Mardi 6 mai 2014
- Présidence de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, et M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères -Conférence de Paris 2015 sur le climat - Audition de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international
La commission, en commun avec la commission des affaires étrangères, entend M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, sur la préparation de la Conférence de Paris 2015 sur le climat.
La séance est ouverte à 16h35.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Nous sommes heureux d'accueillir Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, pour évoquer la préparation de la conférence de Paris 2015 sur le climat. La commission du développement durable, âgée de deux ans seulement, est la plus jeune des commissions permanentes du Sénat, mais s'intéresse depuis sa création à cette question fondamentale. Son tout premier rapport était consacré aux enjeux du sommet de Rio, où nous nous sommes rendus ; nous avions participé, avec le président de la République et vous-même, à une réunion - un peu décevante d'ailleurs.
L'intérêt du Sénat pour le climat n'est pas nouveau, puisque c'est notre assemblée qui a pris l'initiative de créer, en 2000, l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), dont notre collègue Paul Vergès est toujours président. Cet organisme, dont les travaux sont reconnus, assure le lien institutionnel avec le GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), dont les récents rapports montrent l'urgence de l'action.
Le président de la République et vous-même avez fait de la Conférence de Paris sur le climat une priorité de la diplomatie française. Nous sommes nombreux à soutenir vos efforts en ce sens, et nous avons créé, au sein de notre commission, un groupe de suivi des négociations climatiques internationales.
Pouvez-vous nous dire où en est la préparation de la conférence ? Comment avez-vous mobilisé vos services et le réseau diplomatique ? Quelles sont les perspectives de parvenir à un accord ambitieux ? Qu'attendez-vous du Sénat et des sénateurs pour soutenir la démarche française ?
M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères. - La commission des affaires étrangères est ravie d'accueillir « son » ministre, sur un sujet qui relève certes davantage de la compétence au fond de la commission du développement durable. Pour paraphraser un discours célèbre, la maison brûle, mais vous ne regardez pas ailleurs. Le processus engagé sur le changement climatique pourrait vivre une étape décisive à Paris l'année prochaine : nous souhaitons naturellement que ce soit le cas.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Merci de votre accueil dans cette maison que je connais et que j'apprécie. Je viens vous entretenir de la vingt-et-unième conférence des parties à la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, aussi appelée COP 21, ou « Paris Climat 2015 ».
Le degré d'urgence et l'opportunité d'agir ne font plus guère débat. Les causes, manifestations et conséquences du changement climatique sont à présent bien connues. Le dernier rapport du GIEC fait état de changements climatiques sans précédents, et juge incontestable la responsabilité humaine en la matière. Al Gore me faisait observer en janvier que l'opinion publique avait considérablement évolué ces deux ou trois dernières années : personne ou presque ne conteste plus la gravité du phénomène ni la responsabilité de l'homme dans sa survenance. Les études scientifiques ont gagné en qualité, et leurs conclusions respectent largement les marges d'erreur usuelles dans ces domaines.
Quelques exemples des risques que nous encourons à ne rien faire : le volume total des glaciers pourrait diminuer de moitié, voire de 80 % d'ici 2100 ; le niveau de la mer pourrait augmenter de 50 centimètres d'ici la fin du siècle , voire un mètre selon les hypothèses les plus pessimistes ; les régions côtières où vit plus de la moitié de la population mondiale feraient face à des risques d'érosion ou d'inondation : Dunkerque serait partiellement sous les eaux, la Méditerranée irait jusqu'en Arles, Rotterdam deviendrait une île. Ce n'est pas de la science-fiction, c'est ce qui pourrait advenir prochainement si nous ne faisons rien ! Comment nourrir la planète, dont 40 % de la population vit de l'agriculture, si les récoltes sont amputées d'un quart, sous l'effet de la chaleur et du manque d'eau ? Baisse des rendements agricoles, hausse du niveau des mers, création de nouvelles poches massives de pauvreté... le dernier rapport du GIEC est sans équivoque.
Au passage, le terme de « changement » climatique est trop neutre. Nos sociétés perçoivent généralement le changement comme un phénomène positif - tout slogan politique mis à part. D'un point de vue scientifique, le réchauffement climatique n'est qu'un des multiples phénomènes envisagés - et au nord de la Loire, il peut être perçu positivement ! C'est pourquoi il vaut mieux parler de dérèglement climatique, climate disruption en anglais. L'enjeu n'est rien moins que la capacité des prochaines générations humaines à vivre, à se développer, à se nourrir décemment, à survivre même. Certains, comme la secrétaire exécutive de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC), parlent même d' « étrangeté globale », ou global weirdness.
