Mardi 1er octobre 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Loi de programmation militaire 2014-2019 - Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement
La commission auditionne M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, sur le projet de loi de programmation militaire 2014-2019.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement.- Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me recevoir aujourd'hui pour vous présenter ma perception du projet de loi de programmation militaire (LPM) actuellement en cours d'instruction.
J'ai bien noté vos interrogations qui devraient trouver directement des réponses dans le corps de mon exposé. Je les compléterai ultérieurement si vous souhaitez les approfondir naturellement.
Laissez-moi toutefois revenir immédiatement sur votre interrogation sur la cohérence globale du modèle et à notre capacité à parer aux menaces de demain.
Je ne m'aventurerai pas sur le terrain de l'analyse prospective des menaces et préfère revenir à des horizons plus certains. L'expérience nous a montré toute la difficulté qu'il y avait à prévoir les grands bouleversements géostratégiques à l'avance.
Par contre, cette LPM traduit clairement le maintien de nos ambitions stratégiques, en cohérence avec les orientations du Livre blanc, sur les trois missions fondamentales :
- de dissuasion, dans ses deux composantes complémentaires,
- de protection du territoire et des populations,
- d'intervention sur les théâtres extérieurs.
Malgré un contexte budgétaire contraint, marqué par l'impératif de redressement des finances publiques, le Président de la République a ainsi personnellement choisi de maintenir un effort de défense significatif, afin de donner à la France les moyens de mettre en oeuvre un modèle d'armées ambitieux à l'horizon 2025.
Cela a été un exercice difficile. Un exercice difficile qui a visé à conjuguer souveraineté stratégique et souveraineté budgétaire, dans la situation économique d'aujourd'hui, a été demandé à la mission Défense.
Un autre paramètre aura pris une place majeure, celle de la préservation de notre outil industriel. C'était un « impératif » pour le Président et le ministre de la défense qui a pesé lourd dans les débats, à laquelle toute leur attention et autorité ont été portées.
Il a fallu ainsi trouver un équilibre financier sous fortes contraintes alors que :
- la trajectoire de besoin financier pour les équipements conventionnels prévoyait auparavant une forte croissance sur la période 2015-2020, en raison de la poursuite du renouvellement des capacités engagé avec la LPM précédente, de nombreux grands programmes étant en cours de réalisation ;
- les besoins financiers de la dissuasion, qui sont nécessaires pour des échéances de 2030 qui peuvent paraître lointaines mais qui sont en réalité très proches pour les techniciens, mais également ceux de la préparation opérationnelle, en particulier de l'entretien programmé des matériels, sont en croissance, mettant sous pression les ressources disponibles pour le reste.
La DGA a insisté pour chaque secteur industriel, de manière à trouver le juste équilibre entre développements et production, de façon à concilier les impératifs de viabilité de l'activité industrielle (bureaux d'études et supply chain ), avec les contraintes calendaires d'équipement nécessaire aux capacités militaires.
Il s'agit en quelque sorte d'un équilibre entre le court terme et le moyen-long terme, un équilibre délicat et donc sensible. J'y reviendrai.
Pour le programme P146 « équipements des forces », qui est le principal programme suivi par la DGA, les ressources prévues pour les opérations d'armement (programmes à effet majeur [PEM] plus les autres opérations d'armement [AOA] plus la dissuasion) s'élèvent à environ 10 milliards d'euros annuels, soit 59,5 milliards sur la période, se répartissant en 34 milliards d'euros pour les PEM, 7,1 milliards pour les AOA, qui sont les opérations qui ne sont pas suivies en programme mais nécessaires à la cohérence du dispositif, et 18,4 milliards d'euros pour la dissuasion.
C'est en retrait sensible (-30%) par rapport à la programmation précédente, devenue intenable budgétairement, qui prévoyait une augmentation des ressources de 1 milliard d'euros par an en moyenne ; ce retrait est très sensible sur les PEM (-41%), mais également pour la dissuasion (-11%) et les AOA (-18%), ce qui est extrêmement fort mais a été décidé en concertation avec les états-majors.
Une part significative de ces ressources (5,5 milliards d'euros courants soit 9%) sont attendues de ressources exceptionnelles, principalement concentrées en début de période en 2014 (1,5 milliard d'euros) et 2015 (1,6 milliard d'euros).
Sous l'hypothèse des ressources prévues, j'y reviendrai, le report de charges du P146 sera stabilisé durant la nouvelle LPM à son niveau de fin 2013, prévu à environ 2 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien en regard des environ 10 milliards d'euros de dépenses annuelles, les ressources prévues ne permettant pas de le résorber. Il n'y a donc pas de marges pour gérer des aléas sur les ressources.
Le P146 est souvent été mis à contribution dans le passé pour abonder les ressources nécessaires aux dépassements de titre II, aux surcoûts des opérations extérieures (OPEX), aux besoins d'infrastructures. Ce ne sera plus possible à l'avenir, sauf à ce que l'exécution de la LPM devienne particulièrement difficile.
Les études amont font l'objet d'un effort particulier avec un flux moyen de 0,73 milliard d'euros courants par an sur 2014-2019, à comparer aux 685 millions d'euros en moyenne de la période précédente.
Cet effort significatif sur la recherche est certainement l'un des « marqueurs » de cette LPM pour l'armement. Elle a été une priorité pour le ministre de la Défense, personnellement, dès le début des travaux d'élaboration de la LPM sur laquelle il n'a jamais varié de position.
Ce maintien de notre investissement en R&T est absolument critique pour le maintien de la compétitivité de nos entreprises et leur capacité à répondre aux besoins futurs de nos armées.
Ces crédits bénéficieront par exemple :
- à la poursuite de la préparation du renouvellement des deux composantes de la dissuasion ;
- à la montée en puissance de la coopération franco-britannique dans le domaine de l'aéronautique de combat (FCAS DP qui est le drone de combat armé) et des missiles (préparation du futur missile de croisière) ;
- à l'augmentation de l'effort sur l'innovation, et notamment au soutien des PME-PMI. Le dispositif RAPID (régime d'appui aux PME pour l'innovation duale) sera pérennisé et renforcé, en rejoignant progressivement 50 millions d'euros par an, ainsi que le dispositif ASTRID pour les projets de recherche portés par des laboratoires académiques et les PME ;
- à la montée en puissance des travaux sur la cyberdéfense ;
- au maintien de l'excellence des compétences industrielles dans les autres domaines même s'il est possible que toutes les compétences ne puissent être maintenues durablement à leur niveau actuel.
Je l'ai dit en introduction, l'impact économique et social de notre industrie, fournisseur d'emplois hautement qualifiés et non délocalisables, aura été reconnu tout au long des débats.
Les modèles de rupture qui auraient pu sacrifier un secteur ont été ainsi écartés.
Les 10 milliards d'euros par an que la DGA injectera globalement dans l'industrie de défense devront permettre de maintenir à terme les compétences critiques à notre autonomie stratégique.
La LPM préserve globalement les neuf grands secteurs industriels :
- dans le domaine du renseignement et de la surveillance, c'est près de 4,9 milliards d'euros sur la période qui sont prévus, avec un effort particulier sur l'Espace 2,4 milliards ;
- dans le domaine de l'aéronautique de combat, 4,6 milliards d'euros avec la poursuite de l'amélioration du RAFALE et de ses livraisons ;
- dans le domaine des sous-marins, avec 4,6 milliards d'euros et la poursuite du programme BARRACUDA et du futur moyen océanique de dissuasion (FMOD),
- dans le domaine des navires armés de surface, avec 4,2 milliards d'euros la poursuite des livraisons des FREMM ;
- dans le domaine de l'aéronautique de transport et de ravitaillement, avec 3,9 milliards d'euros et la poursuite des livraisons des avions A400M et la commande des avions MRTT l'année prochaine ;
- dans le domaine des hélicoptères, avec 3,7 milliards d'euros et la poursuite des livraisons des programmes TIGRE et NH90, qui sont d'ailleurs d'excellentes machines ;
- dans le domaine des communications et des réseaux, la poursuite d'un effort significatif, avec 3,2 milliards d'euros et la poursuite de CONTACT (successeur du PR4G) et le lancement de COMSAT NG ;
- dans le domaine des missiles, avec 2,7 milliards d'euros et le maintien de la filière avec une trame de programmes nouveaux comme le missile moyenne portée MMP (successeur du MILAN) ou le missile antinavire léger (ANL), en coopération avec les Britanniques,
- dans le domaine terrestre, que nous avons sauvé, avec 2,5 milliards d'euros et le lancement de SCORPION en fin d'année prochaine.
Si l'exécution de la programmation est conforme, il ne devrait y avoir aucune catastrophe majeure, mais bien sûr il y aura des ajustements.
L'impact sera ainsi limité sur les investissements du P146, et minimisé par rapport à ce qu'il aurait pu être dans le contexte budgétaire difficile que l'on traverse actuellement.
Les industriels responsables l'ont bien compris.
Il faudra redoubler d'efforts pour conquérir de nouveaux marchés à l'export afin de trouver des ressources extérieures pour assurer des plans de charge plus confortables.
Afin de dégager des marges de manoeuvre pour lancer de nouveaux programmes et répondre aux besoins capacitaires, les calendriers des livraisons des nouveaux matériels - exemple avion de transport A400M, hélicoptères NH90 et TIGRE, avion de combat RAFALE, frégates FREMM, sous-marin nucléaire d'attaque BARRACUDA, système FELIN, missile d'interception à domaine élargi (MIDE) - seront aménagés tout en permettant la poursuite du renouvellement des capacités initié sur la loi de programmation précédente.
Les conditions de réalisation de certains programmes ont déjà fait l'objet d'un accord avec l'industrie.
Ainsi concernant le programme BARRACUDA, le calendrier de livraison des sous-marins a été étiré au maximum, tout en préservant Cherbourg.
Je souhaite d'ailleurs que DCNS ait des succès à l'export, sur le Scorpène, afin d'améliorer le plan de charge de Cherbourg. Le ministre de la Défense s'y attache avec détermination et dynamisme.
Un sous-marin sera livré tous les deux ans et demi en moyenne.
Quant au NH90 un engagement industriel sur l'étalement, conformément à nos capacités de paiement, a été obtenu au moment de la contractualisation des 34 TTH, portant le nombre de TTH commandés à 68 au total, plus 27 NFH.
Pour les autres, l'ajustement des calendriers de production est en cours de discussion avec les industriels afin de garantir la viabilité de l'activité industrielle sans obérer la tenue des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc.
Ce sera difficile sur certains programmes mais nous visons de les rendre conformes avec la LPM qui sera votée, avec les capacités de paiement qu'elle nous octroiera.
Le projet de LPM prévoit la livraison de 26 avions Rafale sur la période, avec l'hypothèse de contrats export permettant de maintenir le rythme de production industriel.
Par ailleurs, les 10 RAFALE Marine livrés entre 1999 et 2001 seront rénovés au dernier standard fonctionnel.
Le projet prévoit également que l'intégration de nouvelles capacités [missiles air-air longue distance MIDE/METEOR et systèmes de pod de désignation laser de nouvelle génération (PDL-NG)], sera réalisée dans le cadre du développement d'un nouveau standard (F3R) et appliquée sur l'ensemble de la flotte Rafale air et marine déjà livrée. Il pourrait être notifié avant la fin de l'année, en fonction de l'exécution du budget de fin 2013.
Pour mémoire, le Livre blanc a fixé la cible à terme à 225 avions de combat tout compris.
Le premier A400M a été livré en août dernier à l'armée de l'air. Le projet de LPM prévoit la livraison de 15A400M d'ici 2019. Ces livraisons permettront de poursuivre le retrait déjà engagé de la flotte C160. À terme, le Livre blanc a fixé la cible globale à 50 avions de transport tactique. Pour ce programme, un aménagement du rythme de production est envisagé et l'export sera nécessaire pour maintenir des flux de production corrects.
Le projet de LPM prévoit un étalement du rythme de livraison des FREMM. Six FREMM en version anti sous-marine seront livrées d'ici à 2019, les deux suivantes ayant en plus une capacité de défense aérienne.
Une décision devra être prise en 2016 sur les modalités de rejointe du format du LBDSN de quinze frégates de premier rang.
Cette décision portera sur la réalisation des trois dernières frégates du programme FREMM, le programme de rénovation des FLF et un nouveau programme de frégate de taille intermédiaire (FTI) en intégrant l'actualisation du besoin militaire et la situation de l'industrie sur le marché export des frégates de premier rang.
Une telle décision est aujourd'hui prématurée.
La période de LPM sera marquée par la fin des livraisons des 630 VBCI en 2015, dont 95 disposeront d'un niveau de protection adapté aux théâtres d'opérations les plus exigeants.
Cette adaptation conduit à une augmentation de la masse, qui s'élèvera à 32 tonnes pour ces véhicules extrêmement protégés, et dont l'A400M assurera, grâce à ses capacités, le transport.
Concernant les nouveaux programmes, je rappelle que leur lancement a été retardé dans l'attente du Livre blanc de 2013 et de cette nouvelle LPM, afin de ne pas en préempter les choix.
Une vingtaine de programmes nouveaux seront lancés sur la période de cette LPM. Je ne citerai que les exemples les plus emblématiques.
Dans le domaine de l'aviation de combat, il est prévu le lancement pour le RAFALE d'un nouveau standard F3R, dont j'ai déjà parlé. Il contribuera au maintien de l'activité des bureaux d'études, en lien avec les négociations sur l'étalement de la production des avions de la quatrième tranche de production.
