique aussi, il faut bien le reconnaître, par la mauvaise réputation dont pâtit à l'étranger le système de l'asile français : lenteur des procédures, incapacité à proposer des solutions d'hébergement convenables, absence de véritable parcours d'intégration... J'ai proposé des solutions pour remédier à cette situation. Le système d'asile en France est victime d'embolie, les places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) sont en nombre insuffisant tandis que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) souffrent d'un sous-effectif chronique. Notre dispositif d'asile a dû être revu à la hausse.
Les réfugiés syriens et irakiens, chrétiens ou non, sont souvent issus de la classe moyenne - je l'ai encore récemment constaté - et ils ont une conception de la famille très affirmée. Ils aspirent à exercer rapidement un emploi, à donner un toit à leurs enfants et à les scolariser.
Une première étape, indispensable, était de mettre en place un dispositif aux meilleurs standards européens ; ce fut l'objet de la loi adoptée le 29 juillet et de la création de 18 500 places supplémentaires en Cada. Le ministère du logement consent un effort comparable pour que ceux qui obtiennent le statut de réfugié accèdent à un logement autonome. Un deuxième préalable résidait dans l'adoption d'un mécanisme européen répartissant solidairement les demandeurs d'asile, parmi lesquels les chrétiens d'Orient. La France, en lien avec l'Allemagne, a joué un rôle moteur pour parvenir à l'accord du 22 septembre, au conseil « Justice et affaires intérieures », sur la répartition de 120 000 personnes supplémentaires, après l'accord de juillet sur la relocalisation de 40 000 personnes. Tous les États membres doivent prendre part au processus. L'Europe a montré qu'elle savait prendre ses responsabilités. Nous voulions une décision qui repose sur un équilibre entre humanité, générosité, responsabilité et fermeté. L'accueil des réfugiés ne sera soutenable, en effet, que si nous assurons un contrôle efficace et puissant aux frontières extérieures de l'Union européenne.
La France prendra donc toute sa part à la solidarité européenne en acceptant au total 30 752 personnes supplémentaires : 6 752 au titre de la première décision sur les 40 000 et 24 000 au titre de la décision sur les 120 000. En outre, dans le cadre du programme européen de réinstallation de 20 000 personnes, agréé par le conseil européen de juin, la France accueillera 2 375 personnes déplacées dans les camps situés à proximité des zones de conflits, au Liban, en Jordanie, en Turquie. Ces personnes viendront s'ajouter à celles que nous avons déjà accepté d'accueillir dans le cadre de notre programme bilatéral de réinstallation avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), soit 500 personnes par an sur deux ans. Je me rendrai en Jordanie et au Liban à la fin du mois pour y examiner la situation.
Les chrétiens de Syrie et d'Irak accèdent à ces dispositifs de droit commun. Ils peuvent également bénéficier de la délivrance d'un visa pour asile, qui est accordé au niveau du consulat à une personne (ou à une famille) afin qu'elle puisse rejoindre notre territoire. La France a réagi dès l'été 2014 aux premières persécutions commises par Daesh en Irak contre les chrétiens et les Yézidis de la région de Mossoul. Elle a mis en place le 28 juillet un accueil spécifique destiné aux personnes, déplacées ou non à l'intérieur de l'Irak, qui se trouvent à titre personnel menacées ou persécutées du fait de leur appartenance à une minorité religieuse. Pour être éligibles, ces personnes doivent soit avoir des membres de leur famille proche en France, soit avoir des liens forts avec la France - y avoir suivi des études, par exemple -, soit se trouver dans une situation de grande vulnérabilité. Depuis octobre 2014, plus de 2 896 Irakiens en Irak ont déjà bénéficié de ce dispositif, après avoir déposé une demande de visa pour asile auprès de nos consulats à Bagdad ou à Erbil, au Kurdistan irakien. Nos postes consulaires sur place ont été renforcés à cette fin.
L'accueil en France de ces demandeurs d'asile fait l'objet d'une coordination particulière confiée à un préfet. Il lui revient de mobiliser les préfectures, l'Ofpra et l'Ofii, ainsi que les associations, afin de leur obtenir rapidement un statut de réfugié, l'ouverture des droits sociaux et l'accès aux dispositifs d'insertion. Plusieurs associations, dont l'OEuvre d'Orient et la Fédération de l'entraide protestante, se sont mobilisées pour participer à cet accueil. Le 23 décembre, j'ai rencontré la communauté syro-chaldéenne de Sarcelles, dans la paroisse de Saint-Thomas l'Apôtre. J'ai été frappé par la solidarité des familles anciennement installées à l'égard de ces réfugiés parvenus en France dans le plus grand dénuement et au terme de terribles épreuves. Je les ai invités quelques mois plus tard au ministère de l'intérieur, où ils ont pu exprimer au président de la République, venu les saluer, la gratitude qu'ils éprouvent à l'égard de notre pays.
Quant aux Syriens, ils sont 2 333 à avoir bénéficié d'un visa pour asile depuis le début du conflit en 2011. Leur accueil en France est organisé dans des conditions identiques à celles des réfugiés irakiens. Il n'est cependant pas possible d'évaluer la part que représentent spécifiquement les chrétiens au sein de cette population.
La France est décidée à poursuivre dans cette voie. Nous devrons accueillir dignement dans un cadre européen les réfugiés syriens et irakiens, soit au titre de la procédure de réinstallation à partir des camps du HCR, soit dans le cadre d'une procédure de relocalisation depuis le pays de première entrée. La création de 5 000 places supplémentaires d'hébergement en début d'année nous permettra de le faire dans de bonnes conditions. À titre subsidiaire, nous devons poursuivre la délivrance de visa pour asile, notamment pour les minorités religieuses persécutées. J'ai demandé à mes services d'examiner, en concertation avec ceux du ministère des affaires étrangères, la façon d'améliorer les conditions de réception des demandeurs d'asile aux consulats d'Erbil, d'Amman et de Beyrouth. Les délais de traitement des dossiers sont en effet souvent trop longs au regard de l'urgence de certaines situations.
Nul ne peut tolérer que des communautés entières soient arrachées à leur pays. Nul ne peut tolérer qu'en raison de leur foi, en l'occurrence chrétienne, des personnes soient discriminées, chassées, expulsées, contraintes de quitter leur vie, d'abandonner leur terre, voire emprisonnées et assassinées. Car, derrière les chiffres que j'ai cités, se sont des vies humaines, des histoires singulières, des visages, des femmes et des hommes, des enfants et des familles tout entières. Derrière ces chiffres, il y a des victimes qu'il faut aider, secourir, protéger. Les persécutions dont sont victimes les chrétiens d'Orient ne constituent pas une question spécifiquement chrétienne, ni même confessionnelle. En réalité, leur sort regarde chaque habitant des régions concernées, car il est un indice clair et révélateur du degré de liberté et de sécurité dont bénéficie tout un pays. Les extrémistes et les obscurantistes auront beau faire, il n'empêche que ces minorités chrétiennes sont constitutives de l'histoire, de l'identité et de l'avenir du Proche et du Moyen-Orient.
Permettez-moi de citer en conclusion les sages paroles de monseigneur Gollnisch, président de l'OEuvre d'Orient. Évoquant ces persécutions, il a déclaré : « Ce ne sont pas des violences de musulmans contre des chrétiens. Ce sont des violences de fondamentalistes face à des gens de bonne volonté. Et parmi ces gens de bonne volonté, il y a des musulmans. Je ne pense pas du tout que la fracture se situe entre musulmans et chrétiens ». Nous devons tenir bon sur ces principes élémentaires d'humanité, de solidarité et de liberté religieuse. En Europe comme en Orient, quelles que soient nos origines, quelles que soient nos convictions et nos croyances, nous sommes tous frères en humanité. Et la France se doit d'être en première ligne dans ce combat.
M. Bruno Retailleau, président. - Plusieurs paroisses recueillent des familles. Y a-t-il une coordination entre l'épiscopat français, les autorités confessionnelles des autres religions et le ministère de l'intérieur, qui est aussi le ministère des cultes ?
M. Jean-Yves Leconte. - Je me suis récemment rendu en Arménie, au Liban et en Jordanie. L'Arménie recueille plus de 15 000 réfugiés arméno-libanais ou arméno-syriens. Poussés par le HCR, de nombreux chrétiens d'Irak se sont rendus en Jordanie mais ils n'y ont pas le droit de travailler. Ils sont parqués, sans avenir, et tentent de quitter ce pays.
Les visas pour asile sont une spécificité française, puisqu'il n'y a pas besoin, pour les demander, de se trouver sur notre sol. Pourtant, aujourd'hui, cette procédure est en panne : sur 10 000 demandes déposées à Amman depuis 2013, il n'y a eu que 1,5 % de réponses positives. Que de frustrations... Je salue donc votre engagement à accélérer le traitement de ces dossiers.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Depuis François Ier, la France s'est donné le devoir moral de protéger les chrétiens. Vous ne savez pas combien, parmi les réfugiés, sont chrétiens ; mais, si vous leur demandiez, ils vous répondraient.
Depuis presque un an, je me démène pour des familles chrétiennes réfugiées en Géorgie. Je n'ai jamais eu de réponse : on m'a renvoyée de l'ambassade à votre ministère, puis à celui des affaires étrangères, pour revenir à l'ambassade qui m'a finalement répondu : « nous ne pouvons rien pour eux dès lors qu'ils se trouvent en Géorgie ». Ils ont finalement été reçus à l'ambassade, mal paraît-il, ce qui m'étonne car l'ambassadeur est une personne remarquable.
Quoi qu'il en soit, les consulats d'Erbil, de Beyrouth et de Bagdad manquent de personnel. Je me suis rendue à Erbil où j'ai rencontré des familles chrétiennes qui attendent beaucoup de la France mais qui n'arrivent pas à obtenir de visas. Leurs dossiers sont bloqués, leurs lettres restent sans réponse ; il n'y a aucune coordination avec les associations de protection des chrétiens. Vous semblez le nier, Monsieur le ministre, mais je répète ce que l'on m'a dit. En outre, il n'y a aucune réponse aux recours formulés et les motifs de refus varient d'une famille à l'autre.
Les chrétiens d'Irak doivent produire une invitation personnelle d'une famille d'accueil pour prétendre entrer sur le territoire national, alors que rien de tel n'est exigé des autres réfugiés, qui peuvent aller en foyer. En Syrie, les demandeurs sont priés de se rendre au consulat de Beyrouth. En outre, le bruit circule -il faudrait le vérifier- que leurs dossiers seraient sous-traités à une organisation privée dont les employés musulmans refuseraient systématiquement d'accorder des visas. Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est ?
M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez reconnu que la France accueillait peu, que notre système était mal organisé et souffrait d'embolie.
Le Président du Sénat devant se rendre prochainement au Liban, je lui ai parlé du problème que pose le consulat de Beyrouth. Ainsi, début octobre, j'ai été avisé d'un dossier instruit une année durant sur une demande de visa. Saisi de cette question, ce consulat m'a affirmé que ce dossier n'avait jamais été déposé. Il se murmure que les services instruiraient les dossiers avec une certaine partialité. Aujourd'hui, il semble qu'il soit assez facile d'obtenir un visa au consulat de Beyrouth moyennant 12 000 euros ; mais des réseaux « low cost » proposent pour 5 à 7 000 euros un passage à destination d'une île grecque ou italienne. De nombreuses familles m'ont demandé si elles devaient attendre un visa ou plutôt envisager de traverser la Méditerranée...
Vous irez prochainement en Jordanie. Une délégation à laquelle j'appartiens fera également le voyage. Le camp d'Azraq, inauguré il y a près d'un an par l'ONU, a une capacité de 120 000 places. Or il n'est occupé, pour l'instant, que par une dizaine de milliers de réfugiés. Ne pourrait-on en faire un hot spot afin d'accueillir dans de bonnes conditions les réfugiés, au contraire de ce qui se passe au Liban et en Turquie ?
Mme Christiane Kammermann. - Je suis du même avis que mon collègue Vial. Impossible d'obtenir le consulat de Beyrouth au téléphone. Les Syriens qui déposent leur demande de visa à Beyrouth doivent retourner en Syrie pour y attendre une réponse, à moins qu'ils n'aient les moyens de rester au Liban. Difficile d'aller en Jordanie en revanche pour déposer sa demande de visa, comme l'évoque M. Vial : le coût du voyage est prohibitif. Nous voudrions pouvoir agir avec le ministère de l'intérieur, dans l'intérêt des réfugiés.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - La plupart des questions ne relèvent pas de mon département ministériel mais des affaires étrangères...
Nous coordonnons notre action avec les représentants de l'Église depuis près d'un mois : dans le cadre du processus de relocalisation des 30 752 réfugiés que nous nous sommes engagés à accueillir, il devra y avoir une parfaite coordination entre l'État, les collectivités territoriales et l'ensemble des associations (dont les associations paroissiales) qui contribuent à mobiliser des moyens d'accueil et des moyens humanitaires.
J'ai nommé un préfet, M. Kléber Arhoul, pour coordonner toutes ces actions et pour assurer l'interface entre les collectivités locales, le milieu associatif, le ministère de l'intérieur et les autres ministères. Il travaille en tandem avec le préfet Jean-Jacques Brot, qui fait un remarquable travail d'accueil des minorités, notamment des chrétiens d'Orient. Ils répondront à toutes les questions que vous leur poserez.
