- Mercredi 18 mars 2015
- Audition du Général Grégoire de Saint-Quentin, commandant du COS (commandement des opérations spéciales)
- Audition de M. Jean-Baptiste Mattéi, ambassadeur, représentant permanent de la France à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord
- Réforme de l'asile - Examen d'une demande éventuelle de saisine pour avis et nomination éventuelle d'un rapporteur
Mercredi 18 mars 2015
- Présidence de M. Jacques Gautier, vice-président -La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition du Général Grégoire de Saint-Quentin, commandant du COS (commandement des opérations spéciales)
La commission auditionne le général Grégoire de Saint-Quentin, commandant du COS (commandement des opérations spéciales).
M. Jacques Gautier, président. - Mon Général, c'est un honneur de vous accueillir dans notre commission, vous qui avez été commandant en chef de l'opération Serval, au Mali, et qui vous trouvez à présent à la tête du COS, le commandement des opérations spéciales. C'est aussi un plaisir personnel de vous retrouver, près d'un an après la publication du rapport d'information que Daniel Reiner et moi-même avons co-signé, avec le Président Larcher, sur les forces spéciales.
« Agir autrement » : telle est la devise des forces spéciales, qui emploient, comme on le sait, des méthodes originales. Aptes à la fulgurance, capables de se projeter dans la profondeur, de réaliser des « coups de poing » au coeur des centres névralgiques et de conférer un effet de levier aux autres opérations, les forces spéciales agissent avec des équipes réduites, intensivement entraînées, fort bien préparées. Elles offrent une faible empreinte au sol, pour des opérations aisément réversibles - ce qui fait d'elles un outil très précieux, pour les responsables militaires bien sûr, mais aussi pour les décideurs politiques.
Au-delà des hommes, essentiels, il faut aux forces spéciales des équipements performants, adaptés au type d'opérations en cause et aux différents théâtres sur lesquels elles sont menées. Il leur faut aussi un environnement de renseignement, humain et technologique, particulièrement dense ; une capacité d'aéromobilité, indispensable - il n'y a pas de forces spéciales sans troisième dimension ; enfin, une boucle courte de décision, qui leur permette la plus grande efficacité.
Dès le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, le besoin d'un renforcement des effectifs du COS a été identifié. D'où l'objectif « COS+1000 », qui vise à renforcer les effectifs, en les faisant passer de 3 000 à 4 000 agents, tel qu'il a été inscrit dans la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019. Cependant, la nécessité d'une montée en puissance des équipements des forces spéciales a également été soulignée.
Le ministre de la défense, lors de sa conférence de presse du 11 mars dernier, en indiquant les grands points sur lesquels devrait porter la révision de la LPM annoncée par le Gouvernement avant l'été prochain, a mentionné le développement des forces spéciales, le renseignement et la cyber-défense. Face aux menaces dites « hybrides » qui se font jour, les forces spéciales apparaissent en effet comme la réponse militaire la mieux adaptée. Mais vous ne découvrez pas, mon Général, tout le bien que je pense de ces forces ! Je vous laisse la parole.
Général Grégoire de Saint-Quentin, commandant du COS. - Merci, Monsieur le président, pour cet accueil et pour votre présentation, qui résume fort bien les choses. Merci, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, de me faire l'honneur de cette audition qui, un peu moins d'un an après la sortie de votre rapport d'information, et au moment où s'ouvre le chantier de l'actualisation de la LPM, va me permettre de faire le point sur ce jeune outil que sont les forces spéciales. Le COS a été créé il y a 22 ans, et il est encore en pleine croissance, en pleine transformation, tant il offre une réponse singulière, même si elle n'est pas omnipotente, à l'émergence croissante des menaces asymétriques, des zones grises et des réseaux terroristes.
J'ai l'honneur de commander les opérations spéciales depuis le 1er août 2013, juste après avoir quitté le commandement de l'opération Serval. Le COS est un commandement interarmées, placé sous l'autorité du chef d'état-major des armées (CEMA) ; il a une vocation essentiellement opérationnelle, pour laquelle il met sur pied des détachements fédérant des forces spéciales des trois armées et opérant à l'extérieur du territoire national.
Le COS n'est pas en charge de la préparation organique et opérationnelle des forces, qui reste du ressort des chefs d'état-major d'armée. Néanmoins, à mesure que le niveau d'emploi et d'interopérabilité de nos forces spéciales s'affirme, il joue un rôle croissant, et de plus en plus déterminant, de garant de leur cohérence interarmées : en matière de relations internationales, d'entrainement, et surtout de préparation de l'avenir : définition, conduite et coordination des programmes d'équipement intéressant les forces spéciales des trois armées. Le COS est, en la matière, l'interlocuteur privilégié de l'Etat-major des Armées (EMA) et de la direction générale de l'armement (DGA).
Ce point est important car, si le COS a consacré les vingt premières années de son existence à fédérer les forces spéciales pour en promouvoir l'emploi, le prolongement naturel de cette dynamique opérationnelle le conduit aujourd'hui à être le promoteur ardent d'une réponse organique en rapport avec un environnement conflictuel de plus en plus exigeant.
Quelques mots sur l'accélérateur stratégique que vivent aujourd'hui les forces spéciales. Il est encore trop tôt pour dire, et ce sera aux historiens d'en faire l'analyse, si nous vivons une période de basculement stratégique du fait de la forte poussée de ce qu'on appelle les nouvelles menaces, en particulier le terrorisme. Ce qui est certain, c'est que, sur la multiplication des zones grises et des foyers de tensions, prospère un terrorisme enraciné localement, mais à vocation transnationale, bien décidé à se tailler des sanctuaires et à les préserver par la constitution d'un outil militaire suffisamment robuste et militarisé pour imposer sa loi localement face, souvent, à des États défaillants. En revanche, ces bandes armées sont suffisamment fluides et furtives pour préserver leur impunité face aux organisations militaires classiques dont elles esquivent les coups et qu'elles cherchent à déstabiliser, à user, par une répétition continue d'actions asymétriques, interdisant la sortie de crise et nourrissant au passage leur légitimité. Tel est le défi stratégique d'aujourd'hui.
Seules, les forces spéciales seraient bien insuffisantes pour répondre à ce défi. Mais elles sont devenues nécessaires, pour ne pas dire indispensables, face à un adversaire qui tire sa force de sa fugacité plus que de sa puissance brute, car elles offrent un outil extrêmement réactif, capable de contester la zone d'impunité de l'adversaire. Celle-ci est multidimensionnelle, dans l'espace et dans le temps ; elle conjugue des sanctuaires géographiques, comme l'immensité des déserts du nord Mali, et des fenêtres temporelles de vulnérabilité très courtes, lorsque l'adversaire se dévoile, souvent juste avant de frapper les forces dédiées à la stabilisation, locales ou internationales. Dès lors, il est indispensable de disposer d'une organisation spéciale aussi agile que lui, capable de le détecter dans son sanctuaire et d'agir en temps réel, avant qu'il n'esquive notre riposte.
Tout l'enjeu de notre projet de transformation est de mettre sur pied, plus que des forces spéciales, un véritable système de forces spéciales, qui s'appuie sur plusieurs facteurs. Certains sont des invariants depuis que les unités spéciales existent, d'autres sont plus caractéristiques des évolutions récentes dans l'art de la guerre.
Le premier de ces facteurs, central à ce système, est justement un invariant : ce sont les hommes. Des hommes bien formés, bien entrainés, bien équipés, évoluant dans une culture particulière, faite à la fois d'audace et de maitrise de la force, d'initiative individuelle et de sens très fort du collectif, mais aussi, et surtout, d'endurance mentale et physique face à l'isolement et à l'hostilité, pour ne pas dire l'agressivité, permanente, que l'on rencontre en zone de combat. Ces qualités ne s'improvisent pas.
