Mardi 7 juillet 2015
- Présidence de M. Jean Claude Lenoir, président -Transition énergétique pour la croissance verte - Suite de l'examen des amendements au texte de la commission
La réunion est ouverte à 9 h 30.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous poursuivons et terminons l'examen des amendements au texte de la commission sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Onze amendements doivent être déclarés irrecevables, en application de la théorie de l'entonnoir. Il s'agit des amendements nos 21 et 22 de M. Revet, 79 et 80 de M. Kern, 174 de M. Bosino, 229 de M. Courteau et 233, 236, 239, 240 et 242 de M. Cornano.
En outre, en application de la délégation au fond, nous entérinons la décision de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de considérer comme irrecevable, en application de la règle de l'entonnoir, l'amendement n° 238 de M. Cornano.
EXAMEN D'UN AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° AFFECO.12 procède à une coordination avec le projet de loi NOTRe.
L'amendement n° AFFECO.12 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les amendements identiques nos 124 et 204 ont déjà été présentés et rejetés en commission en nouvelle lecture. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 124 et 204.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les amendements identiques nos 126, 191 et 212 mettent en place un dispositif d'acheteur en dernier recours de l'électricité produite par les installations bénéficiant du complément de rémunération. Il s'agirait d'un dispositif de nature assurantielle qui fonctionnerait comme un filet de sécurité sur lequel je vous propose de demander d'avis du Gouvernement pour obtenir des précisions techniques.
La commission demandera l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 126, 191 et 212.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 53 rectifié subroge le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) aux producteurs d'électricité renouvelable qui bénéficient du complément de rémunération pour la gestion des garanties de capacité. Avis favorable.
M. Roland Courteau. - Ah !
M. Yannick Vaugrenard. - Champagne !
M. Jean-Claude Lenoir, président. - J'entends votre satisfaction.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 53 rectifié.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les amendements nos 81, 205, 11 et 125 reviennent tous les quatre, selon des modalités différentes, sur le délai maximal de dix-huit mois fixé pour la période transitoire entre l'obligation d'achat et le complément de rémunération. Nous avions adopté une position différente en commission. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait des amendements nos 81, 205, 11 et 125 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 222 procède à une correction et apporte un complément bienvenu sur le délai maximal de raccordement d'installations de production d'électricité renouvelable nécessitant des travaux. Avis favorable.
M. Daniel Gremillet. - Je m'en réjouis.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 222.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 206, déjà rejeté en commission.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 206.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les amendements nos 164 et 165 ont déjà été présentés et rejetés en première lecture au Sénat, après deux avis défavorables de la commission et du Gouvernement. Nous pourrons débattre de l'hydroélectricité. Nous avions trouvé un équilibre qui n'était pas si mauvais ; il sera difficile, en tout cas, d'aller au-delà. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos164 et 165.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 118 qui vise à élever au niveau du bassin versant le comité de suivi de la concession a déjà été présenté en première lecture et retiré, après une demande de notre commission et un avis défavorable du gouvernement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 118.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 54qui rétablit une demande de rapport sur les rayonnements ionisants que la commission a supprimée.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 54.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les amendements nos 75 rectifié et 207 ont déjà été rejetés en commission. Même s'ils ne sont pas identiques, ils sont tous deux en partie satisfaits par l'article 54 du texte et par le droit en vigueur. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait des amendements nos 75 rectifié et 207 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nos collègues du groupe CRC estiment que nous sommes allés trop loin dans notre souci de venir en aide aux électro-intensifs. C'est pourtant une volonté largement partagée au sein de la commission. Avis défavorable à l'amendement n° 167.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 167.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 57 rétablit une obligation de résultats de performance énergétique pour tous les électro-intensifs alors que nous l'avons limitée à certaines catégories seulement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 57.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nos collègues du groupe CRC sont contre l'effacement de consommation d'électricité. Cependant, l'amendement n° 264 a déjà été présenté et rejeté en première lecture au Sénat, après deux avis défavorables de la commission et du Gouvernement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 264.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Même chose concernant l'amendement de repli n° 168.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 168.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'imagine que Mme Jouanno défendra en séance son amendement n° 186, comme elle l'avait fait, longuement, en première lecture.
M. Bruno Sido. - Sans aucun doute.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Il déséquilibre l'ensemble du cadre juridique de l'effacement de consommation d'électricité au profit des opérateurs d'effacement. J'aurai l'occasion d'y revenir plus en détail en séance. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 186.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Même avis défavorable à l'amendement de repli n° 187.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 187.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 58 rectifié s'inscrit dans une logique de rejet de la réforme de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) que la commission des finances du Sénat a proposée et que nous avons adoptée. Avis défavorable.
M. Roland Courteau. - Nous ne sommes pas contre la réforme de la CSPE. Nous admettons qu'elle est urgente. En revanche, nous avons appris que le Gouvernement avait sollicité une mission d'inspection pour proposer, dans le cadre de la loi de finances pour 2016, un projet de réforme qui englobera les énergies renouvelables, les tarifs sociaux, le chèque énergie et les zones non interconnectées. À quatre mois près, nous préférons attendre la loi de finances.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Votre position est logique, tout comme la nôtre.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 58 rectifié.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je souhaite que M. Gremillet défende son amendement n° 230 en séance, mais j'en demanderai le retrait, ayant reçu une lettre exprimant la position officielle des éleveurs sur les émissions de méthane entérique : la dernière rédaction adoptée à l'Assemblée nationale a leur accord.
M. Daniel Gremillet. - Ce n'est pas ce qu'ils m'ont dit.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - La lettre est signée de l'interprofession bétail et viande.
M. Daniel Gremillet. - Elle ne représente pas tous les éleveurs.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Un rapporteur est là pour écouter tout le monde. Je vous lis cette lettre : « L'article 48 reconnaît clairement la spécificité des émissions de méthane entérique naturellement produites par l'élevage de ruminants dans la stratégie bas-carbone. Cette rédaction convient bien aux professionnels de la filière élevage et viande, conscients qu'elle est la plus à même de prendre en compte les spécificités des émissions de l'élevage de ruminants, tout en respectant les accords de Kyoto qui sont le cadre directeur de ce projet de loi. La rédaction actuelle - adoptée définitivement par l'Assemblée nationale - permet, comme l'a rappelé M. le ministre lors de son audition, le 4 juin, d'exclure le méthane entérique de la stratégie bas-carbone. Une exclusion totale serait dangereuse et risquerait de ne pas être retenue dans le texte final, alors que cette rédaction ne met pas le secteur en porte-à-faux avec le protocole de Kyoto, tout en lui garantissant un traitement spécial similaire à l'exclusion ». Telle est la position officielle des éleveurs, que j'écoute et que j'entends. Je demanderai donc en séance le retrait de l'amendement n° 230.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Et nous reparlerons de la vache verte que les éleveurs ornais ont récemment fait cheminer de Paris à Alençon.
La commission émet une demande de retrait de l'amendement n° 230.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - En renvoyant au décret le soin de moduler l'analyse des risques liés au changement climatique en fonction de la taille et de l'impact des activités de la société sur ce changement, l'amendement n° 59 précise utilement ce que nous avions voté la semaine dernière. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 59.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 184 de Mme Jouanno qui supprime le rapport sur les tests de résistance aux risques associés au changement climatique. Déjà présenté et rejeté en commission, il est par ailleurs incompatible avec l'amendement n° 275 de la commission.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 184.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 215 étend aux établissements de crédit et aux établissements financiers les obligations de « reporting »environnemental applicables aux investisseurs institutionnels. Or ces dispositions, ajoutées en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale par amendement du Gouvernement, sont déjà la transposition aux investisseurs institutionnels de l'article 224 de la loi Grenelle II visant les gestionnaires d'actifs. Avis défavorable, d'autant que les trois autres dispositifs prévus dans l'article 48 concernent également les obligations des banques.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 215.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nous avions déjà rejeté en commission l'amendement n° 185 qui demande la suppression du rapport sur le financement de la transition énergétique. Mme Jouanno le redépose. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 185.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n° 95 qui fixe une échéance pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, à l'horizon 2017.
M. Roland Courteau. - Merci.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 95.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 119 est le dernier présenté par M. Bertrand à vouloir introduire dans le texte la notion de territoires « hyper-ruraux ». J'ai dit pourquoi cette précision était inutile. Ces amendements ont déjà été rejetés en première lecture, l'avis reste défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 119.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je propose de demander l'avis du Gouvernement sur les amendements, identiques sur le fond, nos 214 et 234, ainsi que sur l'amendement n° 250, qui visent à limiter les effets du seuil de déconnexion des énergies renouvelables intermittentes dans les zones non interconnectées et qui posent plusieurs difficultés.
La commission demandera l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 214 et 234, ainsi que sur l'amendement n° 250.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Sagesse sur l'amendement n° 244 rectifié bis qui harmonise la dénomination des zones non interconnectées dans le code de l'énergie.
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 244 rectifié bis.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les amendements nos 84 rectifié, 60 et 170 s'inscrivent dans une logique d'opposition à la réforme de la CSPE proposée par la commission des finances. Avis défavorable.
M. Roland Courteau. - Encore une fois, l'amendement de la commission des finances ne prend en compte ni les zones interconnectées, ni les tarifs sociaux, ni le chèque énergie. Attendons quatre mois.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'ai bien compris votre position.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 84 rectifié, 60 et 170.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 30 rectifié ter et l'amendement de repli n° 31 rectifié ter ont déjà été rejetés en commission. RTE est le mieux à même de collecter les données nécessaires à l'établissement d'un registre national des installations de production et de stockage d'électricité, étant techniquement équipé pour. En outre, l'adoption de ces amendements poserait un problème juridique. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait des amendements nos 30 rectifié ter et 31 rectifié ter et, à défaut, y sera défavorable.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avec l'amendement n° 171, qui propose de prendre en compte la lutte contre l'artificialisation des terres agricoles dans l'autorisation d'exploiter, nos collègues du groupe CRC reviennent à la charge.
