Mercredi 27 mai 2015
- Présidence conjointe de M. Hervé Maurey, président, et de M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense -Audition de Mme Laurence Tubiana, Ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, représentante spéciale pour la Conférence Paris Climat 2015 (COP21)
La réunion est ouverte à 15 heures 5.
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. -Pour cette audition commune aux commissions des affaires étrangères et du développement durable et au groupe de travail relatif aux négociations internationales sur le climat et l'environnement, nous sommes très heureux de vous accueillir, Madame l'ambassadrice, à près de 200 jours de la conférence de Paris, dont nul ne connaît les enjeux mieux que vous.
Le Sénat se mobilise dans la perspective de la conférence Paris Climat 2015, conscient de l'importance de l'enjeu climatique pour la France, pour la planète et surtout pour l'humanité, comme l'a souligné Nicolas Hulot lors de sa récente audition devant nos deux commissions.
Les effets du dérèglement climatique sont déjà sensibles à travers la montée du niveau des océans, l'érosion des côtes, dont nous allons constater les effets lors d'un prochain déplacement en Gironde, ou encore la plus grande fréquence des événements climatiques extrêmes.
C'est pourquoi le Sénat a engagé une série d'actions de sensibilisation, que le président Gérard Larcher présentera demain à la presse. La semaine dernière, nous avons tenu un colloque sur la position des religions à l'égard du réchauffement climatique. Nous nous entretenons du sujet avec les représentants des parlements étrangers que nous recevons régulièrement, ainsi nous avons récemment rencontré des parlementaires canadiens et des staffers américains. Nous participons également à la mobilisation des territoires, dont le Sénat est le représentant et qui jouent un rôle important dans la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, nous préparons activement la journée de l'union interparlementaire (UIP) au cours de laquelle nous accueillerons des parlementaires du monde entier le 6 décembre au Sénat. À cette occasion, une résolution pour laquelle j'ai été nommé rapporteur sera présentée ; nous souhaiterions qu'elle soit incluse dans les actes finaux de la conférence Paris Climat.
En effet, les parlementaires ont trop souvent le sentiment d'être quelque peu tenus à l'écart des grandes négociations. Nous savons que cela ne résulte pas de votre volonté, car vous avez souligné leur apport, leur pouvoir de faire pression sur les gouvernements, par exemple sur les contributions individuelles. Or, à ce jour, seuls dix pays ont fourni leur contribution nationale en vue de la conférence, alors que la date butoir était fixée à la fin mars.
Que pouvez-vous nous dire sur les chances d'un accord sérieux à Paris ? Le processus peut-il s'accélérer ? La prochaine conférence préparatoire des parties se tiendra à Bonn à partir du 3 juin prochain. Qu'en sera-t-il ?
Nicolas Hulot a évoqué une « course contre la montre ». Où en est-on ? En quoi pouvons-nous, parlementaires, être utiles, et auprès de quels pays devons-nous agir en priorité pour contribuer à la réussite de cette conférence ?
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Je vous souhaite à mon tour, au nom du président de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin, la bienvenue et vous remercie d'accepter de nous rencontrer, sachant votre agenda particulièrement chargé.
Comme l'a dit M. le président Maurey, le Sénat prend toute sa part dans la préparation de la conférence de Paris. La conférence de Copenhague, en 2009, avait donné des résultats en demi-teinte. Les pays en voie de développement avaient publié une déclaration qui posait des questions dérangeantes aux pays développés.
Dans quelle mesure avons-nous avancé depuis ? Avons-nous pris conscience des enjeux que représentent pour les pays pauvres le maintien d'un climat supportable et le soutien au développement ?
Signe supplémentaire de notre mobilisation, la commission des affaires étrangères a créé un groupe de travail sur les conséquences géopolitiques du changement climatique dans les espaces maritimes, animé par M. Cédric Perrin et Mme Leila Aïchi. Ce groupe travaille notamment sur la montée des eaux et la situation de l'Arctique.
Nicolas Hulot nous a fait part de ses craintes quant à l'insuffisance des contributions nationales à la conférence ; faut-il y voir un retard administratif ou un signe plus préoccupant ?
Autre question, non moins importante : comment assurer la mobilisation des sociétés civiles au niveau mondial, avec les sacrifices que cela implique, pour que cet accord ne reste pas lettre morte ?
Enfin, en tant que présidente du conseil d'administration de l'Agence française pour le développement (AFD), vous êtes une interlocutrice privilégiée de ces pays en voie de développement, dont la sensibilité sur la question du changement climatique diffère souvent de la nôtre. Comment progresse la préparation de la conférence dans ces pays ?
Nous mesurons l'immensité de la tâche et votre engagement personnel pour le succès de cette conférence.
Mme Laurence Tubiana. - Je vous remercie de votre invitation. Ayant souvent l'impression, telle une garagiste, d'avoir les mains dans le cambouis, cette audition représente une occasion idéale de prendre du recul et de tracer le chemin qui reste à parcourir, 200 jours avant l'étape finale.
Vous avez pu entendre le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères souligner que la conférence de Paris devait constituer un véritable tournant. Les négociations sur le climat ont commencé en 1992 - cela peut paraître long, mais elles sont plus complexes que les négociations internationales sur le commerce, qui, elles, ont duré de 1948 à 1994.
Nous souhaitons une évolution des politiques publiques nationales et des modèles de développement car, pour prendre ce tournant, il faut mettre en place des économies sobres en carbone, par la diminution de l'utilisation de ressources fossiles, ou la neutralisation des émissions dans l'atmosphère.
Il convient, par conséquent, de favoriser une convergence des anticipations des gouvernements, mais aussi des acteurs économiques et des collectivités locales. Pour passer sous la barre des deux degrés par rapport à l'ère pré-industrielle, nous devons leur faire partager l'ambition d'un changement de modèle, d'un profond découplage entre la consommation des ressources fossiles et la croissance économique. En somme, au lendemain de la clôture de la conférence, le 12 décembre, nous voudrions voir les journaux annoncer l'émergence inévitable d'une économie sobre en carbone.
Vous m'interrogez à juste titre sur la préparation des accords. Notre action se décline en quatre volets.
Le premier est la conclusion de l'accord lui-même, pour laquelle la France a reçu un mandat.
Le deuxième est constitué par les contributions nationales. La conférence est organisée selon un système dit « par le bas » reposant sur des engagements volontaires des pays en matière de réduction des émissions.
Le troisième concerne la mobilisation financière. Il faut modifier la réponse du système financier aux besoins d'investissements afin de relever le défi de la transition vers une nouvelle économie.
Enfin, le quatrième est l'engagement des acteurs non gouvernementaux. Notre ambition est de favoriser l'émergence d'un « effet croyance ». Beaucoup d'entreprises sont désormais convaincues que l'économie sobre en carbone représente l'avenir, et que les ressources fossiles constituent un investissement risqué. Quant aux acteurs locaux, nous avons à coeur de montrer qu'un grand nombre d'autorités territoriales, dont les décisions sont importantes pour le climat, voient un avenir dans la ville durable.
Oui, nous voulons que l'alliance pour le climat repose sur un travail juridique ; sur les engagements nationaux ; sur les réponses du système financier ; et sur la mobilisation des acteurs non gouvernementaux.
Avec ces quatre objectifs à l'esprit, nous allons engager une diplomatie à 360 degrés, en travaillant avec les gouvernements et tous ceux qui, au niveau national, construisent les politiques énergétiques, avec les acteurs du système financier, avec les organismes non gouvernementaux, en les incitant à s'engager de manière compréhensible et vérifiable.
Nous sommes aidés dans cette entreprise par une mobilisation sans précédent de notre exceptionnel réseau diplomatique. Dans chaque ambassade, un correspondant est en relation avec les négociateurs, les collectivités locales et les industriels.
Où en sommes-nous ? Certes, nous n'avons reçu que dix contributions - 37 en comptant chacun des membres de l'UE. Néanmoins, je n'y vois pas un motif d'inquiétude. Le 31 mars n'était pas une date impérative, la véritable échéance se présentera en octobre.
L'exercice est complexe. J'ai échangé récemment avec la secrétaire exécutive de la commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, Alicia Bárcena, qui m'a confirmé la prise de conscience des enjeux climatiques sur son continent. Néanmoins, il y a loin de la volonté d'agir aux modalités concrètes, entre l'utilisation des politiques fiscales, la définition d'objectifs chiffrés de réduction des émissions, etc. Un grand nombre de pays ne se sont encore jamais livrés à cet exercice.
L'horizon 2025-2030 paraît particulièrement lointain. Cette échéance appelle le déploiement, dans chaque pays, de politiques de protection des industries, de l'agriculture, des forêts... Partout, ces enjeux nourrissent des débats intenses. Les gouvernements prennent conscience des démarches concrètes qu'implique leur mobilisation. Il est naturel que ce processus prenne du temps. Des arbitrages complexes doivent être rendus sur des données telles que le taux de croissance espéré.