Nous sommes l'un des seuls pays à avoir mis en place des visas pour asile. Cela nous paraissait en effet préférable pour prendre en charge les réfugiés plutôt que de les laisser entre les mains de passeurs dénués de tous scrupules. Ce dispositif s'est progressivement armé. Beaucoup de rumeurs circulent qui ne correspondent pas à la réalité. Ainsi, les demandes de visas ne sont pas sous-traitées, et je vous invite à utiliser tous les moyens du contrôle parlementaire sur l'activité administrative pour le vérifier. Il n'y a pas davantage de partialité dans le traitement des dossiers : tous les échanges avec les consulats sont traçables. Je vous invite donc à rencontrer le préfet Brot pour lui soumettre toutes vos questions. Mon administration est à votre entière disposition pour lever les doutes qui pourraient subsister sur les relations de mon ministère avec les consulats, sur le rôle joué par les associations, sur les visas pour asile.
En revanche, il faudra évaluer et renforcer les moyens dont disposent les consulats pour faire face à l'afflux des demandes. M. Fabius et moi-même traitons ce problème.
M. Gilbert Roger. - Quelles sont les capacités d'accueil des communes qui se sont portées volontaires et rencontrez-vous des difficultés dans la réquisition d'immeubles ? Dans mon département, certains maires en appellent aux tribunaux administratifs pour empêcher le préfet et le président du conseil départemental d'utiliser des bâtiments vacants pour accueillir les réfugiés.
Comment s'organise l'intégration professionnelle des réfugiés ? Des médias mal intentionnés s'indignent de voir des réfugiés « oisifs, payés par l'État ». Ce matin, un article du journal Aujourd'hui en France développait ce thème.
À quelle date l'Ofpra va-t-il se rendre au Liban et en Jordanie pour rencontrer les 400 réfugiés considérés comme très vulnérables ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Sur quels critères et comment sera organisée la répartition des réfugiés sur le territoire national ? Récemment, le préfet coordinateur participait dans cette salle à une réunion organisée par la délégation aux collectivités territoriales en présence des grandes associations représentatives d'élus. Il nous a dit que la bonne volonté ne serait pas le seul paramètre...
Nous espérons que l'appartenance confessionnelle des réfugiés ne sera pas un paramètre discriminant : les chrétiens d'Orient ne représentent pas à eux seuls tous les réfugiés.
Vous avez fait référence aux camps de réfugiés situés à proximité des zones de conflit en Jordanie, en Iran, en Turquie, au Liban. Ces camps risquent de perdurer alors que les conditions de vie y sont très difficiles. L'agence Expertise France, née d'un rapport sénatorial, s'intéresse aux conditions de vie dans ces camps et s'apprête à y faire un travail remarquable, par exemple en y installant des boulangeries. Or, Expertise France a vocation à terme à s'autofinancer... et ces actions ne rapporteront pas d'argent. Ne faudrait-il pas continuer à verser au budget de cette agence une dotation d'équilibre ?
Mme Michelle Demessine. - Je témoigne de la disponibilité du préfet Kleber Arhoul que j'ai rencontré la semaine dernière.
Je souhaite vous interroger, Monsieur le ministre, sur la jungle de Calais. Mauvaise nouvelle : Emmaüs a quitté le site. La situation est catastrophique. Regardez sur Facebook les vues aériennes de cette zone : c'est impressionnant. La situation humanitaire y est dégradée et je sais que vous avez prévu de dépêcher une mission d'évaluation sanitaire pour y estimer les besoins. Les associations attendent des décisions rapides ; certaines estiment que notre pays va beaucoup plus vite lorsqu'il s'agit d'installer un hôpital de campagne dans une zone de conflit.
Combien de personnes parviennent-elles à passer de l'autre côté de la Manche ? S'il y a un tel acharnement de la part de ces migrants à tenter leur chance, c'est que certains, et peut-être beaucoup, arrivent tout de même à traverser. Comment faire pour débloquer l'attitude des Britanniques ?
M. Bernard Cazeau. - J'appelle votre attention, Monsieur le ministre, sur l'importance de la coordination administrative dans l'intégration des réfugiés diplômés. En Dordogne est accueillie une famille de Syriens : la mère est institutrice et le père neurochirurgien. Celui-ci souhaite s'implanter dans un centre hospitalier universitaire pour travailler et nous faire profiter de son expérience. Ayant beaucoup de mal à être recruté à Bordeaux ou Toulouse, il a seulement trouvé un poste à 300 kilomètres du lieu où réside sa famille, dans un hôpital plus secondaire. Les réfugiés doivent pouvoir continuer à exercer leur profession.
M. André Trillard. - Tant qu'ils n'ont pas obtenu de titre de séjour, les réfugiés ont des raisons objectives de demeurer en Île-de-France, non loin de Fontenay-sous-Bois ou de Montreuil. Les services de l'Ofpra sont-ils renforcés ? J'ai participé hier à une réunion sur ce sujet avec le corps préfectoral, dans ma région des Pays de la Loire. On m'a opposé le devoir de réserve. Ne peut-on l'aménager pour que les maires aient accès à l'information ?
M. Christian Cambon. - La situation est difficile pour les nombreuses communes d'Île-de-France, du Nord et de l'Est, qui ont déjà accueilli, par le passé, un grand nombre de réfugiés. Ceux-ci, n'ayant pas droit à grand-chose, viennent nous voir en demandant pourquoi les Syriens sont mieux traités. Ma ville de Saint-Maurice - 18 000 habitants - finance intégralement et depuis plusieurs années l'accueil de 25 familles tchétchènes et afghanes, sans aucune aide. Je veux ainsi indiquer à Gilbert Roger que la prévention de nombreux maires de la région parisienne est due à l'importance de leurs efforts depuis des années. Que peut-on faire pour ces familles-là, qui vivent dans le même dénuement que les nouveaux arrivants ? Et pour les communes qui les accueillent, en rencontrant les mêmes difficultés ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Nous avons mobilisé, il y a un mois, l'ensemble des communes volontaires. Les préfets Brot et Arhoul assurent un suivi en continu. Le premier recensement des capacités d'accueil a fait état de 4 800 logements, en trois semaines - nous sommes dans une excellente dynamique. Ces logements sont destinés à accueillir les demandeurs d'asile qui recevront le statut de réfugiés. Pour l'heure, les préfets identifient les bâtiments qui répondent aux normes d'accessibilité et de sécurité. Leur nombre devrait toutefois être très significatif, offrant des conditions convenables dans la durée.
Le travail du ministère de l'intérieur est d'assurer la plus grande fluidité possible au traitement des dossiers, à l'Ofii et l'Ofpra. Le Gouvernement, avant même de s'engager dans le processus de relocalisation, a décidé d'y créer 50 équivalents temps plein (ETP) l'an dernier, auquel sont adjoints 196 autres, pour près de 85 millions d'euros inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016, afin de remettre le système d'asile de la France à niveau. Certains déclaraient tout à l'heure qu'il n'était pas à la hauteur de ce qu'il devrait être. Nous en sommes conscients : pendant longtemps il n'y a eu aucune création de place en Cada ni en hébergement d'urgence, pas d'augmentation des effectifs de l'Ofpra ni de l'Ofii, pas de mise en oeuvre des dispositions de la directive européenne de 2004 relative au séjour, y compris sur la pénalisation du refus de prise d'empreintes digitales ou la mise en place de la convention retour... Nous avons donc pris un ensemble de dispositions budgétaires et administratives très importantes dans les préfectures, à l'Ofii et à l'Ofpra.
À la fin du quinquennat, nous aurons créé 18 500 places en Cada, soit quasiment le nombre de créations nécessaires évalué par le rapport de Jean-Louis Touraine et Valérie Létard, qui était de 20 000. Nous n'avons pas attendu la crise humanitaire pour armer le dispositif mais l'avons, au contraire, anticipée, en mettant notre législation en conformité avec les directives européennes et en procédant à une montée en puissance de notre système d'accueil.
Notre objectif est que les personnes soient prises en charge immédiatement après leur arrivée, obtiennent une place en Cada, puis un logement de droit commun afin de s'intégrer, libérant ainsi la place pour d'autres réfugiés. Je tiens beaucoup à la fluidité de ce parcours, sans quoi nous serions en difficulté. La partie n'est pas gagnée, mais la mobilisation du ministère est très forte.
Je serai en Jordanie avec le directeur de l'Ofpra et ses équipes, qui s'y rendent du 24 au 26 octobre, afin de procéder au traitement de 400 dossiers - la moitié à Amman et l'autre à Beyrouth. J'attache grand prix à cette mission, qui doit apporter la démonstration de notre capacité à assurer la relocalisation et la réinstallation des personnes dans de bonnes conditions.
Madame Peyrol-Dumont, la répartition se fait sur la base du volontariat, ou selon le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile inscrit dans la loi. Je préfère la mobilisation spontanée des collectivités territoriales à la coercition, mais l'État, s'il y était obligé, prendrait ses responsabilités pour respecter ses engagements européens.
Je suis très préoccupé de la situation dans les camps de réfugiés, qui est un extraordinaire argument des réseaux de passeurs qui promettent un eldorado et conduisent des familles vers la mort, ou un exode extraordinairement difficile. Le patron du HCR, Antonio Guterres, une personnalité absolument remarquable, effectue un travail considérable. Il est parfaitement conscient de la nécessité de rehausser les moyens du HCR, ce qui est la priorité absolue pour éviter davantage de drames humanitaires.
Mme Demessine m'a interrogé sur la situation à Calais, qui fait l'objet de beaucoup d'instrumentalisations, de polémiques, et qui pose des difficultés dont on ne prend pas la mesure. Notre politique est d'abord que tous ceux qui, à Calais, relèvent du droit d'asile en France y accèdent. Sinon, ils emprunteront toutes les nuits le chemin du tunnel et certains mourront. J'ai renforcé considérablement les moyens de l'Ofii et de l'Ofpra sur place. Les résultats sont là : 300 demandes d'asile en 2013, 1 200 en 2014 et 1 700 au cours des neuf premiers mois de cette année.
En revanche, je souhaite la reconduite de tous ceux qui ne relèvent pas de l'asile en France, venant de pays où ils ne sont pas menacés. Nous avons procédé à 1 700 éloignements depuis le début de l'année, soit autant que le nombre de titres d'asile accordés.
Afin de lutter contre les filières de passeurs, les effectifs des forces de l'ordre à Calais ont crû de 550 personnes. Nous avons, en conséquence, démantelé près de 40 filières depuis le début de l'année, ce qui représente près de 800 individus. Je salue le travail de ceux qui remplissent ces missions difficiles avec un haut niveau de professionnalisme et d'engagement.
Les moyens humanitaires sont renforcés. Lors de mon premier déplacement à Calais, quelques mois après mon arrivée au ministère, j'ai constaté que l'État ne menait aucune action humanitaire. Depuis, un accueil de jour fournit environ 1 300 repas quotidiens aux réfugiés. Nous sommes en discussion avec la Commission européenne pour qu'elle abonde cet effort, que j'ai l'intention d'amplifier. Nous travaillons avec la maire de Calais, la sénatrice Natacha Bouchart du groupe Les Républicains. J'ai accepté, à sa demande, la mise en place du centre Jules-Ferry. En outre, 100 places ont été réservées aux enfants et aux femmes vulnérables. Elles seront doublées voire triplées. Je ne veux pas qu'un enfant ni une femme dorme dans la rue, cet hiver, à Calais.
Quelque 18 millions d'euros sont consacrés à l'aménagement de la lande, avec un accueil initial de 1 500 personnes ; 2 000 places supplémentaires seront créées en Cada d'ici la fin de l'année pour ceux qui relèvent du droit d'asile.
L'emportement d'Emmaüs est très injuste, compte tenu de ce que nous faisons. Les sommes consacrées à Calais sont de 12 millions d'euros pour l'accueil de jour, de 17 à 18 millions d'euros pour l'aménagement de la lande, de 11 millions d'euros pour les places en Cada, soit 44 millions d'euros ces derniers mois. Cela mérite une autre qualification qu'« inhumanité », « désintérêt » ou « cynisme ». Les associations devraient dépasser la posture classique d'opposition au ministère de l'intérieur pour travailler avec lui, la situation étant suffisamment compliquée.
Si, demain, nous envoyons aux passeurs de signal que la frontière avec la Grande-Bretagne peut être traversée sans problème, nous n'aurons plus 4 000 migrants, mais 40 000 ou 50 000. J'appelle l'attention de tous sur les conséquences humanitaires de cette solution. Je ne suis certes pas un soutien inconditionnel de l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, mais il a eu raison de signer les accords du Touquet avec la Grande-Bretagne. Il a eu tort de le signer dans un cadre léonin, où les Britanniques laissaient tout le poids sur les Français - à présent, ils dépensent 35 millions d'euros et sont beaucoup plus présents -, mais la philosophie de ces accords était bonne. Une décision d'ouverture de la frontière, que je ne prendrai pas, provoquerait un désastre humanitaire en quelques semaines à peine.
La situation de Calais est difficile, elle suscite des commentaires injustes ou des approximations - je ne parle pas de ceux qui y restent quelques minutes après avoir prononcé un discours de campagne, sans jamais voir ni une association, ni un réfugié, et instrumentalisent un drame dans la démagogie la plus pure.