Dans le domaine terrestre, le lancement du programme SCORPION, essentiel au maintien des compétences de l'industrie terrestre, est prévu en fin d'année prochaine. C'est le programme majeur pour la modernisation des matériels de l'armée de terre.
Le programme d'avions ravitailleurs MRTT sera lancé pour préparer le remplacement de C135 vieillissants. C'est un programme essentiel en particulier pour la dissuasion.
Dans le domaine du renseignement, plusieurs programmes nouveaux seront lancés. Je citerai les drones MALE, dont une première acquisition est en cours, le système de renseignement d'origine électromagnétique spatial CERES, la Charge utile de guerre électronique (CUGE) ainsi que les drones tactiques SDT.
Le domaine spatial, outre CERES déjà cité, connaîtra le lancement du programme COMSAT NG, successeur du système de télécommunications militaires par satellites SYRACUSE 3. Pour le domaine naval, les principaux nouveaux programmes prévus sur la période de la LPM sont le Bâtiment de soutien et d'assistance hauturier (BSAH), la rénovation des frégates de type La Fayette, le système de lutte anti sous-marine (SLAMF), qui viendra compenser le vieillissement de nos chasseurs de mines tripartites, et les navires logistiques (FLOTLOG).
Enfin, le domaine des missiles verra aussi plusieurs lancements de programmes : l'ANL prévu dès cette année, comme le MMP, et plus tard sur la période, la rénovation des missiles de croisière SCALP et le successeur du missile MICA. Ces programmes sont indispensables au maintien des compétences de la filière missile.
Un certain nombre de ces nouveaux programmes sont prévus en coopération européenne, en particulier avec notre partenaire britannique : c'est le cas de SLAMF et de l'ANL.
Au-delà de ces programmes nouveaux, les programmes conduits en coopération européenne sont tous maintenus : MUSIS, FREMM, A400M, METEOR, ou encore TIGRE, NH90 et ASTER... Pour ces programmes, les ajustements seront menés en coordination avec nos partenaires étrangers, en particulier l'Allemagne et l'Italie.
On pourrait également citer comme programme européen les avions ravitailleurs MRTT, dont le premier exemplaire devrait être livré en 2018.
La coopération doit permettre, au travers des mutualisations ou des partages capacitaires développés dans le cadre de l'Union européenne, de favoriser l'émergence ou la consolidation de solutions européennes dans des domaines tels que ceux du renseignement et des communications d'origine satellitaire, du déploiement et l'exploitation des drones de surveillance, du transport stratégique ou du ravitaillement en vol.
C'est un sacerdoce mais nous y travaillons avec beaucoup de détermination.
La DGA prendra naturellement part à l'effort de déflation du ministère mais j'ai beaucoup insisté pour que la DGA soit la moins atteinte possible.
En effet, cette LPM n'induit aucun abandon de capacité technique, technologique ou industrielle, et donc aucun abandon de capacité pour la DGA.
Le maintien de l'ensemble des programmes en cours, les nouveaux programmes à lancer et les négociations requises avec l'industrie pour adapter les échéanciers de livraison, nécessitent que les unités de management, les centres techniques et le service de la qualité puissent assurer la charge correspondante.
Par ailleurs, le développement de la politique de soutien aux exportations conforte la DGA dans cette mission.
J'estime qu'il n'est pas souhaitable que l'Etat économise là-dessus. C'est d'autant plus vrai que le projet de LPM appelle même au renforcement de certains domaines comme la cyberdéfense.
Dans ce domaine, nous réussissons à recruter très facilement des candidats de très bon niveau, qui sont ravis de se mettre au service de l'Etat. Cela est un objectif que la DGA reste attractive pour les nouveaux ingénieurs, afin de régénérer sa compétence technique.
D'ailleurs, je ne me retrouve pas dans les questions de dépyramidage des officiers, il faut relever que les cadres de la DGA ne constituent pas une pyramide d'encadrement au sens militaire, mais bien un ensemble de compétences techniques et managériales adapté aux missions confiées aujourd'hui à la DGA.
Un ingénieur en chef est d'abord un ingénieur, avant d'être un militaire à cinq barrettes.
Le dépyramidage pour la DGA n'a pas de réalité et serait contraire à l'objectif poursuivi de maintenir un haut niveau de compétences techniques et managériales, de plus en plus reconnu au sein du ministère, l'important étant la qualité du recrutement.
La DGA a effectué depuis 2008 un effort sans précédent de restructuration et de rationalisation :
Elle a effectué des regroupements de centres passant de quinze centres sur vingt-et-un sites à neuf centres sur quinze sites impliquant des fermetures et des transferts.
Elle a externalisé massivement son soutien auprès d'autres opérateurs ministériels même si le fonctionnement de ce récent dispositif de soutien reste à rôder sous nombre d'aspects.
Je rappelle à ce titre les conclusions du CGA Weber sur les centres techniques de la DGA : « il est impossible de poursuivre les rationalisations sans remettre en cause l'existence de un ou deux centres ou sans les adosser à un industriel du secteur. »
La DGA est actuellement dans un format resserré par rapport à ses missions et elle n'a quasiment plus aucune fonction de soutien en son sein.
Mais nous contribuerons naturellement à l'effort budgétaire demandé. Sur la période 2013-2019, la baisse des ressources allouées à la DGA est de :
- 10,1% sur le périmètre fonctionnement P144et P146 ;
- 7% sur le périmètre total fonctionnement et investissement (P144et P146), mais en absorbant dans cette enveloppe les 50 millions d'euros d'investissements liés à la cyberdéfense.
Je souhaite continuer à investir dans les moyens d'essais des centres, en particulier dans le domaine des essais de missiles, pour qu'ils conservent leur place d'excellence européenne.
Ces baisses de ressources sont en milliards d'euros courants, la diminution du pouvoir d'achat sera encore accentuée par l'inflation.
Je souhaite revenir sur quelques hypothèses fortes qui conditionnent la réalisation de cette LPM. Cela reste des points d'attention particuliers pour le ministère.
Le premier d'entre eux est naturellement la disponibilité des ressources exceptionnelles pour le P146.
Les 1,5 milliard d'euros de ressources prévues pour le P146 pour 2014 sont d'ores et déjà identifiées : il s'agit du programme d'investissements d'avenir. Ces crédits sont présentés au titre du PLF 2014. Les modalités pour leur consommation sont en cours de consolidation.
Dans les grandes lignes, la quasi-totalité sera consacrée au CEA, sur des volets de développement et de recherche qui restent dans l'esprit d'investissement du PIA, et au CNES sur MUSIS dans une moindre mesure.
Au-delà de 2014, l'identification précise des REX est en cours.
Elles pourront provenir du produit de la cession des fréquences entre 694 MHz et 790 MHz [fréquences de la TNT].
La question qui se pose est : quand ces fréquences seront-elles cédées et quand les produits de cession seront-ils utilisables sur le P146 ?
En complément, on pourrait avoir recours à la cession de participations de l'Etat, sous la forme par exemple d'une société, qui recueillerait les produits de cession de participation des entreprises publiques, et dont les dépenses d'investissement seraient orientées vers des matériels militaires répondant aux besoins des armées suivant des modalités à définir.
La deuxième hypothèse forte est plus spécifiquement liée au programme RAFALE, pour lequel le projet de LPM table sur un démarrage effectif de l'exportation dès le début de la période.
Cette hypothèse est crédible au regard de l'avancement d'un certain nombre de perspectives, que je ne détaillerai pas, et des qualités exceptionnelles de cet appareil.
A ces hypothèses s'ajoutent les conditions d'entrée en gestion de la LPM qui sont essentielles.
Actuellement, un peu plus de 700 millions d'euros de crédits 2013 sont encore gelés (surgel et réserve de précaution initiale). Si ces crédits ne sont pas débloqués, ou s'il faut financer les surcoûts OPEX, cela déstabiliserait fortement ce point d'entrée, compte tenu des montants en jeu et de l'absence de marges de manoeuvre sur le report de charges.
Le report de charges du P146 prévu aujourd'hui pour fin 2013 est d'environ 2 milliards d'euros. Une augmentation nous mènerait à des conditions d'exécution du budget 2014 qui seraient pénibles.
En tout état de cause, la LPM prévoit une clause de revoyure fin 2015 qui permettra de vérifier la bonne adéquation entre les prévisions et la réalisation.
Elle paraît d'autant plus nécessaire que la réalisation des trois grandes hypothèses que j'ai citées porte sur le court voire très court terme et conditionne l'équilibre financier de la LPM dès le début de période.
Pour conclure, ce projet de LPM marque le maintien d'un effort de Défense significatif malgré un contexte budgétaire contraint.
L'industrie de défense et la préparation de l'avenir sont en particulier au coeur de ce projet de loi de programmation militaire qui tient compte de l'impératif industriel.
Il est vain pour certains industriels de continuer d'essayer de ramener dans leur domaine des ressources de la LPM prévues pour d'autres.
Cela se ferait au détriment des autres domaines et mettrait en péril tout l'équilibre de ce projet.
Ceci clôt mon propos. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, merci pour votre attention.
Vous avez posé une question sur le programme TIGRE. Il était prévu au début la mise sous cocon de vingt TIGRE HAP ; c'est pourquoi les lots de rechange de ces vingt TIGRE HAP n'ont jamais été achetés et ce en accord avec l'armée de terre. Le nouveau projet revoit le concept d'emploi des TIGRE ; ce nouveau concept est fondé désormais sur une cible de soixante appareils avec une homogénéisation et une transformation des HAP en HAD ; les nouveaux lots de rechange seront bien évidemment dimensionnés pour soixante HAD.
M. Jean-Louis Carrère, président - Puisque nous sommes dans un échange d'une grande sincérité, je tenais à vous dire que nous adopterons vraisemblablement en commission des amendements afin d'insérer une clause de garantie des ressources exceptionnelles. La question que je me pose est de savoir si le programme d'investissement d'avenir sera abondé par des crédits budgétaires, des cessions de participations ou les deux ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Ce sont des cessions de participations. C'est le début d'un exercice qui consiste à céder des participations que l'Etat détient dans des grandes entreprises. Il ne vous a pas échappé par exemple que l'Etat a déjà cédé 3% de sa participation dans SAFRAN, passant de 30 à 27%. La question que l'on doit se poser est de savoir quelle est la doctrine de la participation de l'Etat dans les entreprises qui ont des activités dans des domaines aussi variables que dans les domaines de l'énergie, des transports ou de la défense.
M. Jean-Louis Carrère, président - Nous préférerions que ce programme soit abondé par des crédits budgétaires.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - David Azema, commissaire aux participations de l'Etat, et moi-même, sommes convaincus qu'il y a des sociétés dans lesquelles l'avenir stratégique n'est pas arrêté et là il n'est pas question de lâcher quoi que ce soit du contrôle de ces sociétés. A l'inverse, il y a des sociétés relativement indépendantes de la Défense. C'est du cas par cas, avec une analyse à mener sur l'intérêt stratégique industriel et pour l'Etat.
M. Jean-Louis Carrère, président - Sur le RAFALE et l'export nous avons parfaitement compris que c'était un problème de chaîne de production. Mais cela veut dire que si d'aventure nous étions obligés de prendre en compte cette préoccupation, il faudra que l'on dise collectivement comment l'on fait.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Pour le RAFALE, il y a plusieurs prospects, avec des définitions différentes dans les différents cas et il est sera donc important de savoir quel prospect débouche en premier. Pour l'Inde, le RAFALE s'inscrit dans une flotte aéronautique indienne qui dispose déjà d'équipements propres, ce qui nécessite des adaptations de l'avion. Pour le Qatar par contre, la définition est très proche de celle de la France, ce qui donne plus de souplesse pour la gestion de la production. Je suis confiant sur le fait que le RAFALE s'exporte, la seule question est de savoir quand.
M. Jacques Gautier. - Je remercie le délégué général pour sa présentation toujours aussi transparente, claire, précise et qu'il est le seul à pouvoir nous effectuer de cette façon. Une question générale, d'ordre financier : il semble qu'avant l'été les services de la DGA aient demandé à un certain nombre d'industriels de revoir les modalités de paiement des contrats. Je m'explique : il s'agirait de reporter les paiements en fin de contrat et non pas tout au long de son exécution, comme c'est le cas habituellement. Ce qui aurait pour inconvénient de reporter sur ces entreprises le portage financier de ces contrats. L'Etat pourrait ainsi s'endetter sans que cela ne se voie dans l'endettement public. Cela rendrait totalement irréaliste l'exécution de la loi de programmation. Par ailleurs, qu'en est-il du standard F3R du RAFALE avec le pod de désignation laser nouvelle génération - qu'en est-il des ATL2 et de la rénovation, mais je n'ose plus employer le mot tellement le périmètre a rétréci, des MIRAGE 2000 ? Vous avez évoqué DCNS, la marine et les FREMM ; nous avons remarqué et nous ne sommes pas les seuls, qu'il faudrait effectivement développer un navire moins important pour l'export - les frégates de taille intermédiaire - nous avons également noté les possibilités de développer de nouveaux radars plus performants que ceux actuels. Est-ce que vous envisagez de donner les technologies de 2015 aux frégates qui sortiront en 2022 ou bien les laisserez-vous avec les technologies radar du début des années 2000 ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Est-ce que nous avons demandé aux entreprises de les payer à la fin des contrats ? La réponse est non. Cela fait partie des choses que l'on pourrait envisager dans le cadre des grands contrats que nous sommes en train de renégocier et ne poserait pas de problèmes à certaines entreprises. Je vais en citer deux : Dassault, qui a une trésorerie tout à fait significative et qui a déjà pratiqué ce genre d'exercice par le passé avec l'Etat, et DCNS, qui a une trésorerie de deux milliards d'euros. Cela fait partie des choses que l'on pourrait demander s'il y a des choses qui ne convergent pas comme il faudrait. Mais pour l'instant nous ne l'avons pas fait. D'abord parce que ce n'est pas de bonne politique d'une façon générale. Et puis parce que cela nous prive d'un moyen d'action vers les industriels en cours d'exécution des contrats et donc je n'y suis pas favorable.