M. Jean-Pierre Bosino. - C'est une stratégie !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 171 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements identiques nos 61 rectifié et 208, qui modifient le plafonnement de la capacité de production d'électricité nucléaire que nous avions porté à 64,85 GW. Nous pourrons en débattre en même temps que de l'article 1er sur le passage de 75 % à 50 % de la production d'électricité d'origine nucléaire.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous aurons toute la nuit de vendredi à samedi pour cela.
M. Roland Courteau. - Nous sommes disponibles.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 61 rectifié et 208.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 209 rétablit un délai maximal de dix-huit mois entre le dépôt de la demande d'autorisation d'exploiter une centrale et le délai fixé par le décret d'autorisation de création de cette centrale pour sa mise en service. Un tel délai, combiné au plafonnement de la capacité de production, aurait pour conséquence d'anticiper de plusieurs mois le processus de fermeture de la centrale de Fessenheim, qui serait engagé dès octobre 2015. Nous avions déjà supprimé cette disposition. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 209.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - La possibilité que les dispositifs de gestion optimisée de stockage et de transformation des énergies intègrent l'optimisation globale des réseaux électriques et de gaz naturel n'a pas besoin de figurer dans le texte pour être effective. Demande de retrait ou avis défavorable à l'amendement n° 121.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 121 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les amendements de coordination nos 62, 63 et 64 s'inscrivent dans une logique de suppression de la réforme de la CSPE. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 62, 63 et 64.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - La question des coupures d'eau a été longuement discutée à l'Assemblée nationale. La solution que celle-ci a adoptée consiste à serrer le robinet pour sanctionner les mauvais payeurs. C'est techniquement envisageable pour 20 % des syndicats d'eau, à savoir ceux qui ont équipé leurs compteurs d'eau de systèmes adéquats. C'est cette solution que les amendements n°s 20 et 78 reprennent. Si nous envisagions de les adopter, il faudrait rectifier le I de la rédaction proposée, en supprimant la fin de la phrase qui mentionne « les branchements alimentant plusieurs logements d'un immeuble collectif d'habitation ». Il faudrait également supprimer le II. Et encore... Peut-on inscrire dans la loi une proposition qui ne concerne que 20 % des Français ?
M. Martial Bourquin. - Je doute en effet qu'il soit possible de faire une loi qui ne s'applique qu'à 20 % des Français. Le principe d'égalité des citoyens devant la loi s'y oppose. D'autant que des recours existent contre les mauvais payeurs, comme la retenue sur salaire, par exemple. Nous les pratiquons en tant que maires.
M. Roland Courteau. - Je rappelle que depuis que les députés ont adopté cette mesure, le Conseil constitutionnel a validé la loi Brottes qui interdit toute coupure d'eau. Il n'y a pas lieu d'aller plus loin.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - La loi Brottes interdit de couper l'eau, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la réduction de débit. En revanche, Martial Bourquin a raison : on peut s'interroger sur la constitutionalité d'une disposition qui ne s'appliquerait pas à tous les Français. Même avec les corrections que j'ai suggérées, je ne suis pas sûr que la mesure soit constitutionnelle. Avis de sagesse sur les amendements identiques nos 20 et 78 sous réserve qu'ils soient rectifiés dans le sens que j'ai indiqué.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous propose d'ouvrir le débat en séance.
M. Jackie Pierre. - Nous l'avons déjà eu, avec le soutien de Mme Royal.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Mme Royal a changé d'avis. Elle était hésitante au Sénat ; elle a été très claire à l'Assemblée, en se prononçant en faveur de la suppression de l'amendement que nous avions adopté.
La commission émet un avis de sagesse sur les amendements identiques nos 20 et 78.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je propose de demander l'avis du gouvernement sur l'amendement n° 243, qui inclut le tarif d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution dans l'enveloppe maximale indicative des ressources publiques de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) des départements d'outre-mer.
La commission demandera l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 243.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 211 sur les îles bretonnes a déjà été examiné en commission. Nos collègues persistent. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 211.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n° 96 qui rétablit un alinéa supprimé par erreur. Je ferai du lobbying auprès des députés pour qu'ils reprennent cet amendement. Je vous rappelle que l'Assemblée nationale pourra faire ce qu'elle veut du texte que nous allons voter : si nous voulons que les députés reprennent certains amendements importants, il faut mener un travail de conviction, notamment auprès du président Brottes et des quatre rapporteurs.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Certaines rectifications s'imposent, qu'ils devront retenir. Nul doute que l'intelligence sera partagée !
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 96.
La réunion est levée à 10 h 10.
Le sort des amendements est repris dans le tableau ci-après.
Deuxième dividende numérique et poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 15 h 30.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je cède la parole à M. Bruno Sido pour la présentation de son rapport pour avis sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre. Il s'agit de la libération de la bande des 700 MHz par les diffuseurs de télévision en vue de son utilisation par les opérateurs de télécommunication. Les conséquences financières de cette opération sont importantes, et le Gouvernement se montre impatient de la mettre en oeuvre.
M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Nous examinons donc la proposition de loi sur le deuxième dividende numérique qui encadre la réattribution de la bande dite des 700 MHz - en réalité, des fréquences comprises entre 694 et 790 MHz. Actuellement utilisée par la télévision numérique terrestre (TNT), elle sera progressivement réaffectée aux opérateurs de communications électroniques, au plus tard en 2019.
Notre commission s'est saisie pour avis sur les articles 8, 9 et 10 ter de ce texte, alors que la commission de la culture est saisie au fond et la commission de l'aménagement du territoire sur le seul article 8 bis relatif à la prise en compte d'un objectif d'aménagement numérique du territoire dans l'attribution des fréquences.
Pourquoi un deuxième dividende numérique ? Le premier, qui concernait la bande des 800 MHz, avait été libéré fin 2011 par l'arrêt de la diffusion hertzienne analogique de la télévision. Cette bande était qualifiée de fréquence « en or » en raison de ses propriétés de propagation particulièrement intéressantes pour les télécoms. Elle avait déjà, à l'époque, été attribuée aux opérateurs de communications électroniques pour qu'ils déploient la quatrième génération de téléphonie mobile - la 4G - sur le territoire. La procédure d'enchères à l'aveugle, c'est-à-dire sous pli cacheté, avait permis à l'État de récupérer 3,6 milliards d'euros de recettes. Seul l'opérateur Free n'avait pas obtenu de fréquences.
Ce deuxième dividende numérique provient d'un changement des normes de compression (passage du MPEG2 au MPEG4) et de diffusion (passage du DVB-T au DVB-T2) de la TNT. Les différentes chaînes de la TNT, aujourd'hui diffusées sur huit multiplexes, devront désormais s'en partager six.
Au printemps 2013, le président de la République avait annoncé que la libération de ces fréquences bénéficierait au secteur des télécoms. Le premier objectif est l'augmentation des débits, avec la 4G+ puis la 5G à l'horizon 2020. Le trafic mobile, on le sait, ne cesse d'augmenter, en particulier pour la transmission de données : en France, il devrait être multiplié par dix-sept entre 2014 et 2019 !
Second objectif, l'amélioration de la couverture mobile et de la qualité de service, puisque les fréquences prochainement libérées couvrent davantage de territoire, s'adaptent mieux au terrain et pénètrent plus aisément dans les immeubles.
Ce transfert de l'audiovisuel aux télécoms s'inscrit dans une tendance générale au sein de l'Union européenne : plusieurs de nos partenaires ont déjà annoncé qu'ils feraient de même. Le transfert devrait s'achever avant 2020, suivant les préconisations de M. Pascal Lamy dans son récent rapport remis à la Commission européenne. Notre pays sera néanmoins l'un des plus avancés dans cette procédure.
L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) aura désormais la haute main sur la procédure, prenant le relais du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Un arrêté du 6 janvier dernier prévoit une libération progressive de la bande des 700 MHz entre le 1er décembre prochain et le 30 juin 2019. L'Arcep a déjà préparé un cahier des charges pour la mise aux enchères des fréquences, qui se déroulera à l'automne, cette fois selon la procédure classique. Il devrait être validé très prochainement par un nouvel arrêté ministériel, avant l'attribution des fréquences en décembre prochain. Il y a deux lots de 30 MHz dits « duplex » - l'un montant, l'autre descendant - à pourvoir, l'État conservant le reste pour ses besoins propres. Aucun opérateur ne bénéficiera d'un coup de pouce, contrairement aux souhaits de Free, qui n'avait rien obtenu à l'issue des enchères du premier dividende numérique.
Les fréquences sont un bien public dont l'octroi, toujours temporaire, se concrétise par la vente d'une licence d'exploitation. L'État en attend 2,5 milliards d'euros de recettes, en espérant que Free, l'opérateur le plus intéressé par ces fréquences, assurera la dynamique des enchères. Prudemment, un prix de réserve a néanmoins été fixé à 416 millions d'euros par lot de 5 MHz.
Le transfert effectif des fréquences aura lieu entre le 1er octobre 2017 et le 30 juin 2019, par grandes plaques régionales, sauf quelques zones où il pourrait avoir lieu dès avril 2016 - principalement en Île-de-France où les besoins en matière de débit et d'espace sont plus importants. L'émission de la TNT passera de MPG2 à MPG4 dans la nuit du 5 au 6 avril 2016, rendant ainsi possible la généralisation de la norme HD (haute définition) et, ultérieurement, UHD (ultra haute définition).