Monsieur Cazeau, vous évoquez la coordination en matière de santé. Nous articulons de plus en plus nos interventions avec la ministre de la santé. Le médecin dont vous avez cité le cas, en Dordogne, a trouvé à travailler dans de bonnes conditions au Puy-en-Velay. Quant au devoir de réserve, comme le disait le président Chaban-Delmas, « quand la réserve s'active, l'active se réserve ». Il faudra ici qu'elle s'active, compte tenu de l'urgence humanitaire. Les préfets appliqueront avec discernement le devoir de réserve.
Monsieur Cambon, votre question est délicate. L'État assure toute sa compétence dans le financement des Cada et l'intégration professionnelle. Le logement est pris en charge par les collectivités territoriales. J'aurai l'honnêteté de vous dire que je ne peux pas, de façon rétroactive, assurer la prise en charge de tous ceux qui ont été accueillis au titre de l'asile avant la mise en place du processus de relocalisation. Cela nous conduirait très loin vers des effets budgétaires que nous ne saurions pas maîtriser. Je sais que cette réponse ne vous satisfait pas.
M. Christian Cambon. - Cela explique au moins la résistance de certains maires.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je ne souhaite pas culpabiliser quiconque. Je comprends la position d'un maire qui a déjà fait beaucoup. François Baroin m'a tenu le même discours. Le ministère regardera les situations avec réalisme et pragmatisme.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, Monsieur le ministre. Nous pourrions échanger longtemps sur ces questions difficiles, sur Schengen et d'autres sujets. Votre intervention éclaire ces dossiers pratiques, afin que nous puissions engager des actions au service de la tradition d'accueil de notre pays.
M. Philippe Bas, président. - Merci, Monsieur le ministre.
La réunion est levée à 17 h 55.
Mercredi 14 octobre 2015
- Présidence de M. Jacques Gautier, vice-président -La réunion est ouverte à 9 h 30
Loi de finances pour 2016 - Crédits du SGDSN - Audition de M. Louis Gautier, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), et de M. Guillaume Poupard, directeur général de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)
M. Jacques Gautier, président. - Nous accueillons ce matin, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et M. Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, auxquels je souhaite la bienvenue.
Nous connaissons la place qu'occupe le SGDSN dans la préparation et la mise en oeuvre des mesures de défense et de sécurité sur le territoire national et le rôle de coordination interministérielle qu'il assure en ce domaine.
Depuis le rapport d'information de notre collègue Jean-Marie Bockel, nous avons également, au sein de notre commission, la claire conscience des risques engendrés par le développement des systèmes d'information, la multiplication des intrusions et les cyberattaques qui ont conduit à renforcer les moyens de l'ANSSI. Le PLF 2016 reflète cette priorité.
Je vais sans plus attendre vous donner successivement la parole pour une présentation liminaire en vous demandant particulièrement de mettre en relief les enjeux les plus importants relevant de vos missions et les allocations de crédits qui vous permettent de les conduire.
M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) - L'année 2015 a été une année chargée pour le SGDSN et pour l'ANSSI à la hauteur de l'intensification des défis de sécurité pour notre pays en raison des attentats de janvier 2015, avec les engagements de nos forces sur les théâtres opérations extérieures (bande saharo-sahélienne, Irak, frappes contre Daech en Syrie) et en raison des crises internationales que le SGDSN suit, soit en appui du coordonnateur national du renseignement, soit parce que cela touche directement ses compétences en matière de planification de crise, le développement de la pandémie Ebola par exemple, ou parce que cela touche le domaine de la prolifération, comme le suivi de la négociation sur le nucléaire.
Nous avons eu à suivre des dossiers industriels : la sortie du contrat avec la Russie relatif à la vente des BPC, mais aussi le projet KANT de rapprochement de deux industriels de l'armement terrestre, l'allemand KMW et le français Nexter. Je recevrai la semaine prochaine le secrétaire d'Etat allemand pour finaliser la déclaration franco-allemande sur cette opération, mais également pour accompagner des prospects en Chine dans le cadre de l'exportation de notre ingénierie en matière de retraitement nucléaire.
Tout ce travail permet de préparer ou éclairer les décisions de l'exécutif à travers plus d'une dizaine de conseils de défense, de cinq conseils informels pendant la crise de janvier 2015, mais aussi les divers comités ou commissions dont le SGDSN assure le secrétariat ou la présidence.
Le SGDSN a également mené des travaux de longs cours, comme l'actualisation de la loi de programmation militaire, la préparation avec l'ANSSI de la nouvelle stratégie nationale sur la cybersécurité qui sera présenté vendredi prochain par le Premier ministre, la préparation d'un rapport sur les réponses à apporter aux intrusions de drones sur des sites sensibles, la mise en oeuvre et l'actualisation du plan Vigipirate à la suite des attentats terroristes, l'évaluation en cours du déploiement des forces armées au titre de l'opération intérieure Sentinelle, la préparation d'un rapport sur la protection du secret de la défense nationale et la conduite d'un audit interne pour renforcer la qualité de la mission du SGDSN.
S'agissant du projet de loi de finances pour 2016, le montant des crédits de paiement attribués au SGDSN s'élève à 232 millions d'euros, 66,7 millions pour le titre 2 et 165 millions hors titre 2. 16 millions d'euros sont destinés aux opérateurs (IHEDN, INHESJ). 70 % des crédits de fonctionnement sont destinés à l'ANSSI. Des dépenses d'investissement sont prévues à hauteur de 94 millions dont une large part est déléguée ou transférée au ministère de la défense et à certains services pour des investissements dans le domaine du numérique et pour la construction d'un centre de stockage des données pour l'ANSSI.
L'audit interne que nous avons conduit avec l'inspection générale des finances doit nous permettre de reformuler le projet du SGDSN après avoir identifié les forces et les faiblesses de son organisation en silos. Avec ses trois grandes entités que sont la direction de la protection et de la sécurité de l'Etat, la direction des activités internationales, stratégiques et technologiques et l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information, le SGDSN est une entité cloisonnée. En conséquence, un besoin de transversalité apparaît pour certaines fonctions comme la programmation stratégique car le SGDSN travaille sur des mandats qui peuvent concerner plusieurs directions, comme le mandat qui vient de nous être donné sur la défense anti-missiles, mais aussi d'autres fonctions comme la fonction juridique, la communication, ou les missions internationales.
Nous avons conduit cet audit sur la gestion du SGDSN car celui-ci est confronté au développement de sa surface avec l'inclusion du Centre de transmission gouvernementale (CTG) - et ce mouvement pourrait se poursuivre au fur et à mesure du besoin de localisation et de confortation de certaines fonctions interministérielles après du SGDSN, et avec la montée du plan de charge de l'ANSSI avec des problématiques spécifiques de recrutement, de formation et de suivi des carrières dans le secteur très concurrentiel des ingénieurs informatiques.
Cette évolution, cette croissance implique une redéfinition des moyens du service de l'administration générale chargé du soutien de l'ANSSI et du CTG et qui doit par ailleurs assurer la tutelle des deux établissements que sont l'IHEDN et l'INHESJ pour aller vers davantage de mutualisation.
Les activités de la direction de la protection et de la sécurité de l'Etat ont été orientées vers la rénovation des plans gouvernementaux. Elle est aujourd'hui occupée au Retex (retour d'expérience) post-attentat de janvier 2015. Cette direction a supervisé l'audit sur les sites sensibles de type Seveso notamment à la suite de l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier. Elle travaille à l'actualisation de Vigipirate, au rapport Sentinelle et à celui sur les drones.
La direction des activités internationales, stratégiques et technologiques a été beaucoup mobilisée par la négociation sur le BPC et par le projet KANT, mais aussi sur les sujets traditionnels de prolifération, nucléaire ou des armes chimiques, des exportations des laboratoires de confinement de type P3/P4, la classification des zones à régime restrictif (ZRR) et enfin le contrôle des exportations d'armement et la préparation des 9 000 dossiers présentés en CIEEMG (commission interministérielle d'études des exportations de matériels de guerre).
Pour ce qui concerne l'ANSSI et pour introduire les propos de son directeur général Guillaume Poupard, un défi structurel est celui de la montée en puissance de l'agence, avec l'objectif d'atteindre en fin de période triennal le plafond de 563 emplois et à conjuguer avec un turn over important de son personnel. En 2015, elle a dû faire face à une intensification des cyberattaques comme celle qui a été menée contre TV5 Monde, ce qui montre aussi la croissance de la mission et du portefeuille de l'ANSSI qui couvre non seulement la sécurité de l'Etat mais aussi celle des opérateurs d'importance vitale (OIV) et celle d'autres acteurs pour lesquels son intervention n'était pas initialement prévue. Je pense à certaines collectivités locales, qui dans la période suivant les attentats de janvier 2015 n'ont, certes pas, fait l'objet d'attaques graves, mais qui ont été victimes de nombreuses agressions et de défigurations de sites. L'ANSSI est intervenue pour voir comment restaurer ces sites. Je pense aussi à d'autres entreprises comme TV5 Monde qui n'est pas un OIV et je pourrais citer d'autres secteurs comme le secteur bancaire. Ceci l'amène à déployer une partie de ses moyens en région. Nous le voyons, l'Agence est une institution jeune, dynamique et en croissance mais qui n'est pas encore stabilisée, ni dans ses effectifs, ni dans la surface de ses moyens, si dans le champ de ses activités.
M. Guillaume Poupard, directeur général de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) - Comme l'indiquait le secrétaire général, la montée en puissance de l'ANSSI se poursuit. Elle est passée de 100 emplois en 2009 à 450 aujourd'hui, pour une grande partie des experts d'un très haut niveau technique. Cette croissance a pu être poursuivie grâce aux moyens qui lui ont été alloués. Le champ de ses missions concerne d'abord les administrations et les opérateurs d'importance vitale, mais aussi d'autres acteurs.
Il convient de trouver un savant équilibre dans ses activités entre prévention et réaction. Les victimes de cyberattaques sont de plus en plus nombreuses, ces attaques sont de plus en plus graves et la plupart ne sont pas médiatisées. L'ANSSI ne communique pas sur ce sujet, elle ne se substitue pas aux victimes à qui il appartient de le faire et très souvent, elles choisissent de ne pas le faire. Il y a des cas où, au contraire, ces attaques sont visibles comme celle qu'a subie TV5 Monde. Nous pensons que la visibilité des attaques va s'accroître, ce qui amplifiera le sentiment d'une aggravation de la menace.
En matière de prévention, nous avons un rôle dans la connaissance des technologies et de la menace, ce qui justifie que nous recrutions des experts et des chercheurs. Nous avons un travail à réaliser pour soutenir l'émergence d'un secteur industriel de cyberdéfense par une politique industrielle, ainsi que le développement de produits et de services par des entreprises de confiance. Cela va de produits courants à des produits de très haute sécurité, dont le développement est couvert par le secret de la défense nationale et dont la DGA assure la maîtrise d'ouvrage.
Dans le domaine de la prévention, la loi de programmation militaire a étendu le champ de compétence de l'ANSSI à l'égard des opérateurs d'importance vitale. C'est un élément très important. La France est le premier pays à mettre en place une approche législative volontariste avec l'imposition de règles de sécurité, l'obligation de déclaration des incidents et la mise en place de contrôles. Cet aspect régulateur a surtout été l'occasion d'échanges avec des opérateurs que nous connaissions peu et qui ne nous connaissaient pas non plus. Un dialogue au sein de groupes de travail nous a permis une meilleure compréhension des contraintes, mais aussi une meilleure information des opérateurs. Notre objectif est de leur permettre de rehausser le niveau de sécurité de leurs systèmes d'information les plus critiques grâce à des règles soutenables humainement, financièrement et techniquement. Cela ne va pas les protéger instantanément mais la démarche engagée va les placer en avance par rapport aux opérateurs des autres pays. Les premiers arrêtés vont être publiés par secteur dans les prochaines semaines. Nous allons poursuivre cet effort. Il s'agit d'une contribution importante à la sécurité nationale car ces recommandations ont pour vocation de s'étendre à d'autres, pour qu'ils puissent se protéger. Nous pensons pouvoir nous appuyer notamment sur la directive européenne « sécurité des réseaux et des infrastructures » (Network and Information Security - NIS) en préparation.
Dans le domaine de la réaction, TV5 Monde fournit un bon exemple des niveaux d'intervention mis en oeuvre par l'ANSSI qui est le seul intervenant français à pouvoir le faire à ce niveau. Dès l'attaque détectée, nous avons pu projeter des équipes dans les premières heures pour conserver les traces pour les analyses, un peu comme sur une scène de crime, ce qui est une opération compliquée. Il s'agit ensuite de relancer le service. Nous avons pu dans l'exemple de TV5 monde rétablir un service, certes dégradé mais visible en moins de 18 heures, ce qui était indispensable pour une chaîne de télévision internationale. Enfin, nous avons accompagné ce média dans la reconstruction d'un réseau solide avec un niveau de sécurité élevé. Notre action est associée au développement d'une capacité de détection efficace, qui nous permet de réagir très rapidement.
Je voudrais vous sensibiliser à deux préoccupations. La première est la capacité à trouver des experts. Nous recrutons beaucoup mais notre volonté est de ne pas abaisser le niveau de recrutement. Nous avons besoin d'experts dont le niveau ne puisse pas être remis en cause et nous sommes confrontés à un problème d'insuffisance du vivier. La formation française est qualitativement très bonne, mais quantitativement insuffisante. Nous avons des actions pour favoriser la mise en place de filières de formations, mais il faut du temps. Nous avons en attendant besoin de plus de souplesse de gestion et de pouvoir lisser dans le temps les recrutements qui n'ont pu être réalisés, une trentaine, au cours de l'exercice 2015 en nous autorisant la capacité de conserver les emplois créés, même s'ils ne sont pas encore pourvus.
