Mardi 18 février 2014
- Présidence de M. Michel Teston, vice-président -La réunion est ouverte à 15 h 05.
Avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur le projet de loi n° 279 (2013-2014) d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
M. Michel Teston, vice-président. - Raymond Vall, qui ne pourra nous rejoindre que vers 15h45, vous prie de l'excuser.
Le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt est important et attendu. Nous nous sommes saisis pour avis de nombre de ses dispositions, qui entrent dans le champ de compétence de notre commission. Pour la première fois, un texte relatif à l'agriculture intègre complètement la préoccupation environnementale, via le développement de l'agroécologie. La commission des affaires économiques, qui a désigné deux rapporteurs sur ce texte, Didier Guillaume pour son volet agriculture, et Philippe Leroy pour son volet forêt, se réunira demain et pourra reprendre les amendements que nous aurons ici adoptés. Notre rapporteur, Pierre Camani, a conduit de nombreuses auditions. Nous sommes impatients d'entendre ses conclusions.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Ce projet de loi s'inscrit dans un contexte délicat pour notre agriculture, qui a vu, en dix ans, diminuer de 25 % le nombre de ses exploitations et reculer ses parts de marché à l'exportation. Il s'inscrit aussi dans un cadre européen renouvelé par la réforme de la PAC, et traduit la volonté du ministre de donner à l'agriculture un nouvel élan, en favorisant des modèles de développement plus performants et plus durables. La performance environnementale n'est pas incompatible avec la compétitivité économique : tel est le pari de ce texte, qui opère un véritable changement de paradigme. La dimension environnementale, souvent perçue par les agriculteurs comme une contrainte, imposant des normes d'en haut, est appelée à devenir un atout.
Dans son rapport consacré à l'agroécologie, Marion Guillou, ancienne présidente de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), a recensé nombre de pratiques innovantes qui ont fait leurs preuves. Les pionniers qui en sont à l'origine ont, dans un cadre le plus souvent collectif, diversifié leur production tout en l'adaptant au milieu pédoclimatique et agroécologique. Ils ont ainsi réduit la dépendance des exploitations en eau, énergie, engrais et produits phytosanitaires.
Pour en arriver là, il n'y a pas de formule miracle, applicable uniformément : c'est à partir des territoires, des données physiques du terrain et en collaboration avec les acteurs des circuits économiques locaux que ces démarches doivent être élaborées. Elles doivent s'accompagner d'une formation et d'un conseil adaptés, au bénéfice des agriculteurs.
C'est ainsi que l'article 3 de ce projet de loi propose la création de groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), destinés à favoriser ces pratiques, en s'inspirant des expériences étrangères. Il donne un véritable cadre d'avenir au développement de l'agroécologie, dont les méthodes rencontrent déjà un certain écho dans la profession : l'appel à projets en faveur de l'agroécologie, lancé par le ministre en 2013 à la suite de la remise du rapport de Marion Guillou, a suscité 469 candidatures en quatre mois, si bien que son budget, initialement fixé à 2,7 millions, a été porté à 6,7 millions, pour 103 dossiers retenus.
C'est là un tournant historique : il s'agit de promouvoir avec réalisme, non en imposant une norme uniforme mais bien en partant des spécificités des territoires, une agriculture durable. Les GIEE ouvrent aux collectivités et à tous ceux qui souhaitent innover un champ de possibles.
Ce tournant s'accompagne d'une modernisation de nos outils fonciers pour mieux lutter contre la consommation d'espaces agricoles, améliorer la répartition parcellaire, concourir à la diversité des systèmes de production et, surtout, mettre fin à la dichotomie stérile entre espaces naturels et espaces agricoles ou forestiers. Alors que le foncier est un élément central de la politique agricole, il y a bien longtemps qu'un projet de loi n'en avait pas traité.
Sur la forêt, volet important de ce texte, on constate la même volonté de concilier performance économique et performance environnementale. En effet, si notre forêt était mieux gérée, nous pourrions, tout en tirant meilleur parti de notre ressource en bois, atteindre l'objectif de gestion durable que nous nous sommes fixés.
Ces enjeux justifient que notre commission se saisisse pour avis de quatre volets du texte. Ses articles 1 à 4, tout d'abord, qui déterminent les grands principes de la politique agricole et agroalimentaire et inscrivent l'agriculture dans une perspective de développement durable - à quoi il convient d'ajouter l'article 10 bis relatif à la protection des signes d'identification de la qualité et de l'origine ; les articles 11 à 13, ensuite, qui modernisent les outils économiques et juridiques de gestion du foncier agricole ; les articles 21 à 24, de même, qui visent à améliorer la performance sanitaire de notre agriculture, en perfectionnant le dispositif de mise sur le marché et de suivi des pesticides et en encourageant à la réduction des intrants ; les dispositions relatives à la forêt, aux articles 28 à 33 quinquies, enfin, domaine où les acteurs attendent une inflexion forte en faveur d'une gestion plus durable.
Notre commission se réunit pour avis avant la commission saisie au fond, qui pourra ainsi intégrer nos amendements au texte qu'elle élaborera demain. Ce qui ne nous interdit pas de nous réunir une nouvelle fois avant l'examen du texte en séance publique, en avril, si le besoin s'en fait sentir.
L'article 1er fixe les grands principes de la politique agricole et alimentaire française. L'objectif de développement de l'agroécologie y figure en bonne place, nouveauté dont je me félicite. Je vous proposerai trois amendements de précision, suggérés par notre collègue Marie-Françoise Gaouyer, afin d'assurer, entre autres, la promotion des produits locaux et de saison.
L'article 2 adapte la composition et les missions du conseil supérieur de coordination et d'orientation de l'économie agricole (CSO) et de FranceAgriMer aux récentes évolutions du secteur - fusion des offices agricoles et création de FranceAgriMer, rôle croissant assumé par les régions, désormais autorités de gestion des crédits du FEADER (Fond européen agricole pour le développement rural).
L'article 3 crée les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) et détermine les conditions de leur reconnaissance. Ces structures de projet, rassemblant des acteurs, sur un territoire défini, afin de mettre en oeuvre des actions relevant de l'agroécologie, pourront obtenir des aides publiques majorées et bénéficier du régime de l'entraide agricole. Je vous proposerai un amendement d'ordre rédactionnel, précisant la notion de « capitalisation des résultats » afin d'assurer la diffusion et la réutilisation effective des résultats obtenus dans le cadre des GIEE.
L'article 4 porte sur deux sujets essentiels : la déclaration d'azote commercialisé et les baux environnementaux.
La déclaration d'azote commercialisé vise à améliorer l'information de l'administration sur les quantités d'azote utilisées ou produites dans certaines zones, polluées par les nitrates. Lorsque le préfet imposera aux agriculteurs de déclarer la quantité annuelle d'azote qu'ils ont produite ou utilisée, il pourra également rendre obligatoire une déclaration similaire auprès de l'ensemble des acteurs ayant à manipuler de l'azote - minéral ou organique - tels que les distributeurs et transporteurs d'engrais. Il s'agit de fiabiliser les données et d'adopter une approche globale de gestion de l'azote, qu'il soit d'origine minérale ou organique.
Les baux environnementaux sont des baux ruraux dans lesquels le bailleur impose au preneur certaines clauses environnementales, en contrepartie, le plus souvent, d'une diminution du loyer du fermage. Ils sont aujourd'hui peu nombreux, car réservés aux bailleurs publics ou à certains espaces protégés définis dans le code de l'environnement. Afin de préserver un plus grand nombre d'espaces ruraux en facilitant le développement de tels baux, l'article 4 supprime ces deux conditions.
L'article 10 bis ouvre aux appellations d'origine et indications géographiques le droit d'opposition à l'enregistrement d'une marque. Il étend ainsi au secteur agroalimentaire, comme le gouvernement s'y était engagé, le dispositif introduit par le projet de loi sur la consommation. Afin de rendre le dispositif totalement opérant, je proposerai de supprimer la restriction du droit d'opposition aux seuls produits similaires.
J'en viens à présent au volet foncier du projet de loi. L'article 11 confie aux régions la coresponsabilité de l'élaboration du plan régional de l'agriculture durable, conjointement avec le préfet de région.
L'article 11 bis, adopté à l'unanimité par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, vise à intégrer une cartographie des terres agricoles dans les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), afin d'éviter qu'elles ne soient considérées comme une réserve foncière pour l'urbanisation future.
L'article 12 renforce le dispositif de préservation des terres agricoles et de lutte contre l'artificialisation des terres.
Au plan institutionnel, il étend les prérogatives de l'Observatoire de la consommation des espaces agricoles (ONCEA) et prévoit que les commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA), peuvent demander à être consultées sur tout projet ou document d'aménagement et d'urbanisme. Les compétences de ces organismes sont étendues aux espaces naturels et forestiers - les CDCEA devenant ainsi commissions départementales de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Si une production bénéficiant d'une appellation d'origine est concernée, un représentant de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) siègera à la CDPENAF et l'avis conforme de cette commission sera requis.
En termes de zonage, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) devront comporter un objectif chiffré de consommation économe d'espaces, décliné par secteur. La faculté d'élaborer des périmètres de protection des espaces naturels et agricoles périurbains (PAEN) est étendue aux intercommunalités. Enfin, le cadre d'intervention des associations foncières pastorales (AFP) est assoupli : la limite des cinq années pour l'inclusion des parcelles de propriétaires non retrouvés est supprimée et les conditions de majorité sont allégées pour décider d'investissements à finalité autre qu'agricole.
Je vous proposerai trois amendements visant à inclure le potentiel agronomique des terres dans le diagnostic établi dans le cadre des SCoT et des PLU, à renforcer la concertation avec les CDPENAF lors de l'élaboration d'un périmètre de protection des espaces naturels et agricoles périurbains par une intercommunalité, et à prévoir que ces commissions rendront un avis simple sur l'ensemble des PLU - au lieu de seulement ceux qui ne sont pas couverts par un SCoT.
L'article 12 bis, purement technique, vise à mettre trois procédures particulières de participation du public en conformité avec l'article 7 de la Charte de l'environnement, en les élevant au rang législatif.
L'article 12 ter prévoit que le Gouvernement remettra, avant le 30 juin 2015, un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre d'un dispositif d'étude d'impact agricole et de compensation agricole. Vivement réclamées par la profession, ces mesures requièrent une phase préalable d'analyse, pour bien gérer leur articulation avec les dispositifs d'évaluation environnementale et de compensation écologique introduits par la loi Grenelle II. Le travail interministériel a d'ores et déjà commencé.
L'article 13 modifie en profondeur la gouvernance et le fonctionnement des Safer (sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural). Il intègre la plupart des critiques formulées par la Cour des Comptes dans son rapport annuel du 11 février dernier. La gouvernance des Safer est entièrement revue, le conseil d'administration se déclinant en trois collèges, et le réseau se structurant autour de la Fédération nationale des Safer. Leur périmètre est ajusté au découpage régional. Le contrôle administratif est considérablement renforcé. En échange, les Safer bénéficient de prérogatives de puissance publique étendues, notamment en matière de droit de préemption et d'obligation d'information. Il s'agit d'en faire un outil efficace et maîtrisé au service de l'aménagement rural et de la politique agricole.
Je vous proposerai un amendement, visant à permettre aux Safer d'imposer aux attributaires un cahier des charges environnemental, afin de mieux servir l'objectif de double performance qui sous-tend ce projet de loi.
J'en viens au troisième volet de mon rapport, relatif à la performance sanitaire de notre agriculture. L'article 21 prévoit la mise en place d'un suivi des produits phytosanitaires après leur mise sur le marché, afin d'évaluer les effets indésirables qui n'auraient pas été identifiés lors de la procédure d'autorisation : c'est ce qu'on appelle la phytopharmacovigilance. Les données recueillies par des organismes aujourd'hui divers tels que la mutualité sociale agricole, les centres antipoison, ou encore les agences de l'eau, seront désormais centralisées et traitées par l'Anses, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
Cet article sanctionne également la communication publicitaire à destination du grand public pour les produits phytosanitaires. Ne reste autorisée que la publicité à destination des professionnels, chez les distributeurs de pesticides et dans la presse agricole. Cette publicité devra mettre en avant les alternatives de lutte intégrée. Je vous proposerai un amendement visant à définir les produits de biocontrôle, car il est impératif de mieux cerner ce que sont ces produits alternatifs.
L'article 22 transfère à l'Anses la mission de délivrer les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires, laquelle relève pour l'heure du ministère chargé de l'agriculture, qui se détermine sur le fondement de l'évaluation scientifique rendue par l'agence. Cet article a suscité de nombreux débats à l'Assemblée nationale. Je crois pour ma part aux avantages de ce transfert. Sachant que l'autorité administrative suit, dans la quasi-totalité des cas, l'avis formulé par l'agence, la double instruction des dossiers, par l'Anses puis par le ministère de l'agriculture, outre qu'elle est coûteuse, contribue au retard considérable pris par l'administration dans l'évaluation des produits et la délivrance des autorisations de mise sur le marché. Et ce retard a des conséquences très concrètes. Certaines cultures, comme celle des fraises - Henri Tandonnet ne me démentira pas - souffrent d'un manque crucial d'options de traitement phytosanitaire. C'est un handicap pour leur compétitivité.
