- Mardi 8 juillet 2014
- Diplomatie économique et tourisme - Audition de Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger
- Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 - Compte rendu du contrôle sur pièces et sur place sur les prévisions de ressources exceptionnelles de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013
- Mercredi 9 juillet 2014
Mardi 8 juillet 2014
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -La réunion est ouverte à 16 heures
Diplomatie économique et tourisme - Audition de Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger
M. Jean-Louis Carrère, président - Même si l'économie ne saurait constituer l'alpha et l'oméga de notre politique étrangère, nous sommes bien conscients de la nécessité de redresser notre commerce extérieur : car c'est aussi une question de souveraineté nationale et de puissance dans le concert des nations. Nous sommes d'ailleurs très concernés par les débats actuels sur le relèvement de la taxe de séjour : certes, les collectivités franciliennes ont du mal à boucler leurs budgets, mais est-ce un bon signal à donner à l'heure où le gouvernement présente un grand plan pour développer le tourisme ? Espérons que le Sénat saura remettre un peu de sagesse dans ce dossier....
Quels sont vos objectifs et vos priorités pour le commerce extérieur ? Sachez que dans cette commission, nous avons mis l'accent cette année sur le potentiel de l'aire Pacifique, et en particulier sur l'Asie du Sud-est, où il nous semble que nous avons, avec l'Indonésie notamment, un effort à faire pour rattraper notre retard et profiter d'un formidable potentiel de développement. Par ailleurs, le gouvernement vient de nommer Philippe Varin représentant spécial pour l'ASEAN : quelle est sa « feuille de route » ?
Je voulais vous interroger aussi sur le rattachement -mais peut-on vraiment parler de rattachement car j'ai cru comprendre que les personnels restaient à Bercy ?- de la direction du Tourisme au ministère des Affaires étrangères : est-ce une révolution copernicienne ? Qu'est-ce que ça change en pratique et comment le vivent les agents ? Enfin et surtout, quels gains d'efficience peut-on en attendre ? Même question pour le rapprochement entre Ubifrance et l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) : où en sommes-nous dans la lutte contre l'éparpillement de nos dispositifs ? « L'équipe de France à l'export » vous paraît-elle enfin rassemblée ?
Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger - Je me propose de centrer mon intervention sur mon portefeuille ministériel et la manière dont je le conçois, puisque c'est la première fois que je m'exprime devant votre commission.
Volontairement, je n'aborderai pas dans ce propos liminaire les sujets spécifiques relatifs aux Français de l'étranger, mais nous pourrons naturellement aborder ces questions lors du temps d'échanges que nous aurions ensuite.
I - D'abord, les priorités stratégiques sur le commerce extérieur.
Les chiffres du commerce extérieur français, nous le savons tous, ne sont pas à la hauteur des attentes. Le déficit de la France dépasse encore 61 milliards en 2013, dont 13 milliards d'euros hors énergie (ces statistiques concernent les biens seuls, à l'exclusion des services, ce qui constitue une limite, j'y reviendrai). Nos secteurs d'excellence (aéronautique, agroalimentaire, chimie, parfums, cosmétiques et pharmacie) ne parviennent pas à contrebalancer les secteurs déficitaires (outre l'énergie, les produits industriels, les produits informatiques et électroniques, le textile-habillement ou l'automobile). La France est par ailleurs mal orientée à l'export en termes de couple pays/produits : elle n'est pas suffisamment positionnée sur les produits porteurs dans les pays à forte croissance, où la demande est tirée par les classes moyennes.
La France souffre également d'un tissu d'exportateurs fragile, très concentré (1 % des exportateurs réalisent 70 % des exportations) et marqué par un faible nombre d'entreprises exportatrices (120 000 exportateurs contre deux fois plus en Italie et près de quatre fois plus en Allemagne) et par des exportateurs « intermittents » et peu résilients.
Au total, nos parts de marchés se sont fortement érodées au niveau mondial depuis 10 ans (3,2 % aujourd'hui contre 5 % il y a une dizaine d'années), avec une baisse marquée au sein de la zone euro, alors même que les questions de change ne se posent pas (9,1 % de parts de marché dans la zone euro contre 12,3 % en 2000).
Un grand nombre de facteurs sont en jeu : la compétitivité prix et hors-prix, le niveau de l'euro, la conjoncture européenne et mondiale ... Nous devons nous concentrer sur nos leviers d'action immédiats, avec pour objectif de mieux nous organiser et de nous renforcer pour faire de la France un pays gagnant dans la mondialisation.
1°) Nous devons d'abord aider notre appareil productif à se « remuscler » à l'export : encore trop peu d'entreprises en France sont exportatrices même si le chiffre est en augmentation depuis deux ans et il n'y a pas encore assez d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices et de grosses PME ayant des capacités pour conquérir de nouveaux marchés. Je viens, à cet égard, d'annoncer un dispositif d'accompagnement pour les PME exportatrices dans le secteur des médicaments.
2°) Nous devons ensuite fédérer les énergies : « l'équipe de France de l'export » ne souffre pas d'un déficit de moyens mais bien de leur dispersion.
Avec un budget global de l'ordre de 600 millions d'euros, dont 500 millions pour l'Etat, nous disposons de « troupes » nombreuses et aguerries : 1 500 agents au sein d'Ubifrance et de l'AFII dans 63 pays, 1 200 agents de l'Etat au sein du réseau de la diplomatie économique (630 relevant de la direction du Trésor et 600 relevant du MAE dont les attachés scientifiques et culturels), 8 000 « volontaires internationaux à l'étranger » (VIE), les chambres de commerce et d'industrie (CCI) avec 600 agents en France sur le soutien à l'international et 800 dans les 107 CCI françaises à l'étranger, 3 500 conseillers du commerce extérieur (CCEF), dont 900 en France et plus de 2 500 à l'étranger, environ 350 collaborateurs de la COFACE dédiés à la mission de garanties publiques, les régions, qui jouent un rôle éminent pour la stratégie d'internationalisation des entreprises et les acteurs privés d'appui à l'export (OSCI).
Jusqu'à récemment, tous ces acteurs jouaient leur propre partition ou se contentaient d'une coordination relativement formelle avec un dispositif français au final peu compréhensible. Maintenant que le pilotage ou la tutelle de tous ces acteurs a été rassemblée dans nos mains, notre objectif doit être de les mettre davantage en synergie et d'en assurer le pilotage.
Il s'agit avant tout, et comme première étape, de rénover et moderniser le dispositif d'accompagnement en créant une « grande agence de l'international » par le rapprochement de l'AFII et d'Ubifrance, autour de laquelle nous devrons articuler l'ensemble du dispositif.
Il s'agit aussi de réfléchir à l'articulation de cette nouvelle agence avec les autres opérateurs et acteurs.
Ainsi, la Sopexa, structure privée qui s'occupe d'agroalimentaire dans le cadre d'une délégation de service public du ministère de l'agriculture, et le département Agrotech d'Ubifrance interviennent sur le même créneau et pourraient être rapprochés.
De même, l'action conjointe entre Ubifrance et la Banque publique d'investissement (BPI) doit être poursuivie et amplifiée.
Enfin, l'articulation entre Ubifrance et les CCI devra être organisée et coordonnée avec l'action des régions.
3°) Troisièmement, la stratégie du commerce extérieur doit reposer sur des priorités géographiques et thématiques claires et sur la concentration des moyens correspondants. Il s'agit de poursuivre l'initiative lancée par ma prédécesseure, visant à identifier dans les pays émergents les secteurs pour lesquels la demande est croissante et pour lesquels les acteurs économiques français sont bien positionnés mais ne maximisent pas leur potentiel d'exportation. Quatre secteurs avaient été identifiés : la santé, l'agroalimentaire, le numérique et les télécommunications, le développement urbain durable (électricité, assainissement, traitement des déchets, transports). J'ai identifié deux autres secteurs :
- les industries créatives et culturelles (audiovisuel, design, cinéma, jeux vidéos, mode, luxe...), dans lesquelles davantage de synergies pourraient être trouvées ;
- le tourisme, dans la mesure où de nombreux pays sont en train de constituer leur propre filière tourisme et seraient demandeurs de l'expertise française pour les accompagner.
Pour chacun de ces secteurs, nous allons définir des priorités géographiques.
4°) Quatrièmement, cette stratégie bilatérale doit être articulée avec les négociations multilatérales menées par la Commission européenne sur des accords de partenariats économiques.
Je ne vais pas revenir ici en détail sur le sujet du partenariat transatlantique mais je pourrai répondre à vos questions si vous le souhaitez. Je me limiterai à quelques commentaires sur les sujets commerciaux traités au niveau européen.
D'abord, je compte être exigeante, dans tous les négociations conduites par la Commission pour I'UE, pour que les intérêts offensifs français - et ils sont nombreux - et les lignes rouges de notre pays comme la défense de nos préférences collectives, notamment en matière de normes sanitaires et phytosanitaires, de notre droit à réguler ou du secteur audiovisuel, soient défendus.
Ensuite, la question de la transparence est pour moi essentielle, vis-à-vis des parlementaires et de l'opinion publique, et j'ai personnellement pris des initiatives, afin de communiquer davantage et remédier aux interprétations fausses que peut générer le secret entourant les négociations.
Par ailleurs, beaucoup d'attention est légitimement portée au partenariat transatlantique mais il convient de ne pas oublier la douzaine d'accords en cours de négociation plus ou moins avancée avec des partenaires clés pour la France : je pense au Canada, au Japon, ou aux négociations avec certains pays d'Asie du Sud-Est. Et il nous faut aussi être attentifs aux accords sectoriels en cours de négociation, sur les services ou les biens environnementaux par exemple.
Enfin, je serai très attentive à la question des « règles du jeu » dans le commerce mondial : la notion de réciprocité, les instruments de défense commerciale, la lutte contre la contrefaçon et la protection des indications géographiques en font partie.
Concernant la nomination de M. Philippe Varin comme représentant spécial pour l'ASEAN, je dois le voir très prochainement pour fixer avec lui sa feuille de route, en fonction des priorités sectorielles et géographiques que nous venons d'évoquer.
II - Deuxième grande composante de mon portefeuille ministériel : le tourisme
C'est un sujet qui intéresse désormais directement votre commission.
Pourquoi avoir mis la promotion du tourisme au Quai d'Orsay? Mais parce qu'il est une composante essentielle du commerce extérieur, avec une contribution positive de 12 milliards d'euros à la balance des paiements. Représentant 7 % du PIB et 2 millions d'emplois directs et indirects, il s'agit d'un secteur économique majeur. En outre, la promotion de l'image de la France contribue à renforcer l'attractivité du territoire et à attirer des jeunes talents, des étudiants, des investisseurs. S'agissant des perspectives d'avenir, l'Organisation mondiale du Tourisme prévoit que d'ici 2030, il y aura entre 800 millions et 1 milliard de touristes supplémentaires dans le monde, soit un doublement du flux actuel (1 milliard). Si la France parvenait à capter ne serait-ce que 5 % de cette croissance, cela pourrait représenter plusieurs centaines de milliers d'emplois. Pour cela, nous devons diversifier l'offre et attirer les touristes sur l'ensemble du territoire, grâce à notre patrimoine naturel et culturel. En effet, les flux sont aujourd'hui très concentrés. Nous devons aussi adapter les infrastructures à l'augmentation prévisible de la fréquentation.
Le 19 juin dernier, les Assises du tourisme ont été un grand moment pour l'ensemble du secteur. Les acteurs du tourisme l'ont vécu comme une ambition. Le tourisme est enfin considéré à sa juste place, par rapport à ce qu'il représente pour l'économie de notre pays.
Cinq axes et une trentaine de mesures ont été définis pour proposer des réponses concrètes et très pragmatiques aux attentes du secteur :
- hiérarchiser la démarche de promotion internationale des destinations autour de quelques marques fortes et visibles et de cinq pôles d'excellence thématiques qui permettront de renouveler l'image touristique de la France ;
- travailler sur chacun des maillons du parcours des touristes pour supprimer tout ce qui peut ternir l'expérience du voyageur, de la réservation de son voyage jusqu'à son retour chez lui ;
- renforcer le « sens de l'hospitalité » des Français envers les touristes, dans une logique gagnant-gagnant avec les professionnels, car c'est aussi en travaillant sur la formation et les conditions de travail des acteurs du tourisme que l'on progressera sur la qualité de l'accueil ;
- se projeter avec ambition dans le numérique, en misant sur la capacité de la France à faire émerger les leaders de demain dans le domaine du m-tourisme, c'est-à-dire du tourisme en mobilité (possibilités offertes par les smartphones et tablettes), en tirant profit de la présence abondante de touristes étrangers sur notre territoire (83 millions de visiteurs par an) et en faisant travailler ensemble les grands groupes du tourisme et les startups de la French Tech ;
- redynamiser le tourisme des Français et faciliter l'accès du plus grand nombre aux vacances.
III - Ce sujet du tourisme me conduit à évoquer plus généralement le thème de l'attractivité, qui fait partie intégrante de mes priorités.
En effet, le commerce extérieur tel qu'il est conçu traditionnellement est fondé sur une notion assez réductrice : les flux de biens traversant une frontière physique. Cela n'intègre pas le commerce des services. Cela ne mesure pas non plus, à l'heure où l'on parle de la répartition de la chaîne de valeur dans le commerce mondial, le degré réel d'internationalisation de l'économie française, qui passe par la capacité à attirer des flux (de capitaux, de services, d'étudiants, de chercheurs, de visiteurs d'affaires), des centres de décision et de production créateurs de richesses et d'emplois.
Il ne s'agit pas d'ouvrir notre pays à tous les vents ou de renoncer à notre souveraineté dans des secteurs stratégiques de notre industrie. Nous devons bien entendu défendre nos valeurs et nos intérêts dans la mondialisation. Mais à côté d'un agenda que j'appellerais « défensif », il faut aussi aller conquérir de nouvelles opportunités. Ces opportunités sont essentielles car ce sont elles qui nous permettront de créer de la croissance et de l'emploi en France. Il faut élargir notre« terrain de jeu ». Si ce n'est pour nous, faisons-le pour notre jeunesse, qui a soif d'opportunités à l'échelle du monde.
Cette ambition est facilitée par les réels atouts dont dispose notre pays, que je voudrais rapidement évoquer.
- La France est le 3ème pays d'accueil en Europe des investissements étrangers créateurs d'emplois en 2013 et le 2ème en nombre d'emplois créés. (Source Ernst&Young, 2014).
En moyenne, chaque année la France attire 650 nouveaux projets d'investissement étranger créateurs d'emploi. En 2013, c'était 693 nouveaux projets, qui ont créé près de 26 000 emplois. Nous pouvons encore faire mieux :
. Avec des outils comme Ubifrance, l'AFII, les entreprises peuvent s'appuyer sur le dispositif public pour aller à l'international.
