- Mardi 13 mai 2014
- Mercredi 14 mai 2014
- Modifier la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation - Examen du rapport pour avis
- Nomination d'un rapporteur
- Audition de MM. Éric Denoyer, président-directeur général de Numericable Group, et Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable
- Audition de MM. Jean-Yves Charlier, président-directeur général et Olivier Henrard, secrétaire général de SFR
- Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
- Jeudi 15 mai 2014
Mardi 13 mai 2014
- Présidence de M. Raymond Vall, président. -Activités privées de protection des navires - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport et le texte de la commission sur le projet de loi n° 489 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux activités privées de protection des navires.
La séance est ouverte à 14h15.
M. Raymond Vall, président. - A notre ordre du jour : le rapport de Mme Herviaux sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux activités privées de protection des navires. Nous avons délégué à la commission des lois l'examen au fond des titres II, IV et V : le rapporteur Alain Richard nous en exposera les enjeux.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Nous examinons le projet de loi dans une certaine urgence : il nous a été transmis par l'Assemblée nationale le 30 avril seulement ; mais cette urgence est dictée par la réalité du terrain et les nombreux risques auxquels sont exposés nos marins.
Il y a une dizaine de jours encore, quelques heures avant l'adoption de ce projet de loi par les députés, à l'unanimité, l'attaque du tanker SP Brussels au large des côtes nigérianes a fait trois morts, deux assaillants et un marin. À bord se trouvaient pourtant deux gardes armés, visiblement en nombre insuffisant par rapport à la taille et à la configuration du navire. Ce tanker avait lui-même déjà été attaqué le 17 décembre 2012 et cinq de ses marins pris en otages, finalement libérés un mois plus tard.
Il y a urgence à légiférer sur cette question, pour protéger les hommes et pour préserver nos activités économiques maritimes. Car il ne s'agit pas d'un cas isolé, loin de là ! Le Bureau maritime international (BMI) a comptabilisé 264 attaques en 2013 et déjà 72 pour le début de l'année 2014. Les pirates sont toujours mieux équipés et plus audacieux ; ils mènent une véritable guerre, n'hésitant pas à retenir en otage et à torturer des équipages pour obtenir des rançons. Pour l'année 2013, on dénombre 304 membres d'équipages pris en otages, 36 kidnappings, un mort et un porté disparu.
L'organisation non-gouvernementale One Earth Future a estimé fin 2010 que l'impact économique global de la piraterie atteignait entre 5 et 12 milliards de dollars par an ! Armateurs de France nous a communiqué hier des chiffres pour 2013 : 3 milliards de dollars dans la zone somalienne, en diminution de 50 % depuis 2012 grâce à la forte mobilisation internationale, mais une augmentation dans le Golfe de Guinée, à près de 700 millions. Les armateurs supporteraient 80 % des coûts directs. La moitié concerne les dépenses de carburant dues à l'accélération de la vitesse dans les zones à risques. Plus de 500 millions de dollars sont dépensés en formation des équipages, primes, mise en place des Best management practices de l'Organisation maritime internationale. Les coûts d'assurances représentent environ 300 millions de dollars. Le solde, 700 millions de dollars, recouvre les déroutements pour éviter les zones dangereuses, les compensations au personnel navigant et les rançons.
Les contours de la piraterie maritime sont fluctuants et en constante évolution. Le nombre des attaques baisse dans le détroit de Malacca et au large de la Somalie, mais la menace croît fortement dans d'autres zones telles que le golfe de Guinée, en particulier au large du Nigéria. Les attaques y sont très violentes et visent à saccager et à piller les navires. Contrairement à la Somalie, il ne s'agit pas d'enlever des otages pour obtenir une rançon : la vie humaine y a moins de valeur...
La protection des navires battant pavillon français est une mission dont la Marine nationale s'acquitte fort bien et depuis très longtemps. Elle le fait aujourd'hui dans le cadre de coalitions internationales, comme l'opération Atalante sous le drapeau de l'Union européenne dans le golfe d'Aden. Depuis l'attaque du Ponant et de thoniers tricolores dans l'océan Indien en 2008, la Marine met également des équipes de protection embarquées (EPE) à disposition des navires français qui transitent dans une zone à risque. Ces équipes ont été déployées 93 fois depuis 2009 et ont repoussé quinze attaques, sans perte ni blessé. La qualité de ce dispositif, essentiellement dissuasif, est reconnue dans le monde entier. Mais la Marine ne peut pas tout. En raison de ses moyens et de ses effectifs, mais aussi de délais logistiques et diplomatiques, elle n'honore que 70 % des 25 à 35 demandes reçues chaque année. Or la protection tend à devenir un facteur essentiel de compétitivité. Les compagnies maritimes françaises perdent des marchés faute de pouvoir garantir systématiquement la protection des navires, des équipages et des cargaisons. La protection, sur certains pavillons, apparaît plus étoffée. L'armateur danois Maersk a interdit à sa filiale française de prendre part à certains marchés, du fait de l'aléa que représente aujourd'hui l'absence de protection des navires français : la perte est évaluée à 15% des rotations ! Cette incertitude alimente le dépavillonnement.
Tous les pays d'Europe ont adapté leur législation pour autoriser l'embarquement de gardes armés privés. Nous sommes les derniers, avec les Pays-Bas, à ne pas offrir cette possibilité. Certes, les armateurs français ont eux-mêmes longtemps été réticents à embarquer du personnel armé. Les débats sur le « mercenariat » des sociétés militaires privées à la fin des années 2000 ont alimenté les crispations. Mais les compagnies françaises aujourd'hui n'ont plus le choix.
Il est devenu impératif d'adapter le cadre juridique, qui en l'état empêche l'émergence de prestataires nationaux et pose des problèmes de responsabilité. Il ne s'agit ni d'abdiquer un élément de souveraineté au profit du secteur privé, ni de privatiser nos forces armées. La Marine n'envisage nullement de réduire son effort en matière d'EPE. L'offre privée ne se substitue pas à l'offre publique, elle la complète.
Le projet de loi repose sur deux piliers : un encadrement strict de l'activité de protection des navires et un contrôle approfondi des intervenants. Le texte donne une définition claire de l'activité visée, cantonnée aux eaux extraterritoriales, dans certaines zones à risque fixées par arrêté du Premier ministre, et limitée à des navires éligibles. La menace visée recouvre toute menace extérieure, y compris terroriste. Les gardes armés seront à bord du navire, le système d'escorte étant jugé moins efficace. Des règles strictes sont prévues en matière d'utilisation des armes, l'usage de la force armée devant rester une prérogative exclusive de l'État : ainsi, les conditions d'ouverture du feu sont limitées à la seule légitime défense au sens du code pénal.
À la différence du modèle anglo-saxon fondé sur l'autorégulation, le projet de loi prévoit un encadrement et un contrôle rigoureux par l'État. Encadrement de l'accès au secteur, par la mise en place d'un agrément administratif et d'une certification des entreprises. Professionnalisation, puisque gérants et dirigeants devront être titulaires d'une autorisation d'exercer et les agents, d'une carte professionnelle, pour attester de leur honorabilité, leurs compétences et leurs aptitudes maritimes. Les catégories d'armes et de munitions autorisées sont strictement définies, ainsi que les conditions dans lesquelles elles sont acquises, détenues, embarquées et stockées à bord. Enfin un régime de contrôle administratif est instauré sur le territoire national et à bord des navires ; le suivi des activités et des agents sera régulier avec, par exemple, l'obligation de signaler l'embarquement et le débarquement d'une équipe, de déclarer les incidents survenus à bord ou encore de tenir un registre de l'activité.
En pratique, le pivot du dispositif sera le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) qui s'occupe déjà, sous tutelle du ministère de l'intérieur, de la régulation des autres activités de sécurité privée. Cela me paraît une mesure de bonne gestion.
Le projet de loi comprend, à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, six titres et 43 articles. L'article unique du titre Ier définit et autorise l'activité privée de protection des navires. Le titre II est relatif aux conditions d'exercice de l'activité privée de protection des navires, le III porte sur les modalités d'exercice de cette activité, le IV traite du contrôle administratif, le IV définit les sanctions disciplinaires et pénales. Le titre VI, enfin, prévoit l'application outre-mer.
Nous avons délégué à la commission des lois l'examen de dispositions qui s'inspirent largement du code de la sécurité intérieure. Je salue le travail de codification de nos collègues, grâce auquel le texte distingue désormais plus clairement ce qui relève des spécificités de la protection des navires, figurant dans le code des transports, et ce qui relève de la régulation classique d'une activité de sécurité privée, figurant dans le code de la sécurité intérieure. Le projet de loi initial n'était, lui, pas du tout codifié, compte tenu peut-être de la spécificité de la protection des navires, et de la difficulté à la rattacher à l'un ou l'autre de ces deux codes.
Quant à moi je ne vous proposerai pas de modifications de fond. L'équilibre dégagé par l'Assemblée nationale ménage à la fois les impératifs de sécurité, les intérêts économiques et la nécessité du contrôle par l'État sur une activité qui s'exercera au loin. Toutes les parties que j'ai entendues réclament une adoption du texte sans modification, le plus rapidement possible. L'administration m'assure que les décrets d'application seront prêts à temps. Ils font l'objet d'une concertation avec les professionnels depuis le mois de janvier. Ils pourraient être adoptés d'ici deux mois.
Les quelques amendements que je propose tendent à perfectionner juridiquement le texte, non à perturber le consensus actuel. Il s'agit notamment de supprimer la liste de non-éligibilité des navires - une précaution superflue - et de clarifier les conditions d'usage de la force armée dans le cadre de la légitime défense. La formulation actuelle laisse en effet subsister une ambiguïté. Les autres modifications sont de clarification et de cohérence.
Je remercie à nouveau la commission des lois et son rapporteur Alain Richard, pour leur très utile contribution et l'excellent climat de coopération qui a régné entre nous.
Cette future loi ne résoudra pas tous les problèmes, ne serait-ce que parce qu'elle est inopérante dans les eaux territoriales des États souverains, comme le Nigeria, où la majeure partie des actes de piraterie a lieu dès la sortie du port. Mais la fonction première de ce dispositif est la dissuasion. Chaque jour compte. Adoptons le texte rapidement et le monde entier saura que la flotte française reste l'une des plus sûres au monde, grâce aux équipes de la Marine nationale et à nos gardes armés.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Merci de votre accueil. Le partage des tâches avec Mme Herviaux s'est opéré harmonieusement. La situation qui a conduit au dépôt de ce projet de loi est connue, ce sujet n'est pas nouveau. La Marine nationale procède déjà à des interventions : elles sont bien encadrées, bien organisées, et remboursées par leurs bénéficiaires. Il demeure toutefois des zones intermédiaires dans lesquelles le degré de dangerosité est important, quoiqu'insuffisant pour justifier la présence d'une EPE. Nous disposons, depuis longtemps, d'un bon outil de mesure de la dangerosité : l'activité des assureurs.
La nécessité de la nouvelle profession de sécurité privée n'est pas contestée. Le choix dans ce texte a été de retenir un mécanisme voisin de celui prévu par la loi de juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, première du genre - certains ici s'en souviennent - et suivie de nombreuses autres. Le système d'encadrement et de régulation des activités privées de sécurité prévu par le code de la sécurité intérieure est aujourd'hui arrivé à maturité. Il fonctionne selon un principe de collégialité, voire de cogestion, puisque l'autorité régulatrice, certes soumise à la tutelle du ministre de l'intérieur, comprend des représentants de l'ensemble des professionnels et des salariés. Le Cnaps, malgré la difficulté des tâches qui lui incombent, remplit sa mission de façon estimable.
Sur ma suggestion, et après débat avec la commission de codification, la commission des lois est allée plus loin que l'Assemblée nationale en procédant à une codification. Ce n'est pas qu'affaire de commodité ou de formalisme juridique : l'empilement des textes méconnaît le principe constitutionnel d'accessibilité de la loi. La solution retenue consiste en ceci : les dispositions relatives à la déclaration et à l'agrément des entreprises, au contrôle de leur activité ou à leur sanction sont intégrées au code de la sécurité intérieure, et assorties d'adaptations en matière de certification. Les règles de procédure, en revanche, continuent à relever du droit commun. Les nombreux amendements que je vous proposerai vont en ce sens. Le code des transports conserve les dispositions relatives à l'exercice des missions de sécurité, notamment à la coordination des rôles entre équipes de sécurité et capitaine du navire.
Ces sociétés de sécurité privées sont peu nombreuses, et il ne s'agira que de petites unités. La question s'est posée de savoir s'il fallait interdire la sous-traitance. Les intervenants de sécurité agréés ne seront pas tous français et interviendront au loin. Je suis pour ma part favorable à cette interdiction et j'ai convaincu la commission des lois. Certes, c'est une source potentielle de surcoût... sauf si la mise à disposition de salariés - sur telle ou telle escale - d'une entreprise à une autre est autorisée, sur ce marché somme toute étroit.
Les faits justifiant l'emploi de la force par ces entreprises sont ceux prévus dans le code pénal. La personne obéissant au commandement de l'autorité publique n'est en principe pas responsable. Mais l'ordre du capitaine est-il un commandement de l'autorité publique ? En droit, ce n'est pas le cas. Si nous encadrons l'activité privée de sécurité, c'est bien parce que les équipages n'ont pas cette compétence. L'équipe de sécurité doit donc être autonome dans sa tâche. Les autres cas d'exonération de responsabilité prévus par le code pénal, comme la légitime défense, demeurent applicables.
Les propositions de modification sont peu nombreuses. D'abord, renvoyons au décret la fixation, après concertation avec les professionnels, du nombre d'agents nécessaire pour constituer une équipe de sécurité, car les situations sont toutes différentes et nous tiendrons compte des retours d'expérience. Ensuite, le zonage par arrêté du Premier ministre n'apporterait rien, et la responsabilité du gouvernement serait mise en cause si un accident survenait en dehors de ce périmètre. Ne mettons pas en jeu la crédibilité de l'État dans un travail aussi hasardeux. Enfin, le gouvernement a modifié le régime des visites par les services des douanes à bord des navires, le Conseil constitutionnel ayant jugé, à propos d'un texte précédent, que les visites domiciliaires à toute heure étaient contraires à la Constitution. Mais que signifie la distinction entre phase diurne et phase nocturne, pour un navire qui fait route autour du globe ? En cas de nouvelle QPC, je ne doute pas que la nouvelle rédaction des articles 62 et 63 du code des douanes trouvera grâce aux yeux des juges du Palais royal.
M. Michel Teston. - Ce sont les députés, non le gouvernement dans sa rédaction initiale, qui ont souhaité codifier ce texte dans le code des transports. Vous avez rattaché seulement une partie des dispositions au code de la sécurité intérieure. Est-ce bien cela ? Cela s'explique-t-il par des difficultés que vous auriez rencontrées ? Est-ce cohérent ?
M. Charles Revet. - Une fois n'est pas coutume, je me réjouis que nous examinions ce texte en urgence. Nos armateurs nous ont fait part des difficultés économiques qu'ils rencontrent, et du retard pris par la France. Merci pour votre présentation très claire de la situation.
L'objectif principal de ce projet de loi est de confier à des entreprises privées de sécurité la protection des navires. Il se situe ainsi dans la continuité de la loi du 5 janvier 2011 de lutte contre la piraterie, qui a défini les infractions de piraterie, autorisé les juridictions françaises à connaître des actes de piraterie commis en dehors du territoire national, créé un régime sur-mesure pour les personnes arrêtées et retenues à bord. Ce texte soumet les entreprises à une autorisation délivrée par le Cnaps, à l'obtention d'un certificat garantissant leur compétence, à la souscription d'une assurance couvrant leur responsabilité professionnelle, et à la détention d'une carte professionnelle par les agents. N'y voyons pas des contraintes supplémentaires : il s'agit de l'assurance-vie des armateurs !
L'article 9 constitue toutefois une difficulté : les documents de nature contractuelle ou publicitaire ne peuvent faire mention de la qualité d'ancien fonctionnaire de police ou d'ancien militaire que pourrait avoir l'un des dirigeants ou agents de l'entreprise.
Par ailleurs, un comité spécifique pourra recommander au Premier ministre de redéfinir les zones dans lesquelles ces entreprises pourraient exercer leur activité. Cette procédure me soucie : est-ce bien la façon la plus rapide de procéder ?
Pour le reste, je suis favorable à ce texte. La situation est grave au large du Nigéria, pays avec lequel la France travaille de plus en plus. En tant que président délégué du groupe d'amitié France-Nigéria, je me rends souvent dans ce pays ; j'y ai récemment accompagné la ministre, Mme Bricq. Les Nigérians pensent être à même d'assurer seuls la sécurité de leurs marins, ce qui est douteux. Je suis également de près ce qui se passe dans nos outre-mer. La France a la chance d'avoir une zone économique exclusive formidablement étendue, presque autant que celle des Etats-Unis - et malgré cela, elle ne satisfait que 85% de ses besoins en poissons et crustacés...
M. Michel Teston. - C'est un autre sujet !
M. Charles Revet. - Cela explique en partie l'état de notre commerce extérieur. Bref, il arrive que des bateaux de pêche soient kidnappés ou leur cargaison pillée, au large de la Guyane, sans que l'on puisse faire quoi que ce soit. Ces situations appellent une intervention militaire. Or nous manquons de navires pour sécuriser nos zones économiques exclusives. La France doit d'abord assumer ses responsabilités et protéger ses ressortissants dans ses eaux territoriales. Vous le voyez, nous attendions ce projet de loi.
Mme Hélène Masson-Maret. - Ce nouveau rapport de Mme Herviaux est aussi excellent que les précédents.
Vous avez dit, monsieur Richard, qu'il ne revenait pas au capitaine d'estimer le moment de basculement dans la légitime défense. Or les équipes de sécurité ne pourront employer la force que dans les cas de légitime défense. Mais à quel moment celle-ci est-elle invocable ? En droit français, on le sait, mais sur un navire marchand, qui transporte des biens et des personnes, quand y a-t-il intrusion justifiant la légitime défense ? Ce point me semble flou. Il existe des zones aériennes protégées : ne peut-on créer de semblables périmètres autour des navires en mer ?
L'article 9 interdirait à ces entreprises de faire état de la qualité d'ancien fonctionnaire de police ou d'ancien militaire de ses agents. Alain Richard souligne que l'article L. 612-15 du code de la sécurité intérieure édictait déjà une telle interdiction, et fait valoir que la supprimer introduirait une distorsion de concurrence. C'est contestable : au nom de quoi une entreprise ne pourrait-elle faire état de la compétence de ses salariés ? C'est une forme de label de qualité. De plus, ces entreprises sont en concurrence avec des sociétés étrangères qui elles ne sont pas soumises à de telles obligations : la distorsion de concurrence est ici.
Mme Évelyne Didier. - Merci aux rapporteurs pour leurs explications fort claires.
Ce projet de loi a trois fondements. D'abord, la hausse du nombre des actes de piraterie et l'aggravation de l'insécurité. C'est en effet une réalité préoccupante. Ensuite, le coût d'une telle lutte et nos restrictions budgétaires, qui nous empêchent d'accroître nos capacités d'intervention militaire. Alain Richard a souligné que les interventions de la Marine nationale étaient facturées à leurs bénéficiaires : ne pourrions-nous pas tout bonnement augmenter les prix ? Faire intervenir la Marine est un gage de sécurité, de compétence et de déontologie. Enfin, la compétitivité en baisse de notre marine marchande justifierait ce texte. Or la perte d'attractivité de notre pavillon résulte d'abord de la concurrence des autres pays européens, aux réglementations sociales plus souples. Bref ces deux derniers points me semblent bien faibles pour justifier une loi. Créons plutôt des postes de fusiliers, compétents et dont les conditions d'armement sont sécurisées.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Monsieur Teston, le système de codification auquel nous sommes parvenus me convient ; préférer le code de la sécurité intérieure au code des transports est par moment opportun. Je laisserai Alain Richard vous en dire davantage.