Je suis convaincue qu'à l'arrivée, la quasi-totalité des pays émetteurs de gaz à effet de serre présenteront une contribution. Nous recevrons un afflux de contributions dans les prochaines semaines, et une nouvelle vague durant l'été. Il est néanmoins exact de dire que, comme l'a souligné Nicolas Hulot, ces contributions ne répondront pas à la question de la trajectoire à suivre pour limiter la hausse des températures à 2°C à l'horizon 2050.
L'enjeu de la conférence de Paris sera précisément de revenir vers une trajectoire compatible avec cet objectif, à travers une baisse de 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre entre 2000 et 2050.
Nous sommes à l'orée d'une grande transformation. Beaucoup de pays en voie de développement commencent à s'engager à des baisses absolues de leurs émissions. C'est le cas aussi de la Chine. Encore faut-il que ces réductions interviennent suffisamment vite. Il est difficile d'attendre des propositions concrètes à brève échéance, mais la volonté est là. Nous en saurons davantage à la fin juin.
Venons-en aux principaux points de la négociation. Comment allons-nous la conduire ?
En premier lieu, le 30 novembre prochain, la France succèdera au Pérou à la présidence de la conférence des parties. Jusqu'à cette date, nous travaillons en étroite collaboration avec la présidence péruvienne, très écoutée et respectée par les pays en voie de développement, ce qui nous prémunit contre le syndrome européocentriste dont avait souffert la présidence danoise. Cette association étroite avec le Pérou fait partie du capital politique que nous accumulons pour le succès de la conférence de Paris.
En deuxième lieu, nous organisons des réunions informelles afin de faire le point sur les divergences et de rapprocher les points de vue. Les dernières ont eu lieu en mars à Lima et à Paris en mai. D'autres suivront en juillet et en septembre. Ces rencontres ont lieu à différents niveaux : négociateurs, ambassadeurs ou ministres. La réunion de Petersberg, conclue il y a dix jours à Berlin par la chancelière Merkel et le président Hollande, a mis en évidence une volonté commune de faire aboutir la conférence de Paris.
Nous entrons cependant dans une phase difficile. Quatre points politiques demeurent non résolus.
Le premier est celui de l'objectif concret. Le repère des 2°C a été fixé à titre d'approximation à Copenhague en 2009 pour éviter un engagement sur des chiffres absolus pour 2050 et une traduction en termes de concentration des émissions. On a pour ainsi dire contourné l'obstacle. L'objectif exact est une fourchette comprise entre 1,5°C et moins 2°C, ce qui fait place aux revendications des petites îles et des pays africains.
Un autre objectif possible est un niveau zéro d'émissions nettes, d'ici à la fin du siècle, ou encore une baisse de 60 % des émissions mondiales par rapport à 2010. Il existe donc plusieurs propositions, mais aucune n'a recueilli de consensus pour le moment.
Le deuxième problème touche aux objectifs en termes de concentration des gaz à effet de serre. Les pays développés se déclarent prêts à réduire ces concentrations de 80 % à 95 % d'ici à 2050, mais il est politiquement difficile d'afficher des objectifs chiffrés. Cela donne la mesure du chemin à parcourir pour les autres, pays en voie de développement, et autres pays émetteurs comme la Chine et l'Inde.
Dans ce contexte, une solution peut consister à viser un pic d'émissions aussi précoce que possible. Une autre, proposée par la France, inciterait chaque pays à décrire un scénario d'évolution économique compatible avec l'objectif d'un réchauffement contenu à 2°C en 2050.
La troisième difficulté a trait aux financements. À Copenhague, les pays développés se sont engagés sur des transferts publics et privés du Nord vers le Sud de l'ordre de 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020. D'après la Banque mondiale, les transferts publics s'élèveraient à 37 milliards par an. Il est plus difficile d'évaluer les financements privés. Il nous paraît plus opportun d'obtenir de chaque pays des trajectoires vraisemblables de croissance des financements publics et privés d'ici à 2020, et une évaluation des ressources à consacrer à l'adaptation au changement climatique.
Si les contributions se révèlent insuffisantes, comment les réviser à la hausse ? Nous allons nous battre pour instaurer des cycles. La Chine résiste tout particulièrement au principe d'une révision régulière des accords. Enfin, il faut prendre en compte le système de mesure des progrès. Il existe un accord sur les mécanismes de vérification, mais la nature de ces mécanismes et le degré d'ingérence qu'ils impliquent restent à déterminer.
Le dernier problème est celui de l'uniformité de la règle. Devons-nous l'imposer à tous ou accepter des différences de nature et de degré ? Nous avons près de six mois pour faire aboutir le processus. Les négociations formelles commencent à la fin de la semaine. Le Président et le ministre des Affaires étrangères ont souligné la nécessité de mettre en place les éléments du paquet politique au plus tard au mois d'octobre. Plusieurs jalons nous y conduisent : le G7 de juin, l'assemblée générale de l'ONU, où le Président Hollande et Ban Ki-Moon tiendront une réunion des chefs d'État sur le sujet, et la réunion de Lima sur la thématique financière avant le G20 du mois d'octobre.
En parallèle, une série de conférences et d'actions sur diverses thématiques seront conduites auprès des entreprises, des collectivités locales et des acteurs financiers. Ces temps forts, qui font partie de l'agenda de la négociation, sont destinés à produire un momentum politique.
Je ne vous ai pas répondu sur la situation des pays africains. Ceux-ci sont davantage engagés et coordonnés qu'auparavant. Le Sénégal, l'Éthiopie, le Kenya, l'Afrique du Sud, la République centrafricaine préparent activement des contributions qui arriveront au cours de l'été. Leur agenda est dominé par l'adaptation au changement climatique et l'engagement en faveur des énergies propres. Les pays africains expriment également des attentes fortes sur la réponse financière des pays développés. La forêt constitue un enjeu particulièrement important, ainsi que l'adaptation de l'agriculture au changement climatique.
M. Jérôme Bignon, président du groupe de travail sur les négociations internationales sur le climat et l'environnement. - Je vous remercie pour ces propos rassurants, qui contrastent avec ceux que vous avez pu tenir dernièrement dans la presse.
Ma première question porte sur le dialogue de Petersberg, lancé par l'Allemagne en 2010 après la conférence de Copenhague, dans lequel 35 pays sont impliqués. En quoi ce processus se distingue-t-il du reste des négociations ?
Deuxième remarque : le prince Albert de Monaco a désigné l'océan comme le grand absent des négociations. Vous avez présidé l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) avec détermination ; pouvez-vous me dire pourquoi l'océan n'a pas été inclus dans les discussions ? Les gaz à effet de serre semblent avoir été considérés comme une donnée principalement terrestre.
Enfin, je me suis laissé dire que certains acteurs comme la Chine travaillaient, pour reprendre l'expression anglaise, derrière le rideau. Publiquement, ils mettent en avant les difficultés qu'ils rencontrent en tant que pays émergents et, plus discrètement, ils mettent en place des stratégies industrielles et technologiques ambitieuses. Il en résulte une certaine ambiguïté. Cette question est-elle abordée dans les discussions ?
Mme Leila Aïchi. - Étant d'un naturel optimiste, je me montrerai néanmoins plus réservée dans ce cas. Nous avons entendu de nombreux scientifiques qui se sont montrés particulièrement alarmistes, prévoyant un réchauffement compris plutôt entre 4°C et 6°C à l'horizon 2050. Quid de ce delta avec l'objectif affiché de 2°C, qui n'est pas une hypothèse mais bien un constat unanime ?
Après cette remarque liminaire, je vous soumets quatre questions et remarques.
Considérez-vous le récent accord entre les États-Unis et la Chine, qui représentent à eux deux 42 % des émissions mondiales de CO2, comme une opportunité ou au contraire une menace pour les négociations ?
Vous avez évoqué la mobilisation des acteurs de la société, en particulier des entreprises. Or huit des dix premières entreprises mondiales ont une activité directement liée aux énergies fossiles. La COP 21 n'entre certes pas dans leur business plan, comment agir sur ces entreprises ?
Le fonds vert pour le climat et les aides aux pays en développement sont grevés par une ambiguïté terminologique. Les bailleurs considèrent que l'aide qu'ils apportent implique un droit de regard sur son utilisation. De leur côté, les pays destinataires se voient comme des victimes de la sur-consommation du Nord. Dans cette perspective, l'aide n'est que le remboursement d'une dette et n'emporte aucun droit de regard. Travaillez-vous sur ces notions, afin d'éviter des interprétations divergentes qui bloqueraient les négociations ?
Enfin, la perspective d'un réchauffement de 4°C entraînerait des déplacements de populations très importants, créant une nouvelle catégorie que l'on hésite à appeler déplacés environnementaux, réfugiés environnementaux ou réfugiés climatiques. Il me semble que la France, régulièrement interpellée sur le sujet au cours de nos auditions, doit s'en saisir tant qu'elle exerce une certaine influence au niveau mondial.