La seconde est notre besoin de disposer d'un data center professionnel. Il s'agit d'un projet coûteux que nous menons avec le ministère de l'intérieur avec une implantation en région parisienne.
Pour 2016, l'activité de l'ANSSI sera orientée autour de trois axes. D'abord, la recherche-développement dans le domaine des nouveaux usages et des objets connectés devra être renforcée. Nous constatons que la question de la sécurité n'est pas une préoccupation suffisante pour les entreprises qui développent ces objets, il y a donc un véritable besoin d'accompagnement de l'écosystème. Ensuite, le développement de prestataires privés dans le domaine de la cybersécurité. L'ANSSI ne pourra faire face à elle seule à tous les besoins. Nous avons impérativement besoin d'avoir en France un secteur disposant d'un niveau de compétences élevé et d'une grande confiance. Nous assurons la qualification de ces prestataires. Enfin, le troisième axe concerne l'extension des missions de l'Agence. Nous allons mettre en place des correspondants de l'ANSSI dans les régions pour développer l'information et le conseil. Nous allons aborder également les sujets liés à la sécurité des données. Nous avons un regard sur la négociation des traités transatlantiques de façon à éviter que les données personnelles ne soient abusivement considérées comme des données marchandes car nous sommes convaincus que le traitement de sommes non maîtrisées de données personnelles peut avoir un impact grave sur la sécurité de la Nation.
M. Jean-Pierre Masseret, rapporteur pour avis des crédits du programme 129. - S'agissant de l'ANSSI et plus particulièrement de la fidélisation des compétences pointues dans la cybersécurité, comment concilie-t-on ces compétences avec la grille de la fonction publique qui est extrêmement contraignante et peu attirante pour celles et ceux qui ont ce niveau de qualification ? Quel est le coût de l'aménagement du data center sécurisé ? S'agissant du SGDSN, je suis intéressé par votre travail sur les drones. Concernant la rénovation du plan Piranet, où en est-on ? Et enfin peut-être, quelle est votre appréciation sur le dispositif Sentinelle ?
M. Xavier Pintat. - Je souhaite vous interroger sur la question du survol des sites sensibles par des drones. L'article 2 de la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires prévoyait la remise d'un rapport au Parlement avant le 30 septembre de cette année afin d'évaluer les risques et menaces et de proposer des évolutions techniques et juridiques adaptées. Pouvez-vous nous dire quand ce rapport sera remis et nous donner la primeur de ses conclusions ? L'essentiel dans ce domaine est de savoir déterminer, me semble-t-il, de quelles origines sont les drones, de les détecter, de les catégoriser et de les détruire.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Pourriez-vous nous faire le point sur l'actualisation du plan Vigipirate, après les attentats de janvier 2015 ?
M. Jacques Gautier, président. - La question sur l'évolution des dispositifs Vigipirate et Sentinelle est importante. Ce sont des dispositifs qui n'ont pas été prévus pour durer et qui ont un coût. Nous avons dû lors des débats sur l'actualisation de la loi de programmation militaire évoquer les coûts que représenteraient pour la défense ces dispositifs. Nous souhaitons savoir comment ces questions seront traitées en 2016, y aura-t-il bien une répartition du coût de ces missions entre les ministères ? Ce sont des questions qui nous préoccupent même si elles ne dépendent pas directement des crédits de votre mission.
M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. - En réponse à la question sur les centres de stockage des données, nous avons choisi de nous colocaliser à Rosny, sur un site du ministère de l'intérieur, qui comprend déjà des installations numériques. Nous essayons d'y localiser également certains services dépendant du Premier ministre. Le projet devrait être abouti à l'horizon 2019, pour un coût total de 25 millions d'euros, et un engagement en 2016 de 8,5 millions d'euros.
Sur Piranet, un exercice sera lancé cette année mais je laisserai au directeur de l'ANSSI le soin de développer cette stratégie. S'agissant de la cybersécurité, je ne vais pas déflorer le rapport qui vous sera bientôt présenté par le Premier ministre, mais je peux vous indiquer les directions stratégiques retenues, qui sont, notamment, la sécurisation des moyens de l'État et la sensibilisation des populations à ces menaces.
Sur les drones, il est vrai que nous avons pris un peu de retard. Je dois signer le texte ce soir et le rapport sera transmis par le Secrétariat général du gouvernement normalement avant la fin de la semaine. Je connais bien votre implication sur ce sujet. Nous avons procédé par étape en organisant d'abord un colloque qui a permis d'aboutir au rapport dont je vous parlais. Le Parlement sera ensuite saisi car des évolutions législatives sont sans doute nécessaires dans ce domaine. Il ressort de cette démarche qu'il faut renforcer l'information des utilisateurs de drones qui ne connaissent notamment pas les zones d'interdiction de survol. Les constructeurs de drones se sont engagés à fournir des fiches de renseignement sur ces sujets lors de la vente de leur matériel. Une formation par tutoriel sur Internet sera mise en place. L'enregistrement et l'immatriculation de certaines catégories de drones seront également prévus, ainsi que l'installation de mécanismes d'autodétection. Enfin il convient de faire évoluer le système d'assurance de ces matériels afin de prendre en compte les risques spécifiques liés à leur utilisation. Une catégorisation plus fine des types de drones proposera de fixer des obligations diverses en fonction de leurs spécificités en particulier de leur capacité d'emport. Seront aussi distingués les drones à usage professionnel des drones à usage ludique, le critère du poids, essentiel pour juger de la menace, sera pris en compte, ainsi que la capacité d'allonge.
Le Parlement interviendra s'il le souhaite pour adopter un régime de sanctions en cas de non-respect des obligations ci-dessus énumérées. De leur côté, les assureurs s'engagent à inclure les risques spécifiquement liés aux drones dans leur police générale. Nous avons recherché un équilibre entre la définition de nouvelles obligations et la possibilité de laisser ce secteur dynamique se développer. Ainsi le permis de voler sera délivré de façon souple à condition de suivre un tutoriel adapté sur Internet. D'une manière générale les drones caractérisés par une faible capacité d'emport ne seront concernés que par certaines de ces nouvelles obligations.
L'essentiel pour nous est de pouvoir détecter les pratiques déviantes pour mobiliser les capacités de réaction. Un drone sans transpondeur sera ainsi considéré comme dangereux et pouvant être brouillé ou détourné, et le cas échéant détruit. Notre rapport propose des solutions concrètes, et s'attache à harmoniser les pratiques avec les autres pays européens et les États-Unis.
M. Jacques Gautier. - S'oriente-t-on vers le dépôt d'une proposition de loi ou d'un projet de loi sur le régime juridique applicable aux drones ?
M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. - Cette question n'est pas encore tranchée.
M. Guillaume Poupard, directeur général de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. - Sur les questions de recrutement et de fidélisation des personnels, je voudrais vous rassurer, il est aujourd'hui possible d'embaucher des contractuels en CDD puis de passer en CDI. Le taux de transformation des contrats temporaires en contrat à durée indéterminée est satisfaisant. S'agissant du niveau de salaire, il me semble que l'ANSSI bénéficie d'une certaine souplesse. En tout état de cause nous sommes compétitifs en sortie d'école. Le départ d'agents de l'ANSSI peut permettre l'émergence d'un réseau lorsque les industriels qui embauchent ces personnels sont considérés comme étant de confiance. Il est très important de garder cet esprit de Défense nationale pour qu'un départ de l'agence ne se traduise pas par une perte pure mais au contraire par une extension du réseau. Il est certain que nous ne pouvons pas aligner les salaires sur ceux proposés par le secteur privé. Toutefois, quand l'écart reste raisonnable, nos agents privilégient l'intérêt de leur travail plutôt que le salaire plus élevé. À nous de nous assurer que leur travail les passionne.
M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. - Des propositions seront faites au gouvernement sur le plan Vigipirate à la fin du mois de novembre. Le dispositif Sentinelle fera l'objet d'une évaluation fin décembre, pour respecter le rendez-vous parlementaire du début de l'année 2016. S'agissant de Vigipirate, les retours d'expérience à la fin de l'année 2015 montrent une inadaptation du dispositif. La difficulté vient de la définition des postures. Il n'y a pas de lien entre le plan Vigipirate et la doctrine des armées et notamment le contrat emploi-protection. Le dispositif était prévu pour inclure 1 500 militaires sur le territoire puis 3 000 militaires dans la posture dite « alerte attentat » mais n'envisageait pas le déclenchement du contrat emploi protection des armées.
Dans la doctrine des armées, le contrat emploi protection est d'abord prévu pour faire face aux catastrophes. Il envisage la mobilisation massive des capacités militaires mais pendant une durée limitée, par exemple pour faire face aux effets d'une tempête ou d'un accident industriel. Aujourd'hui, il apparaît nécessaire, pour permettre au plan Vigipirate de s'étaler dans la durée, de recréer un lien entre le plan et le contrat emploi protection qui permet de mobiliser désormais jusqu'à 7000 hommes dans la durée.
La posture alerte attentat maintenu dans le temps n'est pas adaptée. Pourquoi a-t-elle été déclenchée en raison de la situation après les attentats de Charlie Hebdo ? Pourquoi a-t-elle perduré ? Parce qu'elle seule permettait de doubler les effectifs. Cette posture s'accompagne d'une série de contraintes juridiques qui ne peuvent être maintenues dans le temps, telles que les interdictions de sorties scolaires. Cette posture de crise continue d'être appliquée parce qu'elle permettait au départ de mobiliser les effectifs nécessaires mais alors même qu'elle prévoit des options juridiques qui ne peuvent pas être appliquées dans la durée. Elle doit être réservée aux périodes où une menace grave et imminente est décelée ou lorsque l'on recherche des terroristes en fuite par exemple. Il est donc nécessaire de redéfinir une posture d'urgence autour d'une posture alerte attentat qui resterait limitée dans le temps.
Enfin, il faut pouvoir territorialiser le plan Vigipirate. Jusqu'ici la logique appliquée envisageait le déploiement des militaires dans le cadre du contrat de protection des armées sous la forme d'une projection intérieure de force à l'instar de la projection extérieure. Mettre en oeuvre un déploiement pérenne des forces implique une territorialisation de ce plan.
Pour répondre aux allusions d'articles de journaux cet été, il semble nécessaire qu'une enquête qualitative soit menée auprès des Français pour savoir si le plan Vigipirate est toujours perçu comme apportant les garanties d'efficacité et de réassurance nécessaire. Les articles étaient critiques, mais ne semblent pas correspondre au ressenti des Français.
Au sujet du dispositif Sentinelle, il y a eu en urgence une sorte de changement de pied de la doctrine des armées qui concevaient l'emploi des soldats sur le territoire national dans une logique de réponse à une catastrophe c'est-à-dire avec un effet peut-être massif mais limité dans le temps. Les réformes qui se sont étalées depuis 20 ans, telles que la suppression du service militaire, la restructuration territoriale, la création des bases de défense, etc, ont renforcé la tendance à une moindre empreinte territoriale des armées. Aujourd'hui la mission qui leur est demandée est une mission quotidienne de sécurité, de proximité et de présence sur le territoire. À cette première question doctrinale s'ajoutent les questions des modalités de collaboration entre les forces intérieures et les militaires.
Il nous apparaît nécessaire de laisser décanter les problématiques doctrinales, de règles d'engagement, de contrats opérationnels au sein des ministères de la défense et de l'intérieur, avant que ne s'engagent les discussions interministérielles.
Cette démarche nous semble pragmatique. Il est possible qu'à la fin du processus, il apparaisse nécessaire de faire évoluer soit la doctrine, soit une règle d'engagement, soit tel ou tel cadre juridique, mais ce doit être en conclusion, pas une posture de départ. Il faut partir du maintien d'un principe selon lequel les forces militaires sont requises par l'autorité civile lorsqu'il y a un besoin. Les forces militaires doivent venir en soutien des forces de sécurité intérieure, soit en cas d'urgence soit en cas d'insuffisance des moyens civils. Il est important de caractériser, de spécifier la mission des militaires dans le cadre de Vigipirate pour davantage la « contraster ». La spécifier, c'est sans doute dire que les militaires doivent davantage être dédiés à la sécurisation de zones plus qu'à la sécurisation de points statiques. Ensuite, pour rendre plus efficace la mission confiée, il faut vérifier que sont adaptés les modalités de formation, les règles d'engagement mais aussi les équipements.
Il est possible d'améliorer la qualité du service rendu par les militaires à droit constant et leur coordination avec les forces du ministère de l'Intérieur. Par exemple, pendant l'Euro 2016, ils pourraient constituer des barrages filtrants en bloquant les personnes qui refusent de produire leurs papiers d'identité et leur billet. Il y a beaucoup de moyens pragmatiques et concrets pour améliorer la situation dès lors qu'il y aura eu une bonne préparation et une bonne coordination ministérielle en amont.