Ces termes techniques recouvrent une opération de très grande envergure, puisque 58 % des foyers reçoivent encore la TNT via le canal hertzien, et pour beaucoup d'entre eux grâce à des récepteurs non compatibles avec le format MPG4. Outre la difficulté technique du basculement, qui impliquera notamment un gros travail des diffuseurs, il faudra que l'ensemble des foyers non encore équipés, soit environ 15 millions de postes d'après le CSA, aient changé de téléviseur ou se soient dotés d'un adaptateur MPG4, pour un coût d'une trentaine d'euros, à la date du basculement.
Aussi un vaste programme d'accompagnement des téléspectateurs a-t-il été lancé par les pouvoirs publics et les chaînes concernées. Il se traduira par des aides financières et techniques à l'équipement et à la réception, gérées par l'Agence nationale des fréquences (ANFr), pour un budget de 57 millions d'euros. Il donnera également lieu à une campagne de communication nationale et de sensibilisation, pour un montant de 24 millions d'euros.
Ce transfert pose plusieurs difficultés, en particulier pour le secteur des télécoms. D'abord, l'utilité immédiate de la bande des 700 pour les opérateurs n'est pas évidente, hormis pour Free qui n'avait pas concouru lors du premier dividende. Les auditions ont fait ressortir certaines contradictions sur ce point.
D'un côté, les opérateurs déclarent ne pas avoir besoin de cette bande de fréquences dans l'immédiat, s'estimant capables, hormis peut-être en Île-de-France, de faire face à l'augmentation du trafic avec les fréquences dont ils disposent actuellement ; d'un autre côté, ils se sont alarmés de la sanctuarisation, prévue par l'article 2 de la proposition de loi, de l'affectation à la TNT des bandes de fréquences de 470 à 694 MHz jusqu'en 2030 avec, il est vrai, une clause de revoyure en 2025 - il y aura donc une loi pour le troisième dividende numérique. Ces fréquences basses peuvent être qualifiées de « plaqué or », car plus intéressantes encore que celles de la bande des 700 MHz, s'agissant de l'adaptation au terrain et de la pénétration des bâtiments.
Nous nous sommes donc interrogés sur le bien-fondé de fixer dès maintenant dans la loi cet horizon de 2030 : ne risquons-nous pas de nous lier les mains pour l'avenir, alors que les États-Unis et le Japon sont en passe de libérer leurs bandes basses pour les télécoms ? Il est vrai qu'il s'agit sans doute de rassurer les radiodiffuseurs et de donner de la visibilité aux éditeurs de service sur la poursuite de la TNT hertzienne, qui est tendanciellement vouée à se réduire au profit des solutions filaires de réception (box par DSL, fibre, câble). Il est vrai, surtout, que nous ne sommes pas saisis pour avis sur cet article, et nous bornons donc à ce constat.
Deuxième enjeu, le coût du basculement est incertain. L'ANFr l'estime à une trentaine de millions d'euros, tandis qu'une étude du Forum HD citée par l'un des opérateurs l'évalue entre 900 et 950 millions d'euros au total, dans l'attente d'une analyse plus pointue. Ces différences d'estimation sont importantes, dès lors qu'il échoit aux seuls opérateurs de supporter ces coûts à travers un fonds de réaménagement du spectre, aux termes de l'article 8 du texte. Aussi ces derniers demandent-ils que ce fonds soit financé par le produit des enchères. Il semble que les opérateurs intègreront leur contribution à ce fonds dans leurs enchères, ce qui revient à peu près au même ; mais ils risquent de réviser leurs enchères à la baisse pour intégrer le risque lié à l'incertitude sur le coût réel du réaménagement.
En outre, ces enchères vont fortement solliciter les moyens de financement des opérateurs, à un moment où il leur est demandé d'investir encore et toujours dans les réseaux fixe et mobile à très haut débit, et alors qu'ils ne disposeront de toutes les fréquences des 700 MHz qu'en 2019 : à une forme de chantage répondent des besoins d'argent importants. Il existe donc un risque de révision des investissements à la baisse, mais aussi de révision des tarifs d'abonnement à la hausse, au détriment des consommateurs.
Or, l'État lui-même est intéressé à la réaffectation, puisqu'un quart de la bande des 700 MHz sera réservé au ministère de l'Intérieur pour la mise en place de systèmes de communication sécurisés. De là la demande de certains opérateurs de faire contribuer, à juste proportion, l'État au financement de ce fonds de réaménagement. Ils font valoir qu'en Grande-Bretagne, le coût des réaménagements est imputé sur le budget de l'État.
J'envisageais de présenter un amendement restreignant la contribution des opérateurs à la seule part des réaménagements de bande les concernant, soit les deux tiers ; mais après avoir consulté l'Arcep et les cabinets ministériels concernés, il est apparu que les opérateurs intégreraient ce coût dans leurs enchères - sans parler de la difficulté pour nous d'évaluer le coût du réaménagement.
Enfin, des brouillages de fréquences sont susceptibles de survenir du fait de la saturation de la chaîne de réception des services télé, mais aussi de la proximité entre bandes mobiles, dont celles des 700 MHz et au-dessus, et bandes télé, en dessous des 700 MHz. Le projet de loi règle la question dans ses articles 9 et 10 ter. L'article 9 étend le dispositif de résolution des brouillages existant pour la bande des 800 à celle des 700, en élargissant la taxe qui finance l'intervention de l'ANFr. L'article 10 ter, introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, renforce plus spécifiquement les compétences de coordination de l'ANFr, avant l'implantation ou la modification d'un émetteur. Il l'autorise également à intervenir pour prévenir ou résoudre, avec les acteurs concernés, les situations de brouillage dans la circulation ferroviaire : la SNCF utilise en effet des émetteurs GSMR dont la fréquence est proche des fréquences mobiles de Bouygues Telecom, et estime à 50 millions d'euros le coût du réglage. On aurait pu penser que la SNCF anticiperait ce problème...
Ce dispositif d'anticipation et de résolution des brouillages convient aux opérateurs et à la SNCF, sous réserve du contenu du décret y afférent. Il devrait ouvrir la voie à la réalisation des objectifs de couverture des lignes ferroviaires en téléphonie mobile proposés par l'Arcep. Nous ne voyons pas matière à le modifier.
Voilà les commentaires que m'a inspirés cette proposition de loi, et plus particulièrement les trois articles qui nous concernent. En l'absence d'amendement spécifique et dans l'attente d'éventuels amendements extérieurs, je vous propose de lui donner un avis favorable en l'état, pour les articles dont nous nous étions saisis.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie pour ce travail fort intéressant, qui apporte de nombreuses précisions sur un sujet dont l'impact sur notre vie quotidienne est significatif.
M. Yannick Vaugrenard. - Ce texte implique des changements importants pour les foyers qui ne sont pas équipés d'un poste récent. Vous avez cité le chiffre de 15 millions de postes, j'ai pour ma part celui de 7 millions, sur 50 millions - en tout état de cause, c'est beaucoup. L'adaptation nécessitera l'acquisition d'un boîtier adapté, certes prise en charge à proportion des revenus, mais aussi, dans les zones non couvertes, l'achat d'une parabole qui ne sera que partiellement remboursé. L'État prendra en charge les interventions techniques pour les personnes âgées de plus de 75 ans ou avec un handicap supérieur à 80 %. Au total, c'est un bouleversement du quotidien pour les personnes les plus isolées sur le plan familial ou géographique. Il risque d'y avoir des interrogations, des inquiétudes, des protestations, qu'il faut mesurer en amont.
M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Vous avez raison. Je n'ai aucune intention de botter en touche - du reste, le gouvernement a prévu de communiquer sur ce sujet - mais il appartient à la commission de la culture de traiter la question, car c'est elle qui est saisie de l'article 7 ter.
Le rapport pour avis de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre est adopté à l'unanimité.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous entamons jeudi l'examen en séance publique la nouvelle lecture du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Faut-il siéger aussi tard que possible vendredi soir, sachant qu'environ 300 amendements ont été déposés, et qu'en tout état de cause, nous ne pourrons pas achever l'examen du texte avant la semaine suivante ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nous reprendrons l'examen du projet de loi mercredi 15 juillet, à 16 heures et le soir ; tout le jeudi lui est également consacré. Un grand nombre des amendements déposés ont déjà été rejetés en première lecture, en nouvelle lecture et par la commission : je fais confiance aux auteurs pour en faire une présentation succincte !
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous rappelle par ailleurs que nous auditionnons demain M. Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique, scientifique exceptionnel, qui nous parlera notamment de l'EPR.
La réunion est levée à 16 heures.
Mercredi 8 juillet 2015
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -Audition de M. Yves Bréchet, Haut-Commissaire à l'énergie atomique et aux énergies alternatives
La réunion est ouverte à 9 h 30.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.
Nous connaissons le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à travers son administrateur général, puisque nous l'auditionnons préalablement à sa nomination à ce poste et aussi sur les questions relatives à l'énergie nucléaire. Mais le CEA est incarné par deux fonctions : son administrateur général et son Haut-commissaire à l'énergie atomique.
Monsieur le Haut-commissaire, au cours de ces derniers mois, nous avons déjà eu l'occasion d'auditionner à deux reprises le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Nous avions reçu M. Bernard Bigot, administrateur général, dans le cadre de l'examen du projet de loi de transition énergétique ; depuis, M. Bigot a pris la direction générale du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER). Puis nous avions reçu son successeur, M. Daniel Verwaerde, pour émettre notre avis sur sa nomination.