. La BPI propose des financements spécifiques pour les entreprises à capitaux étrangers en développant des partenariats avec des banques étrangères.
. Enfin, une série de mesures a été prise pour accélérer et faciliter la délivrance des visas, notamment des visas d'affaires, depuis début 2013 avec la délivrance systématique des visas multi-entrées.
D'autres mesures sont en préparation pour faciliter l'installation des investisseurs et de leurs familles dans le cadre du futur projet de loi sur l'immigration, qui sera examiné fin 2014.
- En Europe, la France est une porte d'entrée vers l'Afrique et le Moyen-Orient, en raison de sa position géographique et de ses liens historiques.
- Nos infrastructures sont parmi les meilleures au monde (Roissy CDG est le 1er aéroport de fret en Europe, le 2ème aéroport de voyageurs ; nous possédons le 3ème réseau de trains à grande vitesse au monde) ;
- Nous sommes un grand pays de l'innovation :
. avec beaucoup d'entreprises parmi les 100 plus innovantes au monde ;
. le nombre d'installations de centres de recherche et développement a augmenté de 23 % entre 2012 et 2013 grâce à un environnement qui attire les investisseurs (crédit impôt-recherche, crédit impôt-innovation).
Je pourrais citer beaucoup d'autres atouts. Ce discours ne se veut pas un autosatisfecit : il manifeste l'envie de partager avec vous une conviction : la France doit être à l'offensive dans la mondialisation et non recroquevillée sur elle-même. Il faut lutter contre le « french bashing » et l'auto-flagellation. Je le disais déjà dans mon précédent portefeuille ministériel. Il faut avoir conscience de ses atouts et savoir les vendre.
Je ne crois pas à une France qui se referme sur elle-même. Je crois à une France sûre de ses atouts, conquérante, qui regarde vers le monde et vers l'avenir, en ayant en tête les opportunités plus que les menaces et les dangers. Le rôle de l'Etat est d'accompagner cette ambition, avec pour seule boussole la création de valeur et d'emploi.
Mon portefeuille s'articule bien avec la notion de diplomatie économique. Nous possédons un réseau diplomatique dense, le deuxième du monde après celui des Etats-Unis, nous pouvons le mobiliser autour de la défense des intérêts économiques de notre pays. Les conditions institutionnelles et organisationnelles sont désormais réunies pour faire fructifier le potentiel de développement international de notre économie.
M. Jean Besson. - Dans quelques semaines je ne serai plus sénateur mais je resterai toujours président du comité régional du tourisme de Rhône-Alpes, qui est le plus important de France. Nous sommes particulièrement inquiets de l'insuffisance des moyens consacrés au développement et à la promotion du tourisme, au vu de ce qu'il rapporte à l'économie française. Ainsi, Atout France voit ses budgets revus à la baisse depuis une dizaine d'années. Comment faire pour y remédier ?
Par ailleurs, le budget d'Atout France est abondé à plus d'un tiers par les régions qui, hors Paris, accueillent 75 % des visiteurs étrangers. Comment les associer à la promotion des grandes destinations et des marques, comme vous l'avez dit lors des dernières Assisses du tourisme ?
Enfin, en ce qui concerne la polémique autour de l'augmentation de la taxe de séjour, avez-vous l'intention de présenter un projet de loi portant sur une augmentation de cette taxe, qui serait plus modérée que celle actuellement proposée ? Il me paraît envisageable d'augmenter cette taxe, notamment sur les établissements haut de gamme, à condition, bien sûr, que le produit profite aux offices du tourisme et aux comités régionaux du tourisme et non à d'autres budgets.
Mme Josette Durrieu. - Dans ma région se trouve Lourdes, ville qui est visitée par 4 à 5 millions de pèlerins chaque année (8 à 9 millions certaines années), sachant qu'il y a 4 millions de touristes en plus chaque année hors pèlerinages, soit 8 millions de visiteurs par an, au minimum. Lourdes possède le deuxième parc hôtelier de France, ainsi que le deuxième aéroport charter de France. Les taxes de séjour et sur les aéroports envisagées vont à l'encontre de nos efforts en faveur du tourisme. Dans le budget modeste d'un pèlerin, toute dépense compte. Peut-être pourriez-vous chercher ces ressources ailleurs ?
Concernant le commerce extérieur, je me réjouis de la mise en place d'un dispositif d'accompagnement pour les PME exportatrices et je vous rejoins dans le constat d'une nécessaire coordination de tous les acteurs. Vous l'avez dit, la santé et le numérique sont des priorités. A ce sujet, je vous ai fait remettre un dossier sur l'e-santé, qui vient d'être labellisé par le pôle bio-cancer de Toulouse, en vue d'obtenir un financement FEI. Ce projet, dont je suis la coordinatrice pour la région Midi-Pyrénées, utilise des techniques innovantes (transfert d'images..) et intéresse le territoire français, notamment les espaces ruraux.
Enfin, en ce qui concerne l'espace méditerranéen, le Maghreb, zone du dialogue 5+5 , à propos duquel notre commission a récemment publié un rapport, ne devrait-il pas être une zone de proximité à explorer et à prendre en compte ?
M. Jean-Claude Peyronnet. - Je reviens d'une mission en Asie du Sud-Est, région en pleine expansion et très peuplée, où nous avons subi une perte d'influence majeure. Ainsi, nous ne sommes que le 27e fournisseur du Vietnam, pays avec lequel nous accusons un déficit de 2 milliards d'euros dans nos échanges, cela nous paraît d'autant plus dommage que nous avons des relations historiques très fortes avec ce pays. Aujourd'hui, le français n'y est même plus parlé... Le Vietnam est-il retenu comme pays cible, en faveur duquel nous pourrions avoir une politique plus dynamique et plus efficace ?
De même pour l'Indonésie, qui est le premier pays musulman du monde, le 4e pays le plus peuplé du monde et qui connaît une expansion très forte, de l'ordre de 5 à 6 %. J'ai aussi l'impression d'un très grand retard de la France dans cette région. J'espère que la nomination de M. Varin comme représentant spécial pour l'ASEAN permettra d'agir pour y remédier. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur ses axes de travail ?
Enfin, je m'interroge sur le caractère restrictif de la politique des visas à destination de ces pays, dont les ressortissants ne viennent pas en France pour immigrer mais, comme touristes, pour dépenser de l'argent dans notre pays.
M. Christian Cambon. - La difficulté à l'exportation des PME est un problème typiquement français, que l'on ne retrouve pas en Espagne, en Italie, en Allemagne, par exemple. Il est légitime de simplifier le dispositif, mais la réponse ne peut venir que de l'État. Il faut que les chefs d'entreprise s'investissent personnellement dans la conquête des marchés et qu'ils aient les moyens de le faire. Pour les accompagner, la région paraît le niveau le mieux adapté, l'Etat intervenant à une échelle trop grande pour identifier les entreprises qui sont prêtes à partir à la conquête de nouveaux marchés.
Il convient également de favoriser le développement du parrainage des petites entreprises par les grands groupes, comme cela se pratique en Allemagne, avec par exemple Volkswagen, qui emmène lors de déplacements à l'étranger des petites entreprises de mécanique. Cela aiderait les PME à s'implanter dans des pays où elles ne peuvent aller seules en raison du coût. Comment pouvez-vous encourager de telles démarches ?
Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger - A propos du tourisme tout d'abord, l'augmentation du budget d'Atout France n'est pas à l'ordre du jour. Si l'on considère les comités régionaux, les comités départementaux du tourisme, Atout France, beaucoup de moyens et d'acteurs sont consacrés au tourisme, mais sans stratégie concertée. C'est pourquoi nous souhaitons nous doter d'une stratégie forte, qui serait partagée par les différents acteurs. Les contrats de destination et les pôles d'excellence s'inscrivent dans cette démarche, qui repose sur une communication commune. Dans le cadre de la loi sur la réorganisation territoriale de l'État, un rôle de chef de file est confié aux comités régionaux du tourisme ; il faudra aussi réorganiser les compétences en fonction de cela. Mais il n'y a pas obligatoirement d'articulation entre la compétence du comité régional du tourisme et la manière dont on communique à l'international. Certaines régions, comme la Bretagne, sont, en quelque sorte, détentrices d'une marque. Mais ne n'est pas le cas de toutes. Il faut essayer de trouver des mots clés, liés aux sites, aux lieux, qui résonnent à l'international. Ainsi, la région Rhône-Alpes ne peut être une marque, en revanche, le terme « Alpes » pourrait l'être.
Sur la question de la taxe de séjour, plusieurs problèmes se posent, concernant son montant, son rendement, son mode de collecte, son assiette... Il y a un enjeu de modernisation et d'affectation. Il faut attendre le résultat des travaux parlementaires en cours pour décider une éventuelle réforme. Je souhaite qu'on le fasse de manière cohérente.
Concernant l'espace méditerranéen, j'ai eu récemment un contact avec mon homologue tunisienne à propos de la réactivation du groupe tourisme du dialogue « 5+5 ». Nous envisageons une réunion au mois de décembre, probablement à Lisbonne, sur le sujet. Nous avons l'ambition de remettre en marche ce groupe de travail dans lequel la France peut, avec la Tunisie, être une force de proposition. La France a une position de pivot à prendre, spécialement dans les domaines diplomatique, économique et politique, compte tenu de son rôle historique. Il faut saisir cette opportunité avant que d'autres ne la saisissent.
Sur la question des visas, nous avons réalisé qu'un certain nombre de pays émetteurs de touristes avaient des difficultés à obtenir des visas. Une expérimentation a été conduite en Chine au mois de mars, visant à délivrer un visa en quarante-huit heures. En avril, les demandes de visas ont augmenté de 40 %, la demande est très élastique. Il a donc été décidé d'élargir cette expérimentation à quatre ou cinq autres pays, tels les pays du Golfe, le Brésil. Les visas rapportent en effet beaucoup d'argent, et nous sommes en train d'examiner comment réaffecter une partie de cet argent au tourisme, par exemple au budget d'Atout France.
Concernant le commerce extérieur, oui, il y a un problème de lisibilité de la gouvernance. S'agissant du dossier santé, je propose que nous en parlions plus tard avec mon cabinet. Pour ce qui est de la « feuille de route » de M. Varin, elle devrait être fixée très prochainement. Le Vietnam est encore un marché petit pour la France, mais nous allons définir nos pays prioritaires dans cette zone d'Asie où la France doit reconquérir des parts de marché.
Le rôle des régions en matière d'internalisation des entreprises est affirmé de manière très claire dans la loi : elles doivent se doter d'un plan régional d'internalisation des entreprises (PRIE) ; ce sont les régions qui sont le mieux à même d'identifier les entreprises, que ce soit les primo exportatrices ou celles qui veulent augmenter leur présence à l'international, et les diriger vers les dispositifs publics d'accompagnement. Un travail est actuellement conduit avec les régions pour identifier 1 000 entreprises de croissance à fort potentiel de développement international, qu'Ubifrance devra accompagner. Ce suivi doit être fait sur plusieurs années, trois à quatre ans, car une année n'est pas suffisante. Sur le rôle de parrainage des grandes entreprises, vous prêchez une convaincue, j'avais commencé à y travailler dans mes précédentes fonctions, en y impliquant le MEDEF et l'AFEP. Il faut davantage de collaboration entre les grandes entreprises et les PME, non seulement pour l'innovation, mais aussi pour l'export.
À titre d'exemple, dans le domaine de la santé, je viens d'inaugurer un dispositif d'accompagnement dans le cadre duquel le G5, groupement professionnel rassemblant les plus grands groupes pharmaceutiques et laboratoires de recherche du secteur, s'est engagé à héberger des PME à l'international, à les faire profiter de conseils, à leur ouvrir des portes.
Un autre exemple concerne l'agroalimentaire en Chine. Les deux plus grosses entreprises françaises de grande distribution, Auchan et Carrefour, représentent à elles seules 250 points de distribution dans toute la Chine. C'est donc un débouché très important pour les entreprises d'agroalimentaire français. Nous avons monté une opération au profit des acteurs de la biscuiterie et de la chocolaterie afin d'inciter à la mise en valeur de leurs produits dans les réseaux de distribution d'Auchan et de Carrefour et leur permettre d'accéder aux clients finals. C'est par ce type d'initiative qu'on peut permettre à des PME d'accéder à des marchés.
M. Yves Pozzo di Borgo. - J'ai l'impression que la politique annoncée diffère peu de la précédente et que votre action veut tout embrasser. Quelle est votre priorité pour le tourisme, d'une part, pour le commerce extérieur, d'autre part ? Je suis surpris de la nomination de M. Varin qui, en tant que PDG de Peugeot, a montré des difficultés à s'adapter à la mondialisation.
M. Robert del Picchia. - Je me félicite des mesures annoncées car il y a dans le monde du tourisme trop d'acteurs qui ne s'entendent pas, il convient d'être directif avec eux. Leur coopération peut être au contraire fructueuse, comme en Autriche, où un accord passé entre Ubifrance et la chambre de commerce a débouché sur quatre investissements créateurs d'emplois en France. Je ne sais pas si le tourisme de masse est rentable, le tourisme de qualité rapporterait peut être plus. Enfin, je signalerai le retour d'un événement « formule 1 » en Autriche, qui se déroule pendant une semaine et rencontre un certain succès.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Vous avez évoqué la fusion d'Ubifrance et de l'AFII, il faut aller plus loin dans le regroupement des acteurs et améliorer le maillage des chambres de commerce à l'étranger, qui sont très présentes dans certaines régions ou pays comme les Etats-Unis et inexistantes dans d'autres, comme le Moyen-Orient ou l'Asie centrale, où les besoins sont importants. Il faudrait également une montée en puissance du dispositif des VIE car l'objectif retenu (9 000 en 2015) est bien timide au regard du nombre déjà existant (8 268) et pourquoi pas envisager un « VIE seniors », qui permettrait de mettre à profit certaines compétences acquises par les seniors ? Par ailleurs, de quelle manière envisagez-vous d'informer et de consulter les nouveaux conseillers consulaires en matière de diplomatie économique ?
M. Gilbert Roger. - En ce qui concerne le projet d'accord de partenariat transatlantique (APT), en cas de non-respect des dispositions de ce traité, les pays signataires pourraient-ils être poursuivis devant des tribunaux arbitraux créés spécialement pour connaître des litiges entre les investisseurs et les Etats et dotés du pouvoir d'infliger des sanctions commerciales ? Dans un tel contexte, les entreprises ne seraient-elles pas en mesure de contrecarrer les politiques de santé, de protection de l'environnement ou de régulation financière mises en place par les Etats en leur réclamant des dommages et intérêts devant des tribunaux non judiciaires ?