J'ajoute que le dispositif proposé par le Gouvernement laisse au pouvoir politique sa responsabilité. Les lignes directrices définissant le niveau de risque acceptable pour l'évaluation et la gestion du risque en matière phytosanitaire resteront fixées par le ministère.
L'enjeu est bien ici la simplification du droit et des procédures. Dès lors qu'elle respecte le principe fondamental de séparation de l'évaluation et de la gestion du risque, la simplification est bienvenue.
Un amendement déposé par notre collègue député Gérard Bapt, devenu l'article 22 bis, qui crée un conseil d'orientation auprès de l'Anses, a apporté, quant à cette séparation, des garanties supplémentaires.
Je vous proposerai trois amendements complémentaires pour achever de sécuriser ce dispositif. Le premier, à l'article 22, dote les inspecteurs de l'Anses de pouvoirs d'inspection et de contrôle. Sachant que l'agence ne peut recruter de nouveaux personnels du fait de son plafond d'emplois, cet amendement permet de donner à ses agents le pouvoir de mener correctement leur nouvelle mission en matière d'AMM. Le deuxième réécrit l'article 22 bis : le conseil d'orientation créé par les députés y devient conseil de suivi des autorisations de mise sur le marché (AMM). Y siègent des représentants des ministères de tutelle ainsi que des personnels de l'Anses. Ses avis sont rendus publics : la transparence est une garantie d'indépendance. Le troisième amendement, enfin, à l'article 23, donne au ministre de l'agriculture le pouvoir de prendre en urgence toute mesure de retrait ou d'interdiction d'une AMM. Dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, le ministre doit pouvoir intervenir en urgence, sans préjudice de la compétence confiée à l'Anses en matière de délivrance des autorisations. Cet amendement garantit que le pouvoir politique reste responsable en matière de pesticides. Ainsi que nous l'a expliqué le directeur général de l'Anses lorsque nous l'avons entendu, ce qui est compliqué n'est pas de donner une AMM, mais bien de la retirer à temps.
L'article 23 porte diverses mesures visant à faciliter la diffusion des produits de biocontrôle et à organiser la traçabilité des produits phytosanitaires sur l'ensemble de la chaîne de distribution, l'objectif étant à la fois de lutter contre les fraudes et de contribuer à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires.
L'article 23 bis repousse d'un an la date à compter de laquelle la détention d'un certificat individuel pour l'application professionnelle de pesticides sera obligatoire pour les agriculteurs et les salariés agricoles. C'est qu'il faut le temps de former les 160 000 personnes qui n'ont pas encore leur Certiphyto.
L'article 24 habilite le Gouvernement à mettre en place par voie d'ordonnance une expérimentation en matière de certificats d'économie de produits phytosanitaires. Les premiers résultats du plan Ecophyto montrent que l'effort de réduction des pesticides doit s'accentuer. Le conseil est un des leviers à mobiliser. Mais il est impensable de demander aux conseillers et vendeurs de mettre fin à leur activité. Le système imaginé par Marion Guillou, qui s'est révélé efficace pour les économies d'énergie, devrait permettre l'émergence de nouvelles activités de conseil, portées par les acteurs économiques eux-mêmes. Les vendeurs de pesticides pourraient à l'avenir soit vendre des pesticides, soit vendre des certificats de réduction de pesticides. Dans la mesure où de nombreux paramètres restent à définir, en particulier le prix à donner aux certificats, je pense que l'expérimentation est la solution de sagesse.
J'en arrive aux articles relatifs à la forêt, qui ont fait l'objet d'un important travail de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale.
L'article 29 consacre le rôle des forêts dans la lutte contre le changement climatique. La protection, la mise en valeur des bois et forêts et le reboisement sont reconnus d'intérêt général dans le cadre d'une gestion durable, de même que la conservation des ressources génétiques forestières, la fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage du carbone dans les forêts.
Cet article réforme également la gouvernance forestière. Il prévoit un nouveau plan national de la forêt et du bois, décliné localement en programmes régionaux de la forêt et du bois. Il crée, enfin, un Fonds stratégique de la forêt et du bois, abondé par l'État, pour le financement de projets d'investissements, d'actions de recherche, de développement et d'innovation. Son financement a été prévu par le projet de loi de finances pour 2014 : au total, le fonds disposera, pour 2014, de 25 millions en crédits de paiement.
Un amendement adopté à l'Assemblée nationale à l'initiative du président Brottes prévoit que le département élaborera chaque année, en concertation avec les communes et EPCI concernés, un schéma d'accès à la ressource forestière. Je vous proposerai la suppression de cette disposition, lourde pour les communes, qui n'ont pas nécessairement les moyens d'adapter leur voirie.
Les députés ont également ajouté à cet article une obligation d'incorporer du bois dans les constructions neuves. Il y a là un risque sérieux d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel ayant sanctionné une disposition analogue dans une décision en date du 24 mai 2013. J'ajoute que la filière bois construction ne semblant pas encore à même de répondre à la demande, cette disposition ne ferait que doper les importations, au risque d'aggraver le déficit de notre balance commerciale. Là encore, je vous en proposerai la suppression.
L'article 30, qui crée les groupements d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF) pour répondre au morcellement de la forêt française et développer des pratiques vertueuses collectives supprimait dans le même temps, dans la version initiale du projet de loi, les codes des bonnes pratiques sylvicoles, documents de gestion de la forêt privée considérés comme peu contraignants en termes environnementaux. L'Assemblée nationale les a rétablis, tout en en durcissant le régime, afin de prendre en compte la situation des petits propriétaires forestiers.
Cet article prévoit également la compensation systématique des défrichements, jusque-là facultative, qui pourra prendre la forme d'une indemnité versée au Fonds stratégique du bois.
L'article 33 crée un système de sanctions adapté afin d'éviter la mise sur le marché de bois et produits dérivés du bois issus d'une récolte illégale, dans le cadre prévu par le droit européen. Les articles 33 bis à 33 quinquies qui le suivent procèdent à plusieurs clarifications techniques. La mesure la plus importante est celle de l'article 33 ter, qui vise, afin de lutter contre leurs effets néfastes sur la santé, à interdire la commercialisation sur le territoire français de planches de parquet à fort taux de composés organiques volatiles (COV), au-delà d'un seuil fixé par décret.
Voilà, rapidement présentées, les principales mesures de ce projet de loi -important - qui intéressent notre commission. Sous réserve des amendements que je vous soumets, je tiens à vous faire part de mon soutien entier à ce projet de loi qui a la volonté de faire évoluer notre agriculture et nos forêts vers une perspective de développement résolument durable.
M. Michel Teston, vice-président. - Merci de cette présentation de qualité.
M. Charles Revet. - On voit ici les limites de la scission en deux commissions opérée il y a quelques mois. Alors que ce texte nous intéresse autant que la commission des affaires économiques, nous ne sommes saisis que pour avis. Notre rapporteur nous a indiqué que nous pourrons y revenir une fois que la commission des affaires économiques se sera prononcée. Ce sera sans nul doute nécessaire.
N'allons pas laisser penser que rien n'a été fait, jusqu'à présent, en matière environnementale. Les jeunes agriculteurs reçoivent une tout autre formation que celle qu'ont reçue leurs aînés. Ils sont souvent bardés de diplômes, et ont appris à faire un usage maîtrisé des engrais. De mon temps, la commission agricole de la chambre d'agriculture nous poussait à utiliser l'azote, dont elle pourfend aujourd'hui l'usage...
L'agriculture remplit une double mission. Elle est chargée de nourrir la population, et l'on entend bien aujourd'hui qu'il faut le faire dans des conditions respectueuses de l'environnement, mais elle contribue également à l'entretien de la nature et des paysages. C'est pourquoi il est tout aussi important de préserver l'activité agricole dans les zones moins productives qu'ailleurs. Dans les zones de montagne, elle contribue à prévenir les avalanches, ou les incendies... Et quand on voit les inondations qui se sont produites ces derniers mois dans les zones littorales, on se dit que ceux qui nous conseillaient naguère - comme ce fut le cas en Bretagne ou dans le bocage normand - d'arracher les haies pour augmenter la productivité auraient mieux fait d'y réfléchir à deux fois. L'image de la Normandie était autrefois celle d'une région verte. Ce n'est plus le cas, car l'élevage devenant moins rentable, les prairies disparaissent. Autant de questions sur lesquelles nous devrions nous pencher, pour faire ici des propositions.
Mme Évelyne Didier. - Merci à notre rapporteur pour son travail très détaillé.
Avec le Grenelle et les SCoT, qui en découlent, à quoi sont venues s'ajouter les dispositions de la loi dite Alur, on peut considérer que le contrôle sur la consommation des terres agricole est devenu effectif. Les outils se mettent peu à peu en place. Les commissions départementales de la consommation des terres agricoles n'émettent certes qu'un avis simple, mais dans les faits, les préfets suivent leurs préconisations à la lettre. Lorsque nous développons des projets d'aménagement de quartiers d'habitation nous devons tenir compte des transports en commun. Quant aux SCoT, ils doivent indiquer quelle est leur consommation en terres agricoles. Enfin, la loi Alur prévoit que les terres agricoles mises en réserve pour lotissement futur reviennent à leur destination première si le projet n'a pas abouti sous neuf ans.
A toutes ces dispositions, qui se mettent progressivement en place, ce texte vient en surajouter de nouvelles. Ses articles 11 bis et 12 visent, au-delà des seuls « espaces agricoles » les « espaces naturels et forestiers », sans compter les friches, également visées à l'article 12. Le pouvoir des chambres d'agriculture s'étendra donc sur des zones beaucoup plus vastes qu'auparavant. S'en est-on inquiété dans l'étude d'impact ?
A l'article 12, la rédaction proposée pour le cinquième alinéa de l'article L. 112-1-1 du code rural me laisse dubitative. En cas de réduction substantielle, dans un document d'urbanisme, des surfaces affectées à une appellation d'origine protégée, un avis conforme de la commission départementale sera requis. Mais que faut-il entendre par « substantielle » ? On laisse là une grande marge d'interprétation.
A l'article L. 112-2 du même code, la préservation de certaines zones sera considérée d'intérêt général en raison non seulement de la qualité de leur production, ou de leur situation géographique mais également de leur « qualité agronomique ». Qu'est-ce à dire ?
Quant aux « friches qui pourraient être réhabilitées pour une activité agricole ou forestière », il n'est nulle part précisé lesquelles sont visées. Est-ce à dire que les friches industrielles sont également concernées ?
Autant de mesures qui donnent bien du pouvoir aux chambres d'agriculture qui finiront, pour un peu, par se retrouver en charge de l'aménagement du territoire !
Je suis, en revanche, tout à fait favorable à une cartographie des exploitations agricoles. C'est une donnée qui nous manque. La reconnaissance de groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) est également positive.
Il n'en va pas de même des pouvoirs reconnus par l'article 21 à l'Anses en matière de pharmacovigilance. Je crains que l'on n'aille vers une gouvernance des experts.
M. Charles Revet. - On y est déjà !
Mme Évelyne Didier. - On y sera encore un peu plus...
- Présidence de M. Raymond Vall, président -
M. Rémy Pointereau. - L'avenir de l'agriculture dépend davantage de la PAC et de l'OMC que de notre législation nationale. Autant la loi de modernisation de l'agriculture touchait à des politiques nationales et donnait des moyens aux agriculteurs, autant l'avenir de l'agriculture dépend pour beaucoup de l'Union européenne, qui ferait bien de commencer par simplifier ses normes.
Le but de l'agriculture, c'est de produire. Or, alors que nous étions le premier producteur en Europe, nous ne sommes plus qu'au deuxième rang, derrière l'Allemagne. Alors que nous étions classés au deuxième mondial, nous sommes ramenés au cinquième rang. Nous perdons et en productivité, et en parts de marché. Reste que notre agriculture contribue positivement, pour 10 milliards, au solde de notre balance commerciale.
Quelle agriculture veut-on pour demain ? Une agriculture productive, ce n'est pas une agriculture qui dédaigne la qualité. En ce domaine, le « bio » n'est pas l'alpha et l'oméga. Il ne représente d'ailleurs plus que 20 % du marché, contre 25 % il y a dix ans. C'est que le pouvoir d'achat des consommateurs a reculé.