Or, si les fonctions d'administrateur général du CEA sont bien connues, les attributions tout aussi éminentes du Haut-commissaire, poste que vous occupez depuis 2012, le sont peut-être un moins. Pourriez-vous nous rappeler le rôle du Haut-commissaire et l'originalité de son positionnement au sein du CEA d'abord et dans le paysage de l'organisation nucléaire française ensuite ?
Pourriez-vous également nous présenter un rapide panorama des activités de recherche du CEA, dont je rappelle que le champ s'est élargi, depuis 2010, aux énergies alternatives ? Pourriez-vous en particulier nous faire un point sur vos travaux en matière de stockage de l'électricité ?
Plus généralement, pourriez-vous nous donner votre point de vue sur les grandes évolutions du secteur nucléaire en France et dans le monde ? Je crois pouvoir dire que la majorité de notre commission est, comme vous, convaincue de la complémentarité de ces deux sources d'électricité décarbonée que sont le nucléaire et les énergies renouvelables, et de la pertinence de ce bouquet énergétique dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Les difficultés actuelles rencontrées par les chantiers français et finlandais d'EPR vous semblent-elles de nature à remettre en cause la pertinence de ce choix technologique ?
Enfin, vos fonctions vous permettent-elles de nous dire comment le CEA, qui en est l'actionnaire majoritaire pour le compte de l'État (à hauteur de 54,37 % sur un total de 86,52 % détenu par des actionnaires publics), entend accompagner la restructuration en cours d'Areva ? Quelles sont les relations du CEA tant avec Areva qu'avec EDF ?
M. Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables. - Je vous remercie de m'accueillir. Je voudrais tout d'abord vous présenter ma fonction, celle d'un scientifique qui doit aider dans le long terme l'administrateur général et le Gouvernement à prendre ses décisions, en particulier dans les domaines de l'énergie et de la dissuasion.
Le CEA est un organisme de recherche dont les missions sont définies par le Gouvernement et qui concernent en premier lieu l'énergie nucléaire de défense ou civile, les énergies alternatives décarbonées non nucléaires, le transfert technologique vers l'industrie, ainsi que l'aide à la réindustrialisation du pays.
Pour remplir ses missions, le CEA se doit de développer un socle de sciences fondamentales et d'ingénierie qui dépasse parfois le périmètre de ses domaines de prédilection, ce qui a parfois pu induire une tentation hégémonique. Le remède à cette tentation est la clarté dans les missions et dans les méthodes.
Le CEA s'intéresse aux énergies alternatives, mais n'en a pas l'exclusivité, tandis que son implication dans la recherche pour le nucléaire le place en position dominante dans le monde académique.
Le CEA doit aussi développer un socle de recherche fondamentale au meilleur niveau. La science fondamentale a vocation à être présente au CEA mais toute la science fondamentale n'y a pas nécessairement sa place.
Enfin, l'implication du CEA dans l'ingénierie lui donne des atouts majeurs dans le domaine du transfert de la recherche vers l'industrie. Cela concerne les technologies de l'information, les technologies des énergies nouvelles et celles de la santé, en particulier l'imagerie médicale.
La clarté dans les missions doit être accompagnée par une marque de fabrique qui est un continuum réel et assumé depuis la recherche fondamentale jusqu'au démonstrateur technologique, ce qui suppose une recherche technologique bien en phase avec les besoins industriels, une recherche fondamentale susceptible de guider le ressourcement et une recherche amont capable de faire le lien, d'abstraire des questions posées par les exigences technologiques les challenges scientifiques et d'identifier ceux qui nécessitent de nouvelles recherches fondamentales. Inversement, ce lien organique doit permettre de détecter dans la recherche fondamentale les signes avant-coureurs d'innovations technologiques.
L'ADN du CEA est constitué par la présence d'une mission clairement définie et d'un continuum entre recherche fondamentale et démonstrateurs technologiques. S'il oublie sa mission il se disperse, s'il oublie le lien organique entre la recherche fondamentale et les secteurs applicatifs il se dessèche.
La variété des missions confiées au CEA le rapproche de plusieurs ministères de tutelle, c'est pourquoi la lettre de mission de l'administrateur général est signée par le Premier ministre. Cette lettre de mission précise clairement les missions du CEA, recommande une interaction étroite avec le tissu industriel et avec les partenaires académiques et une coopération renouvelée avec les institutions d'enseignement supérieur.
J'en viens à présent à la question de la dualité entre l'administrateur général et le Haut-commissaire. La légitimité du Haut-commissaire est directement liée au comité de l'énergie atomique où il est distingué par l'exécutif, en tant que personnalité qualifiée, et élevé à la dignité de Haut-commissaire à l'énergie atomique. Il est membre du conseil d'administration du CEA et préside son conseil scientifique. Quant à l'administrateur général du CEA, il fait partie de la trentaine de dirigeants d'organismes de recherches nommés en conseil des ministres et est investi du rôle de manager opérationnel pour la réalisation de programmes orientés par le CEA et évalués par l'exécutif, conformément à son contrat d'objectifs quadriennal, dans le cadre des lois de finances votées par le Parlement.
Au sein de la délégation générale du CEA, le Haut-commissaire peut, en tant que responsable de son système d'évaluation scientifique, contribuer à orienter les actes de recherche de l'organisme en fonction de leur pertinence scientifique et stratégique. C'est donc la fonction d'un conseil sans pouvoir décisionnaire, ce qui en assure l'indépendance et une totale clarté dans ses avis. La fonction de Haut-commissaire a deux facettes : l'une de conseil pour le CEA, l'autre de conseil pour le Gouvernement. C'est cette position particulière qui m'a par exemple permis de diligenter, à la demande du Gouvernement, une étude d'ensemble de la recherche nucléaire de fission mise en oeuvre au sein de toutes les institutions (CEA, CNRS, EDF, Areva, IRSN).
Le seul patron du CEA est l'administrateur général, le Haut-commissaire n'est pas un patron opérationnel, il est en quelque sorte la « conscience scientifique » du CEA. J'ai coutume de résumer la situation par un apologue de marine : le CEA est un navire dont le capitaine est l'administrateur général, le Haut-commissaire est la boussole et le Gouvernement l'armateur.
Enfin, je voudrais vous donner quelques exemples caractéristiques des multiples activités du CEA, qui sont explicitement définies par sa lettre de mission.
La dissuasion nucléaire est sa mission historique et permanente. Elle s'est appuyée sur une combinaison entre la recherche fondamentale et le développement de l'application. Depuis l'arrêt des essais nucléaires, les têtes nucléaires sont garanties par le calcul numérique. Cette année nous avons mis en service avec succès deux outils expérimentaux : le Laser Mégajoule (LMJ) qui analyse les interactions laser/matière et le dispositif Epure qui garantit l'implosion d'une sphère dans un métal que vous connaissez sans doute. Ces outils, qui ont donné des résultats spectaculaires, permettent de valider et de soutenir les simulations numériques qui sont l'outil ultime pour valider l'arme thermonucléaire et donc la dissuasion. Cette compétence essentielle du CEA trouve de nombreuses applications dans les branches civiles du CEA, mais aussi dans le monde industriel, ce qui témoigne d'une évolution profonde de la science : les simulations numériques à grande échelle sont en train de révolutionner profondément de nombreuses branches des sciences et de l'industrie.
En ce qui concerne le nucléaire civil, qui est l'une des très grandes réalisations de notre pays depuis les années 70, il fournit à ce jour près de 80 % de notre électricité et permet à la France d'être championne en matière d'énergie décarbonée grâce à l'effort soutenu d'investissements qui ont permis de construire, pendant vingt ans, trois centrales nucléaires par an. Cependant, le parc a vieilli et doit désormais être renouvelé. Pour maîtriser le vieillissement du parc, il faut disposer à la fois d'outils de caractérisation des propriétés neutroniques (les maquettes critiques) et d'outils de simulation numérique qui permettent d'assurer la sûreté du parc et de construire les réacteurs de nouvelle génération. C'est ainsi que le CEA peut contribuer, avec ses partenaires industriels, à maintenir, développer et exporter un fleuron de la technologie française. Ses compétences lui permettent aussi de développer les outils nécessaires au démantèlement des centrales et aux méthodes de confinement des déchets radioactifs.
On a souvent dit que le CEA portait une croix : celle de ses déchets. Le confinement dans les verres et le stockage géologique profond fournissent une solution fiable pour la gestion de l'aval du cycle. Les déchets fortement radioactifs à vie longue, qui sont les plus encombrants, sont majoritairement composés de plutonium. Avec la future quatrième génération de réacteur Astrid, le plutonium pourra être utilisé comme ressource et non plus comme déchet, et l'uranium appauvri deviendra un combustible pour fournir de l'électricité. Cette quatrième génération de réacteur est une voie vers un nucléaire durable s'appuyant sur une technologie où la France conserve une avance indéniable et une forte reconnaissance internationale.
La rénovation du parc instrumental, le développement des simulations numériques, la maîtrise du vieillissement du parc actuel de réacteurs à eau pressurisée et le développement pour les années futures d'une filière durable sont les grandes lignes de la stratégie du CEA dans le domaine du nucléaire de fission.
À beaucoup plus long terme, le nucléaire de fusion pourrait éventuellement prendre le relais mais la maturité scientifique et technique de cette option est beaucoup moins avancée.