Un autre facteur essentiel consiste dans une capacité très forte de mobilité, d'infiltration terrestre, aérienne - avec avions et hélicoptères - et maritime. Nous ne pouvons pas avoir la fulgurance requise, la maitrise de l'action en temps réel, si nos différents vecteurs ne sont pas robustes, capables d'appuyer, d'opérer par tous les temps, par nuit noire, et parfaitement interopérables entre eux. C'est sur cette caractéristique que je vais maintenant m'attarder, car c'est le véritable facteur émergent.
Le système de forces spéciales que nous mettons sur pied est fondé sur une très forte capacité d'intégration, qui permet de recueillir de l'information de plusieurs capteurs techniques ou humains, ne relevant pas forcément du COS, de la traiter et de provoquer des décisions opérationnelles en boucle courte puis de conduire les opérations. Elle requiert des réseaux informatiques dédiés, de la bande passante, une capacité de conception et d'exécution capables d'associer de multiples acteurs pouvant appuyer son action, interarmées, inter-agences et le cas échéant interalliés.
Ce système permet une distribution plus fluide de la puissance, pour être en mesure d'appliquer des effets au moment et à l'endroit nécessaires, en s'affranchissant d'organisations trop pesantes et donc insuffisamment agiles pour rivaliser avec la furtivité de nos adversaires. Il repose sur la mise à disposition de systèmes de transmissions sophistiqués jusqu'au plus bas niveau, celui de l'unité de quelques hommes embarqués à bord d'un hélicoptère, d'un vecteur nautique ou d'un véhicule, capable de les interconnecter à la demande à d'autres acteurs pour coordonner ou démultiplier leur action, y compris sur de grandes distances. Ce besoin de réseaux embarqués fiables, cryptés et redondants n'est ni exorbitant, ni exprimé dans une optique du « toujours plus », c'est simplement la clé de voûte de tout le système.
La mise sur pied d'une organisation aussi intégrée, est novatrice pour nos armées, y compris pour nos forces spéciales, qui ont néanmoins déjà largement entamé cette révolution. C'est pourquoi je parlais tout à l'heure de transformation. Il s'agit d'une transformation dans les modes opératoires, mais également d'une transformation du socle organique, qui permet de les nourrir et de les faire évoluer. Cette transformation s'exprime à travers un plan de modernisation que nous appelons « FS 2017 ».
En effet, pour répondre aux orientations du Livre blanc, le COS a entamé la mise en oeuvre d'un projet qui vise à améliorer le système existant, partant du constat qu'il offre déjà une bonne qualité de service mais souffre de certains maux structurels, auxquels il faut remédier. Ce projet a reçu le soutien des trois armées et de l'Etat-major des armées (EMA). Il porte sur trois grands chantiers.
Le premier chantier est l'augmentation des moyens de commandement, afin d'être en mesure de mener sur plusieurs zones simultanément des actions d'anticipation, de planification et de conduite d'opérations spéciales. Dans un monde globalisé avec des menaces transnationales, évolutives, et des intérêts français disséminés, la capacité d'anticipation et de planification sont l'assurance de la réactivité requise par les autorités politiques. Elles sont le gage de l'effet de surprise tactique, qui permet de combler le déficit dans le rapport de forces, conséquence de nos actions à faible empreinte. Par ailleurs, la globalisation des menaces implique le renforcement des relations avec nos alliés et partenaires stratégiques.
Le deuxième chantier est la densification de l'existant ; il consiste à améliorer et fiabiliser les capacités déjà détenues, afin de répondre avec justesse aux contrats opérationnels. Cela suppose une attention particulière aux points les plus faibles de notre système : en matière de ressources humaines, par exemple les maintenanciers d'hélicoptères ; en matière d'équipements de mobilité, par exemple les véhicules de forces spéciales ou l'aérotransport d'assaut, qui souffre du retrait des Transall et de l'arrivée différée des A400M ; en matière de préparation opérationnelle enfin, notamment pour ce qui concerne la composante hélicoptères, qui pâtit de la faible disponibilité des machines.
Le troisième chantier vise l'identification des besoins capacitaires indispensables aux opérations spéciales, ne relevant pas du COS mais de leur armée d'origine. Ce travail est achevé et des partenariats prometteurs avec les armées ont été établis, notamment en matière de drones, de systèmes d'information et de communications (SIC), de risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), etc.
Au-delà de cette intention initiale, où en sommes-nous actuellement dans l'exécution ? Voici un point d'étape.
En matière d'équipements, il faut noter les progrès faits depuis la publication de votre rapport, en mai 2014. Les deux programmes à effet majeur « Mobilité tactique VFS » et « Rénovation C130 » sont en voie d'être abondés à la hauteur nécessaire, et les processus de choix des candidats respectent le tempo établi. La fin de cette année sera critique, avec la passation de contrat de ces deux programmes.
En ce qui concerne le programme « Modernisation C130 », les travaux menés actuellement font effort pour équilibrer les deux volets du programme : d'une part, la mise aux normes de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) intéressant l'ensemble des quatorze C130 et, d'autre part, l'intégration des fonctions tactiques sur huit C130 destinés aux unités spéciales. Le nouveau calendrier vise un flux régulier annuel de deux avions à compter de 2019. Cela va dans le bon sens, mais il faut conserver un haut degré de vigilance tant les paramètres conditionnant la bonne réalisation de ce programme sont complexes. Par ailleurs, compte tenu des retards sur les standards tactiques de l'A400M et de la réduction de la cible initiale, le renforcement de la flotte C130 d'au moins quatre appareils aurait tout son sens.
S'agissant des véhicules de forces spéciales (VFS), nous devrions recevoir les 25 premiers en 2016, pour redonner un peu d'air à un parc qui s'avère aujourd'hui à bout de souffle. Les autres véhicules sont attendus à partir de 2018 et jusqu'en 2025.
Enfin, nous avons de nombreux autres projets : le programme « Écume » ; les embarcations des commandos Marine ; les propulseurs sous-marins ; le renouvellement de nos drones tactiques ; un plan de rattrapage pour la dotation en optronique de nos équipages et de nos commandos ; l'amélioration de nos réseaux de transmissions... Il faut être attentif à que ces demandes, qui répondent presque toutes à un besoin opérationnel urgent, ne soient pas noyées dans des expressions de besoin plus vastes, émanant d'autres entités, lorsqu'elles risquent d'en dénaturer les spécifications ou d'en ralentir le calendrier d'acquisition.
En matière de ressources humaines, nous devrions atteindre la cible prévue des « + 1000 » en fin de loi de programmation militaire (LPM). À ce jour, la marche franchie est d'environ + 150 ; ces renforts ont essentiellement bénéficié aux différents états-majors et servi à combler les déficits créés par les déflations de la précédente LPM.
Enfin, un troisième pilier est venu s'ajouter aux deux premiers, portant sur les ressources humaines et matérielles ; c'est celui des procédures d'acquisition, d'homologation et d'harmonisation des équipements. Une réflexion est menée au sein du ministère de la défense pour accélérer ces procédures, les simplifier partout où c'est possible, notamment par le levier des mesures de confiance entre les services techniques des trois armées et d'harmonisation des plans d'équipements entre les unités. Certaines pesanteurs seront néanmoins difficiles à dépasser, le commandant du COS (GCOS) n'ayant pas d'autonomie budgétaire en matière d'équipements, ni de pouvoir réglementaire en matière de mise en service opérationnel des matériels.
De son côté, le COS va consentir un effort particulier pour s'inscrire très en amont dans la définition des futurs matériels qui équiperont ses forces. L'idée est que ces matériels soient nativement adaptés aux forces spéciales, alors que le modèle de fonctionnement précédent consistait à adapter a posteriori des matériels conventionnels pour un usage spécial, ce qui entraînait des délais d'adaptation d'équipements spécifiques, notamment en armement et en SIC, extrêmement longs et coûteux.