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères. - En mars dernier, la conférence de l'ONU sur la prévention des catastrophes n'a débouché sur aucun objectif chiffré. Comment dépasser les belles déclarations pour élaborer des chiffrages précis ?
Mme Laurence Tubiana. - Le dialogue de Petersberg est un moyen de clarifier les points politiques que les négociateurs n'arrivent pas à trancher dans le cadre multilatéral habituel. Comparable à une réunion ministérielle informelle, il sert à avancer et à résoudre les divergences au niveau politique, les négociations multilatérales étant l'oeuvre de juristes.
Le dialogue de Petersberg est la première véritable discussion ministérielle réunissant un panel représentatif de pays depuis le début de l'année. La chancelière s'y est impliquée et a laissé beaucoup de place à la France
Les océans sont les principaux puits de carbone, et jouent à ce titre un rôle capital dans l'écosystème mondial. Un grand nombre de pays demandent que ce thème soit traité. Les forêts peuvent être abordées par deux angles : en les protégeant, on préserve leur capacité à stocker le carbone et on les régénère. Comment freiner l'acidification des océans, et éviter d'en faire une variable d'ajustement, avec les conséquences afférentes pour la faune et la flore ? Incontestablement, la question est importante, mais par quel biais l'attaquer ? Le principal enjeu consiste à réduire les émissions mondiales ; on peut également envisager d'accroître les capacités d'absorption d'autres puits de carbone comme les sols, grâce à l'agriculture, à la fertilisation et à une meilleure gestion des forêts.
Il demeure que pour le moment, les océans sont abordés en tant que milieu impacté par le changement climatique, et non en tant que solution. Il est contre-productif de placer cette thématique dans tous les points de la négociation, comme certains le souhaiteraient. Le sujet sera mentionné, mais il est exclu de fixer des objectifs chiffrés.
Ayant décidé de réduire sa consommation de charbon, la Chine est le premier investisseur en matière d'énergies renouvelables. À l'instar de notre débat sur le nucléaire, certains hauts responsables chinois défendent la technologie liée au charbon, tandis que d'autres dénoncent la pollution.
Depuis 2010, la Chine parie sur une économie bas-carbone : c'est un changement fondamental. Les négociateurs chinois souhaitent que l'accord de Paris crédibilise l'engagement international d'aller vers une économie décarbonée. En revanche, ils veulent conserver leur libre choix en la matière. Le treizième plan quinquennal (2016-2021) sera très intéressant, à cet égard, puisqu'il comportera des mesures précises, qui seront annoncées dès le mois d'août. En Chine, le débat politique porte essentiellement sur le taux de croissance pour les quinze prochaines années. Presque tous les instituts de recherche, y compris chinois, estiment que les émissions chinoises vont diminuer à partir de 2025, mais la Chine ne veut pas s'engager trop ouvertement en ce sens, car cela impliquerait une réduction du taux de croissance. Tant que le découplage entre taux de croissance et consommation d'énergie ne sera pas prouvé, le sujet restera tabou en Chine. En France, dans le débat sur la transition énergétique, certains politiques ont dénoncé de même le sacrifice de notre économie au nom de la réduction par deux de notre consommation énergétique à l'horizon 2050.
Les conclusions des climatologues français et des experts du GIEC se fondent sur les prévisions actuelles qui estiment que la température mondiale augmentera de près de 4 degrés d'ici la fin du siècle. L'objectif de l'accord est d'accentuer les efforts à l'avenir, car les technologies deviennent matures, coûtent de moins en moins cher et emportent l'adhésion du plus grand nombre. Les accords de Paris devront dresser le constat de la situation, fixer les objectifs et déterminer les étapes intermédiaires. Les moyens mis en oeuvre tant en matière d'investissements, de recherche que de développement seront déterminants.
L'accord entre les États-Unis et la Chine est essentiel et il sera sans doute suivi d'une autre déclaration importante en septembre, lorsque le président chinois se rendra à Washington. Cet accord a déstabilisé le groupe des pays en développement. Pour la première fois, la Chine reconnaissait publiquement qu'elle allait réduire ses émissions. Il faudra néanmoins que cet accord ne se fasse pas a minima.
Certes, les dix plus grandes entreprises mondiales dépendent pour beaucoup de l'énergie fossile, mais nous devons leur faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'une solution d'avenir. D'ailleurs, certaines d'entre elles commencent à comptabiliser le risque carbone pour prendre en compte la dévalorisation de leurs actifs. Quelques fonds d'investissements se désengagent du secteur fossile. Le signal du risque économique se manifeste donc. De grandes entreprises, comme Total, commencent d'ailleurs à s'orienter vers les énergies renouvelables et Shell investit dans la capture du carbone.
Les pays pétroliers et les grandes entreprises qui vivent de l'énergie fossile n'ont bien sûr pas intérêt à ce que l'accord soit contraignant, mais s'ils estiment cette évolution inévitable, ils reverront leurs scénarios futurs. L'accord de Paris repose sur la gestion des anticipations : cette grande bataille, perdue à Copenhague, doit être gagnée à Paris.
Ne nous faisons pas d'illusion sur ce que sont les accords multilatéraux : seuls les accords commerciaux, qui prévoient des sanctions, ont un réel impact. Un tribunal du climat ne naîtra pas des accords de Paris. En revanche, le succès sera au rendez-vous si les gouvernements craignent les impacts du changement climatique. En cinq ans, les mentalités ont évolué, ce qui permettra sans doute de parvenir à un accord à Paris. Ainsi, trois rapports de l'académie des sciences chinoise ont été publiés, mesurant les dégâts du changement climatique. Divers pays, dont le Mexique, la Chine ou l'Afrique du Sud, disposent désormais d'outils mesurant les impacts du changement climatique, et ils mettent en place des mesures incitatives comme des quotas carbone ou des aides fiscales aux énergies renouvelables.
Nous sommes à la fois dans l'aide et dans la compensation. Les pays en développement demandent aux pays développés de les aider, et les financements sud-sud s'accroissent. Le fonds vert pour le climat a instauré une gouvernance bipartite : ceux qui financent n'ont pas plus de droits que ceux qui perçoivent les aides.
L'accord comporte un nouveau chapitre intitulé « règlement des pertes et dommages » lié à l'impact du changement climatique sur les pays qui demandent des compensations. Nous essayons d'être solidaires à l'égard de ces pays, sans qu'il soit question de compensation, terme qui serait inacceptable par les pays développés. Les responsabilités passées ne sont pas niées, mais il ne peut s'agir d'une véritable dette. En outre, les grands pays nouvellement émetteurs comme la Chine demandent à ce que le passé soit pris en compte.
Vous m'avez interrogée sur les déplacés climatiques : soyons sans illusion, l'accord de Paris ne leur accordera pas de statut particulier, d'autant que l'immigration est un sujet particulièrement conflictuel en ce moment. Voyez par exemple la situation au Japon, en Chine, en Birmanie. Le sujet, pourtant, est réel et mérite d'être abordé : les petites iles s'interrogent sur leur devenir lorsque leurs territoires seront submergés. En revanche, la négociation traite des droits humains et la France, comme d'autres pays, soutient cette initiative. Peut-être sera-t-il possible de renforcer le statut des victimes en y incluant les déplacés ?
Le pessimisme de certaines de mes interviews a pour but d'accélérer le rythme de la négociation. Néanmoins, celles-ci restent extrêmement difficiles.
M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable. - Merci pour vos réponses très précises.
M. Alain Fouché. - Dans une petite commune, l'auteur de la pollution d'un ruisseau se retrouve devant un tribunal correctionnel. Rien de tel pour l'océan arctique qui est très fragile et convoité pour son pétrole. Conscient du problème, Total fait extraire et acheminer le pétrole par des bateaux pétroliers russes. La conférence de Paris va-t-elle se préoccuper de cette question ?
Mme Évelyne Didier. - Quelle place pour la France en tant que puissance invitante de la conférence de Paris ?
La responsabilité historique sera-t-elle un point « dur » de la conférence, comme mes contacts en Amérique latine m'inclinent à le penser ?
A-t-on une idée précise des émissions de chaque pays et les efforts qui leur sont demandés sont-ils proportionnés ?
Les pays du G7 vont-ils faire une déclaration commune pour crédibiliser la conférence ?
Recense-t-on les déplacés climatiques ?
Enfin, j'ai le sentiment que le Canada et l'Australie n'évoluent guère...
Mme Fabienne Keller. - Avec mon collègue Yvon Collin, nous revenons du Sénégal où nous avons contrôlé l'utilisation des aides climatiques de l'AFD. Comment se répartissent les aides en faveur du développement et celles pour le climat dans les pays les moins avancés ? Sur place, ce sont les premières qui importent.
Les prix des énergies fossiles et du marché du carbone se sont effondrés : quel mauvais signal !