M. Christian Poncelet. - La France est un pays forestier, mais une grande partie de notre bois est exporté en vue d'être transformé à l'étranger, avant d'être réimporté. Il faudrait que la matière bois puisse être transformée en France. Le bois transformé offre d'intéressantes perspectives à l'export ; à titre d'exemple, lors d'une visite dans les Vosges, des représentants chinois se montrés intéressés par l'acquisition de chalets en bois, il y a là un marché à prendre pour les entreprises vosgiennes mais pour pouvoir répondre à cette demande, il faudrait qu'elles soient en mesure d'investir pour moderniser leurs équipements.
Mme Éliane Giraud. - Je me félicite que vous mettiez de l'ordre parmi les acteurs du tourisme à l'international. En tant que vice-présidente de la région Rhône-Alpes en charge des transports et des déplacements, j'évoquerai le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin qui est important et structurant : comment faire pour préparer les entreprises à la réalisation de ce projet, afin qu'il soit moteur pour la France et pour la région Rhône-Alpes ? Il pourrait être une opportunité de développement dans des secteurs tels que la mécanique, l'agroalimentaire...
M. Jean-Louis Carrère, Président. - Le projet de traversée centrale des Pyrénées est, du point de vue économique et stratégique, aussi important que le projet Lyon-Turin, dans la mesure où il permettrait de relier la France à la péninsule ibérique et, au-delà, au Maghreb. En ce qui concerne le bois, le pin littoral et le pin des Landes permettent aussi la construction de chalets. En matière agroalimentaire, le marché chinois vient de s'ouvrir au jambon labellisé, ce dont nous nous félicitons. En revanche, la Chine a pris une mesure de déclassement du foie gras dans une catégorie « bas morceaux », ce qui ne permet plus de l'exporter en tant que foie gras. Il faut faire en sorte qu'elle revienne sur cette mesure. Je rappelle à cette occasion que sur les 12 millions de volailles grasses produites chaque année en France, 11 millions sont produites dans les Landes.
Mme Fleur Pellerin - Concernant les exportations, le diagnostic reste le même qu'avant, car cela fait dix ans que la France perd des parts de marché. Mais la différence est qu'à partir de ce diagnostic, nous prenons des mesures concrètes. À titre d'exemple, je viens de lancer un dispositif destiné à accompagner, à la fois financièrement et par du mentorat, les PME du secteur de la santé (médicaments, dispositifs médicaux..), afin de les aider à conquérir de nouveaux marchés. J'ai identifié six secteurs prioritaires dans lesquels je souhaite tout particulièrement accompagner les entreprises et pour lesquels nous allons cibler des zones géographiques prioritaires.
En matière de tourisme, alors que la France est un pays très touristique, nous n'avions jusqu'à présent pas de stratégie. Désormais, nous avons une vraie politique du tourisme fondée sur une approche marketing. Il s'agit de communiquer sur des marques, des destinations, des expériences (cyclotourisme, oenotourisme, gastronomie...) et diversifier la palette d'activités offertes aux touristes afin de les retenir et de leur donner envie de revenir. Concernant le débat tourisme de masse-tourisme de qualité, il faut savoir que l'Espagne, pays de tourisme de masse, gagne plus par touriste que la France. La France n'a pas fait le choix d'un tourisme de masse, mais elle doit tout mettre en oeuvre pour augmenter la dépense par touriste. Elle a des atouts à faire valoir. Ainsi, dans le cadre du pôle d'excellence « montagne » qui va être mis en place, nous pouvons communiquer sur la fraîcheur et l'air pur de nos montagnes en direction des pays du Golfe où il faut très chaud l'été, ou encore de la Chine, qui souffre des problèmes liés à la pollution. En ce qui concerne les grands événements sportifs, nous aurons l'occasion de faire des annonces, de même que s'agissant du tourisme d'affaire ou encore du tourisme mémoriel, ce sont des thèmes très mobilisateurs.
En ce qui concerne la gouvernance du commerce extérieur, il existe une concurrence entre Ubifrance et les chambres de commerce dans certains pays, nous avons conscience qu'il faut rationaliser ce réseau, notamment dans les pays cibles de la stratégie que nous avons définie. S'agissant des VIE, l'objectif est bien de 9 000 et je note l'idée d'un VIE seniors. Concernant les conseillers consulaires, il reviendra aux ambassadeurs de les solliciter au plan local. Pour ce qui est du secteur de la transformation du bois, le ministre de l'agriculture et moi l'avons identifié dans nos discussions comme un enjeu pour l'export. S'agissant du projet Lyon-Turin, il faut effectivement qu'on y travaille, je dois évoquer la question avec Louis Besson (président français de la commission intergouvernementale pour la liaison Lyon-Turin).
Enfin, à propos du partenariat transatlantique, il faut savoir que la France applique déjà des dispositifs de règlement des différends de ce type dans le cadre d'accords bilatéraux de protection des investissements, ce qui s'avère utile pour nos entreprises lorsque la justice commerciale n'offre pas assez de garanties dans les pays où elles sont implantées. Les négociations sur ce point sont actuellement suspendues parce que plusieurs Etats membres considèrent qu'un tel mécanisme de règlement des différends n'est pas nécessaire avec un pays comme les Etats-Unis. À la demande de la France et de l'Allemagne, la Commission européenne a lancé une consultation sur ce sujet, dont les résultats sont attendus d'ici la mi-juillet. La Commission en tirera des conclusions pour ses discussions avec les Etats-Unis. Le mécanisme de règlement des différends implique effectivement un tribunal arbitral, qui est une instance indépendante. L'enjeu de la négociation est de définir la composition et les modalités de fonctionnement de cette instance afin d'assurer son impartialité. La ligne rouge, pour nous, est que ce type de mécanisme ne doit pas remettre en cause la capacité souveraine des Etats à légiférer. Nous y veillons beaucoup, cela constitue un point dur dans les négociations.
Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 - Compte rendu du contrôle sur pièces et sur place sur les prévisions de ressources exceptionnelles de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président. - Daniel Reiner et Jacques Gautier, en leur qualité de rapporteurs du programme 146 « Équipement des forces », et moi-même, en collaboration avec nos collègues députés, nous avons effectué un contrôle sur les prévisions de ressources exceptionnelles - les « REX » - de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019. Ce contrôle a été entrepris sur le fondement de l'article 7 de la LPM, dont il constitue un premier cas d'application. Comme vous vous en souvenez, ces dispositions ont été introduites à l'initiative de notre commission ; elles nous permettent désormais de procéder, pour le suivi et le contrôle de l'application de la programmation militaire, à toutes les auditions et investigations « sur pièces et sur place » que nous jugeons utiles, tant auprès du ministère de la défense et des organismes qui lui sont rattachés qu'auprès des ministères chargés de l'économie et des finances.
Notre contrôle s'est déroulé en deux temps. Le 17 juin dernier, les deux Rapporteurs et moi, nous nous sommes rendus à Bercy, auprès du secrétariat d'État chargé du budget ; notre délégation a été rejointe par trois de nos collègues députés : Patricia Adam, présidente de la commission de la défense, Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour celle-ci du programme 146, et François Cornut-Gentile, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Défense ». Nous avons auditionné le secrétaire d'État, M. Christian Eckert, et le directeur du budget, M. Denis Morin. Le 3 juillet, c'est-à-dire la semaine dernière, Daniel Reiner et Jacques Gautier se sont déplacés à Bagneux, dans les locaux de la direction générale de l'armement (DGA), où ils ont retrouvé leur homologue de l'Assemblée nationale, notre collègue Jean-Jacques Bridey précité. Ce déplacement leur a permis d'auditionner le délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon ; ils ont évoqué avec lui la situation de plusieurs programmes d'armement, en particulier les programmes MRTT et Scorpion, mais ils ont aussi recueilli des informations actualisées sur les prévisions de REX.
Sur la forme, l'ensemble des éléments fournis par la direction du budget et par la DGA permet de répondre d'une manière globalement satisfaisante aux questions que nous leur avions soumises. Les documents qui nous ont été remis font en effet le point, de façon précise, et apparemment de façon sincère, sur l'état des informations et des réflexions du Gouvernement en matière de REX.
Sur le fond, je voudrais d'abord procéder à quelques rappels des prévisions de la LPM que nous avons votée en décembre 2013.
Comme vous le savez, la programmation militaire doit bénéficier, pour l'ensemble de la période 2014-2019, d'un financement à hauteur de 190 milliards d'euros : 183,9 milliards d'euros doivent provenir de crédits budgétaires et 6,1 milliards d'euros doivent provenir des REX. La nature de ces REX se trouve détaillée dans le rapport annexé à la LPM. Il s'agit du plan d'investissements d'avenir - le « PIA » -, financé par la cession de participations de l'État dans des entreprises publiques, des produits de cessions immobilières réalisées par le ministère de la défense, des redevances versées au titre des cessions de fréquences hertziennes déjà intervenues, du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz et enfin, « le cas échéant », du produit de cessions additionnelles de participations dans des entreprises publiques.
Ces ressources exceptionnelles se trouvent concentrées sur le début de la programmation, puisque 4,8 milliards d'euros, soit près de 80 % des REX, sont prévus sur les trois premières années d'exécution de la LPM, entre 2014 et 2016. En 2014, les REX sont principalement issues du PIA. En 2015 et 2016, l'essentiel doit provenir de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz, dont le produit devrait représenter 90 % des REX en 2015 (1,55 milliard d'euros) et 80 % en 2016 (1,02 milliard d'euros).
Or, à cet égard, notre contrôle révèle qu'il y a matière à s'inquiéter - ou, du moins, il le confirme, et étaye ainsi nos inquiétudes, car nous nous doutions bien, lorsque nous avons décidé de mener ces investigations, de la difficulté de réunir les REX conformément aux prévisions. Les Rapporteurs vont présenter en détail les résultats de ces investigations. Je voudrais d'abord en donner une vue synthétique.
Pour 2014, les informations que nous avons collectées ne paraissent justifier, du moins à ce stade, qu'une préoccupation « raisonnable ». En effet, le niveau de REX prévu par la LPM pour cette année, soit 1,77 milliard d'euros, devrait être atteint sans difficulté, et même dépassé. D'une part, on devrait disposer d'au moins 1,75 milliard d'euros pris sur le PIA, dont 1,5 milliard d'euros voté en loi de finances initiale et 250 millions d'euros inscrits dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR) - texte voté par l'Assemblée nationale le 1er juillet et actuellement en cours d'examen au Sénat -, au titre de l'activation de la clause de sauvegarde prévue par l'article 3 de la LPM. D'autre part, les recettes de cessions immobilières du ministère de la défense d'ores et déjà réalisées aujourd'hui s'élèvent à plus de 190 millions d'euros.
Cela dit, pour cette année, notre vigilance reste de mise à l'égard de deux points au moins. Il s'agit, en premier lieu, de la difficulté que rencontre le ministère de la défense pour identifier de nouveaux projets susceptibles de bénéficier du PIA, compte tenu des critères d'éligibilité à ce programme. Or cette identification de nouveaux projets paraît représenter la condition de l'ouverture de la seconde tranche de 250 millions d'euros que devrait permettre la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde de l'article 3 de la LPM. En second lieu, il s'agit de la régularisation budgétaire qui interviendra, comme chaque année, en fin d'exercice, et qui risque de relativiser l'excédent de REX, compte tenu notamment du financement interministériel du surcoût des opérations extérieures - les « OPEX ». Ce surcoût, en effet, est actuellement anticipé comme devant atteindre, au 31 décembre 2014, de 0,77 à 1,2 milliard d'euros, contre une provision budgétaire de 450 millions d'euros seulement en loi de finances initiale.
Mais la véritable inquiétude concerne les exercices suivants, et tout particulièrement l'année 2015. En effet, il paraît désormais certain que la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz, pour des raisons d'ordre technique et économique à la fois, ne pourra pas avoir lieu avant, au mieux, la fin 2015. Il manquerait donc, au moins, 1,5 milliard d'euros de REX en 2015 ; et il n'est pas assuré que cette ressource soit disponible, en 2016, au niveau prévu d'un milliard d'euros.
L'année prochaine s'annonce, de la sorte, extrêmement critique, car au défaut des REX devrait s'ajouter un report de charges de la mission « Défense » anticipé, pour la fin 2014, à hauteur de 3,3 à 3,4 milliards d'euros, dont 2,4 milliards sur le programme 146. Les objectifs capacitaires de la LPM, et ceux de notre base industrielle et technologique de défense, pourraient se trouver gravement compromis par cette situation. D'ailleurs, dans ce contexte d'incertitude, la DGA, depuis mai dernier, a déjà gelé ses engagements, notamment pour les programmes M51-3 et Barracuda ; et le lancement des programmes MRTT et Scorpion reste en attente.
Des propositions de solutions ont été avancées par le ministère de la défense. Elles consistent dans la capitalisation, à partir du produit de cessions de participations financières de l'État, d'une société « ad hoc », qui achèterait le matériel militaire en vue de le louer au ministère, suivant un mécanisme dit de « sale and lease back ». Mais ces propositions se heurtent pour le moment, vu du ministère chargé des finances, à l'inconvénient d'une dégradation de l'endettement public que le dispositif impliquerait, du fait des règles comptables d'Eurostat.
Une mission administrative, conduite par l'Inspection générale des finances (IGF) et lui associant l'Agence des participations de l'État, le Contrôle général des armées et la DGA, a été mise en place le 13 juin dernier, en vue de proposer des scénarios permettant de garantir un niveau de REX suffisant, dès 2015, qui resteraient neutres pour les comptes publics. Cette mission a émis dans son rapport d'étape, le 30 juin, un avis « très défavorable » au projet du ministère de la défense. Cependant, pour l'heure, aucune autre solution ne se fait jour. La mission doit rendre son rapport final avant le 15 juillet prochain. Il faut en espérer des propositions constructives ! Notre commission sera particulièrement vigilante pour exiger qu'une solution soit trouvée et que l'intégralité de la LPM soit respectée.
M. Daniel Reiner, rapporteur. - Le Président Carrère a rappelé le modus operandi de notre contrôle et il vient d'en présenter, en synthèse, les résultats. Les perspectives qui s'en dégagent - et surtout l'absence de perspectives, en tout cas en ce qui concerne l'année 2015 - ne laissent pas de préoccuper les rapporteurs du programme 146, comme elles préoccupent la DGA.