Monsieur Revet, je partage vos sentiments. Madame Masson-Maret, j'étais également désireuse d'autoriser la mention d'ancien policier ou d'ancien militaire. Mais les auditions nous ont révélé qu'il n'était pas possible de le faire dans le cadre du code de sécurité intérieure, et que ces entreprises se comptant sur les doigts d'une main, leur savoir-faire, leur sérieux, sont connus. L'attribution de la carte professionnelle suffit du reste à garantir la compétence du personnel embarqué. On sait enfin quel profil bien particulier ces sociétés rechercheront. Le seul souci est que cette disposition crée en effet une contrainte à laquelle les entreprises étrangères ne sont pas soumises.
La définition plus rapide des zones dans lesquelles ces entreprises peuvent exercer leur activité fait partie des objectifs de ce texte.
Il est exact que la piraterie explose au large du Nigéria. Je doute que l'Etat nigérian, qui entend assurer lui-même la surveillance de ses navires, se soit doté des équipements nécessaires pour y faire face. Le plus souvent, une fois le navire sorti du port, le pays ne contrôle plus rien. De plus, la délimitation des eaux territoriales avec le Ghana ou le Togo fait l'objet de nombreux contentieux. Enfin, le Nigéria n'a hélas apporté la preuve ni sur terre ni sur mer de sa capacité à protéger les personnes, ses ressortissants ou les étrangers...
Le capitaine est en principe le seul maître à bord. Mais l'étendue de ses attributions, dans certaines situations extrêmes, fait débat - marins en état d'ivresse ou sous l'emprise de stupéfiants par exemple. Par définition, la légitime défense ne peut trouver son origine dans un ordre. De toute façon, la présence de gardes armés à bord des navires a une fonction essentiellement dissuasive.
M. Charles Revet. - D'accord, mais quand des pirates abordent un navire, ce n'est pas pour y vendre des oranges !
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Madame Didier, ce texte n'obéit pas à une logique de coût. La Marine nationale ne répond qu'à 70% à 75% des demandes qui lui sont adressées car certains pays, comme l'Arabie Saoudite, exigent d'être informés du passage de la Marine dans leurs eaux territoriales plusieurs semaines à l'avance ; les armateurs ne peuvent attendre.
Certes, les manquements au principe de concurrence libre et non faussée sont nombreux et pénalisants pour nos navires, mais certains dépavillonnements s'expliquent par l'impossibilité de doter les navires de gardes privés.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Pourquoi codifie-t-on ? Pour garder une trace de ce qui est en vigueur. On ne le fait pas assez. Dans mes diverses fonctions, je n'ai cessé de plaider pour la codification. Inscrire dans deux codes les mêmes mécanismes de contrôle, c'est s'assurer de les voir diverger dans quelques années. Je l'ai observé de nombreuses fois. Il faut codifier au bon endroit. La possibilité d'exercer des missions de sécurité pour le compte des compagnies ferroviaires figure dans le code de la sécurité intérieure ; les conditions d'exercice de leur activité à bord des trains sont codifiées au code des transports... Le mécanisme que nous avons retenu a en outre l'avantage de faire disparaître la moitié des articles.
S'agissant des conditions d'emploi de la force, le point soulevé par Mme Masson-Maret n'est pas sans précédent. Toutes les professions de sécurité sont soumises au même régime : celui défini par la jurisprudence pénale. On ne peut codifier autrement les conditions de qualification de la légitime défense. Notre rôle s'est borné à identifier le cas dans lequel l'agent de sécurité privé ne saurait se voir exonéré de sa responsabilité.
Ne soyons pas hypocrites : l'interdiction de mentionner des titres professionnels antérieurs satisfait une demande de la police nationale, toujours vigilante à l'égard des sociétés de sécurité privées. Le Conseil national des activités privées de sécurité n'a trouvé aucune trace de sanction pour infraction à cette règle ces trente dernières années, preuve que l'interdiction n'est pas si violente. Nous voulons aller vite, mais ne rêvons pas : créer une entreprise et en faire certifier la structure et le personnel prend un peu de temps, aucune société ne sera opérationnelle au 1er juillet prochain.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 1er
L'amendement de coordination législative n° 38 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Raymond Vall, président. - Les amendements qui suivent ont été adoptés par la commission des lois sur des articles que nous lui avons délégué « au fond » ; ils nous sont présentés par M. Alain Richard.
Article additionnel avant l'article 2
L'amendement n°1 est adopté et devient un article additionnel.
Article 2
L'amendement n° 2 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 3
L'amendement n° 3 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 4
L'amendement n° 4 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 5
L'amendement n° 5 est adopté.
L'article 5 est en conséquence supprimé.
Article 6
L'amendement n° 6 est adopté.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 7
L'amendement n° 7 est adopté.
L'article 7 est en conséquence supprimé.
Article 8
L'amendement n° 8 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 9
L'amendement n° 9 est adopté.
L'article 9 est en conséquence supprimé.
Article 10
L'amendement n° 10 est adopté.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 11
L'amendement n° 11 est adopté.
L'article 11 est en conséquence supprimé.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - L'article 12 crée une carte professionnelle provisoire. Dans la rédaction de l'Assemblée nationale, le texte autorisait à prolonger la période provisoire par des autorisations successives d'une année chacune. Une porte doit être ouverte ou fermée. Au bout d'un an, la carte doit être refusée ou attribuée pour le reste de la durée de validité, fixée à cinq ans. L'amendement n°29 précise cela.
L'amendement n° 29 est adopté.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 13
L'amendement n° 12 est adopté.
L'article 13 est en conséquence supprimé.
Article 14
L'amendement n° 13 est adopté.
L'article 14 est en conséquence supprimé.
Article 15
L'amendement n° 14 est adopté.
L'article 15 est en conséquence supprimé.
Article 16
L'amendement n° 15 est adopté.
L'article 16 est en conséquence supprimé.
Article 17
L'amendement n° 17 est adopté.
L'article 17 est en conséquence supprimé.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Par un choix politique, la rédaction initiale définit des zones où les entreprises de sécurité privées pourront intervenir, de manière violente éventuellement. La commission des lois, par l'amendement n°18, a choisi de supprimer ce zonage, défini par décret, certes après consultation des professions concernées, mais non des services de renseignement, qui ne siègeront pas au comité consultatif... Je le répète, en cas d'incident grave hors périmètre défini par l'Etat, ce ne sera pas un succès pour ce dernier. Dès lors que la profession est encadrée, pas besoin de restreindre ainsi les zones d'intervention.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Je présente un autre amendement, qui reprend une partie de l'amendement de M. Richard, en supprimant le dispositif d'éligibilité ou non éligibilité des navires, mais qui maintient le zonage. L'Etat prend peu de risques, car les zones qu'il définit sont très larges. Or cette délimitation facilite les choses en pratique, car les armateurs pourront limiter à la zone dangereuse la présence des hommes armés à bord - ou demander à ceux-ci de ranger leurs armes lorsque le danger est passé, afin de préserver la sérénité à bord. Les autres Etats européens ont tous fait le choix de circonscrire ainsi les zones à risques. C'est une préconisation de l'Organisation maritime internationale. Je suis défavorable à l'amendement n°18.
M. Raymond Vall, président. - L'armateur devra prendre ses responsabilités. L'amendement de la commission des lois favorise l'autorégulation.
M. Henri Tandonnet. - Sans compter que les zones à risque sont mouvantes !
L'amendement n° 18 n'est pas adopté.
L'amendement n° 35 est adopté.
L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - L'amendement n° 19 renvoie au décret le soin de fixer le nombre minimal d'agents embarqués : c'est une matière règlementaire.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Juridiquement, M. Richard a raison. Mais quel est le bon seuil minimum ? Ce point fait débat. L'article résulte cependant d'un accord entre les armateurs, le Gouvernement et l'Assemblée nationale. Aussi j'émets un avis défavorable. Sur le grand tanker attaqué au large du Nigéria, il n'y avait que deux personnes armées, ce qui était largement insuffisant pour se défendre.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Est-ce à la loi de fixer le seuil ?
M. Charles Revet. - C'est à l'armateur de décider.
L'amendement n° 19 n'est pas adopté.
L'article 19 est adopté sans modification, ainsi que l'article 20.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - L'article 21 rappelle que l'emploi de la force par les gardes armés s'effectue dans le cadre du droit commun prévu par le code pénal en matière de légitime défense. Dans sa rédaction actuelle, il laisse entendre que l'application de l'article 122-4 - qui atténue la responsabilité d'un agent obéissant à une autorité légitime - est a priori exclue. Dans les faits, le juge pourra y faire référence, s'il considère le capitaine du navire comme une autorité légitime. En rétablissant la référence à l'article 122-4, l'amendement n° 36 corrige une rédaction trop ambiguë.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Suggérer que le législateur a voulu qualifier le capitaine d'autorité légitime ne me semble pas judicieux. S'il est appliqué ainsi, l'article sera contre-productif.
M. Raymond Vall, président. - Trop d'éléments échappent à la compétence du capitaine pour qu'on puisse le qualifier d'autorité légitime. Il n'est pas compétent pour déclencher un tir à l'extérieur du navire, par exemple.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - La suggestion vient du ministère de la justice. Je précise que l'article n'est pas normatif. Mais il aura un effet d'affichage : dans les discussions internationales, il faut s'entendre sur ce que recouvre la légitime défense.
Mme Hélène Masson-Maret. - Le capitaine est-il d'accord pour être l'autorité légitime à bord du navire ?
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Pourquoi créer des entreprises de sécurité spécialisées, si c'est pour les placer sous les ordres d'un capitaine qui n'est pas un professionnel de la sécurité ?
Mme Hélène Masson-Maret. - Qu'en pensent les armateurs ?
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - C'est comme si l'on plaçait les convoyeurs de fonds sous l'autorité du chef de gare, lorsqu'ils viennent chercher les fonds dans des wagons de trains SNCF.
M. Raymond Vall, président. - On pourra reprocher au capitaine de ne pas avoir demandé des tirs de semonce, de n'avoir pas pris de décisions suffisamment rapides, dans un domaine qui est pourtant défini comme ne relevant pas de sa compétence.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Il faut s'en tenir au dispositif du code pénal.
L'amendement n° 36 est adopté.
L'article 21 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 22 est adopté sans modification.
Article 23
L'amendement n° 37 est adopté.
L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 24
L'amendement de coordination législative n° 39 est adopté.
L'article 24 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La suppression de l'article 25 est maintenue.
Les articles 26 et 27 sont adoptés sans modification.
Article 28
L'amendement de coordination législative n° 40 est adopté.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Avis favorable à l'amendement n°20 de la commission des lois, sous réserve de remplacer « arrêté » par « voie réglementaire ».
L'amendement n° 20 ainsi modifié est adopté.
L'article 28 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les articles 29 et 30 sont adoptés sans modification.
Article additionnel après l'article 30
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - L'amendement n°30 prévoit d'inscrire dans le code de la sécurité intérieure un renvoi au code des transports pour les modalités d'exercice spécifiques de l'activité de protection des navires.
L'amendement n° 30 est adopté et devient un article additionnel.
M. Raymond Vall, président. - Voici une nouvelle série d'amendements de la commission des lois sur des articles dont nous lui avions délégué l'examen « au fond ».
Article 31
L'amendement n° 31 est adopté.
L'article 31 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 32
L'amendement n° 21 est adopté.
L'article 32 est en conséquence supprimé.
Article 33
L'amendement n° 22 est adopté.
L'article 33 est en conséquence supprimé.
Article 34
L'amendement n° 32 est adopté.
L'article 34 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
L'article 34 bis est adopté sans modification.
Article 35
L'amendement n° 33 est adopté.
L'article 35 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 36
L'amendement n° 23 est adopté.
L'article 36 est en conséquence supprimé.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - L'amendement n°34 diversifie l'activité de la société de sécurité à bord, en ajoutant le conseil et la formation en matière de sûreté.
L'amendement n° 34 est adopté.
L'article 37 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 38
L'amendement n° 24 est adopté.
L'article 38 est en conséquence supprimé.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - L'amendement n° 25 élargit la liste des autorités exerçant un contrôle en matière de sécurité maritime.
L'amendement n°25 est adopté.
L'article 39 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Article 40
L'amendement n° 26 est adopté.
L'article 40 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
L'article 41 A est adopté sans modification.
Article 41
L'amendement n° 27 est adopté.
L'article 41 est en conséquence supprimé.
L'article 42 est adopté sans modification.
Article additionnel après l'article 42
M. Charles Revet. - D'habitude l'outre-mer fait l'objet de textes particuliers. Là, c'est l'inverse : on supprime ce qui existait de particulier pour l'outre-mer.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois. - Il n'aura pas pu échapper aux parlementaires que la France est devenu un pays fédéral. La Constitution prévoit que l'ensemble de la législation s'applique dans les départements d'outre-mer ; dans les collectivités d'outre-mer en revanche, il revient au législateur d'apprécier si la législation est applicable ou non. Les dispositions qui ont trait à l'exercice de l'autorité publique ont bien sûr vocation à s'appliquer partout. Tel est l'objet de mon amendement n°28.
L'amendement n° 28 est adopté et devient un article additionnel.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Audition de M. Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la Nature et l'Homme, envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète
La commission entend M. Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la Nature et l'Homme, envoyé spécial du Président de la République pour la planète.
M. Raymond Vall, président. - Je ne présenterai pas Nicolas Hulot, vous connaissez tous l'action qu'il mène depuis de nombreuses années. En créant dès 2001 l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, qui est toujours présidé par Paul Vergès, le Sénat a contribué à porter la question écologique sur les territoires. Quelles sont les priorités à mettre en oeuvre en matière énergétique ? Comment rendre efficace le Sommet de Paris sur le climat ? Comment mobiliser l'opinion française ? Les questions sont nombreuses.
M. Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète. - Le Sénat s'est emparé des sujets écologiques depuis bien longtemps : je sais que je suis en territoire ami. Depuis dix-huit mois, j'exerce la mission d'envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète. L'ampleur du titre peut faire sourire. Elle est néanmoins très adaptée aux enjeux universels auxquels nous sommes confrontés pour la première fois dans l'histoire des sociétés. Nous serons tous gagnants, ou tous perdants. Personne n'a intérêt à un échec de la conférence de Paris en 2015. Je m'étonne que certains pays continuent de se défausser de leurs responsabilités dans les négociations multilatérales onusiennes. Le dernier rapport du Giec montre que la fenêtre d'opportunité se referme un peu plus chaque jour. C'est l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants qui se joue. Depuis vingt ans, la prise de conscience grandit, mais sa traduction en mesures concrètes peine à suivre l'emballement des phénomènes climatiques, dont l'aggravation n'est pas linéaire. Nous sommes lancés dans une cruelle course contre la montre.
La conférence de Paris suscite espoirs et inquiétudes. Celle de Copenhague était déjà le rendez-vous de la dernière chance. Les coûts humain et économique vont se développer de manière exponentielle. Le troisième volet du dernier rapport du Giec confirme à 98,5 % - j'admire la prudence des scientifiques - la responsabilité anthropique du changement climatique, à l'oeuvre sous des formes variées, y compris sous nos latitudes. Le coût économique est parfaitement mesurable. Aux Etats-Unis, les catastrophes naturelles ont coûté 4 milliards de dollars en 1980, 20 milliards en 2000 ; en 2012, le seul ouragan Sandy a coûté 60 milliards et la sécheresse dans le New-Jersey, 40. Le Giec confirme les prévisions de son premier rapport - l'amplification et la multiplication des extrêmes climatiques. Je m'en désole et m'en réjouis à la fois : les événements sont nos meilleurs alliés pour convaincre ceux qui doutent encore.
En dépit des accords internationaux, le rythme des émissions de gaz à effet de serre ne cesse d'augmenter. La Chine nous a rattrapés en volume global, mais non en volume par habitant. Le rapport du Giec, qui coïncide avec celui de la Banque mondiale, indique que si nous laissons la température augmenter de deux degrés Celsius au cours du siècle, les économies et les démocraties seront directement menacées. Si le sujet suscite souvent une attention sincère, un malentendu subsiste quant à la teneur des enjeux climatiques, optionnels pour certains, conditionnels pour d'autres, dont je fais partie - c'est-à-dire que les changements climatiques conditionnent tous les enjeux de solidarité auxquels nous sommes attachés. Ils amplifient l'injustice, multiplient les inégalités, creusent la souffrance. Ils sont un facteur aggravant de la raréfaction des ressources, je songe à l'état des océans, à l'accès à l'eau potable, à la productivité des terres agricoles. Nous marchons en spectateurs éclairés vers une catastrophe annoncée. Plus on attend pour s'engager, plus le coût en terme de PIB augmente, Nicholas Stern l'a montré.
Pourquoi ajournons-nous sans cesse notre mobilisation ? Le positivisme opère encore, qui fait croire que le progrès est irréversible et que le temps règlera tous les problèmes. Les fondamentaux de notre modèle économique sont solidement ancrés. Nous devons à la fois répondre aux exigences présentes de nos concitoyens, faire face à l'héritage des siècles précédents et, pour la première fois dans l'histoire, réfléchir aux impératifs de long terme. Sacrifiera-t-on l'avenir au présent ou le présent à l'avenir ? Durant les dix-huit mois de ma mission, j'ai rencontré des interlocuteurs du monde entier, y compris dans des pays aux postures radicales. Certains pays considèrent que la responsabilité du changement climatique doit être rejetée sur ceux de l'OCDE et de l'hémisphère nord qui ont saturé l'atmosphère de gaz à effet de serre. A l'inverse, les pays du nord engagent les pays émergents à prendre leur part de responsabilité, en arguant qu'ils ont pris le pas en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Sur notre continent, certains veulent développer l'investissement dans les modèles économiques de demain. Pour d'autres, plutôt les pays de l'est, l'Europe n'en a que trop fait. L'unanimité affichée lors de l'adoption du paquet énergie-climat a fait long feu.
Une sortie par le haut à la conférence de Paris dépend d'étapes intermédiaires, en particulier le sommet Ban Ki-moon à New-York à l'automne prochain. A Copenhague, les chefs d'Etat étaient entrés dans le jeu au dernier moment, ce qui a pesé dans l'issue des débats. Il semble aujourd'hui que des discussions se déroulent en coulisse entre les Américains et les Chinois. Aux Etats-Unis, les récentes déclarations du président Obama sont porteuses d'espoir. Même si le Congrès n'est pas disposé à ratifier un engagement international, les esprits bougent, y compris dans le camp républicain. L'économie américaine subit l'impact des éléments climatiques. Les agences militaires, CIA en tête, estiment que la menace climatique pèse autant que la menace terroriste sur la sécurité nationale. Du point de vue des technologies de l'environnement, les entreprises américaines sont en pointe. La lutte contre le réchauffement climatique leur offre une opportunité économique intéressante. Selon Al Gore, le président serait en mesure de prendre un engagement international en se passant de la ratification du Congrès - le Clean Air Act mis en oeuvre directement par les grandes agences ayant fait précédent. M. Obama a une certaine marge d'action pour s'engager. Il souhaite certainement rester dans l'Histoire autrement que comme le premier président noir des Etats-Unis. L'Histoire retiendra ce que les Etas-Unis auront fait ou pas.