Le rapport du GIEC montre toutefois qu'il est encore temps d'agir. Il prône d'ici 2050 un triplement voire un quadruplement de la production d'énergies sobres en carbone. C'est assurément une contrainte, mais c'est également une chance à saisir, compte tenu du coût des énergies carbonées, des risques sanitaires qu'elles font encourir et du fait que l'innovation dans les énergies renouvelables commence à réconcilier économie et écologie.
Certains pays ont commencé à saisir ces opportunités. D'ailleurs, en grec ancien, ê?íäõíïò désigne à la fois le risque et la chance ; en chinois contemporain, les mots chance et crise se prononcent de la même façon. De grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, comme de plus petits, voient dans la sobriété en carbone une opportunité. La Chine a fait de la civilisation écologique l'un de ses objectifs premiers, et est devenue le premier marché mondial en matière d'énergies renouvelables. Les États-Unis ont envoyé des signaux forts dans cette direction. Le Brésil est en passe de remplir son objectif de réduction de 80 % de la déforestation entre 2005 et 2020. L'Islande, le Costa Rica, de petites îles vulnérables comme les Maldives se sont engagés sur la voie de la neutralité carbone. Au total, une centaine d'États ont pris volontairement, hors protocole de Kyoto, des engagements de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Bref, d'importants jalons sont déjà posés.
Paris 2015 sera l'occasion de faire mieux et plus vite. Nous devrons aider les pays en développement à s'adapter, par des transferts de technologie et des facilités de financement, comme le Fonds vert pour le climat. Nos objectifs sont les suivants : aboutir à un accord applicable à tous, juridiquement contraignant, qui comprenne des engagements de réduction d'émissions de gaz à effet de serre compatibles dans la durée avec un réchauffement maximal de deux degrés. Ce serait une première dans l'histoire des négociations climatiques : le protocole de Kyoto est contraignant mais ne concerne que 15 % des émissions mondiales ; les sommets de Copenhague et de Cancún ont donné lieu à des accords larges mais non contraignants.
Depuis Durban, nous progressons dans l'idée de ce qu'est un accord efficace. Il contient d'abord un cadre robuste et transparent de mise en oeuvre des décisions prises, qui ne doivent pas rester des paroles en l'air, tout en permettant l'évolution dans le temps des engagements nationaux ; à côté de ce socle commun, des engagements de réduction d'émissions seraient déterminés nationalement, suffisamment flexibles pour accueillir les engagements successifs sans avoir à renégocier l'accord ; enfin, Paris doit être l'occasion de cristalliser les initiatives et partenariats entre États, collectivités territoriales, entreprises, ONG, fonds d'investissement, destinés à montrer qu'un mouvement est lancé pour améliorer la soutenabilité de notre modèle économique, la croissance et le bien-être.
La France présidera la conférence, mais sera aussi partie prenante. La stratégie française repose d'abord sur l'exemplarité. La contribution climat énergie a été un premier pas. La loi relative à la transition énergétique qui vous sera soumise avant l'été ira plus loin encore. Vous aurez en la matière un rôle essentiel à jouer. Plus la France se montrera vertueuse, plus son pouvoir d'entraînement des autres États sera grand. La ministre de l'écologie et du développement durable conduira les chantiers nécessaires afin que notre pays devienne « la première puissance écologique en Europe », pour reprendre ses propres termes - j'espère que ce sera le cas. L'Europe doit également montrer l'exemple. C'est sur la base de la transition écologique qu'elle a bâti un certain leadership. Paris doit prendre le relais de cette force d'entraînement. Malheureusement, nous n'avons pu aboutir à une décision formelle de l'Union européenne en mars dernier, en dépit des propositions de la Commission. La France souhaite que nous y parvenions en mai ou en juin : passé ce délai, et compte tenu du renouvellement de la Commission, l'Europe risque d'être privée de ses moyens d'action. Un cadre robuste a été adopté, qui prévoit une baisse de 40% des émissions d'ici à 2030 par rapport à 1990. Le découplage entre croissance et émissions de gaz à effet de serre doit être poursuivi.