Je ne crois pas que les GIEE soient une solution. Il ne suffit pas d'ajouter un E pour environnemental à un organisme pour le légitimer. Le bail environnemental ? Je souhaite qu'il ne soit pas systématique, sauf à admettre que sur des exploitations comptant vingt ou trente propriétaires-bailleurs, il suffira qu'un seul veuille s'en tenir au bio pour qu'il soit interdit aux autres d'irriguer ou de drainer.
J'en viens au volet foncier. Le texte donne beaucoup de pouvoirs aux Safer. J'estime, et je l'ai dit au ministre, que les Safer ne doivent pas devenir l'unique porteur. Il faut essayer d'aider les jeunes par d'autres méthodes, et amplifier le système des groupements fonciers agricoles en autorisant l'injection de capitaux privés.
Les amendements que vous proposez sur ce volet me semblent alourdir encore les contraintes qui s'imposent aux collectivités. Je ne saurais vous suivre.
L'usage de produits phytosanitaires est déjà très encadré, notamment par le carnet d'épandage. Il faudra, de surcroît, que le négociant indique le nombre de tonnes vendues sur un périmètre, afin de recouper les déclarations. La méthode me choque. C'est faire preuve, à l'encontre des agriculteurs, qui font honnêtement leur travail, d'une suspicion qui n'est pas de mise.
Il faut avoir fait pousser du blé ou du colza pour mesurer le problème des intrants. On diminue leur quantité, soit. Mais l'an dernier, malgré le désherbage, et parce que les insecticides n'ont pas été assez efficaces, il a fallu semer à nouveau, en tournesol. Il a donc fallu désherber à nouveau, et ainsi de suite... Résultat, on fait deux fois la même chose, et utilisé deux fois plus d'intrants. On nous adresse, de surcroît, des demandes contradictoires. On veut plus de protéines dans le pain ? Il faut plus de nitrates. Mais en vertu des normes européennes, nous devons en réduire l'usage. Il y a quelque chose qui ne va pas.
M. Marcel Deneux. - Nous en sommes à la neuvième loi d'orientation pour l'agriculture de la Vème République.
M. Rémy Pointereau. - Celle-ci ne s'intitule pas d'orientation, mais d'avenir.
M. Marcel Deneux. - J'observe que s'il existe, dans vingt-deux pays de l'OCDE, une politique agricole, cela n'empêche nulle part le revenu moyen agricole de rester inférieur au revenu moyen national.
Je ne suis pas sûr que le nombre d'exploitations soit le bon critère pour mesurer la santé d'une agriculture. Ce n'est un critère ni de prospérité, ni de développement social. Si le chômage larvé dont souffrait l'agriculture n'a plus cours, c'est bien parce que le nombre d'exploitants, donc d'exploitations, a diminué.
Nous ne sommes plus qu'au cinquième rang mondial, ai-je entendu. C'est vrai pour le volume des exportations, mais pas pour la balance commerciale. En France, l'agriculture en améliore le solde pour près de 11 milliards, quand il se trouve détérioré pour 9 milliards en Allemagne, pays qui accroit certes ses exportations mais aussi ses importations.
Les jeunes agriculteurs sont, paradoxalement, beaucoup mieux formés que ceux qui sont censés les conseiller, formés en d'autres temps. Ne prenons pas leurs préconisations à la légère. Cette jeune génération mérite d'être écoutée, c'est elle qui prépare l'avenir.
Comment s'appliqueront les baux environnementaux ? Alors que la propriété agricole se morcelle et que se multiplient les propriétaires-bailleurs, les exploitants cultivent bien souvent de nombreuses parcelles : on va au devant de bien des problèmes (M. Rémy Pointereau le confirme). Que se passera-t-il si un propriétaire veut imposer un tel bail sur une parcelle de l'exploitation ?
Réduire la consommation d'azote ? Soit, mais j'observe que nous venons de perdre un marché en Egypte, parce que nos bris ne contiennent pas assez de matière azotée.
M. Rémy Pointereau. - On est à côté de la plaque.
M. Hervé Maurey. - Voilà donc un projet de loi « pour l'avenir de l'agriculture ». Heureusement que les intitulés de nos textes ne sont pas soumis aux règles qui sanctionnent la publicité mensongère ! On nous a déjà fait le coup sur les retraites, en nous présentant un texte fait de rustines, et on récidive avec celui-ci, qui est tout sauf un texte d'avenir. C'est au mieux un texte d'adaptation aux évolutions de la PAC.
Lors de l'audition du ministre, il est clairement apparu que ce texte, en dépit des efforts de M. Le Foll pour vanter l'équilibre qu'il assurerait entre économique et environnemental, se désintéresse de la compétitivité de notre agriculture, et ne fait qu'ajouter une couche supplémentaire aux contraintes environnementales, ainsi que l'a souligné Evelyne Didier. Il jette la suspicion, de surcroit, sur les agriculteurs et n'échappe pas à la fâcheuse manie française d'aller plus loin que les seules exigences européennes.
Le développement durable, c'est la conciliation de l'écologie, de l'économie et de l'humain. Mais où est l'humain dans ce texte ? Il n'est pas même proposé de revoir l'enseignement agricole, qui mériterait bien, pourtant, d'être revisité.
M. Henri Tandonnet. - Je remercie notre rapporteur, qui a mené un difficile exercice. Et je rejoins Charles Revet pour considérer que la division de notre effectif en deux commissions a quelque chose d'artificiel et nous impose une méthode de travail qui n'est guère satisfaisante. Nous aurions dû, sur ce texte, travailler de concert.
Je m'étonne que l'article 1er n'ait pas encore donné lieu à observation. Voilà un tissu de déclarations d'intention qui ressemble plus à une bulle papale ou à un discours de comices agricoles qu'à un article de loi. Où sont les avancées concrètes ?
Je regrette que ce texte ne s'attache guère au problème du revenu agricole, qui est pour beaucoup dans la déprise agricole.
Cela étant, tout n'est pas à jeter dans ce texte. Je pense à la rénovation du statut des Safer, qui ouvre sur d'autres missions et amènera plus de transparence.
Cependant, je regrette le manque d'outils au service de l'économie agricole. La question de l'assurance récolte reste en suspens, quand les Etats-Unis avancent à grand pas sur le sujet. Même chose pour la garantie d'accès à l'eau, qui permettrait à des exploitations familiales de se maintenir en optant pour des productions spécialisées. Rien non plus sur la méthanisation en soutien à l'élevage.
La régionalisation du contrôle des structures n'est, à mon sens, pas une réponse adaptée. Sans parler de la réglementation relative aux espaces naturels et forestiers, qui vient en rajouter, ainsi que s'en inquiète Evelyne Didier, sur les dispositions de la loi Alur.
Ce texte renforce les pouvoirs de contrôle de l'Anses, mais sans lui donner les moyens supplémentaires que nous réclamions déjà dans notre rapport relatif aux produits phytosanitaires. Cela serait pourtant possible, puisque ce sont les demandeurs d'AMM qui paient les études.
Mme Marie-Françoise Gaouyer. - Je ne suis pas agricultrice mais je vis dans le monde rural. J'ai siégé dix ans à la Safer ; je connais bien les agriculteurs. Le volet social de ce texte m'intéresse. Beaucoup de gens qui souhaitent vivre de l'agriculture n'en ont pas la possibilité. Dans les lycées agricoles où j'ai eu l'occasion de me rendre, on m'a dit que de nombreux élèves n'auraient d'autre horizon que d'être des employés. Ceux qui ont envie de devenir exploitant ont, de fait, le plus grand mal à accéder à des terres, parce qu'ils ne sont pas issus du monde agricole. Ce n'est pas normal.
Autre remarque : nos produits ne vont pas s'améliorer en parcourant les routes de France. On devrait pouvoir vendre au plus proche des lieux de production.
Nous sommes redevables à nos enfants de la terre qui nous est confiée. Or, on a vu se multiplier, ces dernières années, des catastrophes auxquelles il a fallu parer. J'ai soigné, en Bretagne, des personnes atteintes de pathologies gravissimes, et tout cela parce que l'on n'a pas, en période de faste, posé de garde-fous. Produire plus, d'accord, mais pas à n'importe quel prix.
Notre rôle de sénateurs n'est pas anodin. Nous devons trouver le juste chemin entre profit et progrès. Ce texte n'est pas là pour refaire la PAC, mais pour avancer vers l'avenir. A nous de poser des questions sur le productivisme, sans angélisme.
Les agriculteurs, enfin, ont besoin de simplification. Je pense, en particulier, à ce qui concerne les baux.
M. Louis Nègre. - Je viens d'un département, les Alpes-Maritimes, où s'est développée une agriculture de niches. Il compte encore quelques dizaines d'agriculteurs, qui sont regardés comme les jardiniers du paysage de la côte d'Azur. C'est qu'ils ont su faire une agriculture raisonnée. Si les plages sont polluées, on ne peut certainement pas leur en imputer la responsabilité.
Ce texte me pose problème. Notre agriculture, qui était, avec l'automobile, un fleuron français, perd des parts de marché. Comment redresser la barre ? En Allemagne, où je me rends souvent, les agriculteurs se sont résolument lancés dans la méthanisation. Chez nous, cela reste rarissime
M. Marcel Deneux. - Onze exploitations en France, 7 240 en Allemagne...
M. Louis Nègre. - Ce retard a une incidence directe sur la compétitivité de nos entreprises agricoles.
M. Rémy Pointereau. - Il faut trois mois pour boucler un projet en Allemagne, trois ans en France...
M. Louis Nègre. - C'est un problème général, on l'a vu dans la commission d'enquête Ecomouv : en Allemagne, l'entreprise fournit un formulaire pour l'écotaxe, quand il en faut dix, au bas mot, en France.
M. Raymond Vall, président. - Nous sommes d'accord.
M. Charles Revet. - Et l'on ne cesse d'en rajouter...
M. Louis Nègre. - J'ai évoqué une agriculture de niches, florissante, proche des zones urbaines. De quels moyens dispose-t-on pour récupérer en terrains agricoles des terrains artificialisés ?
Quid, enfin, du classement en catastrophe naturelle pour les agriculteurs ? A la suite de mon rapport sur les inondations dans le sud-est et leur impact sur les exploitations agricoles, le Gouvernement m'avait promis un texte. J'observe qu'il n'y a rien à ce sujet dans celui-ci.
Mme Laurence Rossignol. - Je n'ai pas la même interprétation de ce texte qu'Henri Tandonnet, qui estime que rien n'est fait pour soutenir le revenu agricole. Combien les consommateurs sont-ils prêts à consacrer à leur budget alimentaire : telle est la vraie question. Car le revenu agricole dépend avant tout du prix d'achat des produits. Or, la part de leur budget que les ménages consacrent à l'alimentation n'a fait que baisser depuis cinquante ans. Cette question ne peut être traitée indépendamment de celles de notre modèle agricole et de nos modes de consommation. Les gens dépensent moins en produits alimentaires parce qu'ils dépensent plus ailleurs. Quand il faut payer la facture de quatre téléphones portables dans une famille, on rogne sur d'autres dépenses...
Le texte ouvre des pistes pour une mutation de notre agriculture, qui s'est construite dans les années 1960 sur un modèle productiviste. Quelle était la manière dont on enseignait leur métier aux jeunes agriculteurs ? Les engrais azotés, les engrais qui font pousser : telle était la devise. Et les enseignants ne manquaient pas de distribuer des échantillons dans leurs formations...
Ce texte ouvre à une transition, non pas en multipliant les normes et les sanctions, mais en mettant en place des structures économiques agroécologiques.
Les produits phytosanitaires sont plus dangereux pour les agriculteurs que pour les consommateurs. Les poisons sont lents et variés : on sait limiter l'impact des produits toxiques sur le consommateur en les variant. Mais qui ne se nourrirait, par exemple, que de saumon d'élevage, finirait par avoir des problèmes.
M. Rémy Pointereau. - On pourrait aussi parler des mycotoxines du bio...
Mme Laurence Rossignol. - A ce compte, tout est dangereux. Vivre est dangereux...
Si l'Anses, comme elle vient de le faire cette semaine, lance un appel sur l'exposition des agriculteurs, c'est pour pouvoir agir sans délai. Quand on s'aperçoit que dans une profession, on relève des taux supérieurs à la moyenne pour certaines pathologies, cela dénote bien qu'il y a un problème.
Mme Évelyne Didier. - La MSA (Mutualité sociale agricole) s'est penchée là-dessus.
Mme Laurence Rossignol. - Les mesures proposées dans ce texte sont faites pour protéger les agriculteurs. On peut les considérer comme une contrainte, comme le port du casque sur un chantier, mais le fait est qu'elles protègent. Et cela est nécessaire, car nous sommes encore loin des objectifs fixés dans le plan Ecophyto 2018.
M. Jean-Luc Fichet. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail. N'allons pas laisser penser qu'il y aurait d'un côté un sujet noble, l'économie, de l'autre un sujet bas, l'environnement. Si nos plages sont polluées par les algues vertes, cela est imputable, à 95 %, aux pratiques agricoles productivistes de naguère.
