Mercredi 19 juin 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles et modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaire et les professionnels de santé - Table ronde
Mme Annie David, présidente. - Le décret de convocation du Parlement en session extraordinaire prévoit l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi relative au fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles et aux modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaire et les professionnels de santé. Déposée par notre collègue député Bruno Le Roux et l'ensemble du groupe socialiste, elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 28 novembre dernier. Son examen en séance publique au Sénat est envisagé le mercredi 24 juillet.
Le rapporteur de la proposition de loi, Yves Daudigny, qui est aussi notre rapporteur général, organise dans les jours à venir plusieurs auditions, notamment avec les organisations représentatives des professionnels de santé concernés par le texte, auditions auxquelles l'ensemble des membres de la commission sont conviés.
Afin de comprendre en quoi consistent les réseaux de soins, les principes qui les guident et les appréciations qu'ils appellent, tant du point de vue du cadre actuel que de celui envisagé par la proposition de loi, nous recevons aujourd'hui les principaux acteurs de la protection sociale complémentaire :
- pour les institutions de prévoyance, Mme Evelyne Guillet, directrice santé du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), MM. Laurent Borella, directeur santé chez Malakoff Mederic, Stephan Reuge, directeur institutionnel et stratégique Prévoyance et assurance chez Pro-BTP, et Mme Miriana Clerc, directrice communication et relations extérieures du CTIP ;
- pour le secteur des assurances, M. Alain Rouché, directeur Santé de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) et Mme Marianne Binst, directrice générale de Santéclair, accompagnés de Mmes Cécile Malguid, chargée d'étude santé, et Viviana Mitrache, attachée parlementaire ;
- pour la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), MM. Jean-Martin Cohen Solal, délégué général, Christophe Lafond, délégué national de la MGEN, et Stéphane Junique, président d'Harmonie Services Mutualistes, accompagnés de Mmes Isabelle Millet-Caurier, directrice des affaires publiques et Ingrid Jeanson, chargée de mission ;
- pour la Fédération nationale indépendante des mutuelles (FNIM) enfin, M. Philippe Mixe, président, et Mme Nicole Colonna de Leca, vice-présidente et directrice de la Mutuelle des médecins.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Merci d'avoir pris l'initiative de réunir les trois familles d'organismes complémentaires, qui financent 13,7 % des dépenses de santé, pendant que la sécurité sociale continue d'en couvrir - je le rappelle - 75,5 %.
Leur actualité est chargée : d'une part, l'accord national interprofessionnel du 11 janvier et la loi du 14 juin relative à la sécurisation de l'emploi prévoient la généralisation, au plus tard en 2016, d'une complémentaire santé collective dans chaque entreprise. Les conséquences de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur ce point restent à évaluer, notamment en ce qui concerne la prévoyance, mais elle n'enlève rien à l'objectif ; d'autre part, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie poursuit ses travaux à la demande du Gouvernement sur l'engagement du Président de la République visant à faire bénéficier l'ensemble des Français d'une complémentaire santé de qualité d'ici à 2017.
La proposition de loi dont nous débattons ce matin ne porte pas sur l'opportunité de créer des réseaux de soins : ils existent déjà. Elle entend en revanche remédier aux difficultés qu'ils posent : d'une part, la Cour de cassation a estimé que la création et la participation à un réseau de soins n'étaient ouvertes qu'aux organismes de prévoyance et sociétés d'assurances, à l'exclusion des mutuelles ; d'autre part, aucun texte ne les encadre.
Dans sa version adoptée par l'Assemblée nationale, le texte autorise l'ensemble des organismes complémentaires à moduler les prestations versées à leurs adhérents. Cette modulation est rendue possible par des conventions les liant aux professionnels de santé et fondées sur les principes suivants : liberté de choix du praticien par le patient, sélection des professionnels selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires, absence de clause d'exclusivité, non remise en cause des tarifs médicaux de la sécurité sociale, information complète des adhérents.
Nous souhaitons obtenir des précisions sur les modalités de fonctionnement des réseaux existants, notamment sur les conditions de conventionnement avec les professionnels de santé et leurs conséquences, et bien sûr connaître votre avis sur ce texte.
M. Jean-Martin Cohen Solal, délégué général de la Fédération nationale de la mutualité française. - Merci de votre invitation pour discuter de ce texte important. Nous nous étonnons de l'émoi qu'il a suscité, car il répond à une demande exprimée par plusieurs instances publiques : la Cour des comptes, l'Inspection générale des finances (IGF), l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Autorité de la concurrence ont toutes plaidé pour l'ouverture à tous les organismes complémentaires de la possibilité de constituer des réseaux de soins.