En tant que futur président de la conférence, nous serons facilitateurs de discussion. La présidence est actuellement détenue par la Pologne, avant que le Pérou prenne le relais. En décembre, Lima organisera une conférence non conclusive, préalable à celle de Paris. Nous forgeons dès aujourd'hui une méthode : présidence offensive tout en sachant écouter ; convaincante, mais qui commencera par comprendre. Nous ne chercherons pas le consensus artificiel. Nous aurons besoin d'un élan politique fort au plus haut niveau. J'ai mobilisé à cette fin toutes nos ressources diplomatiques, et veillé à introduire le climat à l'ordre du jour de toutes les prochaines réunions du G8 ou du G20.
Autre priorité : faire de ce chantier une action positive. François Mitterrand disait qu'en politique, si l'on considère qu'aujourd'hui est difficile, demain pire encore, sans parler d'après-demain, alors il vaut mieux changer de fonction... Nous devons expliquer que les objectifs que nous nous fixons sont à notre portée, faute de quoi nos concitoyens se désintéresseront de la question. Nous devons susciter des coalitions diplomatiques, mais aussi rassembler les collectivités territoriales, les entreprises, les acteurs non étatiques, sur les énergies renouvelables, les transferts de technologies, l'agriculture, les villes durables, leur financement. J'étais au dernier forum de Davos : de grandes entreprises, comme Unilever, y ont pris un certain nombre d'engagements, comme celui de ne pas utiliser indûment les ressources forestières. Certaines étaient regroupées à Abu Dhabi ces derniers jours afin de promouvoir des énergies propres, ou protéger les mers en Afrique. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, a désigné l'ancien maire de New York, Michael Bloomberg, comme son représentant pour impliquer les collectivités en matière climatique. Nous travaillons à une cartographie politique de ces coalitions, par type d'acteurs, afin de faire en sorte, comme dirait Teilhard de Chardin, que les choses convergent.
Le sommet de l'ONU sur le climat, que Ban Ki-Moon organise à New York le 23 septembre prochain, sera l'un des prochains temps forts. Notre objectif : que le maximum de leaders mondiaux s'engagent au nom de leur pays. Les dernières conférences, celle de Copenhague en particulier, ont montré, plutôt que la voie du succès, quelles sont les erreurs à éviter - mes interlocuteurs se sont révélés loquaces sur ce chapitre. En premier lieu, il faut chercher à obtenir un accord le plus vite possible, car sa mise en musique demande toujours beaucoup de temps. À Varsovie, il a été décidé que les grands pays prendraient des engagements au plus tard au début de l'année prochaine - en raison de la perspective des midterms aux États-Unis. Le sommet organisé par Ban Ki-Moon est capital, car les déclarations à la tribune des Nations Unies ont un poids politique considérable. Nous avons abordé la question avec le président chinois Xi Jinping lors de sa visite en France : nul doute qu'une déclaration ambitieuse de sa part à New York entraînerait de nombreux autres États dans la même voie.
Deuxième erreur : attendre des engagements politiques qu'ils résolvent définitivement tous nos problèmes. Souvenez-vous de la conférence de Copenhague : des personnalités remarquables se sont réunies à la dernière minute dans un coin pour rédiger un projet d'accord, le pensant décisif : l'assemblée générale l'a rejeté le lendemain ! Laissons le temps aux obscurs techniciens que nous sommes de faire la synthèse des positions des uns et des autres. Nous devons obtenir un accord par consensus. Il n'y a pas si longtemps, le président recueillait l'approbation des États parties à la conférence par main levée... Cette méthode est à bannir. Nous avons une grande responsabilité - lorsque la France a obtenu l'organisation de la conférence à laquelle elle était la seule candidate, les représentants nationaux venus m'en féliciter m'ont adressé dans le même souffle leurs condoléances. Mettons toutes les chances de notre côté !