M. Charles Revet. - C'est ce qu'on nous conseillait il y a trente ou quarante ans.
M. Jean-Luc Fichet. - Lors du remembrement des années 1970, les ingénieurs des directions départementales de l'agriculture touchaient des primes pour les haies ou les pommiers abattus...
M. Charles Revet. - Cela a encore cours.
M. Jean-Luc Fichet. - En Bretagne, on finance à présent le replantage des haies et la reconstitution des talus.
La loi devrait mettre fin à ces politiques coûteuses, qui ont eu de lourdes conséquences. Je pense à l'arasement des talus, qui a aggravé les inondations.
Je vis dans une zone maraîchère. Durant de nombreuses années, on nous a expliqué qu'il fallait mettre une poignée d'azote au pied de chaque chou-fleur, en période de croissance, pour qu'ils poussent bien blancs. Puis on s'est aperçu que deux grains étaient largement suffisants. On a des choux aussi beaux, et d'un prix de revient bien moindre. Preuve que l'on peut changer les pratiques.
M. Pierre Camani, rapporteur. - J'ai vécu jusqu'à vingt ans à la ferme, cela forge une expérience... A Charles Revet, à Rémy Pointereau, je veux dire que notre agriculture évolue, comme vient de le montrer Jean-Luc Fichet. Les jeunes agriculteurs sont sensibles aux questions environnementales, et font un accueil assez favorable à ce texte. Oui, il faut soutenir la présence agricole sur tout le territoire ; en montagne, elle joue un rôle de préservation important.
A Evelyne Didier, je réponds que si les contraintes s'alourdissent, c'est que l'artificialisation nous fait perdre en surface agricole l'équivalent d'un département tous les dix ans.
Mme Évelyne Didier. - Mais on a pris des mesures.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Ce texte n'ajoute guère de contraintes.
Rémy Pointereau relève que l'enjeu est ailleurs, dans la PAC et les marchés mondiaux. Mais cette loi d'avenir vient précisément accompagner la PAC, dont elle décline les objectifs. Elle vise le soutien à l'installation des jeunes et l'emploi.
Nous perdons, c'est vrai, des parts de marché, même s'il est juste de rappeler, comme l'a fait Marcel Deneux, que notre solde est positif. C'est en tenant ensemble les deux objectifs, économique et environnemental, que l'on avancera. Je crois à la convergence des modes de culture : l'agriculture bio doit se donner pour objectif de produire plus, et l'agriculture productiviste doit utiliser moins d'intrants. Nombre d'entreprises agricoles performantes ont d'ailleurs beaucoup réduit l'usage de produits phytosanitaires. Avec Henri Tandonnet, nous avons visité un verger en grande difficulté qui a remonté la pente et produit des fruits de grande qualité grâce à la sélection végétale.
Pour réduire l'usage de l'azote, il existe des techniques, comme le couvert végétal. Les GIEE n'ont pas d'autre objet que de soutenir les agriculteurs qui se regroupent pour expérimenter, échanger. Dans le Lot-et-Garonne, il est bien des expériences que les GIEE pourront soutenir, afin de diffuser de telles pratiques. Même les céréaliers, dont les exploitations atteignent, dans mon département, 200 à 300 hectares, adaptent leurs méthodes de culture.
Hervé Maurey a fait, comme à l'accoutumée, une intervention très politique...
M. Marcel Deneux. - Au sens positif du terme.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Produire en quantité n'interdit pas les pratiques respectueuses de l'environnement.
Le texte comporte un important volet sur la formation, même si nous n'en sommes pas saisis. Le problème n'est pas seulement celui des engrais, mais aussi la montée en puissance des gros équipements. Ce texte vise à former les agriculteurs pour les engager à user de diverses techniques environnementales. Hier, l'agriculteur était un technicien, il doit aussi devenir biologiste, mieux connaitre la terre et le processus végétal.
Certes, ce texte n'aborde pas tous les sujets. Henri Tandonnet a évoqué la question de l'assurance-récolte, l'accès à l'eau, la méthanisation. Si nous perdons des parts de marché au bénéfice de l'Allemagne, c'est qu'elle a su financer la méthanisation. Même chose pour le photovoltaïque. Nous avons certes lancé une filière, mais qui a surtout profité... aux fonds de pension américains. Nous commençons à réagir sur la méthanisation. Le ministre a lancé un plan et des départements, comme le Lot-et-Garonne, apportent des soutiens.
Marie-Françoise Gaouyer a rappelé que l'avenir, ce sont les générations futures. L'accumulation de pesticides dans les sols pose un vrai problème. On le voit dans les bananeraies outre-mer, mais aussi en Espagne, où les méthodes de culture et de traitement provoquent des catastrophes.
Comment récupérer des terres artificialisées, a demandé Louis Nègre. Je lui réponds que l'on peut tout faire ; il suffit d'y mettre le prix...
Il est vrai que budget alimentaire des ménages est en recul, et que la formation est essentielle, ainsi que l'a rappelé Laurence Rossignol. On peut accompagner, Jean-Luc Fichet l'a souligné, le mouvement de modification des pratiques. La jeunesse veut une agriculture efficace et performante.
M. Marcel Deneux. - J'observe que ce qui a sous-tendu tout notre débat, c'est la production végétale. Voilà qui explique peut-être la disparition de l'élevage dans notre pays...
Examen des amendements
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 1, reprenant, comme les deux suivants, une suggestion de Marie-Françoise Gaouyer, vise à renforcer le caractère social des objectifs de la politique française en faveur de l'agriculture et de l'alimentation.
M. Charles Revet. - Laquelle devrait « rechercher des équilibres sociaux justes et équitables » ? Tout cela est bien flou. Sans compter qu'à en rajouter sans cesse, on rend les choses ingérables.
M. Rémy Pointereau. - L'idée serait-elle de donner un lopin de terre à tous ceux qui veulent s'installer ? Voilà un beau rêve, mais avec quel moyens ?
M. Pierre Camani, rapporteur. - L'article 1er vise une série d'objectifs. Nous en ajoutons un.
M. Rémy Pointereau. - Voeu pieu...
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mes deux amendements n°s 2 et n° 3 devraient vous satisfaire, car ils sont plus concrets. Le premier vise à intégrer la promotion des notions de produits locaux et de saison parmi les objectifs assignés au programme national de l'alimentation dans les domaines de l'éducation et de l'information, le second à encourager l'approvisionnement de la restauration collective en produits locaux.
M. Charles Revet. - A quoi bon ces petits ajouts sans portée pratique ? Nous sommes législateurs, cessons de nous déconsidérer !
M. Raymond Vall, président. - Vous n'avez pas été les derniers à défendre les filières locales, ces amendements devraient vous satisfaire. Ma ville abrite la première entreprise de commerce équitable. Les gens comprennent peu à peu tout l'intérêt qu'il y a à acheter les produits de la ferme voisine. Cela a du sens. Même la grande distribution - dont on n'a pas assez parlé - va entrer dans le jeu. Elle accepte de payer plus cher les produits issus des filières locales. On ne fait pas des miracles, mais enfin...
Mme Évelyne Didier. - Absolument !
M. Raymond Vall, président. - Quand on voit que M. Papin, PDG de SuperU en est à dénoncer des dérives qui finiront par détruire les filières...
M. Rémy Pointereau. - Proposez-lui de payer le juste prix aux éleveurs...
M. Raymond Vall, président. - Nous en avons bien l'intention.
Les amendements n°s 2 et 3 sont adoptés.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 12 précise la notion de « capitalisation des résultats », afin d'assurer une diffusion et une réutilisation effective des résultats obtenus dans le cadre des GIEE.
L'amendement n° 12 est adopté.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Restreindre le droit d'opposition à l'enregistrement d'une marque aux seuls produits « similaires » aux produits protégés par une appellation d'origine protégée (AOP) ou une indication géographique protégée (IGP) n'est pas justifié. Le détournement de notoriété peut concerner des produits qui ne sont pas similaires au produit d'origine. Chacun se souvient de l'histoire du parfum Champagne lancé par Yves Saint-Laurent. Il a certes été condamné, mais il convient de permettre aux petites appellations d'agir en amont - sachant que c'est à l'INAO (Institut national de l'origine et de la qualité) que reviendra la saisine, pour le compte des territoires. Tel est le sens de mon amendement n° 4.
M. Henri Tandonnet. - Voilà un amendement justifié. On voit trop souvent des appellations utilisées sur des produits d'une tout autre nature.
L'amendement n° 4 est adopté.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 6 est de précision rédactionnelle : un décret devra préciser ce qu'il faut entendre par une réduction « substantielle » des surfaces affectées à des productions bénéficiant d'une appellation d'origine protégée.
Mme Évelyne Didier. - Je suis curieuse de voir ce que retiendra le décret...
M. Charles Revet. - Cette définition est-elle bien d'ordre réglementaire ?
M. Henri Tandonnet. - Nous nous abstenons sur cet amendement, mais nous voterons contre l'article.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 9 prévoyait que le diagnostic établi dans le cadre des SCoT et des PLU devrait prendre en compte le potentiel agronomique des surfaces agricoles. L'idée était d'aider les élus à orienter l'artificialisation vers les terres agronomiquement les moins riches. Il semble cependant que cela obligerait à procéder à de multiples carottages. Je ne le soumettrai donc pas au vote, même si l'idée reste à mon sens pertinente.
Mme Odette Herviaux. - N'existe-t-il pas des moyens moins lourds de vérifier la qualité agronomique des sols ?
M. Rémy Pointereau. - La notion de potentiel agronomique n'a pas grand sens en soi. Une terre peut être bonne pour le foin, moins bonne pour les céréales.
Mme Évelyne Didier. - Nous sommes nombreux, ici, à avoir élaboré un PLU ou un SCoT. Nous savons combien cela est complexe. Sans compter que quand les SCoT seront approuvés, il faudra rendre les anciens PLU compatibles sous trois ans. Nous devons déjà tenir compte des friches agricoles, et il faudrait y ajouter le potentiel agronomique des terres. Entre cela et l'apparition du PLU intercommunal, je prédis que les maires n'auront bientôt plus qu'à rendre la clé.
M. Pierre Camani, rapporteur. - J'ai dit que je retirais l'amendement, car il obligerait, en l'état de nos techniques, à des sondages très lourds, mais reconnaissez que l'idée peut être bonne à terme.
Mme Évelyne Didier. - Que l'on commence par dresser une cartographie des exploitations agricoles. On ne sait pas, aujourd'hui, qui exploite quoi sur une commune.
M. Henri Tandonnet. - Les SCoT exigent déjà un diagnostic agricole pour les PLU intercommunaux. La loi Alur prévoit de nombreuses dispositions. Il me semble malvenu d'en rajouter encore (Mme Didier approuve).
M. Pierre Camani, rapporteur. - Il est important pour l'avenir du développement urbain de ne pas entamer les terroirs les plus riches. C'est une question que Gérard Bailly a soulevée récemment devant nous.
M. Jean-Jacques Filleul. - Comme maire, je partage les inquiétudes d'Evelyne Didier. Mais il est vrai qu'il peut être utile d'éviter le mitage des terres agricoles les plus intéressantes. Sur le territoire de ma ville, le syndicat des vins a fait une étude de potentiel agronomique, sur laquelle nous avons calé les limites du PLU.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 7 généralise l'avis simple de la CDPENAF à l'ensemble des PLU, plutôt qu'aux seuls PLU qui ne sont pas couverts par un SCoT
Mme Évelyne Didier. - Toute la France sera couverte par les SCoT : c'est la loi. Le mouvement est engagé, n'allons pas en rajouter sans attendre son aboutissement. A force de surajouter des règles aux règles, on risque de rendre les choses ingérables. Y a-t-il eu étude d'impact ?
M. Pierre Camani, rapporteur. - Non, mais c'est une mesure qui s'éteindra d'elle-même dès lors que le territoire sera couvert par des SCoT. Il est vrai que l'on ajoute une contrainte supplémentaire, mais elle n'est pas très lourde.
M. Jean-Jacques Filleul. - J'ai été maire trente et un ans et je veux dire ici que si les élus doivent désormais établir leur PLU sous la contrainte de commissions dont on sait qu'elles sont traversées par les débats entre syndicats agricoles, on peut craindre que les maires n'arrivent plus à jouer leur rôle.
M. Pierre Camani, rapporteur. - La commission départementale n'émet qu'un avis simple.
Mme Évelyne Didier. - Mais encore une fois, l'avis ne portera plus seulement sur les terres agricoles, mais aussi sur les espaces naturels et forestiers. Et je rappelle que ces avis sont toujours suivis par le préfet.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Si vous estimez que la contrainte est trop lourde, je suis prêt à retirer l'amendement, de même que le suivant, qui concernait également les CDPENAF.