Ce troisième pilier est beaucoup plus fondamental qu'il n'y parait pour le succès de nos forces, car leur réactivité est une condition du succès et celle-ci passe par un socle organique adapté et des procédures fluidifiées et simplifiées.
Pour conclure, je souhaiterais que vous reteniez de cet exposé que les forces spéciales sont devenues un élément structurant de notre outil de défense, normatif de notre rang militaire ; elles offrent au couple traditionnel « dissuasion-puissance » un complément « influence-agilité » bien adapté à la conflictualité moderne. Tous les États occidentaux suivent le même raisonnement. Or cet outil se caractérise par son rapport coût/efficacité extrêmement favorable : dans la LPM actuelle, les équipements dédiés aux forces spéciales pèsent pour 2 %, et la masse salariale de ces forces pour 1,2 % seulement.
Par notre dimension interarmées très intégrée, l'éventail de nos savoir-faire, la richesse de notre expérience opérationnelle, nous nous situons aujourd'hui au tout premier plan. Ceci est le produit de vingt ans d'efforts des forces spéciales, et de tous ceux qui les ont soutenues dans les armées. La LPM cherche aujourd'hui à amplifier ces efforts. Pour arriver à maturité, pour réussir sa transformation, cet outil a besoin de prendre définitivement sa place dans un environnement organique qui s'est construit historiquement sans lui. Pour peu qu'on libère les énergies, il possède un formidable potentiel d'innovation et de dynamisme - ainsi que va encore le montrer, prochainement, comme je l'espère, la deuxième édition du salon « SOFINS », salon de défense dédié aux forces spéciales. Les retombées seront bénéfiques pour tous.
M. Jacques Gautier, président. - Merci, mon Général pour cet exposé très clair. Je retiens notamment que les forces spéciales sont une priorité, mais que les équipements prévus pour elles tardent à être livrés...
M. Daniel Reiner. - Je joins mes remerciements à ceux de Jacques Gautier.
Je souhaiterais des précisions en ce qui concerne l'état de la montée en puissance des effectifs du COS prévue dans le Livre blanc et la LPM. Où en est-on concrètement de la réalisation de l'objectif « COS+1000 » ?
D'autre part, dans notre rapport sur les forces spéciales, nous avons appelé de nos voeux davantage de souplesse, dans le fonctionnement, notamment sous l'aspect de l'équipement. Certains, d'ailleurs, ont pu nous reprocher cette approche, bien qu'il ne s'agisse pas pour nous de demander que le COS quitte l'état-major des armées... Pour permettre aux forces spéciales d'agir vite, des assouplissements à la pratique actuelle nous paraissent nécessaires. Des signes favorables sont-ils donnés dans le sens d'une telle réorganisation ?
M. Xavier Pintat. - Je vous remercie à mon tour, mon Général, pour la clarté de vos propos. Je profite de cette occasion pour vous dire que je conserve un vif souvenir de votre intervention devant l'assemblée parlementaire de l'OTAN, en 2013, pour présenter l'opération Serval : vous aviez alors fortement impressionné, en particulier, les représentants des pays engagés aux côtés de la France dans cette opération.
J'ai deux questions à vous poser. La première concerne le salon de défense « SOFINS » que patronne le COS, sur le camp de Souge : les entreprises de type « start-up », nombreuses dans la région Aquitaine, y sont-elles bien représentées ?
Deuxième question, plus délicate évidemment : une intervention des forces spéciales en Syrie est-elle envisagée ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Mon Général, merci pour votre exposé. J'ai eu l'occasion, il y a quelques années, d'effectuer un stage au sein du 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine (1er RPIMa) qui m'a donné un aperçu impressionnant du professionnalisme de ces hommes.
Vous avez évoqué les points forts des forces spéciales : renseignement, anticipation, effet de surprise... Or, en Irak, avec Daech, il me semble que nous avons manqué de renseignement, manqué d'anticipation, et subi l'effet de surprise. Comment l'expliquez-vous ?
Sur le terrain, nos forces sont coordonnées avec les forces kurdes. Le sont-elles également avec les forces iraniennes ?
Général Grégoire de Saint-Quentin. - Vous comprendrez que je ne puisse répondre qu'à une partie de vos questions.
Depuis le rapport de votre commission sur les forces spéciales, l'entrée dans celles-ci d'une partie de l'escadron d'hélicoptères Pyrénées a été décidée, pour renforcer nos capacités en aéromobilité. Historiquement, c'est l'armée de terre qui a fourni les capacités d'aéromobilité des forces spéciales, avec le 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales (4e RHFS) de Pau, qui comprend une quarantaines d'appareils. La multiplication des théâtres sur lesquels nous sommes aujourd'hui engagés, et l'abrasivité de certains milieux, soumettent ce matériel à rude épreuve et impose de le compléter. C'est l'armée de l'air qui assurera ce complément, à partir d'une contribution de son escadron « RESCO » situé à Cazaux. De ce fait, nos effectifs commencent à approcher la cible des + 1 000, à raison de + 500 pour l'armée de terre, + 220 pour la marine et + 260 pour l'armée de l'air. Mais, « + 1000 », c'est un objectif de la LPM pour 2014-2019, et nous ne sommes encore qu'en 2015 ; j'ai bon espoir qu'il soit, à terme, atteint.
Comme vous l'avez souligné, les forces spéciales représentent une alternative par rapport aux méthodes traditionnelles de combat : des adaptations aux équipements dont elles disposent sont donc nécessaires. Or l'organisation existante pour satisfaire ce besoin est lourde à mettre en oeuvre car elle impose au COS une coordination étroite et permanente avec ceux qui, in fine, sont les décideurs : les états-majors de chaque armée, l'EMA et la DGA. Cette organisation, en l'état, n'est certes pas inadéquate pour les forces spéciales, mais elle est perfectible. Nous y jouons le rôle de « nouvel entrant » et devons mener un travail de sensibilisation à sa simplification. À cet égard, plus notre discours sera clair et cohérent, donc convainquant, mieux nos demandes seront prises en considération, comme étant légitimes. Ne doutez pas, au demeurant, que votre rapport a été utile car il a mis en lumière les besoins en autonomie et en procédures particulières de ce nouveau système de forces.
Le salon « SOFINS » de Souge est porté par l'association « Le Cercle de l'Arbalète », dont l'objet est de fédérer l'action des différentes personnes morales, désirant contribuer au rayonnement et à l'équipement des opérations spéciales, ainsi qu'à l'efficacité de la R&D spécifiquement dédiée à ces opérations. Cette association compte aujourd'hui plus de 80 membres, dont 10 grands groupes, environ 70 PME et 3 laboratoires de recherche. Il y a bien sûr, parmi ces membres, des entreprises de type « start-up », tant la présence de celles-ci au SOFINS est naturelle. Le ticket d'entrée est d'ailleurs modulé en fonction de la taille des entreprises ; il est ainsi accessible aux petites structures qui démarrent.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Le COS a pour mission la formation et l'encadrement d'unités militaires étrangères. Quel est l'état de la coopération aujourd'hui avec les forces alliées ? Quelle est l'évolution, localement, car notre présence à long terme en dépend ?
Général Grégoire de Saint-Quentin. - À quel théâtre d'opérations pensez-vous ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je pense au Mali.
M. Jean-Paul Emorine. - Quel est le parallélisme entre le COS et le Special Air Service (SAS) ?
M. Alain Gournac. - Les militaires des services spéciaux sont-ils des volontaires ? Y-a-t-il aussi du personnel civil ? Les services spéciaux possèdent-ils des armes spécifiques ? Comment les trois armées se coordonnent-elles pour fournir ces armes ?
La capacité de l'A400M à ravitailler en vol des hélicoptères est incertaine. Deux avions C130 seulement doivent être rénovés en 2019. Mais sont-ils disponibles dans l'intervalle ?
Général Grégoire de Saint-Quentin. - Les C130 actuels demeurent disponibles, mais avec beaucoup moins de capacités opérationnelles qu'ils n'en auront après leur rénovation. Il faudra que nous soyons capables d'envoyer pendant plusieurs années deux avions par an chez l'industriel, qui les rehaussera à un standard significativement plus élevé.