M. Daniel Reiner. - Le SGDSN doit notamment remplir une mission de veille stratégique sur les zones de crise, dont nous avions d'ailleurs demandé le renforcement après avoir constaté une insuffisante préparation face aux crises du Moyen-Orient. Comment le SGDSN travaille-t-il sur ce sujet et coopère-t-il avec l'ancienne direction des affaires stratégiques du ministère de la défense ? Avec quels effectifs ? À la suite des attentats de janvier, vous avez également mis en place une capacité permanente de veille sur la prévention du terrorisme. Y-a-t-il déjà des résultats ?
Par ailleurs, la menace nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC) et en particulier la menace bactériologique et chimique, arme du faible, est malheureusement, dans la période actuelle, de nature à susciter de très fortes inquiétudes. Quelles dispositions sont prises à ce sujet ? Y-a-t-il une coopération européenne ?
M. Alain Gournac. - En ce qui concerne les drones, peut-on les intercepter avec un rayon laser ? Est-il possible de les détruire ?
M. André Trillard. - Est-il possible de localiser le dispositif de commande du drone ? Par ailleurs, nous ne connaissons pas tous les types d'attaques susceptibles de concerner la France. Est-il exclu de mettre à contribution la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) pour protéger la population ?
Mme Nathalie Goulet. - Quel type de coopération avez-vous avec vos homologues européens, notamment en matière de cybercriminalité ? Existe-t-il également une coopération avec les États-Unis sur ce sujet ?
M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale - Il existe deux types de veille au sein du SGDSN : une veille quotidienne à partir du bureau de veille et d'alerte qui fonctionne 24 heures sur 24 et relaie les cellules de crise des divers ministères tout en captant des informations de toute nature. Cette veille permet de tenir informées les plus hautes autorités de l'Etat ainsi que divers réseaux. Ce bureau est en cours de professionnalisation avec une diminution du nombre de réservistes au profit des analystes. Un audit a été demandé au nouveau responsable du bureau, ancien agent de la DGSE.
Par ailleurs, la veille stratégique est une fonction assurée au sein de l'Etat par plusieurs acteurs : le ministère des affaires étrangères, la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) au sein du ministère de la défense ainsi que le SGDSN qui traite en particulier les questions de prolifération, notamment la prolifération NRBC. J'ai entrepris la mise en place d'une prospective de plus long terme dans des secteurs spécifiques, de manière à alimenter notamment les exposés des motifs des lois de programmation et les travaux de renouvellement du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales. Le SGDSN s'appuie par ailleurs sur une dizaine de groupes de renseignement qui coordonnent, dans le suivi des crises, les travaux des services spécialisés de renseignement (DGSE), direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), direction du renseignement militaire (DRM, DPSD).
En ce qui concerne la menace NRBC, nous sommes vigilants mais notre coopération avec les autres pays européens est insuffisamment structurée, notamment du fait de différences d'organisation : ainsi la protection civile se situe au niveau des Länder en Allemagne. Par ailleurs, nous suivons de très près l'évolution des moyens de prévention ainsi que des stocks de produits utilisés dans la lutte contre les risques NRBC. Ces stocks, que les ministères doivent constituer, se périment assez rapidement. Il est donc très positif que la représentation nationale soit attentive, en cette période de contrainte budgétaire, à ce que les crédits prévus pour constituer ces stocks soient effectivement engagés.
Un drone peut être abattu avec un bon fusil ! Toutefois, nous avons constaté que les conséquences d'une telle destruction pouvaient être dommageables, notamment parce qu'il est difficile de distinguer entre les engins malveillants et ceux qui, par leur légèreté et leur incapacité à emporter des charges, sont inoffensifs. Afin de mieux sérier la menace, nous développons les moyens de connexion qui permettent de détecter à plusieurs centaines de mètres les engins comportant des puces ou des transpondeurs. En dehors de la projection de matières sur le drone ou de l'utilisation de canons à vent pour le dérouter, le brouillage fonctionne bien mais ne peut être mis en oeuvre en zone urbaine sans nuire aux télécommunications. Le brouillage est d'un usage plus aisé en pleine campagne, à distance des hôpitaux et des héliports. Par ailleurs, nous sommes très préoccupés par les drones programmés qui, précisément, n'ont pas besoin de guidage électromagnétique.
Tous les moyens de renseignement sont mis en oeuvre contre le terrorisme sur le territoire national : la DGSI, la DPSD, les services territoriaux de la gendarmerie et de la police sont mobilisés. Ce travail est coordonné avec celui des services dont la mission s'exerce à l'extérieur du territoire national, comme la DGSE. Des équipes communes DGSE-DGSI travaillent sur les filières djihadistes.
Le renforcement de notre coopération avec les autres pays européens en matière de cyberdéfense constitue un de nos axes stratégiques. Nous rencontrons pratiquement chaque mois des responsables allemands et anglais pour évoquer la menace terroriste et en particulier cyberterroriste.
M. Guillaume Poupard, directeur général de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information.- En France, en matière de cyber, nous avons séparé l'attaque de la défense, celle-ci étant assumée par l'ANSSI, contrairement à nos alliés américains et britanniques qui ont regroupé les deux fonctions au sein de leurs services de renseignement. Pour autant, nous n'avons pas de difficultés à coopérer avec ces alliés ; ainsi les Britanniques nous ont souvent avertis qu'un groupe était sur le point de lancer une cyberattaque.
Dans le cadre des négociations sur la directive européenne pour la sécurité des réseaux, nous oeuvrons pour que les autres pays européens aient l'obligation de se doter d'une structure homologue de l'ANSSI, dans l'optique de constituer un réseau d'agences. Nous incitons ainsi les pays qui ont actuellement une faiblesse dans ce domaine à développer cette capacité et nous faisons du « capacity building », c'est-à-dire l'aide au développement. Il est en effet dans notre intérêt que ces maillons faibles de la cybersécurité améliorent leur protection : leur vulnérabilité est aussi la nôtre, les attaquants entrant souvent dans les réseaux par les pays les moins protégés. Enfin, le développement d'une capacité autonome européenne dans le domaine du numérique figure parmi les cinq axes de la stratégie nationale de sécurité publique. Ceci va au-delà de la cybersécurité ; il s'agit d'identifier les technologies-clefs qu'il est nécessaire de maîtriser en Europe afin de pas être dépendants des Etats-Unis ou de la Chine.
M. Jacques Gautier, président. - Merci pour cette intervention qui nous a permis de discuter de manière approfondie de votre action ainsi que des moyens technologiques et humains dont vous disposez.
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -
Accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la Géorgie, d'autre part - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Mes chers collègues, je cède maintenant la parole à Monsieur Alain Gournac, rapporteur, qui va nous présenter le projet de loi de ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne (UE), la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs états membres d'une part et la Géorgie d'autre part.
M. Alain Gournac, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, après l'accord d'association avec la Moldavie et l'Ukraine, nous examinons ce matin l'accord d'association entre l'Union européenne et la Géorgie. C'est le dernier des trois accords d'association signés en 2014.
Il s'inscrit dans le cadre du « Partenariat oriental », initiative datant de 2009, qui concernait à l'origine, outre la Géorgie, l'Ukraine et la Moldavie, avec lesquelles ces accords ont été conclus, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Biélorussie. Nous avons déjà longuement échangé à ce sujet, notamment dans le cadre de l'examen du rapport d'information sur la Russie qui a évoqué la question du partenariat oriental.
Il s'agit d'un accord mixte parce qu'il comprend des domaines relevant de la compétence de l'Union européenne et d'autres dispositions relevant de celle des Etats, raison pour laquelle il doit être ratifié par l'ensemble des Etats membres.
L'accord d'association est un accord ambitieux qui demandera des réformes et des investissements conséquents aux Géorgiens qui en prennent peu à peu conscience. Selon moi, cet accord est une chance, pour la Géorgie, mais aussi pour l'Union européenne et la France, qui ont tout à gagner de l'instauration d'un Caucase stable.
Dans cette perspective, cet accord vise à mettre en place une association politique et une intégration économique mutuellement bénéfiques. Il comprend à la fois un volet politique, un volet commercial visant à une libéralisation quasi-totale des échanges et un volet dit « de coopération », dont l'objectif est la reprise par la Géorgie de l'acquis normatif communautaire dans un grand nombre de domaines.
L'existence de « conflits gelés » en Géorgie donne évidemment une dimension particulière à l'examen de ce texte, mais ne doit pas non plus être surévaluée. Comme dans le cas de la Moldavie, conclu avec un pays ne contrôlant pas l'intégralité de son territoire, cet accord ne s'appliquera pas aux régions de l'Abkhasie et de l'Ossétie du Sud, avant que le conseil d'association, composé de représentants européens et géorgiens, n'adopte, par consensus, une décision reconnaissant que l'accord peut être étendu à l'intégralité du territoire géorgien.
S'agissant du contenu de cet accord, le volet politique prévoit le développement d'un dialogue sur les réformes intérieures et une convergence progressive dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Ce dialogue vise à promouvoir la paix et sécurité internationales et à renforcer le respect des principes démocratiques, de l'état de droit, de la bonne gouvernance, des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il prend place dans des instances spécifiques, notamment un conseil d'association composé de représentants des parties au niveau ministériel, et un comité d'association, composé de hauts fonctionnaires qui est chargé de préparer les réunions du conseil d'association.
L'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), qui constitue le noyau dur de l'accord et son deuxième volet, prévoit la libéralisation complète des échanges grâce à la suppression des droits de douane sur la quasi-totalité des lignes tarifaires pour chacune des parties et à des mesures non tarifaires visant à faciliter l'accès aux marchés, comme la transparence des marchés publics, l'harmonisation des procédures douanières, la libéralisation des services, etc.
Enfin, le troisième volet, qui apparaît comme la contrepartie de la libéralisation des échanges, vise à l'adoption par la Géorgie d'une grande partie de la réglementation et des normes communautaires applicables dans vingt-sept domaines allant de l'énergie à l'agriculture et aux transports, de la politique industrielle à celle en faveur des PME, ou encore l'environnement, la protection des consommateurs, la culture et l'éducation. Ce rapprochement réglementaire et normatif, qui va demander de gros efforts aux Géorgiens, doit être réalisé avec l'assistance de l'UE.
Pour la Géorgie, il s'agit d'accélérer son rapprochement économique avec l'Union européenne. L'Union représente déjà 20 % des exportations de la Géorgie et 30 % de ses importations.
L'étude préalable d'impact commanditée par la Commission européenne estimait que l'application du volet commercial devrait permettre un gain supplémentaire de croissance de 4,3 % à long terme pour la Géorgie, grâce à une augmentation des exportations géorgiennes évaluée à 12 % contre 7,5 % de hausse des importations provenant de l'Union européenne. Les secteurs de la chimie et des matières plastiques pourraient espérer des gains de production substantiels, la croissance dans ce domaine pourrait atteindre 60 %. L'accord représente également un puissant levier pour moderniser l'économie géorgienne, par l'adoption de standards propres à instaurer un environnement favorable à la concurrence et aux investissements, caractérisé par le renforcement du droit des affaires et des méthodes de bonne gouvernance, dans un pays où la corruption et l'économie informelle ont déjà reculé, même si des efforts restent encore à poursuivre. Ainsi les importantes mesures anti-corruption prises sous la présidence de Mikheïl Saakachvili ont eu pour conséquence de porter la Géorgie à la 15ème place mondiale dans le classement « Doing Business » 2014 de la Banque mondiale, soit une amélioration de 6 places par rapport à 2013.
Consciente que l'application de l'accord pourra, dans un premier temps, provoquer des ajustements difficiles, notamment pour la production industrielle et les biens de consommation courante, la Géorgie devrait pouvoir valoriser son potentiel dans le domaine chimique, les matières plastiques et dans le secteur agro-alimentaire. L'agriculture en 2012 représentait 9 % du PIB et occupait 50 % de la population active. Je vous rappelle mes chers collègues qu'il n'existe ni services déconcentrés ni politique agricole en Géorgie. Un réel potentiel existe, délaissé par l'approche volontairement moderniste du Président Saakachvili. La France finance désormais un poste d'expert au sein du ministère de l'agriculture géorgien, et l'Agence française de développement prévoit une intervention accrue, sous forme d'un prêt de 20 millions d'euros consenti à la Banque de Géorgie pour soutenir des entreprises et coopératives agricoles.
Il faut également mentionner l'aide financière conséquente que l'Union européenne accorde à la Géorgie, qui en fait le quatrième pays le plus aidé au titre de la politique de voisinage et le deuxième pays le plus aidé du Caucase, juste après la Moldavie. Ce sont entre 335 et 410 millions d'euros qui seront alloués sur la période 2014-2020 dans le cadre de l'Instrument européen de voisinage, en vue de mettre en oeuvre les réformes prévues par l'accord.
Pour les produits industriels, la libéralisation tarifaire sera immédiate pour la Géorgie comme pour l'Union européenne. Le commerce des produits agricoles sera également immédiatement et intégralement libéralisé mais certains produits identifiés comme sensibles bénéficieront d'un mécanisme dit « anti-contournement », pour éviter que la Géorgie ne devienne une plate-forme de transit et de réexportation. Seront concernés par exemple les viandes, les produits laitiers, certaines céréales et le sucre.
En ce qui concerne l'Union européenne, le premier avantage de l'accord est de favoriser le développement économique et la stabilité d'un pays du voisinage, tout en étendant son influence par l'extension du champ d'application de son corpus normatif.