L'amendement n° 7 est retiré, ainsi que l'amendement n° 8.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 11 vise à permettre aux Safer d'imposer, pour une durée maximale de trente ans, un cahier des charges environnemental à l'attributaire d'un bien rétrocédé suite à l'exercice du droit de préemption. Il s'agit de donner une base légale à une pratique qui a déjà cours.
Il répond à l'esprit de la loi qui vise, en joignant performance économique et environnementale, à inscrire l'agriculture dans une perspective de développement durable.
M. Rémy Pointereau. - Je voterai contre cet amendement. La préemption comporte déjà des contraintes extrêmement lourdes.
Mme Évelyne Didier. - La Safer seule a pouvoir de préempter sur les espaces naturels.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mais 95 % des cessions se font à l'amiable.
Mme Évelyne Didier. - On n'a pas le choix !
M. Raymond Vall, président. - Si je comprends bien l'amendement, l'idée est que si la Safer rétrocède un terrain préempté, elle peut en contrepartie exiger que le terrain soit en quelque sorte gelé pendant trente ans.
Mme Évelyne Didier. - Il faudra le maintenir trente ans en espace enherbé...
M. Henri Tandonnet. - Quand on voit comment en quinze ans, la physionomie des territoires a changé...
M. Jean-Jacques Filleul. - Cet amendement m'inquiète. Si les mairies qui achètent des terrains doivent les maintenir gelés trente ans...
L'amendement n° 11 est retiré.
Article 21
L'amendement de cohérence rédactionnelle n° 15 est adopté.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 13 vise à séparer les dispositions relatives aux produits phytopharmaceutiques de celles applicables aux produits de biocontrôle : les macro-organismes ne sont pas des produits phytopharmaceutiques.
M. Charles Revet. - Et allons donc, on va encore compliquer la vie des agriculteurs.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Il ne s'agit que de définir le biocontrôle.
L'amendement n° 13 est adopté, ainsi que l'amendement de cohérence rédactionnelle n° 14.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 16 vise à clarifier la répartition des rôles entre l'autorité administrative chargée de la mise en oeuvre du dispositif de phytopharmacovigilance - les ministères responsables des dispositifs de suivi post-AMM des effets des pesticides - et l'autorité en charge du recueil et de l'analyse de ces données, l'Anses.
M. Charles Revet. - Ce n'est pas sérieux. Je ne participe pas au vote.
L'amendement n° 16 est adopté.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 18 donne aux inspecteurs de l'Anses désignés au sein de l'agence par le directeur général, le pouvoir de mener des inspections et des contrôles afin de vérifier la conformité des produits phytopharmaceutiques avec l'AMM délivrée. L'enjeu du contrôle de la fabrication, de la composition, de l'emballage et de l'étiquetage de ces produits est en effet crucial.
Mme Évelyne Didier. - Qui se chargeait auparavant du contrôle ?
M. Pierre Camani, rapporteur. - Le ministère.
M. Raymond Vall, président. - Il s'agit de résoudre le problème d'effectifs auquel sera confronté l'Anses.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Elle est soumise à un plafond d'emplois défini dans le projet de loi de finances. Pourtant, l'Anses, avec les AMM, dispose de ressources propres, qui lui permettraient de recruter. Nicole Bonnefoy a adressé une question écrite au ministre sur le sujet. Pourquoi n'autorise-t-on pas un déplafonnement ? Recruter réduirait les délais.
M. Raymond Vall, président. - Il faut bien préciser que cela ne suppose pas de dotation nouvelle.
M. Pierre Camani, rapporteur. - L'Anses manque aujourd'hui de compétences pour assurer le suivi des AMM. Recruter de nouveaux inspecteurs résoudrait le problème.
M. Raymond Vall, président. - Si l'on transfère une compétence, il faut qu'elle puisse être exercée.
Mme Évelyne Didier. - Mais l'Anses, à ce compte, ne risque-t-elle pas d'être juge et partie ? C'est le même organisme qui délivrerait les AMM et se contrôlerait lui-même ?
M. Pierre Camani, rapporteur. - Il s'agit plutôt de lui reconnaître un droit de suite sur les autorisations délivrées.
Mme Évelyne Didier. - S'il s'agit d'assurer un suivi, je ne suis pas contre.
L'amendement n° 18 est adopté.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement n° 17 réécrit l'article 22 bis. Il renomme le conseil d'orientation introduit par les députés, et précise sa mission : le suivi des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture. Il en définit la composition et prévoit que ses avis seront rendus publics.
M. Henri Tandonnet. - Cet article prévoit que c'est le directeur de l'Anses, et non plus le ministre, qui délivrera les AMM. Je ne suis pas d'accord. Il s'agit d'une décision politique, dont il n'est d'ailleurs pas sûr que le directeur de l'Anses soit soucieux d'avoir la responsabilité...
M. Pierre Camani, rapporteur. - On en revient à l'éternel débat. Il y a cent personnes à l'Anses, deux au ministère. Dans les faits, le ministre signe ce que lui suggère l'Anses. Ce qui est proposé, c'est que ce soit désormais le directeur de l'Anses qui signe, sur avis d'une instance qui comptera des représentants du ministère. Et l'avis sera rendu public. C'est un processus beaucoup plus transparent.
Mme Évelyne Didier. - Cependant, un ministère peut être alerté par des lanceurs d'alerte, ou par l'avis divergent d'autres organismes européens, et en tenir compte. Je crains que si tout le processus se déroule au sein de l'Anses, elle ne se retrouve, de fait, juge et partie. Votre amendement améliore le texte de l'Assemblée nationale, mais cet article me gêne.
Le problème ne se pose pas autrement que pour les collectivités, où les élus signent certes des documents préparés par l'administration, mais peuvent recevoir, comme politiques, des alertes, des avis divergents.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Mon amendement suivant, le n° 19, répond en grande partie à vos interrogations. Il précise que le ministre conserve compétence entière, notamment en cas de crise sanitaire, pour intervenir en urgence.
Mme Évelyne Didier. - Je voterai ces deux amendements parce qu'ils améliorent le texte, mais je suis contre cet article.
L'amendement n° 17 est adopté, ainsi que l'amendement n° 19.
Article 23
L'amendement de cohérence rédactionnelle n° 20 est adopté.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Les alinéas 54 à 57 imposent au département d'élaborer, en concertation avec les communes et EPCI concernés, un schéma annuel sur l'accès à la ressource forestière. Cette exigence peut être lourde pour les communes et ne résout pas la question de l'accès à la ressource forestière au sein même des parcelles. Mon amendement n° 21 propose donc la suppression de ces dispositions.
L'amendement n° 21 est adopté.
M. Pierre Camani, rapporteur. - Même chose, avec mon amendement n° 22, pour les alinéas 85 à 88, qui prévoient une obligation d'incorporation de bois dans les constructions neuves. Je m'en suis expliqué.
L'amendement n° 22 est adopté.
M. Raymond Vall, président. - Grâce au travail du rapporteur, notre commission saura faire entendre sa voix. Qu'il en soit remercié.
La réunion est levée à 17 h 40.
Mercredi 19 février 2014
- Présidence de M. Raymond Vall, président -La réunion est ouverte à 10 h 10.
Questions diverses
M. Raymond Vall, président. - Nous sortons à l'instant de la réunion avec le Président du Sénat que je vous avais annoncée la semaine dernière ; elle a permis, je crois, à tous les membres du Bureau de notre jeune commission de bien exprimer nos préoccupations communes, tant sur les importants sujets qui vont nous mobiliser cette année que sur les moyens et compétences dont nous devons disposer pour bien les traiter.
Protection et mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne -Examen du rapport d'information
M. Raymond Vall, président. - L'ordre du jour de la commission appelle ce matin l'examen du rapport d'information de nos collègues Hélène Masson-Maret et André Vairetto sur la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne.
Comme nous l'avions fait pour le rapport sur la loi littoral, nous avons ouvert notre réunion d'aujourd'hui aux membres du groupe d'études « Montagne » qui est rattaché à notre commission. Ce rapport est le résultat d'un très important travail mené depuis des mois par les deux rapporteurs. Ils ont notamment procédé à un grand nombre d'auditions et effectué plusieurs déplacements. Leurs diagnostics et leurs propositions d'évolution sont très attendus.
Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - Je remercie la commission du développement durable qui nous a fait l'honneur de nous confier, en début d'année dernière, la réalisation d'un rapport d'information sur la protection et la mise en valeur du patrimoine de la montagne.
Tout au long de cette mission, notre réflexion a été portée par trois grandes convictions.
Notre première conviction est que ce patrimoine naturel, s'il est bien sûr la propriété des populations qui y vivent et y travaillent, peut aussi être considéré, par sa richesse exceptionnelle, comme un bien appartenant à la Nation tout entière.
Notre deuxième conviction est que la loi du 9 janvier 1985, dite loi Montagne, par son souci permanent de concilier le développement et la protection de celle-ci, constitue un texte précurseur du développement durable, plus de vingt ans avant le « Grenelle de l'environnement » et les textes législatifs qui en sont issus.
Notre troisième conviction est que ce patrimoine naturel, en dépit de l'impression de solidité immuable donnée par les montagnes, est en fait fragile : Il sera tout particulièrement sensible aux effets du changement climatique.
Nous avons circonscrit le périmètre du rapport à six thèmes différents : d'abord, l'environnement montagnard, à la fois dans sa richesse en termes de biodiversité, mais aussi en tant que porteur de risques spécifiques ; ensuite, les multiples outils de protection de ce patrimoine naturel, parmi lesquels, notamment, les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux. L'agriculture et la forêt de montagne, qui sont des parties intégrantes et humanisées de ce patrimoine, font l'objet d'un chapitre chacun. La problématique de l'eau nous a paru mériter également un chapitre distinct. Enfin, le tourisme en montagne nous est apparu comme une activité économique fondée très directement sur la mise en valeur de ce patrimoine, riche de la beauté de ses paysages et de l'étendue de ses espaces.
Pour traiter ces six thèmes, deux questionnements nous ont servi de fils conducteurs. Première question, qui se trouve au coeur de la loi Montagne de 1985 : comment concilier protection et développement ? Deuxième question, qui se trouve au coeur des lois Grenelle I et II : comment préparer l'adaptation de ce patrimoine naturel au changement climatique ?
Rapports écrits et auditions ont alimenté notre réflexion et, pour commencer notre travail, nous avons pu nous appuyer sur l'excellent rapport de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan de la loi Montagne fait en 2002 par Jean-Paul Amoudry, notre ancien collègue Jacques Blanc étant président de la mission. Nous avons également pu nous appuyer sur le rapport d'information sénatorial que Jacques Blanc a consacré en 2011 à la politique européenne de la montagne et, parmi d'autres que je ne puis tous citer, sur le remarquable rapport consacré en 2007 par l'association nationale des élus de la montagne (ANEM) au changement climatique et à l'avenir de la montagne.
Au cours de nombreuses auditions au Sénat, et de trois déplacements à Nice, Bruxelles et Chambéry, nous avons entendu une soixantaine de personnalités : parlementaires, élus locaux, universitaires, fonctionnaires nationaux, territoriaux et européens, représentant d'organisations, de fédérations et d'associations les plus diverses.
Fruit de ce travail, notre rapport contient plusieurs propositions que nous avons voulues, systématiquement, les plus opérationnelles possibles.
Dans le chapitre premier, relatif à l'environnement naturel de la montagne, nous nous sommes efforcés de montrer que celui-ci est certes fragile, mais aussi exigeant par les risques qui lui sont inhérents.
L'amplitude du phénomène global de réchauffement climatique nous a été confirmée par Jean Jouzel, lorsque celui-ci est venu présenter devant notre commission, le cinquième rapport d'évaluation du GIEC (groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat), dont il est le vice-président français.
Il faut insister sur la sensibilité particulière des zones de montagne à ce changement climatique, où l'impact pourrait être plus marqué : décalage vers le haut des étages de végétation montagnards, mutation des écosystèmes des différentes espèces de faune et de flore (très spécialisés en montagne), effets ambivalents sur l'agriculture et le pastoralisme car le réchauffement des températures ne présente pas que des inconvénients pour les productions végétales et animales, même si, à long terme des sécheresses plus marquées et prolongées ne peuvent être considérées comme un avantage.
Autre conséquence du changement climatique, les risques naturels seront vraisemblablement accrus en montagne : événements climatiques extrêmes amplifiés par le relief, mutation des avalanches plus précoces et plus humides, crues torrentielles, feux de forêts particulièrement difficiles à maîtriser en montagne, risques liés à la fonte des glaciers et des terrains à pergélisol.
Dans cette perspective de risques accrus, la politique de restauration des terrains en montagne (RTM) prend donc toute son importance. L'érosion constante des dotations budgétaires allouées par l'État à l'office national des forêts (ONF) à ce titre est un sujet de préoccupation, et ce même si ces dotations ont été remises à niveau en 2012.