Au Mali, l'action des forces spéciales s'inscrit dans le cadre de l'opération Barkhane. C'est dans ce cadre que se fait l'essentiel de la coopération avec les forces maliennes. Nous ne menons pas, pour notre part, d'action particulière de coopération ou de conseil à l'égard des unités maliennes.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Cela fait partie des missions du COS.
Général Grégoire de Saint-Quentin. - Il n'y a pas de demande particulière au Mali. Nous ne pouvons pas nous démultiplier, alors que le nombre de zones d'intérêt s'accroît. Si nous devons porter assistance à une unité étrangère, ce sera plutôt au profit d'une unité spéciale. Les unités conventionnelles sont assistées par nos unités conventionnelles, qui ont la capacité et le savoir-faire nécessaire.
M. Jacques Gautier, président. - Nos forces spéciales ont porté assistance aux forces mauritaniennes.
Général Grégoire de Saint-Quentin. - En effet, le gouvernement de ce pays avait la volonté de contrôler sa frontière et de faire barrage aux tentatives d'infiltrations d'AQMI qui, avant l'opération Serval, étaient nombreuses. Cette opération de formation et d'assistance a permis, grâce à l'investissement consenti par la Mauritanie, de mettre sur pied des unités spéciales dédiées au contrôle des frontières. Plusieurs attentats contre nos intérêts dans ce pays ont été arrêtés.
Le parallélisme avec le Special Air Service (SAS) est double. Historiquement, le 1er RPIMa, dont je suis l'ancien chef de corps, est l'héritier des traditions des SAS français de la seconde guerre mondiale. Les SAS ont été créés par les Britanniques au Caire en 1940, avec, notamment, des Français Libres. Aujourd'hui, les SAS britanniques sont nos homologues ; nous entretenons des relations de travail avec eux.
Les forces spéciales ne sont pas les services spéciaux, qui dépendent de la DGSE. Les forces spéciales sont des unités militaires. Nous ne travaillons pas dans le domaine clandestin, c'est-à-dire que nous ne sommes pas capables de mener des actions que l'État français ne voudrait pas revendiquer. En revanche, nous sommes capables d'agir en discrétion, d'avoir une faible empreinte logistique, tout en déployant une capacité de réponse suffisante, car le terrorisme d'aujourd'hui est d'une autre ampleur que celui des années 1980.
S'agissant de la coordination des équipements, elle relève précisément de ma compétence. Je ne dispose toutefois pas de tous les leviers nécessaires. Nous essayons de sensibiliser à notre vision transverse.
M. Jacques Gautier, président. - Il faut donner plus de pouvoirs au GCOS pour homogénéiser les procédures et homologuer les matériels, afin de ne pas continuer à avoir des développements séparés.
Général Grégoire de Saint-Quentin. - Pour les forces spéciales, l'A400M doit être au maximum de ses standards tactiques. Nous avons un avion de transport stratégique très utile mais son développement tactique n'est pas achevé. C'est pourquoi le C130, plus petit et plus agile, est complémentaire de l'A400M. Il faut veiller à l'exécution du programme de rénovation des C130, voire augmenter notre parc, pour pallier les difficultés de l'A400M.
M. Jacques Gautier, président. - Il s'agira d'achats « sur étagères », puisqu'il n'y a plus de chaîne de fabrication du C130 aux États-Unis.
M. Robert del Picchia. - J'appuie les propos de notre collègue Jacques Gautier. Votre action est retardée alors qu'il y a urgence et que les coûts en cause sont relativement modestes.
Général Grégoire de Saint-Quentin. - Il y a un réel « appel » pour les forces spéciales aujourd'hui et nous sommes très soutenus. Nous avons là une véritable opportunité pour mettre en place une organisation qui puisse fonctionner aisément ensuite.
M. Robert del Picchia. - Aucune organisation internationale n'a clairement défini la notion de terrorisme. Cela est-il problématique pour vos hommes et pour votre action ? Par ailleurs, la cyberdéfense fait-elle partie de vos théâtres d'opérations ?
M. Gilbert Roger. - Nous sommes aujourd'hui pratiquement confrontés à une guerre à l'intérieur de notre territoire. Dès lors, réalisez-vous un travail de coordination, d'échanges d'informations et de méthodes avec la DGSE ?
M. Jeanny Lorgeoux. - Avez-vous rencontré des problèmes avec le service action de la DGSE ? Y-a-t-il, au contraire, sur le terrain, une unité d'action entre la DGSE, la DRM et les forces que vous commandez ?
J'en profite pour vous dire notre entier soutien dans la tâche très importante que vous menez.
Général Grégoire de Saint-Quentin. - Le mot « terrorisme » est un terme qui peut prêter à différentes acceptions à travers le monde. Cette situation n'est pas gênante pour nous. Nous agissons sur des théâtres d'opérations, dans un cadre juridique établi, face à un adversaire identifié. Ce qui compte pour nous, c'est que les modes d'action de cet adversaire sont nouveaux.
Il existe un commandement de la cyberdéfense. Les forces spéciales ne se désintéressent pas du sujet, pour ce qui les concerne. Nous nous efforçons d'être des intégrateurs, dans des boucles très courtes à la demande.
La DGSE et la DRM, sont des agences de renseignement. Le COS n'est pas une agence de renseignement, mais il peut transmettre pour analyse les informations qu'il recueille aux services compétents et bénéficier en retour de leur production. Il y a donc une forte unité d'action entre nous. S'agissant de la DGSE, nous travaillons principalement avec la direction du renseignement. L'enjeu des années qui viennent est effectivement l'interaction croissante des agences, ce qu'on nomme « l'interagences » aux États-Unis - singulièrement depuis le 11 septembre 2001 - d'autant qu'il y a convergence entre sécurité intérieure et extérieure, comme vous l'avez souligné.
S'agissant du recrutement, nous sélectionnons les hommes sur la base du volontariat. Des tests d'entrée sont mis en oeuvre dans les trois armées. Les personnes recrutées peuvent encore renoncer à l'issue de leur formation. Nous avons besoin de profils particuliers, sans que cela n'implique de comparaison de valeur militaire avec les unités conventionnelles. Nos hommes sont de très grande qualité, ce qui constitue pour moi une grande fierté, et une satisfaction quotidienne.
M. Jacques Gautier, président. - Nous avons vécu, en janvier, des prises d'otages qui ont mobilisé le RAID et le GIGN. Nous sommes presque parvenus à saturation des effectifs d'intervention. En cas de nécessité, une intervention des forces spéciales sur le territoire national serait-elle envisageable ?
Général Grégoire de Saint-Quentin. - Les forces spéciales sont mobilisables, au même titre que les autres forces armées, sur le territoire national. La question ne se pose toutefois pas au COS. Elle doit être examinée en fonction des scénarios envisagés. Une telle évolution nécessiterait néanmoins des adaptations. L'action sur le territoire national n'est pas similaire à une action sur un théâtre extérieur, dans un milieu non permissif, avec des soutiens dégradés. Si l'environnement y est sécurisé, elle a également des contraintes d'une autre nature, par exemple l'instantanéité de l'information médiatique. L'approche, le cadre juridique sont différents. Les profils des unités ne sont pas forcément interchangeables même si des techniques sont communes, notamment celles concourant à la maitrise de la force.
M. Jacques Gautier, président. - Je vous remercie, Mon Général, d'être venu échanger avec nous. Je salue, au nom de tous mes collègues, les forces spéciales, qui sont composées d'hommes exceptionnels, et qui nous permettent d'obtenir des résultats essentiels dans la lutte contre le terrorisme.