Je rappelle, en effet, que la programmation des REX sur la période 2015-2017, soit 3,9 milliards d'euros, correspond à environ 20 % de l'ensemble des crédits prévus pour les principaux programmes d'armement sur ces trois années. Que se passera-t-il si, en 2015, faute de mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz, il manque 1,5 milliard d'euros, alors même que le report de charges, comme cela a été indiqué, fait l'objet d'une évaluation, pour la fin 2014, de 3,3 à 3,4 milliards d'euros, dont les deux tiers sur le programme destiné à l'équipement des forces ? La réponse est déjà donnée par l'attitude de prudence de la DGA, qui a stoppé ses engagements, pour les programmes M51-3 et Barracuda notamment, en attendant d'y voir plus clair. Ce gel, bien sûr, s'il devait se prolonger, comporterait des conséquences, tant pour le développement de nos capacités stratégiques que pour le maintien de l'activité des bureaux d'étude et, entre autres, celle des sous-traitants. Les petites et moyennes entreprises, à Eurosatory, se sont déjà faites l'écho, auprès de nous, des inquiétudes du secteur.
C'est pourquoi je crois que notre commission doit exprimer le maintien de la mobilisation parlementaire à cet égard, dans la perspective notamment des débats qui se tiendront à l'automne prochain sur le projet de loi de finances pour 2015 et sur le budget triennal pour les années 2015-2017. Pour l'instant, je m'attacherai à présenter en détail la situation des prévisions de REX à venir du PIA et des produits de cessions immobilières.
La LPM prévoit que le budget de la défense bénéficie d'une partie du nouveau PIA qui a été annoncé en juillet 2013 par le Premier ministre et qui est financé, notamment, par le produit de cessions de participations de l'État dans des entreprises. À cet effet, le programme 402, qui constitue la déclinaison du PIA pour la mission « Défense », a été créé par la loi de finances initiale pour 2014 et a été doté de 1,5 milliard d'euros. À cette première dotation, le PLFR en cours d'examen au Sénat prévoit d'ajouter 250 millions d'euros. Ces nouveaux crédits sont intégralement financés par un redéploiement des crédits disponibles du premier PIA.
Cette dernière mesure, comme l'a signalé le Président Carrère, constitue une mise en oeuvre de la clause de sauvegarde prévue par l'article 3 de la LPM. Je rappelle que cette disposition permet d'augmenter le montant des REX, dans la limite de 500 millions d'euros, si la soutenabilité financière de la trajectoire des investissements de la défense apparaît compromise avant la première actualisation de la programmation - une actualisation que la LPM prévoit comme devant intervenir « avant la fin de l'année 2015 ». L'activation de cette sauvegarde est consécutive aux annulations de crédits prévues par le PLFR pour la mission « Défense », à hauteur de 350 millions d'euros, au titre de l'effort de l'ensemble des ministères en faveur des finances publiques - soit 1,6 milliard d'euros, hors réduction de la charge de la dette -, dont la mission « Défense » assume ainsi le cinquième.
Pour le ministre de la défense, suivant les propos qu'il a tenus devant notre commission lors de son audition du 24 juin dernier, le principe est acquis de l'attribution de 500 millions d'euros supplémentaires à son budget. Une seconde tranche de 250 millions d'euros devrait donc être ouverte, a priori en 2014. Cependant, du point de vue de la direction du budget, tel qu'il a été exprimé lors du contrôle, cette nouvelle ouverture de crédits se trouve subordonnée à la possibilité d'une imputation sur les dépenses du PIA, par un redéploiement qui resterait sans impact, en particulier, sur le déficit et la dette publics au sens « maastrichien ».
Or cette imputation s'avère problématique, compte tenu des critères d'éligibilité au PIA. En effet, ces critères, notamment, prohibent l'autofinancement et imposent donc de recourir à des opérateurs de l'État. De ce fait, en ce qui concerne la mission « Défense », le PIA, en pratique, ne peut financer que des programmes pris en charge soit par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), soit par le Centre national d'études spatiales (CNES). Actuellement, avec 1,5 milliard d'euros en loi de finances initiale augmentés de 250 millions d'euros dans le PLFR, l'ensemble des projets du CEA et du CNES qui pouvaient prétendre à être financés par le PIA paraît avoir déjà été couvert.
Des réflexions sont en cours, cependant. Le ministère de la défense cherche d'abord à permettre la complète application de la clause de sauvegarde, par l'ouverture de 250 millions d'euros à nouveau, d'ici la fin de l'année 2014. On prospecte également un moyen pour pallier le décalage de calendrier prévu pour l'encaissement du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences hertziennes des 700 MHz. Mais, pour le moment, ces réflexions paraissent peu fructueuses.
En premier lieu, la DGA tente d'identifier, au CNES et au CEA, de nouveaux programmes innovants éligibles au PIA. On a cherché du côté du projet MUSIS, qui tend à réaliser le futur système européen d'observation spatiale militaire, et qui se trouve déjà bénéficiaire du PIA. On a cherché, d'autre part, du côté des travaux sur le sous-marin nucléaire Barracuda. Ces deux éléments, s'ils venaient à être inscrits au PIA, ne représenteraient, au total, qu'un montant de 191 millions d'euros ; mais ce serait déjà cela...
En second lieu, les possibilités de réviser le statut de la DGA, en la dotant de la personnalité morale, sont actuellement à l'étude. Cette nouvelle organisation pourrait permettre à la DGA, devenue opérateur de l'État, de mettre en oeuvre elle-même les ressources du PIA. La piste fait partie de celles qu'étudie la mission pilotée par l'IGF, citée tout à l'heure par le Président Carrère. Mais la réflexion, à cet égard, semble peu avancée. À preuve, le document qui a servi de support à la présentation à Matignon, le 1er juillet dernier, du rapport d'étape de la mission : sous un intitulé « Le changement de statut de la DGA », la page est restée blanche...
En conclusion sur ce point, sauf propositions de cette mission dans son rapport attendu pour le 15 juillet prochain, il paraît peu probable que les ressources du PIA alimentent les REX au-delà des 1,75 milliard d'euros aujourd'hui prévus pour 2014.
J'en viens à présent aux recettes immobilières. Comme vous le savez, la LPM prévoit que l'intégralité du produit des cessions immobilières réalisées sur la période de 2014 à 2019 par le ministère de la défense sera reversée au budget de celui-ci.
Pour 2014, lors du vote de la loi de finances initiale, on escomptait 206 millions d'euros de recettes en la matière. Il n'y a plus guère d'inquiétude à cet égard : les ressources immobilières prévues pour le ministère de la défense, cette année, paraissent devoir être au rendez-vous au niveau attendu, et même au-delà. En effet, à la date du 17 juin dernier, lors de notre déplacement à Bercy, 192 millions d'euros étaient déjà acquis. Il faut d'ailleurs souligner que, sur ce total, 137 millions d'euros résultent de la vente de l'ensemble dit « Penthemont-Bellechasse », situé rue de Bellechasse, à Paris, dans le VIIe arrondissement. Cette opération a constitué une réussite financière, puisque le site avait été estimé à 77 millions d'euros, soit 60 millions de moins que le prix finalement réalisé. Il est vrai que le ministère, d'ici son déménagement prévu en juin 2015, devra acquitter au nouveau propriétaire un loyer de l'ordre de 6,5 millions d'euros.
Pour 2015 et 2016, en revanche, un aléa demeure si l'on considère les trois cessions majeures, toutes à Paris, qui sont envisagées. La caserne de la Pépinière, rue Laborde, dans le VIIIe arrondissement de la capitale, sera cédée sur le marché. L'hôtel de l'Artillerie, place Saint-Thomas d'Aquin, dans le VIIe arrondissement, dont l'acquisition intéresse SciencesPo, pourrait perdre de sa valeur du fait de l'obligation de réaliser des logements sociaux, comme le plan de sauvegarde et de mise en valeur de l'arrondissement, en cours d'élaboration, devrait l'imposer. Enfin, l'îlot dit « Saint-Germain », situé dans le VIIe arrondissement également, qui donne à la fois sur la rue Saint Dominique, la rue de l'Université et le boulevard Saint-Germain, et qui constitue un ensemble exceptionnel - plus de 50.000 m2 de superficie de plancher, sans compter des sous-sols qui paraissent valorisables -, fait également l'objet d'estimations variables, selon les hypothèses du taux de logements sociaux obligatoires. Du reste, la détermination du périmètre de cette cession est encore à arrêter.
M. Yves Pozzo di Borgo. - La Ville de Paris, si elle donne suite à ses intentions de réaliser des logements sociaux sur ces sites, risque de faire perdre beaucoup d'argent au budget de la défense !
M. Daniel Reiner, rapporteur. - En tout cas, il serait optimiste de croire que toutes les REX immobilières prévues par la LPM pour 2015 et 2016 sont assurées. Les bonnes surprises, comme celle de la vente de l'ensemble « Penthemont-Bellechasse », sont toujours possibles, mais elles ne sont pas garanties ! Or les deux prochaines années, notamment 2015, on l'a dit, constituent une période critique, compte tenu de l'indisponibilité d'ores et déjà anticipée des recettes hertziennes. Mais je laisse à notre collègue Jacques Gautier le soin d'exposer cet aspect.
M. Jacques Gautier, rapporteur. - Comme nous le savons depuis notre vote sur la LPM 2014-2019, ce texte repose sur une trajectoire financière fragile, qui fait le pari que seront au rendez-vous, d'un côté, les REX et, d'un autre côté, les exportations d'armements. Je ne m'attarderai pas, ici, sur ce second point.
Pour ce qui concerne les REX, l'exercice 2014 ne paraît pas trop inquiétant, mais il en va tout différemment des exercices suivants, et particulièrement de 2015, pour lesquels se pose le problème du défaut annoncé des recettes liées aux fréquences hertziennes.
En la matière, comme cela a été rappelé, la LPM prévoit l'affectation au budget de la défense, d'une part, du produit des redevances versées, par les opérateurs privés, au titre des cessions déjà réalisées - ce qui concerne notamment les fréquences utilisées par la technologie « 4G » -, et, d'autre part, les recettes attendues de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz, aujourd'hui attribuée aux chaînes de télévision et qui devrait l'être, dans l'avenir, à la téléphonie mobile.
S'agissant des redevances des fréquences déjà cédées, l'encaissement de 11 millions d'euros a été prévu dans la loi de finances initiale pour 2014. Cette prévision est conforme au plus raisonnable scénario de déploiement des opérateurs dans les bandes « 4G », établi par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), soit un déploiement linéaire jusqu'au 1er janvier 2020. Cependant, la récupération de ces 11 millions d'euros reste subordonnée aux modalités de calcul des redevances dues, par les opérateurs, sur leur chiffre d'affaires lié à l'utilisation de la technologie 4G, et à celles de la perception des redevances, que doivent déterminer l'ARCEP et la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS). Sous la même réserve, le produit des redevances hertziennes reçu au titre de REX pour l'exécution de la LPM est aujourd'hui prévu pour s'établir, en 2015, à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros et, en 2016, d'une trentaine de millions d'euros.
S'agissant de la mise aux enchères de la bande des 700 MHz, l'avenir dépend des décisions que doit prendre la Conférence mondiale des radiocommunications programmée en novembre 2015. Dans ce cadre, deux questions fondamentales doivent être tranchées : à partir de quand l'usage des fréquences de la bande des 700 MHz sera-t-il autorisé, en Europe, pour la téléphonie mobile, et sur quelle largeur de spectre de fréquences exactement cette autorisation sera-t-elle donnée ? Une fois ces aspects réglés par la Conférence mondiale, le choix de chaque État concerné, y compris celui de la France, se trouvera encore contraint par le choix des pays frontaliers, compte tenu de possibles effets de brouillage tant que les fréquences en cause seront utilisées, dans ces pays, pour la télévision.
Les recettes de ce transfert de fréquences au secteur des télécoms, ainsi que l'a souligné le Président Carrère, constituent l'essentiel des prévisions de REX pour la mise en oeuvre de la LPM dans les années 2015 et suivantes : elles en représentent de 80 à 90 % entre 2015 et 2017 et, notamment, 1,5 milliard d'euros en 2015. Or, dans le contexte international précité, et compte tenu notamment de la nécessité technique de réaménager les fréquences aujourd'hui occupées par la télévision, l'Agence nationale des fréquences, au début de l'année 2013, a estimé que la mise aux enchères de la bande des 700 MHz, pour la réattribution de celle-ci à la téléphonie mobile, ne pourrait pas intervenir avant 2017. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, de même, considère que trois ans sont nécessaires pour libérer les fréquences. Une note émanant du ministère de la culture et de la communication, en juin 2013, a même retenu l'hypothèse de cette libération, par la télévision, en 2019 seulement. Les documents que nous avons recueillis font apparaître que la direction du budget était informée et consciente de ces estimations de calendrier dès le premier trimestre 2013.
À la même époque, le ministère délégué chargé de l'économie numérique, relevant du ministère du redressement productif, a envisagé une mise aux enchères de la bande des 700 MHz avant la disponibilité effective de celle-ci pour la téléphonie mobile. Mais ce projet s'est heurté à l'analyse de la direction du budget, qui a fait valoir les difficultés juridiques et techniques soulevées par une opération tendant à anticiper, d'une part, sur la décision de la Conférence mondiale de novembre 2015 et, d'autre part, sur la libération réelle des fréquences, eu égard au problème des pays frontaliers. En outre, une mise aux enchères avant que les fréquences soient disponibles ferait courir le risque de moindres recettes de cession. Dans la conjoncture économique actuelle du secteur, en cours de consolidation, il est estimé, au demeurant, que les opérateurs de téléphonie n'ont ni l'appétence, ni les moyens, d'investir dans de nouvelles fréquences.
Le lancement de la procédure d'attribution de la bande des 700 MHz n'a pas encore été décidé. La Conférence mondiale devant se tenir en novembre 2015, il faudra sans doute attendre au moins la fin de l'année 2015 pour procéder à la mise aux enchères.
En vue de remédier à ce décalage d'encaissement des produits de cessions hertziennes et à la rupture d'alimentation des REX qu'il induit en 2015 voire en 2016, le ministère de la défense, dès la préparation de la LPM, a esquissé un scénario prévoyant de mobiliser le produit de cessions de participations dans des entreprises publiques. Ce scénario tient compte du fait que la LOLF, en principe, interdit que des cessions de participations financières de l'État couvrent les dépenses de missions du budget général. Le dispositif consisterait d'abord à vendre des titres détenus par l'État puis à investir dans une société « ad hoc », également appelée « société de projet » ou « SPV » (pour « special purpose vehicle ») ; la société ainsi dotée réaliserait l'achat des équipements militaires nécessaires, et les louerait au ministère de la défense, jusqu'à ce que la disponibilité des ressources provenant de la cession de fréquences autorise le rachat des équipements par le ministère.