On parle beaucoup des financements innovants, même si le fonds vert a beaucoup déçu. Peut-on espérer des avancées sur la taxation des transports aériens et maritimes, ces derniers n'étant soumis à aucune taxe ?
Envisage-t-on une inclusion carbone aux frontières, qui est OMC-compatible ?
M. Didier Mandelli. - Vous avez déclaré dans un journal dominical qu'un accord a minima n'était pas envisageable. Est-ce vraiment le cas ? Vous avez également affirmé que le succès se mesurerait au nombre de ministres sur la photo. Est-ce que ce sera le seul indicateur de réussite de la conférence ?
M. Ronan Dantec. - La parole de la société civile et des acteurs non-étatiques est de plus en plus forte, même si elle n'aura pas d'impact direct sur l'accord, qui résultera d'une négociation entre États.
La multiplication des crises internationales - Ukraine, Syrie, Yémen - est-elle de nature à gripper les accords sur le climat ou à les favoriser ? Ces accords sont avant tout économiques, mais l'Europe n'a pas inclus le climat dans ses négociations de libre-échange avec le Canada et les États-Unis. La technostructure européenne qui négocie ce traité prend-elle en compte cette dimension ?
Mme Laurence Tubiana. - Seuls quelques accords régionaux prévoient des sanctions à l'égard des pollueurs. Malheureusement, pour des raisons politiques, nous n'avons pu imposer à l'Arctique le statut de bien public mondial, comme ce fut le cas pour l'Antarctique. On ne pourra pas punir ceux qui exploitent le pétrole en Arctique mais ces exploitations étant très coûteuses et risquées - d'où l'absence de Total - il est possible d'espérer le retrait de ces groupes qui iront gagner de l'argent ailleurs. La pression de l'opinion publique et des scientifiques est indispensable pour arrêter cette exploitation, d'autant que la renégociation du traité de l'Arctique a confirmé la propriété du sous-sol à certains États qui pourront continuer à le ravager en toute impunité.
En tant que présidente de la conférence de Paris, la France doit trouver le ton juste, savoir écouter, sans arrogance, tout en gardant le cap pour répondre aux questions posées. Les États souverains devront néanmoins être entendus et encouragés à être plus entreprenants.
La responsabilité historique pose un problème majeur : elle doit être reconnue mais ne pas occulter le fait que des pays en développement sont devenus de très gros pollueurs. La Chine est ainsi le premier émetteur mondial. Il est donc difficile de ne prendre en compte que le passé alors que les pays vont s'engager pour les vingt prochaines années. Pour trouver une formule juste, il faut qu'elle soit acceptable. Comment se développer en ayant très peu d'émissions ?
Le G7 fera probablement une déclaration significative, notamment grâce à l'Allemagne.
Les Nations Unies s'occupent des réfugiés climatiques mais nous sommes loin d'un statut.
Le Canada reste fermé, mais certaines de ses provinces, comme l'Ontario, le Québec ou la Colombie britannique, sont extrêmement volontaires. En Alberta, pays des sables bitumineux, le nouveau gouvernement a déclaré qu'il veut une politique environnementale forte. En Australie, le mouvement est identique : le gouvernement s'oppose à toute politique climatique alors que beaucoup d'Australiens sont préoccupés par l'avenir de la grande barrière de corail et par les vagues de chaleur qui sont parmi les plus fortes du monde. Cela bouge partout, dans le bon sens, mais il ne faut pas que le soufflé retombe.
Oui, Madame Keller, il est vrai que les pays les moins avancés évoquent davantage le financement du développement que le climat, mais il est souvent difficile de distinguer les deux, sauf pour l'éducation et la santé.
De nombreux pays vont instaurer un prix du carbone. Quant aux financements innovants, la taxe sur les transactions financières va enfin produire ses effets. Les compagnies aériennes se sont engagées à compenser leurs émissions. Il est en revanche difficile d'instaurer une taxe sur le transport maritime, qui affecterait les pays en développement : le blocage est total.
Plus les pays mèneront une politique climatique active, plus les questions du prix du carbone et de la taxation aux frontières se poseront. Les conflits commerciaux risquent donc de se multiplier devant l'OMC dans les prochaines années, en raison des politiques divergentes qui seront menées en la matière. La taxe sur les billets d'avion fonctionne, même si peu de pays ont adhéré, les compagnies aériennes peuvent-elles faire quelque chose de leur côté ? Ces questions demeurent sur la table pour les semaines qui viennent.
Nous nous battrons contre des accords a minima et le succès ne se mesurera pas qu'à la photo.
Oui, Monsieur Dantec, beaucoup d'acteurs civils demandent à leurs gouvernements d'aller plus loin et plus vite. Leur rôle doit être encouragé.
La Californie, huitième économie mondiale, envisage son futur comme totalement décarboné. Qui ne voudrait lui ressembler ?
Enfin, je ne sais si les conflits actuels vont favoriser ou empêcher les accords de Paris. Quel seront les rôles de la Russie, de l'Arabie Saoudite ? Les signaux qu'ils envoient sont contradictoires. L'activisme politique de la France est plutôt un atout.
Le traité de libre-échange transatlantique aura-t-il un impact sur les politiques climatiques ? De nombreuses ONG posent la question depuis plusieurs semaines et j'ai présenté à M. Fabius des suggestions à ce propos. Les négociations s'accélèrent car l'administration Obama veut parvenir à un accord avant son départ. Il semble en tout cas que les deux soient liés, puisque les effets de ces accords ont des répercussions directes sur les politiques intérieures de chaque pays.
Le rôle des parlementaires est essentiel : ils doivent encourager les gouvernements, constituer le relais de l'opinion publique mais aussi des expériences étrangères couronnées de succès et surveiller le respect des engagements pris.
M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Merci pour votre expression raisonnablement optimiste et pour la qualité et la précision de vos réponses.
M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable. - Merci, Madame l'ambassadrice, et bon courage pour vos négociations.
La réunion est levée à 16 heures 50.
Jeudi 28 mai 2015
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Audition de M. Philippe Duron, député, sur son rapport au nom de la commission « Avenir des trains d'équilibre du territoire »
La réunion est ouverte à 8h30.
M. Hervé Maurey, président. - Nous entendons ce matin notre collègue député Philippe Duron, président de la commission sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire, que je remercie d'avoir bien voulu se rendre disponible à une heure si matinale.
Dans le cadre de la commission Mobilité 21, vous aviez remis un rapport qui a marqué les esprits, qui hiérarchise les grands projets d'infrastructures de transport. Cette fois-ci, vous vous êtes penchés sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire (TET), mieux connus du grand public sous l'appellation de trains Intercités, au sein d'une commission composée d'élus nationaux et régionaux, parmi lesquels nos collègues Annick Billon et Jean-Jacques Filleul, ainsi que de personnalités qualifiées. Vous avez réalisé un travail conséquent, en effectuant de nombreuses auditions et des déplacements en France et à l'étranger. Vous avez remis votre rapport mardi au secrétaire d'État aux transports.
Ce rapport confirme un diagnostic largement partagé de l'ensemble des acteurs, déjà mis au jour par la Cour des comptes en février dernier. Les TET constituent une offre très hétérogène, héritée de l'histoire et non définie de façon rationnelle, avec parfois la coexistence de trains express régionaux (TER) et de TET. Ces trains n'ont pas été suffisamment bien gérés par l'autorité organisatrice qu'est l'État, avec pour conséquence une forte dégradation de la qualité de service et une dérive des coûts. Le matériel roulant est âgé d'une quarantaine d'années en moyenne et les infrastructures sont vieillissantes - la ligne que nous empruntons tous les deux, avec Philippe Duron, en est un exemple. Vous évoquez un déficit de 500 millions d'euros en 2025, si l'on ne fait rien. Cette situation rappelle le délitement du fret.
En ce qui concerne les propositions du rapport, les réactions sont plus contrastées, car les réductions de dessertes ne sont pas de nature à faire plaisir aux élus locaux que nous sommes.
M. Philippe Duron, député. - Je suis accompagné de Pierre-Christophe Soncarrieu, ingénieur, adjoint au responsable de la mission autorité organisatrice des TET au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et de Charlotte Leroy, ma collaboratrice. Je suis ravi d'être ici avec deux membres de la commission qui ont participé activement à ses travaux, Annick Billon et Jean-Jacques Filleul. La commission a travaillé pendant six mois. Elle a réalisé plus de cinquante auditions et une douzaine de réunions plénières, dont deux journées d'arbitrage. À la demande du ministre, nous sommes allés sur le terrain. En France, nous avons vu certaines lignes de nuit, en empruntant la transversale Sud que l'on pourrait qualifier de « transsibérien français » en raison de sa longueur et du temps passé dans le train. Il s'agit de la ligne reliant les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon. Nous avons aussi effectué des déplacements à l'étranger, en Autriche, en Allemagne, au Royaume-Uni, pour voir comment ces pays, qui ont engagé des réformes dès les années 1990, gèrent cette question. Nous avons bénéficié de l'expertise indépendante de deux cabinets, le cabinet de stratégie Roland Berger et le cabinet d'ingénierie britannique Atkins. Je voudrais aussi remercier SNCF Mobilités, car c'est la première fois que l'on a pu disposer de toutes les données relatives au flux de circulation et aux montées et descentes dans chaque gare, que la SNCF a toujours considérées comme relevant du secret commercial. Nous avons pris des précautions à cet égard, en mettant en place une data room ouverte aux rapporteurs en contrepartie d'un engagement de confidentialité. Outre ce travail d'expertise, nous avons réalisé une consultation des usagers en nous faisant conseiller par la commission du débat public. Nous avons obtenu 6 300 réponses, qui révèlent des choses assez intéressantes. La priorité des voyageurs n'est pas celle que l'on croyait : la faculté de disposer du trajet le plus court possible apparaît seulement en troisième place. À leurs yeux, les éléments importants comprennent la régularité, la ponctualité, le confort et la possibilité d'utiliser son temps de trajet, par exemple en se connectant à Internet.