L'implication de la société civile sera décisive. Nous mettrons en oeuvre tout ce qui sera nécessaire pour accorder à l'événement une accessibilité et une visibilité maximales. Il sera exemplaire sur le plan environnemental et associera étroitement les citoyens, pas seulement ceux du Bourget où il se tiendra. Le rôle de la société civile n'est d'ailleurs pas limité à la COP 21. J'attire votre attention sur la nécessité de ratifier la deuxième période d'engagement des accords de Kyoto, qui vous sera bientôt soumise, mais aussi sur le potentiel de mobilisation des collectivités territoriales, que vous représentez, sur les enjeux climatiques. Selon le rapport de Ronan Dantec et Michel Delebarre, plus de la moitié des émissions mondiales sont liées à des décisions locales ; le niveau international est certes le plus adapté pour définir les outils et prendre les décisions, mais le niveau local reste le plus adéquat pour leur mise en oeuvre. Les parlementaires peuvent faciliter les négociations, en participant à la conférence au sein de la délégation française et des coalitions internationales de parlementaires. Dans de nombreux pays, l'accord trouvé à Paris devra également faire l'objet d'une sanction législative. Le Parlement a donc un rôle capital, et je sais que vous le jouerez.
Un mot sur l'organisation pratique de la conférence. Conformément aux souhaits du président de la République et du Premier ministre, sa préparation est pilotée par trois administrations : le Quai d'Orsay d'abord, en vertu de l'importance de notre réseau diplomatique - le troisième au monde. J'ai mobilisé tous nos ambassadeurs, et les réunirai à nouveau en août à l'occasion de la conférence annuelle des ambassadeurs. Le ministère de l'écologie ensuite, qui conduira la délégation française, et travaillera en lien avec mon ministère. Enfin, le secrétariat d'État au développement d'Annick Girardin. L'ambassadeur Jacques Lapouge coordonnera le travail de ces services, et le secrétariat général de l'événement sera assuré par Pierre-Henri Guignard. L'événement, considérable, accueillera 20 000 délégués et de nombreux volontaires. Nous y travaillons depuis un an, et nous réunissons chaque mois au sein d'un comité de pilotage regroupant les ministres, les directeurs compétents, des spécialistes du climat, ainsi que des personnalités qualifiées, dont Nicolas Hulot, représentant du président de la République. Nous veillerons à ne pas outrepasser notre rôle, à rester facilitateurs de discussion, plutôt que grand architecte...
Il n'y a pas de temps à perdre. De nombreuses conférences ont lieu en ce moment. En juillet, un grand événement à portée économique se tiendra à Paris. Puis nous nous projetterons dans le sommet de Ban Ki-Moon de septembre, puis vers la réunion organisée au Venezuela, préalable à la COP 20 de Lima. Nous demandons aux États de prendre des positions. Nous préciserons les pistes de financement : tous les financeurs potentiels seront associés. Nous finaliserons notre cartographie politique afin de cibler les acteurs réticents - que ce soit pour des raisons géographiques, politiques, ou de niveau de développement.
L'appellation COP 21 peut rester mystérieuse pour certains. Elle est en effet la vingt-et-unième conférence sur le climat, mais porte également les espoirs de tous pour le vingt-et-unième siècle. Nous devrons prendre appui sur les jeunes générations pour diffuser notre message : accréditer l'idée d'une responsabilité mondiale. Réfléchir aux conditions d'existence future de la vie humaine, redonner ses lettres de noblesse à la politique.
Ces défis sont difficiles, mais avec l'aide du Sénat, rien n'est impossible !
M. Marcel Deneux. - Merci pour cet exposé, qui a bien campé le décor et dont je partage l'analyse. En 2002, j'ai réalisé le premier rapport sur l'évolution du climat pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. À ce titre, j'ai eu la chance de faire partie de la délégation française à Johannesburg. J'ai assisté au discours du président Chirac - « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » - et l'après-midi du même jour à celui du président américain, fidèle à son père dans son refus de négocier le mode de vie américain. Ce dernier a été hué, c'est vous dire quelle était l'ambiance de l'époque, et la difficulté qu'il y avait à faire regarder tous les membres de la communauté internationale dans la même direction. Nous avons beaucoup de chance de vivre en France. La crédibilité de notre pays en matière écologique est réelle : nous produisons 5,8 tonnes de CO2 par habitant, les Allemands 9 tonnes, et les Européens en moyenne autant.
Je ne serai plus parlementaire l'année prochaine, mais continuerai à agir à mon niveau. Votre expérience politique et diplomatique, monsieur le ministre, a manqué à Copenhague - j'y étais également. Comment la mettrez-vous au service de la négociation multilatérale ? Comment comptez-vous utiliser le formidable levier que constitue l'Union pour la Méditerranée (UPM), dont les 700 millions d'habitants sont concernés par les dérèglements climatiques ?