Audition de M. Jean-Baptiste Mattéi, ambassadeur, représentant permanent de la France à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord
La commission auditionne M. Jean-Baptiste Mattéi, ambassadeur, représentant permanent de la France à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
M. Jacques Gautier, président. - Nous accueillons maintenant M. Jean-Baptiste Mattéi, représentant permanent de la France auprès de l'OTAN. Monsieur l'Ambassadeur, je vous remercie d'avoir accepté - à nouveau - notre invitation. Nous avons toujours plaisir à vous entendre, comme ce fut le cas le 2 juillet dernier à l'approche du Sommet du Pays de Galles.
Aujourd'hui, au-delà des strictes questions « otaniennes », nous souhaiterions bénéficier de votre expérience et de votre position au Conseil de l'Atlantique Nord pour évoquer la situation en Ukraine et les relations avec la Russie. Très vite après le début de la crise l'an passé, l'OTAN a adopté des mesures dites de « réassurance », c'est-à-dire visant à rassurer nos alliés de l'Est de l'Europe. Où en sont ces mesures ? Plus généralement, quel est le contexte actuel au sein de l'OTAN en ce qui concerne l'Ukraine ? Enfin, comment qualifier l'atmosphère au siège de l'OTAN au sujet des relations avec la Russie ?
M. Jean-Baptiste Mattéi, représentant permanent de la France à l'OTAN. - Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de faire le point, devant votre commission, sur l'actualité de l'OTAN.
Cette actualité reste bien sûr largement dominée par la crise ukrainienne et ses implications pour la sécurité des Alliés. La priorité est donnée à la mise en oeuvre des décisions prises au sommet du Pays de Galles, en septembre 2014, et à la préparation du sommet qui se tiendra à Varsovie dans la première moitié de l'année 2016. Le choix de Varsovie n'est pas fortuit et revêtira, dans le nouveau contexte de sécurité en Europe, une dimension symbolique forte. Il nous faudra cependant éviter que les discussions portent exclusivement sur la défense collective et le flanc Est de l'Alliance, à un moment où d'autres priorités requièrent notre attention sur le flanc Sud.
L'actualité de l'OTAN est également marquée par l'arrivée, le 1er octobre 2014, d'un nouveau Secrétaire général, Jens Stoltenberg, ancien Premier ministre de Norvège. Jens Stoltenberg présente le handicap de ne pas être francophone, dans une organisation dont les deux langues de travail sont l'anglais et le français. Mais il a le profil d'un bâtisseur de consensus et adopte, s'agissant des relations avec la Russie notamment, des positions plus constructives et nuancées que certains de ses prédécesseurs. Bien que venant d'un pays non membre de l'Union européenne, il semble sincèrement désireux de faire progresser la coopération entre les deux organisations. Il a participé à la marche de solidarité organisée le 11 janvier après les attentats qui ont frappé notre pays ; je rappelle qu'il était Premier ministre au moment de l'attentat d'Utoya en 2011. Il a effectué sa première visite de travail à Paris le 2 mars, dans un climat très chaleureux.
Je souhaite maintenant revenir sur les principales priorités qui nous occupent.
La crise ukrainienne a provoqué, chez nos Alliés orientaux, un profond traumatisme. Pour des raisons évidentes liées à leur histoire et à leur géographie, ils ont exprimé le besoin de recevoir, de la part de l'Alliance, de nouvelles assurances concernant leur propre sécurité.
Il était de notre devoir de répondre à cette attente, en tant qu'Allié. C'était également notre intérêt que de démontrer que la solidarité entre Européens était une réalité et que les Etats-Unis n'étaient pas le seul recours face à de telles menaces. Il nous fallait enfin prendre en compte les perspectives de nos relations de défense à long terme, à un moment où des pays comme la Pologne s'engagent dans d'ambitieux programmes d'équipement.
C'est la raison pour laquelle la France s'est mobilisée très activement, à la fois au titre des mesures dites d'assurance et pour ce qui est du renforcement à plus long terme de la posture de l'Alliance.
S'agissant des mesures d'assurance, nous avons réagi rapidement et allons poursuivre notre action dans les trois domaines :
- aérien : déploiement en Pologne, sur la base de Malbork, d'avions Rafale et Mirage 2000 de mai à septembre 2014, vols réguliers d'AWACS au-dessus de la Pologne et de la Roumanie, patrouilles de surveillance maritime en Mer Baltique, responsabilité de la composante air de la NRF en 2015 ;
- maritime : participation régulière de nos bâtiments aux exercices conduits par les forces navales permanentes de l'OTAN, présence à titre national en Mer Noire ;
- terrestre : responsabilité de la composante terre de la NRF en 2014, déploiement envisagé en Pologne d'un groupement tactique interarmes équipé de chars Leclerc et de VBCI.
Les Etats-Unis restent le premier contributeur aux mesures d'assurance à travers leur « European Reassurance Initiative », dotée en théorie d'un milliard de dollars. Dans le cadre de leur opération « Atlantic Resolve », ils prévoient la rotation de troupes américaines en Europe et viennent par exemple d'annoncer le déploiement de plusieurs centaines de personnels de la troisième division d'infanterie dans les pays baltes.
Au-delà des mesures d'assurance, le travail porte sur l'adaptation de la posture de l'OTAN, à travers le « plan d'action réactivité » décidé au sommet du Pays de Galles. Ce plan prévoit notamment :
- la réorganisation de la « NATO Response Force » en force interarmées de niveau division ;
- la création d'une force interarmées à très haut niveau de réactivité (VJTF selon l'acronyme anglais), « fer de lance » de la NRF, constituée d'une brigade (environ 5 000 hommes) dont les premiers éléments sont susceptibles d'être déployés en 48 heures ;
- l'établissement sur le territoire de six alliés orientaux (Pologne, Estonie, Lituanie, Lettonie, Roumanie et Bulgarie) d'éléments de commandement (C2) de taille modeste sous l'appellation de « NFIU » (unités d'intégration des forces de l'OTAN) ;
- le renforcement du corps multinational Nord-Est de Szczecin, placé sous la responsabilité de la Pologne, de l'Allemagne et du Danemark et l'annonce, par la Roumanie, de son pendant pour le Sud-Est.
Ces décisions représentent un point d'équilibre entre les demandes initiales des alliés orientaux, qui souhaitaient un renforcement très significatif de la présence de l'OTAN sur leur territoire et les alliés prônant, comme nous, une approche plus réaliste. Nous avons ainsi plaidé pour une position qui soit pertinente d'un point de vue militaire (pas de retour à une posture statique du type guerre froide) et supportable en termes financiers, à une époque où les ressources sont rares. Nous avons aussi estimé, comme d'autres, qu'il fallait éviter de soulever la question de la compatibilité avec l'Acte fondateur OTAN / Russie de 1997, qui exclut le déploiement à titre permanent de forces substantielles de combat sur le territoire des alliés orientaux.
Au total, les orientations prises sont conformes à nos vues et la France a annoncé son intention d'y contribuer activement. Elle figurera notamment parmi les six Nations destinées à encadrer, par rotation, la nouvelle force à très haute réactivité (VJTF). Notre tour viendra en 2020, avec une montée en alerte à partir de 2019. Nous veillerons à préserver la flexibilité d'emploi des capacités nationales, en l'occurrence notre échelon national d'urgence Guépard, qui peut être sollicité pour d'autres missions.
Deux autres aspects font l'objet de réflexions au sein de l'Alliance :
- la réponse au mode d'action de la guerre hybride - tactique qui n'est pas totalement nouvelle -, qui a été utilisé par la Russie en Ukraine. Certains membres de l'Alliance craignent que le même type d'attaque ambiguë et difficilement attribuable ne soit de nouveau pratiqué à l'égard des pays les plus vulnérables, par exemple ceux qui accueillent des minorités russophones. Il est évident que l'OTAN n'a qu'une partie de la réponse à ce mode d'action (anticipation, partage du renseignement, ...) et qu'une coordination s'impose avec des organisations comme l'Union européenne ayant une palette d'instruments plus étendue, y compris dans le domaine civil. Nous devons par ailleurs nous garder d'entrer dans un débat sur le seuil de déclenchement de l'article 5, qui ne peut être que contre-productif ;
- la dimension nucléaire est également importante. Sans mettre en cause l'indépendance de notre démarche dans ce domaine, nous soutenons le principe d'une réflexion à 28 sur les implications pour l'Alliance de la stratégie nucléaire de la Russie qui devra être mise en perspective avec l'évolution de la politique nucléaire de l'OTAN, à savoir la réduction du nombre, de la diversité et du niveau d'alerte de ses forces nucléaires.