Les pays européens y gagnent également des perspectives en matière d'investissements directs et de commerce, même si la Géorgie ne représente que 0,1% des échanges de l'Union européenne, soit le 76ème rang des partenaires commerciaux de l'Union. Les entreprises françaises attendent une amélioration du climat des affaires, elles disposent d'ores et déjà de 29 implantations d'investisseurs importants en Géorgie, positionnés dans des secteurs tels que le secteur financier, avec la Société Générale, et celui de la distribution, avec notamment Carrefour.
Enfin, l'accord permet des avancées au bénéfice de l'Union européenne, notamment en matière de protection de la propriété intellectuelle : lutte contre la contrefaçon, respect des indications géographiques protégées. Ainsi, moyennant une période de transition, la Géorgie ne pourra plus utiliser les dénominations de Cognac, Champagne ou encore Cahors pour des vins produits sur son territoire, ce qui était un sujet sensible pour la France et parfois l'objet de surprise lors de déplacement en Géorgie. Il faut également souligner le progrès que représentera l'application par la Géorgie des normes sanitaires et phytosanitaires pour égaliser les conditions de concurrence et améliorer la sécurité sanitaire.
La France a été un moteur pour l'apaisement du conflit en Géorgie en 2008. Elle bénéficie en Géorgie d'une image positive dont il faut tirer profit.
Il s'agit de répondre à l'attente de la Géorgie qui s'investit dans l'application de cet accord ; elle a en effet lancé tout un train de réformes : libéralisation de nombreux secteurs, stabilisation du marché des changes, mesures visant à la limitation de sa dépendance énergétique, lutte contre la corruption, réduction des maltraitances dans le système pénitentiaire... Même s'il ne faut pas sous-estimer les difficultés rencontrées au nombre desquelles je peux compter : la lenteur du rythme des réformes, notamment s'agissant de la justice, ainsi que les incertitudes liées aux résultats des prochaines élections législatives prévues en octobre 2016, il existe une volonté réformatrice en relation avec l'accord d'association.
Enfin, il s'agit d'honorer un engagement pris par l'Union européenne, qui vise à développer, je cite, une « association politique et une intégration économique » avec la Géorgie. Précisons bien à ce stade que l'accord ne donne aucune « perspective européenne », c'est-à-dire aucune perspective d'adhésion à ce pays, même s'il prend acte de ses « aspirations européennes ». C'est un point crucial car nous connaissons bien la façon ambiguë avec laquelle a été reçue la politique de voisinage. Sur ce point, la position du gouvernement français, mais aussi d'autres pays comme l'Allemagne et la Belgique, est très claire : nous sommes opposés à un élargissement de l'Union européenne aux pays du Partenariat oriental.
Pour toutes ces raisons, je vous propose donc d'adopter le projet de loi ratifiant l'accord d'association entre l'UE et la Géorgie.
Il sera examiné en séance publique le jeudi 29 octobre à 10h30. La Conférence des Présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée, choix que j'approuve car malgré l'importance du sujet, si nous demandons un débat normal, à cause de l'embouteillage en séance en période budgétaire, l'adoption sera repoussée. Il ne reste que cinq Etats membres à ne pas avoir encore ratifié cet accord, dont la France, il serait souhaitable que nous y remédions avant la fin de l'année.
M. Joël Guerriau. - Je suis tout à fait d'accord avec vous, la Géorgie a une excellente opinion de la France. C'est un petit pays qui compte 3,7 millions d'habitants et représente donc un petit marché. Avez-vous une idée des perspectives d'évolution des investissements en Géorgie ?
M. Alain Gournac, rapporteur. - Certes, ce pays est petit, mais ce n'est pas tant la taille du marché qui importe que la stabilité régionale que cet accord d'association pourrait contribuer à installer. S'agissant des perspectives d'investissement en Géorgie, je crois réellement au potentiel agricole de ce pays. Je pense qu'il est tout à fait possible de développer les exportations de vins géorgiens et les eaux minérales qui bénéficiaient d'une grande renommée avant l'effondrement de l'empire soviétique. J'insiste de plus sur la nécessité de stabiliser les règles juridiques applicables dans une zone, c'est cela qui permet de développer les investissements.
M. Michel Billout. - Mes chers collègues, je ne vous cacherai pas que le groupe communiste n'a que peu d'appétence pour ce type d'accord d'association qui insiste avant tout sur la libéralisation économique. Sommes-nous certains de l'adhésion des peuples concernés ? La question se posait déjà pour la Moldavie. Cela nous avait conduits à nous abstenir, considérant qu'il y avait une adhésion importante du peuple moldave. Dans le cas de l'Ukraine, la question était encore différente tant l'impact politique de la signature de cet accord d'association a été immense, notamment en termes de relations avec son voisin russe. Le moment de la signature de cet accord d'association était mal choisi, le président Poutine ayant pu y voir une provocation, voire une agression contre sa population. Il me semble que l'accord d'association avec la Géorgie a le même défaut. Nous ne sommes pas en Ukraine mais nous sommes tout de même dans la région du Caucase. Il existe là encore des conflits gelés qui, dans le contexte actuel que connaissent la Syrie et l'Irak d'une part, et la Turquie d'autre part, ne doivent pas être négligés. Mon groupe s'opposera à ce projet de loi.
Mme Josette Durrieu. - Pour répondre à l'intervention de mon collègue, je voudrais rappeler que nous avons à faire à des peuples indépendants, responsables des choix qu'ils font. Je me dis que les propositions d'associations qui ont été faites aux pays du Partenariat oriental pourraient peut-être être faites également à la Russie. Cela mettrait un terme aux interrogations que nous nous posons sur les accords d'association avec la Moldavie, l'Ukraine et la Géorgie. Je note que ces accords d'association excluent les conflits gelés, les deux territoires concernés ayant de plus des statuts différents, l'un étant reconnu comme indépendant par la Russie, l'autre ne l'étant pas. Si l'on veut que ces conflits se « dégèlent », cela ne se fera, au vu des expériences précédentes, que par le biais de l'ouverture économique. J'ai notamment pu le constater lors d'une mission à la frontière entre l'Ukraine et la Transnistrie où la volonté de poursuivre les échanges économiques a largement influencé les comportements des acteurs en place.
M. Jacques Gautier. - Je voudrais tout d'abord saluer le travail de notre rapporteur. On voit bien une demande forte et une appétence réelle des pays frontaliers de la Russie à se tourner vers l'Union européenne mais aussi vers l'OTAN. Nos positions sont très claires à ce sujet : nous ne soutiendrons l'adhésion de ces pays ni à l'Union ni à l'OTAN. Pour autant, il convient de leur proposer des perspectives porteuses d'espoir. Cet accord association me semble aller dans le bon sens, il offre des perspectives économiques et une réelle reconnaissance à ces pays. Je reviens de la session annuelle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN (AP-OTAN) qui s'est tenue à Stavanger, en Norvège, du 9 au 12 octobre. La délégation française, que je conduisais, a pu constater la pression exercée par la Géorgie et l'Ukraine pour adhérer à l'OTAN. Nous sommes constants dans nos positions, et nous nous y opposons. Ce n'est pas le moment d'agiter ce qui sera perçu comme une provocation. L'OTAN va en revanche intégrer le Monténégro l'année prochaine, comme l'a recommandé l'AP-OTAN. Nous ne pouvons pas aller dans ce sens pour les pays du Caucase mais nous pouvons comme le propose l'OTAN à l'Ukraine ou à la Géorgie mettre en place un partenariat renforcé. La démarche de cet accord d'association avec l'Union obéit à la même logique de partenariat politique et économique renforcé. Je suis donc très favorable à cet accord.
Mme Gisèle Jourda. - Je suis également totalement favorable à cet accord même si je me pose des questions. Ils ont été mis en évidence par notre collègue rapporteur, je pense notamment à la limite d'application de l'accord d'association qui exclut les territoires concernés par les conflits gelés. Je me demande quel est le ressenti de la population de ces territoires tout en ayant conscience qu'il ne faut pas donner à la Russie l'argument d'une nouvelle provocation sur ces questions.
M. Jeanny Lorgeoux. - Nous sommes tous favorables à la signature d'accords d'association qui permette de soutenir le développement économique de ces pays. Les progrès réalisés dans la lutte contre la corruption doivent être suivis avec attention. L'économie souterraine -voire mafieuse- est une réalité.
Mme Nathalie Goulet. - Je rappelle que l'accord association concerne également la lutte contre le terrorisme et comporte des mesures fiscales. La lutte contre le terrorisme est un point essentiel quand on connaît la porosité de la frontière géorgienne avec la frontière tchétchène. Il me semble également important de souligner que cet accord d'association vient à point nommé alors que le clergé géorgien est hostile aux musulmans, la Géorgie étant un pays chrétien, dont les voisins sont musulmans. La Géorgie dépend énergétiquement de ses voisins à cause de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, elle est sous perfusion financière notamment de son voisin turc, il est donc important que l'association avec l'Union européenne rééquilibre les forces dans cette zone. La deuxième chose que je voulais souligner, c'est la politique de non visa de la Géorgie, qui permet à un flux d'affaires légales, mais aussi illégales, de se développer. Enfin, il est très important que le report dans le temps de l'application des dispositions de l'accord d'association aux territoires concernés par les conflits gelés n'entraîne pas la reconnaissance de l'occupation de ces territoires. Ce ne sont pas les conflits qui sont gelés mais les solutions.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Lors d'une mission en Géorgie, nous avions rencontré un responsable géorgien chargé du suivi des activités de la mafia géorgienne, qui étend ses activités jusqu'en métropole parisienne. Dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes, j'ai proposé que soit étudiée la philosophie du partenariat oriental. Lors d'une visite dans cette zone, effectuée avec le Président de la République française, je l'ai entendu s'étonner du fait que l'Ukraine ne signe pas réciproquement des accords avec la CEI. Il existe des tensions fortes sur les accords d'association avec l'Union européenne, dont on peut comprendre la logique. Je suis beaucoup plus nuancé sur les partenariats mis en place entre l'Ukraine et l'OTAN ou entre la Géorgie et l'OTAN alors que j'ai en tête les termes de l'accord entre les présidents Bush et Gorbatchev qui prévoyait que l'OTAN s'arrête aux frontières de l'ancien empire soviétique.
M. Alain Gournac, rapporteur. - En réponse à vos interrogations, je me dois de souligner que son volet économique ne résume pas cet accord. La mise en place de cet accord a favorisé une réforme du parquet destinée à accroître son indépendance, une réforme de la détention administrative et de la situation des prisonniers. La police a également été réformée, une loi anti discrimination a été adoptée, etc.
Il faut également noter que 85 % des Géorgiens soutiennent l'adhésion de leur pays à l'Union européenne et 78 % de la population est favorable à l'adhésion à l'OTAN. J'avoue pour ma part être réservé sur l'ouverture récente d'un centre d'entraînement de l'OTAN à proximité de Tbilissi, je crains que Moscou n'y voie une provocation.
Il est certain que la mafia géorgienne existe et que des progrès doivent encore être réalisés dans ce domaine. La Géorgie est toutefois sur la bonne voie comme le prouve sa progression de six places dans le classement « Doing business » entre 2013 et 2015. C'est un pays que je connais depuis 20 ans, un pays que je vois avancer vers la démocratie. Il faut donner de l'espoir à ce peuple. J'y contribue -modestement- notamment en créant des bibliothèques françaises grâce au soutien d'Emmaüs. Mes chers collègues, il ne faudrait pas donner un mauvais signal à ce peuple, nous ne devons pas être des donneurs de leçons au monde mais nous devons soutenir la progression de la Géorgie en ratifiant cet accord association.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté sans modification le projet de loi, M. Billout et Mme Demessine votant contre.
Questions diverses
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Au titre des questions diverses, je voulais féliciter « l'équipe France » de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN qui a obtenu ce week-end à Stavanger en Norvège de très beaux résultats. Trois nouveaux mandats ont ainsi été remportés par nos collègues : Jacques Gautier a été élu Vice-Président de la commission des sciences et des technologies, Xavier Pintat a remporté le poste de Président de la sous-commission sur l'avenir de la sécurité et des capacités de défense. Enfin, Jean-Marie Bockel a été élu Rapporteur Général de la commission de l'économie et de la sécurité. Joëlle Garriaud-Maylam conserve son mandat, réélue Rapporteur Général de la commission sur la dimension civile de la sécurité.
Ainsi, deux des cinq rapporteurs généraux des commissions sont des sénateurs, trois sont français puisque notre collègue député Philippe Vitel a également été nommé Rapporteur général. Bravo à vous de faire rayonner nos travaux et pour ce travail d'influence pour la France.
Mme Hélène Conway-Mouret a ensuite présenté à la commission une communication sur son rapport remis en juillet 2015 au Premier ministre sur le retour en France des Français établis à l'étranger.
La réunion est levée à 11 h 30
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30
Loi de finances pour 2016 - Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Je souhaite la bienvenue à M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, que je remercie pour sa disponibilité. Nous vous entendons aujourd'hui sur le projet de loi de finances pour 2016. Les objectifs et ambitions de votre ministère sont-ils corrélés aux moyens prévus par ce projet de loi de finances, compte tenu de la participation du ministère à l'effort général de maîtrise des dépenses publiques ? Nous nous interrogeons notamment sur l'évolution globale du budget, sur les crédits de la COP 21 et sur ceux de l'aide au développement.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - C'est un plaisir de vous retrouver pour vous présenter le projet de budget de la mission « Action extérieure de l'État ». La Secrétaire d'État au Développement et à la Francophonie viendra prochainement vous présenter la mission « Aide publique au développement ».