M. Ronan Dantec. - Merci pour cette présentation claire. Je reviens tout juste d'Abu Dhabi. Personne ou presque ne souhaite revivre Copenhague. Le succès de Paris viendra de ce que les acteurs seront mis en mouvement. Le climato-scepticisme recule, certes. Mais, face à l'ampleur des efforts à réaliser, le climato-fatalisme progresse. Se replier sur son territoire national serait la pire des solutions. Au lendemain de la COP, nous devrons donc accréditer l'idée que les objectifs de la COP sont accessibles. C'est également l'objectif du sommet de Ban Ki-Moon. J'ai présenté, avec les représentants des autres réseaux mondiaux de collectivités, le Compact of Mayors, qui complète assez bien la nomination de Michael Bloomberg ; nous présenterons à New York une synthèse des actions des villes - pas uniquement les grandes.
J'ai aussi assisté à l'atelier finance. À entendre la secrétaire exécutive de la CNUCC Christiana Figueres, la question du Fonds vert demeure centrale. Si les pays développés ne tiennent pas l'un des rares engagements pris à Copenhague, il n'y aura pas de confiance tissée avec les pays en développement, et donc pas d'accord à Paris... Nous devrons quoi qu'il arrive faire un effort financier, direct ou indirect.
M. Michel Teston. - Comment l'Union européenne, qui devra parler d'une seule voix au sein de la conférence, se prépare-t-elle ? Les États membres attachés à l'exploitation de leurs ressources fossiles n'ont, j'imagine, pas la même position que nous.
Le président chinois a annoncé des réformes économiques et écologiques. Peut-on envisager dès lors un changement de discours diplomatique pendant la conférence ?
M. Yves Rome. - J'ai été sensible à votre appel à l'élan politique pour sauver le destin de l'humanité. Les collectivités territoriales ont manifesté leur volontarisme, notamment en réalisant des équipements structurants pour diminuer l'empreinte carbone. Le Canal Seine-Nord Europe en fait partie. Les collectivités ayant témoigné leur intérêt pour ce projet et leur souhait de le cofinancer, il serait judicieux que la Nation française prenne une décision. Il en va de notre exemplarité.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Félicitations pour ce brillant exposé, sur un sujet que les enjeux et les réticences de certains États rendent particulièrement complexe. Comment la conférence sera-t-elle financée ? Sensibiliser le plus grand nombre impose de faire toute la transparence.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Les glaciers fondent massivement. Avec le groupe d'études sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes et la fondation Lecanuet que je préside, nous avons récemment entendu Michel Rocard. Celui-ci nous a révélé que la situation en Arctique était bloquée par les huit États riverains, qui exercent un contrôle total sur la région. Nous en saurons davantage quand M. Gattolin aura rendu son rapport. Pour l'heure, envisagez-vous de prendre quelque mesure ?
Mme Leila Aïchi. - Le 14 février dernier, j'ai organisé un débat sur le livre vert de la défense réalisé par les écologistes, qui met l'accent sur le concept de green defence, qui essaie de penser la prévention des conflits, l'accès aux matières premières et les dérèglements climatiques. La défense représentant la première emprise foncière dans notre pays, la transition énergétique ne peut se faire sans l'armée. L'armée américaine consomme 340 000 barils de pétrole par jour, soit davantage que toute la Suède. Ban Ki-Moon reconnaît lui-même que les dérèglements climatiques portent en germe des déséquilibres stratégiques, ce que nous disons aussi dans le livre vert. Nous proposons par conséquent de reconstruire toute notre défense autour de ces enjeux, et à cette fin de réunir les ministres de la défense dans le cadre de la conférence.
M. Louis Nègre. - Merci pour cet exposé très intéressant. Certes, il faut penser global, agir localement, et rendre la France exemplaire. Nous devons également être plus pédagogiques, sans quoi nous n'arriverons à rien. Voyez le discours du président Obama de cet après-midi, qui a illustré l'urgence écologique par la situation de la route n° 1 en Louisiane : son inondation programmée coûtera 7,8 milliards de dollars aux pétroliers qui l'utilisent quotidiennement. Un exemple comme celui-là, tout le monde le comprend !
Il faut agir davantage dans le domaine des transports, qui sont à l'origine de 30% des gaz à effet de serre. La France est plutôt en pointe en matière de véhicules électriques, grâce à notre mix énergétique et à l'avance prise par Renault. J'ai déjà demandé au Premier ministre et au ministre du redressement productif de faire en sorte que les flottes d'entreprises et des communautés d'agglomération leur accordent une plus large place, en vain pour l'heure !