Notre première proposition consiste donc simplement à demander que, compte tenu des baisses récurrentes enregistrées, les crédits affectés à l'ONF pour la restauration des terrains en montagne soit, a minima, maintenus au niveau de ceux déjà alloués.
Par ailleurs, il nous est apparu nécessaire d'optimiser les plans de prévention des risques naturels en montagne. Leur mise en place y constitue un impératif, mais se heurte à un jeu de rôle artificiel entre l'État, qui se charge de « dire le risque » dans une optique de protection maximale, et les élus locaux, qui ne veulent pas être privés de toute possibilité de développement et d'aménagement de leurs territoires. Le projet de superposition, dans les plans de prévention des risques d'avalanches, de nouvelles « zones jaunes » (risque tri-centennal) aux zones bleues et rouges est un exemple marquant de ce manque de concertation.
Sur ce sujet des PPRN, nous formulons trois propositions :
- encourager, par le dialogue local, une définition davantage collective, participative et partenariale des risques acceptables sur les territoires de montagne, dans une approche soutenable à la fois pour l'État et pour les collectivités ;
- compléter la carte d'aléas des PPRN par des scénarios de risques plus explicites et détaillées, de manière à ce que l'expertise aboutissant aux différents zonages ne soit plus une « boîte noire ». Ainsi explicités, les scénarios de risques seraient associés à des seuils d'alerte, ainsi qu'à des mesures à prendre pour la mise en sécurité des personnes ;
- permettre des choix d'aménagements intercommunaux à partir d'une définition élargie des périmètres d'études des PPRN, qui nous paraît mieux adaptée pour une utilisation à l'échelle intercommunale.
Le deuxième chapitre est consacré aux outils de protection du patrimoine naturel de la montagne.
Les dispositifs généraux, comme la notion de « massifs », qui s'appliquent à de vastes surfaces en montagne, présentent un intérêt particulier au regard de la Trame verte et bleue, prévue par le « Grenelle de l'environnement », pour rétablir les continuités écologiques. Pour l'élaboration de cette Trame, ils ont vocation à constituer autant de « réservoirs de biodiversité » reliés entre eux par des « corridors écologiques ». Le réseau Natura 2000 apparaît également particulièrement dense en montagne. Mais sa mise en oeuvre semble se heurter au problème de la disponibilité des financements pour la restauration et l'animation des zones Natura 2000.
Nous formulons donc deux propositions pour faciliter leur financement. Première proposition : recourir aux financements communautaires complémentaires prévus dans le cadre de la politique agricole commune, en généralisant sur les sites Natura 2000 les « mesures agroenvironnementales territorialisées ». Deuxième proposition : rétablir la compensation intégrale par l'Erat des pertes de recettes de taxe sur le foncier non bâti subies par les communes au titre de l'exonération des terrains situés en zone Natura 2000.
Concernant les parcs nationaux, ce dispositif très centralisé et fortement protecteur a été modifié par la « loi Giran » de 2006, qui a cherché à donner davantage de pouvoir aux maires des communes de « l'aire d'adhésion » située en périphérie du « coeur de parc ». L'application de cette loi a été plus difficile que prévu, notamment dans le plus emblématique des parcs nationaux, celui de la Vanoise, pour lequel il n'est pas aujourd'hui encore certain que les communes de l'aire d'adhésion finiront pas adopter la charte qui leur est proposée.
Nous avons donc formulé principalement deux propositions, dans l'objectif d'apaiser les tensions entre les autorités administratives gestionnaires des parcs nationaux, d'une part, et les populations locales représentées par leurs élus, d'autre part. La première proposition consiste à rendre possible un recrutement local des gardes des parcs nationaux par un système de validation des acquis d'expérience. Ce recrutement local serait une manière d'obtenir une plus grande harmonie entre les gardes et les populations. La deuxième proposition consiste à offrir aux gardes des parcs nationaux une formation d'adaptation à l'emploi prenant en compte les nécessités du développement local, ainsi que l'écoute des populations et des élus.
Les parcs naturels régionaux relèvent d'une logique bien différente de celle des parcs nationaux : il s'agit d'un dispositif à l'initiative des collectivités territoriales, qui garantit par construction un équilibre dynamique entre protection et développement.
Nous formulons une proposition pour conforter le succès des parcs naturels régionaux : il s'agirait, pour les communes adhérentes d'un PNR, de rendre obligatoire l'intégration dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) de leur plan local d'urbanisme, les préconisations de la charte et du plan du parc.
Le troisième chapitre de notre rapport traite de l'agriculture, considérée comme un facteur d'humanisation de l'environnement montagnard.
L'agriculture de montagne se caractérise par une surface agricole étroite et un foncier rare au regard de l'étendue des espaces montagnards, par la prédominance d'un élevage extensif et par de fortes contraintes naturelles liées au climat et au relief.
Comme toute l'agriculture française, l'agriculture de montagne est tributaire de la politique agricole commune qui reconnaît depuis longtemps un principe de compensation des handicaps, traduit par la mise en place de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) et d'aides à l'installation et la modernisation majorées en montagne. Nous faisons la proposition de relever, voire supprimer, les plafonds des aides pour la modernisation des bâtiments d'élevage en montagne. La valorisation de la qualité des produits de montagne par la labellisation est également évoquée.
Je finirai, enfin, par un sujet qui me tient à coeur : celui de l'impact du retour des grands prédateurs sur le pastoralisme. La filière ovine, économiquement fragile, subit déjà l'impact du changement climatique et de la concurrence internationale, notamment de la Nouvelle-Zélande et de la Grande Bretagne, 60 % de la consommation nationale étant aujourd'hui importée. La prolifération des grands prédateurs, dont le plus redoutable est le loup, accentue encore le danger de voir l'activité pastorale régresser.
Après avoir été éradiqué au début du XXème siècle, le loup a fait « spontanément » son retour depuis les Apennins italiens en 1992, et sa population s'accroît à un rythme de 20 % par an, pour atteindre un effectif de 250 bêtes, selon les sources officielles (alors qu'officieusement on parle de 400 à 450 bêtes). L'ours des Pyrénées a frôlé l'extinction, mais a fait l'objet d'une réintroduction, tout comme le lynx et ces très grands rapaces que sont les vautours gypaètes.
Il en résulte une forte augmentation des prédations sur les troupeaux. Pour s'en tenir aux dégâts du loup, ceux-ci sont passés de 2 680 victimes indemnisées en 2008 à 4 913 en 2011, dont 95 % d'ovins. Ces prédations sont concentrées à 35 % dans mon département, les Alpes-Maritimes.
En conséquence, les indemnisations sont en forte hausse, passant de 500 000 euros en 2004 à 1,5 million d'euros en 2011 ; elles sont néanmoins insuffisantes, puisqu'elles excluent le préjudice moral pour les éleveurs.
Les mesures de protection, telles que le gardiennage renforcé, les parcs de regroupement et pâturage électrifiés, les chiens de protection, sont encore plus coûteuses : leur montant s'élève à 8,8 millions en 2011, il est six fois supérieur à celui des indemnisations. Ces mesures présentent, par ailleurs, des limites environnementales et sanitaires et des effets pervers (maladies liées au piétinement lors du parcage nocturne, atteinte à la biodiversité, baisse de rendements, etc.)
Aussi nous a-t-il semblé utile de poser enfin les conditions d'une gestion responsable des prédateurs.
Tout d'abord, nous prenons position dans le débat autour du statut du loup, « espèce strictement protégée » au regard de la convention de Berne du 19 septembre 1979. Notre proposition est simple : reclasser le loup de l'annexe 2 vers l'annexe 3 de la convention, pour en faire une « espèce protégée simple ».
Dans une autre proposition, nous rappelons la nécessité d'un strict respect du principe d'une concertation approfondie préalablement à toute réintroduction d'espèces menacées d'extinction. Ce principe n'a pas été respecté lors de la réintroduction d'ours de Slovénie dans les Pyrénées.
Enfin, et surtout, nous proposons de poursuivre au Parlement, jusqu'à son adoption définitive, la discussion de la proposition de loi visant à créer des zones de protection renforcée contre le loup qui a été votée à une très large majorité par le Sénat le 30 janvier 2013.
Notre dernière proposition sur le sujet invite à prendre des mesures efficaces dans le cadre d'une réglementation appropriée, afin de permettre la régulation des loups par des prélèvements suffisants. Ceci implique d'ajuster le niveau des prélèvements à la réalité démographique de la population lupine, à ne pas hésiter à recourir aux sociétés de chasse et à autoriser plus largement les tirs, hors du voisinage immédiat des troupeaux et durant la saison d'hiver, où il est plus facile de pister le loup.
M. André Vairetto, co-rapporteur. - Je vais développer les trois derniers chapitres du rapport, relatifs à la forêt, l'eau et le tourisme en montagne.
La forêt de montagne peut globalement être considérée comme une ressource naturelle sous-exploitée en France. Ses spécificités sont marquées : les massifs forestiers en altitude sont plus étendus, variés et denses qu'en plaine, et présentent une grande sensibilité au changement climatique. La forêt de montagne est d'une exploitation difficile : les dessertes sont insuffisantes, les coûts élevés, la propriété morcelée et l'économie de la filière dégradée.
Pourtant la mobilisation du bois en forêt de montagne est un enjeu d'intérêt national, car les volumes disponibles y sont particulièrement importants, et leur exploitation effective conditionne le succès des objectifs du « Grenelle de l'environnement » pour le bois-énergie, comme celui des objectifs du plan forêt-bois pour le bois d'oeuvre.
L'impact de l'érosion des dotations budgétaires de l'ONF, déjà évoqué pour le RTM, est aussi très négatif sur la forêt de montagne. En effet, sous la contrainte budgétaire, l'office réduit ses interventions, en particulier dans les forêts les moins accessibles et les moins rentables, c'est-à-dire celles de montagne.
Notre première proposition consiste donc à demander le maintien à un niveau suffisant des crédits budgétaires de l'ONF, pour maintenir sa capacité d'intervention dans les forêts de montagne. Nous demandons aussi que le niveau des aides financées par le nouveau Fonds stratégique de la forêt et du bois, inscrit dans la loi de finances initiale pour 2014 et consacré par la loi d'avenir agricole et forestière en cours de discussion au Sénat, tienne compte des surcoûts inhérents à l'exploitation de la forêt en montagne.
La loi d'avenir comporte aussi des mesures pour dynamiser la gestion de la forêt privée, telles que le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF), ou les droits de préférence et de préemption des communes forestières. Nous préconisons plusieurs mesures complémentaires propres à la forêt de montagne.
Une proposition de planification stratégique consiste à mettre en place des plans d'approvisionnement territoriaux forestiers par massif, à l'échelle de chaque vallée.
Pour le développement des dessertes forestières en montagne, nous formulons deux propositions : une première proposition consistant à généraliser le préfinancement, par des avances remboursables, des travaux d'exploitation dans les zones difficiles d'accès, notamment par câble. Des expérimentations fructueuses de tels fonds d'amorçage ont été menées par les collectivités, notamment en Savoie. Une deuxième proposition consiste à généraliser, dans le cadre d'une gestion au niveau des massifs, en associant tous les acteurs et en prenant en compte tous les usages de la forêt, des schémas de desserte par piste ou câble qui intègrent les contraintes environnementales.
Enfin, prenant en compte les qualités mécaniques exceptionnelles du bois récolté en montagne, nous faisons une dernière proposition pour favoriser les démarches de labellisation de type « bois des Alpes » ou « bois de Chartreuse ».
Le chapitre suivant est consacré à l'eau en montagne. Il est inutile que j'insiste sur le rôle fondamental des massifs pour la ressource en eau, la montagne constituant le « château d'eau » du pays. Là aussi, les effets prévisibles du changement climatique sont inquiétants, un climat plus chaud et plus sec se traduisant à terme par des ressources en eau moins abondantes.
Nous avons consacré une partie de ce chapitre à l'hydroélectricité, l'« or bleu » de la montagne. Aujourd'hui, le potentiel de notre pays est presque totalement exploité, avec une grande hydroélectricité concentrée en zone de montagne, mais encore un certain potentiel supplémentaire pour la petite hydroélectricité.
La conciliation entre l'hydroélectricité et les impératifs environnementaux est parfois délicate. Elle est plus ou moins bien assurée par les deux principes du « débit réservé » et du « rétablissement des continuités piscicoles ». Les « transports sédimentaires » générés par les installations hydroélectriques, qui dégradent les lits des cours d'eau, sont un problème que nous avons essayé de traiter par la proposition suivante : imposer aux exploitants d'aménagements hydroélectriques de participer financièrement aux mesures préventives ou curatives permettant d'éviter les évolutions du lit des cours d'eau dans le tronçon « court-circuité » imputable à son aménagement et préjudiciables à l'intérêt général.