Quelques mots tout d'abord sur l'évolution générale de la mission budgétaire. Son montant est de 3,1 milliards d'euros. Pour regarder l'évolution par rapport au budget de cette année, il convient de raisonner à périmètre constant, c'est-à-dire de laisser de côté les crédits d'organisation de la COP 21, et de neutraliser l'effet « change ». Dans ces conditions, la mission voit ses crédits baisser de 0,4%.
Il s'agit donc d'un budget économe en crédits et en emplois. Le plafond d'emplois du MAEDI sera de 14 020 équivalents temps plein, soit une baisse de 115 emplois. Nous avions tracé avec le Premier Ministre et le Ministre du Budget un schéma d'emplois réaliste pour toute la période du quinquennat. Nous le respectons sans dévier de notre trajectoire, ni à la hausse, ni à la baisse et sans augmentation de la difficulté. Ceci est capital pour permettre le travail d'adaptation du réseau diplomatique et consulaire qui consiste à redéployer nos effectifs vers les pays émergents et nos politiques prioritaires.
Le Quai d'Orsay participe, à la hauteur de son poids dans le budget de l'État, au redressement des finances publiques. Au-delà du projet de loi de finances, je me suis engagé à rendre l'année prochaine 100 millions d'euros au budget général, sur les produits de cessions immobilières à l'étranger. Les objectifs de notre politique immobilière sont multiples : d'abord rendre les ambassades, les consulats et les instituts plus fonctionnels, regrouper les services dans un lieu unique, et améliorer la sécurité de nos emprises. Nous adaptons le calendrier à l'état du marché. Plusieurs opérations importantes ont été effectuées, notamment une opération en Malaisie. Il est normal qu'une partie des recettes revienne au budget de l'État, mais pas la totalité, sinon il n'y aurait pas d'intérêt pour le Quai d'Orsay à travailler en ce sens.
Le programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde », d'un montant de 1,9 milliard d'euros, est en hausse de 10%. Cela est dû presque intégralement à la compensation de la perte au change.
Nous avions construit le triennal budgétaire sur le niveau de l'euro du printemps 2014, soit 1,36 dollar. Lorsque nous avons préparé le projet de loi de finances pour 2016, l'euro valait 1,10 dollar. Cette dépréciation de l'euro augmente automatiquement la charge de nos contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, qui représentent un cinquième du budget, et qui sont libellées à 80 % en dollar et en franc suisse. Cette évolution a également des conséquences sur les crédits de rémunération des agents de droit local et les moyens de fonctionnement du réseau. Nous aurions pu faire abstraction de cette évolution, et reporter cette question à un règlement en gestion. Cela n'aurait pas été respectueux du principe de sincérité budgétaire, et nous avons donc préféré abonder le budget de 159 millions d'euros de crédits pour maintenir la valeur réelle, c'est-à-dire le pouvoir d'achat, des dépenses faites en devises. Dans le même temps, le ministère a procédé à un ordre d'achat de 600 millions de dollars en juillet 2015, dans le cadre de notre convention avec l'Agence France Trésor, afin de sécuriser le paiement des contributions au plus proche du taux de budgétisation.
Au sein du programme, certaines lignes sont en hausse et d'autres en baisse, afin de conserver des capacités pour financer une action volontariste. C'est l'esprit du projet « MAEDI 21 » que j'ai entrepris cette année, en lançant une vaste consultation, et dont l'objectif est de mettre le Quai d'Orsay en phase avec les enjeux du vingt-et-unième siècle, en l'adaptant aux défis et aux opportunités du monde d'aujourd'hui, en simplifiant les procédures internes et à l'égard des usagers et en modernisant la gestion des ressources humaines.
J'ai notamment tenu, étant donné le contexte international que nous connaissons, à augmenter les crédits liés à la sécurité, qui progressent de 31 %. Ils permettront de poursuivre l'effort de modernisation et de mise à niveau de la sécurité de l'ensemble de nos réseaux, à la fois diplomatique, consulaire, culturel et éducatif. En revanche, les crédits de coopération, de sécurité et de défense sont en baisse. Il ne s'agit pas d'un désengagement. Cette évolution reflète une volonté de concentration sur les dispositifs les plus efficaces, comme la formation des élites militaires, de manière croisée avec nos priorités géographiques, notamment le Sahel.
Le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », d'un montant de 370 millions d'euros, est en baisse de 1,2 %.
La principale ligne de ce programme concerne l'aide à la scolarité. Elle s'établira en 2016 à 115 millions d'euros. Cela constitue une baisse en termes de budgétisation dans la loi de finances, mais elle n'aura pas d'impact sur les montants des bourses versées. Comme vous le savez, nous avons défini en 2012 de nouveaux critères dans l'octroi des bourses scolaires. La budgétisation qui avait été faite ces dernières années s'est révélée supérieure à l'exécution. Pour 2016, nous avons calé la budgétisation sur le besoin réel, à partir du bilan des années précédentes et tout en prévoyant une poursuite de l'augmentation des sommes versées. Cela me paraît plus transparent que ce qui se faisait jusqu'à présent, où nous annulions en fin d'année les crédits non utilisés, excédentaires par rapport aux besoins.
S'agissant des visas, nous innovons cette année avec l'acceptation par le Budget d'une demande ancienne du ministère des Affaires étrangères, à savoir la réattribution à son budget d'une partie des recettes liées à la délivrance des visas. La délivrance des visas est utile économiquement, et génère des recettes supérieures à son coût, mais elle est contrainte par le plafond d'ETP. Nous sommes donc parvenus à la mise en place d'un mécanisme d'attribution de produits, qui permettra d'affecter une partie de la recette visas aux actions de promotion du tourisme et au renforcement des ressources humaines dans les consulats, afin de pouvoir répondre à la hausse de la demande. Cela sera mis en oeuvre en janvier prochain et devrait rapporter 6,6 millions d'euros dès la première année.
Le Programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » représente 719 millions d'euros. Il est en baisse de 3,9 %.
C'est le programme qui a connu le plus de modifications ces dernières années, avec, d'une part, l'élargissement du périmètre du MAEDI au commerce extérieur et à la promotion du tourisme, et d'autre part, la rationalisation du champ des opérateurs, qui s'est traduite notamment par la création de Business France et d'Expertise France.
Les opérateurs représentent un poids important de ce programme. J'ai pris garde à adapter l'évolution de leurs moyens à leur situation financière. C'est ainsi que les baisses s'échelonnent entre -1,3% pour l'Institut français et -4% pour Campus France. Et j'ai veillé à renforcer les moyens d'Atout France, grâce au mécanisme d'attribution de produits qui devrait permettre un financement supplémentaire de 5 millions d'euros des actions de promotion du tourisme.
S'agissant des moyens d'influence culturelle, il convient de tenir compte des capacités d'autofinancement du réseau des instituts, qui a atteint 66 % en 2014. Les recettes assises sur les cours de langue, les certifications de diplômes et le mécénat ont atteint 130 millions d'euros. La tendance sera similaire en 2015. Ceci est permis par l'autonomie financière des instituts culturels, qui est vitale pour notre réseau culturel. Or, la Cour des comptes nous demande soit de mettre fin à cette autonomie financière, soit de modifier la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), ce que nous devrons faire lorsque le moment se présentera. Il y a là un mécanisme innovant, souple et productif qu'il faut veiller à préserver.
Le Programme 341 « Conférence Paris Climat 2015 » a été créé, pour les années 2015 et 2016, pour couvrir les dépenses liées à la préparation et l'organisation de cet événement, dont la France sera présidente à compter de son ouverture puis au cours de l'année 2016. En complément des crédits ouverts en 2015 (43 millions d'euros de crédits de paiement), le programme 341 s'élève à 139 millions d'euros pour 2016.
Les crédits du programme 341 représentent non seulement l'aménagement du site du Bourget, mais aussi toutes les dépenses de préparation de la conférence, l'équipe de négociation et les frais engendrés par l'année entière de présidence française qui s'achèvera fin 2016.
Rapporté par jour et par participant, cette conférence coûtera dix fois moins cher d'un G8 ou un G20. J'ai voulu alléger les dépenses. Nous avons décidé de faire appel au mécénat, en acceptant des financements ou des apports en nature de la part d'entreprises que nous choisissons, ce qui devrait nous permettre de couvrir 15 % de la dépense. Les coûts seront tenus, alors que plusieurs facteurs sont venus compliquer l'atteinte de cet objectif : nous avons dû augmenter les surfaces à aménager par rapport aux prévisions initiales, suite à des demandes des Nations unies et à des exigences de sécurité ; nous organisons par ailleurs un sommet de Chefs d'État et de gouvernement le 30 novembre, qui n'avait pas été inclus dans la budgétisation initiale.
Telles sont les grandes lignes du budget de la mission « Action extérieure de l'État » pour 2016. Je suis à votre disposition pour répondre maintenant à vos questions.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Les rapporteurs pour avis vous interrogeront, programme par programme, en commençant par le programme 105.
M. Christian Cambon. - Merci, Monsieur le ministre, pour votre volonté de transparence.
Un mot, tout d'abord, sur la politique immobilière. Nous comprenons les raisons qui vous conduisent à vous séparer de certains bâtiments, même si ce n'est pas, pour nous, dans certains cas, sans un certain sentiment de tristesse. Ce qui est important, c'est qu'une partie du produit de ces cessions revienne au compte d'affectation spéciale afin que le ministère puisse bénéficier des efforts qu'il accomplit, et qui méritent d'être salués. Où en sont les réflexions sur la mutualisation de certains postes, notamment des consulats, avec certains de nos voisins européens ? Avez-vous dressé un premier bilan de la différenciation entre postes diplomatiques avec les postes à présence simplifiée ? Ce modèle est-il appelé à perdurer ? Certains postes diplomatiques sont de dimension tellement réduite que l'on peut s'interroger sur l'efficacité de leur action.
Les tensions internationales exposent nos diplomates. Où en est la sécurisation de nos postes diplomatiques ?
Le réseau diplomatique français reste marqué par son passé, avec une présence très importante en Europe et en Afrique, mais moindre dans les pays émergents. Nous n'avons pas d'ambassadeur auprès de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), ni auprès de l'Union africaine. Ne faudrait-il pas redéployer certains postes vers ces organisations ?
Un mot maintenant sur la diplomatie économique à laquelle vous avez donné une forte impulsion. Comment sont évalués ses résultats ? Les très grandes entreprises, présentes lors des voyages officiels, ne sont pas forcément celles qui ont le plus besoin d'un accompagnement de l'État pour se faire connaître. En revanche, nous avons un tissu vivace de PME, pour qui un tel soutien serait essentiel. La diplomatie économique entreprend-elle des actions à leur égard ? Les élus régionaux sont-ils sollicités, afin d'identifier des entreprises que vous pourriez accompagner dans leurs démarches à l'exportation ?
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Notre projet MAEDI 21 inscrit l'action du ministère dans le temps long. Les cessions immobilières ont suscité des interrogations, qui ont pu nous conduire, dans certains cas particuliers, à revenir en arrière. Les cessions réalisées sont toutefois peu contestables, s'agissant par exemple de l'appartement qui était détenu par l'État à New York et que certains d'entre vous connaissiez. Nous réalisons une opération immobilière au Quai d'Orsay même. Cette opération, qui est financée, s'achèvera en 2018-2019 et permettra le regroupement des services du ministère sur trois sites en région parisienne au lieu de cinq aujourd'hui.
Il existe déjà des exemples de mutualisation. J'ai inauguré récemment une ambassade franco-allemande au Bangladesh. Je souhaite développer ces mutualisations, l'objectif étant de parvenir à 25 postes mutualisés en 2025.
La hiérarchisation des postes diplomatiques n'a pas encore fait l'objet d'un bilan d'ensemble. Le principe me paraît bon. L'importance des postes est toutefois susceptible d'évoluer. Il conviendra d'en tenir compte.
En 2016, 56 millions d'euros seront consacrés à la sécurisation, soit une augmentation de dix millions d'euros. La sécurité dite passive représente 36 millions d'euros. La sécurité dite active emploie 442 gardes de sécurité expatriés dans 162 postes.
Entre 2013 et 2015, les redistributions d'emplois entre postes diplomatiques ont été considérables, au profit des pays émergents. A l'horizon 2025, 25 % des effectifs du Quai d'Orsay seront dans les pays émergents du G20. Dès 2017, la première ambassade en termes d'effectifs sera la Chine, devant les États-Unis et le Maroc.
L'impulsion donnée à la diplomatie économique était indispensable. Chaque ambassadeur doit rendre compte de ses actions dans le domaine économique. La formation des agents, et les concours d'entrée, évoluent également en ce sens. Nous avons intégré la nécessité d'accompagner les PME à l'international. Une opération dite de speed dating entre ambassadeurs et chefs d'entreprises a été organisée récemment à cet effet à l'occasion de la Semaine des ambassades. Elle a rencontré un vif succès. D'ici à la fin de l'année, un conseiller diplomatique sera nommé auprès de chaque préfet de région. Il sera chargé des relations avec le réseau diplomatique, la Banque publique d'investissement et les chambres de commerce. Cette orientation doit être poursuivie. Nous devons développer notre réseau d'influence, y compris sur le plan culturel. Une Nuit des Idées sera prochainement organisée au Quai d'Orsay, autour de philosophes et intellectuels du monde entier.