Le standard F3R aura bien évidemment le pod de désignation laser de nouvelle génération.
Pour la rénovation ATL2 : rendez-vous à Brest vendredi.
Le contrat pour les MIRAGE 2000 sera commandé en 2015 avec un contenu technique qui reste à affiner.
Sur les FREMM, nous sommes bien conscients des problèmes d'obsolescence qui affectent les radars HERAKLES ; mais comment anticiper le passage à la mature intégrée ? Nous allons étudier cela et c'est pour cela qu'il y aura une décision à prendre en 2016. Exporter des bâtiments de surface est indispensable. Les FREMM supposent que l'Etat acquéreur ait une marine de haut niveau pour qu'elles puissent être manoeuvrées par des équipages très réduits en nombre.
M. Daniel Reiner. - Sur les reports des charges - c'est irritant. On nous avait parlé de trois milliards, maintenant c'est deux, c'est mieux.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Trois milliards c'est pour l'ensemble du ministère - deux milliards c'est uniquement pour le P146...
M. Daniel Reiner. - C'est mieux, mais j'aimerais savoir exactement de quoi il s'agit ? Ce sont des commandes pour lesquelles il n'y avait pas de trésorerie ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Ce sont des annulations de crédit en cours d'années, des transferts de crédits vers d'autres programmes LOLF au fil de l'eau, et puis ça s'accumule, ça grossit - le cumul est là. Cela a un effet important sur les PME ; on a toujours pris les mesures nécessaires pour garder un peu d'argent en fin d'exercice afin de pouvoir quand même payer les PME. On peut le faire quand on a une visibilité précise sur la gestion de fin d'année et pas quand on est devant des choses qui s'arrêtent au mois de septembre.
M. Daniel Reiner. - C'est un système qui n'est pas satisfaisant. Je pose une seule question : le ministère a mis en place un pacte défense PME ; nous avons rencontré des PME et des grands groupes également. Il y a une demande forte d'un observatoire de mise en place de ce pacte. Il y a un besoin de mettre un peu d'huile dans les rouages de ce point de vue-là.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Il y a un délégué ministériel pour l'application de ces mesures aux PME et il est hébergé à la DGA ; comme vous le savez, nous avons largement contribué à l'élaboration de ce pacte. Les grands industriels ont quand même accepté des mesures beaucoup plus contraignantes que le droit contractuel normal. Alors dans quelle mesure faut-il mettre en place un observatoire, je ne sais pas. Il s'agit d'un pacte de bonne conduite et non pas d'un pacte réglementaire. On peut discuter de cela avec le comité Richelieu si c'est lui qui a eu l'idée, mais de grâce ne multiplions pas les observatoires, même si celui-ci pourrait être justifié. On a essayé quand même de simplifier beaucoup les choses et en particulier les délais de paiement de l'Etat. Mais effectivement cela ne sert à rien de réduire les délais vers les grands groupes si ceux-ci ne répercutent pas vers les PME...
M. Xavier Pintat. - Les drones tactiques - on a beaucoup parlé du Watchkeeper - où en êtes-vous de leur acquisition ? La défense antimissiles balistiques - la France s'est engagée à soutenir l'initiative de Lisbonne, or aucun élément ne semble apparaître dans la LPM, pouvez-vous nous en dire plus ? La simulation en matière nucléaire - où en sommes-nous des grands projets, le laser mégajoule, le programme TEUTATES, EPURE, pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Nous avons expérimenté le drone Watchkepper pendant plusieurs mois dans les établissements de la DGA ; la maturité du produit pourrait être meilleure. Pour que nous acceptions de le considérer il faudra nous démontrer que sa maturité est supérieure à celle que nous avons constatée. Un appel d'offres pourquoi pas, mais pour le Watchkeeper il y avait quelque chose-là qui était très séduisant qui allait au-delà de la simple acquisition et s'intégrait dans une coopération opérationnelle.
Concernant la DAMB, nous avons proposé d'apporter des modifications à l'Aster block 1NT - nous avons eu des discussions avec les Italiens et les Britanniques. On va voir comment tout cela évolue, mais notre contribution à la DAMB de l'OTAN va être modeste. Ce qui nous importe c'est la protection de corps d'armées projetés sur des théâtres extérieurs. C'est donc l'ASTER block 1NT. Pour aller au-delà, il faut également développer des radars de beaucoup plus grande portée ce qui nécessite des efforts financiers que nous n'envisageons pas dans cette LPM.
Enfin, la simulation continue. Des moyens d'évaluation sont mis en place avec les Britanniques. Les premières expériences sur le LMJ auront lieu l'an prochain, indépendamment des Britanniques pour la première. La mise en service de TEUTATES et d'Airix évolue.
M. André Trillard. - Quelles sont les capacités de nos industriels à changer les cadences de production en cas de conflits sérieux. Nous avons subi trois conflits en série qui n'ont pas été très coûteux en matière d'équipements - la Côte d'Ivoire, la Libye, le Mali. Mais ce qui a failli se produire en Syrie eût été beaucoup plus dispendieux en termes de consommation de moyens de frappe dans la profondeur. Il faut des industriels qui arrivent à gagner leur vie sur ces séries limitées, mais qu'ils soient également capables de recompléter en cas de conflits. Est-ce que c'est un sujet sur lequel vous réfléchissez.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Oui évidemment. En matière d'aviation de combat nous sommes dans des délais de l'ordre de trois ans. On ne pourrait pas recompléter très facilement. On peut accélérer la fabrication des munitions, mais par exemple en matière de moteurs d'avions, pour lesquels certaines pièces comme les aubes de turbine ont été produites par « batch », c'est compliqué.
Mme Michelle Demessine. - Je tiens à affirmer l'attachement des membres de mon groupe à la préservation de l'outil industriel de défense. Or la situation est difficile. Nous avons visité le chantier de DCNS à Lorient. Les efforts sont importants. Il y a une vraie bataille pour la préservation de l'emploi industriel. Je souhaiterais vous entendre sur ce sujet. Quel va être le résultat de ce que vous allez négocier ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - C'est vrai que la situation est difficile, mais elle est difficile partout, pas uniquement à Lorient. Cette LPM est un équilibre entre les neuf grands agrégats industriels et nous avons dit qu'il n'était pas question pour nous de procéder à des échanges entre les sous-marins, les avions de combat, les avions de transport, les missiles, les moyens d'observation, l'industrie d'armement terrestre etc... Les impacts industriels sont difficiles à mesurer. Il faut absolument aller à l'export. La LPM prévoit une stabilisation en euros courants sur les PEM, c'est-à-dire une diminution en euros constants. On ne va pas se le cacher. Il faut rappeler toutefois que globalement sur l'ensemble de l'agrégat équipement, le montant est en augmentation.
Mercredi 2 octobre 2013
- Présidence de M. Jacques Gautier, vice-président, puis de M. Jean-Louis Carrère, président -Loi de programmation militaire 2014-2019 - Audition de M. Christian Mons, président du CIDEF (Conseil des industries de défense)
M. Jacques Gautier, président. - Monsieur le Président, mes chers collègues, le Président Carrère est actuellement à Matignon ; il va nous rejoindre d'un instant à l'autre.
Nous ne pouvons vous faire attendre plus longtemps ; il m'incombe donc de présider cette ouverture. Je vous souhaite la bienvenue et irai droit au but avec quatre questions...
Tout d'abord, quel est l'impact de la Loi de programmation militaire (LPM) sur notre base industrielle et technologique de défense ?
En second lieu, comment voyez-vous la question de la consolidation de la base industrielle de défense européenne, et en particulier dans le secteur que vous connaissez bien des industries d'armement terrestre ?
Troisièmement, comment voyez-vous le marché de l'armement à l'exportation, qui est essentiel à l'équilibre de la LPM, notamment sur les pays émergents ? Cela pourra-t-il suffire à compenser les diminutions de crédits nationaux ? Certains industriels qui, sans exportations, ont de plus en plus de mal à s'en sortir, envisagent même des cessations d'activités ou des suppressions de postes...
Enfin, pensez-vous qu'il faille améliorer la démarche stratégique française, en faisant en sorte, par exemple, que l'Etat publie sa stratégie d'acquisition, ce qui orienterait la recherche et technologie (R et T) et la recherche et développement (R et D) ?
La LPM a prévu de maintenir 730 millions d'euros par an. Chacun s'en félicite, mais il faut concentrer cette somme sur ce qui apparaît comme utile et indispensable en matière d'armement futur, en évitant de faire de la recherche pour la recherche, ce qui est hors de notre portée financière.
Il pourrait donc être intéressant que l'Etat, souvent client unique de certains industriels, fasse savoir longtemps à l'avance ce sur quoi il a besoin que les industriels travaillent, dans leur intérêt même, afin que ceux-ci n'explorent pas de voies sans garantie de marchés. Qu'en pensez-vous ? Vous parlez ici pour un certain nombre d'industries, vos fonctions de président vous amenant à assurer cette responsabilité...
M. Christian Mons, président du CIDEF. - Je tiens d'abord à vous remercier, au nom du CIDEF, pour votre mobilisation, au printemps, lorsque les pires scénarii ont circulé.
Le niveau budgétaire de la LPM n'est certes pas satisfaisant, mais on doit néanmoins reconnaître que vous vous êtes fortement impliqués pour essayer de diminuer l'impact que cette LPM pourrait avoir sur nos industries.
Celle-ci n'est pas parfaite ; beaucoup de mes collègues l'ont déjà exprimé devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale et, je le pense, également devant cette instance. Elle devrait toutefois, sous réserve d'être exécutée dans sa totalité -ce qui n'est arrivé à aucune LPM- continuer à assurer une continuité d'activités au sein de nos bureaux d'études et de nos lignes de production, principalement parce qu'aucun programme n'est pour l'instant annulé.
Notre industrie pèse 17 milliards d'euros, exporte 35 % de sa production, dégage un solde commercial très positif, emploie 175 000 personnes à forte valeur ajoutée, peu voire pas délocalisables. Elle est organisée autour de quelques grands systémiers, mais regroupe 4 000 petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI), très largement réparties sur les territoires, qui ont un poids économique très structurant pour de nombreux bassins d'emploi -Bourges, Brest, Cherbourg, Cholet, Fougères, Lorient, Roanne, Bordeaux, Toulon...
Elles se caractérisent par un effet d'endettement technologique important, du fait de la grande technicité de nos produits, du caractère dual de certaines de nos techniques, et du lien qui existe entre les donneurs d'ordre et les entreprises sous-traitantes.
J'ai coutume de dire que l'industrie de défense demeure aujourd'hui l'un des rares secteurs qui, tout en assurant sa mission première de participation à la souveraineté, génère un volume élevé de production sur le territoire national. Je dirais même que c'est une industrie à caractère keynésien : tout investissement dans les équipements de défense a, sur l'emploi et sur les compétences, un effet d'entraînement éminent. Selon nos calculs, en France, tout euro investi dans l'industrie de défense, au titre d'achats d'équipements ou d'études, rapporte 1,30 euro à l'Etat, et 1,6 euro en Angleterre.
L'exportation a, en la matière, un effet important : quand on exporte, on crée de la richesse, on paie des charges sociales, des impôts. Chaque emploi créé génère par ailleurs des emplois induits.
Cette industrie joue également un rôle politique éminent dans la défense des intérêts de la France dans le monde.
La LPM, telle qu'elle nous a été présentée, aura indéniablement des conséquences en matière de suppressions d'emplois. On peut estimer celles-ci, de façon très grossière, à une vingtaine de milliers sur la période concernée. Ceci peut toutefois être atténué si l'on retarde les engagements. Mais un certain nombre de nos industriels doivent être en sous-charge dès le début de 2014, certaines s'y trouvant déjà.
Ce chiffre de 20 000 emplois est certainement contestable. Toutes choses égales par ailleurs, il nous manque un milliard d'euros par an. A raison d'environ 100 000 euros par emploi, cela représente à peu près 20 000 emplois, 10 000 directs et 10 000 indirects.
L'impact pourrait être pire ! Le budget comporte des frais de personnel très élevés. S'ils ne se réduisent pas, ce sont les achats d'équipement qui constitueront la variable d'ajustement du ministère de la défense. Les frais de fonctionnement et de personnel s'imposent. L'état-major ne sait pas encore très bien à quel rythme il va pouvoir faire baisser ses effectifs...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Et si la loi n'est pas votée ?
M. Christian Mons. - C'est un autre sujet...
Quels sont les points de fragilité du dispositif ? Les ressources exceptionnelles et les conditions de renégociation des contrats déjà signés nous semblent constituer un point de difficulté. Le ministère de la défense, tout comme nous, devra suivre au plus près ces vulnérabilités. Nous avons identifié trois points clés...