Mme Évelyne Didier. - Merci pour cet exposé très clair et exhaustif. Quelle part la préparation de la conférence climat réserve-t-elle à la question sociale ?
Les grands pays très réticents à ce jour à toute action forte en faveur de l'environnement, comme l'Australie ou le Canada, sont-ils plus enclins à rejoindre le concert des grandes nations ?
À combien s'élève la participation de la France au Fonds vert, qui n'est pour l'heure que symbolique ?
La pédagogie ne sera pas possible sans les médias. Or ceux-ci ont réduit les conférences précédentes à des bisbilles politiciennes... Comment surmonter cet obstacle ?
Mme Chantal Jouanno. - Merci pour cet exposé. J'étais à Copenhague, mais pas en tant que responsable politique. L'échec a d'abord été celui des négociations préalables entre experts, qui ont laissé près de 90 points en négociation aux chefs d'États... Cet échec était en partie lié à des problèmes d'organisation, notamment l'incapacité à mettre autour de la table les représentants du G77. Serons-nous capable d'éviter ces erreurs ?
La Chine semble plus favorable à une avancée significative. La liberté laissée aux participants semble produire des résultats. Où en est notre relation avec l'Afrique ? La récente conférence de Nagoya a été productive : réussirons-nous à en faire autant sur les questions climatiques ? L'évolution du discours du Brésil semble, au contraire, moins favorable...
Je partage l'avis de Mme Didier et de M. Dantec sur le Fonds vert.
S'agissant des collectivités, nos régions sont les plus proactives dans le domaine écologique. Que faites-vous pour encourager leur action ?
Mme Hélène Masson-Maret. - J'ai apprécié la clarté de votre exposé et j'admire votre enthousiasme. Lors de son audition, ici même, Mme Connie Hedegaard, commissaire européenne à l'action pour le climat, moins optimiste, a manifesté son inquiétude quant au résultat de la conférence en la qualifiant de « cauchemar quotidien ».
Autre sujet de préoccupation, le traité transatlantique. Est-il exact que, selon l'une de ses stipulations, les firmes multinationales pourraient attaquer devant les tribunaux les États dont les réglementations feraient obstacle à leurs investissements et à leurs profits ? Cela favoriserait un véritable dumping écologique.
Enfin, dire que le niveau de la mer montera de cinquante centimètres ou d'un mètre n'évoque pas grand-chose, mieux vaut préciser jusqu'où ces eaux iront à l'intérieur des terres.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Vous avez appelé les sénateurs à devenir les acteurs de la promotion de cette conférence. Nous le serons. À cet égard, les Français de l'étranger peuvent se montrer utiles, en particulier notre réseau de lycées français qui scolarisent les enfants des élites locales. Ainsi, je soutiens l'action menée par le lycée français de Milan avec son homologue de Dakar, la côte de Saint-Louis du Sénégal étant directement menacée.
M. Laurent Fabius, ministre. - Merci pour vos questions et vos observations. Celles-ci n'appellent guère de commentaires. Si je réponds de façon lacunaire à celles-là, c'est par manque de temps.
Monsieur Deneux, je ne suis pas diplomate de profession...Nous avons établi une carte politique des pays très « allants », réticents et très réticents, à partir de laquelle nous bâtirons des coalitions et proposerons des termes d'échanges, au niveau européen comme à l'échelle du monde.
Je ne suis pas optimiste, mais volontariste. Je mesure les difficultés. Zorro, que je sache, n'est pas dans cette salle ! Je pratique l'optimisme de la volonté et de la nécessité.
Nous essaierons d'utiliser la base commune que constitue l'UPM. Avec l'Afrique, les choses avancent assez bien. Lors du sommet de l'Élysée, début décembre 2013, nous avons passé un accord avec tous nos amis africains, afin aborder ensemble ces questions. Ce travail n'est pas fini, mais je constate beaucoup de bonnes volontés. Dès lors que nous serons unis avec nos amis africains, nous serons en meilleure position pour parler avec le pôle des 77 dans son ensemble.