Nous ne sommes pas les premiers à travailler sur ce sujet. En 1995, Jacques Barel faisait un premier rapport sur ce thème, à la demande du Gouvernement, qui était déjà extrêmement pertinent. Il suggérait de donner une définition à ces trains interrégionaux, tels qu'ils étaient alors dénommés. D'après lui, ces trains devaient relier les grandes et moyennes villes sur l'ensemble du territoire, avec un nombre minimum de voyageurs effectuant ces trajets de bout en bout (80 pour une automotrice et 160 pour un train tracté). Il s'était aussi intéressé à la question du temps de parcours. Ces recommandations n'ont pas été suivies d'effet. D'autres tentatives ont été lancées en 2005, sans succès, puis la SNCF a rendu la responsabilité de ces trains à l'État.
Comme vous l'avez dit, l'offre est hétérogène, qu'il s'agisse des trains de jour ou de nuit. Elle comprend des lignes pendulaires de très grandes banlieues reliant par exemple Paris à Amiens, Évreux, Bernay ou Montargis ; des grandes radiales jadis appelées « les grandes lignes », reliant Paris à Clermont-Ferrand, Limoges puis Toulouse ou encore Cherbourg ; des lignes transversales plus ou moins heureuses, rejoignant par exemple Bordeaux à Nice, Nantes à Lyon ou Bordeaux à Lyon ; quelques lignes interrégionales et, enfin, des « reliquats de lignes ». Ceux-ci consistent en un aller-retour par semaine alors que des TER font déjà le même trajet : il y a donc redondance et concurrence.
Le deuxième constat est celui d'une dégradation du service, liée en premier lieu à un vieillissement du matériel. Les trains Corail sont de qualité mais ils ont vieilli. Ils ont certes fait l'objet de belles rénovations, mais leurs systèmes électrique et hydraulique ne sont plus performants. L'incident arrivé il y a quelques jours à Montpellier, durant lequel 300 personnes ont été bloquées toute une nuit témoigne des désagréments que peuvent causer cette vétusté.
Cette dégradation est aussi le résultat d'un certain désintérêt de la compagnie nationale pour ces trains, non par désinvolture, mais en raison de l'idée qui a prévalu pendant une ou deux décennies, suivant laquelle ces trains n'avaient pas vocation à survivre et allaient être remplacés. Je vous rappelle, à ce titre, la loi Pasqua-Hoeffel, qui ambitionnait de mettre des gares TGV à une heure de tous les Français. Le Grenelle a dressé une liste de dix lignes à grande vitesse, dont quatre ont été lancées et six sont en attente, parmi lesquelles Paris-Orléans-Clermont-Lyon (POCL), Poitiers-Limoges, Bordeaux-Hendaye et Bordeaux-Toulouse. Nous étions alors dans la vision d'un système à grande vitesse, vision que nous avons mise à mal, avec quelques collègues, dans le cadre de la commission Mobilité 21. En conséquence du désintérêt pour ces trains, les services à bord se sont petit à petit délités : à la restauration à la place a succédé la voiture-bar, puis le vendeur ambulant, avant que ce service ne disparaisse. Les voyageurs le regrettent, ce qui se comprend quand on passe trois ou quatre heures dans un train.
À cela s'ajoute la dégradation des infrastructures, qui entraîne des ralentissements ou des interruptions du trafic de nuit notamment, en raison des travaux. On a beaucoup parlé du Bordeaux-Nantes ; les travaux nécessaires vont encore allonger le temps de parcours de quarante-cinq minutes.
Troisième constat, ces trains sont concurrencés par d'autres modes de transport, plus efficaces ou plus souples : la grande vitesse, le covoiturage et demain les autocars. Nous nous sommes posé la question de savoir si les trains de nuit ont vocation à persister. D'après la SNCF, la Deutsche Bahn, Renfe ou Trenitalia, ce modèle n'a plus de pertinence, car le train de nuit a perdu une grande partie de sa clientèle. Nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec cela, comme je l'expliquerai par la suite.
Toutes ces difficultés ont conduit à une baisse de la fréquentation et, en conséquence, à une augmentation des subventions publiques. Nous avons calculé la part de cette subvention, dans le prix du billet, par voyageur et par voyageur-kilomètre. Elle est en augmentation constante et présente des distorsions importantes. Sur les deux dernières années, elle a augmenté de 28 %. Le taux de couverture des TET par les recettes, au départ, était honorable, puisqu'il s'élevait à 85 %, pour 25 à 30 % pour les TER, les TGV parvenant à peu près à l'équilibre. Mais il est ensuite descendu à 70 % et risque encore de chuter. Les subventions apportées aux TET atteignent jusqu'à 260 euros par billet, soit quatre fois le prix du billet ! C'est par exemple le cas sur le trajet Bordeaux-Lyon par le Sud, alors que le temps de parcours varie de 1 à 6 avec le transport aérien. Cela ne signifie pas qu'il n'y a personne dans ces trains, car ceux-ci sont utilisés en cabotage, sur des sections de parcours.
Le contexte actuel est celui d'un débat ouvert. Nous avions déjà dressé un certain nombre de constats dans le cadre de la commission Mobilité 21. Il y a aussi eu un travail sur les dessertes TER et TET, mené par Jean Auroux. Enfin, la libéralisation du transport par autocar va changer la donne. En Allemagne, en trois ans, ce mode de transport est passé de 2 millions à 18,6 millions de voyages. Au Royaume-Uni, il y a 30 millions de voyageurs par autocar et la libéralisation n'a pas porté atteinte à la clientèle du transport ferroviaire, qui augmente de 5 à 6 % par an.
Quelles sont nos recommandations ? Il faudrait renforcer le rôle de l'autorité organisatrice des transports. Ce n'est pas l'État qui exerce ce rôle, mais la SNCF. L'État consacre 4,5 ETP à cette mission, ce qui n'est pas suffisant pour piloter convenablement la délégation de service public. À titre de comparaison, ce sont des équipes de 20 ou 30 personnes qui gèrent ces services à l'échelle régionale. Au Royaume-Uni, qui est présenté comme un chantre de la libéralisation, lorsque l'on ouvre une franchise, c'est une task force de 200 personnes qui est mobilisée, 50 fonctionnaires et 150 experts. Une fois le contrat signé, l'État garde une équipe de 10 à 20 personnes pour suivre au jour le jour le contrat. Si l'État français avait su s'entourer de la sorte, il n'y aurait pas eu une telle asymétrie entre l'État et les sociétés d'autoroutes lorsque nous les avons privatisées. Avec l'ouverture à la concurrence, nous aurons de graves difficultés si nous ne parvenons pas à exercer ce rôle d'autorité organisatrice. Il faudrait soit créer une agence, mais cette solution n'a pas forcément bonne presse, soit y affecter un service avec des moyens humains et en termes d'expertise renforcés. Ce service devra être dirigé par un haut fonctionnaire qui aura la capacité de discuter avec la SNCF et les régions. Les présidents de régions nous ont indiqué que, depuis 2010, ils n'avaient aucun interlocuteur du côté de l'État pour discuter des horaires et des correspondances, car l'État est très parisien.
La deuxième recommandation est de revoir l'offre, pour qu'elle soit plus pertinente et qu'elle corresponde véritablement à des trains Intercités. D'après les études que nous avons commandées, certaines lignes, sous-exploitées, pourraient s'équilibrer ou dégager des excédents. Par exemple, sur Paris-Cherbourg, le taux de couverture pourrait atteindre 126 %. Il en est de même pour Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Caen, Nantes-Lyon ou Paris-Limoges. Il faudrait, pour cela, un service cadencé afin d'augmenter la lisibilité de l'offre, avec à la clé un gain d'efficacité, comme l'a montré l'exemple suisse.