Quant à la Chine, jusqu'à présent, elle ne s'engageait qu'à reculons dans le processus de lutte contre le réchauffement climatique, sous la pression internationale. Désormais, l'enjeu est interne. La pollution a un coût économique. À Shanghai, l'activité économique a dû s'arrêter pendant une semaine, pour assainir l'air. Les dirigeants craignent des mouvements de masse en protestation contre un air trop pollué. Le terme de « civilisation écologique » est entré dans le vocabulaire chinois, c'est un signe : on peut espérer une réponse proche. La situation se décrispe également dans les pays du Golfe. Les Emirats Arabes Unis font partie du Dialogue de Carthagène, un espace de discussion informel et très ouvert sur le changement climatique. L'Arabie Saoudite, le Koweit et le Qatar sont disposés à oeuvrer pour que le sommet de Paris soit une réussite, par exemple en encourageant les pays du G77 à poser leurs propres engagements au lieu d'attendre de voir ce que font les autres. Des partenariats intéressants sont possibles, car ces pays disposent d'une manne économique extraordinaire et de fonds souverains à faire pâlir d'envie, sans avoir les capacités humaines nécessaires à la recherche-développement. On peut ainsi envisager une coopération entre la France, les pays du Golfe et l'Afrique. Les dés ne sont pas encore joués pour le sommet de Paris. Le rôle de la France est important mais limité dans un processus qui est d'abord onusien. Le pays hôte peut développer des arguments, montrer le scénario positif d'un nouveau modèle économique, mais peut-il oser la rupture ?
J'ai eu l'occasion de visiter le plus grand centre de recherche au monde sur les énergies renouvelables, au Colorado. Il regroupe 2 à 3 000 chercheurs du monde entier. Le futur est en marche, effaçant toute vision archaïque des énergies renouvelables. Les choses vont aller vite. J'ai une foi absolue dans l'efficacité des énergies renouvelables exploitées en bouquet. La courbe du rendement énergétique croise celle du coût. Le développement de technologies nouvelles, comme le stockage des énergies intermittentes ou le transport durable, suscite l'optimisme. En France, nous avons tout un secteur de pointe dans le domaine de l'environnement et de l'efficacité énergétique. Le foisonnement des initiatives se heurte hélas à un mur de scepticisme du côté des banquiers, ce qui étouffe dans l'oeuf nombre d'initiatives. Le rôle de la BPI sera à cet égard essentiel. La diplomatie française est dévouée au sujet. Laurent Fabius se montre volontaire. L'enthousiasme et la fierté sont les sentiments qui dominent au sujet de la conférence. Nous avons besoin de cette émulation collective pour réussir.
M. Raymond Vall, président. - Une parenthèse avant de donner la parole à nos collègues, pour vous indiquer les changements intervenus dans notre commission. Sophie Primas remplace Michel Doublet, démissionnaire de son mandat de sénateur, Chantal Jouanno remplace Vincent Capo-Canellas, parti à la commission des lois, Anne-Marie Escoffier revient au Sénat et remplace Stéphane Mazars, Thierry Repentin retrouve également son siège de sénateur et remplace André Vairetto, enfin Jean-Pierre Bosino, suppléant de Laurence Rossignol, nous rejoindra dans quelques jours.
Revenons à présent aux changements climatiques...
M. Ronan Dantec. - Il est facile de dramatiser le propos à l'approche de la conférence. Attention, pourtant, car si nous brandissons la menace de la dernière chance, et si finalement l'accord n'est pas à la hauteur des espérances, une telle pression laissera la place au climato-fatalisme et à une démobilisation générale. Nous devons livrer une analyse lucide de la situation, en nous rappelant que certains pays, comme la Russie, le Canada, l'Australie, sont hostiles à tout accord contraignant. Avant le sommet de Paris, une autre négociation se tiendra à New-York, en septembre, pour adopter les Objectifs du développement durable. Sans accord à New-York, il n'y en aura pas à Paris. Un argument efficace est de faire valoir que les accords sur le climat sont des accords sur le développement. Les Emirats sont prêts à jouer la carte du développement en Afrique. Paris doit être la vitrine de l'action concrète. Nous devons tenir un discours crédible autour du modèle économique des énergies renouvelables, montrer combien il se développe rapidement sur l'impulsion des villes ou des entreprises, car des dynamiques sectorielles sont lancées dans le monde entier. Une question doit être posée dans la conjoncture actuelle où il nous faut réaliser 50 milliards d'économies : quels sont les égoïsmes français à combattre pour permettre un accord à Paris ?
M. Michel Teston. - Le président chinois promeut une stratégie économique et écologique. Quelle sera la position de la Chine lors de la conférence de Paris ? L'Union européenne parlera-t-elle d'une seule voix ? Y aura-t-il un accord sur la question des nouveaux hydrocarbures en Europe ? Les Etats africains sont peu pollueurs mais ont des besoins immenses en matière de développement. Comment trouver un équilibre entre leur développement économique et la protection de la nature ?
Mme Odette Herviaux. - Votre optimisme me va droit au coeur. Nous en avons besoin. Finissons-en avec les amalgames, les simplismes et le catastrophisme. Lorsque nous avions auditionné des représentants du Giec, lors de la préparation des deuxième et troisième volets de leur rapport, j'avais apprécié les précautions verbales de leur discours, indiquant une vraie position de chercheurs. Les tempêtes à répétition qui ont sévi cet hiver au large de la Bretagne ne sont-elles qu'un phénomène météorologique isolé ou vont-elles devenir de plus en plus fréquentes, porteuses de conséquences catastrophiques ? Comment être précis et empêcher les amalgames, en particulier ceux véhiculés par les médias ? Comment les collectivités territoriales peuvent-elles anticiper ? Comment aider le législateur à prendre les bonnes décisions en amont ?
Mme Chantal Jouanno. - Merci pour cet exposé engagé et optimiste. Le rapport de la Banque mondiale, d'une qualité exceptionnelle, rappelle celui de Nicholas Stern. Le rapport sur les objectifs du millénaire pour le développement est également important. Nous attendons avec impatience la publication dans Science d'un rapport sur la montée des eaux liée à la fonte des glaciers.
Un mot sur les principes de négociation internationale, dominés par l'idée d'une responsabilité commune mais différenciée. Un nouveau principe pourrait-il s'imposer lors de la conférence de Paris, pour avancer enfin ? Nous voyons bien les limites des objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre pays par pays : ils peuvent, comme en France, être remplis tandis que l'empreinte carbone augmente. Ce dernier concept est-il appelé à prendre l'importance qu'il mérite ?
La mesure du PIB est un vieux débat conceptuel. La réflexion engagée par Joseph Stiglitz et Amartya Sen a-t-elle été poursuivie ailleurs qu'à l'Unesco ? Le problème des déplacés environnementaux sera-t-il pris en compte dans la préparation de la conférence ? La Chine investit massivement en Afrique - un nouveau programme a encore été lancé il y a quelques jours - ce qui pose de graves problèmes d'empreinte carbone. Je n'ai pas encore vu de rapprochement entre l'Union européenne et l'Afrique sur ces sujets. Et vous ? Où en est l'Agence internationale de l'énergie renouvelable ? Comment pouvons-nous agir pour faciliter les négociations avec d'autres acteurs que les Etats ? Les collectivités territoriales sont souvent très en avance en matière environnementale, et nous serions heureux de contribuer au succès de la conférence.
M. Benoît Huré. - Merci pour vos propos pleins d'espérance sur ces enjeux urgents. Dans une compétition mondiale qui s'est accélérée, s'exonérer de ses responsabilités environnementales est une façon - à courte vue - d'améliorer sa compétitivité. A défaut de gouvernance et d'autorités internationales, les pays qui prennent en compte ces exigences écologiques décrocheront. Or le réchauffement climatique n'a pas de frontières. En d'autres temps, nous avons vu naître le concept des Nations unies. Il est temps de s'en inspirer. Au plus fort de la crise, pendant la présidence française de l'Union européenne, était né le concept de gendarme de l'environnement au niveau mondial, qui avait déplu à un certain nombre de grands pays développés. Le film d'Al Gore était pourtant parvenu à sensibiliser les opinions publiques : c'est une courroie de transmission plus efficace dans les grands pays libéraux...
Mme Évelyne Didier. - Merci pour ces propos. Comment entendez-vous sensibiliser les médias ? Car ces problèmes ne se régleront pas sans eux, ni sans les populations. Mais de quelle pédagogie faut-il faire preuve ? Faire planer la menace d'une hausse des températures de deux degrés n'impressionne guère : certains croient qu'ils pourront faire du vin en Lorraine ou bronzer plus facilement... Ces questions sont follement complexes, qui font intervenir des aspects énergétiques, révèlent la prééminence de tel ou tel État, et sont dépendantes de l'évolution des technologies.
On heurte des égoïsmes, dit Ronan Dantec. On heurte surtout des lobbies capitalistes, qui tiennent le monde et l'économie, et sont uniquement soucieux de profits immédiats, quelles qu'en soient les conséquences à long terme ! Comment leur faire comprendre que préparer l'avenir est dans leur intérêt ? Les investissements de long terme, en recherche et développement, les intéressent de moins en moins.
Une île des Canaries est en train de devenir autonome énergétiquement. Le Maroc développe des centrales solaires. Preuve qu'une action est possible. Comment faire en Europe pour progresser, à court et à long termes, vers l'autonomie énergétique ? Dans une économie mondialisée, les États raisonnent en fonction de leurs intérêts propres, en Chine comme aux États-Unis. Ils ne s'engageront que lorsqu'ils seront prêts, et alors, ils nous imposeront leurs normes. La question est : quand ? Quoi qu'il en soit, le pessimisme est un luxe que nous ne pouvons nous permettre. Soyons optimistes !
M. Henri Tandonnet. - Comment les collectivités territoriales, des régions, des départements, des métropoles, des petites communes, peuvent-elles vous aider ?
M. Raymond Vall, président. - J'allais vous poser la même question. Nous sommes en train de mobiliser l'IGN, Météo France et l'Inria par exemple, pour repérer les initiatives des collectivités et constituer des cartes d'anticipation du réchauffement climatique à vingt ou trente ans. Les élus ont besoin, pour élaborer leurs Scot, de projections à trente ans. Nous avons également émis l'idée de constituer une coopération, sous l'égide du ministère des affaires étrangères, destinée à faire profiter d'autres collectivités, africaines ou autres, des innovations lancées par nos territoires. Nous aurions besoin pour cela d'un ambassadeur. Vous semblez tout désigné pour le poste !
M. Nicolas Hulot. - Il est dans mon rôle d'identifier ce qui fait partie des solutions à apporter aux problèmes climatiques, et de les promouvoir. Nous recensons déjà les bonnes pratiques. Des événements en amont de la conférence de Paris les mettront en valeur. Certains projets sont opérationnels, d'autres sont à l'état de promesse.
Si les négociations se faisaient au niveau des villes, ma tâche serait grandement facilitée. La moitié des actions utiles se font à ce niveau. Ce que l'on appelle les villes durables sont désormais une réalité très sophistiquée, que l'on pense aux innovations en matière de bâtiment à énergie positive, à l'économie circulaire ou aux transports durables. En ville, les choses vont vite, je ne m'inquiète pas. Nous collaborons de plus avec le réseau R20, sorte de G20 des régions, présidé par l'ancien gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger et Michèle Sabban, vice-présidente de la région Ile-de-France ; ce réseau est chargé de valoriser les initiatives qui fonctionnent.
Où placer le curseur de la réussite ou de l'échec à la conférence de Paris, s'interroge Ronan Dantec. La perception de l'échec peut être pire que l'échec lui-même : prenons garde à ne pas démobiliser ou démoraliser les citoyens. Copenhague a plutôt été un échec, mais des choses y ont été actées.
La situation écologique de la planète demeure très difficile, et fait de nombreuses victimes. J'ai reçu récemment les représentants de petits États insulaires, du Bengladesh ou encore d'États du Sahel : sans vouloir faire pleurer dans les chaumières, l'augmentation de la température moyenne d'un seul degré serait pour eux une tragédie. Il y va de la préservation des modes de vie humains.
Ce qui fait pour l'heure défaut, c'est une volonté coordonnée. La dernière initiative diplomatique du président Chirac fut en faveur de la création d'une agence mondiale de l'environnement - dont les compétences demeuraient toutefois à définir. Or cette idée, pour moi incontournable, n'a finalement pas été intégrée au texte final de Rio+20. Ajourner éternellement ces progrès nécessaires, c'est aller droit à l'échec. Nos crises - financières, économiques, écologiques - sont des crises de l'excès. La seule organisation à même de réguler ces excès serait l'OMC : il faut lui adosser une agence mondiale de l'environnement.
Tout le monde est d'accord pour dire qu'une hausse de la température de deux degrés, comme l'avance le rapport du Giec, est un maximum. Pour la contenir, il faut être très ambitieux sur les engagements, sans décourager les populations pour autant. La commissaire européenne à l'environnement Connie Hedegaard, radicale, estime que l'on a déjà fait trop de concessions ; d'autres estiment que l'important est de faire un pas en avant. Dans les fonctions qui sont les miennes, je joue nécessairement de ces deux registres : il n'y a pas d'issue favorable si l'on ne fait rien ; il existe un chemin pour atteindre nos objectifs. Reste à convaincre le plus grand nombre de s'y engager, car l'Europe seule ne peut pas grand-chose.
D'aucuns objectent que la contrainte écologique est un handicap économique. Je suis convaincu que ceux qui partiront le plus tôt feront les meilleurs investissements en faveur du modèle économique de demain. À court terme, le problème réside dans la transition écologique et son financement. Si cette question n'est pas abordée à la conférence bancaire de 2014, nous aurons un problème. Il faut définir des priorités, et nous montrer ambitieux mais souples. La transition énergétique coûtera entre 40 et 60 milliards d'euros par an. Comment faire ? Des réflexions sont en cours ; des solutions existent. Nous devrons soulever la question des financements innovants. Devrons-nous privilégier un engagement juridiquement contraignant, s'il demeure circonscrit à l'échelon national ? Pourrons-nous accepter que certains pays comme la Chine refusent les contrôles extérieurs du respect de leurs engagements ? Je sens l'émergence progressive d'une volonté partagée car tout le monde a désormais conscience des problèmes.
Mme Herviaux a raison de le souligner, ne confondons pas météorologie et climatologie. Les évolutions du temps et celles qui affectent le climat ne sont pas nécessairement corrélées. Le dernier rapport du Giec confirme toutefois que les événements extrêmes - précipitations, sécheresses - sont plus réguliers et plus intenses qu'auparavant.
Un mot sur les énergies renouvelables. Le Maroc a décidé la construction de centrales solaires à concentration - n'oublions pas que l'énergie solaire ne passe pas exclusivement par le photovoltaïque. Les Émirats Arabes Unis expérimentent pour leur part à Masdar un système de stockage d'énergie solaire à concentration à partir de sel. D'autres systèmes, ailleurs, sont à l'étude, reposant sur les smart grids et l'interconnexion. La France a un immense potentiel dans les énergies marines, mais elle a pris du retard et n'a pas encore abordé la phase industrielle. Les courants marins, près des côtes, ont ces avantages de fournir du courant en continu et de ne pas poser de difficultés de raccordement. Les îles, notamment les îles tropicales, peuvent également tirer profit du gradient thermique. La houle est une autre source d'énergie. La biomasse est insuffisamment exploitée, notamment la filière forêt : nos chablis partent en Chine et nous reviennent parquets...
Toutes les entreprises savent que l'efficacité énergétique est une source de compétitivité. Se libérer des contraintes énergétiques est un bon moyen de rééquilibrer sa balance commerciale. Le pari de l'Allemagne est très controversé : mais notre voisin, contrairement à ce que l'on dit parfois, sait très bien où il va, même si cela implique un coût de l'énergie plus lourd à court terme. En France, quoi que l'on pense du nucléaire, celui-ci permet une transition énergétique plus sûre et nous évite d'en passer obligatoirement par l'énergie fossile non conventionnelle. Du reste, on ne pourra sortir du nucléaire par un coup de baguette magique.
L'ambition européenne a faibli, ce dont, comme vous, je me désole. La Commission a retenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aucun objectif en termes d'efficacité énergétique ou d'énergies renouvelables, le Royaume-Uni en ayant fait une ligne rouge afin de laisser ouverte l'hypothèse d'un retour aux énergies fossiles conventionnelles. Là encore, soyons souples : la priorité demeure la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La Chine envoie des signaux contradictoires. Lorsque nous étions à Washington, on nous a laissé entendre que des discussions étaient discrètement en cours entre la Chine et les États-Unis. Rien de concret n'en est encore sorti.
M. André Gattolin. - En tout cas, aucun engagement chiffré.
M. Nicolas Hulot. - C'est pourquoi le sommet de Ban Ki-moon sera plus important que la conférence du Pérou fin 2014. La situation européenne est plus compliquée qu'auparavant : les prochaines élections auront un impact déterminant sur les ambitions de notre continent.
Nul besoin de revenir sur le constat : les rapports du Giec font état d'une responsabilité humaine, à une probabilité de 98,5 %. Il reste des sceptiques : pourtant, qui voudrait monter dans un train qui a 98,5 % de risque de s'écraser ? Personne.
Un mot sur le rôle des médias. Au journal télévisé de France 2, on m'a donné deux minutes trente pour défendre la taxe carbone, juste après la présentation des résultats d'un sondage très négatif sur la création d'une nouvelle taxe. C'était en effet une mission kamikaze.
En politique, la division sur toute question entre l'opposition et la majorité ne favorise pas la pédagogie. D'autant que les médias s'en régalent ! Un moyen pédagogique efficace serait d'afficher une solide unanimité. Monter l'opinion contre l'écotaxe est chose aisée ; convaincre de son bien-fondé est hélas plus difficile. Livrer un message commun, avec des explications complémentaires, dissiperait la confusion et faciliterait la persuasion. Pour lutter contre les amalgames, je passe beaucoup de temps dans les rédactions, de ma propre initiative, sans être invité pour une interview ou un débat. Cela valorise les journalistes en charge des questions d'environnement et diffuse l'information auprès de ceux qui connaissent moins bien le sujet.
Seule une petite partie de la communauté internationale était présente à Kyoto et l'accord conclu était volontaire. La conférence de Paris, elle, doit déboucher sur un accord global, juridiquement contraignant. C'est une première mondiale.
Des réflexions ont pris forme sur les indicateurs, sans qu'aucune suite y soit donnée. Aucun principe n'a pris le relais de la responsabilité différenciée, car certains Etats y sont très attachés. Je suis navré de voir que la Chine s'est substituée à l'Europe en Afrique. Il a suffi de dix à quinze ans pour que les Chinois imposent leurs méthodes et s'emparent d'un certain nombre de ressources. La diplomatie forte déployée par les Chinois est parfois mal vécue. Les opérateurs chinois ne respectent pas toujours les normes sociales ou écologiques - en matière de trafic des espèces menacées ou d'exploitation des zones forestières, par exemple - ce qui décourage d'autant plus les industriels européens. L'Europe a tout intérêt à aider l'Afrique à se développer sans reproduire ses erreurs passées. Elle y contribuera en développant le transfert de technologies.
Le sujet heurte des lobbies : c'est peu dire. Un vrai problème de démocratie est en jeu. La transparence est indispensable. Si tous les lobbies ne sont pas néfastes, certains, hostiles aux mutations technologiques, déploient des moyens illimités pour s'y opposer. L'agence Irena souffre d'un problème de gouvernance. Marie-Hélène Aubert, conseillère diplomatique de François Hollande sur le changement climatique, entend s'engager sur la question. Irena a son avenir devant elle plutôt que derrière elle.
Les Africains considèrent qu'on a autant besoin d'optimistes que de pessimistes : les premiers construisent des avions, les seconds des parachutes. Mais tous peuvent être tentés d'abandonner leur sort au destin. Plutôt qu'optimiste ou pessimiste, il faut être déterminé, oser la rupture, notamment en France, pour que la transition énergétique soit le modèle économique de demain.