En premier lieu, il ne faut pas relâcher l'effort sur la R et T. Vous avez cité le chiffre de 730 millions d'euros : c'est la condition du maintien de nos bureaux d'études. Certes, il nous faudrait au moins un milliard, mais il faudrait aussi que l'industrie d'armement terrestre reçoive plus que les 50 millions d'euros qui y sont affectés, les 730 millions étant pour moitié captés par le nucléaire stratégique et par la Direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA DAM).
Le nucléaire représente environ 200 millions sur 730. Il est toujours difficile de définir précisément le nucléaire stratégique, dont font partie le Rafale, les missiles, le porte-avions et son escadre...
M. Jean-Pierre Chevènement. - On ne peut avoir une définition aussi englobante ! Le porte-avions, le Rafale, etc., sont multi-rôles...
M. Christian Mons. - Le Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT) ne reçoit que 50 millions d'euros de R et T sur les 730, ce qui est très peu pour une industrie importante, et pour une armée qui est engagée très régulièrement dans les opérations extérieures...
M. Jean-Pierre Chevènement. - On ne peut réduire cela à un petit agrégat !
M. Jeanny Lorgeoux. - Vous voulez dire que l'armée de terre est moins bien lotie que les autres...
M. Christian Mons. - Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. - L'industrie d'armement terrestre est beaucoup moins puissante que des groupes comme EADS, ou Thales...
M. Christian Mons. - Thales fait partie de l'armement terrestre. EADS également...
Thales vient d'être attributaire du contrat « Contact », qui constitue un élément de Scorpion, et qui concerne les communications numériques modernes. Les activités de recherches terrestres obtiennent moins de subsides.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Les blindés n'ont plus guère de progrès à faire...
M. Christian Mons. - Ils continuent à en faire ! Les blindés de la précédente génération ne résistent pas aux menaces actuelles. On va être obligé de les surprotéger...
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) constitue un point dur, qui peut déstabiliser toute la programmation. On doit trouver ensemble les moyens de contrôler les coûts et de mieux planifier, afin d'éviter les surprises. La solution passe selon nous par une redéfinition de la relation entre l'Etat et l'industrie, dans la gestion et la mise en oeuvre du MCO. L'industrie est prête à prendre plus de travail en matière de soutien, sans pour autant aller jusqu'à une externalisation complète, qu'il serait difficile d'opérer.
L'exportation reste un point clé : la LPM rend obligatoire l'obtention de contrats à l'exportation très significatifs, afin d'éviter les conséquences sociales de l'étalement des principaux programmes d'armement. Il faut être réaliste : je ne suis pas certain que les perspectives actuelles permettront de compenser les futures baisses du marché national !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Pensez-vous que Dassault ne puisse pas vendre ses Rafale ?
M. Christian Mons. - J'espère qu'il n'en sera rien ! Si tel n'était pas le cas, ce serait pire : nous serions obligés d'en acheter une partie...
M. Jeanny Lorgeoux. - Supposons qu'il les vende...
M. Christian Mons. - Cela aura une conséquence positive sur une bonne partie de l'industrie.
M. Jeanny Lorgeoux. - Poursuivez votre raisonnement...
M. Christian Mons. - Nos ventes à l'exportation sont plates. Depuis quelques années, elles n'augmentent plus.
M. Jeanny Lorgeoux. - Pour quelles raisons ?
M. Christian Mons. - A cause de la concurrence ! Les budgets de défense augmentent essentiellement en Asie, en Asie centrale et en Russie...
M. Jeanny Lorgeoux. - Nos produits sont-ils mauvais ? Les vend-on mal ?
M. Christian Mons. - Nos produits sont excellents et au niveau de compétitivité souhaité. Les produits de très haute technologie -aéronautique et missiles- n'ont que peu de concurrence étrangère. Les Chinois viennent toutefois de vendre des missiles de défense aérienne aux Turcs. On l'a annoncé il y a deux jours... Cela doit faire réfléchir ! C'est très inquiétant.
Nous avons, dans le domaine des plates-formes terrestres, par rapport à des pays émergents comme la Turquie, la Corée du Sud, l'Afrique du Sud, le Brésil ou Israël, des produits certes excellents et compétitifs, sûrement meilleurs que les leurs, mais qui ne font pas la différence compte tenu de l'écart de prix ! A tonnage équivalent, à puissance moteur équivalente, à niveau de protection équivalent, ils sont deux fois moins chers que les nôtres !
M. Jean-Louis Carrère, président. - On vient de perdre le marché turc, qui a préféré les missiles chinois...
M. Daniel Reiner. - Ce n'est pas signé !
M. Christian Mons. - Cela a été annoncé ! On a indéniablement un problème de compétitivité : nos coûts horaires sont élevés.
Quand on vend de l'aéronautique, la barrière d'entrée est très élevée. Les concurrents sont donc moins durs, mais sur des produits où la technologie est plus facile à acquérir, on a face à nous des pays très compétitifs et dangereux, qui freinent nos exportations. C'est un constat que l'on est obligé de faire.
M. Gilbert Roger. - Il faut donc vous assurer des commandes minimales, ne pas exiger trop à l'export parce qu'on est moins bons que les autres et, en outre, que le niveau de rémunération soit le plus bas possible !
Je suis fondamentalement en désaccord avec vous ! Vous vous trompez ! Plus la masse salariale est basse, avec des gens peu formés, moins vous serez compétitifs et performants !
M. Christian Mons. - Nos personnels sont très bien formés, et ont de très bons salaires...
M. Gilbert Roger. - Vous nous expliquez depuis un quart d'heure qu'il ne faudrait pas que ce soit le cas : c'est insupportable !
M. Christian Mons. - Non ! J'ai expliqué que d'autres n'avaient malheureusement ni ces salaires, ni ces conditions de travail, mais que, dans certains cas, leur productivité pouvait être comparable.
L'exportation est vitale pour nos industries et la préservation de notre savoir-faire. Nous demandons que la réforme de la gouvernance du ministère de la défense, dans son volet consacré aux relations internationales, ne désorganise pas ce mécanisme. Les grands contrats font l'objet d'une mobilisation forte du Gouvernement, du ministère de la défense et de la représentation nationale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
L'effort doit être maintenu, car tous les systémiers sont concernés par les étalements de programmes, avec un impact direct sur leurs fournisseurs.
Je tiens à saluer à nouveau ici l'investissement des parlementaires, au travers des missions conduites dans des pays disposant d'un Parlement, qui participent à l'effort national au service des exportations de la défense. La poursuite de cette mobilisation personnelle des plus hauts représentants de l'Etat et du Parlement est vitale, face à une concurrence acharnée, dont les tenants se mobilisent très largement auprès des autorités étatiques et politiques.
Je voudrais plaider également pour un effort particulier en faveur des PME, ainsi que des contrats de taille moyenne. Les très grands contrats bénéficient du soutien des instances gouvernementales, mais le degré de mobilisation n'est pas aussi important pour les contrats de taille moyenne.
La mesure n° 15 du pacte de défense des PME, présenté il y a près d'un an par le ministre de la défense, va dans ce sens, puisqu'elle crée un label « DGA testé » permettant aux PME de garantir qu'un de leurs produits a été testé selon les processus en vigueur à la Direction générale de l'armement (DGA). Ce label est destiné à permettre à nos PME et ETI de gagner de nouveaux marchés. Le premier label a été délivré en juin dernier. J'espère qu'il y en aura d'autres, car cela correspond aux besoins de nos PME.
La mesure n° 16 du pacte annonce que le réseau international du ministère sera mobilisé pour accompagner les PME à l'exportation, faciliter leur positionnement et leurs contacts. Afin de rendre cette mesure pleinement opérante, il conviendrait que le dispositif soit renforcé, notamment à l'échelle des postes d'attachés d'armement, qui sont peu nombreux...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Faites-vous allusions aux ambassades ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - Tout cela représente des impôts supplémentaires ! Le ministre des affaires étrangères, que nous avons entendu ce matin, nous disait qu'il comprimait des postes et les mutualisait...
M. Christian Mons. - Il nous faut des exportations !
D'autre part, l'une des spécificités de la défense réside dans le fait que les étrangers ne veulent pas être le client de lancement d'un produit. Ils n'achètent que ce qui est déjà utilisé par le client national. C'est pourquoi le rôle de soutien des armées à nos actions à l'exportation est fondamental. Nous apprécions tout particulièrement les prêts de matériels pour des démonstrations à l'étranger, ainsi que la participation à des missions à l'étranger, sous réserve que les coûts laissés à la charge des industriels soient raisonnables, notamment pour les PME.
Les deux derniers documents de l'EMA-RI devraient apporter une meilleure cohérence des procédures et réglementations de mise à disposition des moyens des armées aux industries de défense, mais il ne faudrait pas que l'application à la lettre de ces réglementations génère une rigidité excessive du dispositif, nuisible aux industriels, notamment les PME de la défense. Il faut en fait comprendre que les prix de ces interventions vont considérablement augmenter.
D'autre part, le CIDEF recommande et appelle de ses voeux depuis assez longtemps la création, au sein des armées, d'une cellule apte à assurer la présentation des équipements utilisés en opération, comme le font les Britanniques. On s'est rendu compte, à l'usage, qu'un certain nombre de présentations de matériel, surtout dans le domaine terrestre, étaient ratées, dont des présentations importantes à la presse, l'état-major n'ayant pas mis les meilleures compétences en ligne pour assurer la démonstration. Lors de l'Eurosatory, l'année dernière, Caesar a fait trois fois long feu, les militaires l'utilisant étant équipés d'AuF1 et ne connaissant pas ce matériel. Devant la presse étrangère, c'est du meilleur effet !
Les Britanniques sont très efficaces dans ce domaine : c'est une brigade spécialisée qui réalise les démonstrations ; elle s'entraîne dans cette optique, et soutient les industriels régulièrement. Si on le fait artisanalement, on manque d'efficacité.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Par qui sont-ils payés ?
M. Christian Mons. - Je pense qu'ils sont payés par les impôts et, en partie, par les industriels. Les industriels veulent bien payer des prestations, à condition qu'elles soient de qualité. Dans le domaine aéronautique, cela se passe très bien. L'armée de l'air est très efficace, et les essais en vol très performants.
L'attribution de subventions via les groupements professionnels est un élément très important pour les PME. Les exposants du pavillon France aident beaucoup les entreprises à exposer à l'étranger, de façon qu'elles puissent promouvoir leurs produits. Les subventions que l'on reçoit sont donc essentielles pour accompagner les PME sur les salons de défense internationaux, et je souhaite que l'on protège ces dépenses, qui ont un rôle important d'entraînement et de multiplication.
En matière de contrôle, nous nous félicitons de la mise en oeuvre prochaine des nouveaux outils et procédures de contrôle, prévus avant la fin de l'année ; ceci devrait permettre de remédier à un certain nombre de difficultés que nous rencontrons encore trop souvent, et accélérer les procédures de contrôle pour les entreprises. Cette mise en oeuvre devra faire néanmoins l'objet d'une vigilance toute particulière, afin de prévenir tout dysfonctionnement d'un système qui a pour objectif de permettre aux industriels d'exporter dans de meilleures conditions, tout en garantissant le strict respect des principes fondamentaux de contrôle des exportations de la France.
Nous allons changer de système informatique : il ne faudrait pas qu'un blocage intervienne à cette occasion. Je ne reviens pas sur les problèmes de Chorus, ou de Louvois. Cela peut induire des délais néfastes pour nos exportations. Nos autorisations d'exportation sont toujours sur le fil du rasoir. On est souvent obligé de demander des dérogations et une accélération de la procédure. Il faut rester très vigilant...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Avez-vous été associés à la définition du système ?
M. Christian Mons. - Absolument. Nous réalisons en ce moment des tests à blanc, mais je rappelle qu'il existe 600 à 700 commissions interministérielles pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEMMG) par mois. Un système administratif se grippe assez vite lorsqu'il est soumis à de tels chiffres. Une CIEMMG est une instance assez complexe, qui implique beaucoup de ministères et de fonctionnaires...
M. Jean-Louis Carrère, président. - La parole est aux commissaires...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Pouvez-vous nous parler du Giat ?
M. Christian Mons. - C'est l'une des questions que M. Jacques Gautier m'a posée.
Nos industries n'ont pas toutes besoin d'être consolidées de la même manière. Dans le domaine aéronautique, elles ont à présent la taille critique ; le domaine naval est un sujet complexe, où les choses restent sûrement en partie à réaliser, mais DCNS a indéniablement une taille européenne, voire mondiale. Elle dispose de beaucoup de produits, dont certains très performants. L'urgence est donc moindre par rapport au domaine terrestre, où rien n'a été fait -ou pas grand-chose, en dehors de ce qu'ont réalisé les industriels privés, comme Renault Trucks, en consolidant ACMAT et Panhard, et quelques autres.
La question de Giat et de Nexter est ouverte, mais nécessite une décision politique. Tant que celle-ci ne sera pas prise, rien ne se passera. Cela fait plusieurs années qu'on en parle. La décision politique ne venant pas, le dispositif est bloqué.
Une opportunité se dessine avec le lancement de Scorpion, pour ce qui concerne les plates-formes terrestres, certaines parties étant déjà lancées, comme la communication, ou les systèmes d'information. On a devant nous deux très gros lancements, celui du véhicule blindé multi-rôles (VBMR) et de l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC). C'est sur la base de ces projets qu'il faudrait assurer une consolidation industrielle.