Il faudrait aussi adapter l'offre à la demande sur les tronçons à faible trafic, qui se situent parfois sur les mêmes lignes. Par exemple, s'il faut renforcer le trajet Paris-Amiens, la liaison Amiens-Boulogne pourrait être réduite, dans la mesure où des TER effectuent aussi ce service. La même approche peut être suivie sur la ligne Saint-Quentin-Maubeuge ou Troyes-Belfort. Les TER peuvent prendre le relais quand il y a une trop forte concurrence entre TET et TER, ou insuffisamment de passagers réalisant le trajet sur l'ensemble de la ligne, de son point d'origine à son point de destination.
Nous préconisons une réduction du trafic lorsqu'il est insuffisant, mais toujours après avoir vérifié qu'il existait un transport alternatif de qualité, pour veiller à ce que tous les territoires disposent d'une solution de mobilité. Ainsi, nous recommandons de conserver la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand, dite « Cévenol », pourtant assez peu fréquentée, dans la mesure où il n'y a pas d'alternative routière. À l'inverse, à côté de la ligne Béziers-Clermont-Ferrand, dite « Aubrac », qui est peu fréquentée, il existe une autoroute gratuite, sur laquelle des TER ont déjà été transférés : nous avons donc suggéré le transfert des services ferroviaires sur la route.
À cela s'ajoutent des « reliques ferroviaires », par exemple le trajet Reims-Dijon, qui fait l'objet d'un aller-retour en TET par semaine, le samedi, alors qu'il existe des TER le reste de la semaine. Cela n'a plus beaucoup de sens, d'autant que le matériel utilisé est un matériel TER emprunté aux régions. Il faut imaginer autre chose.
Enfin, la commission pense qu'il existe un problème de productivité de la SNCF, et qu'il est nécessaire d'améliorer ses coûts de production. Ce que nous appelons aujourd'hui l'« inflation ferroviaire » rend difficile la maîtrise des coûts sur l'ensemble des lignes.
Dernière chose, il faut très vite remplacer le matériel en fin de vie. Nous faisons des propositions à ce sujet. Les présidents de régions nous ont recommandé d'avoir recours au matériel Régiolis à partir du contrat-cadre signé entre les régions, la SNCF, Alstom et Bombardier. C'est une bonne suggestion mais nous pensons que ce n'est pas la solution universelle pour toutes les lignes. Pour des liaisons comme Paris Clermont-Ferrand, Paris-Toulouse ou Bordeaux-Nice, ce matériel régional, même très amélioré, n'est pas nécessairement adapté à une telle distance.
Nous nous interrogeons sur les modalités d'acquisition du matériel, avec trois propositions différentes. Est-ce la SNCF qui devrait acheter ce matériel ? Elle possède peu de moyens pour le faire et l'opérateur n'est pas nécessairement le mieux placé. Est-ce à l'État d'acheter, en se faisant accompagner par une aide à maîtrise d'ouvrage ? Ou doit-on créer un véhicule ad hoc pour porter l'achat et la propriété du matériel dans la durée ? En Angleterre et en Allemagne, il y a désormais une désynchronisation des temporalités en matière de ferroviaire. Le matériel est amorti en 30 à 35 ans, tandis que les opérateurs vont bénéficier de délégations de service public ou de concessions d'une durée de 7 à 12 ans. Il est bien difficile de demander à un opérateur d'acheter son matériel s'il doit abandonner ce service 7 à 12 ans après. La dissociation entre l'opérateur et le propriétaire du matériel semble ainsi un conseil de prudence.
De même la maintenance du matériel pourrait être confiée au constructeur, ce qui est pratiqué en Suède, en Allemagne et au Royaume-Uni. Lorsqu'un constructeur a la responsabilité de la qualité de son matériel pendant 20 ans, il a le souci de le construire afin qu'il soit robuste et facile à maintenir dans la durée. Par ailleurs, c'est une façon de faire bénéficier le matériel concerné de toutes les évolutions développées dans la gamme, et donc de procéder à une actualisation du matériel. Enfin, lorsque le constructeur maintient le matériel, la disponibilité de ce matériel est beaucoup plus grande. On observe dans ce cas une disponibilité comprise entre 90 et 97 %, quand la SNCF peine à atteindre 80 %. Cette meilleure disponibilité améliore la gestion des trains au quotidien, et permet une économie importante sur les achats. Nous avons calculé que, grâce à un re-périmétrage et à une meilleure disponibilité du matériel, une économie comprise entre 800 millions et 1 milliard d'euros pourrait être réalisée sur les achats, soit près de 40 % du total des achats.
Telles sont les principales recommandations de notre rapport.
M. Hervé Maurey, président. - Merci pour cette présentation, qui confirme le sérieux du travail que vous avez mené. Il y a plusieurs points sur lesquels j'aimerais vous entendre.
Le rapport de la Cour des comptes sur les trains d'équilibre du territoire avait souligné que le mode de financement du déficit de ces trains était peu rationnel, car fondé non pas sur l'État mais sur l'opérateur lui-même, malgré l'existence d'obligations de service public. Votre commission a été plus prudente sur ce sujet que sur d'autres points. Par ailleurs, la possibilité d'avoir des délégations de service différenciées, malgré sa cohérence avec l'ouverture à la concurrence, n'est-elle pas défavorable au principe de péréquation ? Enfin, ne va-t-on pas assister une fois encore à un transfert de compétences et de charges de l'État vers les régions ?
M. Philippe Duron. - Le Gouvernement a mis en place le compte d'affectation spéciale en 2010 en donnant par ailleurs à la SNCF une plus grande souplesse de tarification sur ses TGV et en lui apportant des fonds issus de la taxe d'aménagement prélevée sur les autoroutes. C'est une solution un peu déresponsabilisante car la SNCF bénéficie d'un système lui permettant de pallier une éventuelle dérive de ses coûts. Ce système permet également d'effectuer une péréquation entre les TGV et les TET. Aujourd'hui, le modèle du TGV se tend et l'excédent dégagé se réduit. Cependant, lorsqu'il y aura des concurrents sur les lignes LGV, ces lignes seront soumises aux deux taxes. Nous avons toutefois pensé qu'il pourrait être plus pertinent de faire peser les taxes sur le billet plutôt que sur les résultats de l'entreprise ferroviaire. Cette évolution priverait l'État d'une recette de 300 millions d'euros, ce qui n'est guère dans l'air du temps. La première solution est en réalité de réduire les pertes et les déficits.
Quant aux délégations de service public et l'ouverture à la concurrence, nous pensons que si la SNCF n'est plus en mesure d'exploiter efficacement certaines lignes, il ne faut pas s'interdire de les ouvrir à la concurrence, avec un véhicule législatif. Nous avons recommandé de le faire pour les trains de nuit. Même lorsque ces trains sont pleins, la SNCF peine à atteindre un taux de couverture de 40 %, et perd ainsi beaucoup d'argent. Un quart des pertes des TET vient des trains de nuit, alors que ces derniers représentent une part marginale du trafic. Mais nous pensons qu'il y a des besoins en matière de train de nuit comme la ligne Paris-Briançon, pour laquelle il n'existe pas de solutions alternatives. Un opérateur comme Thello, qui a repris des trains de nuit franco-italiens, est parvenu à équilibrer ces lignes, alors que la SNCF y perdait de l'argent. Le pragmatisme suggère ainsi d'ouvrir à la concurrence ces trains de nuit, et éventuellement certains trains de jour. Les expériences étrangères d'ouverture à la concurrence montrent en effet qu'elle est toujours source de difficultés pour l'opérateur ferroviaire et pour l'État. Une expérimentation permettrait à chacun de mesurer les difficultés qui seront rencontrées lors de l'ouverture à la concurrence, qui n'est pas un choix mais un horizon inévitable. L'Allemagne a permis aux Länder d'ouvrir à la concurrence les transports régionaux, et Deutsche Bahn n'a pas perdu de chiffre d'affaires ni d'emplois. Affronter dès à présent la concurrence permettrait de mieux la maîtriser. L'ouverture du fret illustre les risques de l'impréparation : la SNCF a perdu 30 % du trafic. Il faut se préparer à ce qui sera nécessairement un choc.
En 2004, nous nous étions battus contre le transfert aux régions des « déficits et des investissements ». Aujourd'hui, le transfert de services n'est pas indispensable. Il s'agit d'abord d'harmoniser la gestion des trains. Sur une ligne comme Caen-Tours, moins de 30 personnes font la liaison de bout en bout. En revanche beaucoup de personnes font Caen-Le Mans ou Tours-Le Mans en TER, qui sont loin d'être pleins. En articulant mieux la correspondance au Mans, on améliorerait le remplissage des TER et on supprimerait un TET qui est trop déficitaire. Dans d'autres cas, le service doit être maintenu en heure de pointe et l'État doit alors compenser le transfert aux régions. Nous proposons également que dans le grand bassin parisien on améliore l'organisation des transports. Aujourd'hui, trois autorités organisatrices de transport coexistent : le STIF, les régions périphériques et l'État. Cela favorise une disharmonie contre-productive. Les régions devraient se rapprocher de l'État pour être chefs de file et assurer à la place de l'État le rôle d'autorités organisatrices de transport, dans un dialogue avec le STIF. Cela permettrait d'apporter un service plus adapté aux personnes venant travailler en Ile-de-France.