M. Raymond Vall, président. - Nous vous remercions.
La réunion est levée à 17 h 10.
Mercredi 14 mai 2014
- Présidence de M. Raymond Vall, président. -Modifier la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur la proposition de loi constitutionnelle n° 183 (2013-2014) visant à modifier la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation.
La réunion est ouverte à 9 h 35.
M. Raymond Vall, président. - Depuis le temps qu'il nous en parlait, Jean Bizet est allé jusqu'au bout ! Il nous présente son rapport pour avis sur une proposition de loi constitutionnelle dont il est le premier auteur, et qui modifie la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation.
M. Jean Bizet, rapporteur pour avis. - J'ai préparé ce texte car j'ai vu que le principe de précaution, qui est un principe auquel je crois, a évolué, pour ne pas dire dérivé. Notre travail de parlementaire ne s'arrête pas avec la promulgation d'une loi : le service après-vote comprend le contrôle de son application et du respect de l'intention du législateur.
La révision constitutionnelle de 2005 relative à la Charte de l'environnement a donné lieu à des débats passionnés, notamment au sujet de l'article 5 de la Charte, qui concernait le fameux principe de précaution. Déjà consacré en droit français par la loi Barnier de 1995, ce principe allait être inscrit dans notre norme suprême. Pour les uns, il s'agissait de prendre davantage la mesure des grands risques environnementaux et de prendre conscience d'une communauté de destin terrestre imposant la garantie d'une nouvelle génération de Droits de l'homme. Pour les autres, ce principe risquait de constituer un frein au développement économique et à l'innovation.
Rapporteur pour avis de cette réforme constitutionnelle pour la commission des affaires économiques, j'avais entendu, avec le rapporteur de la commission des lois, Patrice Gélard, un grand nombre de personnalités, des universitaires, des membres d'associations, ainsi que des représentants des entreprises. Ces derniers, sans être hostiles à l'idée de précaution, craignaient que, figé dans le texte constitutionnel, un tel principe ne se transforme en principe d'inaction ou d'abstention, empêchant toute prise de risque et tout investissement.
Nous avions alors défendu une version pondérée, réservée et délibérative du principe de précaution. L'article 5 de la Charte, modifié au cours de l'examen parlementaire, encadrait son application par des conditions strictes : irréversibilité du dommage ; stricte limitation aux autorités publiques de la possibilité de le mettre en oeuvre ; caractère provisoire et proportionné des mesures prises dans ce cadre.
Au lendemain du scandale du sang contaminé et de la crise de la vache folle, la demande sociale était très forte d'un engagement des autorités publiques face aux nouveaux risques alimentaires, sanitaires et environnementaux. Ce climat d'inquiétude et de méfiance ne s'est d'ailleurs pas vraiment dissipé. Pour autant, le principe de précaution équilibré qui trouvait ainsi place dans notre bloc de constitutionnalité devait se conjuguer avec d'autres principes : prévention (article 3), réparation (article 4), droits d'information et de participation (article 7).
Près de dix ans après, me voici de nouveau rapporteur pour avis de la proposition de loi constitutionnelle que j'ai co-signée avec un certain nombre de mes collègues, pour préciser la définition du principe de précaution. En effet, une interprétation souvent excessive, voire déraisonnable, des dérives, mais aussi des difficultés d'application ont renforcé les craintes que l'on pouvait avoir, au point que certains demandent sa suppression de notre Constitution.
Plusieurs facteurs expliquent ce retournement. D'une part, la prise de conscience de la gravité des risques environnementaux s'est accompagnée d'une tendance à la gestion émotionnelle des crises, dans l'urgence, dictée par les attentes d'une société gagnée par l'inquiétude et l'anxiété. Comme le fait remarquer Alain Feretti, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et auteur de l'étude récente « Principe de précaution et dynamique d'innovation », le principe de précaution a été dévoyé par un phénomène d'emballement médiatique, rythmé par les sujets du journal télévisé, qui empêche toute prise de recul et toute réaction efficace et coordonnée.
Cette tendance s'accompagne d'ailleurs d'une disqualification de l'expertise scientifique, en raison d'une perception avant tout sociale et politique des catastrophes. Des organismes comme le CNRS font état d'une forme de pression extérieure, de nature à freiner les travaux de recherche, comme c'est déjà flagrant dans le domaine des biotechnologies.
En outre, plusieurs rapports pointent des difficultés dans l'application concrète du principe de précaution : c'est le cas du récent rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective ou encore de celui des députés Alain Gest et Philippe Tourtelier, qui a abouti à l'adoption d'une résolution le 1er février 2012. Sont mis en avant le manque de rigueur et de transparence dans l'évaluation de la valeur relative des expertises, ou encore les faiblesses de l'organisation du débat public, qui n'est pas encore rentré dans notre tradition. Dans ce contexte, l'interprétation qui a été faite du principe a renforcé un climat de précaution défavorable à l'innovation.
De plus en plus de travaux soulignent ce handicap de la France dans un contexte de compétition internationale toujours plus rude. Pourtant dotée de nombreux atouts, elle souffre d'une absence d'écosystème favorable à l'innovation. Faiblesse des coopérations entre recherche privée et recherche publique, faiblesse du secteur privé dans les dépenses de R&D, cloisonnement entre monde de la recherche et monde de l'entreprise, système éducatif qui stigmatise l'échec, fiscalité pénalisante etc., autant d'éléments constitutifs d'une ambiance peu propice à l'innovation qui constitue pourtant la clé de notre compétitivité.
C'est exactement ce que met en avant le rapport de la commission « Innovation 2030 », présidée par Anne Lauvergeon. Nous invitant lors de son audition en juillet dernier à nous demander « comment faire pour que nous ayons en 2030 une France qui ne passe pas à côté des grandes innovations, y compris de rupture », elle avait insisté sur une devise qui était en quelque sorte le fil rouge de son rapport : « Le principe de précaution doit être rééquilibré par le principe d'innovation ». Elle rejoignait ainsi les réflexions de Louis Gallois sur le pacte de compétitivité, ou celle du rapport de M. Fezetti que je viens d'évoquer, adopté à l'unanimité des membres du CESE, et qui préconise une meilleure articulation entre principe d'innovation et principe de précaution.
Je rejoins pour ma part ces analyses et j'ai donc déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à équilibrer le principe de précaution présent dans notre Constitution par celui d'innovation. En effet, selon moi, il ne serait pas raisonnable de déconstitutionnaliser le principe de précaution, dans la mesure où cela constituerait un véritable recul pour le droit de l'environnement, sans pour autant remédier aux difficultés que j'ai évoquées. En outre, le principe continuerait de s'appliquer puisqu'il est consacré par le droit communautaire comme par la loi française. En revanche, je suis convaincu qu'un meilleur encadrement est aujourd'hui indispensable. Il doit se traduire concrètement par une véritable dynamique d'action et d'innovation.
C'est précisément l'objet de cette proposition de loi constitutionnelle ; elle exprime plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation, puisque sa bonne application repose, en fait, sur le développement des connaissances scientifiques et de l'innovation.
Elle complète l'article 5 de la Charte, relatif au principe de précaution, afin de préciser que les autorités publiques doivent veiller, en plus de la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et de l'adoption de mesures provisoires et proportionnées, à ce que cette mise en oeuvre constitue un « encouragement à la recherche, à l'innovation et au progrès technologique ».
L'article 7, relatif au droit à l'information et à la participation à l'élaboration des décisions publiques pouvant avoir un impact sur l'environnement, est également modifié afin de prévoir, d'une part, la diffusion des résultats de la recherche et le recours à une expertise pluridisciplinaire, d'autre part, la définition par la loi des conditions de l'indépendance de l'expertise scientifique et de la publication des résultats.
L'article 8 enfin, affirmera également que la promotion de la culture scientifique contribue à l'exercice des droits et devoirs définis par la Charte.
Innovation et précaution, sont les deux versants d'une même ambition : celle d'un développement économique responsable face aux grands risques environnementaux. Une ambition vivante et dynamique, mais toujours consciente que, selon les mots d'Hölderlin, « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Le principe de précaution a dérivé parce que nos concitoyens l'ont vécu comme une protection contre la mondialisation. Il fallait le préciser et l'encadrer. En émettant un avis favorable à cette proposition de loi constitutionnelle, nous donnerons un signal très positif en faveur de l'innovation.
M. Raymond Vall, président. - Merci. Je salue la présence parmi nous de Mme Escoffier. Deux ministres !, notre commission se renforce...
Mme Hélène Masson-Maret. - Je suis fière d'être cosignataire de cette proposition de loi constitutionnelle, car mettre à l'honneur le terme d'innovation clarifie et amplifie le sens du principe de précaution aujourd'hui dévalorisé. Adjointe au maire pendant douze ans, j'ai vu comment les services techniques l'invoquaient pour refuser des projets. J'ai bien vu aussi en préparant mon rapport sur le patrimoine naturel de la montagne qu'il suscitait la colère des élus, qui s'y heurtent à tout propos. Sans doute les actions humaines, en ce début du XXIe siècle, vont-elles souvent à l'encontre de ce principe ; il ne faut pas pour autant interdire la prise de risque. Je félicite donc Jean Bizet. Il serait absurde de retirer le principe de précaution de la Constitution, mais il convient de le transformer en une incitation à agir.
M. Michel Teston. - Je salue le travail de Jean Bizet, ce qui ne signifie pas que je sois favorable à ses propositions. Son texte réécrit substantiellement la Charte de l'environnement, et notamment son article 5, alors qu'elle est le résultat d'un travail de concertation de près de quatre années, que d'aucuns considèrent comme exemplaire. Son analyse du principe de précaution, qu'il voit comme une sorte de verrou à l'innovation, est contestable et insuffisamment argumentée. Enfin, je crains que son objectif ne soit en fait de renverser la jurisprudence du Conseil constitutionnel après la décision du 11 octobre dernier, aux termes de laquelle l'article 6 de la Charte de l'environnement, s'il impose la conciliation du principe de précaution avec les exigences du développement économique, n'institue pas un droit ou une liberté garantis par la Constitution. Compte tenu de ces interrogations, le groupe socialiste est opposé à ce texte.
M. Hervé Maurey. - Jean Bizet n'a nullement affirmé que le principe de précaution posait de graves problèmes. Je suis étonné par la réaction du groupe socialiste à sa position mesurée et raisonnable. Le travail de notre collègue reflète son implication sur ces problématiques depuis une dizaine d'années. Il est nécessaire de préciser le principe de précaution sans le remettre en cause. Nous devons affirmer qu'il ne doit pas faire obstacle à l'innovation et à la recherche : il en va de la vigueur de notre développement économique et de notre compétitivité internationale ! Ce principe semble en effet parfois devoir tout freiner, interdire toute recherche ou toute innovation. Je suis plus réservé sur la référence faite dans l'exposé des motifs aux textes constitutionnels du Brésil, de la Chine ou de l'Inde : la Chine n'est pas un modèle de démocratie, et ces pays ne sont pas au même stade de développement économique que nous. Enfin, l'article 7 relève-t-il du domaine législatif, et même constitutionnel ? Il me semble qu'il s'agit plutôt de mesures réglementaires.
M. Ronan Dantec. - Je partage l'avis de Michel Teston. Le libellé de cette proposition de loi me dérange. Il sous-entend que le principe de précaution s'opposerait à l'innovation. Ce n'est pas le cas. Il est déjà question, dans l'article 5 de la Charte, de connaissances scientifiques, de procédures d'évaluation des risques... Il s'agit plus, à mon sens, d'un problème de société que d'un problème législatif, qui porte non sur le fond de la loi mais sur son interprétation. Nous devons donc recréer du consensus. Le principe de précaution s'applique quand le risque est disproportionné par rapport à l'avantage attendu. Certes, il a tendance à être dévoyé par les médias. Au risque de faire bondir certains d'entre vous, je considère que l'expérimentation d'OGM en plein champ appelle l'application du principe de précaution. Ne cherchons pas à modifier l'équilibre auquel nous étions parvenus sous l'impulsion du précédent président de la République, et qui faisait alors consensus. Mieux vaudrait nous engager dans une réflexion politique sur la mise en oeuvre du principe de précaution. Qui doit déterminer ce qui en relève ? Où pouvons-nous créer du consensus sur son application ? Car c'est dans le détail que les divergences surviennent. Pour avoir rapporté la loi Blandin, que Jean Bizet n'avait pas votée, l'alinéa 6 sur la transparence et la publication des résultats me réjouit. Cependant, je ne toucherais pas maintenant à l'article 5 de la Charte.
M. Charles Revet. - Je félicite le rapporteur pour son travail. S'il se montre un peu provocateur, c'est pour la bonne cause ! L'innovation n'est pas nécessairement incompatible avec le principe de précaution, et elle doit être développée. Le principe de précaution doit donc être encadré, afin d'éviter les dérives et les blocages. Je suis favorable à ce texte.
Mme Odette Herviaux. - Je salue le travail du rapporteur, dont l'exposé était brillant. À la première écoute, on ne peut que partager certaines de ses préoccupations. Mais est-il bien nécessaire de revenir sur la Constitution, alors que le principe de précaution, qui ne s'oppose pas à l'innovation et à la recherche, y a été inscrit à la suite d'un travail collectif long et consensuel ? Ce qui pose problème, c'est la vision de plus en plus journalistique et médiatique de la recherche. La réponse adéquate à une question sociale n'est pas d'ordre constitutionnel.
Mme Sophie Primas. - J'adhère à la proposition de loi, qui me paraît symbolique. Le principe de précaution a répondu à des dérives. Je m'étonne des réactions de la majorité, quand le président de la République, le Premier ministre et M. Montebourg se montrent très portés sur l'innovation et la recherche. Inscrire dans la Constitution l'innovation comme principe serait un symbole fort. Du reste, l'innovation renforce le principe de précaution, par les nouvelles technologies, comme on le voit dans les problèmes phytosanitaires.
Mme Chantal Jouanno. - Je remercie Jean Bizet pour son travail et sa constance. Le principe de précaution existait déjà dans la sphère politique et médiatique avant d'être inscrit dans la Constitution. Cette inscription a eu pour effet de l'encadrer, puisqu'il y est précisé qu'il ne s'applique qu'à l'environnement - alors que les médias en parlent surtout dans le domaine de la santé - et que les dommages envisagés doivent être irréversibles, ce qu'ils sont presque toujours, et graves, ce qui est plus difficile à prouver, notamment, par exemple, pour les recherches sur les OGM en plein champ, dont l'impact sanitaire n'est pas avéré. En termes de jurisprudence, seules deux décisions se sont appuyées, en France, sur le principe de précaution. J'étais ministre lors de la tempête Xynthia : nous connaissions parfaitement les risques. Il faut faire de la recherche sur les phytosanitaires, les ondes, le Bisphénol A, les perturbateurs endocriniens... La modification de l'article 5 de la Charte ne pose pas de problème. Celle de l'article 7 est peut-être plus contestable : est-ce du ressort de la loi ? Je l'ignore.
M. Henri Tandonnet. - Merci à Jean Bizet d'être en quelque sorte notre baromètre sur ce sujet. Il a montré que le principe de précaution se transformait en principe de protection. Ce principe doit s'appuyer sur la recherche scientifique, il faudrait le dire plus nettement. Il s'agit d'une loi constitutionnelle : y aura-t-il une négociation plus large pour qu'elle franchisse les prochaines étapes ?
M. Jacques Cornano. - Je souhaite exprimer mon inquiétude sur les contraintes que le principe de précaution impose aux initiatives économiques. J'ai vu à Marie-Galante à propos d'un PLU, comment il a bloqué un projet global.
M. Jean Bizet, rapporteur pour avis. - Je me réjouis que ce texte ne laisse pas indifférent, sans créer pour autant de clivage profond. Bien sûr, je ne prétends pas avec une proposition de loi égaler le travail de quatre ans qui a abouti à la Charte. Je serais heureux qu'elle aboutisse à une prise de conscience par les parlementaires des inquiétudes qui se répandent dans la société. Nous ne sommes pas loin d'un consensus. En 2005, les socialistes et les Verts n'avaient pas voté la Charte... À l'époque, il m'avait fallu les explications du doyen Gélard et les auditons des juristes pour renforcer ma conviction.
Certes, l'Inde, la Chine, le Brésil, ne sont pas des modèles en matière d'environnement. Pour autant, la fracture entre pays émergents et pays développés devra bien un jour être réduite. D'ores et déjà, le principe de réciprocité doit fermer nos frontières à des produits fabriqués sans souci des normes environnementales. En revanche, le paragraphe IV-A de la constitution indienne signale qu'il est « du devoir de chaque citoyen de l'Inde de développer un tempérament scientifique, humaniste et un esprit de curiosité et de réforme ». Ces pays doivent encore progresser en matière environnementale : en Chine, il est parfois impossible de sortir tant l'air est pollué. Ils vont développer de grands projets de recherche pour lutter contre ces problèmes, tant mieux. Ne nous laissons pas enfermer dans le principe de précaution, qui ne doit pas être un rempart de l'inaction. Les esprits évoluent : les sondages montrent que la première préoccupation de nos concitoyens est désormais l'emploi, et non plus la sécurité. Nous devons donc transformer le principe de précaution pour qu'il ne soit pas de plus en plus vécu comme un principe de blocage, ce qu'il n'est pas.
M. Charles Revet. - Très bien !
M. Raymond Vall, président. - Le groupe RDSE n'a pas encore pris position. Je reconnais que Jean Bizet, qui s'est beaucoup investi, a effectué un travail important.
M. Charles Revet. - Comme toujours !
M. Raymond Vall, président. - Pourquoi ne pas énoncer un principe d'expérimentation ? L'objectif est bien de créer les conditions pour que des expérimentations aient lieu, sans affaiblir le principe de précaution, qui ne doit pas être dénaturé.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle.
M. Jean Bizet, rapporteur pour avis. - Merci. Je souhaite lancer le débat et construire un consensus - mon objectif n'est pas, comme l'a imaginé M. Teston, de faire évoluer la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La réunion est levée à 10 h 30.
Nomination d'un rapporteur
La commission nomme M. Jean-Jacques Filleul rapporteur sur la proposition de loi n° 505 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, facilitant le déploiement d'un réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l'espace public.
- Présidence commune de M. Raymond Vall, président et de M. Daniel Raoul, président de la commission des Affaires économiques -
Audition de MM. Éric Denoyer, président-directeur général de Numericable Group, et Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable
La commission entend MM. Éric Denoyer, président-directeur général de Numericable Group, et Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable, en commun avec la commission des affaires économiques.
La réunion est ouverte à 11 heures.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Avec la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, ainsi que le groupe d'études « communications électroniques et poste », nous organisons un cycle d'auditions consacré au secteur des télécoms, en commençant par celle des dirigeants de Numericable, puis ceux de SFR, entreprises qui ont un projet bien avancé de rapprochement. Quels sont les enjeux de cette fusion ? Quelle sera la taille du nouvel ensemble ? Quelles sont les complémentarités, mais aussi les risques pour l'emploi des deux entreprises ?
Votre offre a été jugée la meilleure, vous avez pris des engagements pour préserver l'emploi et investir dans le très haut débit. Vous nous les rappellerez car nous y sommes très attentifs.
Nous souhaitons également vous entendre sur vos perspectives de croissance et votre stratégie industrielle à moyen terme dans un secteur des télécoms aujourd'hui jugé moins rémunérateur pour les opérateurs et dans lequel la concurrence fait rage, notamment à travers « une guerre des prix ».
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. - Le rapprochement entre Numericable et SFR ne doit pas se faire au détriment des engagements pris pour réduire la fracture numérique du territoire, nous y serons très vigilants : quelles garanties pouvez-vous nous apporter ?