Ce schéma de « sale and lease back » imite des modèles de mise à disposition de matériel en usage dans le secteur privé. Il pourrait être répété sur plusieurs véhicules : ont ainsi été envisagés, à ce jour, non seulement une société d'objet général, mais aussi deux entités spécifiques, la première pour la location de frégates et la seconde pour la location d'avions A 400 M.
De la sorte, il serait possible de sécuriser le niveau des ressources prévu par la LPM pour 2015 et 2016, et donc la trajectoire de dépenses pour l'équipement des forces. Toutefois, dès le mois de mars 2013, la direction du budget s'est montrée réticente à l'égard de la proposition du ministère de la défense, pour l'essentiel dans la mesure où celle-ci, du fait des règles comptables d'Eurostat, conduirait à dégrader la dette et le déficit publics.
En effet, d'un côté, le type de société « ad hoc » envisagé, compte tenu de ses caractéristiques probables - nécessaire contrôle par l'État, activité ne s'inscrivant pas sur un marché -, devrait être considéré, en comptabilité nationale, comme relevant de la catégorie des administrations publiques (« APU »). Or la valeur totale des équipements militaires qui serait achetés par cette nouvelle administration, en vue de les louer au ministère de la défense, devrait être comptabilisée en dépense, au sens « maastrichien », alors que le produit de la cession de participations financières ayant permis la dotation de la ou des sociétés, au plan comptable, ne pourrait être traité en recette, et donc ne pourrait venir équilibrer ladite dépense.
D'un autre côté, dans la mesure où Eurostat considère que les locations d'équipement militaire constituent, au sens comptable, des locations financières, lesquelles impliquent, dès la mise à disposition des équipements en cause, la contraction d'une dette par le bailleur, la location par le ministère de la défense du matériel acquis par la ou les sociétés de projet, chaque année de location, impacterait la dette publique. Le mécanisme affecterait également la norme de dépense de l'État puisque, pour financer le loyer du matériel, une dépense budgétaire devrait être engagée à partir de la mission « Défense ». Ce dispositif, en outre, pourrait comporter le risque de renchérir les taux d'intérêt auxquels l'État français emprunte sur le marché.
La mission que conduit l'IGF se trouve désormais chargée de proposer des scénarios alternatifs pour dégager les ressources suffisantes à l'exécution de LPM, en attendant que le produit des cessions hertziennes puisse être encaissé, tout en veillant à ménager l'état de nos comptes publics. La date de création de cette mission « de crise », le 13 juin dernier, paraît d'ailleurs bien tardive, pour résoudre une difficulté majeure dont les paramètres s'avèrent identifiés depuis le premier trimestre 2013 au moins, et dont les enjeux sont clairement posés depuis le bouclage financier de la LPM... Je rappelle que le projet de cette loi a été déposé au Sénat en août 2013 et voté en décembre 2013 par le Parlement !
La mission, comme cela a été indiqué, a déjà émis un avis fortement défavorable au montage proposé par le ministère de la défense. Elle a en effet relevé les nombreuses impasses du dossier, sous les aspects juridique, comptable et économique. Je rejoins le Président de notre commission pour dire qu'il est impératif, à présent, que des contre-propositions plus constructives émanent du travail de cette mission, d'ici son rapport final attendu pour le 15 juillet prochain. Mais ne faudrait-il pas, aussi, envisager d'avancer la première actualisation de la LPM ?
M. Christian Cambon. - Je tiens à féliciter nos collègues pour l'initiative de ce contrôle « sur pièces et sur place ». Leur travail met en lumière les incertitudes qui pèsent sur la trajectoire financière prévue par la LPM. Celles qui concernent les recettes hertziennes sont importantes ; mais celles qui touchent à l'immobilier le sont également. Sans même évoquer l'obligation de réaliser du logement social, qui déprécie la valeur des biens à vendre, il ne faut pas perdre de vue que le parc immobilier du ministère de la défense est un patrimoine en mauvais état.
Dans ce domaine, je m'interroge sur la pertinence de conserver l'hôtel de Brienne dans la propriété de l'État. Puisque la France disposera bientôt, sur le site Balard, de son « Pentagone », ne faut-il pas être plus conséquent ? Je crois qu'un ministre doit se trouver auprès de son administration, et l'hôtel de Brienne serait sans doute l'objet d'une vente profitable pour le budget de la défense.
M. Jeanny Lorgeoux. - La notion même de REX implique une certaine incertitude. De fait, on constate aujourd'hui qu'en 2015, et au-delà peut-être, le produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz ne sera pas disponible. Nous voici confrontés à nos responsabilités politiques !
Le système de « sale and lease back » proposé par le ministère de la défense en guise de parade au décalage de calendrier de l'encaissement des recettes hertziennes, c'est tout bonnement le recours à de l'endettement. Il n'y a peut-être pas d'autre solution, si l'on veut tenir les objectifs stratégiques et industriels de la LPM sur la période 2014-2019 ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous savons depuis le début que la trajectoire de cette LPM est particulièrement précaire. Le rôle de notre commission me paraît être de soutenir l'équilibre financier qui a été voté avec ce texte, et d'éviter l'arrêt des programmes d'armement. Autrement, le ministre de la défense ne pourra pas garantir un format d'armée qui permette au Président de la République de mettre en oeuvre ses ambitions stratégiques pour la France. Nous ne pouvons donc pas accepter un décalage dans la programmation des ressources de la mission « Défense ». Il en va du rang de notre pays sur la scène mondiale, et du devenir de nos industries.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Pour trouver les meilleures solutions au problème du différé d'encaissement des ressources hertziennes et au manque de REX nécessaires pour la mise en oeuvre de la LPM, je pense que la mission pilotée par l'IGF devra s'appuyer sur l'analyse du Contrôle général des armées.
M. Gilbert Roger. - Il était temps que le Gouvernement se préoccupe de ce problème ! J'espère que les difficultés techniques décrites par nos collègues rapporteurs ne lui serviront pas de prétexte pour revoir à la baisse les objectifs de la LPM, d'ici à 2019...
M. Jacques Gautier, rapporteur. - Le coût du travail dans les entreprises françaises représente une difficulté supplémentaire. Quand le coût horaire moyen d'un employé, au sein de tel grand groupe industriel, est de 58 euros en France ou de 57 euros en Allemagne, il n'est que de 28 euros en Espagne et de 18 dollars, aux États-Unis, dans l'Alabama.
M. Daniel Reiner, rapporteur. - La LPM a été votée. Une difficulté se présente aujourd'hui pour l'application de cette loi : il appartient au Gouvernement d'en proposer les voies de résolution.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je propose qu'un communiqué de presse soit diffusé, au nom de notre commission et en concertation avec nos collègues députés membres de la commission de la défense, témoignant de notre vigilance commune quant aux solutions que le Gouvernement devra, en effet, trouver, en vue d'assurer le plein respect de la LPM sur la période 2014-2019 et d'atteindre les objectifs, tant capacitaires qu'industriels, qui lui sont attachés.
La réunion est levée à 18 h 45.
Mercredi 9 juillet 2014
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -La réunion est ouverte 9 h 30
Evolutions stratégiques des Etats-Unis : quelles conséquences pour la France et pour l'Europe ? - Examen du rapport d'information
M. Jean-Louis Carrère, président. - Chers Collègues, marqués par un engagement militaire important - le plus important depuis le Vietnam - en Afghanistan et en Irak, par une crise économique sans précédent depuis la Grande Dépression des années 1930 et par une division politique profonde, les États-Unis doutent.
La chute du mur de Berlin les avait laissés seuls, sans adversaire à leur taille et surtout sans adversaire proposant une autre vision du monde. D'aucun parlait d'un monde unipolaire et d'un hégémon américain fondé sur les principes de l'économie libérale et les droits de l'homme, sur la puissance du dollar et sur une force militaire qui gendarmerait le monde.
Le 11 septembre 2001, la réalité d'une menace asymétrique, non étatique, a été douloureusement perçue, suscitant une réaction vigoureuse, surdimensionnée peut-être, pour réaffirmer la force des États-Unis, mais cette réaction les a affaiblis sur le plan humain, sur le plan moral, sur le plan militaire et sur le plan économique.
D'où cette volonté du président Obama de reconstruire la Nation et, dans un second temps, de penser à l'expression de son rôle sur la scène internationale, à sa mission et aux modalités d'usage de sa force.
Dans ce contexte, il offre une vision renouvelée du rôle des États-Unis sur le plan international. Vision renouvelée mais loin d'être partagée. Celle d'un président en proie aux critiques d'un Congrès polarisé comme jamais. Une vision encore un peu floue, qui se dessine à travers des déclarations, des documents et des actes, mais qui, surtout, doit composer avec la réalité brutale de l'actualité internationale au prix de nombreuses contradictions et avec l'inertie propre aux énormes appareils diplomatique et de défense américains. Vision qui contraste avec celle à laquelle nous avait habitués la présidence de George. W. Bush, celle d'un interventionnisme musclé avec l'envoi de corps expéditionnaires nombreux, stratégie dont les résultats en Afghanistan, comme en Irak, sont pour le moins mitigés.
Cette vision, nous la présentons telle que nous l'avons perçue à travers les entretiens que nous avons conduits à Washington, à Norfolk et à Paris.
Dans un monde multipolaire qui se construit progressivement, les États-Unis redéfinissent leur place - une place compatible avec l'émergence d'autres puissances en devenir - et leur rôle : la « Nation indispensable » pour préserver la paix, prévenir les conflits et assurer la liberté de circulation qui doit influer par sa diplomatie, nouer des alliances, prendre part à la construction d'un droit international, mais qui ne peut tout faire : aux États concernés par les conflits et les crises d'assurer premièrement et pleinement leurs responsabilités. Les États-Unis n'ont pas renoncé à intervenir dans le monde, mais de façon plus réaliste, moins idéologique ; ils n'ont pas renoncé à façonner le monde mais par l'influence plus que par la force. Barack Obama dans son discours de West Point le 28 mai dernier ne déclarait-il pas : « avoir le meilleur marteau ne signifie pas que nous devons considérer tous les problèmes comme des clous ».
Enfin, le rééquilibrage des modes d'action se combine au rééquilibrage des priorités géographiques qui confirme une réorientation progressive vers l'Asie et le Pacifique. Les États-Unis prêteront plus d'attention et alloueront davantage de moyens à cette zone, ce qui ne signifie pas qu'ils se désintéresseront des autres parties du monde, notamment de celles où ils sont engagés.
Certains critiquent cette nouvelle attitude comme l'aveu d'une faiblesse qui enhardira les adversaires et dès lors inquiètera les partenaires et alliés. C'est sans doute tragiquement vrai sur le court terme. Il est moins sûr que cela le soit sur le long terme, car les États-Unis restent puissants et disposent d'autres moyens que la force brutale pour assouplir ce qui est raide et rendre droit ce qui est tordu. Mais il est vrai que la survenance de crises et la nécessité de les résoudre obligent parfois à des retours en arrière et à des contradictions par rapport à la vision initiale, l'impasse irakienne en fournit un édifiant exemple.
Confrontés à ces changements, les partenaires et alliés des États-Unis doivent se poser trois questions auxquelles nous essaierons de répondre au terme de cette analyse. Ce changement porté par le président Obama et son équipe est-il pérenne ? Quelles conséquences faut-il en tirer pour ajuster notre diplomatie et notre outil militaire ? Comment faire évoluer, dans ce contexte, nos alliances qu'il s'agisse de l'Union européenne et de l'OTAN ?
M. Robert del Picchia. - Les États-Unis ont payé un lourd tribut tant en vies humaines que sur le plan économique à leurs engagements en Irak et en Afghanistan. 2 500 000 hommes ont été déployés. Plus de 6 800 morts et de 52 000 blessés ont été dénombrés, sans compter les conséquences post-traumatiques sur les soldats concernés. De surcroît les deux guerres ont été financées par l'emprunt. Entre la charge des pensions et d'assistance médicale aux vétérans et celle de la dette, l'Amérique n'en a pas fini de payer un engagement dont le coût global se chiffre en milliers de milliards de dollars.
En outre, l'enchaînement des crises financières de 2007 et 2008 a fait entrer les États-Unis en récession entraînant la destruction de 8 à 9 millions d'emplois, une très forte baisse du patrimoine des ménages et une explosion des déficits publics. Si les États-Unis sont, depuis 2010, sortis de la crise, la reprise de l'économie demeure fragile. Comme l'a souligné Mme Christine Lagarde, "Les cicatrices de la récession sont encore visibles".
Lassée par des engagements militaires lourds et touchée par les conséquences de la crise, l'opinion publique revendique un recentrage de l'action publique sur les défis intérieurs et se montre rétive à tout envoi de soldats américains au sol.
Cette « war fatigue » justifie la promesse du candidat Obama en 2008 de mettre fin à ces deux conflits. Elle explique sa prudence dans la gestion des crises. Élu pour tourner la page des années G.W. Bush, il hésitera à engager des interventions militaires extérieures. Il optera assez systématiquement pour les voies diplomatiques afin de les résoudre et, si l'engagement militaire est nécessaire, pour des modalités destinées à en limiter l'ampleur et la durée.
De fait, les questions internationales et de défense sont passées au second plan et en outre, elles ne sont plus épargnées par les blocages institutionnels auxquels les États-Unis sont confrontés.
Faut-il rappeler ce paradoxe ? Dans un système présidentiel, le Président, réduit à la fonction exécutive, ne peut agir sans l'accord du Congrès. Il n'a d'autre pouvoir que de « persuader » Représentants et Sénateurs ou de mettre un veto à leurs initiatives. La séparation stricte des pouvoirs ne fonctionne que si l'esprit de compromis prévaut. Or, les situations de blocages ont tendance à se multiplier et à s'ancrer dans la durée, au point de rendre plus visqueux ce système de gouvernance et parfois de le paralyser.
Cette situation résulte d'une polarisation partisane qui s'est accentuée. Les deux partis, Républicains et Démocrates, sont devenus plus homogènes que jamais, rassemblant pour le premier tous les conservateurs, dont les radicaux du Tea Party, pour le second, tous les progressistes.
En conséquence, le Président Obama, depuis 2010, doit faire face à une majorité républicaine à la Chambre des Représentants qui se durcit et qui pratique la surenchère idéologique. Les compromis nécessaires, pour faire aboutir les initiatives du Président et voter le budget annuel, sont difficiles à élaborer.
Cette situation a eu pour conséquence la fin d'une singularité qui préservait les crédits de la défense, notre collègue Alain Gournac y reviendra.