S'agissant de la crise ukrainienne proprement dite, nous considérons que l'OTAN a vocation à rester un acteur périphérique, à la différence de l'UE et de l'OSCE. Il n'y aura pas, en effet, de solution militaire à la crise et l'Ukraine, en tant que pays partenaire, ne bénéficie pas des garanties de sécurité destinées aux alliés. Le renforcement du partenariat avec l'Ukraine est de portée modeste et consiste pour l'essentiel en la mise en place de fonds d'affectation spéciale assez faiblement dotés, destinés à accompagner la réforme de l'outil de défense.
L'OTAN ne doit pas prêter le flanc à la rhétorique russe - M. Poutine a par exemple parlé des « légions étrangères de l'OTAN » -, en adoptant un positionnement qui serait trop visible ou trop agressif. De ce point de vue, nous sommes parfois amenés à nuancer les appréciations portées publiquement par certains responsables militaires de l'Alliance.
Nous sommes de même très prudents sur une éventuelle réactivation de la candidature de l'Ukraine à l'OTAN, après l'abrogation, fin décembre, de la loi de 2010 sur le statut « hors blocs ». Le Président de la République a publiquement exprimé nos réserves face à une telle perspective, qui ne ferait que compliquer un règlement politique.
La question de la livraison éventuelle d'armes à l'Ukraine n'est pas directement évoquée à l'OTAN, qui n'a pas de compétence propre à ce sujet. Elle suscite, en tout état de cause, une grande prudence de la part de la France et de la plupart des alliés.
Nous ne souhaitons pas en revenir, à l'OTAN, à une logique irréversible de confrontation ou de « guerre froide » avec la Russie. Nous ne sommes ainsi pas favorables à une réouverture du concept stratégique de l'Alliance, ni des textes régissant la relation OTAN / Russie (Acte fondateur de 1997, déclaration créant le conseil OTAN / Russie).
A la suite de la crise ukrainienne, l'Alliance a décidé de suspendre la coopération pratique avec la Russie, tout en maintenant ouverts les canaux de dialogue politique. Le conseil OTAN / Russie ne se réunit plus dans la pratique, en raison de l'opposition de certains alliés, mais le Secrétaire général continue à entretenir des relations avec l'ambassadeur russe auprès de l'OTAN et avec le ministre russe des Affaires étrangères, qu'il a rencontré en marge de la conférence sur la sécurité à Munich. Nous devons l'encourager dans cette voie, afin d'éviter de rompre complètement les ponts avec Moscou.
Dans le même temps, l'Alliance ne peut rester insensible aux risques posés par la Russie, qui ont de multiples manifestations : adoption d'une nouvelle doctrine militaire russe fin 2014 qui développe une vision obsidionale de l'environnement stratégique (l'OTAN étant confirmée dans sa position de « danger militaire extérieur » n° 1) ; recrudescence des vols russes à proximité de notre espace aérien, y compris avec des vols de longue distance impliquant des bombardiers à long rayon d'action ; stratégie nucléaire prévoyant la modernisation des forces et l'intensification des entrainements.
Sans exclure de renouer à long terme un partenariat entre l'OTAN et la Russie, il est évident que la crise ukrainienne, venant après d'autres périodes de tension comme la guerre au Kosovo ou la crise géorgienne, rendra difficile un retour au « business as usual ».
La crise ukrainienne remet au premier plan les missions de défense collective de l'Alliance. Mais elle ne doit pas éclipser les autres tâches identifiées dans le concept stratégique, en particulier la gestion de crises et les relations avec les partenaires.
De même, nous insistons beaucoup pour que les menaces émanant du flanc Sud soient dûment prises en compte, au même titre que celles qui viennent de l'Est. Cette réalité est aujourd'hui bien perçue, comme le montrent les conclusions du sommet du Pays de Galles, et notre contribution à la sécurité des alliés, à travers les opérations que nous menons au Sahel, en République Centrafricaine ou en Irak, est reconnue de tous. Lors de sa visite à Paris, le Secrétaire général a d'ailleurs pu recevoir de la part du chef d'état-major des armées une présentation très complète de l'engagement de nos forces, sur le territoire national comme à l'étranger, qui n'a pas d'équivalent pour les autres alliés européens.
L'attention prêtée au flanc Sud ne signifie pas nécessairement un engagement opérationnel direct de l'OTAN. La seule exception concerne l'Afghanistan, où la mission « Resolute Support », forte de 12 000 hommes, a pris le relais de la FIAS au 1er janvier 2015. Encore faut-il souligner que cette mission n'est plus une mission de combat, mais une mission d'assistance et de formation, qui a vocation à se terminer au bout de deux ans.
En Irak comme en Libye, il n'est envisagé par personne de donner à l'OTAN un rôle de chef de file, afin d'éviter un affichage par trop « occidental ». D'un point de vue militaire, il n'est donc pas fait recours aux structures de l'OTAN, même s'il est évident que l'interopérabilité entre les participants à la coalition est largement due à l'habitude du travail en commun dans le cadre des procédures de l'Alliance.
Les réflexions portent sur deux domaines :
- un possible rôle de l'OTAN pour renforcer les capacités de défense des pays de la région qui seraient demandeurs (ce que l'on appelle en anglais le « capacity building »). L'Irak ou la Libye pourraient à terme en bénéficier. La Jordanie entretient déjà des liens étroits avec l'OTAN, comme l'a montré la récente visite du Roi Abdallah au siège de l'OTAN. Nous ne sommes pas hostiles à une telle initiative, pour autant qu'elle soit étroitement coordonnée avec les Nations unies et l'UE ;
- le renforcement du partenariat avec les sept pays du Dialogue méditerranéen et avec les quatre pays de l'Initiative de coopération d'Istanbul (Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Bahreïn). Le conseil s'est récemment rendu dans la région pour contribuer à resserrer les liens, même si certaines difficultés politiques compliquent la donne, en particulier les relations complexes que la Turquie entretient avec certains de ces pays.
En matière d'élargissement de l'Alliance, la position de la France reste très prudente. C'est vrai pour l'Ukraine, que j'ai déjà eu l'occasion de mentionner, mais c'est vrai également pour les candidats déclarés que sont la Géorgie et le Monténégro. Après sa rencontre avec le Secrétaire général de l'OTAN, le Président de la République a estimé qu'aucun de ces candidats n'était aujourd'hui prêt à adhérer. S'agissant de la Géorgie, un « paquet substantiel » a été adopté au sommet du Pays de Galles et doit maintenant être mis en oeuvre. Quant au Monténégro, un rendez-vous est prévu en décembre pour apprécier les progrès qui auront été réalisés par ce pays.
La question des budgets de défense reste bien évidemment en toile de fond de toutes les discussions sur le renforcement de la posture de l'Alliance. Au sommet du Pays de Galles, les Chefs d'Etat ou de gouvernement se sont engagés à porter, en l'espace d'une décennie, les dépenses de défense à 2 % du PIB. A ce critère purement quantitatif s'ajoute un critère plus qualitatif : 20 % des budgets de défense devraient être consacrés aux investissements. Les conclusions du sommet prévoyaient ainsi de mettre un terme à l'érosion de l'effort de défense (de 2008 à 2013, les alliés avaient diminué de 20 % leur effort, alors que la Russie augmentait ses dépenses de 50 %).