Le financement est l'une des clés de la conclusion d'un accord. L'objectif est d'obtenir, avant la fin 2014, une capitalisation ambitieuse du Fonds vert, afin de rendre opérationnel cet instrument dont la création a été décidée il y a quatre ans. Nous prévoyons de lui affecter une part significative du revenu de la taxe sur les transactions financières (TTF). Il s'agit d'un engagement collectif de cent milliards de dollars par an, qui peut paraître énorme, mais agrège ressources publiques et privées. Au-delà, il faut que les négociations proposent un cadre transparent et harmonisé de portage des flux financiers. Le travail a commencé. L'objectif est à notre portée. Je demanderai à Mme Tubiana de se pencher sur ces aspects financiers, qui seront au coeur de l'accord de 2015.
Mme Conway-Mouret m'a interrogé sur le financement de la conférence elle-même. Nous y travaillons. Cela dépendra du cahier des charges des Nations Unies, en cours de négociation, du nombre de participants, du concept de la conférence. Nous devons faire preuve d'éco-responsabilité, de capacité d'innovation, et d'une certaine modestie. Le programme de financement sera inscrit aux projets de lois de finances pour 2015 et pour 2016. Il y aura un coût, qui sera aussi un investissement, au sens le plus noble, pour la France. J'ajoute qu'il y aura des retombées, pour la capitale et pour l'ensemble de la région, avec 20 000 personnes officiellement présentes, plus quelques dizaines de milliers d'autres. Dès que ce coût, qui sera non négligeable, sera précisé, je vous en informerai.
Monsieur Teston, les propositions de la Commission sont intéressantes et nous avons avancé, au niveau de l'Union européenne. Ainsi, la position de la Pologne, très dépendante de la Russie et qui dispose de ressources en charbon, a évolué : le Premier ministre Tusk a déclaré, au regard de la situation en Ukraine, qu'il fallait aller vers une politique énergétique européenne. La prise de conscience de la nécessité d'une telle politique progresse, avec pour objectifs un coût plus bas, une sécurité des approvisionnements et une compatibilité avec les objectifs climatiques. Or, comme l'a relevé récemment Gérard Mestrallet dans Le Monde, en Europe, le coût actuel de l'énergie est élevé, la sécurité n'est pas assurée et la part du charbon est plus importante qu'auparavant. Nous nous mobilisons pour faire évoluer l'Union européenne dans le bon sens.
Quant à la Chine, vous souvenez-vous qu'il a été décidé d'appliquer la circulation alternée à Paris, parce que la pollution y était de 10 % à 20 % supérieure au seuil réglementaire ? J'étais à Pékin ce jour-là et la pollution y était de 18 fois ce seuil ! Nous en avons parlé avec le président Xi, le premier ministre Li : c'est une vraie préoccupation, sanitaire, mais aussi économique, sociale et politique. Les dirigeants chinois, qui sont intelligents et sensibles à ce problème, ont décidé de faire évoluer les choses. J'ai plaidé auprès du président Xi et je retourne en Chine dans une dizaine de jours, pour que la Chine fasse connaître cette évolution, de nature à changer la donne mondiale, lors de la conférence de Ban Ki-Moon.
Monsieur Rome, vous avez évoqué le canal Seine-Nord Europe... Il y a d'autres équipements possibles. Il faut une cohérence, en effet, entre les objectifs affichés et les équipements réalisés ou pas.
Monsieur Pozzo di Borgo, Michel Rocard est en effet ambassadeur pour les pôles, sujet passionnant, qu'il maîtrise parfaitement et pour lequel la France est active.
Madame Aïchi, je dois vous avouer ne pas avoir lu votre livre vert sur la défense...
Mme Leila Aïchi. - Le voici !
M. Laurent Fabius, ministre. - Je vais en parler à mon collègue Jean-Yves Le Drian, non pour me défausser, mais parce que vos propositions me paraissent très intéressantes et utiles et que son ministère, en particulier, peut certainement apporter sa contribution aux objectifs de la conférence.
Oui, Monsieur Nègre, nous devons fournir un effort de pédagogie. Nous ne nous y sommes pas encore attelés, mais nous allons nous y mettre. Nous pouvons en effet agir dans le secteur des transports, que vous connaissez bien, comme moi, car je fus président d'agglomération.
Vous avez raison, Madame Didier, la question sociale est importante et il faut impliquer toutes les forces, y compris syndicales, qui sont demanderesses.