La Cour de cassation a récemment jugé que la rédaction de l'article L. 112-1 du code de la mutualité ne permettait pas aux mutuelles de différencier le remboursement accordé à leurs adhérents selon qu'ils s'adressent ou non à un réseau de soins qu'elles ont constitué. Le code des assurances et celui de la sécurité sociale étant muets sur ce point, la modification du code de la mutualité a alors été demandée afin de mettre tous les professionnels sur un pied d'égalité, de leur offrir la possibilité de réguler leurs dépenses, ainsi que de limiter les risques contentieux. Le problème se pose principalement en matière de soins optiques, qui ne sont remboursés par la sécurité sociale qu'à hauteur de 4 %, et de soins dentaires, dont moins du tiers est pris en charge.
La mutualité française regroupe 95 % des adhérents mutualistes et près de 2 500 établissements de soins. Nous soutenons cette proposition de loi, car nous pensons que le réseau de soins est un système gagnant-gagnant : le professionnel s'engage sur la qualité de la prestation dispensée et le tarif consenti, et l'adhérent voit son remboursement bonifié. En négociant pour le compte de leurs adhérents avec les professionnels, les organismes complémentaires pallient l'asymétrie d'information dont ils sont victimes, et qui les conduit souvent à renoncer à se soigner. La FNMF est d'ailleurs la première à regretter que la sécurité sociale ne rembourse pas davantage les soins dentaires, optiques ou auditifs.
Les réseaux de soins d'Harmonie et de la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) existent depuis des années et fonctionnent bien. Les adhérents et les professionnels en sont pleinement satisfaits. Nous sommes tout à fait désireux de mieux encadrer le secteur, au seul bénéfice de l'intérêt général.
M. Alain Rouché, directeur Santé de la Fédération française des sociétés d'assurances. - Nous défendons fermement l'égalité de traitement des trois familles d'organismes complémentaires. En outre, il est nécessaire de conforter les réseaux de soins dont l'efficacité a été démontrée dans leurs principaux domaines d'intervention : soins optiques, dentaires et audioprothèses. Tous les acteurs publics qui ont étudié la question - IGF, Igas, Cour des comptes, Autorité de la concurrence - reconnaissent qu'ils contribuent à améliorer l'accès aux soins. De plus, une enquête de l'institut CSA a révélé que 67 % des usagers conditionnaient le choix de leur organisme complémentaire à l'existence d'un réseau de soins.
Cette efficacité reconnue, il faut la renforcer : améliorer le rapport qualité prix des prestations fournies et diminuer le reste à charge des adhérents. En tant qu'assureur de poids, lié par d'importants contrats collectifs, nous avons mené nos propres études : en matière de soins optiques, le reste à charge est nul dans 30 % des cas en dehors du réseau de soins, mais dans 86 % des cas lorsque l'adhérent s'adresse à un professionnel qui en fait partie.
L'efficacité passe enfin par un accès facilité aux données de santé : nous avons besoin de savoir ce qui est remboursé. Or, il reste par exemple des obstacles à l'accès aux données de classification des actes médico-dentaires, que les négociations avec les syndicats n'ont pas encore permis de lever.
Le texte voté par l'Assemblée nationale va dans le bon sens.
Mme Evelyne Guillet, directrice santé du Centre technique des institutions de prévoyance. - Cette proposition de loi défend l'égalité de traitement : nous la soutenons.
L'important, c'est de conforter le rôle des réseaux de soins. Ceux-ci facilitent l'accès aux soins, diminuent le reste à charge des adhérents à prestation équivalente et offrent un accompagnement aux usagers dans leurs démarches de soins. Ils ont vocation à rendre plus lisibles certains marchés, sur lesquels l'absence de régulation provoque des distorsions de prix significatives entre les prestations semblables, et donc à éclairer le choix des assurés. Ils contribuent enfin à éradiquer les pratiques consistant à ajuster les prix pratiqués en fonction des garanties proposées.
Qualité et traçabilité relèvent certes des autorités sanitaires et constituent un chantier prioritaire de la stratégie nationale de santé lancée par les pouvoirs publics. Nous observons simplement que tous les réseaux mis en place ont contribué à les améliorer.