J'en viens à présent au développement des énergies alternatives auquel le CEA contribue, plus spécifiquement pour celles qui nécessitent des compétences scientifiques qu'il a développées par ailleurs. C'est ainsi que le CEA est naturellement impliqué dans le photovoltaïque, dans certains aspects de la biomasse et des biocarburants, dans le stockage chimique et/ou électrochimique (batteries et piles à combustible). En ce qui concerne les énergies alternatives, le lien entre la recherche fondamentale et les démonstrateurs technologiques est beaucoup plus ténu que dans le nucléaire, puisque le tissu industriel est aussi beaucoup plus diffus. Le CEA contribue à la recherche sur les énergies alternatives et aux questions essentielles associées comme le stockage et le transport de l'électricité ou encore l'efficacité énergétique. Le CEA n'a pas vocation à être le seul acteur, et c'est même un domaine où on ne peut que souhaiter, d'une part, une hiérarchisation plus claire des priorités en fonction des intérêts du pays et, d'autre part, une collaboration plus étroite entre les différents acteurs.
Le CEA joue donc un rôle central dans la fiabilité, la rénovation et la préparation du futur du parc électronucléaire, en lien étroit avec ses partenaires industriels, et il joue un rôle important dans le domaine des énergies alternatives (production, stockage, transport, économie) mais qui doit être coordonné avec les autres acteurs académiques.
La recherche fondamentale a toute sa place au CEA, que ce soit en tant que socle pour lui permettre d'accomplir les missions qui lui sont confiées, ou encore pour l'utilisation des compétences qui sont rassemblées et qui rendent le CEA particulièrement performant. Entre la recherche pure et la recherche appliquée, il y a la recherche amont, qui est d'une importance majeure au CEA et en est quasiment la signature. La recherche appliquée aux technologies est positionnée au plus près des questions d'ingénierie et de réalisation des objets. Les évolutions inéluctables des domaines applicatifs, des cahiers des charges de plus en plus exigeants et la demande d'innovation exigent que nous soyons capables d'identifier les verrous technologiques et scientifiques qui bloquent l'innovation. Il faut ensuite en déduire la science qui sera nécessaire pour augmenter le corpus de connaissances nourrissant la recherche appliquée : c'est la recherche amont.
Les sujets de recherche amont permettent de mettre à jour des problèmes que l'on peut traiter de façon incrémentale mais dont les solutions passent par de vraies ruptures. La résolution de tels problèmes nécessite une compréhension fondamentale des phénomènes, qui dépasse de beaucoup la simple motivation applicative.
Cette distinction fondamentale entre les trois formes de recherche - fondamentale, amont et appliquée - n'est pas un simple exercice intellectuel mais est essentielle pour comprendre comment le CEA, qui a des exigences de résultats, se trouve en permanence en train de créer le lien entre la recherche appliquée à l'ingénierie nécessaire aux missions et la recherche fondamentale très éloignée mais qui prépare l'avenir. La recherche amont est indispensable car elle seule permet de formuler les problèmes applicatifs en termes scientifiques et donc de les traduire pour la recherche fondamentale, action sans laquelle la fonction de socle serait inopérante.
Le dernier volet de l'action du CEA est la recherche technologique et la contribution à la réindustrialisation du pays. C'est, là encore, une mission qui découle de son histoire : le cycle du combustible, l'industrie de la gestion des déchets et de l'aval du cycle, la francisation des réacteurs à eau pressurisée sont des conséquences de la valorisation technologique des recherches faites au CEA. Le laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti), soutien essentiel à notre industrie micro-électronique, est issu de la nécessité du contrôle-commande des centrales et les recherches dans le photovoltaïque sont héritières des compétences du Leti. De même, le FDSOI (Fully-Depleted Silicon On Insulator), qui est actuellement une des options en lice au niveau mondial dans une course technologique âpre, est directement issu des travaux du Leti effectués pour des applications militaires. Ces exemples illustrent bien l'impérieuse nécessité qu'il y a à avoir une vision globale du CEA et non pas de le considérer comme la juxtaposition de différentes parties.
Si le transfert technologique est historiquement dans les missions du CEA, tout le transfert technologique n'est pour autant pas dans ses missions. Les domaines privilégiés lui sont donnés par le Gouvernement : les technologies de l'information et de la communication, les technologies pour l'énergie et les technologies pour la santé. Cette action de transfert est un atout fort pour la réindustrialisation de notre pays.
Ce portrait du CEA n'est évidemment pas exhaustif. C'est en s'inscrivant dans la durée que le CEA peut donner le meilleur de lui-même.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci, Monsieur le Haut-commissaire, pour cette intervention extrêmement riche. Je cède la parole à mes collègues qui souhaitent vous interroger.
M. Bruno Sido. - Je vous remercie pour cette présentation particulièrement intéressante et salue notre président, Jean-Claude Lenoir, qui a eu l'heureuse initiative de proposer cette audition.
Dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dont j'ai l'honneur d'être vice-président, nous vous avons entendu récemment sur la grave question de la cuve de l'EPR de Flamanville. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) agite le chiffon rouge, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) tempère les inquiétudes, tandis qu'EDF continue imperturbablement à faire son montage. Qu'avez-vous retenu de cette audition de l'OPECST ? Et que pensez-vous de cette question ?
En votre qualité de « boussole » du grand navire CEA, que pensez-vous du projet Syndièse, initié en son temps par M. Bernard Bigot, et qui consiste à transformer de la biomasse en kérosène : est-il viable et à quelle échéance selon vous ?
M. Roland Courteau. - Je suis heureux de pouvoir m'adresser à la conscience scientifique du CEA, pour reprendre votre propre expression.
Confirmez-vous que la fusion thermonucléaire pourrait produire une énergie abondante pendant des milliers d'années en utilisant très peu de combustible ? Peut-on espérer un premier prototype d'ici 2050 ?
Les réacteurs de quatrième génération sont attendus et vous avez évoqué une durée indéterminée : où en est-on plus précisément ?
Le CEA est-il capable de démanteler dans son entier un site d'installation nucléaire ? D'autres organismes dans le monde disposent-ils de ce savoir-faire ? Peut-on bâtir une filière sur ce marché et la France peut-elle en être leader ?
Où en est-on des nouveaux tests sur la cuve du réacteur de Flamanville ? Que se passera-t-il si les doutes ne sont pas levés sur la résistance de la cuve ?
M. Gérard César. - Je vous remercie pour cet exposé passionnant. J'aimerais connaître votre avis sur le laser Mégajoule, développé par la direction des applications militaires du CEA : pensez-vous qu'il faut poursuivre ces efforts coûteux ou mettre un terme à ce projet ?
M. Ladislas Poniatowski. - Avez-vous été consulté par le Gouvernement sur le projet de reprise de l'activité « réacteurs nucléaires » d'Areva par EDF ? Quel est votre sentiment sur ce sujet, en particulier en ce qui concerne la part de cette activité qui doit entrer dans le giron d'EDF ?
M. Yannick Vaugrenard. - Je vais intervenir avec d'autant plus de modestie et d'humilité que je passe après notre expert Bruno Sido... (Sourires). Le CEA doit être un outil d'aide à la décision politique. En tant que « conscience scientifique » de cet organisme - car c'est ainsi que vous vous êtes vous-même défini -, j'ai quelques questions à vous poser.
Tout d'abord, pensez-vous que le choix des énergies renouvelables comme alternative au nucléaire à court et moyen termes soit une option crédible, alors même que les problèmes de stockage ne sont pas résolus ?
Ensuite, le Cotentin continue son développement de l'hydrolien au large du Raz Blanchard : les efforts de recherche fondamentale et appliquée dans ce domaine vous paraissent-ils suffisants ?
Enfin, les financements européens en matière de développement des énergies renouvelables sont-ils satisfaisants ou devraient-ils être renforcés ?
M. Martial Bourquin. - Nos collègues députés Marc Goua et Hervé Mariton ont rendu un rapport détaillant les risques du projet Areva-EDF : quel est votre avis sur ce document ?
Par ailleurs, la France peine à développer les énergies renouvelables alors que l'Ecosse a doublé sa production d'éoliennes en tout juste un an. Avez-vous une explication sur ce phénomène ?
Enfin, pourquoi ne pas faire l'exemple d'un démantèlement total de centrale nucléaire? Une telle démonstration prouverait que la France possède une technologie de pointe dans ce domaine.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je reviens sur le problème du stockage de l'énergie et du développement des énergies renouvelables évoqué par Yannick Vaugrenard car le débat à ce sujet a été intense lors de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Des perspectives d'application pratique se dessinent-elles ?
M. Yves Bréchet. - Je vous remercie pour votre intérêt et cette moisson de questions !
Je souhaite préciser d'emblée que je ne déroge jamais à une règle : on ne commente pas une étude à venir. Il ne peut en ressortir que de l'inquiétude, même si celle-ci n'est pas nécessairement fondée. Par ailleurs, j'ai un rôle de conseil scientifique auprès de l'Administrateur général du CEA et du Gouvernement : j'ai donc un devoir de réserve. Ce n'est pas à moi, mais au récipiendaire de l'avis, de décider de la publicité des informations qui y sont contenues. C'est d'ailleurs ce qui me permet d'être tout à fait franc, et parfois même vif, dans mes propos !
Cela étant dit, il y a un travail scientifique de fond à fournir sur l'EPR de Flamanville. Les calculs de dos d'enveloppe menés laissent à penser que la zone affectée par la ségrégation n'est pas une zone irradiée : la situation actuelle ne pose a priori pas de problème de sûreté. En revanche, la question de nos compétences en métallurgie se pose. Le phénomène de ségrégation est connu mais on a fait comme s'il n'existait pas : ce n'est pas bien ! Encore une fois, si les calculs effectués jusqu'à présent me rendent optimiste, seuls une étude fouillée et des essais pourront nous assurer que les cuves ne présentent aucun danger.