Malheureusement, il n'existe jusqu'à présent aucune industrie de défense européenne, ni de politique européenne de défense des industries d'armement. En effet, on n'a pas été capable d'harmoniser les demandes des différents états-majors, de façon à pouvoir faire converger les consolidations industrielles sur des programmes multilatéraux. Il existe actuellement en Europe onze programmes de 8 x 8...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Qu'est-ce que le 8 x 8 ?
M. Christian Mons. - Il s'agit du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI). Aux Etats-Unis, il n'y a qu'un seul programme. Au total, il devrait y avoir en Europe environ 4 000 8 x 8. Cela en fait très peu par programme : 600 VBCI pour la France...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Le Giat avait été doté de statuts qui lui permettaient d'évoluer, il y a de cela une douzaine d'années. Il n'a pas su prendre le tournant qui a accompagné la fin de la guerre froide, et s'est retrouvé avec le char Leclerc sur les bras, une réduction de cible, etc.
Du point de vue de l'artillerie, un certain nombre de matériels ont bien sûr évolué, comme l'AuF1, ou le Caesar. Qu'est-ce qui explique l'atrophie de l'industrie française d'armement terrestre par rapport à l'industrie allemande ?
La taille de l'armée allemande n'est pas tellement supérieure à la nôtre. La force des groupes allemands, comme Krauss-Maffei et Rheinmetall, vient des liens qu'ils entretiennent entre eux, et d'une volonté politique de les maintenir. Je suis surpris que notre industrie d'armement terrestre s'étiole au fil des ans. Giat Nexter est toujours en activité, mais les groupes allemands prospèrent, et il en va de même dans l'industrie navale allemande. Il y a là quelque chose qui m'échappe...
M. Christian Mons. - L'industrie navale allemande ne va pas aussi bien que cela. La situation de ThyssenKrupp n'est pas si bonne...
Pour ce qui est de Krauss-Maffei Wegmann et de Rheinmetall, ce que vous dites est juste. Ce sont des entreprises prospères. Krauss-Maffei est un « single player » de l'armement terrestre, alors que Rheinmetall est un « dual player ». Son activité civile automobile lui permet de jongler élégamment avec les contracycliques.
Ces industries sont fortement soutenues par leur Gouvernement, en particulier à l'exportation ; elles ont réussi à vendre le Leopard à quatorze pays. Krauss-Maffei, qui est une entreprise légèrement plus grosse que Nexter, qui représente environ un milliard d'euros de chiffre d'affaires, a plus de 4 milliards d'euros de carnets de commande, ce qui lui assure plusieurs années de plan de charge...
M. Gilbert Roger. - Le problème de Chorus et de Louvois vient du fait qu'ils ont été conçus par des sociétés privées qui n'étaient pas des entreprises de premier plan. Nous avons appris hier qu'on allait lancer un appel international. Il semble qu'il n'existe que deux entreprises étrangères capables de livrer un nouveau logiciel d'ici à deux ou trois ans. L'Etat n'est donc pas toujours le seul à se tromper. Il arrive parfois que ce soit le cas des entreprises privées !
Un certain nombre de représentants de l'industrie, persuadés que leurs produits sont bons, semblent faire preuve de suffisance, et ne se posent pas les bonnes questions. Les exemples du char Leclerc ou du Rafale montrent une certaine limite de nos compétences !
Par ailleurs, comment les entreprises de grande taille pourraient-elles aider les PME à l'exportation ? Les choses sont tellement compliquées qu'on a le sentiment que ces dernières ne savent pas comment faire. Comment améliorer la situation ?
M. Christian Mons. - Les grandes entreprises exportatrices emmènent très souvent les PME et leurs sous-traitants sur leurs marchés à l'exportation, notamment ceux qui demandent des compensations locales.
Parmi les 4 000 PME et ETI du secteur de la défense, il existe des compétences originales. Celles-ci sont, dans une certaine mesure, protégées, les grands groupes en ayant besoin. Ce sont les entreprises qui fournissent des ressources qui sont les plus menacées. Lorsqu'on réduit la taille du gâteau, les grandes entreprises, assez naturellement, ont tendance à charger leurs propre personnel et à moins sous-traiter. On ne peut le leur reprocher.
Les grandes entreprises prennent soin de leurs partenaires qui ont des compétences critiques, mais une bonne moitié peut servir de variable d'ajustement en période de crise. C'est humain, et l'on peut difficilement aller contre.
M. Jean-Louis Carrère, président. - J'étais avec le Premier ministre pour essayer de faire accélérer la procédure d'instruction de la LPM, car je pense que plus on la diffère, plus on risque de pénaliser ce secteur. Je ne suis pas sûr d'avoir obtenu gain de cause, mais j'espère y être parvenu...
Tous les bancs partagent ici la même analyse, et nous avons évité de faire preuve de sectarisme. Quelle est la ligne de conduite d'une commission comme la nôtre pour essayer d'aller vers la moins mauvaise solution budgétaire ? Nous nous sommes battus, dans une période objectivement complexe, pour essayer d'imposer, par le biais des arbitrages du chef des armées, un budget qui ne condamne pas la défense de notre pays, ni ses industries. Nous avons considéré le format des armées, l'état des risques, la nécessité de mettre en chantier des matériels qui assurent à notre armée une plus grande performante. Nous avons pris en compte les 160 000 et quelques emplois de l'industrie de la défense. Nous nous sommes battus sur tous les fronts, avec une convergence absolue.
Nous sommes arrivés à un arbitrage -je vous le dis sans détour- qui ne nous agrée pas, mais que nous considérons comme le moins mauvais possible...
M. Christian Mons. - Je vous en ai d'ailleurs rendu hommage dans mon introduction...
M. Jean-Louis Carrère, président. - On est maintenant à la croisée des chemins. La LPM est ce qu'elle est, mais c'est la moins mauvaise déclinaison possible du Livre blanc. Nous nous sommes, dès lors, attelés à son instruction.
On peut, considérant que cette loi comporte trop d'insuffisances, la refuser. On a aussi la possibilité, sachant que l'on peut difficilement infléchir son volume, de la sécuriser au maximum, de travailler sur les ressources exceptionnelles, les OPEX et le contrôle, afin qu'il y ait le moins possible de lissage et de prélèvements momentanés.
J'ai écouté avec grand intérêt toutes les personnes que nous avons auditionnées. On peut se demander si on ne se trompe pas en voulant sécuriser cette LPM. C'est la question que je pose -et que je vous adresse...
M. Christian Mons. - Je ne sais pas y répondre. Vous avez choisi de préserver l'ensemble des programmes ; c'est très bien d'une certaine façon, mais cela présente un risque de sous-criticité de l'ensemble. A force de délayer, on finit par n'avoir que des programmes déliquescents. Les coûts unitaires montent, et la compétitivité globale en pâtit. C'est le choix du père de famille qui préserve tous ses enfants. Ce n'est pas toujours le choix économiquement le plus viable...
M. Jeanny Lorgeoux. - S'il avait fallu faire le choix de la criticité, quels programmes auriez-vous supprimés ?
M. Christian Mons. - Je ne sais pas. Il y a en ce moment beaucoup de débats autour de la composante aérienne nucléaire, etc. C'est une décision politique...
Le choix que vous avez fait s'inscrit dans la continuité ; il essaye de préserver l'ensemble des programmes et l'équipement de l'ensemble des forces.
Le véhicule de l'avant blindé (VAB) a plus de quarante ans de service, et va encore être en service durant une dizaine d'années. Il aura alors un demi-siècle. Pour un camion blindé, c'est très long ! Nos industriels gardent leurs camions trois ans !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Il était quasiment indispensable de tout maintenir. Si on n'avait pas agi ainsi, qu'est-ce qui prouve qu'on n'aurait pas pioché plus encore dans l'armée de terre ?
M. Jeanny Lorgeoux. - Cela dépend aussi de la capacité de ceux qui ont la charge de la mettre en oeuvre de le faire !
M. Christian Mons. - Oui, mais la DGA est très performante en matière d'organisation des programmes, tout comme nos états-majors le sont en matière de définition de besoins.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Un général avec qui j'ai récemment discuté dans les Landes, qui n'est plus en exercice, mais qui a commandé une base stratégique importante, m'a posé la question : pourquoi ne réduit-on pas ou n'abandonne-t-on pas notre effort en matière de dissuasion nucléaire, quitte à avoir un format d'armée de nature différente ?
M. Jeanny Lorgeoux. - J'y faisais allusion !
M. Xavier Pintat. - Il s'agit d'une fausse économie, qui représente 300 millions sur 3 milliards. La composante nucléaire a été refaite à neuf. Elle est composée d'avions multi-rôles. J'ai cru comprendre que certains missiles embarqués dans les sous-marins ne fonctionnaient pas toujours. Il est donc utile d'avoir deux composantes crédibles modulables. En outre, ces économies ne s'appliqueront qu'en 2025 ou 2030... Cela ne solutionne donc pas immédiatement nos problèmes.
Vous avez souligné l'effort particulier en faveur des PME. Je crois qu'il est bon de les aider à se diversifier, même les moins fragiles. Certes, cela concerne la LPM, mais pas seulement. Peut-être y a-t-il des actions à mener à l'échelon européen et régional. Comment les choses se passent-elles ailleurs ?
M. Christian Mons. - En Allemagne, la structure industrielle est différente de celle que l'on trouve en France. Il existe moins de grandes croupes et plus d'ETI. D'autre part, la structuration des grandes industries est assez différente de la structuration française. Elle s'appuie sur les Länder, avec l'aide des Konzern. Les grandes entreprises allemandes vivent avec un tissu de PME qui leur sont attachées, qui font partie de leur territoire et de leur famille. Ces PME ont pour caractéristique de ne pratiquement travailler que pour les groupes auxquels elles sont attachées.
La structuration anglaise est plus proche de la nôtre. Les PME anglaises ont une caractéristique que n'ont pas nos sociétés, le marché américain leur étant pratiquement ouvert. Les entreprises françaises ont beaucoup plus de difficultés à le pénétrer.
M. Daniel Reiner. - Vous représentez les industries de la défense. Nous avons rencontré les représentants et quelques patrons de PME de la défense à l'occasion de cette LPM. Tous se félicitent de ce pacte européen de défense, mais souhaitent que les choses soient mises en oeuvre. Ils souhaitent toutefois savoir comment contrôler ce sujet. Votre organisme a-t-il mis en place un observatoire de la bonne application de cette charte ?
M. Christian Mons. - Non, mais cela fait partie des suggestions à étudier. On a beaucoup de mal à suivre les PME. Nos organisations professionnelles comptent des spécialistes. Je suis président du GICAT, où des permanents s'occupent spécifiquement de suivre les PME. 220 sont adhérentes, ainsi qu'une quinzaine de grands groupes et d'ETI.
Il est très difficile de suivre 200 PME. L'un de mes collaborateurs est chargé d'avoir un contact par an avec chacune d'elles, soit un par jour ouvrable, pour connaître leur état d'esprit, en tirer une synthèse, et être à l'affût des difficultés qu'elles peuvent rencontrer, afin de les aider. On essaie de faire remonter ces informations ; parfois, on réussit à faire en sorte que certaines sociétés soient reprises, fusionnent ou soient absorbées par d'autres. On évite ainsi qu'elles ne disparaissent. Une PME peut disparaître très vite, sans que personne ne s'en émeuve, mis à part le député ou le sénateur.
Les 20 000 emplois dont je parlais se trouvent en grande partie dans les PME. Les grands groupes ont bien souvent des activités duales, qui leur permettent d'équilibrer les charges entre le civil et le militaire, et bénéficient de variables d'ajustement. Les PME, qui sont en bout de chaîne, sont très vulnérables, réparties sur vos territoires, et peuvent disparaître sans qu'on s'en rende compte.
M. Daniel Reiner. - Ma question allait au-delà des emplois. Elle était liée à la relation entre la PME et la grande entreprise. Il y a une relation de sujétion entre l'une et l'autre, qui comporte parfois des excès et, en même temps, l'incapacité pour les PME d'exprimer réellement les choses, craignant en permanence de se voir exclues du système. Nous suggérons donc la mise en place d'une sorte d'observatoire, afin qu'il existe un lieu permettant d'éviter le face-à-face.
M. Christian Mons. - Nous allons suggérer à la DGA ou au ministère de la défense de créer une structure qui permette de suivre ce sujet et de dresser un bilan réel de l'efficacité de l'action.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Votons-nous cette LPM ?
M. Christian Mons. - Je pense que c'est la moins mauvaise que l'on pouvait espérer. Malheureusement, je crois que vous êtes obligés de la voter à peu près en l'état.
M. Jean-Louis Carrère, président. - On va essayer de la sécuriser...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Comment voyez-vous la suite du FAMAS ?
M. Christian Mons. - Cela pourra être une production française, mais probablement sous licence industrielle européenne. On n'a plus de petits calibres en France. Tout a été arrêté, même la fabrication de munitions, depuis que l'usine de Tulle a été fermée. On n'a plus de produits...
M. Jean-Pierre Chevènement. - N'est-ce pas l'occasion de remuscler la production ?
M. Christian Mons. - Je pense qu'il n'y en a pas assez...
M. Jean-Pierre Chevènement. - C'est un choix important, sans qu'on en soit vraiment conscient.
M. Christian Mons. - C'est un choix qui a été arrêté en son temps, en concertation entre l'état-major, la DGA et l'industrie.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Monsieur le président, je vous remercie et vous promets que nous essaierons de prendre en considération l'essentiel de vos observations. Nous en tiendrons compte au moment de notre débat, et lors du vote de la LPM.