Nous abordons ensuite le sujet de la neige en stations, qui apparait comme un filon d'« or blanc » menacé, car la réduction tendancielle de l'enneigement naturel ne peut être entièrement compensée en lui substituant de la neige de culture. Cette pratique, aujourd'hui généralisée en stations, appelle des précautions particulières :
- une première proposition suggère d'améliorer la connaissance des étiages et des usages par une généralisation des observatoires locaux de la ressource en eau ;
- une deuxième proposition recommande d'utiliser les outils existants, de type Schéma d'aménagement et de gestion des eaux, pour assurer la cohérence des usages de l'eau, notamment au regard de la neige de culture ;
- une troisième proposition conseille de s'assurer que les études d'impact prennent en compte tous les problèmes liés à l'environnement des retenues collinaires utilisées pour la neige de culture (paysages, périodes de remplissage, zones humides).
Le dernier chapitre est consacré au tourisme, en tant que mode privilégié de mise en valeur de l'environnement montagnard.
En montagne, l'offre touristique est scindée en deux saisons : une saison d'hiver assez longue, sur quatre à cinq mois, mais très concentrée géographiquement, et une saison d'été plus diffuse géographiquement, mais plus courte, sur les deux mois de juillet et août.
Le tourisme est un enjeu économique fondamental pour la montagne : une source d'emplois nombreux, une contribution essentielle au dynamisme des économies locales ; il est caractérisé par des investissements très lourds pour le ski.
Mais la fréquentation de la montagne fléchit : celle-ci n'est plus que la quatrième destination, après la mer, la campagne, et la ville. Les raisons de cette relative désaffection sont multiples : crainte que l'enneigement ne soit pas au rendez-vous, offre trop standardisé des grandes stations de ski, concurrence des « destinations soleil » l'hiver, concurrence du tourisme urbain l'été. Enfin, l'image de la montagne est trop souvent celle d'un certain élitisme et d'un danger omniprésent.
Nous avons voulu traiter de manière approfondie les difficultés de l'immobilier touristique en montagne.
Depuis des années les stations sont engagées dans une fuite en avant : elles construisent toujours plus pour assurer leur fréquentation. Je suis favorable à un «Grenelle de l'immobilier touristique en montagne », qui mettrait tous les acteurs autour de la table dans une perspective de développement durable. Il est devenu urgent de passer de la construction à la réhabilitation, puis à l'exploitation.
Un premier problème est celui de l'obsolescence relative de la procédure des unités touristiques nouvelles (UTN). Instaurée en 1977, cette procédure posait le principe d'une construction regroupée autour des urbanisations existantes et assurait un contrôle centralisé de l'État sur les projets touristiques en montagne. Elle a été progressivement réintégrée dans le droit commun de l'urbanisme et distingue aujourd'hui entre les projets d'incidence locale et ceux d'incidence régionale, examinés au niveau du massif.
Notre première proposition consiste à simplifier la procédure UTN pour les projets de moindre envergure, qui devraient être examinés au niveau du département et non plus du massif.
Depuis que la loi de développement des territoires ruraux de 2005, dite « loi DTR », a prévu l'inscription des UTN dans les SCoT, il apparaît nécessaire de maintenir une cohérence d'ensemble.
Une autre de nos propositions suggère d'évaluer les effets de la réforme de la procédure UTN par la loi DTR, notamment sur la cohérence d'ensemble des projets touristiques inscrits dans les différents SCoT couvrant un même territoire.
La multiplication des « lits froids » en stations est un phénomène particulièrement inquiétant. Il nous paraît urgent d'en améliorer la connaissance, avec une première proposition suggérant de créer des observatoires départementaux pour connaître la dynamique du parc immobilier, dans la perspective de la définition d'une stratégie globale d'intervention.
Il faut aussi donner aux élus un meilleur contrôle des flux de lits nouveaux et des destinations des terrains. Une autre proposition préconise de modifier le code de l'urbanisme pour créer une sous-catégorie de zonage en « hébergements touristiques banalisés », tels que hôtels, clubs de vacances, ou résidences de tourisme, afin de permettre aux communes de s'assurer de la pérennité marchande des lits touristiques.
Nous formulons deux propositions d'outils nouveaux pour la rénovation du parc existant. La première consiste à généraliser la mise en place de sociétés foncières pour la réhabilitation de l'immobilier de loisirs, en mobilisant l'épargne locale. La deuxième consiste à recourir à la procédure du bail à réhabilitation pour convaincre les propriétaires privés de rénover leurs biens dégradés.
Nous avons également deux propositions pour moduler et réorienter les incitations fiscales. La première tend à ouvrir aux communes la possibilité de moduler la taxe foncière, en fonction du taux d'occupation sur la saison de chaque logement touristique. La deuxième consiste à supprimer les incitations fiscales existantes pour l'investissement locatif dans l'immobilier de loisir neuf, et à instaurer un dispositif fiscal incitant à la réhabilitation du parc locatif existant, sous la condition d'une obligation de mise en location d'une durée au moins égale à quinze ans.
Pour finir, nous évoquons trois axes d'améliorations possibles pour le tourisme en montagne.
La reconquête des nouvelles générations apparaît nécessaire, face à l'inquiétante désaffection des jeunes pour la montagne. Pour cela, il faut relancer les classes de découverte ou classes de neige. À cet effet, nous suggérons d'assurer, au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, une formation aux enseignants pour les classes de neige et les classes de découverte. Nous proposons également de développer les échanges institutionnalisés entre collèges de ville et collèges de montagne.
Enfin, dans le débat sur la date des vacances de printemps, trop tardive, qui ampute la fin de la saison de ski, nous prenons position par une demande de stabilisation des règles du calendrier scolaire, en faisant coïncider les vacances de printemps avec le mois d'avril.
Tous les professionnels du tourisme soulignent la nécessité pour la montagne de proposer une offre de loisirs plus diversifiée et une pratique touristique plus « douce ». Encore faut-il, comme condition préalable, que la tranquillité de l'environnement montagnard soit préservée. C'est pourquoi nous proposons que soient expérimentées les « zones de tranquillité » prévues par la Convention alpine.
Enfin, nous avançons deux propositions pour l'amélioration du statut des travailleurs saisonniers, problème récurrent du secteur touristique en montagne. Le problème du logement des saisonniers est particulièrement aigu en stations. Notre proposition consiste à faire bénéficier de la possibilité de déduire la TVA sur les travaux les employeurs, ou groupements d'employeurs, qui construisent des logements pour leurs saisonniers.
Nous proposons aussi d'encourager le développement des groupements d'employeurs des saisonniers, grâce à un système de portabilité entre groupements des droits individuels acquis par les saisonniers.
Au terme de cette présentation, nous avons bien conscience que notre réflexion sur les enjeux relatifs au patrimoine naturel de la montagne ne peut pas prétendre à l'exhaustivité. Nous avons plutôt procédé à des « coups de projecteurs » sur tel ou tel aspect du sujet qui nous a paru mériter de retenir l'attention.
En ce qui concerne nos propositions, nous nous sommes efforcés de leur conserver un caractère concret et opérationnel, sans perdre pour autant de vue les objectifs stratégiques plus vastes que ces propositions visent à atteindre.
La thématique environnementale nous a conduits à traiter de multiples aspects de la politique de la montagne mais de nombreux autres aspects de celle-ci, non moins importants et dignes d'attention, n'ont pas pu être évoqués en détail.
Pour la dimension économique et sociale de la politique de la montagne, je veux mentionner plusieurs dossiers qui restent de la plus haute importance :
- l'aménagement numérique des territoires de montagne, souvent peu densément peuplés mais néanmoins fréquentés ;
- le désenclavement prioritaire par la route et par le fer de certains territoires de montagne bien identifiés par la commission Mobilité 21 ;
- le maintien d'une carte scolaire adaptée à la réalité humaine et géographique de territoires où les temps de déplacement ne sont pas ceux de régions au relief moins accidenté ;
- la lutte contre les déserts médicaux, plus urgente encore en montagne que dans d'autres zones rurales plus accessibles.
Pour la dimension institutionnelle et législative de la politique de la montagne, je peux aussi évoquer plusieurs sujets :
- l'affinement des critères du classement en zone de montagne, qui conditionne le bénéfice d'aides spécifiques ;
- la question des institutions propres à la montagne, principalement le conseil national de la montagne et les comités de massifs, qui mériteraient d'être rénovés et dynamisés ;
- l'impact des nouvelles lois de décentralisations, récemment votées ou à venir, sur des territoires de montagne qui, en dépit de leur étendue et de leur faible densité de population, possèdent une identité très forte qu'il serait contreproductif de diluer, voire d'effacer ;
- l'opportunité d'une mise à jour de la loi Montagne, avec l'examen par le Parlement d'un nouveau texte législatif spécifique suffisamment complet et ambitieux.
Pour conclure, reconnaissons que la beauté des paysages, la variété de la faune et de la flore, l'abondance des ressources du patrimoine naturel de la montagne, font de celui-ci un véritable « trésor national », dont les richesses s'offrent aujourd'hui à tout un chacun, mais doivent aussi, par-delà les aléas du changement climatique, pouvoir être transmises aux générations futures.
M. Raymond Vall, président. - Merci pour cette présentation d'un rapport riche en propositions.
M. Charles Revet. - Je tiens à complimenter les rapporteurs pour leur analyse très intéressante. Je souhaite revenir sur la situation de l'agriculture en montagne. On constate que les agriculteurs sont de moins en moins nombreux dans ces zones difficiles : en reste-t-il assez aujourd'hui pour pérenniser l'activité ? Avez-vous pu analyser les raisons de cette évolution ? La même question se pose pour la forêt qui est sous-exploitée tant en bois de chauffage qu'en bois d'oeuvre.
Je profite de cette intervention pour vous interpeller, Monsieur le Président, sur l'absence de suivi de nos rapports. Je suis marri de voir que malgré notre volonté de changer les choses, l'administration ne tient pas compte des propositions qui figurent dans les rapports parlementaires. Comment pouvons-nous collaborer avec la Cour des Comptes pour s'assurer que nos préconisations seront suivies d'effet ?
M. Raymond Vall, président. - Je partage ce constat. Peut-être pourrions-nous entériner le principe d'une audition obligatoire du ministre concerné après chaque sortie de rapport, afin de porter à sa connaissance les propositions qui ont été formulées ? Nous pouvons aussi envisager de publier moins de rapports, pour que chaque parution bénéficie d'un véritable suivi, en collaboration avec les rapporteurs et les services de l'État.
M. Alain Fouché. - Il y a un désintéressement évident de Paris pour la province et le reste du territoire. Les élus locaux que nous sommes connaissent les particularités de leurs territoires : je regrette que les technocrates de l'administration centrale ne suivent pas les recommandations que nous émettons dans les rapports.
M. Benoît Huré. - Je partage cette opinion. Les élus locaux tentent de faire remonter des réalités vécues et de proposer des solutions adaptées à leurs territoires : malheureusement, ils sont trop peu souvent écoutés.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je m'interroge sur les moyens dont nous disposons pour interpeller l'administration et le Gouvernement. Les missions communes d'information ou les commissions d'enquêtes ne permettraient-elles pas que l'on soit mieux entendu ? Les rapports d'information ne suffisent pas, car ils ne permettent pas de comprendre certains mystères, comme les dysfonctionnements de la ligne B du RER malgré les importants fonds investis...
Mme Esther Sittler. - Je remercie Hélène Masson-Maret et André Vairetto pour leur rapport fourni et dense, qui m'interpelle à plus d'un titre. Je suis particulièrement préoccupée par la fonte des glaciers suisses, qui alimente les eaux souterraines d'Alsace.
Le changement climatique entraîne de multiples conséquences sur l'environnement, et notre rôle d'élus est d'être dans une démarche prospective. Pourquoi notre commission ne lance-t-elle pas une grande réflexion sur les effets du changement climatique ?
M. Raymond Vall, président. - Plusieurs organismes comme l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), Météo France, l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) et le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), ont déjà été sollicités par la commission sur cette question. Ils devraient nous fournir des éléments de réponse et des fourchettes de prévision dès le mois d'avril, que nous pourrons porter à connaissance des élus pour les aider à intégrer les conséquences du changement climatique dans leurs documents d'aménagement.
M. Michel Teston. - Je félicite à mon tour les deux rapporteurs pour les conclusions très intéressantes de leur travail. Toute les propositions tiennent comptent de deux problématiques majeures : d'une part, l'équilibre entre protection du milieu naturel et développement économique, d'autre part, l'adaptation de l'environnement montagneux au changement climatique.