Un autre problème me semble en l'occurrence plus important. Il est indispensable que les opérateurs de sûreté soient absolument convaincus du bien-fondé et de la rationalité des règlements qui sont établis. Si ce n'est pas le cas, les effets à court terme des dispositifs de sûreté seront dommageables. Si l'indépendance de l'ASN est indispensable, elle n'empêche pas un lien étroit avec les opérateurs. Ces échanges sont impératifs pour assurer la crédibilité de la filière nucléaire.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il a été dit que les cuves de Flamanville respectaient les normes imposées à l'époque de leur fabrication mais que ces normes avaient évolué. Ces propos ont été contestés par la suite. Qu'en est-il exactement ?
M. Yves Bréchet. - Quelles qu'aient été les normes à l'époque, si on avait constaté une ségrégation de l'ampleur de celle à laquelle nous faisons face aujourd'hui, cela aurait été considéré comme un problème. Ce n'est pas tant le phénomène, mais l'endroit inhabituel où il est apparu et son ampleur, qui nous ont surpris.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Monsieur le Haut-Commissaire, vous avez utilisé à plusieurs reprises le terme de « ségrégation ». Nous avons certes un expert dans l'assemblée en la personne de Bruno Sido, mais pouvez-vous nous expliquer rapidement en quoi consiste ce phénomène ?
M. Yves Bréchet. - Je le fais d'autant plus volontiers que j'ai été maître de conférences, et que j'aime expliquer les choses !
Imaginez une éponge imbibée d'eau : si vous la pressez, vous expulsez un volume d'eau et l'éponge se rétracte. C'est ce qui s'est passé dans les cuves. Le solide étant plus dense que le liquide, vous vous retrouvez avec du liquide flottant entre les parties solides. Ce phénomène de rétraction est donc à l'origine d'un flux de liquide, qui passe d'un endroit à un autre de la cuve. Or, lorsque vous solidifiez un alliage, sa composition change. Sur une petite surface, il est possible de chauffer l'alliage pour rééquilibrer sa composition. Dans le cas des cuves de l'EPR, l'impact de la ségrégation est de l'ordre du mètre : une telle solution n'est plus envisageable. Encore une fois, le phénomène auquel nous sommes confrontés n'a rien de surprenant mais il a impacté une zone plus étendue que prévu. Il me semble que nous ne maîtrisons plus le procédé : nous devons développer, ou redévelopper, certaines compétences en métallurgie. Cette délitescence des savoirs ne touche pas que le nucléaire, mais également d'autres domaines industriels.
M. Martial Bourquin. - Tout à fait !
M. Yves Bréchet. - Une industrie ne peut se fabriquer qu'à partir d'une matière. À nous de maîtriser cette matière.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il existe 58 réacteurs nucléaires, et c'est la première fois que nous sommes confrontés à ce problème de cuve : pourquoi s'est-il précisément présenté sur l'EPR ?
M. Yves Bréchet. - L'EPR est beaucoup plus gros et requiert l'utilisation de techniques différentes. Nous connaissions ces méthodes ; on les a laissé disparaître, il faut maintenant les réapprendre... L'industrie nucléaire est un bijou : nous n'avons pas le droit de le laisser s'abîmer.
Pour conclure sur Flamanville, je crois qu'il est sage d'attendre le résultat des études scientifiques et techniques pour se prononcer plus avant sur le sujet.
M. Jean-Claude Lenoir. - En attendant, le chantier se poursuit ?
M. Yves Bréchet. - Parce qu'il y a bien d'autres choses à faire dans un chantier. Du reste, le problème n'est pas insoluble : au pire, on pourrait remplacer le couvercle même si le coût serait bien entendu très élevé...
Vous m'avez également interrogé sur Syndièse. Je suis extrêmement favorable au développement de la biomasse. Jean Rostan a eu une formule que je trouve particulièrement adaptée aux énergies alternatives : « Une vérité qui fait plaisir doit être prouvée deux fois ». Au premier abord, c'est une bonne idée mais il faut vérifier la pertinence et le coût de ce choix. Nous devons passer outre les effets d'annonce : attendons les réponses scientifiques aux problèmes de maillage, de capacité et d'industrie, nous prioriserons ensuite.
Sur le principe, la création d'une unité de prétraitement de la biomasse à Bure-Saudron est une bonne idée. Sur le principe, la contribution du CEA à ce projet est aussi une bonne idée. Mais il ne faut pas qu'il soit le seul contributeur ! En matière d'ingénierie des fluides oléagineux, par exemple, l'IFP Energies nouvelles me semble plus à même de développer des solutions techniques que le CEA. Pour fabriquer la biomasse, nous devons donc mobiliser toutes les compétences nationales. Quant à savoir quelle stratégie de développement adopter pour cette énergie, il m'est impossible de vous répondre. Il faudrait réaliser une analyse économique, réunir les acteurs concernés autour d'une même table et mener des études scientifiques. Si les parlementaires me le demandent, je peux lancer un travail sur le sujet : je vous rendrai mon avis et vous déciderez si vous souhaitez le rendre public...
M. Jean-Claude Lenoir. - Vous insistez sur le terme d'avis. J'ai souvenir d'un dîner au CEA auquel participait un député qui était contre le nucléaire. Il vous a mis au défi de donner votre opinion et vous lui avez répondu « Je ne confonds pas opinion et avis ».
M. Yves Bréchet. - C'est essentiel de donner un avis. Surtout pour un scientifique. Une opinion...
Concernant la fusion, je doute qu'elle permette de produire de l'électricité en France d'ici 2050. Mais, encore une fois, il faut mener des études pour le savoir ! Cela va nécessiter une ingénierie qui sera utile dans d'autres domaines. Le problème est plus complexe qu'il n'y paraît. Certains me disent que c'est simple, qu'on met le soleil dans une boîte. C'est vrai... mais on ne sait pas construire la boîte !
Il faut savoir que les équations de physique nucléaire sont des équations linéaires. On peut donc facilement passer d'un prototype de petite taille à des infrastructures plus importantes. Les équations de la fusion ne sont, elles, pas linéaires : un changement d'échelle induit un changement de phénomène. La réalisation d'un prototype ne garantit donc pas la fabrication d'une infrastructure fiable. Il reste de l'espoir mais je ne peux pas promettre qu'un démonstrateur « grandeur nature » verra le jour. Je peux sembler pessimiste, et je m'en excuse, mais les scientifiques ont un devoir d'honnêteté.
Concernant le réacteur à neutrons rapides, il s'agit d'un réacteur à fission, dans lequel nous avons 50 ans d'expérience. S'il n'est pas déraisonnable d'envisager le développement d'un prototype à partir de 2030, il est illusoire d'imaginer remplacer tous les réacteurs à eau pressurisée par cette nouvelle technologie. N'oublions pas que la quantité minimale d'infrastructures pour gérer le parc est déterminée par la physique, et la quantité optimale utile par l'économie. Ces deux facteurs sont indissociables ! Je me répète, mais il faudrait lancer des études... Sachez que le Haut-Commissaire ne rend que deux types de documents : des notules ou des études très conséquentes !
Venons-en aux questions relatives au démantèlement. J'ai justement organisé cette année un colloque à l'Académie des sciences sur le sujet. Les conclusions étaient claires : en conditions normales, nous savons parfaitement démanteler les centrales nucléaires. Nous avons encore beaucoup à apprendre pour la gestion du démantèlement en situation dégradée, lors d'un accident par exemple. Ce constat appelle plusieurs remarques. Pour commencer, il faut dix fois moins de personnes pour démonter une centrale que pour la faire fonctionner : démanteler est plus facile que construire mais ça ne crée pas d'emplois. Cependant, nous avons tout intérêt, puisque nous savons construire les centrales, à créer une filière technologique du démantèlement à l'export. Cela implique certes d'investir dans la recherche mais nous rendrait concurrentiels sur ce marché si on trouve l'équilibre optimal, celui qui garantit un coût minimal pour une sûreté maximale.
Il n'y a rien d'impossible dans un démantèlement : allez à Brennilis ! Demandez-leur ! On a l'impression que c'est compliqué car jusqu'ici, le CEA n'a démantelé que des moutons à cinq pattes : il fallait, à chaque fois, surmonter des difficultés différentes, uniques. L'avantage de nos 58 centrales, c'est qu'elles ont des réacteurs identiques. Tous fonctionnent à eau pressurisée, comme 80 % des réacteurs nucléaires au monde. Cette décision avait d'ailleurs été source de fâcherie entre Marcel Boiteux et le CEA. Force est de constater qu'aujourd'hui, ce choix s'avère excellent ! C'est idéal pour mettre en place une systématique du démantèlement : nous avons tous les atouts pour créer cette filière technologique.
Le prochain colloque se tiendra début 2016 et portera sur les réseaux et le stockage d'énergie : quelles sciences et quelles conditions pour un parc mixte et stable ?
M. Bruno Sido. - Brennilis est un excellent exemple. On sait démanteler les centrales. Mais sait-on également empêcher les recours dilatoires visant à doubler la durée des chantiers de démantèlement ?
M. Yves Bréchet. - Hélas non...
Je suis, par ailleurs, extrêmement favorable au laser Mégajoule. La menace nucléaire française repose intégralement sur une simulation numérique : il est important de valider ce modèle purement théorique, et le laser va nous y aider. C'est un énorme progrès, on ne peut pas regretter Mururoa !
Une bombe thermonucléaire repose d'une part sur l'effondrement d'une sphère à plutonium, et d'autre part sur la fusion du tritium. L'utilisation du laser Mégajoule permet de tester la partie « effondrement » et de valider, uniquement par le calcul, la fiabilité du modèle. Cet objet expérimental, prouesse scientifique et technique, est l'exemple réussi d'un développement de longue haleine. Il aura fallu trente ans pour le mettre au point, mais nous y sommes parvenus car la mission était clairement établie, et nous n'avons jamais lâché l'objectif.