Sur l'enthousiasme écologique de l'Australie et du Canada, il y a, en effet, des marges de progression. Le gouvernement australien a changé. Le nouveau Premier ministre avait fait campagne contre la taxe carbone. Le Canada, lui, n'a pas varié. L'Australie préside le G 20. Nous avons demandé l'inscription à l'ordre du jour, qui n'était pas spontanée, de la question climatique. Quant au Canada, si les États-Unis bougent, il est probable qu'il évolue à son tour. Ces deux pays font partie de ceux qui, sur notre planisphère, restent à convaincre.
Sur les médias, je rappellerai cette anecdote que j'ai lue dans les mémoires de Georges Pompidou et qui n'a pas pris une ride : aux temps de l'ORTF, dans les années soixante-dix, Mme Claude Pompidou inaugure un hôpital en Bretagne ; l'antenne locale demande au siège s'il faut filmer ; « seulement si incident » répond le télégramme. Tout est dit ! N'allons pas contre les médias, ne nourrissons pas, bien sûr, l'illusion de les contrôler, mais efforçons-nous de les sensibiliser et faisons en sorte que les aspects majoritaires soient au moins aussi intéressants que les à-côtés. Cela demande beaucoup de réflexion et de technique.
Madame Jouanno, vous étiez à Copenhague et votre expérience est utile. Sur l'Afrique, j'ai répondu. Mon homologue brésilien a négocié Rio et cela se sent : il en connaît beaucoup plus long que moi. Le Brésil tient une position très forte, qui est parfois un peu difficile à cerner. Nous ferons le maximum pour qu'il soit de notre côté, celui de l'action.
Toutes les collectivités sont concernées, communes, départements, régions, évidemment. En octobre se tiendra une grande réunion des régions, à laquelle participera M. Schwarzenegger, en sa qualité d'ancien gouverneur de Californie. Je compte beaucoup sur les régions.
Oui, Madame Garriaud-Maylam, les lycées français à l'étranger ont un rôle à jouer. J'ai demandé à Mme Farnaud-Defromont, directrice de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger de mettre ces questions à leur ordre du jour, ce qu'ils font volontiers.
La commissaire européenne, Mme Hedegaard, connaît très bien le sujet, qu'elle continuera à suivre, mais son mandat arrive à son terme. Son successeur jouera un rôle très important. Elle connaît les difficultés, européennes et mondiales. Elle a eu raison de rappeler que le succès n'est pas assuré.
Vous aurez à débattre du traité transatlantique. A l'approche des élections européennes, plusieurs articles en traitent dans la presse, ce qui n'est pas illégitime. La plupart vont dans le même sens. J'ai vu ce matin à Paris le négociateur américain. Quel est l'objectif, pour l'Europe, pour la France ? Obtenir une part plus importante du marché américain, vendre plus de produits agricoles, d'appellations d'origine contrôlée (AOC), pénétrer davantage des marchés publics qui ne nous sont ouverts qu'à 20 % - quand les nôtres le sont à 85 %, dit-on. Les risques existent : que l'audiovisuel, pour l'instant exclu du champ de la négociation, soit réintroduit ; que nos préférences collectives (refus du poulet frelaté, des OGM, etc.) soient finalement ignorées ; que les États fédérés ne s'estiment pas liés par les engagements que nous négocions avec la seule fédération ; que l'instance d'appel manque d'objectivité, etc.
Je comprends que certains points de la négociation soient tenus secrets. Celle-ci ayant lieu tous les trois mois, le gouvernement viendra, à la même fréquence, rendre compte à l'Assemblée nationale et au Sénat de son avancement. Il vous appartiendra, lorsqu'elle aura abouti, de dire oui ou non. Au stade où nous en sommes, je n'ai pas d'idée préconçue. Si nos objectifs sont atteints et les risques évités, il faudra s'en féliciter. Sinon, il conviendra de rejeter l'accord. Il est trop tôt pour s'en faire une idée, d'autant que, selon le négociateur américain, il ne faut espérer aucune avancée significative avant l'an prochain, en raison des élections de mi-parcours ayant lieu aux États-Unis à la fin de cette année. Le commerce euro-américain représente 40 % du commerce mondial. Si nous pouvons saisir une chance d'aller chercher outre-Atlantique des points de croissance, ne la laissons pas passer ! Je ne puis, en cet instant, prédire si elle adviendra.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Nous vous remercions.
La séance est levée à 18h05.