Les premières évolutions constatées après le sommet ne sont pas très encourageantes. On note des signes positifs chez les alliés orientaux, dont beaucoup devraient se rapprocher des 2 %, à l'image de l'Estonie. Mais, à l'inverse, des signaux plus négatifs nous parviennent de pays comme la Belgique, l'Allemagne ou même le Royaume-Uni, ce dernier pays devrait décrocher des 2 %. Au total, il apparaît qu'en 2014 les dépenses de défense des alliés européens ont continué de baisser de 3 % à 4 %. Dans ce contexte, la France, avec des ratios s'établissant à 1,8 % du PIB au sens de l'OTAN, dont plus de 25 % consacrés à l'équipement et à la recherche, fait bonne figure.
M. Jacques Gautier, président. - C'est un décompte en norme OTAN, qui inclut les pensions ! Sinon nous sommes en deça.
M. Jean-Baptiste Mattéi. - En effet, nous utilisons les normes OTAN pour établir des comparaisons. Le ministre de la défense plaide inlassablement pour un meilleur partage du fardeau entre les nations européennes, qui est une question tout aussi sérieuse que le partage du fardeau entre les deux rives de l'Atlantique. Notre intérêt est donc de continuer à insister pour une mise en oeuvre des engagements pris au Pays de Galles, qui pourraient être repris au sein de l'Union européenne.
Un meilleur partage de l'effort et des responsabilités suppose également une coopération plus étroite entre l'OTAN et l'Union européenne. De ce point de vue, le contexte semble plutôt favorable, en raison de l'engagement du Secrétaire général de l'OTAN et de ses relations étroites avec la Haute Représentante, mais aussi en raison de la succession des échéances : Conseil européen de décembre 2013, sommet du Pays de Galles, Conseil européen de juin 2015, sommet de Varsovie en 2016, avec des invitations réciproques, maintenant systématiques, des responsables des deux organisations.
Sans chercher à prendre de front les difficultés de nature institutionnelle bien connues, liées à la question de Chypre et à la position de la Turquie, nous devons nous efforcer de bâtir un agenda positif, sur des sujets comme la cyberdéfense ou la guerre hybride, et de faire reconnaître la validité de la base industrielle et technologique de la défense (BITDE) et des projets capacitaires européens, comme contribution au renforcement de la sécurité des alliés.
Deux sujets continuent par ailleurs à mobiliser l'attention de la Représentation permanente :
- la diplomatie économique. Les entreprises françaises ont bénéficié, l'an dernier, de contrats de l'OTAN à hauteur de 300 millions d'euros environ. Nous devons poursuivre nos efforts pour les mobiliser plus largement encore. En plus des contacts réguliers avec les représentants des grands groupes, nous organisons ainsi fréquemment des séminaires d'information au profit des PME, en lien avec la DGA et Business France. Au-delà des contrats directement passés par l'OTAN, l'Alliance a un rôle prescripteur, qui passe notamment par la définition de normes (dites : « STANAG ») auxquelles nous devons être attentifs. D'un point de vue politique, il nous faut enfin veiller à la prise en compte de la dimension européenne à l'OTAN. Le risque est que la crise ukrainienne conduise les alliés, en particulier les alliés orientaux, à se tourner plus que jamais vers les Etats-Unis pour acheter « sur étagère ». De ce point de vue, les choix que devront opérer prochainement certains pays comme la Pologne seront intéressants à observer ;
- le lien entre changement climatique et sécurité. Même si l'OTAN n'a pas un rôle de premier plan à jouer pour ce qui est du changement climatique, elle ne peut se désintéresser des implications qu'il a sur notre propre sécurité (compétition pour l'accès aux ressources naturelles, réfugiés climatiques...). Il existe de même des réflexions concernant les principes de la « défense verte » (logistique, transports, infrastructures...). En tant qu'ancien envoyé spécial de l'ONU pour le climat, l'actuel Secrétaire général est intéressé par ces questions et les a évoquées avec le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères, dans la perspective de la COP 21.
M. Jacques Gautier, président. - Je vous remercie pour cette présentation très complète. Avec mon collègue de l'Assemblée nationale, Gilbert Le Bris, nous avons invité, à l'occasion du soixantième anniversaire de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN le 18 juillet 2015, M. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN et Mme Federica Mogherini, haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à participer à une table ronde commune.
M. Xavier Pintat. - Le plan d'action pour la réactivité comporte deux aspects principaux que vous avez évoqués : « réassurer » nos alliés de l'Est de l'Europe qui se sentent menacés et mettre en place une force de réaction très rapide. Quels pays vont être capables de répondre au cahier des charges de cette force ? Qu'en attend-on vraiment en termes stratégiques ? Quelle en sera la chaîne de commandement, tant militaire que politique? Au niveau français, l'exigence de maintenir ce niveau de réactivité est-elle compatible avec l'engagement actuel des forces en opérations, tant extérieures qu'intérieures ? Par ailleurs, on entend beaucoup de commentaires sur des incursions russes aux frontières européennes, aussi bien dans l'espace aérien que dans la Mer Baltique. Pouvez-vous nous donner un bilan de ces « incursions », au moins pour celles qui sont connues ? Quelle est, à votre avis, l'éventuelle stratégie de la Russie à cet égard ?
M. Claude Malhuret. - La « guerre hybride » qui a été utilisée en Ukraine pourrait être mise en oeuvre par la Russie sur le territoire d'autres Etats où sont présentes des minorités russophones comme la Moldavie ou les Etats Baltes. L'OTAN se prépare-t-elle de manière concrète à cette éventualité ? Je relève qu'il n'y a pas eu de réaction de l'OTAN à l'annonce par M. Poutine du déploiement de missiles nucléaires tactiques de nouvelle génération à Kaliningrad, qui menacent directement la Lituanie et la Pologne, de même qu'à celui de bombardiers à long rayon d'action et à charges nucléaires en Crimée. Par ailleurs, j'ai lu dans la presse marocaine que, concernant la Libye, l'OTAN privilégiait une solution politique mais serait prête à intervenir un jour si nécessaire. Pouvez-vous nous préciser ce point ?
M. Jean-Baptiste Mattéi. - Concernant la force interarmées à très haut niveau de réactivité (VJTF), seuls six pays (le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Turquie) sont effectivement en mesure d'assurer son encadrement. La France a accepté de participer, mais avec des conditions, notamment que son engagement ne soit pas exclusif et que nous gardions la maîtrise de notre échelon national d'urgence (Guépard), avec la flexibilité nécessaire. Les nations-cadres peuvent bénéficier de la collaboration d'autres pays ; c'est ainsi que l'Allemagne travaille avec la Norvège et les Pays-Bas. Des discussions sont en cours pour la mise en oeuvre pratique des décisions prises.
S'agissant des survols russes, le regain d'activité est réel, d'un point de vue qualitatif et quantitatif, puisque sont utilisés des bombardiers à long rayon d'action et des techniques proches des standards occidentaux (faisant par exemple appel à des ravitaillements en vol). Pour autant, il faut relativiser le nombre d'incursions : en 2014, onze vols ont été interceptés dont trois pour une violation caractérisée. Il s'agit avant tout de vols de démonstration permettant à la Russie d'afficher sa force. Nous-mêmes avons augmenté notre présence aérienne, en renforçant significativement la police du ciel dans les pays baltes. S'il faut prendre ces survols au sérieux, il ne faut pas non plus en faire un motif d'escalade vis-à-vis de la Russie.
Je vous confirme que l'OTAN travaille sur diverses hypothèses liées à une menace de « guerre hybride ». Les pays baltes pourraient faire l'objet d'opérations de déstabilisation mais ne veulent pas mettre trop l'accent sur leurs minorités russophones. L'idée est de mettre au point une stratégie d'ici le prochain sommet de Varsovie. De nombreux domaines sont concernés : anticipation, renseignement, surveillance, cyber-défense, communication stratégique, forces spéciales... Mais il faut aussi éviter de présenter des vulnérabilités au plan interne, ce qui renvoie à des problématiques (traitement des minorités, gouvernance) qui relèvent d'abord des Etats, puis d'organisations comme l'Union européenne ou l'OSCE.