M. Éric Denoyer, président-directeur général de Numericable Group. - Numericable a pour projet industriel d'apporter le très haut débit à partir des réseaux câblés, conçus à l'origine pour diffuser de la télévision. Depuis 2005, nous déployons de la fibre optique et nous valorisons le câble coaxial pour offrir des services interactifs aux ménages et aux entreprises. Grâce à la technologie DOCSIS, nous proposons déjà 200 mégabits à nos clients et nous avons testé dès 2012 des débits internet pour le client final de 4 000 Mbits : c'est mille fois le débit actuel de l'ADSL !
La technologie coaxiale permet donc la diffusion de la télévision en mode broadcast, tout en assurant un débit internet séparé et dédié : le réseau câblé a été conçu pour la télévision, il est devenu une infrastructure de très haut débit. C'est déjà la technologie majoritaire dans le monde, avec 660 millions de prises câble ; en Europe, plus de la moitié des abonnements en très haut débit sont chez les câblo-opérateurs.
Techniquement, dans un réseau hybride fibre-coaxial, la fibre optique arrive jusqu'en bas de l'immeuble ou à l'entrée du lotissement, puis on la connecte au câble coaxial déjà installé dans les logements ; alors que dans le « tout fibre » de la technologie FTTH, on installe la fibre dans le logement même, ce qui impose souvent d'y effectuer des travaux, donc plus de contraintes et un coût plus élevé.
Depuis dix ans, nous déployons méthodiquement cette technologie fibre-coaxial sur les différents réseaux que nous avons rachetés à France Telecom, à la Lyonnaise des Eaux, à TDF, à EDF, à Électricité de Strasbourg et à d'autres actionnaires qui n'investissaient plus dans ces réseaux.
Aujourd'hui, Numericable couvre dix millions de foyers, dont 5,4 millions en fibre optique. Notre technologie rencontre la demande du marché pour le très haut débit, ce qui fait de nous le leader du très haut débit en France avec plus d'un million de clients.
M. Daniel Raoul, président. - S'agit-il de 5,4 millions de foyers « raccordables » ou « raccordés » ?
M. Éric Denoyer. - Il s'agit des foyers déjà raccordés ou pour lesquels le raccordement effectif prend moins de quatre heures ; c'est l'avantage du raccordement via le coaxial, d'être très simple, ce qui nous permet d'aller beaucoup plus vite que les opérateurs qui utilisent le « tout fibre ».
M. Daniel Raoul, président. - Il faut bien faire valoir cet avantage, il est décisif.
M. Éric Denoyer. - Effectivement, l'installation est si simple via le câble de télévision que dans la moitié des cas nous envoyons la box au client, qui la branche directement, sans intervention sur place de notre part. Numericable est un précurseur du très haut débit puisque nous connectons un million de foyers à plus de 30 mégabits, là où Orange en dessert 370 000. Notre investissement est continu depuis dix ans, avec une moyenne de 300 millions d'euros par an, ce qui a représenté 20% de notre chiffre d'affaires.
Chez Numericable, nous avons toujours pensé que le coeur de notre développement passait par un réseau fixe performant qui puisse répondre à la demande exponentielle de débit fixe ou mobile : c'est ce qui se confirme avec les objets connectés. Il faut savoir aussi que 90 % du trafic de données des smartphones empruntent le réseau fixe, via le wifi. L'avenir est à la convergence des réseaux, les consommateurs en ont besoin et c'est bien là que se créera l'essentiel de la valeur. Cette convergence est à l'oeuvre dans d'autres pays européens : c'est le cas en Allemagne avec Vodafone, au Portugal avec l'opérateur de câble ZON et en Espagne avec le rapprochement entre ONO et Vodafone.
Le rapprochement entre Numericable et SFR accélèrera la couverture du territoire en très haut débit. Nous disposons d'un réseau capillaire de 10 millions de prises, dont 8,5 millions sont accessibles aux offres triple play et 5,2 millions sont modernisées en fibre optique jusqu'en bas de l'immeuble ou à l'entrée de la zone pavillonnaire. SFR dispose d'un réseau en fibre optique de 57 000 kilomètres hérité de Télécom Développement, racheté par Neuf Cegetel. Ce réseau dessert toutes les gares de France, ce qui va nous permettre de raccorder rapidement notre propre infrastructure à ce backbone.
Le rapprochement de nos deux infrastructures créera le plus grand réseau de fibre optique européen ; nous valoriserons cet investissement et nous disposerons d'un outil pour créer de la valeur, ce qui permet de dépasser cette « guerre des prix » à quoi se réduit trop souvent la concurrence entre opérateurs.
Le nouvel ensemble NumericableSFR aura les moyens d'accélérer la mise en oeuvre du plan très haut débit. Numericable a déjà prévu d'équiper 9 millions de foyers en très haut débit d'ici fin 2016. La fusion permettra d'équiper 12 millions de logements pour 2017, avec un investissement complémentaire de 450 millions d'euros sur trois ans. En 2020, notre objectif est d'équiper 15 millions de foyers en très haut débit, le tout en autofinancement. Nous avons des liens historiques avec les collectivités locales et nous prévoyons de consacrer 50 millions annuels à des projets cofinancés avec celles-ci, pour aller dans des territoires où nous ne pourrons investir seuls. Tout ceci va dans le sens du plan très haut débit.
Notre projet de rapprochement, ensuite, est favorable à l'emploi parce que nos deux entreprises ont des activités complémentaires et parce qu'il va générer de la croissance. C'est une dimension essentielle du projet : la complémentarité entre Numericable, leader du très haut débit en France, et SFR, qui dispose de 21 millions d'abonnés au mobile, de 5 millions d'abonnés fixe et d'une marque forte, sans doublons entre les deux entreprises, ce qui est la première garantie pour la préservation de l'emploi.
Le nouvel ensemble industriel générera de la croissance sur le marché du fixe grâce au très haut débit, sur le marché du mobile grâce aux offres quadruple play et sur le marché « entreprises » en en devenant le deuxième acteur derrière Orange. C'est parce qu'il s'agit d'un projet de croissance que nous avons pu signer un accord que je n'hésite pas à qualifier d'historique, garantissant l'emploi dans les deux entreprises pendant trois ans.
Nous avons également décidé que le nouvel ensemble conserverait la marque SFR car c'est une marque forte, la plus ancienne parmi les opérateurs puisqu'elle précède Orange, et que l'opinion publique associe à l'innovation : ce sera favorable à l'amélioration des contenus, donc aux consommateurs.
Enfin, ce projet est soutenu par la communauté économique et financière mondiale. Numericable Group va racheter SFR pour 13,5 milliards d'euros, à travers son actionnaire Altice, et Vivendi conservera 20 % de l'ensemble. Le 23 avril, nous avons bouclé les émissions obligataires pour un montant global de 7,9 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent des emprunts bancaires pour 3,7 milliards. Ce financement sur les marchés a été un succès mondial, démontrant la solidité de notre stratégie industrielle et la confiance des investisseurs dans ce projet d'une entreprise française cotée à Paris et dont les actifs ne sont pas délocalisables.
À l'issue du regroupement, notre niveau d'endettement sera plus faible que celui d'autres acteurs de l'industrie des télécommunications. Le ratio de dette sur Ebitda, soit la dette sur le résultat d'exploitation avant amortissements, sera de 3,5 quand d'autres opérateurs du câble ont des ratios de 4 ou 5. De plus, cette dette n'oblige à aucun remboursement avant 2019, ce qui laisse entière notre capacité d'investissement pour atteindre nos objectifs de développement.
Désormais, nous attendons l'autorisation de l'Autorité de la concurrence.
Ce projet de rapprochement Numericable-SFR a donc un vrai sens industriel, et présente une grande pertinence pour l'emploi, l'investissement et la croissance. Il marie deux entreprises très complémentaires pour affronter la compétition dans le très haut débit, qu'il soit fixe ou mobile, au bénéfice du consommateur, de l'activité et des territoires.
M. Daniel Raoul, président. - Je crois savoir, cependant, que l'Autorité des marchés financiers (AMF) a émis quelques réserves ...
M. Michel Teston. - Je vous prie d'excuser Pierre Hérisson, avec qui je copréside le groupe d'études sur les communications électroniques et la poste.
Numericable est un « petit » opérateur, qui va racheter SFR dont le chiffre d'affaires est dix fois supérieur au sien : cet achat est-il soutenable financièrement et compatible avec les objectifs de désenclavement numérique du territoire ? Comment comptez-vous investir avec une dette atteignant un tel niveau ?
Pour atteindre votre objectif de 15 millions de foyers raccordés au très haut débit en 2020, allez-vous continuer de privilégier les villes, au détriment des zones moins denses ? Si vous envisagez d'inclure la ruralité, comment comptez-vous y financer le très haut débit ?
Des critiques ont été émises à propos de la localisation du centre de décision du nouvel ensemble SFR-Numericable : où sera-t-il situé ? Qui détiendra le capital ? Comment préserverez-vous l'emploi des deux entités ?
Enfin, quelle place occupe, dans votre stratégie, l'offre aux entreprises ? Vous disposez, avec SFR, de deux filiales - respectivement Completel et SFR Business - actives sur ce marché ; qu'en adviendra-t-il ?
M. Bruno Retailleau. - La nouvelle entité pourrait-elle, à votre avis, constituer une proie pour un grand opérateur comme Vodafone, qui dispose de liquidités très importantes et qui a déjà un accord avec SFR ? Le poids de votre dette ne sera-t-il pas une faiblesse ?
Quelle sera votre insertion dans le plan très haut débit : pour atteindre vos objectifs quantitatifs, continuerez-vous d'équiper les villes, ou bien irez-vous sur les appels à manifestation d'intention d'investissement (AMII) pour les zones moins denses ?
Enfin, envisagez-vous que le câble puisse faire l'objet d'une régulation au titre de la concurrence ?
M. Éric Denoyer. - L'AMF a effectivement reconnu que ses propres procédures étaient peu adaptées à la procédure d'enchères dans un cas comme le nôtre, où se mêlent une société cotée et une autre non cotée. Son président a instauré un groupe de travail sur ce sujet, auquel nous participons. Les critiques émises sont donc d'ordre technique, plutôt que sur le projet industriel.
Pour financer la fusion, nous recourons principalement à l'émission d'obligations ; ce n'est pas une première, puisque nous l'avons déjà fait en 2012, c'est même une pratique assez courante dans cette industrie, mais que nous réitérons ici à une échelle bien plus importante. Nous n'aurons pas à rembourser cette dette avant 2019-2020, c'est-à-dire avant la maturité de notre projet : nos charges financières devraient représenter la moitié de notre cash-flow, ce qui nous rendra assez robustes pour ne pas constituer une proie. Surtout que notre dette sera inférieure à la dette actuelle des deux entreprises, et que nous affichons l'objectif d'un ratio de 3, soit un niveau tout à fait standard dans le secteur. Dans notre pays, d'autres cibles potentielles sont, en fait, bien plus tentantes que nous ...
Numericable est une société française, cotée à Paris. Nous augmentons notre capital à Paris, sur Euronext. La fusion est une opération française, et le siège social du nouvel ensemble sera situé en France. Altice sera l'actionnaire de référence, avec 60 % du capital - c'est une société européenne, cotée à Amsterdam -, Vivendi aura 20 %, les 20 % restant seront sur le marché.
Quel développement projetons-nous au point de vue territorial ? Nous allons continuer à investir, puisque notre objectif de 15 millions de foyers pour 2020 implique l'implantation dans de nouveaux territoires. Cet objectif va même nous faire accélérer notre déploiement ; c'est justement parce que le rapprochement est un projet de croissance que nous pouvons l'envisager.
L'avenir est à la mixité technologique, nécessaire pour couvrir le plus grand nombre de foyers. Elle est envisageable techniquement ; d'ailleurs, cela se fait déjà en France et à l'étranger. Dans l'Ain, nous avons, à titre expérimental, appliqué la technologie du câble à de la fibre : cela fonctionne bien, démontrant qu'on peut offrir un service cohérent sur une infrastructure mixte. C'est l'avenir, et c'est la seule façon d'éviter le gaspillage, en valorisant les investissements déjà réalisés.
Faut-il ouvrir le câble à la concurrence et le réguler ? C'est à l'Autorité de la concurrence de le dire, mais aujourd'hui, nous sommes encore loin d'une position dominante qui pourrait le justifier ...
M. Bruno Retailleau. - Mais demain, lorsque vous serez à 15 millions de foyers couverts ?
M. Éric Denoyer. - Nous sommes à 5 ou 6 % du marché national ; je serais ravi que l'on en soit à l'obligation de réguler, mais c'est encore bien loin !
S'agissant de la couverture des territoires peu denses, nous prévoyons d'investir 50 millions par an dans des projets cofinancés, y compris sur des appels d'offres AMII, toutes technologies confondues ; cela ouvre la possibilité d'intervenir partout.
Quelle est la stratégie de notre offre aux entreprises ? Depuis l'ouverture du marché de la téléphonie fixe en 1998, la concurrence n'a guère porté ses fruits puisque l'opérateur historique conserve encore 70 % de ce marché, Numericable et SFR en représentant 20 %. Notre rapprochement est donc l'occasion, la première, de faire jouer la concurrence dans le fixe, à travers la création de valeur et de services. La fibre permettra également de proposer le très haut débit aux petites entreprises, ce dont elles manquent trop souvent aujourd'hui.
M. Roland Courteau. - Vous vous engagez à maintenir l'emploi pendant trois ans, tout en reconnaissant que son évolution sera fonction de la conjoncture. Devant une telle affirmation, on ne peut que se rappeler ce qui s'est passé avec la cession de Noos en 2005, où 832 emplois ont été supprimés, ou bien encore la suppression de 700 emplois sur 1 200 chez UPC... Quelles garanties nous apportez-vous donc sur le maintien des effectifs actuels de SFR et de Numericable ?
M. Alain Fouché. - Voici trente ans qu'on entend parler de couverture de l'ensemble du territoire en haut, puis en très haut débit, mais la ruralité reste toujours très loin derrière l'urbain ; les élus s'inquiètent de ce retard. Est-ce que le nouvel ensemble SFR Numericable honorera tous les engagements des deux entités actuelles ? Quel développement dans les territoires : allez-vous continuer à donner la priorité à l'urbain, ou bien allez-vous faire une meilleure place, enfin, à la ruralité ?
M. Philippe Leroy. - Dès lors que Numericable va devenir un opérateur FTTH comme un autre, comment comptez-vous vous insérer dans les schémas d'aménagement numérique du territoire ? Le rapprochement ne va-t-il pas obliger SFR à revoir certains de ses projets de développement de la fibre, en particulier dans les zones denses, où Numericable est présent ?
Mme Hélène Masson-Maret. - Je vous sais gré de nous rassurer sur les investissements, sur l'emploi et sur la qualité de votre projet de fusion. Vous soulignez que l'identité de SFR est forte, que l'entreprise inspire confiance ; c'était le cas aussi de Telecom Italia ou de Neuf Cegetel, et cette notoriété ne les a pas empêchées de disparaître en 2007 ... Quelle garantie apportez-vous au maintien des accords passés par SFR pour lutter contre la fracture numérique ?
Vous nous dites que le nouvel ensemble sera une société française, mais la holding Altice est de droit luxembourgeois, ce qui a fait dire à Arnaud Montebourg qu'il y aurait quelques explications fiscales à ce montage... Qu'en dites-vous ?
M. Jean-Claude Lenoir. - Dans mon département, Numericable a hérité, par le jeu de rachat d'opérateurs, d'un réseau obsolète et quasiment inutilisé, mais qui avait été installé avec le soutien des collectivités locales. L'entreprise nous a alors proposé de contribuer financièrement à la modernisation de l'équipement : est-il normal qu'une collectivité locale, après avoir cofinancé un équipement qui a peu servi, doive payer encore pour le moderniser ? Avez-vous des pistes pour vous passer du cofinancement des collectivités locales ?
M. Michel Magras. - Quelle sera votre implication dans les outre-mer ? Le très haut débit est une nécessité absolue dans les îles, tous secteurs confondus ; elles sont d'ailleurs câblées, mais aux Antilles, nous dépendons du Global Caribbean Network (GCN) qui passe par Trinidad et Porto Rico, après quoi nous rejoignons un système international que nous maitrisons très difficilement. On nous dit que les prix ont déjà baissé fortement et que cette tendance ne saurait continuer ; mais ils sont encore bien supérieurs à ce qu'on trouve dans les pays voisins et les petits opérateurs ne suivent plus : pourquoi ne pas prolonger le réseau jusqu'à Miami, ce qui ferait vraiment baisser les prix ?
M. François Calvet. - A Perpignan aussi, nous avons eu des problèmes avec un réseau devenu propriété de Numericable : comment comptez-vous les régler ? Qu'envisagez-vous, ensuite, pour faire connaître votre projet industriel aux élus ? Enfin, comment mobiliser davantage les crédits européens du Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) pour l'aménagement numérique du territoire ?
M. Daniel Raoul, président. - Je témoigne également des difficultés rencontrées par Numericable lors du passage à la fibre ...
M. Éric Denoyer. - Effectivement, des problèmes techniques ont pu avoir lieu lors des travaux de rénovation de réseaux devenus obsolètes, c'était incontournable.
Comment faire prendre en compte le câble dans l'aménagement numérique du territoire ? Nous le demandons depuis des années, nous avons frappé aux portes, sans être entendus : maintenant que la technique mixte est reconnue, nous nous réjouissons de pouvoir être intégrés dans les schémas d'aménagement numérique du territoire et nous sommes tout disposés à y participer.
Les contrats que nous avons de longue date avec les collectivités locales nous apportent un savoir-faire en la matière et vous pouvez compter sur nous pour articuler au mieux le développement des réseaux avec le plan très haut débit. Des situations, cependant, peuvent exiger le recours à des investissements supplémentaires, via par exemple des partenariats publics privés. Quoiqu'il en soit, nous respecterons les engagements pris par SFR, tout en évitant les doublons, s'il y en a : nous examinerons les situations au cas par cas, dans le sens de l'efficacité.
Une remarque d'ordre général : comme entreprise, nous nous réglons nécessairement sur le marché, même si nous avons une tradition de coopération étroite avec les collectivités locales, une forte sensibilité aux territoires. Cependant, ce n'est pas à nous de définir quels sont les besoins des territoires où le marché rend les investissements trop peu rentables : c'est bien au politique, à l'État et aux collectivités locales de le faire.
Le rapprochement entre Numericable et SFR n'est guère comparable, pour l'emploi, avec l'absorption d'UPC et de Noos, car il s'agissait alors de fusionner des entreprises qui faisaient le même métier. Tout ou presque faisait doublon et il fallait réorganiser l'ensemble, alors qu'aujourd'hui, c'est bien la complémentarité qui fait de ce rapprochement un projet de croissance. C'est bien pourquoi nous sommes parvenus si rapidement à cet accord sur l'emploi, que nous avons d'ailleurs déposé en préfecture.
M. Roland Courteau. - C'est bien de le préciser !
M. Éric Denoyer. - Le dialogue social est de très bonne qualité à Numericable, c'est un facteur très important de cette opération.
En se développant, Numericable a acheté des réseaux conçus pour la télévision et devenus obsolètes : rien d'étonnant à ce qu'ils fonctionnent mal pour le très haut débit. Nous les rénovons, ces travaux peuvent perturber le trafic, mais cela ne doit pas masquer la qualité d'ensemble de nos réseaux, qui sont très bien notés par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).
Le fait que l'actionnaire majoritaire soit une holding luxembourgeoise pèsera-t-il sur notre entreprise, sur ses attaches avec notre pays ? La majeure partie du capital des entreprises du CAC 40 n'appartient pas à des Français, nous n'échappons pas à cette règle. Altice investit dans le monde entier, comme le font du reste de nombreuses sociétés françaises.