Jeudi 3 octobre 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Loi de finances pour 2014 - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
La commission auditionne M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le projet de loi de finances pour 2014.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - L'examen de la loi de programmation militaire et celui de la loi de finances pour 2014 se mêlent en ce moment. Les deux textes sont cohérents. Le cadre financier du projet de loi de finances est conforme à ce que j'avais annoncé dans la loi de programmation militaire : les crédits de la mission défense sont de 31,4 milliards d'euros. Lorsque le Président de la République a reçu dernièrement le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), il a réaffirmé que les crédits défense étaient sanctuarisés, au million d'euros près sur la durée de la programmation. Les ressources exceptionnelles seront, comme prévu, de 1,8 milliard d'euros en 2014 : le programme des investissements d'avenir (PIA) fournira 1,5 milliard d'euros qui iront, via le Centre national d'études spatiales (Cnes) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à la recherche en matière spatiale et de dissuasion ; 200 millions d'euros proviendront de cessions d'emprises foncières ; et le reste, de redevances diverses. Les dépenses de fonctionnement diminueront de 100 millions d'euros, soit 11% des 900 millions d'euros d'économies sur l'ensemble du budget de l'Etat. L'effort de mon ministère est significatif ! Il passe par une réorganisation fonctionnelle destinée à rendre plus efficace l'ensemble de la chaîne de décisions, en particulier en matière de ressources humaines et de finances. Cela nous évitera des perturbations telles que celles générées par Louvois ou dans les bases de défense, dont le fonctionnement a été épinglé par votre rapport. J'ai également été stupéfait de constater que si depuis 2008 les effectifs avaient baissé de 10%, le total des rémunérations avait, lui, augmenté de 3%. Cela ne peut pas continuer ! Je suis contraint à cette réorganisation du fait des dysfonctionnements internes du ministère, afin que le titre II, en particulier, soit bien géré. Si cet effet ciseau se poursuivait, il mettrait à mal le respect de la programmation.
Par ailleurs, le budget 2014 correspond aux premières déflations d'effectifs : il y aura 7 881 emplois en moins. J'ai appliqué une méthode d'écoute attentive, en évitant les coupes aveugles. Une analyse fonctionnelle a été menée pour assurer la cohérence entre services et pour que l'effort porte plus sur l'administration et les soutiens que sur les forces opérationnelles. La défense sera néanmoins le premier recruteur de l'État, avec 17 000 recrutements, dont de nombreux jeunes pas ou peu qualifiés, qui seront formés et pourront ensuite trouver des opportunités à l'intérieur ou à l'extérieur des armées. Les priorités que j'avais indiquées sont respectées : les crédits d'équipement passent de 16 à 16,5 milliards d'euros. Un effort particulier a été fait sur l'entretien programmé des matériels dont les crédits augmentent de 5,5%. Cela est valable également pour les petits équipements et les munitions, qui constituent trop souvent une variable d'ajustement, et dont la pénurie en fin d'année handicape la préparation de nos forces. Les études amont sont maintenues à 750 millions d'euros.
Les discussions sont en cours sur le programme d'acquisition avec les principaux industriels de l'armement, qui doivent adapter leurs cadences et souhaitent une lisibilité sur le calendrier. Cela se passe bien. J'ai lu avec intérêt la déclaration commune dans la presse de sept grands patrons du secteur, qui disent en substance : « Ce sera difficile, mais on y arrivera ». C'est aussi ma conviction.
Les commandes de 2014 portent sur les avions ravitailleurs - enfin ! - et sur les drones MALE, les pods de désignation laser du Rafale, le quatrième sous-marin Barracuda, des véhicules du programme Scorpion. Seront livrés le satellite franco-italien spatial Sicral, une frégate Fremm, quatre hélicoptères Tigre, sept hélicoptères NH90, onze Rafale, quatre A400M, que l'on appelle désormais Atlas.
M. Jacques Gautier. - On aurait préféré « Grizzli », mais les Britanniques ont voulu « Atlas ». Comme le géant qui porte le monde, en hommage à sa capacité de portage...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - La référence grecque me convient ! Seront également livrés soixante missiles de croisière navals (MDCN) et soixante-dix-sept véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI).
Les opérations extérieures (Opex) donnent lieu à une inscription de 450 millions d'euros, au lieu de 630 auparavant. Si cela n'était pas suffisant, cette ligne serait abondée par péréquation interministérielle : c'est une victoire dans les arbitrages. Mais cela ne sera pas nécessaire : en 2014, le désengagement en Afghanistan sera terminé ; on ne sait pas forcément ce qui se passera après 2014 - on ne connaît pas la position américaine sur le sujet - mais on ne reviendra pas aux niveaux que nous avons connus. L'effectif décroît également au Mali : avec un millier d'hommes, on sera loin des 4 500 hommes - et parfois plus - présents au cours de l'intervention en 2013. L'articulation entre les Opex et les forces pré-positionnées en Afrique sera revue : une Opex de longue durée devient une force pré-positionnée... Il s'agira d'améliorer la réactivité des forces de Djibouti à Dakar, avec plus de sites et moins d'hommes sur chacun. Au Mali comme en République centrafricaine, notre bonne répartition des forces nous donne une capacité de réaction très rapide.
La presse a parlé des restructurations, je les détaillerai à la conférence de presse de cet après-midi. J'ai appliqué la méthode que je vous ai déjà exposée sur les 7 881 postes supprimés, en limitant à un tiers les postes des forces opérationnelles, et en répartissant le reste après une analyse fonctionnelle. Même si elles sont toujours dures à vivre, les mesures de dissolution d'unités sont modestes. Elles concernent tout d'abord la dissolution du quatrième régiment de dragons de Carpiagne, à Marseille.
M. Christian Cambon. - Jean-Claude Gaudin est-il content ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Je ne prends pas mes décisions en fonction de ce genre de considérations ; mais oui, il est content, car ce régiment est remplacé par le premier régiment étranger de cavalerie (REC) d'Orange. Comme le but est de supprimer une brigade interarmes sur les huit, il faut bien commencer quelque part : j'ai décidé de commencer par ce régiment de chars, et de déménager le premier REC à Carpiagne, car l'implantation d'Orange aurait nécessité des travaux trop importants pour accueillir les véhicules du programme Scorpion. Ce régiment verra ainsi ses capacités d'entraînement augmentées et il se rapprochera d'Aubagne. Le maire d'Orange est mécontent. Pourtant la base aérienne est maintenue.
Concernant l'armée de l'air, le plus difficile sera la fermeture du détachement de Varennes-sur-Allier, où 209 postes seront supprimés d'ici 2015, dont 93 civils et 116 militaires. Il faut en effet regrouper le stockage dans des sites plus denses. J'ai rencontré longuement les élus de Varennes-sur-Allier ; toutes les mesures d'accompagnement nécessaires seront prises en dépit de faible nombre de civils concernés. Un contrat de redynamisation des sites de défense (CRSD) sera ainsi mis en place, ce qui n'était pas prévu à l'origine.
J'ai également décidé deux suppressions sans fermeture de site : celle de la plate-forme aéronautique, sous-employée, de la base aérienne de Dijon, avec un regroupement à Cazaux de la flotte des Alpha jets, que le maire de Dijon a parfaitement compris ; celle d'un escadron de défense sol-air à Luxeuil, parce que ce système n'est plus nécessaire à cet endroit. Il faut aussi mentionner une réduction des effectifs de la base aérienne d'Évreux et des transferts de Creil, où se situe la direction du renseignement militaire, vers Balard. Dans le cadre de la rationalisation des soutiens, j'ai décidé de dissoudre les états-majors de soutien de la défense, pour fluidifier la gestion des bases de défense. Cela concerne 500 personnes. Précisons une chose : en 2013 comme à l'avenir, j'examine une par une les restructurations que l'on me propose avant l'été. Il ne faut pas écouter les différentes rumeurs : avant ma décision, rien n'est dit. Ainsi, on m'avait proposé la fermeture pure et simple de la base aérienne de Luxeuil : ce ne sera finalement pas le cas.
Je reviens à Varennes-sur-Allier, je veillerai à un accompagnement vigilant pour les personnes concernées qui sont 209 - et non 260 comme le dit Le Monde. Rappelons que 150 millions d'euros sont prévus dans la loi de programmation pour abonder le fonds de restructuration de sites et financer les contrats de revitalisation. Varennes-sur-Allier est un cas difficile, non en raison du nombre, puisque les 116 militaires seront mutés progressivement en 2014 et 2015, et que seuls 93 civils sont concernés, pour lesquels un dispositif social sera mis en place. Le problème est la perte de richesse pour la commune. Lorsque j'étais maire, ma commune a été poly-restructurée : trois fois ! Je sais la difficulté du sujet.
M. Michel Boutant. - Je suis stupéfait par ce vous nous dites sur l'augmentation de la masse salariale qui a accompagné la baisse des effectifs. Avez-vous une explication sur cette situation complètement anormale ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - C'est la faute de tout le monde et de personne. L'organisation interne aboutissait à cette contradiction : recrutements et financement des rémunérations étaient indépendants. C'est ce qui arrive lorsqu'il n'y a pas d'organisation unique. Le patron d'une armée avait naturellement tendance à recruter sans tenir compte de la contrainte globale. C'est pourquoi j'ai donné au secrétariat général pour l'administration (SGA) du ministère, et au directeur des ressources humaines en particulier, la responsabilité globale sur le recrutement et sur le paquet des rémunérations. Des officiers supérieurs en retraite s'en sont offusqués publiquement : « le pouvoir revient aux civils », affirment-ils. Je réponds à cela : à chacun son métier. La réorganisation est le produit d'une quarantaine de réunions menées depuis 2012 pour mettre fin à une irresponsabilité collective, dont Louvois est la dérive extrême, mais qui concernait aussi les bases de défense ou les questions de personnel. Citons par exemple le pourcentage d'officiers, passé de 15,5% en 2008 à 17% après la déflation. Cela ne peut pas rester ainsi.
M. Christian Cambon. - J'aimerais avoir votre éclairage sur deux sujets. D'une part, l'accompagnement de ceux qui quittent le service actif est confié à Défense Mobilité, pour les officiers. Qu'en est-il pour les sous-officiers et les militaires du rang ? Le dispositif d'attribution de pension après passage au grade supérieur n'est-il pas contradictoire avec l'objectif de maîtrise de la masse salariale ? Vous créez des passerelles avec la fonction publique ; existent-elles vers la fonction publique territoriale ? En tant que maire, je n'en ai pas eu connaissance. Nous peinons à recruter : cela pourrait donc être une piste à explorer.
D'autre part, Louvois est une erreur manifeste. Les responsabilités ont-elles été établies ? Quelle orientation prenez-vous pour sortir de cette situation : un progiciel nouveau qui ne pourra être livré avant trois ans, ou une correction de l'actuel ? Le versement indu de plus de 100 millions d'euros aux militaires aura-t-il des conséquences fiscales ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Vous remarquerez que je n'ai jamais polémiqué sur la catastrophe que constitue Louvois. Je sais où il y a eu des manques dans la décision : principalement, on n'a pas expérimenté le nouveau système avant de le mettre en service et avant même de vérifier qu'il fonctionnait bien, on a fait disparaître l'ancien avec toute sa mémoire. C'est invraisemblable, scandaleux et lié à l'irresponsabilité que j'évoquais.
M. Jean-Louis Carrère, président. - On a vendu la voiture avant de recevoir la nouvelle !
M. Alain Gournac. - Le fournisseur a-t-il été payé ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Il n'est pas seul responsable. L'ancien système était pour le moins artisanal. Nous avons pris des mesures transitoires d'urgence pour éviter les perturbations les plus graves, qui le sont de moins en moins.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Et qui sont très consommatrices en personnel !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Oui. J'ai renforcé le centre de Nancy pour l'armée de terre, constitué désormais de 400 personnes ; un autre centre à Toulon traite la marine nationale ; c'est un vrai supplice de Sisyphe, où tout est toujours à recommencer. Je prendrai une décision dans peu de temps sur ce sujet : courant octobre ou au plus tard à la mi-novembre. Il faut maintenant tailler dans le vif. Concernant la fiscalité, instruction a été donnée aux agents de Bercy sur tout le territoire d'examiner chaque cas individuellement. Les intéressés peuvent aussi téléphoner à Rambouillet pour faire le point sur leur situation. Le trop perçu doit en effet être remboursé, mais cela pose aussi des problèmes de fiscalité et de charges sociales.
Mme Michelle Demessine. - C'est épouvantable. Les femmes de militaires, elles, parlent sur les réseaux sociaux !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Elles ont raison. C'est un vrai tsunami. C'est pourquoi nous réorganisons le ministère. Il a failli arriver la même chose, toutes proportions gardées, pour les bases de défense et pour les pensions.
Le plan d'accompagnement des restructurations comprend déjà un certain nombre de mesures. La loi de programmation militaire les chiffre à 1 milliard d'euros. Je suis d'accord avec vous, il n'y a pas suffisamment d'initiatives en lien avec les collectivités territoriales. Le préfet de région pourrait notamment inciter les maires à s'adresser à Défense Mobilité.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Il pourrait interpeler les associations d'élus, plutôt que les maires : ADF, AMF...
M. Christian Cambon. - Certaines associations fonctionnent bien, d'autres moins. Mieux vaut s'adresser directement aux employeurs.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - La pension afférente au grade supérieur ou la promotion fonctionnelle reviennent moins cher. La mise en oeuvre de ces dispositifs suppose toutefois le vote de la loi c'est pourquoi il est indispensable qu'elle soit votée avant le 31 décembre 2013 pour une mise en oeuvre des dispositifs dès 2014.