Si vous n'avez pas vu le laser Mégajoule, allez-y, c'est très impressionnant !
M. Gérard César. - Président, vous savez ce qu'il nous reste à faire... Tous à Bordeaux !
M. Yves Bréchet. - La réussite est d'autant plus complète que le laser Mégajoule est à la fois un outil de défense - c'est l'objectif premier de son développement - et un outil de recherche fondamentale pour l'astrophysique de laboratoire, qui permet notamment d'observer... la fusion nucléaire ! Voilà un bon usage des deniers publics !
M. Marc Daunis. - J'ai bien compris qu'il était difficilement possible de segmenter la recherche en raison de l'étroite imbrication des différentes technologies mais au vu de l'enjeu colossal que représente la transition énergétique, peut-on vraiment se permettre cet émiettement ? Il faut s'assurer d'une étroite coordination, d'une active coopération et de réels échanges entre les organismes, sans entrer dans une logique séparatiste comme celle qui prévaut actuellement... C'est vrai pour la biomasse, pour le photovoltaïque, pour le stockage et pour tout le reste !
M. Yves Bréchet. - Je suis tout à fait d'accord. Au vu des enjeux colossaux, ces querelles de clocher relèvent de la haute trahison !
J'insiste sur la nécessité de mener une réflexion de fond qui permette de prioriser les développements d'énergies alternatives en fonction de notre capacité d'investissement et de notre situation. Il n'est pas envisageable de sauter de l'avion en étant persuadé qu'on arrivera à créer un parachute avant d'arriver au sol... Malheureusement, nombre de scénarios énergétiques aujourd'hui violent la loi de conservation de l'énergie de Kirchhoff : on peut voter d'autres lois mais ça me semble quand même compromis ! (Sourires)
Une chose est sûre : le réchauffement climatique est un problème essentiel et nous devons nous tourner vers des énergies décarbonées. Les particularités de chaque pays fixent des conditions initiales et des conditions limites, cadre de recherche nécessaire pour l'ingénierie. Pourquoi chercher à développer les mêmes techniques aux Pays-Bas et à Singapour ? Si la base est commune - car nous sommes tous d'accord sur une grille de lecture - les solutions peuvent être différentes d'un pays à l'autre. Encore une fois, l'analyse scientifique doit être la première étape de tout développement et de tout choix : les choses doivent être possibles avant de pouvoir être souhaitables...
Par ailleurs, il est invraisemblable d'imaginer que deux centres photovoltaïques, parce qu'ils ne dépendent pas du même organisme, ne communiquent pas ! Je pense à l'institut photovoltaïque d'Ile-de-France, géré par EDF, et à celui de Chambéry, sous contrôle du CEA.
M. Ladislas Poniatowski. - Ont-ils accepté de se parler ?
M. Yves Bréchet. - Ils commencent à discuter... Ils n'ont pas le choix, je suis têtu ! Et je bénéficie d'un capital confiance de la part de tous les acteurs : c'est l'avantage de ne pas avoir fait carrière au CEA... (Sourires) On ne peut plus attendre, il faut accepter de mettre des mouchoirs sur ces divergences qui sont trop souvent des positions de principe. Le cas s'est également présenté avec le CEA et le CNRS concernant le stockage de l'énergie électrochimique. Il y a quelques années, il était inenvisageable de les réunir dans la même pièce. Les choses ont fini par évoluer, même si cela a nécessité l'aide d'une main ferme... L'administrateur général et moi-même sommes tout à fait d'accord pour forcer les choses et aider les lignes à bouger.
Monsieur Poniatowski... Areva + EDF = je pose mon joker ! C'est un projet à l'équilibre politique, économique, et technique fragile. Mon avis est scientifique, il n'a donc aucune utilité. Le Gouvernement a d'ailleurs eu la sagesse de ne pas me le demander !
L'hydrolien, pour sa part, ne me semble pas une solution à développer à grande échelle car il n'est pas pertinent partout. Le problème de fond est bien connu : le métal, l'eau et le sable ne font pas bon ménage. Le choix est donc économique : ne pas payer trop cher les infrastructures et les changer souvent, ou investir lors de la création pour éviter de renouveler le parc trop régulièrement. Il est vrai que l'hydrolien est moins fluctuant que l'éolien, mais je persiste à penser que sa contribution au mix énergétique sera marginale.
Concernant les financements de l'Europe, je n'aurai qu'une remarque : nous avons grand besoin de sa coopération, que j'appelle de mes voeux, d'une vraie réflexion et d'une politique qui ait du sens.
M. Jean-Claude Lenoir. - Quel est votre interlocuteur à la Commission européenne ?
M. Yves Bréchet. - Je n'en ai pas ! Le conseiller scientifique a été supprimé... Pas physiquement - du moins pas à ma connaissance ! -, mais son poste, lui, a disparu.
Mme Annie Guillemot. - Est-ce là un avis ou une opinion, monsieur le Haut-commissaire ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - C'est un constat...
M. Yves Bréchet. - Exactement ! Même si par ailleurs j'ai également un avis sur la question !
Mme Annie Guillemot. - Avis... Opinion, plutôt ? (Sourires)
M. Yves Bréchet. - Non non, un avis ! (Rires francs et partagés dans la salle) Un point de vue documenté sur la disqualification des experts. Mais ce n'est ni le lieu ni le moment pour aborder ce sujet...
Mme Annie Guillemot. - Pardonnez cette boutade, je vous taquine !
M. Yves Bréchet. - Monsieur Bourquin m'a interrogé sur le rapport parlementaire. Oscar Wilde disait : « Je ne lis jamais les livres dont j'écris la critique, ça pourrait m'influencer. » Pour vous donner un avis, il faut que je lise le rapport. Pouvez-vous m'en adresser une copie ? Peut-être ne saurai-je pas quoi vous dire mais dans ce cas, je vous répondrai : « Je ne sais pas ».
L'important développement de l'éolien en Ecosse interroge beaucoup. Hé oui... en Ecosse, il y a du vent ! Soyons factuels : à Singapour, le taux de charge est de 60 % ; en France, il est de 20 %. En Allemagne, pour obtenir le même taux de charge qu'à Singapour, il faudrait 20 fois plus d'infrastructures... Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Au risque de me répéter, il faut mener des études sur la stabilité des réseaux, les capacités de stockage, la concentration de la production... Il n'existe pas de réponse générique, il faut sortir des discours de bonne volonté.
M. Martial Bourquin. - On comptabilise 300 jours de soleil par an dans le sud de la France. Malgré cela, on y voit peu de panneaux solaires. Ne trouvez-vous pas cela un peu problématique ?
M. Yves Bréchet. - Mais non ! Il faut déterminer à quoi serviront les panneaux, si l'électricité produite sera remise sur le réseau ou si elle sera utilisée localement, il y a un ensemble de questions à se poser ! Ce sont des analyses précises, détaillées, prenant en compte les spécificités de chaque projet qui permettent la mise en place de la solution optimale. Gommer ces informations, c'est perdre toute la finesse du problème !
M. Martial Bourquin. - C'est votre rôle, de procéder à ces analyses.
M. Yves Bréchet. - C'est vrai, et je le fais du mieux que je peux. Et je profite de l'occasion qui m'est offerte pour saluer le travail que fournit également l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Ses membres prennent le temps nécessaire à l'élaboration d'études de qualité, c'est essentiel.
M. Franck Montaugé. - Je m'interroge sur le choix qui a été fait de commercialiser à l'étranger des réacteurs de petite capacité. Quel est leur intérêt d'un point de vue technologique et scientifique ?
M. Yves Bréchet. - Ce choix relève de la politique économique et commerciale d'Areva et EDF. Au sein même de ces entreprises, les avis sont partagés. D'un point de vue personnel, je dirais que ces petits réacteurs s'adressent à des primo-entrants sur le marché du nucléaire, lesquels attendent un retour d'expérience. Or ceux qui ont déjà fait le choix du nucléaire ont généralement de gros réacteurs, et renâclent à mettre en place un petit réacteur uniquement pour justifier leur fonctionnalité...
M. Jean-Claude Lenoir. - Pouvez-vous nous donner des exemples de ce type de petit réacteur ? Quelle est leur capacité ? Le réacteur Atmea fait-il partie de cette catégorie ?
M. Yves Bréchet. - Ils sont essentiellement utilisés dans les sous-marins atomiques et ont une capacité d'environ 250 MW. Le réacteur Atmea est complètement différent.
M. Franck Montaugé. - Je pensais en fait à des réacteurs d'environ 900MW, qu'on peut donc visiblement considérer comme des réacteurs de taille moyenne. Je pense qu'il y a un réel enjeu sur ce marché.
M. Yves Bréchet. - Je suis tout à fait d'accord, c'est un marché à développer.
J'aborde maintenant la question du stockage de l'énergie. Le stockage de masse est une nécessité pour stabiliser le réseau et l'hydraulique est à l'heure actuelle la seule technologie convaincante pour ce faire. Malheureusement, la plupart des développements possibles ont déjà été réalisés. Le stockage par l'hydrogène se développe mais des difficultés techniques, notamment en termes de transport de l'énergie, sont encore irrésolues. En revanche, localement, les piles à combustible, ou encore la coordination d'un ensemble de voitures pour créer un réseau, semblent efficaces.
Il faut identifier les enjeux et les potentiels de chaque territoire au cas par cas. Par exemple, j'aime le principe de la cogénération nucléaire, même si elle ne plaît pas à EDF, car elle diminue le rendement de la production électrique... Toutefois, je trouve ridicule l'idée de créer un réseau de chaleur pour chaque centrale ! Il ne faut pas chercher à généraliser des choix qui devront, par ailleurs, être priorisés par l'État.