Les coûts de transit sont effectivement une donnée du prix sur les réseaux ultramarins. Je n'ai pas de données précises aujourd'hui, mais je crois que le rachat d'opérateurs par Altice aux Antilles pourrait avoir un effet d'échelle et permettre une baisse des prix, grâce à une mutualisation des câbles sous-marins.
M. Daniel Raoul, président. - Nous vous remercions.
Audition de MM. Jean-Yves Charlier, président-directeur général et Olivier Henrard, secrétaire général de SFR
La commission entend MM. Jean-Yves Charlier, président-directeur général et Olivier Henrard, secrétaire général de SFR, en commun avec la commission des affaires économiques.
La réunion est ouverte à 15 heures.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous poursuivons, avec les dirigeants de SFR, notre cycle d'auditions consacré au secteur des télécoms, en commun avec la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire et les membres du groupe d'études « communications électroniques et poste ».
Nous sommes très intéressés par votre présentation des enjeux économiques du rapprochement annoncé avec Numericable : quelle sera la taille du nouvel ensemble ? Quelles seront ses complémentarités, sur le fixe et dans le mobile ? Y aura-t-il des doublons à éliminer ?
Quels sont vos engagements pour préserver l'emploi et investir dans le très haut débit ? Quelles sont vos perspectives de croissance et la stratégie industrielle à moyen terme du nouvel ensemble, dans un secteur des télécoms que vous dites aujourd'hui moins rémunérateur et dans lequel la concurrence fait rage, notamment à travers une véritable « guerre des prix » ?
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. - Nous sommes très attentifs aux objectifs du désenclavement numérique du territoire : en quoi le rapprochement entre SFR et Numericable y contribuera-t-il ?
M. Jean-Yves Charlier, président-directeur général de SFR. - Quelques mots sur les enjeux stratégiques de ce rapprochement.
Il y a deux ans, Vivendi a reconsidéré sa stratégie de conglomérat dans les télécommunications et les médias, face aux difficultés à compter suffisamment sur chacune de ces activités et au peu de synergies entre elles. Jean-René Fourtou, le président du conseil de surveillance du groupe, a décidé de repositionner Vivendi dans les médias et de désendetter sa filiale SFR en cédant des activités, par exemple l'entreprise de jeux vidéo Activision ou Maroc Telecom.
Étant au conseil de surveillance de Vivendi, j'ai pris la tête de SFR avec un plan en trois volets. D'abord, repositionner l'entreprise sur le marché des communications électroniques où, depuis 2012, le prix est devenu le critère d'ajustement alors que les usages sont en pleine croissance, cette déflation des prix faisant chuter le chiffre d'affaires et la profitabilité. Depuis un an, nos résultats commerciaux progressent, l'entreprise innove et nous avons repositionné SFR dans la presse, auprès des investisseurs et parmi les consommateurs. Deuxième volet, une transformation de l'entreprise en profondeur : nous avons revu notre business model, simplifié nos offres - nous sommes passés, pour le grand public, de 1 300 à 300 offres - et réduit nos coûts de 1,5 milliard d'euros en deux ans. C'était nécessaire puisque notre marge brute était passée de 4 milliards d'euros en 2010 à 2,4 milliards, et que nous tenions à maintenir notre rythme annuel de 1,5 à 1,6 milliard d'euros d'investissement.
Ces deux volets du repositionnement stratégique n'étaient cependant pas suffisants, car le paysage numérique est en pleine recomposition : notre industrie est à un carrefour avec le développement du très haut débit, la 4G et la convergence. Pour nous y adapter, nous avons mis sur pied un troisième volet consistant à mutualiser des infrastructures - nous avons été les premiers à le faire, avec Orange pour la fibre et Bouygues Telecom pour le mobile -, à consolider nos activités par des rachats ciblés et, enfin, à nous rapprocher soit de Bouygues Telecom pour devenir le champion national de la téléphonie mobile, soit de Numericable pour accélérer la convergence.
Nous avons alors monté deux projets industriels différents, l'un avec Martin Bouygues et l'autre avec Patrick Drahi, propriétaire de Numericable. Pour trancher entre les deux, le conseil de surveillance a examiné quatre critères : la qualité du projet industriel ; la pérennité de l'emploi ; son effectivité rapide, en particulier à l'aune de l'Autorité de la concurrence ; enfin, sa valorisation.
Les deux projets étant comparables du point de vue de la valorisation, le choix a résulté de la combinaison des trois autres critères. Du point de vue industriel, le rapprochement avec Bouygues Telecom constituerait le numéro un français de la téléphonie mobile et nous ferait rattraper Orange pour la fibre, tandis que le rapprochement avec Numericable nous doterait d'un outil industriel de convergence : c'est cette dernière option que le conseil de surveillance a choisie, parce que c'est le projet qui promet le plus de croissance dans le paysage numérique actuel. La convergence est particulièrement dynamique en France : 40 % des consommateurs achètent déjà une offre convergente, et nous visons un doublement de ce taux.
Le critère de l'emploi va dans le même sens : Numericable compte 2 000 collaborateurs sur des fonctions très complémentaires à celles de nos salariés, alors qu'avec Bouygues Telecom, les doublons auraient été très nombreux - le projet prévoyait d'importantes cessions à Free.
Enfin, le rapprochement avec Numericable serait plus rapidement effectif parce qu'il répond mieux aux critères contrôlés par l'Autorité de la concurrence : dans d'autres pays où un opérateur de téléphonie a racheté un câblo-opérateur, un seuil de 40 % du marché a été appliqué ; nous serions ici en-deçà.
Le conseil de surveillance a donc choisi, il y a un mois, le rapprochement avec Numericable parce que c'est un projet de croissance, plus favorable à l'emploi et plus simple à réaliser.
Depuis cette décision, nous avons communiqué sur ce projet, les investisseurs l'ont bien accueilli, nous nous sommes rapprochés de l'Autorité de la concurrence, nous avons lancé les consultations sociales dans les deux entreprises, nous nous sommes engagés à maintenir chaque salarié pendant trois ans sans changement de statut et nous avons décidé d'octroyer des primes exceptionnelles. L'opération est financée, nous lançons les études d'intégration qui pourraient être achevées cet été. L'avis de l'Autorité de la concurrence pourrait intervenir au quatrième trimestre et l'opération être effective à la fin de l'année.
M. Michel Teston. - L'achat de SFR par Numericable va créer des synergies, mais le nombre d'acteurs restant inchangé, le nouvel ensemble est condamné à la croissance sur un marché où les chiffres d'affaires n'augmentent guère : ce rapprochement est un projet de très haut débit, mais il est également à très haut risque.
Bouygues Telecom et SFR sont liés par un accord de mutualisation de leur réseau mobile et Bouygues Telecom loue à Numericable de la fibre pour son offre fixe : que va-t-il advenir de ces accords ?
Quelles garanties avons-nous que le nouvel ensemble respectera les engagements des deux entreprises actuelles en matière d'emploi et de développement du très haut débit sur l'ensemble du territoire ?
M. Bruno Retailleau. - Alors que SFR a étendu son accord avec Vodafone, en particulier pour les services aux entreprises à l'international, ne pensez-vous pas que le nouvel ensemble constitue une proie de choix pour ce dernier, qui dispose d'un véritable « trésor de guerre » suite à d'importantes cessions ?
Comment comptez-vous respecter les engagements de SFR dans les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (dites « zones AMII ») ?
Quelle analyse faites-vous du panorama actuel du secteur : quatre opérateurs en France, n'est-ce pas au moins un de trop ?
M. Jean-Yves Charlier. - L'industrie des communications électroniques représente de très grandes opportunités, d'abord par la croissance effrénée de son activité en volume. C'est un point très positif : le volume des données échangées sur nos réseaux mobiles progresse de 65 % depuis le début de l'année. Cette tendance va perdurer, avec la convergence entre le fixe et le mobile, qui bouleverse l'usage par les consommateurs, l'explosion des contenus, avec la télévision sur mobile et le cloud ... Tout ceci forme un écosystème innovant et très prometteur en termes de croissance, en volume comme en chiffre d'affaires. Notre premier objectif, c'est donc de mieux exploiter les infrastructures, qui sont de plus en plus utilisées. C'est dans ce sens que nous lancerons, dans quelques semaines, une innovation mondiale : une box qui offrira la télévision, internet et des services domotiques.
Le secteur souffre cependant, dans notre pays, d'un problème structurel : son trop grand nombre d'acteurs, chacun en étant réduit à une économie de survie qui pousse à la guerre des prix, laquelle absorbe les marges de profitabilité. C'est bien pourquoi notre rapprochement est pertinent : c'est un projet de croissance, non pas à haut risque, mais stratégique, avec des fondations solides. L'avenir de cette industrie passe par la capacité des opérateurs à maîtriser les infrastructures : nous ne sommes pas dans le virtuel, c'est bien le nombre d'antennes et la taille du réseau qui vont déterminer la solidité des entreprises.
Les marges avant impôt, certes, ont diminué : à 40 % il y a quelques années, elles étaient probablement trop élevées ; mais à 25 %, elles deviennent trop étroites, en particulier pour réaliser 17 % du chiffre d'affaires en investissement, ce qui est le niveau requis par le plan très haut débit. SFR est aujourd'hui le premier opérateur alternatif en Europe, mais nos marges sont trop étroites, alors que celles de Bouygues Telecom sont en-deçà et que la profitabilité d'Orange décline elle aussi.
Il faut savoir, ensuite, que le choix de la fibre en technologie FTTH s'avère trop onéreux, avec une rentabilité à 20 ou 25 ans seulement : le retour sur investissement est inférieur au coût du capital pour l'entreprise, ce qui n'est pas tenable. Cela justifie plus encore notre rapprochement avec Numericable, qui est aussi celui de la mixité des technologies.
Nos engagements pour l'emploi sont uniques ; ils seront garantis par la croissance de l'activité, qui constitue notre premier objectif. La masse salariale représente à peine 10 % des dépenses de SFR, loin derrière les frais de réseaux et d'informatique : il y a bien d'autres ajustements à faire que sur l'emploi. Nous aurons d'autant moins à ajuster cette dernière variable que Numericable compte environ 2 000 salariés, quasiment sans doublons avec ceux de SFR, n'obligeant donc à aucune réorganisation en profondeur.
Nous voulons devenir le leader de la convergence du très haut débit fixe et mobile, et c'est pourquoi nous allons investir dans le développement des réseaux. Patrick Drahi en est convaincu : c'est le sens de notre stratégie que de couvrir 12 millions de foyers en 2017 et 15 millions en 2020, ce que SFR ne pourrait pas faire seul.
Certains s'inquiètent du niveau d'endettement du nouvel ensemble, mais il est plus faible que celui des deux entreprises et il devrait représenter une charge annuelle d'intérêts d'environ 500 millions d'euros, soit moins du tiers de la marge opérationnelle : nous aurons les moyens de conduire notre politique ambitieuse d'investissement.
Notre engagement de mutualiser la fibre avec Orange sera tenu ; nous avons ainsi couvert trente villes moyennes l'an passé, nous aurons couvert cent villes cette année. Quant à l'accord de mutualisation avec Bouygues Telecom, nous ne changeons pas de stratégie : l'avenir est en effet à la mutualisation, et les opérateurs n'ont pas les moyens d'investir seuls. C'est bien pourquoi notre contrat, qui porte sur vingt ans, ne comporte pas de clause de sortie en cas de changement au capital : nous savions, en le signant, que le paysage changerait très probablement dans les années suivantes, sans affecter cet axe stratégique de la mutualisation.
Le nouvel ensemble sera-t-il une proie intéressante, facile ? Pour parler régulièrement avec des concurrents étrangers, en particulier Vodafone, je peux vous dire que le marché français n'est pas regardé comme très attractif, parce que nous avons les prix les plus bas pour l'abonnement en fixe et en mobile. Ensuite, nous aurons un chiffre d'affaires de 12 milliards d'euros, ce qui nous placera en position de champion européen, au-dessus par exemple des opérateurs historiques européens. Enfin, seulement 20 % du capital seront cotés en bourse, puisque Altice en détiendra 60 % - cette holding étant détenue à 75 % par Patrick Drahi - et Vivendi les 20 % restant. Cette participation de notre société historiquement mère est très importante sur le plan industriel.
M. Hervé Maurey. - La couverture des territoires est très inégale, et dans beaucoup d'entre eux, les publicités pour la 4G paraissent bien décalées, quand on accède à peine à la 2G ... Quelles seront les conséquences du rapprochement de SFR et Numericable sur l'aménagement numérique du territoire ? Plus largement, peut-on imaginer une politique publique qui vous permettrait de renforcer vos marges, en échange d'objectifs précis de couverture territoriale ? Comment comptez-vous vous engager dans les « zones AMII » ?
M. Philippe Leroy. - Vous nous rassurez sur la permanence des accords passés avec Bouygues Telecom, mais qu'adviendra-t-il des réseaux - certains en doublon et d'autres obsolètes - qui appartiennent aujourd'hui à SFR et à Numericable ?
Quelle place, ensuite, vos réseaux prendraient-ils dans les schémas d'aménagement numérique du territoire ? Et comment le nouvel ensemble composera-t-il avec la régulation de l'ARCEP ?
M. Jean-Yves Charlier. - La couverture du territoire national est un enjeu important pour notre pays ; elle nécessite un investissement très important du fait même de la géographie française. Dans bien des zones peu denses, nous sommes très loin de l'équilibre et un raisonnement purement financier ferait renoncer à nombre d'antennes. Il faut faire des choix stratégiques et le rapprochement de SFR et Numericable va dans le bon sens puisqu'il renforce notre capacité à couvrir le territoire, ainsi que notre capacité d'investissement en fixe et en mobile.
Je crois, ici, que la vision des industriels ne suffit pas et que l'État doit jouer son rôle pour développer les nouveaux usages. On nous demande de déployer un vaste réseau très haut débit, mais sans politique incitant aux nouveaux usages, qui sont pourtant au coeur de la rentabilité des infrastructures. Voyez ce qui s'est passé à Paris : la fibre est partout, proposée par tous les opérateurs, mais seuls 11 % de ses utilisateurs potentiels s'y sont abonnés, c'est un échec. Pourquoi ? Tout simplement parce que les usages n'y sont pas développés. Il en va tout autrement au Japon, par exemple, où l'État et les institutions développent de nouveaux usages dans tous les domaines, de la santé à domicile au e-learning. Notre rôle d'industriels, c'est de proposer des innovations, comme nous le faisons par exemple avec la box qui offre des services domotiques. Il faut aussi que nous mutualisions les infrastructures, plutôt que de développer chacun la sienne, comme à Paris et dans les grandes métropoles.
Nous ne pourrons continuer longtemps, avec les réticences auxquelles nous nous heurtons, à installer de nouvelles antennes : or, songez qu'à Tokyo, il y a une antenne tous les cent mètres, pour absorber les flux de données, tandis qu'à Paris nous plafonnons à une antenne tous les quatre cents mètres, sans possibilité d'en implanter davantage ! Les opérateurs ne peuvent pas porter seuls toutes les obligations d'aménagement, d'autant que nous n'avons pas l'échelle suffisante. Aux États-Unis, il y a quatre opérateurs ; en Europe, pour un marché équivalent, nous sommes 140 !
M. Daniel Raoul, président. - L'échec du plan câble est effectivement lié au manque d'abonnements, et l'avenir est aux nouveaux usages. Pour couvrir les « zones blanches », pourquoi ne pas installer directement la 4G ? On règlerait d'emblée la question de la téléphonie et du très haut débit.
M. Yannick Vaugrenard. - L'ensemble de nos réseaux parait fragile face aux attaques informatiques : comment les opérateurs s'en protègent-ils ? Ont-ils des actions communes ?
Je voudrais vous rapporter, ensuite, le cas d'une femme de 91 ans dont la ligne a été coupée à l'occasion d'un changement d'opérateur, alors que son domicile était sous vidéo-surveillance pour raisons médicales. SFR était censée rétablir la ligne, mais ses techniciens ont prétendu que c'était à Orange de le faire, étant propriétaire du réseau. Après intervention de ma part, il a fallu six semaines pour remettre les choses en ordre. Pourquoi un tel délai, alors que la santé de cette dame était en jeu ? Comment concilier les montages techniques auxquels donne lieu la mutualisation avec l'intérêt du consommateur ?
M. Daniel Dubois. - Votre réponse sur votre incapacité pratique à couvrir l'ensemble du territoire m'inquiète, car elle montre que la ruralité devra attendre encore longtemps. Pour accélérer les choses, ne faudrait-il pas qu'un supplément minime de taxe sur les opérateurs vienne abonder le fonds d'aménagement numérique du territoire ?
M. Philippe Leroy. - Vous ne dites rien de l'apport des collectivités locales dans le financement des infrastructures : comment comptez-vous l'associer au développement des réseaux ?
M. Jean-Yves Charlier. - La prévention des attaques informatiques est une préoccupation constante de chaque opérateur : nous travaillons à la sécurisation des réseaux, car c'est une nécessité pour les données de nos 20 millions de clients. On peut certes toujours faire davantage, mais en la matière, un cadre doit être fixé par l'État, dans l'intérêt de tous.
Le cas de cette dame qui a vu sa ligne suspendue pendant trop longtemps tient, me semble-t-il, au monopole historique d'Orange sur le réseau de cuivre. Effectivement, nous n'intervenons pas directement sur ce réseau, mais nous demandons à Orange de le faire pour nos clients. Ce faisant, l'intervention est moins directe que si nous la faisions nous-mêmes.
Cela pose, en fait, la question de l'extinction des anciennes infrastructures : pourquoi maintenir le réseau cuivre alors qu'on a installé la fibre ? Même chose pour la technologie VDSL : à quoi sert d'investir dans cette technologie appelée à disparaître rapidement, alors que nous disposons déjà de la fibre ? Quelle est la stratégie d'ensemble ? Des choix sont nécessaires, il faut les faire et gérer la transition.
Nous sommes très favorables à l'aménagement numérique du territoire, nous y participons activement : SFR, avec une trentaine de délégations de service public, est le premier partenaire des collectivités locales. Reste, cependant, la question de la stratégie nationale des infrastructures. Elle est nécessaire parce que le marché est d'abord national ; nous parlons des infrastructures et non des services, dont l'échelle est plus large.
L'idée d'un supplément de taxe, même minime, doit être considérée avec la plus grande modération : nous sommes déjà l'industrie la plus taxée en France ! Nous préfèrerions des partenariats stratégiques forts ; soyez assurés que SFR sera au rendez-vous.
M. Daniel Raoul, président. - La président Raymond Vall me fait remarquer que le développement des usages va demander de la puissance électrique supplémentaire, ce qui pose la question de sa compatibilité avec les nécessités de la transition énergétique ... Nous vous remercions.
La réunion est levée à 16h15.
- Présidence de M. Raymond Vall, président -
Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
La séance est ouverte à 16h30.
La commission, en commun avec la commission des affaires économiques, entend Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable, et de l'énergie.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - La commission des affaires économiques et celle du développement durable vous accueillent avec grand plaisir, madame la ministre. Deux commissions : c'est dire l'étendue de vos attributions. Nous voulons aussi témoigner de l'intérêt que nous portons tant aux questions d'actualité qu'aux enjeux de la transition énergétique en général. Nous aborderons certainement la loi biodiversité, la réforme du code minier, ou encore la réforme ferroviaire. Bref, cette audition est très attendue par l'ensemble de nos collègues. Notre commission, qui a pris position sur le schéma national des infrastructures de transport et connaissance des travaux de M. Duron, sera en outre attentive à vos propos relatifs au financement de ces infrastructures.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je me réjouis de cette première audition de la ministre de l'écologie devant nos deux commissions pour aborder des dossiers majeurs à la fois pour le pays et pour nos concitoyens, dont la transition énergétique n'est pas le moins important. Après un premier trimestre chargé - c'est un euphémisme -, quel sera le calendrier législatif du projet de loi de transition énergétique, ainsi que de la réforme du code minier ? Que comptez-vous faire pour la filière des énergies renouvelables, et plus spécifiquement en matière de concessions hydrauliques ? Quelle est votre position sur Alstom ? Enfin, pour clore cette première salve de questions, quelle sera la place du nucléaire dans le mix énergétique de demain ?