M. Alain Gournac. - Nous sommes quelques-uns à suivre de près la situation malienne, marquée récemment par l'attentat djihadiste et les combats opposant les Touaregs à l'armée malienne. Le président de la République et vous-même avez rencontré le président malien. Votre vision de la situation en a-t-elle été modifiée ? Vous prévoyez d'abaisser à 1 000 nos effectifs sur place : n'est-ce pas trop tôt ?
Le maire d'Orange dit avoir appris par la presse la décision de restructuration concernant son régiment. Les commerçants de la ville sont affolés : vous devriez vous adressez à eux également, et non aux seuls soldats.
Je suis également favorable à une meilleure coopération avec les collectivités territoriales. Les possibilités de recrutement existent. Ma police municipale est composée pour partie d'anciens gendarmes. D'autres postes pourraient aussi intéresser les militaires.
M. André Dulait. - Vous parlez d'une dotation de 150 millions d'euros au fonds de restructuration. Or les 150 derniers millions du fonds précédent n'ont pas tous été consommés. Dans les collectivités locales, nous avons constaté des difficultés...
M. Gilbert Roger. - Nous sommes engagés dans une course contre la montre pour demeurer dans le cadre financier fixé. Dans le passé, le nombre de jours d'entraînement de l'armée de terre était de 90, il est tombé à 83 cette année et la loi de finances initiale pour 2014 en prévoit également 83 : il en manque au moins 7 ! Ensuite, où trouverez-vous les 100 millions d'euros d'économies prévus en 2014, et 600 millions d'économies prévues sur six ans, sur une assiette totale de 3,5 milliards de fonctionnement par an ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Dans la perspective des élections législatives qui se termineront mi-décembre, nous maintenons au Mali 2 500 hommes, et nous n'engagerons qu'ensuite la baisse, pour atteindre 1 000 en début d'année prochaine.
Al-Qaida au Maghreb islamique a repris ses initiatives. Nos forces spéciales ont dû intervenir à Tombouctou il y a deux jours, ce qui a causé la mort de plusieurs terroristes. Le danger est toujours présent, surtout celui que font planer les Touaregs sur l'armée malienne. Le président Keïta a pris hier des initiatives visant à mater la rébellion à Kati, où demeure le général Sanogo, plus exactement le capitaine Sanogo auto-promu général quatre étoiles.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Encore un problème de masse salariale en perspective...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Il était indispensable que le président malien revienne rapidement de son voyage aux Nations-Unies et à Paris, afin d'affirmer l'autorité légitime qu'il représente. Le processus de réconciliation doit s'engager. Des annonces ont été faites : assises du Nord, réforme de décentralisation. Il serait souhaitable que ces actions soient conduites rapidement. Nous restons prudents. La mission des Nations-Unies au Mali (Minusma) poursuivra son déploiement au Nord. J'ai dit mon sentiment au représentant des Nations-Unies à Bamako il y a dix jours : les choses ne vont pas assez vite.
Le préfet du Vaucluse a rencontré le maire d'Orange. Le ministre ne peut appeler tout le monde personnellement.
Monsieur Dulait, les crédits du précédent fonds ont été consommés, quoique tardivement. Varennes-sur-Allier est un cas d'école, et nous ferons en sorte que la mobilisation des financements soit la plus rapide possible. En plus de 150 millions d'euros du fonds, les entreprises bénéficieront d'un dispositif d'incitation fiscale et sociale et pourront compter sur la mobilisation de la Banque publique d'investissement. Les préfets orchestreront ces dispositifs en vue de la signature, pour les zones les plus touchées par les suppressions d'effectifs, de contrats de redynamisation de site.
La norme d'entraînement de l'armée de terre chute continuellement depuis de nombreuses années. Cette tendance doit cesser. Une augmentation des crédits de l'EPM tous milieux de 5,5% permettra précisément de maintenir cette norme à 83 jours en 2014 comme en 2015, avant de l'augmenter effectivement.
Les 100 millions d'euros d'économie ne concernent que l'année 2014, il n'est pas décidé de les reconduire.
M. Jean-Marie Bockel. - Monsieur le ministre, merci pour les précisions que vous avez apportées concernant la loi de finances pour 2014. Mais quelles bonnes raisons pouvez-vous nous donner de ne pas voter contre la loi de programmation militaire ? Non que j'aie l'intention de m'y opposer, mais vous avez sans doute des arguments politiques qui emporteront notre adhésion définitive. En outre, nous avons auditionné les responsables de l'ensemble de nos forces : ceux de la marine et l'aviation se veulent rassurants, en revanche, au sein de l'armée de terre, l'inquiétude est encore palpable.
J'attire votre attention sur la situation en Centrafrique, qui se dégrade rapidement. Je sais que le gouvernement y est attentif. Comment voyez-vous les choses à ce stade ?
En tant que maire, j'ai fait l'expérience de l'embauche de cadres militaires. Réserviste jusqu'au printemps dernier de la brigade franco-allemande, je n'y allais pas à reculons. Mais de fait, la greffe n'a pas pris. La compétence des militaires n'est nullement en cause : ils sont motivés, et les collectivités sont prêtes à les accueillir. Mais sans doute par manque de préparation, de transition, l'expérience n'a pas été concluante.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Une précision sur notre méthode de travail : je porterai seul une partie des amendements de la commission, avec toutefois nos rapporteurs pour avis sur le budget de la défense, pour ceux qui le souhaiteront. Ils représentent déjà la diversité politique. Introduire les groupes dans ce processus serait source de confusion.
L'Assemblée nationale et le Sénat fonctionnent parfois différemment. Pour notre part, nous étions opposés à la procédure d'urgence sur la loi de programmation militaire. Le débat a certes eu lieu, ici comme à l'Assemblée nationale. Nos collègues députés la souhaitent. Et ici, l'on m'a bien fait comprendre qu'en refusant l'urgence, je mettrais à mal la première année d'exécution de la loi de programmation. Je ne suis pas un perdreau de l'année, je sais qu'il y a plusieurs hypothèses. L'urgence en est une, que mes collègues avaient dénoncée la dernière fois, et qu'ils réclament aujourd'hui... Une autre serait que l'Assemblée nationale examine le texte bien avant le 13 décembre, afin que la procédure ordinaire se déroule sans retarder l'application de la loi. Notre commission est favorable à cette seconde solution.
Et pourtant, je vois bien que l'édifice bâti par la loi est tout d'équilibre et qu'il ne faut pas le déstabiliser.
M. Jean-Claude Requier. - La loi de programmation militaire prévoit 6 milliards d'euros de ressources exceptionnelles. Lesquelles seront mobilisés dans la loi de finances pour 2014 ?
Mme Michelle Demessine. - Ce texte n'est pas exempt de paradoxes : d'une part, entre le maintien des capacités militaires et la suppression de 54 000 emplois ; d'autre part, entre cette suppression et l'augmentation de 3% de la masse salariale. Les chefs d'état-major que nous avons auditionnés n'ont pas été en mesure de nous éclairer. Vis-à-vis du grand public, il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie...
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je veux défendre les officiers en retraite, qui ont à coeur, tout autant que nous tous, de défendre nos intérêts et le rayonnement de la France. Il faut les écouter et les respecter.
Je m'interroge sur l'avenir du 3e régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Carcassonne. Il a été dit qu'il ne serait pas être fermé en 2014 - sans doute car le maire de la ville est de votre bord politique. Mais j'y insiste, c'est un régiment d'élite, dont 477 membres sont morts pour la France au cours des dernières décennies. Nous devrions tout faire pour éviter sa fermeture.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - J'ai répondu aux officiers en retraite qui ont eu le courage de signer leurs propos. Quant aux lettres anonymes, je n'y donne jamais suite. Le dispositif antérieur ne fonctionnait pas. Les chefs d'état-major ne savent pas vous éclairer : c'est un signe ! Lorsque celui qui décide n'est pas aussi celui qui paye, personne n'est responsable de rien. Le secrétaire général pour l'administration exerce à présent une autorité fonctionnelle renforcée en matière financière et de ressources humaines, mais il ne s'agit nullement de faire noter les soldats par l'administration civile du ministère. Si nous avions appliqué ces principes de saine gestion plus tôt, nous n'aurions pas connu la catastrophe Louvois.
Madame Garriaud-Maylam, nos choix ne sont aucunement fonction des appartenances politiques.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Prenez Dijon !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - A Dijon, comme à Varennes-sur-Allier ou Luxeuil-les-Bains, nous avons décidé en toute objectivité et dans le souci de préserver la cohérence de notre carte militaire. Nous prendrons les décisions relatives à la prochaine tranche de restructurations l'année prochaine à la même période. Celle relative au 3e RPIMa n'a donc pas été prise, ni celle relative à Castelnaudary. Lorsqu'elles le seront, nous préviendrons bien entendu les collectivités concernées.
Monsieur Bockel, la loi de programmation militaire ne doit pas être un objet d'affrontement partisan. Il y va des intérêts de la nation et de la sécurité du pays. Je ne l'ai, moi-même, jamais abordée sous l'angle partisan. La question qu'il faut se poser est celle-ci : les missions relatives à la sécurité de notre pays sont-elles bien remplies ? Qu'il s'agisse de protection du territoire, de capacité d'intervention ou de dissuasion, la réponse est oui. Les contrats opérationnels passés avec nos forces le confirment. Ajoutez à cela que nos moyens sont sanctuarisés, et que nous sommes le seul pays en Europe, Russie exclue, à y être parvenus.
Certes, il y a une contradiction apparente à sanctuariser les crédits et inscrire une déflation des effectifs. Celle-ci n'est cependant que de 23 400 postes, contre 54 000 dans la précédente loi de programmation, que je continue à gérer...
Mme Michelle Demessine. - Il reste 10 000 suppressions de postes à concrétiser.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - La nouvelle programmation présente toutefois des éléments nouveaux. Si les effectifs étaient demeurés élevés, nous n'aurions pas pu augmenter les crédits d'équipement, créer plus de 1 000 postes dans les forces spéciales ni 400 dans la cyberdéfense. Enfin, l'administration centrale doit perdre du poids.
Le Conseil de sécurité des Nations unies examinera prochainement une résolution destinée à transformer la mission internationale de soutien à la Centrafrique en opération de maintien de la paix, ce qui garantira notamment sa couverture financière. Nous y sommes favorables, mais au sein du Conseil, le Royaume-Uni s'y oppose. Le blocage devrait être levé, et une fois la résolution votée, nous soutiendrons cette opération. Il faudra alors davantage que les 450 hommes dont nous disposons sur place.
À la différence du Mali, l'intervention en Centrafrique s'apparente davantage à de la police intérieure. L'État n'existe plus, il est ravagé par des bandes rivales de brigands. La situation humanitaire est catastrophique. Seul l'aéroport où stationnent nos forces est encore debout, tout le reste est un capharnaüm. Heureusement nous n'avons presque plus de ressortissants sur place. Il ne faut pas tarder. La fragilisation du centre du continent africain faciliterait la pénétration de groupes djihadistes.
Les ressources exceptionnelles s'élèvent à 1,8 milliard d'euros, dont 1,5 milliard provenant du PIA, 200 millions de ressources immobilières, et le reste de la vente des fréquences 4G.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous déposerons un amendement pour sécuriser ces crédits.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - S'agissant de la procédure législative, la meilleure solution reste peut-être d'avancer l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Le Premier ministre n'a pas rendu sa décision sur ce point. Si l'urgence était déclarée, cependant, le débat n'en perdrait guère de substance : il a déjà largement lieu dans cette commission comme dans celle de l'Assemblée nationale. Et soyons conscients que, si nous n'examinons pas en urgence le projet de loi, l'exécution pour 2014 sera menacée.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Surtout qu'il est prévu de revenir à l'Assemblée nationale à partir du 13 février...
M. Christian Cambon. - Nous partageons vos observations sur la qualité des forces de défense françaises, et nous ne souhaitons pas polémiquer. Notre inquiétude porte sur la répartition des crédits. La précédente loi de programmation a été un échec, nous en convenons. Regardez la loi de programmation de la politique de coopération : on entend de nouveaux objectifs à tout propos, puis chaque nouvelle difficulté ampute les crédits qu'on se proposait d'y inscrire. Entre les gels, les reports, les glissements, quelles garanties avons-nous que cette programmation sera respectée ? Peut-être conviendrait-il de diminuer les objectifs pour s'assurer de les tenir. S'engager sur des théâtres d'opération comme nous prévoyons de le faire coûte cher.
Nous sommes opposés à la procédure d'urgence, car tous les textes y sont soumis. Je le vois en conférence des présidents : le ministre chargé des relations avec le Parlement y fait ce qu'il veut, il impose l'urgence à tout bout de champ. La responsabilité du gouvernement dans cet état de fait est claire !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Le ministre chargé des relations avec le Parlement vient d'un département que je connais bien. Il me semble possible de trouver un compromis.
Le budget de la défense ne doit pas opposer une majorité et une opposition. Lorsque nous en sommes saisis, nous essayons de nous mettre dans la position du décideur : aurions-nous pu faire mieux ? C'est ainsi que nous avons accepté les précédents budgets. Il ne s'agit pas de gommer nos différences - elles font notre charme à la française - mais de faire prévaloir l'intérêt général, à plus forte raison en période de crise. Ce n'est pas un consensus mou, c'est un consensus fort.