La « nouvelle stratégie » des États-Unis a été redéfinie dans ce contexte. Elle rappelle les intérêts des États-Unis qui constituent des invariants à savoir :
- la sécurité de la Nation, de ses alliés et de ses partenaires ;
- la prospérité qui découle d'un système économique international ouvert et libre ;
- un ordre international juste et soutenable dans lequel les droits et responsabilités des nations et des peuples sont respectés, particulièrement les droits humains fondamentaux.
Elle appréhende aussi les changements de l'environnement international. Elle est désormais fondée sur l'acceptation d'un monde multipolaire dans lequel les États-Unis devront cohabiter avec d'autres puissances mais continueront à demeurer la première. Ce leadership ne pourra être assumé que par un interventionnisme limité et par un rééquilibrage des moyens en fonction des enjeux.
Si le contexte géopolitique actuel reste assez favorable aux États-Unis, comparé à la situation de la Guerre froide, l'environnement sécuritaire est instable et les États-Unis distinguent plusieurs types de risques et de menaces pour les intérêts américains et ceux de leurs alliés :
- Les risques et menaces liés à l'affirmation de la puissance militaire de certains États importants. Dans la perception américaine, il ne s'agit pas de menaces directes contre les intérêts américains, mais d'affirmation de puissance qui inquiètent leurs alliés et troublent la stabilité internationale comme l'agression de la Russie contre d'anciens États soviétiques ou l'affirmation de la puissance maritime de la Chine.
- Les risques et menaces liés aux actions d'États imprévisibles et qui se situent délibérément en marge du système international comme l'Iran et la Corée du nord qui aspirent à se doter d'armes nucléaires et de missiles balistiques et qui, de fait ou par leurs actions, menacent leurs voisins alliés des États-Unis
- L'évolution des menaces non-étatiques : terrorisme, criminalité organisée, particulièrement dans les États fragiles, avec une diffusion de la menace terroriste allant du Sahel à l'Asie du Sud.
- L'évolution des nouvelles formes de menaces dans un espace de combat aérien, maritime, spatial, et cybernétique, disputé, là où les forces américaines bénéficiaient jusqu'à maintenant d'une position dominante. Les États-Unis sont très sensibles à la préservation de la liberté de circulation maritime et aérienne et considèrent que des acteurs étatiques et non-étatiques posent des menaces potentielles pour l'accès à ces espaces communs par leur opposition aux règles existantes ou par des tentatives de dénis d'accès.
- Enfin, la prolifération des armes de destructions massives.
Pour préserver leurs intérêts, les États-Unis continueront dans les prochaines années à s'engager dans le monde et à y exercer leur leadership.
Cette conviction est étayée par la demande récurrente d'un engagement américain dans les affaires mondiales par les partenaires (européens ou asiatiques) tandis qu'aucune autre puissance ne saurait véritablement exercer un leadership alternatif. Ils demeureront donc la puissance indispensable pour assurer la paix et la stabilité.
Puissance indispensable, certes, mais raisonnable dans son engagement. « La question à laquelle nous faisons face, n'est pas de savoir si l'Amérique montrera la voie mais comment nous le ferons, dire que nous avons intérêt à promouvoir la paix et la liberté au-delà de nos frontières ne signifie pas que tout problème a une solution militaire.
Face aux crises, la prudence à toute épreuve affichée par le président Obama a conduit à définir un nouveau type d'engagement reposant sur une utilisation ordonnée et articulée des moyens diplomatiques et militaires. Cette doctrine tranche avec la doctrine « la paix par la force » mise en oeuvre par le président George W. Bush lors de son premier mandat.
L'emploi de la puissance militaire n'est donc qu'un outil parmi d'autres. Son usage unilatéral s'impose quand les intérêts cruciaux l'exigent à savoir « lorsque notre peuple est menacé, lorsque nos moyens d'existence sont en jeu, lorsque la sécurité de nos alliés est en danger ».
En cas de menaces indirectes, la force militaire est outil ultime après épuisement des autres modalités «la barre pour une intervention militaire doit alors être placée plus haut. Dans de telles circonstances, nous ne devons pas agir seuls, mais plutôt mobiliser nos alliés et partenaires pour entreprendre une action collective. Nous devons élargir la gamme de nos outils pour y inclure la diplomatie et le développement, les sanctions et l'isolement, les appels au droit international et, si elle se révèle juste, nécessaire et efficace, l'action militaire multilatérale. »
Plusieurs exemples récents l'illustrent : Syrie, Iran, Mer de Chine, Ukraine.
Cette combinaison des outils est mise en oeuvre pour toutes les situations jusque et y compris la lutte contre la principale menace : le terrorisme. L'objectif de la nouvelle stratégie sera d'agir avec plus de souplesse et de discrétion, en s'appuyant sur des alliances et en renforçant les partenaires locaux, de limiter les risques de rejet par les populations et donc d'enracinement des terroristes dans le tissu social. Ces partenariats n'excluent pas une intervention militaire directe. L'Amérique n'a pas cessé d'intervenir militairement, elle le fait juste d'une autre manière et emploie des modes d'actions plus discrets à base de drones, de forces spéciales et de renseignement, ce qu'on a qualifié d' « empreinte légère ».
Il en va de même des actions menées pour renforcer et faire respecter l'ordre mondial. On a vu ce « leadership en retrait » expérimenté dans l'épisode libyen en 2011. Cette nouvelle posture amène les États-Unis à insister sur le transfert d'une part des responsabilités et des financements aux alliés traditionnels, notamment au sein de l'OTAN mais aussi avec le Japon, la Corée du sud et l'Australie en Asie-Pacifique.
M. Alain Gournac. - La nouvelle stratégie américaine a une vision plus positive de l'action des organisations internationales et de l'usage du droit international. Barack Obama entend que les États-Unis participent à leur modernisation et pour lui, passer par des institutions internationales telles que l'ONU, ou respecter le droit international, n'est pas un signe de faiblesse.
Il a également une vision plus positive du droit comme outil de prévention des conflits que ses prédécesseurs. Son approche est cohérente, mais elle requerra que le Congrès la partage ce qui est loin d'être évident. Elle est fondée sur l'exemplarité des États-Unis, sa capacité à influencer le monde et à être un acteur en phase avec la communauté internationale.
Enfin le dernier élément du leadership américain est la disposition à agir au nom de la dignité humaine. On perçoit cet attachement dans l'attitude des États-Unis qui ont pu faire évoluer la situation des droits de l'homme en Birmanie, et sont très sensibles à celle de l'Égypte ou de la Thaïlande depuis les coups d'État.
Mme Josette Durrieu. - La stratégie des États-Unis, officialisée à l'automne de 2011, est présentée comme un pivotement vers l'Asie-Pacifique rendu possible par le désengagement d'Irak et d'Afghanistan et nécessaire par la croissance des intérêts américains dans cette zone. Cela n'empêche pas le maintien d'un engagement robuste pour la sécurité et la stabilité en Europe et au Moyen-Orient et d'une approche mondiale pour lutter contre le terrorisme.
Les États-Unis ont été de longue date engagés dans la zone Asie-Pacifique (60% de la population mondiale, 35% du PIB) qui restera dans les prochaines années celle où les taux de croissance devraient être les plus élevés. Il s'agit donc de mettre les États-Unis en position de profiter pleinement de sa dynamique La zone peut devenir une source de tensions fortes en raison de sa conflictualité potentielle qu'il s'agisse du développement d'armes de destruction massive et de missiles balistiques par la Corée du Nord, de la militarisation de la Chine et de ses voisins, des conflits latents en Mer de Chine, et des enjeux en termes de liberté d'accès et de circulation dans les espaces maritimes.
La stratégie du rééquilibrage vise à stabiliser la région en dissuadant la Corée du Nord qui demeure un État menaçant, en préparant et en accompagnant l'inéluctable montée en puissance de la Chine et sa capacité à défier dans le futur la puissance américaine, en établissant un réseau d'alliés et de partenaires dans sa périphérie et en l'impliquant davantage.
Chine et États-Unis ont misé sur la paix et la stabilité de l'Asie de l'est et ont intérêt à bâtir une relation de coopération bilatérale. Malgré tout, la croissance de la Chine inquiète, et notamment, sur le plan militaire. Ses dépenses ont atteint en 2013 139 milliards de $ soit le deuxième rang mondial avec des taux de croissance annuels supérieurs à 10 % depuis 3 ans. Elle affirme sa puissance en Mer de Chine en revendiquant sa souveraineté sur des territoires contestés par ses voisins. À plus long terme, les États-Unis craignent que la Chine impose, par sa puissance, ses propres normes, notamment dans le commerce et dans le droit international
Les officiels américains considèrent que cette montée en puissance doit être accompagnée d'une plus grande transparence pour éviter des tensions et qu'il convient d'intensifier le dialogue stratégique sur le plus grand nombre de sujets pour la responsabiliser en tant qu'acteur régional, voir mondial. Le choix du positionnement américain face à la Chine par la recherche d'un bon équilibre entre coopération et endiguement sera décisif.
Pour les États-Unis, le maintien de la paix, de la stabilité, de la libre circulation et de leur influence dépendra aussi d'un équilibre sous-jacent de présence et de capacités militaires.
Le rééquilibrage se décline en un volet diplomatique avec l'approfondissement des alliances traditionnelles (Japon, Corée du sud, Australie, Philippines, Thaïlande) et le renforcement des relations avec les pays d'Asie du Sud-Est ; mais aussi avec le réinvestissement dans les instances comme l'ANASE et l'APEC et le lancement d'initiatives économiques comme la négociation d'un nouvel accord de libre-échange, le Trans-Pacific Partnership.
Cette activité s'accompagne d'une présence militaire plus importante. L'US Navy, dont plus de la moitié des bâtiments se trouvent déjà basés dans cette région, et l'US Air Force, ont reçu comme objectif une montée à 60 % à l'horizon 2020, avec de surcroît, un important renfort qualitatif. Un réseau de points d'appui dont la caractéristique sera d'accueillir des unités selon un système de rotation, en Australie, à Singapour et aux Philippines est en cours de constitution. À cela s'ajoute la décision de renégocier les grandes lignes directrices de défense avec le Japon et l'augmentation des forces stationnées à Guam.
Les États-Unis s'efforcent aussi d'impliquer davantage leurs alliés en soutenant la décision du Premier ministre japonais d'élargir les conditions d'emplois des forces d'auto-défense, en dotant les armées japonaise, coréenne et australienne de matériels de dernière génération, y compris, pour les deux premières, de systèmes de défense anti-missiles. De même, les partenariats de défense, notamment avec les Philippines, le Vietnam, Singapour ou la Malaisie, par un soutien accru en termes de formation ou des exercices conjoints se multiplient.
Le « rééquilibrage » en direction de l'Asie devrait se poursuivre, même si ce mouvement se heurte à plusieurs défis. Outre les problèmes de soutenabilité à long terme, l'instabilité persistante du Moyen-Orient ou la crise ukrainienne, qui requièrent un effort de réengagement des États-Unis, risquent de le compromettre alors que les réalisations sont demeurées jusque-là modestes au regard des ambitions affichées.
L'idée d'une relativisation de l'importance du Moyen-Orient, mise en exergue avec le retrait d'Irak en 2011 et celui programmé d'Afghanistan, doit être réfutée. Les États-Unis demeurent le principal acteur dans une région où leurs intérêts restent importants :
- la lutte contre le terrorisme, d'abord ;
- la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive ensuite. Un risque élevé dans la région résulterait de l'acquisition d'une capacité nucléaire par l'Iran. L'Arabie saoudite pourrait alors être tentée d'acquérir sa propre capacité. Face à ce risque, l'administration américaine a lancé un « dialogue de sécurité », dont l'une des pierres angulaires est le renforcement des capacités de défense antimissile des pays du Golfe ; c'est aussi tout l'enjeu des négociations sur le programme nucléaire iranien ;
- mais aussi la libre circulation, compte tenu de l'importance de la région pour l'approvisionnement en hydrocarbures de l'économie mondiale ;
- et enfin la sécurité de la région, par le soutien des engagements avec les États partenaires et alliés, notamment celle du Golfe, et plus spécifiquement celle d'Israël qui reste l'allié privilégié, tout en oeuvrant pour la paix israélo-palestinienne
Tenant compte de l'évolution des contextes, et depuis la période des Printemps arabes, le président Obama a opté pour une approche pragmatique privilégiant une stratégie au cas par cas et axée davantage sur le soutien aux réformes politiques et les investissements économiques que sur la dimension militaire.
Pour autant celle-ci reste conséquente avec le renforcement de la présence navale à Bahreïn et le maintien de 35 000 hommes dans la région. Par ailleurs, les pays de la région représentent d'importants marchés d'armement.
Plusieurs dossiers prioritaires impliquent plus particulièrement les États-Unis :
- en premier lieu le programme nucléaire iranien avec la relance des négociations avec l'Iran et la conclusion de l'accord intérimaire de Genève du 24 novembre 2013 ;
- en second lieu, le règlement du conflit israélo-palestinien considéré comme « central » pour la stabilité de la région mais qui reste bloqué malgré les efforts déployés par le secrétaire d'Etat John Kerry, au point que l'on peut s'interroger sur la volonté ou la capacité des États-Unis à imposer une solution aux parties prenantes ;
- en troisième lieu, la crise syrienne avec beaucoup d'atermoiements symptomatiques de la crainte des États-Unis d'être entraînés dans un conflit. Le renoncement à des frappes après l'attaque chimique d'août 2013 en est exemplaire. Les réticences demeurent, confortées par la progression de la menace terroriste.
Enfin, la crise irakienne qui implique de nouveau les États-Unis. Devant l'offensive spectaculaire de l'EIIL, le gouvernement Maliki a appelé les États-Unis à l'aide. Le Président Obama qui a rejeté d'emblée l'envoi de troupes combattantes au sol et s'est montré réservé jusqu'à maintenant sur des frappes aériennes, a répondu en envoyant 300 membres des forces spéciales pour conseiller l'armée irakienne et l'aider à reprendre l'offensive.
Cette situation place le président dans une situation délicate :
- à l'intérieur, ayant fait du retrait d'Irak un point fort de son premier mandat, il a été fortement critiqué par le camp républicain mais peut se prévaloir du soutien des démocrates, et surtout de l'opinion publique américaine ;
- mais aussi à l'extérieur, se trouvant à front renversé de la Syrie.
Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ne considèrent plus l'Europe comme le principal enjeu mondial. Des valeurs et une histoire partagées, mais aussi une Alliance pérenne assurent une relation de qualité. La montée en puissance d'autres régions du monde ne l'altère pas. Ce contexte ne remet pas en cause les engagements stratégiques réciproques, mais conduit à une réduction de la présence militaire américaine, les États-Unis considérant l'intensité réduite des menaces et les potentialités européennes pour y faire face. Toutefois, les récentes tensions avec la Russie, notamment la crise en Ukraine, obligent à une réévaluation de cette appréciation.