Mme Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie. - Merci de m'avoir conviée à échanger avec vos deux commissions. Il est vrai que ces sujets sont au croisement de leurs attributions respectives. Ma priorité va à la création d'emplois industriels dans l'économie verte, les économies d'énergie, les énergies renouvelables, les infrastructures propres. C'est un défi à relever, mais aussi une chance. J'ai un objectif : en créer 100 000 grâce à la transition énergétique. Pour que ce chiffre soit atteint, il faudra la mobilisation des entreprises, des grands groupes - dont j'ai rencontré la plupart des dirigeants -, des PME et sous-traitants. Vendredi prochain, je réunirai les dix grandes filières des industries du futur, dont certains de nos fleurons, pour accélérer le rythme de cette mutation.
Deuxième objectif : mettre en mouvement les territoires. Rien ne se fera sans eux. Vous le savez, vous qui voyez l'excellence environnementale sur le terrain. En tant qu'ancienne présidente de région, je sais que les impulsions nationales mettent du temps à se concrétiser sur place. Nos territoires devraient saisir la chance offerte par les nouveaux contrats de plan État-régions, en accélérant la signature de leurs volets mobilité, biodiversité, et haut débit numérique, afin d'engager les chantiers prioritaires.
Troisième objectif : mobiliser les filières économiques. La transition énergétique est une opportunité de créer des emplois non délocalisables, très qualifiés, ainsi que des nouveaux métiers. La rénovation énergétique des bâtiments, par exemple, est une bouffée d'oxygène pour des milliers de PME et d'artisans sur nos territoires.
Pour remplir ces objectifs, j'ai identifié six grands chantiers. D'abord, bâtir un nouveau modèle énergétique. C'est l'objet du projet de loi relatif à la transition énergétique, que nous finalisons. Le gouvernement veut accélérer les choses. Le texte sera rapidement transmis au Conseil économique, social et environnemental, puis au Conseil national de la transition écologique (CNTE) ; il sera débattu à l'Assemblée nationale en commission d'ici juillet. Nous dynamiserons les filières d'énergies renouvelables. De nouveaux marchés d'éoliennes en mer ont été attribués il y a quelques jours. Nous devons faire davantage en matière d'énergie marine et de biomasse ; vos contributions sur ces sujets sont les bienvenues. Nous travaillons notamment à alléger le cadre réglementaire, à raccourcir les délais des procédures et à limiter les risques contentieux, sans bien sûr porter atteinte au droit au recours.
La rénovation énergétique des bâtiments sera également accélérée, et financée. La Banque publique d'investissement, désignée banque de la transition énergétique, remplit son office. La Caisse des dépôts et consignations est également mobilisée. Nous travaillons à l'ingénierie financière la plus efficace. Les collectivités l'ignorent parfois, mais elles peuvent bénéficier auprès de la Caisse des dépôts de prêts de 100 millions d'euros, sans apport, pendant 20 à 40 ans, afin de financer les travaux de rénovation énergétique dans les écoles ou les bâtiments communaux. Nous devons favoriser les circuits courts dans la commande publique. L'organisation de la conférence bancaire et financière de la transition énergétique est en préparation pour mettre tous ces points au clair. La réforme du code minier également.
Deuxième chantier : protéger et reconquérir l'eau, la biodiversité et les paysages. C'est l'objet du projet de loi biodiversité, qui n'est pas sans lien avec le projet de loi sur la transition énergétique. C'est un domaine fascinant, qui passionne les Français, assoiffés de connaissances sur les espèces naturelles. Je suis très favorable à la science participative, à la transmission au plus grand nombre de la connaissance et du respect de la nature. D'ailleurs, les ateliers scientifiques destinés aux écoliers attirent également les parents et grands-parents.
Le troisième axe de mon action concerne la santé et la prévention des risques. J'ai fait adopter par le CNTE la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Je me suis rendue sur le terrain, et la mise en oeuvre des engagements pris a été accélérée. Les industriels ont pris conscience de cette nécessité, et sont désormais mobilisés. Le Bisphénol A, notamment présent dans les tickets de caisse, et source de malformations congénitales, sera interdit au 1er janvier 2015. La présence de phtalates dans les jouets sera mieux contrôlée, les parabènes seront soumis à une obligation d'étiquetage. Une liste des produits interdits sera dressée. J'encourage les industriels à innover pour trouver des produits de substitution, car ces interdictions ont vocation à être adoptées au niveau européen. Les premiers à réussir à mettre au point des produits de substitution seront les pionniers dans leur secteur et gagneront ainsi des parts de marché. C'est ainsi que l'on transforme une contrainte en opportunité.
Nous élaborons une stratégie nationale de gestion du risque d'inondation. Je connais bien le problème, pour avoir présidé une région traversée par la tempête Xynthia. Les inondations menacent les zones littorales, mais aussi les rivières. Nous travaillons également au Plan déchets 2020, qui sera créateur d'emplois : limiter les déchets à la source, c'est se rendre plus performant. Là encore, la logique de l'économie circulaire transforme les contraintes en chances. En la matière, plus vite l'on agit, mieux l'on se positionne. Il y a là des conquêtes industrielles à lancer, y compris au moyen de partenariats européens.
Nous préparons simultanément la négociation européenne sur les OGM. Vous avez adopté une proposition de loi interdisant leur culture. Nous approfondirons ce sujet, qui touche à l'agri-écologie. La profession évolue vite, ce qui est réconfortant. Les labels et les normes de diminution des pesticides sont un argument de vente, donc un atout pour les agriculteurs, d'autant que les consommateurs sont de mieux en mieux informés.
Les transports sont du ressort de Frédéric Cuvillier. Il serait intéressant que toutes les régions signent le volet mobilité des nouveaux contrats de plan État-régions, qui concerne les routes, les autoroutes, le fret ferroviaire ainsi que les transports urbains. J'ai relancé les préfets sur ce sujet. C'est un préalable important à la conférence bancaire, qui étudiera le financement de ces projets, et les partenariats à nouer avec la Caisse des dépôts. Le projet de loi relatif à la réforme du ferroviaire vous sera présenté par Frédéric Cuvillier.
Cinquième chantier : la croissance verte. Elle passe par le développement des filières d'avenir, dans le cadre des 34 plans industriels. Vous êtes bien entendu conviés à la réunion sur les dix filières du futur que j'organise vendredi au ministère. Nous accompagnerons la mise en oeuvre du volet énergie des investissements d'avenir. Enfin, nous veillerons à moderniser et à simplifier le droit de l'environnement, qui est dans notre pays l'un des plus complexes, sans être plus protecteur que chez nos voisins. La protection de l'environnement ne doit en tout cas pas se retourner contre l'économie.
Enfin, dernier chantier que je conduis : celui des grands rendez-vous internationaux. Les 5 et 6 mai s'est tenue à Rome la réunion des ministres de l'énergie du G7, à laquelle j'ai participé. Nous avons évoqué les projets européens, qui diffèrent nécessairement d'un pays à l'autre en raison des choix énergétiques de chacun. Cela n'empêche nullement de rechercher une voie commune. L'idée est de tirer tous les États membres vers le haut afin de trouver le mix énergétique le plus efficace et le plus susceptible de lutter contre le réchauffement climatique. Un conseil des ministres européens de l'environnement se tiendra le 12 juin, des ministres de l'énergie le 13 juin, afin de préparer le Conseil européen, lui-même préfigurant la conférence de Paris sur le climat en 2015
Cette conférence est très difficile et très attendue. Les drames climatiques, la montée des mers, la disparition de certaines îles, la fragilisation des côtes, les déplacements de population liés aux dérèglements climatiques, les conflits liés au contrôle de l'accès à l'eau potable font heureusement l'objet d'une prise de conscience accrue de notre responsabilité à l'égard des générations futures. C'est pourquoi nous devons agir pour la transition énergétique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Préalablement à cette conférence, une réunion de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement se tiendra en juin. Nous devrons montrer une Europe exemplaire, afin d'entraîner les autres continents dans notre sillage. Chacun pourra exprimer ses préoccupations et faire état des menaces qu'il affronte, et ainsi favoriser une prise de conscience géographique multiforme mais cohérente. La Conférence de Paris aura alors toute son importance pour préparer un monde meilleur.
M. Martial Bourquin. - J'ai écouté votre exposé avec beaucoup d'intérêt. L'économie ne s'oppose pas à l'environnement, c'est au contraire un moteur d'innovation.
Je vous ai écrit pour vous faire part d'un problème qui a trait à la biodiversité et à la santé en Franche-Comté. Trois rivières comtoises, le Doubs, la Loue et le Dessoubre, que connaissent bien les amateurs de Gustave Courbet, sont malades, très malades, à tel point que samedi prochain, une manifestation est organisée pour tenter de les sauver. La Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, la préfecture, le Conseil général et le conseil régional seront mobilisés. En deux ans, aucune solution n'a été trouvée. Nous travaillons avec les universités pour enrayer la disparition du cheptel piscicole. L'émoi que suscite une telle situation est considérable, car ces rivières sont des lieux de pêche connus dans le monde entier. L'activité touristique en souffre fortement.
Certes, les collectivités territoriales ont un rôle à jouer, mais l'État aussi en demandant l'arrêt du traitement des grumes de bois de forêt au bord des rivières et le classement en zone vulnérable aux pollutions par les nitrates de l'aire géographique des appellations d'origine protégée. La particularité de la région, qui fait la beauté des tableaux de Courbet, réside dans son sol karstique, qui laisse couler le lisier directement dans le lit des rivières.
Votre position sur le Bisphénol A est courageuse. Mais quid du Roundup ? Ne faudrait-il pas en interdire également l'utilisation sur sols karstiques ? (Protestations sur certains bancs) Continuons à faire de l'intensif, et nous détruirons les écosystèmes.
M. Louis Nègre. - Anticiper plus que subir : cette politique me plaît.
L'écotaxe, devenue une éco-redevance, fait l'objet d'un rapport de la part de l'Assemblée nationale. La synthèse que j'ai lue me semble équilibrée. Vous avez évoqué deux pistes. D'une part, la taxation des poids lourds étrangers : comment la concilier avec les règles européennes ? D'autre part, la taxation supplémentaire sur les autoroutes. Où en êtes-vous de vos réflexions ? Sur le terrain, nous attendons avec impatience des réponses. L'enjeu est tout de même de 800 millions d'euros... Vous êtes prête à aller vite, avez-vous dit. Mais sur le troisième appel à projets État-régions dans le cadre du volet mobilité et l'Agence de financement des infrastructures de transport, c'est le flou total.
Un mot sur le meccano industriel Alstom - General Electric - Siemens. Vous avez d'abord jugé General Electric meilleur que Siemens, puis vous êtes revenue sur cette position. Nous avons besoin d'éclaircissements.
Enfin, Arnaud Montebourg et vous-mêmes défendez la voiture électrique. Mais qui, au gouvernement, s'en occupe ? Qui est le pilote dans l'avion, ou plutôt dans la voiture ?
Mme Bernadette Bourzai. - Vous avez déclaré que la mise en concurrence pure et simple des concessions hydrauliques présentait des risques pour l'intérêt général de la gestion de la ressource en eau, de l'équilibre écologique des vallées et des conditions de distribution de l'électricité. Vous vous êtes donc prononcée pour la conservation d'un contrôle public, et avez proposé de créer des sociétés d'économie mixte à majorité publique s'inspirant du modèle de la Compagnie nationale du Rhône. Or le 23 avril dernier, le Premier ministre a annoncé privilégier la mise en concurrence. Au Sénat, une proposition de loi déposée notamment par Roland Courteau et moi-même tend à prolonger les concessions, afin de réaliser des investissements importants. Les récentes discussions à Bruxelles sur les attributions de marchés publics rendent ce scenario possible. Les vallées de la Dordogne, du Lot et de la Truyère pourraient donner lieu à des investissements de 2 milliards d'euros. Ne conviendrait-il pas d'examiner la solution la plus adaptée à chaque vallée afin de conserver à ces installations leur mission d'intérêt général tout en rendant possibles les investissements indispensables à l'économie de nos territoires ?
M. Ronan Dantec. - Merci pour votre parole, forte et claire. Nous vous rejoignons sur la dynamique économique créatrice d'emplois, et sur l'importance du rôle des territoires dans la transition énergétique. Celle-ci n'est toutefois possible que si le modèle économique garantit un retour sur investissement suffisant pour financer les investissements nouveaux. Il faut donc des fonds, donc mobiliser l'argent privé - la conférence bancaire aura un rôle clé -, mais aussi l'argent public, de l'État ou des collectivités territoriales. Sont sur la table : la taxe carbone ; les certificats d'économie d'énergie, grâce à la Caisse des dépôts et consignations ; et l'écotaxe, destinée à financer les infrastructures de transport. Quel lien faites-vous entre le renforcement de ces flux et votre volontarisme en matière de création d'emplois ?
M. Jean-Claude Lenoir. - La semaine prochaine nous offrira une occasion de revenir sur toutes ces questions, à l'occasion du débat sur le climat et l'énergie.
J'aimerais que le gouvernement affiche clairement la couleur sur la transition énergétique. Que souhaite-t-il réellement ? Personne ne le sait ! Quelles sont ses intentions s'agissant du nucléaire ? Dimanche dernier, le Premier ministre a rappelé la place qu'il occupe dans notre mix énergétique. Celle-ci est-elle confortée dans le texte en préparation ? Votre prédécesseur a annoncé la fermeture de la centrale de Fessenheim pour 2016 : est-ce possible, et est-ce encore d'actualité ?
Comment compenserons-nous l'énergie qui ne sera plus produite par le nucléaire ? Reviendrons-nous au charbon, comme l'Allemagne ? Un quotidien, apprécié par les sympathisants communistes, dénonçait hier cette stratégie, le charbon étant particulièrement polluant. La France doit être exemplaire, c'est vrai. Mais les énergies renouvelables ont un défaut : le caractère intermittent de leur production. Comment, en outre, équilibrer l'offre et la demande ?
Souhaitez-vous que le Conseil européen affiche une ambition en matière énergétique ? Dans l'affirmative, comment concilier les différentes stratégies conduites par les États européens ?
L'économie circulaire en matière d'électricité me laisse perplexe. Est-ce à dire que les régions seront conduites à construire leur propre système énergétique ? Est-ce la fin de la péréquation tarifaire, socle de notre système économique et social ?
Quelle est votre position sur le gaz de schiste ? Le gouvernement va-t-il appliquer la loi du 13 juillet 2011, c'est-à-dire autoriser les expérimentations à fin de recherche ?
M. Alain Fouché. - Un mot sur la prévention des risques. Un article du Monde du 2 mai indiquait que Greenpeace avait tenté d'empêcher un tanker russe de livrer à Rotterdam du pétrole extrait d'une plateforme offshore de l'Arctique à Total, son PDG ayant pourtant, auparavant, fait état de sa réticence à exploiter le pétrole dans la région en raison du risque de marée noire et pour ne pas entacher l'image de sa compagnie. Cela signifie que Total encourage cette exploitation ? Que peut-on faire contre cela ?
M. Yves Rome. - La ministre a rappelé très justement le lien étroit qui unit le développement durable à l'économie. Nous espérons tous que la transition énergétique sera la plus rapide possible. Elle nécessite une ambition économique large, étendue aux grandes infrastructures du numérique qui irrigueront les perspectives ambitieuses rappelées par la ministre.
Nous ambitionnons tous de laisser aux générations futures l'environnement le mieux préservé possible. La France, sous le feu des projecteurs en 2015, devra être exemplaire. Le canal Seine-Nord Europe, accompagné par des décisions européennes récentes, est un moyen d'y parvenir. Ce grand projet, qui concerne le nord de la France et le nord de l'Europe, marque la volonté de notre pays de faire face aux enjeux climatiques. Pour le concrétiser, nous avons besoin d'une mobilisation forte des collectivités territoriales aux côtés de l'État. Au passage, la clause de compétence générale serait bien utile pour obtenir des financements des régions et des départements, ces derniers ayant affiché leur volontarisme.
Un mot sur la simplification normative en matière environnementale. Le président de conseil général que je suis peut vous le dire : entre une décision de déviation routière et le premier coup de pioche, il peut s'écouler dix ans...
M. Jean Bizet. - C'est vrai !
M. Yves Rome. - L'environnement ne doit pas devenir l'ennemi de l'économie.
M. Joël Labbé. - Vous avez évoqué les OGM, les pesticides et l'agrochimie en général. Prise de conscience des consommateurs, certainement ; des agriculteurs, c'est relatif. Voyez le débat que nous avons eu au Sénat sur les OGM. Ils ont été interdits, mais le match n'est pas terminé. La procédure d'autorisation européenne n'est pas totalement satisfaisante. Stéphane Le Foll et vous-même souhaitez renforcer l'évaluation de leurs risques environnementaux et de leurs conséquences socio-économiques, et redéfinir le cadre de coexistence des OGM avec les non-OGM - ce qui est difficile. Nous attendons beaucoup du Conseil des ministres de l'environnement du 12 juin prochain pour infléchir la position européenne sur ce point.
Mme Ségolène Royal, ministre. - Martial Bourquin, je dispose des documents relatifs à la protection des rivières franc-comtoises. Le sujet est sensible. Nous travaillons à une nouvelle politique de l'eau ; l'État doit assumer ses responsabilités, c'est certain. Nous examinons les pistes sur la table : arrêter le traitement des grumes au bord des rivières, car le déversement de produits polluants est inadmissible ; utiliser des produits de substitution, avec un délai d'adaptation pour ne pas pénaliser les entreprises qui les utilisent. Je m'apprête à saisir l'Office national des forêts (ONF) pour accompagner les forestiers et faire évoluer leurs méthodes - vous êtes le bienvenu pour assister aux réunions que j'organiserai avec les experts. Le déversement de lisier n'est pas plus tolérable : nous devons nous équiper plus largement en unités de méthanisation. Dans la région que j'ai présidée, cela fait dix ans que ces pratiques sont interdites, et l'implantation de bandes enherbées rendue obligatoire sur le bord des rivières, en privilégiant les plantes naturellement filtrantes. Il faut étendre ce système.
L'utilisation du Roundup n'est pas acceptable non plus au bord des rivières et sur les lieux de captage d'eau potable. Mercredi prochain sera la journée mondiale de la biodiversité. J'ai lancé une opération zéro pesticide, qui concernera au premier chef les espaces communaux. Il n'est pas normal que certains bâtiments, comme les écoles, y soient encore exposés. La loi votée en janvier n'interdit les pesticides dans les espaces verts publics qu'à compter de 2020, alors que certaines communes sont déjà sans pesticides, ce qui est formidable. Pourquoi attendre ? Les méthodes sont maîtrisées. Dans le même ordre d'idées, la France est importatrice de miel à cause de l'utilisation de produits phytosanitaires sur les lieux de floraison : c'est extravagant. Les agriculteurs se rendent pourtant compte que limiter l'usage de ces produits améliore la qualité de l'ensemencement des productions végétales.