M. Yannick Vaugrenard. - Au risque de me répéter, trouvez-vous qu'une alternative au nucléaire est une option crédible à court et moyen termes si la question du stockage des énergies renouvelables n'est pas résolue ?
Mme Annie Guillemot. - N'est-ce pas utopique ?
M. Yves Bréchet. - Je vais dresser un parallèle géographique. Si vous dites que vous avez besoin d'aller des Houches à Courmayeur, vous ne dites pas pour autant comment vous y allez ! Il faut trouver une technique pour passer d'un côté à l'autre de ce petit détail qu'est le Mont Blanc, sans quoi vous restez bloqué. Actuellement, bien que des objectifs aient été fixés, nous n'avons pas trouvé les moyens techniques et scientifiques de dépasser les obstacles. Et pour cause : on s'escrime à ne voir que les avantages et on n'a donc pas encore identifié les obstacles à franchir pour y arriver... Il faut investir dans la recherche. Sans stockage, il est illusoire de penser à développer à grande échelle des énergies fluctuantes qui ont besoin d'être stabilisées, comme l'éolien. Le foisonnement n'est pas une solution car pour répondre au problème, il supposerait un maillage du territoire sur plusieurs centaines de kilomètres. Je vous laisse imaginer la mesure des difficultés à lever... Le stockage de masse est essentiel, et pour aller vers des lendemains qui chantent, il faut miser sur la R&D !
Nous n'avons pas non plus abordé le problème sanitaire qui peut se poser si on se repose sur les énergies renouvelables sans avoir une capacité de stockage sûre. En cas de black-out un peu long, comment fait-on pour assurer une fourniture énergétique aux patients qui présentent des difficultés respiratoires, ou qui ont besoin d'une dialyse ? Le risque est trop grand et EDF peut pallier une déficience ponctuelle, mais pas un problème affectant une région entière pendant plusieurs jours ! Il faut donc développer des systèmes de stockage peu chers, qui puissent être distribués à l'ensemble de la population.
M. Franck Montaugé. - Beaucoup de particuliers qui ont besoin d'une assistance de ce type utilisent des groupes électrogènes. Ce système ne me paraît ni compliqué, ni dispendieux.
M. Martial Bourquin. - L'entreprise Tesla a développé des solutions de stockage domestique sous forme de pile. Qu'en pensez-vous ?
M. Yves Bréchet. - La bonne solution est celle qui est disponible pour tous, quel que soit le niveau de revenus. C'est la responsabilité de l'Etat.
Je le répète, le problème du stockage ne me paraît pas insurmontable mais il faut y réfléchir sérieusement.
Quant au stockage des déchets nucléaires, il faut arrêter d'apeurer la population : ce n'est plus un problème majeur. Le problème majeur est aujourd'hui de convaincre la Nation que le stockage des déchets nucléaires n'est justement plus un problème majeur ! Les déchets vitrifiés peuvent être stockés dans de l'argile, et ne présentent aucun risque : encore faut-il faire entendre raison à l'opinion publique...
En Suède, ce type de stockage a été parfaitement accepté par la population. Lorsque j'ai demandé comment cela s'était passé, on m'a répondu : « C'est simple. Pendant quinze ans, trois soirs par semaine, les ingénieurs ont discuté avec la population locale dans de petites réunions d'une vingtaine de personnes. On a répondu à leurs interrogations, et on a fini par les convaincre. » Et pour cause : sur 20 personnes, si 18 sont intéressées et 2 seulement perturbent la réunion, le débat peut avoir lieu. À 200, c'est impossible...
Certes, il a fallu quinze ans. Mais il faut arrêter de confondre l'urgent et l'important. Les déchets nucléaires sont importants ; il est déraisonnable de considérer qu'ils constituent un problème urgent.
Je terminerai en vous racontant une dernière anecdote. Il y a deux ans et demi, je venais alors tout juste d'arriver au CEA, un incendie s'est déclaré à Fessenheim. Mon bistrotier m'a interrogé sur le sujet, et je lui ai répondu : « Je ne sais pas ce qui s'est passé mais je vais me renseigner. » Il s'est avéré qu'une malheureuse erreur de bidon était à l'origine de l'incendie. Le lendemain, je lui ai donc expliqué cela, et il m'a répondu : « Hier, vous avez reconnu que vous ne saviez pas, j'ai apprécié cet état d'esprit. Finalement, c'était juste un incendie, rien de plus grave : je suis rassuré. Mais c'est quand même étrange que dans une industrie d'une telle technicité, on ne soit pas fichu de distinguer deux bidons... ». Cet incendie a fait les gros titres de la presse nationale mais aucun n'a égalé en justesse et bon sens les propos de mon bistrotier. Il faut vraiment qu'on réapprenne à parler aux gens : ce sera le mot de la fin !
(Vifs applaudissements dans la salle).
M. Jean-Claude Lenoir. - Je ne suis pas surpris que vous soyez applaudi de la sorte, monsieur le Haut-Commissaire. C'est la deuxième fois en quatre ans que cela arrive, et à juste titre : vos propos étaient passionnants et ces problématiques pourtant complexe nous sont apparues clairement.
M. Daniel Gremillet. - Mille mercis pour cet échange. Vous donnez une nouvelle dimension au rôle que peut et doit jouer le scientifique auprès du politique. Espérons que cet état d'esprit touche d'autres domaines.
M. Marc Daunis. - Vous avez cité Oscar Wilde, permettez-moi d'en faire autant. « Il est stupide de donner des conseils, mais donner de bons conseils est une chose absolument désastreuse ». Voilà qui vous correspond, vous qui ne donnez que des avis !
M. Jean-Claude Lenoir. - Le philosophe Alain, interrogé un jour par un de ses étudiants sur la capacité des éléphants du Laos à marcher sur l'eau, aurait répondu : « Je ne sais pas. Allons voir ! ». C'est votre philosophie, et cette modestie est tout à votre honneur. Merci de votre très éclairante intervention.
La réunion est levée à 11 h 30.
Jeudi 9 juillet 2015
- Présidence de M. Jean Claude Lenoir, président -Transition énergétique pour la croissance verte - Suite de l'examen des amendements au texte de la commission
La réunion est ouverte à 17 heures.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous devons examiner des amendements déposés ce matin puis en début d'après-midi par le Gouvernement au texte de la commission sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 287 précise que la Caisse des dépôts est habilitée à assurer le préfinancement de l'enveloppe spéciale « transition énergétique ». Les projets qui bénéficieront des fonds affectés à l'enveloppe spéciale « transition énergétique » ont été identifiés. Cet amendement permettra de mobiliser des ressources dès la promulgation de loi. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 287.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 281 revient sur la création d'un acheteur de dernier recours pour l'électricité produite par les installations bénéficiant du complément de rémunération. Lorsque nous avions examiné hier les amendements nos 126, 191 et 212 ayant le même objet, nous avions fait état de notre accord sur le principe mais avions néanmoins demandé l'avis du Gouvernement au vu du manque de précisions de ces amendements. Or, cet amendement vient justement apporter des réponses à nos interrogations car il précise le financement du dispositif - les surcoûts seront couverts par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) -, le niveau de décote appliquée à l'électricité rachetée - au plus 80 % de la rémunération issue de la vente directe sur le marché complétée du complément de rémunération - et, enfin, que l'acheteur de dernier recours sera subrogé au producteur pour la valorisation des garanties de capacité et des garanties d'origine. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 281.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 294 revient opportunément sur le soutien aux cogénérations industrielles introduit par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture mais que les députés avaient conditionné à l'alimentation d'une entreprise ou d'un site gazo-intensif. Or, cela aurait eu pour effet d'exclure les sites industriels n'utilisant pas uniquement du gaz, et n'ayant donc pas le statut de gazo-intensifs, alors même qu'ils se trouvent dans une situation économique comparable à celle des sites éligibles.
Lors de l'examen du texte en commission, nous avions donc jugé nécessaire d'étendre le dispositif à tous les sites industriels consommant de la chaleur en continu. Cependant, nous ne pouvions pas en prendre l'initiative car l'article 40 nous aurait alors été opposé. Par cet amendement, le Gouvernement répond pleinement à cette difficulté et permettra de soutenir toutes les cogénérations industrielles alimentant des sites calo-intensifs. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 294.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 289 procède à une coordination dans le code de l'énergie pour tenir compte du remplacement de la prime versée aux opérateurs d'effacement par un système d'appels d'offres piloté par l'autorité administrative. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 289.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement n° 295 entend décaler de quelques mois l'échéance de publication des deux premières programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE), l'une applicable au territoire métropolitain et l'autre aux zones non interconnectées (ZNI).
En l'état, le texte prévoyait une publication au plus tard fin 2015 et une première période de la PPE couvrant les années 2015 à 2018. Or, il est très peu probable, compte tenu de la date de promulgation du texte qui interviendra, au mieux, dans le courant du mois d'août, que le Gouvernement soit en mesure de respecter ces échéances. En pratique, les deux premières PPE devraient être publiées en 2016. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 295.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement no 282 est un amendement de précision. Il indique que le fichier constitué par l'administration fiscale établissant la liste des bénéficiaires du chèque énergie fournira les éléments nécessaires au calcul du montant de l'aide -et non pas le montant de l'aide proprement dit. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 282.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement no 283 est identique à l'amendement n°96 des membres du groupe socialiste, sur lequel notre commission a émis un avis favorable mardi dernier.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 283.
Le sort des amendements est repris dans le tableau ci-après.
La réunion est levée à 17 h 13.