Je souhaite revenir sur les problèmes posés par les « lits froids », ces logements vacants une grande partie de l'année. Peut-on envisager la mise en place de quotas, pour conserver un équilibre entre résidences principales et résidences secondaires, comme cela est déjà fait en Suisse ? Je m'interroge également sur les possibilités d'accueillir plus de touristes en moyenne montagne, quitte à développer plus d'accès aux stations : cela permettrait d'équilibrer l'urbanisation entre moyenne et haute montagne. Enfin, le développement de nouvelles activités en haute montagne favoriserait l'attraction hors des pics saisonniers : est-ce une piste à examiner ?
Les parcelles de montagne, particulièrement morcelées et difficiles d'accès, rendent l'exploitation forestière compliquée. Quelles mesures peut-on envisager pour pallier ces difficultés de gestion, limiter le morcellement forestier, et tirer parti de ce patrimoine exceptionnel ?
M. Marcel Deneux. - Je complimente également nos collègues pour ce rapport. La montagne évoque pour beaucoup d'entre nous les stations de sport d'hiver des Alpes ou des Pyrénées. Il ne faudrait pas oublier le Massif Central, les Vosges, le Jura : quelles propositions formulez-vous pour ces massifs ?
Je partage l'opinion de mes collègues sur l'agriculture et la gestion de la forêt en montagne, et leur questionnement sur l'équilibre entre protection environnementale et développement économique.
Par ailleurs, on assiste à une dessaisonalisation du climat aux conséquences néfastes sur la biodiversité. Les mutations de la faune sauvage observées dans les massifs orientés nord-sud ne sont pas les mêmes que celles constatées dans les massifs orientés est-ouest : des réponses adaptées à chaque cas doivent donc être apportées. D'une manière générale, on assiste à une remontée vers le nord de certaines espèces, comme c'est le cas d'un parasite signalé il y a quelques années dans les Landes et qu'on retrouve aujourd'hui en Bretagne.
Je souhaite insister sur la nécessité de maintenir une activité économique en montagne, notamment agricole. Au Tyrol, la politique fiscale mise en place pour soutenir à la fois l'agriculture et le tourisme a porté ses fruits : nous n'avons malheureusement pas été capables en France de reproduire ce schéma. Je pense qu'il faut développer la mécanisation du travail agricole en montagne, grâce à des outils spécifiques comme il en existe ailleurs en Europe.
Nous pourrions par ailleurs imposer quelques contraintes d'aménagement à certains petits exploitants d'hydroélectricité, sans compromettre leur activité qui affiche une forte rentabilité. Une partie des bénéfices de ces centrales pourrait soutenir l'agriculture locale.
Enfin, je pense que nous gagnerions à auditionner Jean-Louis Bianco, énarque amoureux de la montagne qui vécut quelques temps au Queyras, avant d'occuper des fonctions haut placé de la République. Il n'a jamais réussi à faire passer ses idées sur la montagne, et en comprendre les raisons nous permettrait d'envisager d'autres pistes pour nous faire entendre sur le sujet !
Pour terminer, je suis d'accord sur la nécessité de mettre en place un suivi de nos rapports. Je pense que nous n'exploitons pas assez le potentiel des questions écrites au Gouvernement.
M. Raymond Vall, président. - C'est effectivement une piste à creuser. Le Bureau pourrait se réunir tous les trimestres pour faire le point sur ce suivi et déposer, le cas échéant, des questions au nom de la commission.
M. Alain Fouché. - Je suis heureux de voir nos collègues si passionnés par la défense de la montagne !
Je voudrais revenir sur la problématique posée par la réintroduction des ours et des loups qui créent des dommages, tant chez les animaux que chez les hommes. Combien a coûté leur importation ? Comment réguler leur population ? Pourrait-on envisager de restreindre leur espace de liberté, afin de protéger les troupeaux ?
M. Rémy Pointereau. - Je salue l'excellent travail effectué par les rapporteurs. Ma première question concerne l'agriculture. Le pastoralisme permet à la fois le maintien des populations et l'entretien des territoires. Cette pratique essentielle est cependant confrontée aux soucis engendrés par une population lupine grandissante. Vos propositions sur ce sujet s'inspirent-elles de la proposition de loi Bertrand, qui avait proposé un plan de chasse pour mieux réguler la présence du loup ?
Par ailleurs, l'actualité dramatique récente du déraillement du train des Pignes, entre Nice et Digne, en raison d'un éboulement, pose la question de la gestion des aléas climatiques propres à la montagne. Quelles mesures de prévention suggérez-vous contre les avalanches, éboulements et coulées de boues?
Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - Concernant l'agriculture de montagne, elle dispose, vous le savez, d'aides majorées. Nous avons pu constater au cours de nos auditions un retour à la montagne, plus spécifiquement dans l'agriculture de niche, avec notamment de nouvelles plantes résistantes au climat de montagne qui ont un coût intéressant sur les marchés. Cela permet aux exploitants de vivre et survivre. Avec la création des communautés de communes, il est désormais possible d'associer les éleveurs autour de petites exploitations, soit pour revitaliser celles qui existent, soit pour en lancer de nouvelles. Nous avons rencontré une présidente de communauté de communes qui a créé un lieu d'apprentissage pour cette nouvelle agriculture.
Sur le rapport de Jean Jouzel, nous sommes tous d'accord. Il y a des incertitudes au niveau de l'interprétation des études sur le changement climatique. Malgré tout, la tendance générale va vers un réchauffement, il faut en tenir compte.
M. Marcel Deneux. - Vous prêchez un convaincu, mais je n'affirmerais plus aujourd'hui ce que j'ai pu écrire il y a dix ans à ce sujet.
Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - On nous annonçait que certaines stations de ski devaient péricliter, je vois dans ma région que ce n'est pas le cas. Il nous faut être prudents.
Concernant le droit de suite des rapports parlementaires, si ce rapport peut permettre de mettre en avant certaines problématiques, j'en serais ravie.
Sur la question des prédateurs, mon département est extrêmement concerné par le problème des loups, c'est un sujet qui me touche directement. L'association des élus de la montagne nous a toutefois alertés et nous a recommandé de ne pas parler que des loups, mais également du problème de l'ours. Au Sénat, plusieurs collègues ont déposé des propositions de loi, des amendements sur le loup. La proposition de loi d'Alain Bertrand a été votée récemment. Il faut faire en sorte qu'elle aille à son terme. Le débat se situe essentiellement entre ceux qui veulent gérer le problème des loups en organisant des prélèvements, et ceux qui souhaitent encourager les mesures de protection des troupeaux.
Nous souhaitons pour notre part une révision de la convention de Berne, qui a classé les loups en espèce strictement protégée, ce qui correspond à la classe 2. Nous plaidons pour un déclassement en classe 3, espèce protégée simple. Cela éviterait beaucoup de problèmes administratifs pour les prélèvements qui sont nécessaires. Dans la classe 2, le loup est protégé strictement : on ne peut ni le tuer bien sûr, ni nuire à sa quiétude dans son habitat. L'article 9 de la convention prévoit simplement, sous certaines conditions, lorsque les troupeaux ou même l'homme sont en danger, qu'on puisse prendre des mesures de destruction. La catégorie 3 ouvre davantage de possibilités de prélèvements.
Au niveau national, nous avons le plan loups, qui permet 24 prélèvements cette année. Le problème est qu'on ne lui donne pas les moyens d'être mis en oeuvre. Nous ne sommes qu'à cinq prélèvements effectués aujourd'hui.
Cette situation met en danger l'agropastoralisme, qui est non seulement une économie de la montagne, mais représente aussi une identité culturelle, je pense à la fête des transhumances et à beaucoup d'autres choses. On ne peut pas mésestimer cette perte substantielle de culture régionale.
La Suisse a demandé en novembre 2013 le déclassement du loup en catégorie 3. Le comité de la convention de Berne a refusé. Si plusieurs nations font remonter le même message et soutiennent ce déclassement, la demande aura plus de chances d'aboutir. Pour obtenir le déclassement, il faut que l'espèce ne soit plus en situation de disparaître. Le comptage officiel fait état d'une population de 250 loups, ce qui est un nombre suffisant pour garantir son maintien. Le comptage officieux fait lui état de 400 à 450 loups.
Concernant les dommages dus au changement climatique et les coulées de boue que vous avez évoquées, des travaux colossaux ont été faits dans ma région. On ne peut cependant pas tout contrôler. La vallée de Valberg qui mène aux stations de ski a engagé des travaux d'enrochement sur des kilomètres et des kilomètres, cela a coûté une fortune. On ne peut pas dire que les gens n'aient pas conscience des travaux à réaliser.
M. André Vairetto, co-rapporteur. - Sur l'agriculture de montagne, je voudrais rappeler qu'elle est caractérisée par des productions sous signe de qualité, ce qui permet de générer des plus-values significatives.
M. Marcel Deneux. - Les AOC de montagne n'ont pas la même intensité dans les montagnes d'une certaine altitude que dans les bassins moyens. Il n'y a pas d'AOC dans les Vosges, très peu dans le Massif central.
M. André Vairetto, co-rapporteur. - En montagne, une organisation de coopérative permet de maîtriser l'ensemble du processus et de ne pas être dépendant de structures industrielles agroalimentaires, ce qui n'est pas anodin. L'agriculture de montagne est accompagnée depuis très longtemps. On a parlé tout à l'heure des ICHN, les indemnités compensatoires du handicap naturel, instaurées dans les années 1970 et qui témoignent du rôle essentiel de l'agriculture dans le maintien des paysages et de la qualité de ce patrimoine naturel. La politique agricole encourage aujourd'hui la montagne, par l'augmentation des ICHN, par la convergence des aides. Cet accompagnement est significatif.
Concernant la forêt, elle est sous-exploitée en montagne pour des raisons bien connues. Elle est plus difficile à exploiter du fait de pentes plus abruptes. Elle est très morcelée, et à 71 % privée. Des perspectives d'amélioration s'ébauchent dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Nous avons émis des propositions dans le rapport, notamment la mise en place du règlement du foncier bâti tous les cinq ans pour les terres forestières. Aujourd'hui, pour moins de quarante euros, le recouvrement du foncier non bâti ne s'opère pas. Notre proposition obligerait donc les propriétaires à s'intéresser à leur propriété, avec une exonération du foncier dès lors qu'il est exploité, ou avec un dispositif de crédit d'impôt pour les frais de bornage. En effet, très souvent, la difficulté que connaissent les propriétaires est d'identifier le lieu où se situe leur parcelle.
Les « lits froids » constituent une problématique majeure. Ce modèle de développement atteint ses limites. On a trop construit, alors que chaque année, une partie de ce qui est déjà construit échappe à la commercialisation, soit parce que les propriétaires sont dans une logique patrimoniale ou de loisir personnel, soit parce qu'un certain nombre d'opérations immobilières arrivent à leur terme de location. Il faut encourager la réhabilitation, et passer d'un dispositif de construction à un dispositif d'exploitation.
Sur le suivi des rapports, il est possible de demander un débat en séance publique. Il serait intéressant de faire la demande pour ce rapport afin d'engager un débat avec la ministre.
Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - J'ai déposé une question écrite au mois de mai dernier concernant le loup, sans réponse malgré des relances. Je compte poser une question orale au mois de mai prochain. Il y a urgence pour nos élevages avec l'arrivée du printemps.
M. Marcel Deneux. - Avec un peu de chance vous aurez une réponse du ministre des relations avec le Parlement...
M. Michel Teston. - Sur la question du loup, nous avons eu l'occasion de débattre en séance lors de l'examen de la proposition de loi d'Alain Bertrand. Ce texte a divisé largement, y compris au sein du groupe socialiste. J'avais précisé les raisons pour lesquelles la proposition de loi me paraissait totalement inapplicable. J'avais posé la question de sa constitutionnalité. Comment décréter le loup indésirable sur un territoire, où on pourra le tuer librement, tandis que cela serait impossible dans le territoire voisin ? Ce texte introduisait une disparité totale de traitement entre les citoyens, sans parler de l'incompatibilité avec la convention de Berne ainsi que la directive habitats. Ces raisons m'avaient conduit à considérer ce texte inacceptable. Le Sénat s'est prononcé différemment. Je ne sais pas s'il sera examiné à l'Assemblée nationale.
Depuis ces débats, j'ai oeuvré pour que le plan loups prévoie un nombre de prélèvements beaucoup plus important que le précédent plan. J'ai par ailleurs écrit aux trois ministres concernés, de l'agriculture, de l'écologie et des affaires européennes, pour demander le déclassement du loup de l'annexe 2 et son classement à l'annexe 3 de la convention de Berne, au motif qu'il y a en Europe un nombre suffisant de loups. Je n'ai pas de réponse pour l'heure, mais j'ai fait cette demande en tant que parlementaire de l'Ardèche, département qui a été concerné par les attaques d'un ou deux loups, sur la partie de la montagne ardéchoise qui jouxte la Lozère.
M. Raymond Vall, président. - La publication du rapport est autorisée.
La réunion est levée à 11 h 45.