Louis Nègre, s'agissant de l'écotaxe, nous attendons les conclusions du rapport de l'Assemblée nationale. J'ai moi-même été auditionnée - comme par le Sénat, du reste -, mais n'ai pu prendre connaissance des conclusions du rapporteur. Chacun a fait son travail, chacun a sa liberté de parole - j'ai la mienne. Attendons le résultat du travail parlementaire et tirons-en les conclusions les plus intelligentes possibles, le plus rapidement possible, car nous attendons les financements. J'ai signé le volet mobilité du contrat de plan État-région : je sais de quoi nous avons besoin.
J'ai rencontré les dirigeants de Siemens ce matin. Depuis que l'État a affirmé sa préoccupation à l'égard d'Alstom et de cette filière stratégique, les offres se sont améliorées. Une décision sera prise dans les prochaines semaines tenant compte des stratégies industrielles, du bilan pour l'emploi, etc.
Comme souvent en matière d'industrie verte, les véhicules électriques dépendent à la fois des ministères de l'écologie et de l'industrie. Arnaud Montebourg a suivi le déploiement des bornes de recharge. Le projet de loi sur la transition énergétique traitera la question de la mobilité propre.
Bernadette Bourzai, l'électricité hydro-électrique est la plus propre et la moins coûteuse. La France a la chance d'être bien équipée. Prolonger les concessions des opérateurs semble judicieux car ils pourront investir ; je serai lundi à Bruxelles pour défendre cette solution.
Ronan Dantec, 70 % des actions en matière de transition énergétique relèvent de l'échelon national. Le renforcement des flux financiers constituera l'un des volets du futur projet de loi. Nous y travaillons. La transition énergétique favorise la croissance. L'Allemagne a dépensé 22 milliards pour améliorer la performance énergétique des bâtiments. Cela n'a pas été sans effet sur la croissance ! A cause de notre modèle de production énergétique, nous avons fait moins d'efforts et davantage gaspillé. Nos factures de chauffage figurent parmi les plus élevées en Europe. Grâce à la transition énergétique, les clients verront leur facture d'électricité baisser. Je souhaite que tous les nouveaux bâtiments aient un bilan énergétique neutre ou positif. Fixons un cadre stable et clair, les entreprises seront rassurées et investiront.
Jean-Claude Lenoir, le Président de la République a fixé le cadre de notre politique nucléaire. Nous devons être fiers de notre modèle, tout en préparant l'avenir. Il faut augmenter les énergies renouvelables, développer les économies d'énergie, et trouver des solutions pour stocker l'électricité. C'est la clef ! L'Europe de l'énergie doit s'appuyer sur des groupes compétitifs. Pour la première fois, d'ailleurs, j'ai réuni tous les acteurs de l'hydrolien en mer. Il faut accélérer l'investissement dans les réseaux intelligents et le stockage de l'énergie. Des progrès ont été réalisés.
Une politique européenne de l'énergie est nécessaire. Il ne s'agit pas de parvenir à un modèle unique. L'objectif est de lutter contre l'effet de serre. Les pays du Sud, à qui nous avons exporté notre mode de développement, nous regardent. L'explosion, dans une mine de charbon, hier en Turquie a fait des centaines de morts. En Ukraine, le gaz est un instrument de chantage. L'énergie doit être une source de vie, non de guerre ni un enjeu dans un rapport de force.
Tant que les techniques n'auront pas évolué, le gouvernement s'opposera à l'exploitation du gaz de schiste en France au moyen de la fracturation hydraulique...
M. Jean-Claude Lenoir. - Et la recherche ?
Mme Ségolène Royal, ministre. - Pas en grandeur nature, en tout cas.
Monsieur Fouché, sur la prévention des risques, vous avez évoqué le problème de la sécurité des transports et des hydrocarbures. C'est un vrai sujet, car il y a un problème de transparence et un problème de contrôle. La direction de la prévention des risques est là, et d'ailleurs je salue les directeurs du ministère qui sont tous là et qui sont à votre disposition si vous avez des sujets très concrets sur vos territoires.
(les directeurs se présentent)
Mme Ségolène Royal, ministre. - Effectivement, nous devons regarder de plus près la réglementation. Je vais demander aux services d'y travailler rapidement pour que l'on puisse vous apporter une réponse précise.
Yves Rome, le canal est une alternative à la route. Tout est affaire de financement. Je n'ai pas encore examiné dans le détail ce dossier.
Il est indispensable de simplifier les procédures. Pourquoi ne pas regrouper les recours pour réduire les délais ? La protection de l'environnement n'en souffrira pas, tandis que les entreprises ont intérêt à savoir de manière sûre si elles peuvent construire ou non. N'opposons pas les entreprises et les écologistes. Il s'agit simplement de disposer de règles de droit rapides, claires et stables.
Joël Labbé, la prise de conscience du monde agricole est relative concernant les dangers des OGM et des produits phytosanitaires, c'est vrai. Mais, là encore, si les règles sont instables, les opérateurs ne sont pas encouragés à modifier leurs pratiques. Il faut réduire le volume des produits phytosanitaires utilisés et développer la recherche pour trouver des produits de substitution. Il est aussi indispensable de faire la transparence sur le lien entre l'usage de ces produits et certaines maladies qui frappent les ouvriers agricoles...
M. Bruno Sido. - Comme leurs patrons !
Mme Ségolène Royal, ministre. - Mais ce sont les ouvriers qui sont en première ligne.
M. Thierry Repentin. - La loi sur la transition énergétique contiendra-t-elle des mesures relatives à la prolongation des concessions des opérateurs d'hydroélectricité ? Certains territoires souhaitent plus de concurrence. La Cour des comptes a souligné le manque à gagner dû à un manque de concurrence.
Le Premier ministre a appelé de ses voeux une Europe des grands projets, en particulier d'infrastructures de transport. Le canal Seine-Nord Europe et la ligne ferroviaire Lyon-Turin sont les seuls projets à pouvoir être cofinancés par la ligne budgétaire pour l'interconnexion en Europe, dotée de 15 milliards d'euros grâce à l'insistance du Président de la République lors de la conclusion du budget européen pour la période 2015-2020. Si nous lançons ces projets ils seront cofinancés à hauteur de 40 %, sinon cet argent servira à d'autres ! Dans le cas de la ligne Lyon-Turin, la France doit répondre à un appel à projets avant l'automne. Négocierez-vous avec Bruxelles pour obtenir l'autorisation de prolonger les concessions autoroutières afin de financer ces grands projets ?
Le conseil européen des 20 et 21 mars dernier, consacré à la compétitivité industrielle, a souligné, à la demande de la France, l'importance de trouver une solution pour accompagner les industries électro-intensives. Ces entreprises sont pénalisées par rapport à certains grands pays qui ont mis en place des aides. La Commission a publié en avril des lignes directrices, proposant de baisser certaines taxes sur l'énergie. Un accord est-il possible ?
M. Ladislas Poniatowski. - Envisagez-vous dans votre projet de loi de remettre à plat la taxe sur la consommation finale d'électricité (TCFE) et la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? La TCFE, a été détournée de sa mission et constitue dans les faits une recette des collectivités territoriales, un quart seulement de son produit revenant aux syndicats d'électricité. La CSPE, également acquittée par les consommateurs finals d'électricité, sert à payer le tarif social, la péréquation des tarifs dans les DOM-TOM et la Corse, et, pour 90 %, le développement des énergies renouvelables. En refusant la hausse des prix de l'électricité, vous avez ainsi dit non aux énergies renouvelables ! La hausse de la taxe était nécessaire pour rembourser à EDF les avances qu'il verse pour acheter l'électricité photovoltaïque ou éolienne. Avec l'hydrolien, le montant de la CSPE explosera et, là encore, il faudra rembourser EDF. La TCFE devrait aussi contribuer à financer le développement des énergies renouvelables. En refusant d'augmenter le prix de l'électricité, les gouvernements successifs augmentent la dette de l'État à l'égard d'EDF.
Mme Hélène Masson-Maret. - Dans un sondage Ifop réalisé en avril, 90 % des Français se déclarent favorable à la transition énergétique. Mais les moyens ne font pas consensus, comme le révèle l'écotaxe.
Conformément à la feuille de route du Président de la République, vous envisagez de fermer la centrale de Fessenheim en 2016. Comment comptez-vous financer les travaux et le dédommagement réclamé par EDF ? De plus cette fermeture ne suffira pas à ramener la part de l'énergie nucléaire en-dessous du seuil de 50 % d'ici à 2025. La France est dans une impasse, avec l'obligation de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d'ici à 2030. Il convient de noter que le nucléaire n'émet pas de gaz de serre... Quelles énergies renouvelables entendez-vous favoriser ? La Cour des comptes a critiqué certains modes de financement des énergies renouvelables, comme pour les panneaux photovoltaïques. Quels seront vos arbitrages ?
M. Bruno Sido. - L'objectif du Président de la République de réduire à moins de 50 % la part de l'électricité issue du nucléaire sera-t-il maintenu ? Le problème des énergies renouvelables concerne le stockage. Avec le député Christian Bataille, nous avions publié un rapport pour analyser la situation allemande. Faute de moyens de stockage, les Allemands sont contraints de nous exporter de l'électricité à un prix négatif. En tant que président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j'ai été approché par un des quatre grands producteurs. Ils sont inquiets et souhaitent être entendus. Nous les auditionnerons. Le Gouvernement prendra-t-il le risque de suivre la même voie ? Les mêmes inconvénients produisant les mêmes effets, la situation risque d'être pire encore en France où la part du nucléaire est bien plus importante. Sans compter qu'à Fessenheim, les Suisses et les Allemands qui détiennent respectivement 17 % et 16 % de la centrale nous réclameront aussi des indemnités...
Le sujet est grave. Quels sont les objectifs du gouvernement ?
Mme Évelyne Didier. - Madame la ministre, je salue votre nomination, ainsi que le périmètre de votre ministère, propre à dégager des synergies. Espérons qu'il ne bougera plus.
Le code minier a pour objet de fixer les règles d'exploitation et de régler la question des dégâts miniers pour rassurer les populations. Thierry Tuot a avancé des pistes de réforme. Or les acteurs sont dans l'expectative. Il a fait aussi des propositions pour sécuriser les procédures, suggérant de consulter, avant toute nouvelle opération, les autorités compétentes pour éviter les recours. Quand débattrons-nous du sujet ?
Je note avec satisfaction que mon collègue Jean-Claude Lenoir lit l'Humanité !
Je souscris à votre vision : mieux vaut encourager que punir. Mieux vaut une écologie incitative que punitive. Les résultats sont meilleurs, d'autant que nos services de police ou douaniers n'ont plus les moyens de procéder toujours à des contrôles sur place.
Au sein du Conseil national des déchets, nous réfléchissons à leur rôle dans l'économie circulaire. Mais celle-ci ne se résume pas à cette question. Il conviendrait de mettre en avant d'autres pistes. Enfin, je salue votre fermeté s'agissant des perturbateurs endocriniens.
M. Michel Teston. - L'interdiction de la fracturation hydraulique est essentielle. En 2011, dans une réunion publique en Ardèche, vous aviez exprimé votre position. Depuis, le gouvernement a décidé de réformer le code minier pour reconnaître les droits d'information du public. Quand en débattrons-nous au Parlement ?
Les grandes centrales de production de chaleur utilisent de grandes quantités de bois, avec des coupes locales importantes et des importations massives. Comment entendez-vous réguler l'approvisionnement de ces centrales ?
Mme Ségolène Royal, ministre. - Pour financer la ligne Lyon-Turin, la prolongation des concessions d'autoroutes a été évoquée. La Commission européenne semble ouverte, tant la Direction générale (DG) des transports et de la mobilité que la DG de la concurrence, car financer le rail grâce au transport routier contribue au transport propre.
Les intérêts des industriels électro-intensifs ont été pris en considération lors du Conseil européen des 20 et 21 mars. Notre ministère a fait beaucoup avec le ministère de l'industrie. Nous avons soutenu la cogénération et les travaux d'effacement qui bénéficient aux gros consommateurs d'électricité ; nous cherchons à améliorer les relations entre EDF et le consortium Exeltium, et à modérer les tarifs de transports. Nous avons maintenu les exemptions de taxes. Nous veillons à préserver la compétitivité des électro-intensifs tout en leur indiquant la nécessité de faire des efforts pour réduire leur consommation. Tel est bien leur intérêt. Ainsi nous retournons une contrainte, qui encourage le contournement, en un intérêt bien perçu. Tout en affirmant avec fermeté l'objectif d'amélioration énergétique, nous veillons à ne pas déstabiliser la filière et à la protéger contre ses concurrents.
La hausse annoncée du prix de l'énergie par EDF n'était pas liée à la hausse de la CSPE. Je suis lasse d'entendre affirmer que les énergies renouvelables coûtent cher. Toutes les énergies coûtent cher, y compris le nucléaire si l'on inclut le traitement des déchets et le démantèlement des centrales. Cessons d'opposer les filières ! En outre la part de la CSPE destinée aux énergies renouvelables s'établit à 75 % et non 90 %. Il faut maîtriser le coût des énergies renouvelables ; il commence d'ailleurs à baisser tandis que le prix des nouveaux réacteurs nucléaires sera sans doute plus élevé. Mettons les chiffres sur la table. Il ne s'agit pas de stigmatiser telle ou telle filière mais de faciliter les choix des élus. Le nucléaire existe. Nous pouvons en être fiers. Mais il n'y pas de tabous. Il faut décider en toute connaissance de cause pour améliorer notre mix énergétique. Tel est l'enjeu. C'est l'intérêt d'ailleurs de nos électriciens. Après Fukushima, notre modèle sera plus facilement exportable s'il repose sur un mix énergétique. Notre texte jettera les bases d'un débat serein et renforcera la démocratie dans les choix énergétiques. L'enjeu est crucial : nos choix détermineront nos modes de vie et nos choix industriels pour 50 ans.
Pour maîtriser les coûts, il est possible d'investir dans la recherche, grâce aux investissements d'avenir, de maîtriser les prix par le jeu des appels d'offre, de baisser les coûts de production, et de mettre en place les compteurs intelligents, permettant de mieux connaître sa consommation et de la maîtriser. Il devient possible d'envisager des territoires à énergie positive, avec des compteurs intelligents et une mise en commun de la gestion de l'énergie, réconciliant efficacité énergétique industrielle et démocratie. L'accès à l'information est fondamental à cet égard.
Le Président de la République a fixé le cadre concernant le nucléaire. Nous débattrons, de manière transparente, lors du projet de loi sur la transition énergétique, des objectifs de réduction de la part du nucléaire et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour définir des trajectoires d'évolution.
Evelyne Didier, merci de votre soutien s'agissant des perturbateurs endocriniens. Le Parlement débattra du code minier avant la fin de l'année. Nous tenons compte du travail de Thierry Tuot et entendons finaliser notre projet de réforme avant la fin de l'été.
L'économie circulaire ne se réduit pas, en effet, à la gestion des déchets, mais concerne avant tout la conception des produits. Il s'agit d'un enjeu d'innovation et de réflexion sur les matériaux.
L'importation de bois pour alimenter les centrales de production de chaleur constitue un sujet important. Il faut développer la traçabilité pour s'assurer du bilan carbone d'une filière. Nous définirons dans la loi le bilan carbone et les décisions à prendre aux vues du coût carbone pour ces filières.
Merci pour vos questions riches et variées sur ces sujets sensibles. Nous avons à réaliser ensemble cette oeuvre importante.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous nous retrouverons mercredi en séance publique pour un débat sur le climat et l'énergie en Europe.
La réunion est levée à 18h20.
Jeudi 15 mai 2014
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Activités privées de protection des navires - Examen des amendements de séance
La commission examine les amendements de séance sur le projet de loi n° 489 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux activités privées de protection des navires.
La réunion est ouverte à 10 heures.
M. Raymond Vall, président. - Nous avons dix-neuf amendements à examiner.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - La plupart ont été déposés, d'une part, par Alain Richard - les titres II, IV et V du texte ont été délégués au fond à la commission des lois -, d'autre part, par le Gouvernement.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - L'amendement n° 3 écarte expressément la possibilité que l'activité de protection des navires soit exercée par des services internes d'entreprises dont ce n'est pas le but exclusif.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - L'amendement n° 7 supprime l'article 3, par lequel la commission des lois avait prévu la contribution au Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) des entreprises privées de protection du navire. Celle-ci a émis un avis défavorable à cet amendement. Je vous propose un avis de sagesse.
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 7.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Par l'amendement n° 8, le Gouvernement précise que la liste des prescriptions de la norme de certification est fixée par décret en Conseil d'État. L'avis de la commission des lois est défavorable, pour des raisons de sémantique. Je propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat.
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 8.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Par l'amendement n° 1 rectifié, Mme Masson-Maret et M. Revet rétablissent l'article 9. Il ne nous paraît pas nécessaire d'introduire une telle dérogation, le vivier de personnels susceptibles de remplir ces missions étant suffisamment réduit - anciens fusiliers marins, commandos... - pour apaiser les craintes. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Avis favorable à l'amendement n° 9 du Gouvernement, de précision.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 9.
Articles additionnels après l'article 12
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - De même, avis favorables aux amendements n° 19, 20 et 10 du Gouvernement.
La commission émet un avis favorable aux amendements n° 19, 20 et 10.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Notre commission avait supprimé la liste des navires non éligibles à la protection. Par l'amendement n°17, le Gouvernement la rétablit, en raison du développement d'une forme de tourisme du sensationnel. Avis favorable : il faut penser à tout !
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 17.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - L'amendement que je vous soumets propose que le nombre d'armes autorisées pour une équipe privée de protection des navires soit déterminé par décret simple. La fixation des types d'armes justifie sans doute un décret en Conseil d'État, pas celle de leur nombre.
La commission adopte l'amendement n° 21.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - La commission des lois a émis un avis favorable à l'amendement n° 11 du Gouvernement, de précision. Même avis.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 11.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - De même, avis favorable à l'amendement n° 12 du Gouvernement ...
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 12.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - ...et à l'amendement n° 13 du Gouvernement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 13.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Le Gouvernement n'est pas favorable à l'adoption de l'amendement n° 4, déposé par M. Richard, en raison de ses conséquences constitutionnelles qui doivent être étudiées de manière plus approfondie. Je vous propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat.
La commission émet un avis de sagesse à l'amendement n° 4.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - L'amendement n° 14 du Gouvernement est de conséquence. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 14.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Les risques encourus si l'équipe est sous-dimensionnée sont réels, comme l'a hélas montré l'exemple du Tanit, où l'affaire s'est soldée par trois morts et un blessé. Une sanction est donc indispensable : avis défavorable à l'amendement n° 6 de suppression, déposé par M. Revet.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - L'amendement n° 5 est de conséquence. La commission des lois a émis un avis défavorable, je vous propose d'en faire de même.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
Articles additionnels après l'article 42
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Avis favorable à l'amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, relatif à la transposition des dispositions pour la Polynésie française.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 16.
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - De même, l'amendement n° 15 donne quelques précisions sur leur application outre-mer, notamment à Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 15.
M. Ronan Dantec. - Et quid de la Corse ou de l'île de Sein ?
Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Elles font partie de la métropole !
M. Raymond Vall, président. - La commission mixte paritaire se tiendra mercredi 21 mai à 11h30 à l'Assemblée nationale. Les membres titulaires en seront M. Raymond Vall, Mme Odette Herviaux, M. Alain Richard, M. Michel Teston, Mme Hélène Masson-Maret, M. Jean-Jacques Hyest et M. Jean-Marie Bockel, et les suppléants seront M. Jean-Louis Carrère, M. Mohamed Soilihi, Mme Evelyne Didier, M. Charles Revet, Mme Esther Sittler, M. Gérard Cornu et Mme Marie-Françoise Gaouyer.
La réunion est levée à 10h25.