M. Rémy Pointereau. - Merci à Philippe Duron pour ce travail difficile, qui consiste à être le « bourreau des TET ». Nous avions accepté la suppression de six LGV lors de la commission Mobilité 21 mais nous avions été assurés en contrepartie de l'amélioration des lignes secondaires et du développement de la proximité. Aujourd'hui, on nous annonce en réalité la quasi-disparition des TET et des trains de nuit, au préjudice des territoires les plus isolés et les plus ruraux. En réalité, il est facile de tuer les lignes TET. Il suffit de mettre le plus mauvais matériel, de faire des cadencements éloignés et de définir des horaires inadaptés, pour détourner les voyageurs. La ligne Bourges-Montluçon est condamnée par le rapport. Mais on a choisi des horaires de plus en plus éloignés et inadaptés, ainsi que du matériel dégradé. Ainsi les voyageurs ne prennent plus ce train et privilégient le car. C'est une sorte de spirale infernale, qui amplifie la non-rentabilité des lignes. Si on ne met pas les moyens nécessaires, ne nous étonnons pas de la baisse du nombre de voyageurs. Autre exemple : la ligne Montluçon-Limoges-Bordeaux, qui est également condamnée. Or, avec la mise en place des grandes régions, cette suppression va poser problème pour aller à Bordeaux - nouvelle capitale - depuis la Creuse. Je pense aussi que le remplacement du matériel devrait être prioritaire, en soutien à l'industrie ferroviaire qui est exsangue aujourd'hui.
Ne pensez-vous pas que l'abandon de l'écotaxe a réduit les ressources alimentant l'AFITF et donc les moyens pour le ferroviaire ? Avez-vous rencontré le ministre de l'égalité des territoires ? Ce projet semble très peu favorable à l'égalité territoriale. Enfin, le Gouvernement me paraît schizophrène en souhaitant favoriser une transition énergétique tout en s'appuyant sur les autoroutes comme alternative au maintien de certaines lignes. Face à la désertification des territoires, je ne vois pas comment nous pourrions être favorables à ce rapport.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je souhaiterais d'abord dire tout le bien que nous pensons du rapport. Il faut le lire, car beaucoup en ont parlé par principe, avant même sa publication. Je propose au président que le rapport soit transmis à tous, et peut-être pourrions-nous faire un point plus précis lors d'une autre réunion. Ce sujet est d'une grande complexité car les TET s'inscrivent dans l'histoire du ferroviaire. Si nous n'intervenons pas maintenant, le TET va devenir le maillon faible entre les TGV et les TER. Ce rapport est sans complaisance par rapport à la situation tout en faisant des propositions très positives qui offrent toujours des alternatives de déplacement. N'oublions pas que si nous enlevons quelques tronçons de TET, il y a le plus souvent des TER qui fonctionnent bien. Il faut éviter de maintenir des doublons. À l'issue de cette commission, nous sommes persuadés qu'il faut changer pour avancer, qu'il faut trouver des solutions.
Actuellement les TET représentent 320 millions d'euros de déficit. En 2015 ce déficit sera d'environ 400 millions d'euros. Si nous ne faisons rien, à l'horizon 2020-2025, ce sera 600 millions. Il faut donc réagir. Je me retrouve tout à fait dans les propositions de ce rapport, que j'ai signé. Concentrons-nous sur ces propositions et attendons du Gouvernement des réponses, en assurant un suivi.
Je souhaiterai mettre l'accent sur plusieurs thèmes du rapport. Le premier concerne la gouvernance. Dans le rapport sur les autoroutes élaboré avec Louis-Jean de Nicolaÿ, nous avions déjà fait le constat majeur d'une absence de contrôle de l'État sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Pour les TET, nous avons également constaté un manque de contrôle de la part de l'État, à travers l'autorité organisatrice. En nous déplaçant en Angleterre nous avons pu voir que les difficultés identifiées il y a une dizaine d'années en matière de contrôle ont été largement résolues, à partir d'une task force spécifique. L'État doit absolument jouer son rôle pour les TET.
Les offres de circulation sont un autre enjeu. Le rapport propose des solutions sur toutes les lignes TET concernées. Pour les trains de nuit, le rapport fait des propositions et sur quatre trajets de nuit, le rapport souligne qu'il est difficile de les remplacer et qu'elles sont nécessaires. Si la SNCF ne peut plus les maintenir, l'ouverture à la concurrence pourrait être une solution.
La qualité du matériel est également importante. En Angleterre, cette qualité est très élevée, avec un nettoyage et des contrôles quotidiens sur les éléments importants. Il faut donc changer le matériel le plus vite possible. Ce rapport est un signal d'alarme fort. Il faut également un matériel adapté aux lignes concernées. Sur l'achat, nous pensons qu'il faut trouver des solutions innovantes.
Enfin, pourquoi lorsque la SNCF met en production un train, les coûts de maintenance sont-ils supérieurs de 30 % à ceux observés dans les pays voisins ? Il faut améliorer le suivi des trains par les constructeurs.
C'est un rapport important, qui vise à donner les moyens nécessaires au maintien des TET.
Mme Annick Billon. - Merci pour cet exposé. C'est un travail difficile, technique et très long, auquel j'ai participé sans toutefois signer le rapport, n'ayant pu intégrer ma contribution au rapport. La situation des TET est évidemment désastreuse, en termes de délais, de qualité et d'état du matériel. Face à une situation désastreuse, la clientèle se désintéresse inévitablement. Le rapport établit un état des lieux évident, et formule des propositions.
La solution de l'autocar peut être pertinente dans certaines situations, mais sa généralisation me semble peu cohérente avec les préoccupations de transition énergétique et de bilan carbone. À cet égard, le transport ferroviaire a davantage sa place aujourd'hui parmi les modes de transport.
Concernant la mise en concurrence, j'avais déposé des propositions d'amendements lors de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, pour faire des expérimentations dans le cadre de délégations de service public. Si nous pointons les coûts de fonctionnement de la SNCF, il faut trouver des solutions et mener des tests d'ouverture à la concurrence.
Enfin, je trouve assez satisfaisante l'analyse faite par le secrétaire d'État lorsqu'il nous a reçus. Ce rapport ne peut pas être pris tel quel. Il propose des solutions, qui devront obligatoirement être observées à l'aune de l'aménagement du territoire et du droit à la mobilité. Nous voulons lutter contre les risques de fracture numérique dans le groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire. Nous devons également lutter contre les risques de fracture de la mobilité. Si nous voulons prévenir des résultats électoraux tristes pour notre pays, il faut absolument éviter que certains Français se sentent écartés du développement, en prenant des décisions adaptées en termes de transport.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je suis très heureux que ce rapport arrive aujourd'hui, à un moment charnière, comme l'indiquait Annick Billon. Tous les modes de transport se sont déjà réformés, l'avion avec le low cost et l'ouverture de lignes presque régionales et la voiture avec le covoiturage. Il reste à la SNCF de sortir du tout TGV, pour s'occuper du reste du territoire, qui n'est pas relié à un TGV.
La SNCF est-elle disposée à se réformer ou non ? Va-t-on réussir à ouvrir à la concurrence les trains de nuit et les liaisons européennes ? C'est le moment ou jamais, et cela ne gênerait pas la SNCF puisque, apparemment, personne ne prend ces trains de nuit.
Lors de la visite d'Aéroports de Paris hier, nous avons vu l'importance du hub. Il n'y a pas de hub à la SNCF, où l'on rate des connexions TGV à cinq minutes près, sur la ligne Caen-Tours par exemple.
M. Jean-François Longeot. - Je partage les préoccupations de Rémy Pointereau. Les secteurs les plus ruraux vont encore pâtir de ces décisions.
Le constat est effectivement sans appel. Ce qui me gêne, ce sont les réponses apportées. On a l'impression d'entendre la citation de Coluche : « Si vous avez besoin de quelque chose, appelez-moi. Je vous dirai comment vous en passer. » C'était la même chose avec La Poste. L'ouverture des transports par autocars va concurrencer directement certaines lignes.
Dans le cadre du groupe « Mobilités et transports », nous avons entendu le directeur général de la Fédération des industries ferroviaires, Jean-Pierre Audoux, qui a attiré notre attention sur les problèmes de l'industrie ferroviaire française. L'absence de renouvellement du matériel ne va-t-elle pas entraîner un démantèlement de notre fleuron, avec pour conséquence une perte de nos savoir-faire techniques et de nos emplois ? Alstom nous a fait part d'un constat inquiétant mais aussi de propositions. Je ne suis pas sûr que cette entreprise soit sauvée si l'on applique les préconisations du rapport. Or, si notre marché français n'est plus porteur, je ne vois pas comment nous pourrons continuer à exporter.