Les amendements que nous déposerons auront pour but de garantir la bonne exécution de la loi de programmation : ainsi du pouvoir donné aux rapporteurs spéciaux d'exercer un contrôle sur place et sur pièces. Il s'agit de s'assurer que le ministère n'est pas dépossédé en cours de route des moyens d'assurer ses missions.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Les décisions du conseil de défense engagent le président de la République. Les dépenses de défense sont sanctuarisées, je le répète, car le président de la république l'a redit lundi 30 septembre devant les membres des CFM, « au million d'euros près ». Il y a une obligation de résultats pour les 6,1 milliards d'euros sur la durée de la programmation. En 2013 et 2014, nous étions au rendez-vous. A nouveau, l'édifice est équilibré : lui enlever une pierre le ferait tomber.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous remercie.
Ratification du traité sur le commerce des armes - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Daniel Reiner et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 837 (2012-2013) autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes.
M. Daniel Reiner, rapporteur. - Le 2 avril 2013, l'Assemblée générale des Nations unies a, à une très large majorité, adopté le traité sur le commerce des armes : 155 voix pour, 3 voix contre (Syrie, Corée du Nord et Iran), 22 abstentions et 13 pays n'ayant pas pris part au vote. La France l'a signé le 3 juin dernier et il est aujourd'hui soumis à l'approbation sénatoriale.
Je vous rappelle que notre commission travaille depuis longtemps sur ce sujet, nous avons ici même auditionné deux fois notre ambassadeur, M. Simon-Michel, et nous sommes très vigilants sur les exportations d'armements. Nous nous réjouissons donc que ce texte de ratification ait été si rapidement déposé sur le bureau de notre assemblée.
Je ne reviens pas sur la place de la France dans le commerce des armements, vous trouverez toutes les informations dans mon rapport et dans le rapport au Parlement sur les exportations de la France, présenté mi-septembre. Je vais principalement m'attacher à vous présenter ici le contenu du TCA.
Pour commencer, je voudrais faire un rapide rappel de la genèse du TCA. Dès la fin des années 1990, des ONG se positionnent en demandant un instrument universel de régulation du commerce des armes. En parallèle, en 1997, l'ancien Président du Costa-Rica et prix Nobel de la paix, Oscar Arias, accompagné de sept autres prix Nobel, lance un appel pour un code international de conduite juridiquement contraignant sur les transferts d'armes. Au début des années 2000, un collectif d'ONG, « contrôlez les armes » se crée afin de promouvoir la création de cet instrument.
Le Royaume-Uni est le premier des États membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU à soutenir ce projet et est rapidement suivi de l'ensemble des États membres de l'Union européenne, au premier rang desquels la France.
L'année 2009 marque un tournant, puisque les Etats-Unis se joignent au soutien au TCA. 153 États membres des Nations unies votent, la même année, pour la mise en place d'un processus officiel qui inclut cinq réunions d'un Comité préparatoire en vue de la conférence de négociations sur le TCA.
Celle-ci se déroule en juillet 2012 mais n'aboutit finalement pas à l'adoption du Traité. En effet, certains pays, au premier rang desquels les États-Unis, souhaitent un délai supplémentaire afin de parfaire la rédaction du Traité.
Une nouvelle conférence diplomatique est alors convoquée en mars 2013, qui se conclut sur la signature du Traité le 2 avril. Parmi les pays abstentionnistes, on trouve la Chine, qui s'est abstenue pour une question de procédure : le contournement de la règle du consensus. La Russie, l'Inde, et certains pays arabes ont, quant à eux, également opté pour l'abstention, mais en raison du contenu même du traité : ils estimaient en effet que le TCA, tel que soumis au vote, comportait trop de lacunes et ne prenait pas assez en compte certaines préoccupations, en particulier des importateurs.
Ce texte est un évènement majeur : les États signataires s'accordent sur la création d'une norme internationale visant à encadrer le commerce légal des armes et à prévenir le commerce illicite. Les ONG auraient voulu un texte plus contraignant, mais dans ce cas il n'aurait vraisemblablement pas été adopté.
Le champ d'application du traité est visé à l'article 2. Ainsi, les armes classiques entrant dans le champ d'application sont les chars de combat, véhicules blindés de combat, systèmes d'artillerie de gros calibre, avions de combat, hélicoptères de combat, navires de guerre, missiles et lanceurs de missiles, armes légères et armes de petit calibre. Les dispositions des articles 6 et 7 s'appliquent également aux munitions et pièces et composants. Elles ne s'appliquent pas, en revanche, aux armes dédiées au maintien de l'ordre (matraques, ...). Les activités, quant à elles, regroupent l'exportation, l'importation, le transit, le transbordement, et le courtage. Elles n'englobent pas le transport international par un État partie ou pour son compte d'armes destinées à son propre usage. Les activités non explicitement commerciales, comme les dons, cessions et prêts d'armes, ne sont pas couvertes par le champ d'application du TCA. Il s'agit là d'une lacune que soulèvent certaines ONG, arguant qu'ainsi, une grande partie des opérations échappent à cette vigilance.
Le point central du Traité est la consécration du droit international humanitaire, qui devient le critère à respecter dans l'évaluation d'une demande d'exportation. Ainsi, l'article 6 prohibe toute exportation d'armement, armes classiques, munitions, pièces et composants, lorsque l'exportation :
- violerait les obligations de l'État exportateur au regard des mesures prises par le Conseil de sécurité des Nations unies. C'est le cas, notamment, des mesures d'embargos sur les armes ;
- violerait les obligations internationales résultant des accords auxquels l'État exportateur est partie, notamment concernant le transfert et trafic illicite d'armes classiques ;
- permettrait la commission de génocides, crimes contre l'humanité, attaques contre des civils, crimes de guerre, et violations graves des conventions de Genève.
Néanmoins, l'application reste difficile, comme l'indiquait la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans son avis sur l'avant-projet de TCA en date du 21 février 2013 : comment prouver l'intention d'un État de commettre un génocide, par exemple ?
L'article 7 considère que, pour toute demande d'exportation n'entrant pas dans le champ des exclusions de fait, l'État exportateur doit procéder à une évaluation objective, non discriminatoire, mais la plus complète possible, de l'utilisation de ces armes. L'État receveur de la demande doit en particulier estimer si une exportation d'armes porterait atteinte à la paix et à la sécurité, et pourrait servir à :
- commettre une violation grave au droit international humanitaire ou au droit international des droits de l'homme, ou en faciliter la commission ;
- commettre une infraction, ou en faciliter la commission, au regard des conventions ou protocoles internationaux relatifs au terrorisme ou à la criminalité transnationale auxquels l'État exportateur est partie ;
- commettre ou faciliter la commission d'actes graves de violence fondés sur le sexe, ou contre les femmes et les enfants.
S'il s'avère que c'est le cas, alors l'État doit chercher à atténuer les risques possibles. In fine, s'il considère qu'il existe un risque prépondérant de commission des actes précités, il ne doit pas autoriser l'exportation. Enfin, toute autorisation peut être réexaminée s'il est avéré que de nouvelles informations sont portées à la connaissance de l'État exportateur.
Cet article, en posant explicitement le principe du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme, les place au coeur du dispositif d'évaluation. Si nous ne pouvons que nous en réjouir, les termes employés, néanmoins, laissent perplexes.
Il en est ainsi de l'adjectif « prépondérant », qui suscite des controverses. La procédure même d'évaluation des risques, par étape, se conclut sur l'expression de « risque prépondérant », qui doit empêcher l'exportation. Or, la notion de risque prépondérant, en droit international, n'existe pas. Certains États, comme la Nouvelle-Zélande, pour clarifier cette terminologie, ont déclaré qu'ils l'interprèteraient comme étant un risque substantiel. Il conviendra, pour ne pas porter préjudice au Traité et pour éviter des mises en oeuvre différentes entre les États, que l'interprétation soit clarifiée et harmonisée. Également, quid des mesures d'atténuation des risques possibles ? Elles ne sont pas explicitement énoncées, si ce n'est des « mesures de confiance ou des programmes élaborés et arrêtés conjointement par les États exportateurs et importateurs » ...
Autre règle essentielle : la transparence. Ainsi, les États Parties doivent fournir, dans un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur, un rapport initial détaillé précisant les mesures qu'ils ont prises pour sa mise en oeuvre. De même les États rendent compte des mesures jugées efficaces pour lutter contre le détournement des armes classiques. Ils ont également l'obligation de fournir un rapport annuel concernant les importations et exportations d'armes classiques.
Enfin, sont également prévues par le traité des mesures d'assistance et coopération entre États-Parties dans la mise en oeuvre du Traité, la possibilité d'amendement du TCA lorsqu'il sera entré en vigueur, ou encore la création de structures chargées de sa mise en oeuvre (un secrétariat dédié ainsi qu'une conférence des États-parties).
L'intégration en droit interne ne posera aucun problème. En effet, le droit européen et le droit français étant déjà très avancés en matière de législation sur le commerce des armes, le présent traité s'intègrera de façon fluide, d'autant plus que le champ d'application de la Position commune, qui couvre l'ensemble des équipements militaires de la liste commune de l'Union européenne, est plus vaste que les catégories couvertes par les articles 2, 3 et 4 du TCA. De même, les interdictions et critères d'évaluation des exportations, prévus dans les articles 6 et 7, sont eux-aussi couverts par la Position Commune.
Également, en matière de transparence, le TCA prévoit la rédaction de rapports, or, la France, par son rapport annuel au Parlement sur les exportations d'armements, met déjà en oeuvre cette transparence.
De même, concernant nos accords, le droit français intégrant par définition, et de façon plus étroite, les avancées du traité, les autorisations en cours ont d'ores et déjà été accordées à l'aune des critères du TCA. Il va donc de soi que celui-ci n'aura aucun impact sur les engagements de la France, en matière de fourniture de matériels de défense, ou de coopération dans le domaine de la défense avec nos pays partenaires.
Désormais, la ratification revêt une importance majeure : la France avait fait de l'adoption du TCA une de ses priorités, l'enjeu est désormais son universalisation afin que les principaux acteurs du commerce des armes adhèrent au traité. Rappelons que les ¾ des exportations d'armement sont effectuées par les membres permanents du Conseil de sécurité et Israël.
50 ratifications sont nécessaires pour que le TCA entre en vigueur. À ce jour, 113 pays l'ont signé et 7 l'ont ratifié. Notons que les États-Unis l'ont signé le 25 septembre.
Mes Chers collègues, soyons honnêtes, ce traité n'est pas parfait, il contient quelques lacunes ou failles dans sa rédaction : j'ai évoqué la question du risque prépondérant, on peut également citer l'article 26, qui, selon les ONG, est une des failles du texte : en vertu de celui-ci, l'application du traité ne porte pas atteinte aux obligations souscrites par les États parties en vertu d'accords internationaux, actuels ou futurs, auxquels ils sont parties, pour autant que ces obligations soient compatibles avec le traité. Les ONG nous ont fait part de leurs craintes que cette disposition ne provoque une lecture dérogatoire du Traité, qui se trouverait placé au second plan. Pour ma part, j'encourage notre pays à appliquer le TCA de la façon la plus vertueuse possible afin qu'il ne soit pas vidé de son sens.
Malgré ces imperfections, un texte améliorable est toujours préférable à un texte inexistant!
Rappelons que selon les données recueillies auprès d'Amnesty International, chaque minute, 1 personne est tuée par arme dans le monde, et 15 sont blessées ; 80% des victimes des conflits armés sont des civils ; et 875 millions d'armes à feu sont en libre-circulation dans le monde.
Ce sera tout à l'honneur de la France que de ratifier dans les premiers le TCA.
C'est pourquoi je vous recommande d'adopter ce projet de loi qui fera l'objet d'un examen selon la procédure normale en séance publique le 08 octobre.
M. André Vallini. - Quelles sont les modalités d'amendement du texte ?
M. Daniel Reiner, rapporteur. - La possibilité d'amendement est ouverte 6 ans après l'entrée en vigueur du texte. Les modalités sont prévues à l'article 20 du Traité.
Mme Kalliopi Ango Ela. - Comment mesurer la bonne application du Traité ? Quant à sa mise en oeuvre, aura-t-elle des effets sur des mesures comme les embargos ?
M. Daniel Reiner, rapporteur.- Le Traité ne prévoit pas de mesure de coercition. Néanmoins on peut supposer que si un Etat ratifie le Traité, c'est qu'il compte respecter ses engagements. De plus, la Conférence des Etats-parties et les ONG veilleront.
Concernant les embargos, ils ne seront pas amoindris du fait de l'article 6, qui prohibe toute exportation qui violerait les obligations de l'État exportateur au regard des mesures prises par le Conseil de sécurité des Nations unies, notamment les embargos.
Mme Michelle Demessine. - Il est important que la France soit fournisseur de sécurité collective plutôt que marchand de canon ! Néanmoins les ONG se posent des questions sur la traçabilité et la transparence des exportations. Ne serait-il pas judicieux d'opérer un contrôle parlementaire plus effectif, a posteriori, en s'inspirant de l'exemple de nos voisins ?
M. Daniel Reiner, rapporteur.- Les procédures ont déjà été améliorées en la matière, puisque désormais le Ministre de la défense présente lui-même le rapport au Parlement sur les exportations d'armements. Mais vous avez raison, un contrôle accru est préférable ... à condition que les Parlementaires utilisent cette possibilité.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi à l'unanimité et propose qu'il fasse l'objet d'une procédure normale en séance publique.