Les annonces concernant l'installation d'armes tactiques russes à Kaliningrad et d'armes nucléaires en Crimée sont un sujet de préoccupation. Nous menons d'ailleurs une réflexion sur les implications de la stratégie nucléaire russe.
Concernant la Libye, nous soutenons pleinement le processus politique et personne ne sollicite l'OTAN, afin qu'elle joue un rôle opérationnel direct ; cela supposerait d'ailleurs au préalable un mandat des Nations unies. L'OTAN peut théoriquement intervenir en soutien, pour aider à la reconstruction d'une armée ou de forces de sécurité. La difficulté reste de trouver des interlocuteurs et de bien s'articuler avec l'action sur place des Nations unies et de l'Union européenne.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Les Etats-Unis ont déployé des troupes dans les pays baltes et la Russie a fait de même à ses frontières, ce qui participe d'une escalade des tensions. Au fond, partageons-nous la même vision que les Etats-Unis sur la situation en Europe et avons-nous les mêmes réticences quant à l'émergence d'une nouvelle guerre froide sur notre continent ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Je souhaite vous poser trois questions. La réintégration du commandement militaire intégré de l'OTAN par la France est-elle compatible avec une autonomie stratégique et diplomatique ? L'escalade actuelle est-elle le reflet de la crainte d'une potentielle attaque russe ou est-elle une gesticulation ? L'OTAN est-elle consciente que l'intensification de l'aide à la Géorgie peut constituer une préoccupation pour les Russes ?
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Où en sont les relations de l'OTAN avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan ? Comment ces relations s'insèrent-elles dans le contexte actuel des relations avec la Russie dont nous avons parlé jusque-là ?
M. Alain Gournac. - Beaucoup a été dit sur la Russie mais, au fond, croyez-vous vraiment que M. Poutine respecte autre chose que la force ? Soyons bien conscients que les pays baltes sont très inquiets ; il ne s'agit pas d'une simple préoccupation, comme nous pouvons en avoir, mais d'une profonde et intense inquiétude. J'ai malheureusement constaté sur place que les Russes continuent de progresser en Géorgie ; ils « grignotent » peu à peu du terrain dans les villages. Sans réaction, nous risquons de nous retrouver avec des difficultés plus grandes encore.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je l'ai déjà indiqué à de nombreuses reprises, ici ou à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN : ne pas accorder le plan d'action pour l'adhésion à la Géorgie a été une erreur. Nous devons respecter les engagements que nous avons pris.
M. Jean-Baptiste Mattéi. - Je ne perçois pas de différence d'analyse majeure entre les Etats-Unis et l'Europe. L'administration Obama souhaite parvenir à une solution politique en Ukraine et soutient, même si elle n'y est pas associée directement, le format « Normandie ». Les Européens et les Américains ont avancé de concert en ce qui concerne les sanctions. Bien sûr, les Etats-Unis sont amenés à répondre aux demandes des alliés orientaux mais les décisions que nous avons prises pour adapter l'Alliance sont raisonnables et proportionnées.
Nous ne sommes pas revenus à une posture du temps de la Guerre froide et nous ne nous inscrivons aucunement dans une escalade avec la Russie. Le nouveau Secrétaire général de l'OTAN, qui connait bien la Russie, a un positionnement équilibré : il faut être sûr de soi-même pour pouvoir dialoguer.
Je comprends l'inquiétude, le traumatisme, des pays baltes et cela révèle les différences qui peuvent exister dans la perception des menaces. C'est pourquoi il est si important de construire ensemble une même compréhension de notre environnement. Je rappelle d'ailleurs que l'OTAN réalise annuellement un exercice qui poursuit cet objectif.
La réintégration des structures intégrées et l'autonomie de notre diplomatie sont deux sujets bien distincts et nous nous inscrivons pleinement dans les conclusions du rapport d'Hubert Védrine qui a clairement souligné la nécessité de préserver notre singularité, tout en accroissant notre influence. A l'époque de la guerre en Irak, le fait de ne pas participer à l'ensemble des discussions du fait de notre statut particulier nous affaiblissait plutôt qu'autre chose. Et si un même contexte stratégique venait à se reproduire aujourd'hui, rien ne nous empêcherait d'adopter la même position qu'à l'époque.
En ce qui concerne la Géorgie, l'OTAN ne fournit pas d'équipements, nous aidons à moderniser et à rendre plus efficaces l'outil de défense. Le « paquet » de mesures décidées au Pays de Galles reste limité et ne devrait pas inquiéter la Russie. Dans le même temps, je vous rappelle que la Russie renforce substantiellement ses liens avec les entités séparatistes de Géorgie. La France a soutenu l'adoption du « paquet » de mesures et ne souhaite pas aller au-delà car cela pourrait entraîner des interrogations en termes de sécurité collective.
L'Arménie a eu tendance, dans la période récente, à se rapprocher de la Russie et, à l'inverse, l'Azerbaïdjan souhaite resserrer ses liens avec l'OTAN. Ce sont deux pays partenaires de l'Alliance et celle-ci doit rester à l'écart du problème du Haut-Karabagh.
Réforme de l'asile - Examen d'une demande éventuelle de saisine pour avis et nomination éventuelle d'un rapporteur
La commission examine l'opportunité de se saisir pour avis sur le projet de loi n° 193, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l'asile.
M. Jacques Gautier, président. - Mes chers collègues, la première semaine de mai, sera examiné au Sénat le projet de loi sur la réforme de l'asile. Il est envoyé au fond à la commission des lois, dans la mesure où c'est désormais le ministère de l'intérieur qui porte à titre principal la responsabilité de cette politique. François-Noël Buffet, le rapporteur, a commencé à travailler. La commission des finances s'est saisie pour avis du volet financier (Roger Karoutchi en est le rapporteur).
Dans ces conditions, je m'interroge sur l'opportunité de nous saisir ou non pour avis sur ce texte. Certes, l'asile est une politique publique éminemment régalienne et nous sommes au premier chef concernés par la situation des réfugiés qui découle très directement des crises internationales. La liste des pays d'origine sûrs, la situation des apatrides, touchés par ce texte, nous concernent. Toutefois, la réforme proposée, essentiellement procédurale pour accélérer les procédures devant l'OFPRA, est en partie la précision de la législation existante, en fonction de directives européennes que nous devons transposer.
Par ailleurs, je ne vous cache pas que le gouvernement vient de confirmer que nous allions avoir ce printemps une actualité très chargée : dans la lettre d'ordre du jour prévisionnel de Jean-Marie le Guen en date du 11 mars est prévu le projet de loi sur le renseignement annoncé en mai au Sénat, sans doute fin mai, sur lequel notre commission sera mobilisée ; et le projet de loi d'actualisation de la loi de programmation militaire, annoncé fin juin, que nous allons préparer très activement. Ceci se rajoute naturellement aux missions d'information de la commission sur la Russie, l'Iran, le Climat, la Chine, le franco-allemand.
Si nous prenons un avis sur l'asile, il nous faudrait prendre le texte en commission le 8 avril car la commission des lois se prononcera le 15 avril, alors que nous serons en pleine loi « Macron », qui nous concerne aussi, avec les articles sur le projet KANT et les sociétés de projet. Aussi, je vous propose de privilégier, pour les sénateurs de notre commission qui le souhaiteraient, des interventions individuelles dans le débat sur l'asile, et des amendements individuels, plutôt qu'une saisine pour avis de la commission, et ce pour éviter de trop nous disperser. Qu'en pensez-vous ? Y a-t-il des oppositions ?
M. Alain Gournac. - Cela me parait en effet plus sage.
(La commission décide de ne pas se saisir pour avis).
La réunion est levée à 12 h 05.