Depuis la chute de l'Union soviétique et à l'instar de leurs alliés européens, les États-Unis se sont efforcés de développer des relations plus fortes avec la Russie. Cette politique, qui a connu des accrocs, notamment à la suite du conflit russo-géorgien d'août 2008, s'est traduite notamment par la signature en 2009 d'un accord sur la réduction des stocks d'armes nucléaires « New START ». Avec le retour de Vladimir Poutine, les États-Unis ont tenté de la relancer mais une succession de difficultés ont empêché sa mise en oeuvre.
La crise ukrainienne a parachevé la rupture et ouvre une situation de crise avec la suspension des coopérations, la mise en place d'une politique de sanctions et un soutien important à l'Ukraine. Toutefois, il n'y a pas déport vers le domaine militaire
Cette crise sera probablement durable et conduit les États-Unis à réévaluer leur politique même si le parallèle avec la « guerre froide » n'est pas d'actualité pour nombre d'interlocuteurs rencontrés qui doutent de la capacité de la Russie sur le long terme.
Pour autant, la nécessité d'un dialogue politique n'est pas mise en cause, aussi bien pour stabiliser la situation en Ukraine, que pour assurer la sortie des armes chimiques de Syrie ou aboutir à un accord avec l'Iran sur son programme nucléaire.
La situation dans le voisinage méridional de l'Europe est aussi une source d'inquiétude pour les États-Unis avec le développement de l'instabilité politique dans les suites des « printemps arabes » et de l'activité des groupes terroristes en Afrique du Nord, dans le Sahel et au Moyen-Orient. Ils recherchent donc les voies d'une coopération plus active avec les Européens, pour aborder ces questions et coopérer sur le plan opérationnel.
Leur objectif est d'encourager les Européens à être producteurs de sécurité plus que consommateurs. Dans le droit fil de leurs nouvelles orientations de politiques extérieures, ils apprécient l'engagement de leurs alliés, comme ce fut le cas en Libye et au Mali. Satisfecit est donné à la France.
En revanche, ils sont inquiets s'agissant de leurs capacités futures à assurer leur défense avec la baisse des budgets de la défense dans la plupart des pays.
De même, s'inquiètent-ils de la faible résilience énergétique, commerciale et financière des États européens vis-à-vis de la Russie ce qui limite leurs capacités de sanctionner. À titre d'exemple, la volonté de la France de poursuivre la vente des BPC Mistral à la Russie dans le contexte de la crise russo-ukrainienne n'est pas très bien comprise outre-Atlantique.
Nos interlocuteurs ont également souligné la force du message européen aux yeux de la Russie, lorsque les pays membres de l'Union européenne arrivaient à s'entendre sur une position commune.
La crise ukrainienne a fourni l'occasion, pour rappeler le caractère sacré de l'article 5 du Traité de l'OTAN. Ce rappel a été conforté par la mise en place de mesures de réassurance vis-à-vis des alliés orientaux.
Enfin, le renforcement des relations passe par la négociation d'un Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement dont le but est de relancer les échanges et donc la croissance sur les deux rives, mais aussi, en miroir du Traité TransPacifique, de poser un certain nombre de règles et de pratiques destinées à façonner le commerce international.
Quelques mots sur l'Amérique latine, qui était considérée comme l'arrière-cour des États-Unis et le champ de son influence pour le meilleur et pour le pire et ne semble plus être une priorité de sa politique étrangère. Le président Obama a souhaité la mise en place d'un nouveau partenariat fondé sur le respect mutuel. « The era of the Monroe Doctrine is over » Cette politique est critiquée pour son manque d'ambition et parce qu'elle a favorisé l'émergence de deux puissances régionales, le Brésil et le Venezuela, et permis à des puissances extérieures (Russie, Chine, Iran) d'être plus présentes.
Enfin, l'Afrique subsaharienne n'a jamais été placée en tête des priorités stratégiques américaines. On observe toutefois depuis un an et demi un regain d'intérêt mais avec deux limites : la sécurité de l'Afrique incombe d'abord aux Africains, tandis que les États-Unis privilégient une empreinte sécuritaire minimaliste. Ce cadre ainsi posé permet de saisir le positionnement des États-Unis à l'égard des opérations en cours en Afrique et de la coopération franco-américaine, qui pourraient constituer les prémices d'une nouvelle forme d'engagement en Afrique. Ce modèle s'inscrit dans la logique de partage des missions et responsabilités avec des alliés.
Dans leur nouvelle stratégie régionale, les États-Unis souhaitent recentrer leurs actions sur d'autres aspects mais dans la réalité, les enjeux sécuritaires s'imposent. Outre la gestion des conflits, la lutte contre les menaces transnationales (terrorisme, drogues, piraterie, prolifération nucléaire) constitue un impératif. La stratégie privilégie en conséquence une approche intégrée, dans laquelle l'assistance militaire est accompagnée d'un soutien aux institutions démocratiques, à la société civile, au développement et à la croissance économique.
M. Alain Gournac. - La nouvelle stratégie a été déclinée dans un document qui s'apparente à notre Livre blanc et qui fixe les grandes orientations dans le domaine militaire.
Ce document a été élaboré dans le contexte général, exposé par notre collègue Robert del Picchia, et qui a eu pour conséquence une réduction assez significative des crédits de la défense.
En effet, l'enjeu économique devenu prégnant, les projecteurs ont été braqués sur la croissance impressionnante du budget de la défense pendant les années 2000, laissant envisager des compressions significatives.
Depuis 2010, les Républicains majoritaires à la Chambre ont réussi à inscrire à l'agenda politique la réduction des dépenses publiques. Protecteurs traditionnels des crédits de la défense par idéologie mais aussi parce qu'ils sont majoritaires dans les districts et les États du Sud des États-Unis où les industries de défense représentent une part significative de l'économie locale, ils ont néanmoins accepté, à la demande des démocrates, que la défense soit mise à contribution au même titre que les autres postes budgétaires. Le Budget Control Act de 2011 a ainsi opéré une coupe budgétaire décennale de 487 milliards de $ (environ 8% du budget de base de la défense) ; les opérations extérieures étant appelées à diminuer progressivement avec le retrait d'Irak et celui programmé d'Afghanistan. Mais cette loi a également établi un mécanisme de mise sous séquestre exigeant des coupes budgétaires supplémentaires d'environ 50 milliards de $ par an, dont la mise en oeuvre a toutefois été reportée à 2016.
Au final, le budget pour 2015 devrait rester à un niveau voisin de 555 milliards de dollars, (il était de 691 milliards en 2011). La contrainte budgétaire sera donc l'une des difficultés majeures dans la mise en oeuvre du rééquilibrage de l'outil de défense, à la fois parce que la transformation a un coût intrinsèque, mais aussi parce que les rapports de force politique au sein du Congrès n'ont pas permis de stabiliser un cadre budgétaire pluriannuel. C'est ce qui explique la tonalité inusitée de la Quadrennial Defense Review de 2014 qui apparaît aussi comme un avertissement et une mise en responsabilité du Congrès.
Néanmoins, et pour raison garder, on rappellera que les États-Unis sont, et de loin, la première puissance militaire du monde avec un budget qui représente encore 3 à 4 fois celui de la Chine, 8 à 9 fois celui de la Russie.....
La Quadrennial Defense Review (QDR) actualise la stratégie de défense des États-Unis, décrit les mesures prises en vue de rééquilibrer les principaux éléments des forces interarmées dans un environnement changeant et met en valeur la réforme de l'organisation afin de maîtriser la croissance des coûts internes.
Les documents de stratégie confirment :
- l'abandon du paradigme des deux guerres majeures simultanées ce qui se traduira par une réduction de format et une baisse des effectifs de l'Armée de terre et des Marines,
- l'abandon de la contre-insurrection et du « nation building » en faveur d'une stratégie anti-terroriste marquée par l'usage des forces spéciales, des drones et du renseignement. Contre les acteurs non-étatiques autre que les terroristes en réseaux, le Pentagone privilégie l'assistance et la formation des armées locales, le soutien, la fourniture d'armement avec une efficacité qui reste à évaluer ;
- le maintien en revanche d'une double capacité pour faire face aussi bien aux guerres régulières et interétatiques qu'aux guerres « irrégulières » contre des acteurs non-étatiques terroristes, contre des ennemis de plus en plus sophistiqués, avec un approfondissement doctrinal notamment pour lutter contre le déni d'accès et l'interdiction de zone, un accent sur la Marine et l'Armée de l'Air, un investissement massif dans les technologies à haute valeur ajoutée et la R&D afin de conserver un ascendant ;
- l'implication des alliés et des partenaires (en particulier en Asie et au Moyen-Orient) pour faire face aux problèmes de sécurité régionale, ce qui constitue un changement d'approche majeur, l'image d'une Amérique capable d'agir seule et partout dominait jusqu'alors.
Il s'agit aussi de rééquilibrer géographiquement et la stratégie de défense accompagne naturellement le « pivotement » vers l'Asie-Pacifique.
L'innovation est un axe central.
De nouveaux paradigmes de présence ont été identifiés, y compris un éventuel positionnement de forces navales supplémentaires en déploiement avancé dans des zones critiques, ainsi que le déploiement de nouveaux ensembles de bâtiments, de moyens aériens, de forces terrestres alignées régionalement ou par rotation, et de forces de réaction aux crises, tout cela dans l'intention de maximiser les effets tout en minimisant les coûts.
La QDR 2014 assure la protection des capacités essentielles à l'appui de la stratégie : cyberespace, défense antimissile, dissuasion nucléaire, espace, capacité aéro-maritimes, frappe de précision, renseignement, surveillance et reconnaissance, lutte contre le terrorisme et opérations spéciales avec la montée à 69 700 personnes des effectifs des Forces d'opérations spéciales.
Il s'agit de rééquilibrer les compétences, les capacités et la disponibilité opérationnelle au sein de la force interarmées et, en conséquence, de restructurer le format des Armées. Sa taille se réduira dans les cinq prochaines années mais elle deviendra également progressivement plus moderne et plus agile et sa disponibilité opérationnelle devrait s'améliorer.
M. Jean-Louis Carrère. - Au terme de cet exposé, nous en venons à notre questionnement initial. Cette stratégie est-elle pérenne ?
Notre réponse est : « en partie».
D'abord, elle est critiquée par une partie des élites. Emblématique d'une politique étrangère jugée «faible», la gestion des crises par B. Obama aurait enhardi les adversaires, inquiété les alliés et mis Washington en position réactive. D'aucuns s'inquiètent d'un affaiblissement de la crédibilité de la parole du président et de la capacité de dissuasion des États-Unis.
La confrontation de la vision et des modes d'action à la réalité montre bien l'écart entre le champ du souhaitable et le champ du possible ; car l'agenda international des États-Unis est en partie dicté par l'extérieur.
Pour autant, la retenue du président face au risque d'enlisement dans de nouveaux conflits est saluée par la majorité d'une opinion publique de plus en plus centrée sur les problèmes intérieurs et, sauf forte dégradation de la situation internationale, cela risque de durer encore quelques années, limitant les capacités d'engagements militaires extérieurs.
Toutefois, l'évolution des déterminants internes pourrait redonner des ambitions à la politique américaine, notamment la sortie progressive de la crise économique et l'acquisition de l'autosuffisance énergétique grâce à l'exploitation des schistes. Les États-Unis seront même en mesure d'exporter une partie de leur production, ce qui est un avantage économique et un renforcement de puissance. En revanche, l'utilisation directe des ressources énergétiques comme un outil diplomatique s'avère plus problématique, même si cela donne d'ores et déjà des marges de manoeuvre pour mettre en place un embargo sur les exportations de pétrole de l'Iran par exemple et permettra aux États-Unis de s'extraire de la dépendance d'un pays fournisseur pour mener une diplomatie plus équilibrée ou soutenir tel ou tel pays.
Restent les facteurs de blocage politique. Les mid-terms de novembre prochain permettront peut-être aux Républicains de conquérir la majorité au Sénat. Dans cette hypothèse, il faut s'attendre à des difficultés pour le président à faire accepter des projets de traité multilatéraux et à l'imposition de conditions plus fortes pour l'attribution des aides extérieures. Le président sera dans l'obligation de parvenir à des compromis. Paradoxalement, on peut s'attendre à ce que certaines questions comme celle des traités de libre-échange ou celle du budget de la défense soient plus faciles à négocier. Dans les deux cas, ce sont en effet les démocrates qui ont exprimé les plus fortes réticences.
S'agissant de l'échéance de 2016, deux facteurs suscitent un examen attentif. Dans le camp démocrate, la sortie du livre de l'ancienne Secrétaire d'État, Mme Hillary Clinton, préfigure son éventuelle candidature. Dans l'hypothèse de son élection, la politique extérieure des États-Unis poursuivra une voie proche de l'actuelle, mais avec probablement un investissement plus important.
Dans le camp républicain, plusieurs paramètres doivent être pris en considération. Le premier est que les candidats potentiels se sont peu exprimés sur des questions de politiques étrangères et de défense. Le second est que le parti républicain est traversé de différentes écoles de pensée qui influencent les politiques menées par les présidents. Le troisième est la place accordée à l'allié israélien qui constitue un marqueur de la politique étrangère républicaine.
Quels que soient les résultats des prochaines échéances et sauf « surprises stratégiques », certaines grandes tendances semblent devoir marquer les prochaines années et être appréciées, à la nuance près, comme des invariants de la politique étrangère américaine.
L'engagement en Asie est une tendance de long terme qui n'est pas près de s'effacer, mais les États-Unis resteront engagés au Moyen-Orient et en Europe. Il y a une interconnexion de plus en plus grande entre les questions dans le monde qui rend impossible à une puissance de la taille des États-Unis de limiter sa présence, son influence et son intervention. Reste la question de la soutenabilité de cet effort et sur ce point les États-Unis seront sans doute plus exigeants à l'égard de leurs alliés pour prendre en charge leur défense. Enfin, en compensation du repli stratégique, la diplomatie économique américaine prend un relief inhabituel
Ceci nous amène à nos dernières questions. Quelles conséquences pour la France, l'Europe et l'OTAN ?
La stratégie américaine appelle à donner plus de poids aux alliés et aux partenaires dans une logique de partage accru des responsabilités. La France est en mesure d'exprimer une vision stratégique indépendante et de s'impliquer dans la gestion globale des crises. Elle dispose d'un outil militaire efficace, qui est un véritable atout diplomatique, peut-être le plus important dans son jeu compte tenu de sa situation économique, et d'une connaissance de son environnement proche, notamment de l'Afrique. De ce point de vue, elle répond aux attentes des États-Unis. Le dialogue stratégique pourrait se poursuivre, s'approfondir et s'étendre à d'autres régions, je pense à l'Asie-Pacifique, mais aussi à d'autres domaines, la surveillance de l'espace et la cyberdéfense. Nous pourrions même essayer de mettre en place des échanges plus fréquents avec les commissions du Congrès. En tout cas, cela montre bien aussi l'utilité de nous battre pour maintenir notre outil de défense et l'exécution de la LPM !