M. Jacques Legendre. - Ce budget, avez-vous dit, ne représente pas « d'augmentation de la difficulté ». Le programme 185 connaît cependant une amputation importante, de 3,9 %, problématique pour les principaux opérateurs de ce programme.
Nous avions espéré que l'Institut Français puisse prendre toute sa place dans le dispositif d'action culturelle. Une expérimentation a été menée en ce sens. Elle répondait à une réflexion commune des commissions de la culture et des affaires étrangères du Sénat. Cette expérimentation a été interrompue, ce qui a semé un certain trouble parmi les agents de l'Institut Français, qui s'interrogent sur l'avenir de cet établissement. Les signaux budgétaires continuent d'être négatifs, avec une diminution de 22% des crédits depuis 2011, dont - 1,3% en 2016. Je souhaitais, Monsieur le ministre, attirer votre attention sur ce point, d'autant que le domaine culturel est soumis à une forte concurrence. Lorsque nous avions souhaité la création de l'Institut Français, c'était par référence au Goethe-Institut, dont les crédits ont considérablement augmenté, ainsi qu'au British Council. Si nous voulons donner toutes ses chances à l'Institut Français, il faudra enrayer cette diminution, qui risque de devenir difficilement soutenable. Je me réjouis que le ministère de la culture soit associé à la conclusion du prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'Institut Français, conformément à la volonté des fondateurs de cet Institut.
Campus France est chargé d'attirer chez nous des étudiants étrangers. C'est un instrument important de notre diplomatie d'influence, puisque ces étudiants seront des prescripteurs qui, plus tard, dans leurs pays d'origine, pourront se tourner vers la France et soutenir les échanges économiques avec notre pays. Or, Campus France voit ses crédits subir une diminution substantielle de 4 %. Peut-être faut-il examiner diverses options concernant cette structure et, notamment, définir clairement ses compétences par rapport à celles de l'agence Erasmus et du Centre National des OEuvres Universitaires et Scolaires (CNOUS). Attirer les étudiants étrangers doit demeurer l'une de nos priorités.
Enfin, il me semble que le ministère de l'éducation nationale devrait contribuer au budget de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Il y est, semble-t-il, réticent.
M. Laurent Fabius. - Les opérateurs de l'État subissent cette année, selon la règle définie au niveau interministériel, une baisse comprise entre 2 % et 4 %. En ce qui concerne mon ministère, j'ai pris soin de calibrer cette diminution en fonction de la situation financière de chaque opérateur. L'Institut Français subit une baisse de 1,3 %, avec un maintien du plafond d'emplois ; l'AEFE, une baisse de 3, 4 % et un maintien de son plafond d'emplois. Quant à Campus France, il subit une diminution de 4 % et la suppression de deux emplois sur 312. La subvention d'Atout France augmente, quant à elle, de 9,8 %, pour des raisons de transfert de masse salariale d'agents titulaires du ministère de l'Economie, sans compter à la fraction allouée des recettes visas.
L'Institut Français est un établissement auquel j'attache beaucoup d'importance. Cet établissement s'interroge sur son devenir. Il doit aujourd'hui mieux cibler ses projets, développer ses domaines d'excellence, et bien définir son rôle par rapport aux autres acteurs du réseau culturel. C'est à l'Institut Français que j'ai, par exemple, confié l'organisation de la Nuit des idées.
Campus France subit une diminution importante de son budget. Son bilan est toutefois bon. En 2014-2015, le nombre d'étudiants étrangers a progressé de 1,3 %. Avec près de 300 000 étudiants étrangers, la France est la troisième destination universitaire après les États-Unis et le Royaume-Uni. Nous devons rester vigilants car la compétition est rude.
Il est regrettable qu'une grande partie des lycéens étrangers ayant fait leur scolarité dans les lycées français ne choisissent pas nos universités. Il faut mieux expliquer et poursuivre la simplification de notre offre universitaire, afin d'attirer ces étudiants. Campus France doit concentrer ses efforts de promotion sur certains pays, attirer des étudiants à haut potentiel qui soutiendront nos capacités de recherche et d'innovation, proposer des cursus adaptés aux besoins des pays partenaires et simplifier les parcours.
La demande d'une contribution du ministère de l'éducation nationale à l'AEFE est ancienne. Les négociations avec ce ministère doivent être poursuivies.
Il faut se féliciter de l'association du ministère de la culture à l'Institut Français. Le MAEDI disposera par ailleurs d'une cotutelle sur France Médias Monde. Comme certains d'entre vous l'ont suggéré, il me paraîtrait légitime d'encourager la diffusion de France 24 en espagnol, notamment pour notre rayonnement en Amérique latine.
M. Jean-Pierre Grand. - Nous relevons que le programme 151 subit une légère baisse de 1,16 %, ce qui n'est pas catastrophique. Les crédits destinés à l'aide à la scolarité accusent en revanche une diminution de 10 M€, soit - 8 % au motif que les crédits alloués les années précédentes n'ont pas été consommés. Encore faudrait-il savoir pourquoi. N'y a-t-il pas quelques lacunes concernant l'application des critères d'attribution ? Ce serait peut-être à expertiser. Sur un autre sujet, je souhaite vous interpeller sur la sélection des consuls honoraires, en référence à une récente affaire que nous avons tous bien en tête.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - J'aimerais tout d'abord savoir quelles sont les évolutions du réseau consulaire envisagées en 2016. Nous avons noté qu'un accord avait été trouvé avec Bercy pour qu'une partie des recettes des visas revienne au financement de l'activité « visas », ce que nous appelions de nos voeux l'an passé, donc nous nous en félicitons. Pouvez-vous préciser ce dispositif et nous indiquer la répartition du retour entre Atout France et l'activité « visas » ? Quels postes devraient voir leurs moyens renforcés pour le traitement des visas, en conséquence de l'augmentation de l'action n° 3 ? Pourriez-vous, enfin, nous faire un point sur le dispositif de délivrance des visas pour asile en Jordanie, Liban et Irak ?
M. Laurent Fabius. - Le retour portera en 2015 sur 6,6 millions d'euros, dont 5 millions d'euros pour Atout France et 1,6 million d'euros pour les visas. Concernant les crédits d'aide à la scolarité non utilisés, les critères d'attribution ont été modifiés en 2012 et il était prévu de retrouver une utilisation complète des crédits en 2017. S'agissant de la malencontreuse affaire ayant impliqué un consul honoraire, elle reste un cas particulier dont je ne tire pas de conclusion générale. Les agences consulaires sont des institutions efficaces, qui ne coûtent rien et contribuent au rayonnement de la France. Concernant le réseau consulaire, aucune fermeture n'est prévue en 2016 en dehors de la transformation d'ambassades en postes de présence diplomatique ; en revanche devrait être expérimenté en 2017 un nouveau type de structure légère, dénommé « bureau de France » conformément au plan MAEDI 21, pour assurer une présence française dans certaines grandes villes dépourvues d'ambassades et de consulats. 2017 devrait voir également la dématérialisation complète des procédures de demandes et de délivrance des visas, ce qui permettra de redéployer les moyens humains qui y étaient consacrés à la fonction d'accueil. En 2016, 25 ETP supplémentaires devraient être consacrés au traitement des visas. Un effort sera fourni pour renforcer les équipes mobiles car il importe dans ce domaine d'être réactifs et de s'adapter aux variations saisonnières de la demande ; cela concerne notamment l'Inde et la Chine. On relève une forte augmentation des demandes de visas pour l'Iran.
M. Henri de Raincourt. - Alors que l'on s'attendait à ce que le budget consacré à l'APD soit sacrifié en 2016, 150 millions d'euros sur 177 millions d'euros seront finalement récupérés grâce à l'action du ministre. Le budget alloué sera donc cohérent avec ce qui est annoncé au titre de la COP 21 et avec les 4 milliards supplémentaires dès 2020 - dont 2 milliards pour le climat - annoncés par le Président de la République fin septembre à New York. Un autre point important est l'adossement annoncé de l'Agence française de développement (AFD) à la Caisse des dépôts et Consignations (CDC) qui devrait lui permettre de mieux répondre aux besoins, ce qui apparaît déterminant vis-à-vis de la politique migratoire.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Comment l'augmentation de 4 milliards d'euros des crédits consacrés à l'APD d'ici 2020 va-t-elle se traduire concrètement ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Avec la baisse de presque 10 % des crédits d'aide à la scolarité, c'est la participation des familles moyennes au réseau français d'enseignement et l'existence même de celui-là qui est menacée. Les demandes sont en baisse, certes, mais c'est parce que le montant des bourses a été diminué et a entraîné une déscolarisation. L'autre problème, c'est l'augmentation considérable des frais de scolarité et l'effet du taux de change. Enfin, les conditions de travail des enseignants se dégradent. En matière d'audiovisuel, il est important de développer l'espagnol. Je regrette en revanche la décision du président de France-Télévisions de créer une nouvelle chaîne, alors que les recettes publicitaires sont en baisse et que LCI a dû fermer, il vaudrait mieux développer et soutenir France 24.
M. Laurent Fabius. - Je suis d'accord que France 24 doive être associée à cette initiative. Sur les bourses, nous allons regarder de plus près pour expliquer la baisse. Concernant l'enveloppe supplémentaire consacrée à l'aide au développement, sa montée en puissance sera progressive (pour passer concernant le climat de 3 milliards d'euros aujourd'hui à 5 milliards en 2020), avec une augmentation de la capacité annuelle de prêts de l'AFD de 4 milliards d'euros d'ici 2020, en partie dans le cadre du rapprochement avec la CDC et un niveau annuel de dons en 2020 supérieur de 370 millions d'euros à ce qu'il est aujourd'hui, pour maintenir le ratio prêts/dons. Notons que la crise actuelle des migrants peut nous aider à bien expliquer la nécessité de l'aide au développement.
Mme Gisèle Jourda. - La France prépare actuellement sa candidature à sa réélection au Conseil des droits de l'Homme en 2017. Quels sont les axes forts de son programme ? Pourrait-on envisager de réformer la composition de cette enceinte compte tenu du positionnement contestable de certains de ses membres à l'égard des droits de l'Homme ?
M. Michel Boutant. - Je voudrais mettre l'accent sur le surcroît de travail des ambassades d'Amman et de Beyrouth, compte tenu de la fermeture de celle de Damas, et vous demander les mesures que vous envisagez pour y faire face.
Mme Josette Durrieu. - En ce qui concerne le tourisme, comment envisagez-vous d'atteindre 100 millions de touristes en 2020, qui est un objectif ambitieux dans un délai bref ? D'où provient le milliard d'euros que vous mobilisez en faveur de cette politique et quels sont les secteurs que vous envisagez d'accompagner plus particulièrement ?
M. Laurent Fabius. - A l'appui de sa candidature au Conseil des droits de l'Homme en 2017, la France présentera son bilan ; dans ce domaine, elle mène une politique volontariste, comme l'illustre l'initiative qu'elle a prise à l'ONU sur la peine de mort. Concernant la composition de cette enceinte, les pays désignés le sont par aires géographiques, ce qui explique la situation actuelle.
S'agissant du tourisme, il faut noter que des initiatives sont prises également par les professionnels. Pour atteindre 100 millions de touristes en 2020, il faut viser non seulement les touristes étrangers, mais aussi les touristes français. L'accent doit être mis sur la diversification des sites, dans toutes les régions. Il faut aussi améliorer l'accessibilité, notamment les liaisons aériennes, et l'accueil doit être une thématique forte. Il existe un site France.fr, qui vient d'être attribué à Atout France et qui recensera bientôt toutes les offres touristiques françaises. Le tourisme est l'un des secteurs économiques français les plus performants, puisqu'il rapporte un milliard d'euros par an et que l'objectif est qu'il en dégage 2 milliards par an dans quinze ans. Il représente 2 millions d'emplois non délocalisables et constitue un marché porteur sur lequel la France occupe la première place.
Le milliard d'euros mobilisé sera apporté par la CDC et devrait se répartir comme suit :
- 500 millions d'euros seront consacrés, dans le cadre d'une foncière, à la rénovation et à la construction d'infrastructures hôtelières ;
- 400 millions d'euros financeront des équipements touristiques (notamment pour le tourisme fluvial, les croisières...) ;
- enfin, 100 millions d'euros seront alloués, via la Banque publique d'investissement (BPI), aux petites et moyennes entreprises de la filière tourisme.
En outre, le tourisme sera l'un des trois secteurs d'avenir dans le cadre du Programme d'Investissements d'Avenir (PIA).
L'adossement de l'AFD sur la CDC est stratégique car l'AFD n'a pas les moyens et les connections territoriales suffisantes alors que la CDC n'a pas le réseau international. En outre, cela devrait permettre à l'AFD de ne plus être considérée comme une banque aux yeux de la Commission européenne.
Concernant la situation des ambassades de Beyrouth et Amman, de nouveaux ambassadeurs viennent d'être nommés et des renforts sont en train d'être envoyés.
M. André Trillard. - Lorsqu'on consulte le site France.fr., on ne peut encore accéder au contenu que vous avez décrit.
M. Laurent Fabius. - Le contenu de ce site n'a pas encore été changé, mais va l'être sous peu, nous y travaillons.
La réunion est levée à 17 h 57.