M. Jérôme Bignon. - Il y a près de trente ans, alors que je m'occupais des transports au Conseil régional de Picardie, l'état d'esprit était celui d'une grande méfiance vis-à-vis de la SNCF. Le mérite du rapport de Philippe Duron est de mettre sur la table des sujets complexes et les besoins de proximité et de mobilité des citoyens, qui se heurtent à des organisations qui se sont stratifiées au fur et à mesure des années.
Ce rapport propose des solutions intéressantes avec la mise en concurrence. Si nous ne faisons pas d'expérimentation dans ce domaine, une fois qu'elle nous sera imposée, ce sera une catastrophe, qui devra être mise à l'actif de ceux qui auront refusé cette expérimentation. Sur la ligne Paris-Amiens-Boulogne, que je connais bien, les dés sont pipés depuis l'introduction du TGV. Le TET peut, à mon sens, être supprimé si le TER prend la relève en réalisant du cabotage adapté. L'important est de préserver le mode ferroviaire. L'électrification de l'ensemble de la ligne ferait aussi gagner du temps lors du changement à Amiens.
Un sujet n'a pas été évoqué, celui de la superposition des différents acteurs concernés : l'État, le syndicat des transports d'Île-de-France (Stif) et les régions limitrophes. C'est assez invraisemblable alors que les usagers empruntent alternativement le TER ou le TET. Un travail de rationalisation doit être mené sur les lignes pendulaires de grande banlieue.
M. Jean-François Mayet. - Bien sûr, la « maintenance constructeur » serait beaucoup moins coûteuse, plus efficace et améliorerait la disponibilité des matériels. Bien sûr, l'ouverture à la concurrence diminuerait les coûts et obligerait la SNCF à réduire les siens. Bien sûr, s'ils avaient été faits au plus près des besoins réels des usagers et à l'abri des pressions politiques, les choix des investissements en structure et en matériel auraient été moins onéreux. Tous nos voisins européens ont fait des progrès alors que la situation française, à l'origine meilleure, est aujourd'hui dégradée. Quel gouvernement aura le courage d'admettre que la SNCF est un « grand corps malade » qui, si on le réforme, perdra 50 % de ses effectifs ?
M. Didier Mandelli. - J'aurais apprécié que ce rapport soit, d'un point de vue formel, transmis à tous les sénateurs. Monsieur Duron, vous avez évoqué un déficit potentiel de l'ordre de 600 millions d'euros par an à échéance 2025. Si les mesures préconisées par votre rapport étaient mises en oeuvre, à combien serait-il ramené ?
M. Alain Fouché. - Je tiens à signaler que les personnels de la SNCF, dont la présence est réduite au strict minimum dans les trains circulant de nuit, encourent de plus en plus de risques pour leur propre sécurité, surtout lorsque les voyageurs présents sont peu nombreux. En outre, je m'interroge sur la multiplication des projets déposés auprès de RFF ces dernières années : leur inflation n'aurait-t-elle pas été néfaste à ceux qui étaient en cours ?
M. François Aubey. - Monsieur Duron, je vous félicite pour votre rapport. Toutefois, vous n'avez pas répondu totalement à la question que vous a posée le président de notre commission concernant le transfert des charges. Je me permets donc d'insister sur ce point.
En outre, il me paraît important d'insister sur deux sujets : d'une part, la dégradation du service rendu avec la réduction des effectifs des agents de la SNCF présents en gare, d'autre part, les pertes financières causées par la fraude des voyageurs, évaluée à 300 millions d'euros par an. Ne serait-il pas opportun d'instaurer un contrôle des titres de transport avant la montée des voyageurs dans les trains ?
Enfin, à l'heure où Alstom rencontre de graves difficultés, quelles mesures préconisez-vous pour sauver l'industrie ferroviaire française ?
M. Philippe Duron. - Je souhaiterais tout d'abord saluer l'investissement d'Annick Billon et de Jean-Jacques Filleul, qui ont largement contribué à la réalisation de ce rapport.
La problématique de l'aménagement du territoire n'a évidemment pas été ignorée : l'un des experts de notre commission était membre du Commissariat général à l'égalité des territoires, la commissaire générale elle-même a été auditionnée, et le cabinet de la ministre en charge de ces questions a été tenu régulièrement informé de nos travaux. J'ai par ailleurs repris une idée que j'avais jadis développée, en qualité de rapporteur sur la loi dite Voynet : tous les territoires doivent avoir une solution de transport et de mobilité acceptable et accessible.
Je considère que la pertinence du choix d'un mode de transport dépend de la distance à parcourir. Au-delà de 500 kilomètres, l'avion, notamment grâce aux compagnies à bas coûts, est plus efficace que le train. Le ferroviaire présente un coût élevé en termes d'infrastructures et d'organisation ; il ne se justifie que si le nombre de voyageurs qui utilisent ce mode de transport est suffisant. Les autocars peuvent aussi dans certains cas constituer une alternative : ils sont aujourd'hui modernes, très peu polluants et parfaitement équipés. On aurait également tout intérêt à développer dans des zones isolées, comme cela a pu être expérimenté dans certains territoires, le système des taxis à la demande.
La situation de notre industrie ferroviaire est un vrai problème. Je plaide pour un « Airbus du ferroviaire », c'est-à-dire un grand opérateur européen qui serait techniquement efficace. Le volume des commandes aux industries chinoises risque, à terme, de poser de graves difficultés à des acteurs tels que Bombardier, Alstom ou Siemens.
Il me semble nécessaire de revoir les relations entre la SNCF et les régions. Avec l'État, celles-ci sont devenues les deux grands financeurs du ferroviaire. Les présidents de conseils régionaux ne souhaitent plus continuer ainsi.
Les consommateurs ont eux-aussi un certain nombre d'attentes, à l'heure où le covoiturage et les véhicules de transport avec chauffeur leur offrent la possibilité de commander et d'obtenir un service plus personnalisé.
Le risque d'une réduction des effectifs de la SNCF, lié à l'ouverture du ferroviaire à la concurrence, a été évoqué. Au Royaume-Uni et en Allemagne, cette ouverture a permis des gains de productivité. Au final, le service rendu aux usagers s'y est amélioré grâce au redéploiement des employés : les équipes d'accueil ont été renforcées tandis que le nombre de de contrôleurs a été réduit.
En France, la fraude est très forte. Le contrôle est important pour éviter que plus personne ne paye ses billets sur certaines lignes.
Je suis bien conscient que plusieurs fermetures de lignes sont, en quelque sorte, « préparées » par celles de gares : les voyageurs ne peuvent plus acheter leurs titres de transport et se détournent du train ou voyagent sans billets et ne sont pas comptabilisés. De vrais problèmes de service se posent parfois pour maintenir l'offre.
Concernant la ligne Bourges-Montluçon, le passage par Vierzon permet de réduire le temps de trajet de 35 minutes. La SNCF doit encore, je vous l'accorde, progresser dans la gestion des correspondances de trains, ce qui implique une plus grande ponctualité et des changements de quais facilités.
Pour la liaison Amiens-Boulogne, plusieurs offres existent : TGV, TER et TET. Le rapport propose de réduire de cinq à trois le nombre de TET, car tous ces trains ne sont pas pleins. En outre, il a déjà été décidé de remplacer les TET thermiques par de nouvelles générations de trains bi-modes commandés à Alstom. Les premiers trains seront mis en service en 2017. La situation va donc s'améliorer, et le temps de trajet sera même raccourci de 10 minutes !
Alstom propose le Regiolis ainsi qu'un V200, le Coralia Liner. Bombardier fabrique des Regio 2N, notamment des trains à deux étages tout à fait pertinents dans le grand bassin parisien.
Concernant les économies attendues, nos préconisations devraient permettre, à l'horizon 2020, un retour au niveau de déficit qui était observé en 2010. Cinq ans sont nécessaires pour corriger la trajectoire actuelle, à condition que l'État fasse des choix courageux et qu'il soit suffisamment convaincant pour entraîner dans sa logique la SNCF. Aucune entreprise ne peut se permettre d'augmenter ses prix sans augmenter sa productivité. Tous les acteurs doivent se saisir des problèmes soulevés. Le personnel de la SNCF y a lui-même intérêt pour préserver son niveau d'emploi !
M. Alain Fouché. - Je souhaite aborder de nouveau le problème des fraudeurs. Aux États-Unis, les voyageurs qui ne sont pas munis de titres de transport ne peuvent accéder aux quais. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce système en France ?
M. Philippe Duron. - La SNCF a décidé de renforcer ses dispositifs de lutte contre la fraude. Valérie Pécresse a proposé d'imposer la détention d'une carte d'identité à bord des trains. Il me semble que l'instauration d'un contrôle à l'entrée, mais aussi à la sortie des quais, serait une bonne formule. Au Royaume-Uni, ce système a permis d'abaisser le taux de fraude à 5 %.
M. Hervé Maurey, président. - M. Duron, nous vous remercions.
La réunion est levée à 10h30.