L'Europe est appelée à prendre davantage de responsabilité et, au premier chef, dans la défense de son territoire. Cela veut dire en premier lieu un effort de défense accru, le parapluie américain n'est pas immuable, le contribuable américain supporte de moins en moins de devoir subventionner la défense de l'Europe alors que les Européens ont les moyens de porter cet effort. Mais en ont-ils la volonté ? C'est toute la question de la défense européenne au sens large.
L'Union européenne aurait tout intérêt à y inclure la politique énergétique pour se mettre à l'abri de situations de dépendance.
Toutefois sur la notion d'autonomie stratégique, la vision de Washington est ambivalente, notamment sur le plan industriel. Il faut arriver à convaincre les Américains qu'une Europe forte et impliquée, c'est aussi une Europe qui dispose d'une BITD solide et créatrice d'emplois, même si elle concurrence les industriels américains.
Le prochain sommet de l'OTAN devrait donner lieu à une déclaration sur le partenariat transatlantique qui réaffirmera la place de l'organisation dans la défense de l'Europe. Dans cette perspective, il me semble que le temps est venu de consolider notre place, d'oeuvrer pour un meilleur partage des responsabilités et des charges, transatlantique mais aussi intra-européen, qui prennent en compte les efforts budgétaires, mais aussi les engagements y compris à l'extérieur car en sécurisant l'environnement proche, c'est bien à la sécurité de la zone euro-atlantique que l'on contribue. Enfin, il me parait intéressant de réaffirmer la complémentarité de l'OTAN et de l'Union européenne, notamment en matière de gestion globale des crises. Il ne s'agit pas de se détacher des États-Unis avec lesquels nous partageons un socle étendu de valeurs communes, mais d'être plus présents lorsque les intérêts convergent et capables de s'engager seuls, lorsque les États-Unis ne sont pas en mesure de le faire.
Mme Nathalie Goulet. - Votre rapport comprendra-t-il une partie critique présentant vos appréciations personnelles sur la stratégie américaine ? Lorsque vous avez abordé la question du Moyen-Orient, les responsables américains ont-ils évoqué la question de la base française d'Abou Dhabi ? La question du traité transatlantique a-t-elle été évoquée ?
Avez-vous perçu un assouplissement de la position américaine à l'égard de l'Iran, sachant que d'ores et déjà des entreprises américaines commencent à négocier des contrats dans ce pays ?
Que vous ont répondu vos interlocuteurs américains sur les poursuites engagées contre la banque BNPParibas ?
M. Jeanny Lorgeoux. - Avez-vous pu mesurer l'influence du complexe militaro-industriel qui était très prégnante sur l'entourage du précédant président G.W. Bush ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - J'ai surtout ressenti, chez nos interlocuteurs, une grande sensibilité à l'opinion publique dominante les incitant à résoudre en priorité les questions de politique intérieure. L'influence du complexe militaro-industriel me semble moindre, mais honnêtement nous n'avons pas pu la mesurer. Il faut aussi relever que les crédits de la défense sont en baisse très sensible, et notamment les crédits d'équipement, ce qui crée des meurtrissures dans l'appareil de défense. Enfin, nos interlocuteurs nous ont fait sentir la place qu'ils attachaient à la prééminence de leur industrie de défense. Nous avons, de notre côté, essayé de les convaincre que les alliés européens au sein de l'OTAN dont ils souhaitaient une implication plus forte étaient très attachés eux-aussi au maintien d'une BITD européenne forte.
Nous avons abordé la question du traité transatlantique en indiquant que, si un accord gagnant-gagnant pouvait être trouvé, nous y serions favorables mais que nous serions extrêmement vigilants et que des éléments de contexte pouvaient influer sur les positions politiques. Nous avons aussi indiqué que la façon dont serait traitée la banque BNPParibas dans le contentieux qui l'oppose aux autorités fédérales rejaillirait certainement sur l'opinion publique française et les élus. À ce sujet, nous avons indiqué à nos interlocuteurs que nous respections l'indépendance de la justice, mais que nous étions étonnés de voir l'Attorney Général s'exprimer quasi-quotidiennement à charge dans les médias sur ce sujet.
Nous avons eu également l'occasion d'expliquer la position française sur l'exportation des BPC Mistral. Cet ensemble de sujets, dans l'actualité du moment, traduisent bien l'état de la relation franco-américaine faite d'un accord sur les grands principes et les grandes orientations mais aussi de points d'achoppement. La France est un allié fidèle, mais elle est très attachée à son autonomie de décision. Elle ne suivra pas les États-Unis aveuglément. C'est ce que nous avons transmis comme message à nos interlocuteurs, mais il vaut mieux un allié de ce tempérament qu'un allié s'exprimant peu et réduisant beaucoup son effort de défense.
Nous avons constaté chez nos interlocuteurs une position favorable à la défense européenne. Jusqu'à maintenant, le discours était moins net et les États-Unis laissaient sans trop sans plaindre les alliés réduire leurs budgets, ceux-ci s'estimant protégés par le parapluie américain. Il n'y a qu'à observer le montant du ratio budget de défense/PIB chez la plupart de nos voisins. Désormais, les Américains sont plus incisifs et demandent aux Européens de façon explicite d'augmenter leur effort budgétaire.
S'agissant de l'Iran, nous avons noté le changement de stratégie et les démarches des acteurs économiques. Je regrette que nous n'ayons pu nous rendre en Iran jusqu'à maintenant, nous devrions programmer un déplacement sans tarder, si possible au prochain semestre.
Ce qui nous a aussi surpris chez certains de nos interlocuteurs et notamment au Sénat, c'est évidemment l'intérêt qu'ils portaient à notre pays en nous recevant, mais en même temps le peu de connaissance qu'ils avaient de nos préoccupations.
Enfin, il faut préciser que les États-Unis sortent de la crise économique, le taux de chômage diminue, mais les Américains restent marqués par cette crise et notamment par l'accroissement des écarts de richesse, l'existence de travailleurs à bas revenus et d'une population pauvre.
M. Jean Besson. - Je voudrais rappeler que les socio-démocrates en Europe ont toujours été attachés à l'alliance avec les États-Unis et avaient regretté, à l'époque, le retrait de la France de l'organisation militaire de l'OTAN. Je voudrais aussi dire notre gêne parfois devant certaines politiques et interventions des États-Unis sur la scène internationale. Aujourd'hui, nous nous sentons plus à l'aise avec la stratégie du président Obama.
S'agissant du pivotement vers l'Asie-Pacifique, il rend plus urgent l'édification d'une défense européenne. Cette défense ne doit pas être la seule préoccupation de la France et de la Grande-Bretagne, mais de tous les Européens et l'Allemagne, qui exerce un leadership économique et de plus en plus politique, devrait s'investir davantage sur les questions de défense.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Vous avez abordé la question des hydrocarbures de schiste. Avez-vous mesuré les conséquences pour les industries en Europe, notamment le secteur de la chimie qui subit une concurrence redoutable en raison de la baisse des coûts de production aux États-Unis ?
Avez-vous également abordé la question de la place du dollar dans le système monétaire ? C'est un élément clé de la puissance américaine. Comment les Américains perçoivent-ils les initiatives chinoises qui envisagent de faire de leur monnaie une monnaie de réserve et ont créé une banque d'investissement des BRICS ? Ils se positionnent à terme avec le souci de remettre en cause l'équilibre du système de Bretton-Woods.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous n'avons pas traité spécifiquement de la question du dollar, car notre déplacement était centré sur les questions de politique étrangère et de défense.
Nous consacrons dans le rapport de longs développements aux conséquences du retour des États-Unis à l'autonomie énergétique.
M. Alain Gournac. - S'agissant du gaz de schiste, les États-Unis pourront bientôt exporter, cela deviendra aussi un outil politique.
M. Daniel Reiner. - Aujourd'hui le système politique américain me semble atteint de paralysie, car il s'appuie sur la recherche d'un consensus entre les partis. Or ce système ne fonctionne plus en raison de la montée du Tea Party au sein du parti républicain et des lobbies qui le soutiennent, donc de la montée des extrêmes. Cela se traduit par les séquestrations sur le plan budgétaire. Mais cela a aussi des conséquences sur l'action internationale du Président qui peut être freiné dans ses initiatives. Cela donne parfois l'impression d'un grand Etat impotent. Or, le système mondial fonctionne avec une grande puissance et cette impotence provoque des non-actions, ce qui a des effets sur la stabilité du monde. Certains universitaires américains s'en inquiètent et craignent qu'à défaut de réforme, le système ne conduise à l'impuissance.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Effectivement, ce qui inquiète les observateurs dans les prochaines élections, ce n'est pas tant l'alternance au Sénat, que la place qu'occuperont les élus du Tea Party au sein des Républicains. Nous avons très bien ressenti cela lors de notre déplacement, en enregistrant les réactions de nos interlocuteurs à la défaite du leader républicain de la Chambre des représentants, Eric Cantor, à l'élection primaire dans l'État de Virginie.
La crise économique a laissé des traces en matière de cohésion sociale et comme dans beaucoup de pays, le fonctionnement politique en subit les conséquences et se pose la question de l'adaptation des constitutions.
M. Jeanny Lorgeoux. - Ces observations confirment la thèse développée, il y a déjà quelques années, par Stanley Hoffman dans son ouvrage « Gulliver empêtré ».
Mme Josette Durrieu. - Il faut aussi ajouter que les États-Unis sont en élections tous les deux ans.
Le président Obama voudrait arrêter une position forte pour la conférence de Paris sur le climat, mais il ne le pourra probablement pas car il ne sera pas soutenu par le Congrès, ce qui signifie que c'est le monde entier qui est victime de la paralysie du système.
M. Christian Cambon. - La position des États-Unis en Afrique me semble un peu ambivalente, ils soutiennent notre action, notamment au Sahel, mais ont quelque peine à s'engager eux-mêmes. Pour autant, ils sont assez présents, le personnel de leurs ambassades est nombreux, ils sont actifs sur le plan économique. Avez-vous pu vous entretenir avec eux sur les limites de leur engagement et sur l'appréciation qu'ils portent sur l'action de la France ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - La lutte contre le terrorisme est leur priorité, mais leur perception s'élargit, elle n'est plus cantonnée à l'Afrique du Nord et au Sahel, le développement de mouvements comme Boko Haram au Nigeria les interroge. Cela étant, ils considèrent préférable que ce soit la France qui intervienne en direct car elle dispose d'une connaissance de ces territoires qui sont dans la proximité de l'Europe. Ils souhaiteraient d'ailleurs que les Européens s'engagent davantage. Ils sont prêts à apporter leur soutien avec des moyens de renseignements, de logistique...
Mme Josette Durrieu. - Je partage cette analyse mais voudrais souligner deux aspects qui me paraissent importants. L'analyse que les Américains font de la situation en Afrique est de considérer que ce continent est un terrain « familier » pour les Français et les Européens et qu'il est donc plus facile pour eux de prendre l'initiative et conduire des opérations, eux restant en arrière-plan et en soutien. D'autre part, j'ai l'impression qu'ils sous-estiment l'ampleur de la diffusion du terrorisme en Afrique et que leur investissement n'est pas à la hauteur de l'enjeu réel.
Cette tendance à sous-estimer les menaces a été perceptible également lorsque nous nous sommes entretenus de la Russie avec certains responsables. J'ai été étonnée de leurs interrogations sur le caractère imprévisible de Vladimir Poutine et de leur sous-estimation du pouvoir de nuisance de la Russie, même si elle n'a pas recouvré toute sa puissance. Il y a, de mon point de vue, un certain décalage avec la réalité de la subtilité stratégique de la Russie aujourd'hui.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Les États-Unis se considèrent toujours comme une grande puissance mais leurs résultats sur le plan international restent modestes. On le voit sur le plan politique avec Israël qui n'a pas beaucoup évolué dans le processus de paix et sur le plan financier quand on mesure les investissements considérables dans la formation de la police et de l'armée irakienne à l'aune de son efficacité face à l'offensive des djihadistes de l'EIIL. Avez-vous senti une réticence à s'engager de nouveau en Irak ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - Oui, nous avons senti cette prudence. Le trait dominant chez nos interlocuteurs, c'est vraiment la pression de l'opinion publique sur les questions de politique intérieure. Les différences d'appréciation sont telles qu'il est difficile au président d'avoir une vraie politique claire, lisible, concrète et partagée.
À l'issue de ce débat, la commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et autorise sa publication.
Nomination de rapporteurs
La commission nomme rapporteurs :
. M. Alain Néri sur le projet de loi n° 2095 (AN - 14e législature) autorisant la ratification de l'accord établissant une association entre l'Union européenne et ses États membres d'une part, et l'Amérique centrale d'autre part (sous réserve de sa transmission au Sénat) ;
. Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 660 (2013-2014) autorisant la ratification du protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
. M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 570 (2013-2014) autorisant l'approbation du cinquième avenant à la Convention du 19 janvier 1967, modifiée par l'avenant du 6 juillet 1971 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne sur la construction et l'exploitation d'un réacteur à très haut flux et modifiée ultérieurement par la Convention du 19 juillet 1974 entre les deux Gouvernements susmentionnés et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relative à l'adhésion de ce dernier Gouvernement à la Convention et par l'avenant du 27 juillet 1976, le deuxième avenant du 9 décembre 1981, le troisième avenant du 25 mars 1993 et le quatrième avenant du 4 décembre 2002 entre les trois Gouvernements susmentionnés ;
. M. Jeanny Lorgeoux sur le projet de loi n° 269 (2013-2014) autorisant l'approbation des amendements de Manille à l'annexe de la convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (convention STCW) et au code de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (code STCW) ;
. M. André Trillard sur le projet de loi n° 270 (2013-2014) autorisant l'adhésion de la France au protocole à la convention d'Athènes de 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages ;
. Mme Hélène Conway-Moutet sur le projet de loi n° 661 (2013-2014) autorisant la ratification de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Géorgie, d'autre part ;
. Mme Josette Durrieu sur le projet de loi n° 662 (2013-2014) autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part ;
. Mme Nathalie Goulet sur le projet de loi n° 192 (AN - 14e législature) autorisant la ratification du protocole modifiant l'accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les États-Unis, d'autre part (sous réserve de sa transmission au Sénat).
La séance est levée à 11 h 25