M. Philippe Mixe, président de la Fédération nationale indépendante des mutuelles. - Je veux d'abord rappeler le combat constant et déterminé de la fédération que je représente contre les clauses de désignation, ainsi que son rôle essentiel, en tant que membre de l'Association pour la promotion de l'assurance collective (Apac), dans la saisine de l'Autorité de la concurrence qui a servi de base à l'excellente décision du Conseil constitutionnel de la semaine dernière, que toutes les mutuelles applaudissent.
Avant les bouleversements de ces dernières années, il existait au sein du monde mutualiste ce qui constituait à mes yeux de véritables réseaux de soins : nos structures pouvaient disposer en leur sein de centres optiques ou auditifs. Nos mutuelles de proximité délivraient alors de véritables services sociaux. La scission exigée par le droit européen entre les activités commerciales et assurantielles - les premières régies par le livre II du code de la mutualité et les secondes par son livre III - a contraint nos structures à l'équilibre, sinon à la rentabilité. Je regrette cette évolution, à l'origine de l'inégalité constatée désormais entre les assurances et les instituts de prévoyance d'une part, et les mutuelles d'autre part.
Il est légitime que les mutuelles mettent en place des réseaux de soins, mais ce faisant, elles ne font que pallier les insuffisances des pouvoirs publics, à qui il incombe en principe de réguler le secteur. Au passage, les soins optiques relèvent-ils véritablement de l'assurance, en principe destinée à la gestion des risques ? Dans ce domaine, nous avançons de la trésorerie plus que nous n'assurons de risques : à 100 euros de cotisation par an, l'adhérent qui renouvelle son équipement tous les trois ans en moyenne avance 300 euros pour n'en percevoir que 200 en remboursement, une fois déduits taxes, frais de gestion et résultat technique. Celui qui consomme des soins optiques tous les ans y gagne, celui qui change de lunettes tous les cinq ans beaucoup moins.
Nous tenons beaucoup aux principes, rappelés dans le code de la mutualité, d'égalité de traitement entre les adhérents et de liberté totale de choix de leur praticien. Différencier les remboursements en fonction de la participation du professionnel à un réseau de soins est une pratique qui les méconnaît. La manne ainsi prélevée sur les adhérents qui sortent du réseau pourrait être utilisée au profit de tous les adhérents.
En tant que président d'une mutuelle régie par le livre III du code de la mutualité, je crains qu'à trop faire pression sur les prix et les marges, nous menacions la qualité des soins. Nous le constatons trop souvent. Incompétents pour évaluer si un professionnel de santé fait bien son métier, nous ne sommes pas des acheteurs de soins. C'est pourquoi nous défendons la liberté de choix et l'égalité de traitement.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - La loi permet la signature de conventions tripartites entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie et les professionnels de santé dans les secteurs où l'assurance maladie n'assure qu'un faible financement. Pourquoi cette possibilité n'a-t-elle pas été utilisée pleinement ?
Lors des auditions que j'ai menées, j'ai entendu une grande diversité d'appréciations quant au lien entre l'existence d'un réseau de soins et la qualité des soins prodigués. Pouvez-vous préciser la place qu'occupe la qualité des soins dans le contenu des conventions que vous signez avec les professionnels ?
Mme Catherine Deroche. - Je rejoins Yves Daudigny sur la nécessaire harmonisation du cadre juridique des mutuelles et des assurances.
Je suis en outre attachée au libre choix du praticien et demeure sceptique sur les critères qui permettent, sans aucune compétence médicale, de déterminer la qualité des soins dispensés par les opticiens ou par les dentistes. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point, ainsi que sur les critères d'objectivité et de transparence évoqués à l'article 2 de la proposition de loi ?
Mme Catherine Génisson. - La qualité des soins, argument principal des défenseurs des réseaux de soins, relève de la responsabilité de l'Etat, tout comme la transparence et la traçabilité. Les organismes complémentaires n'ont pas à réguler un marché libre à la place des pouvoirs publics.
M. Stéphane Junique, président d'Harmonie services mutualistes. - La qualité est l'affaire de l'Etat, et les organismes complémentaires respectent scrupuleusement la réglementation en vigueur, mais pas à titre exclusif. Derrière la qualité des soins, il y a la crédibilité de nos prestations et l'image sociale que nous renvoyons, qui conditionnent fortement la fidélité de nos adhérents !
Je souhaite illustrer mon propos en évoquant la coopération que le groupe Harmonie mutuelles, qui protège plus de 3 millions de personnes, a engagée avec Malakoff Médéric. Nous avons vocation à prendre en charge les risques tout au long de la vie. Je préside une structure regroupant 500 réalisations mutualistes sur tout le territoire, soit près de 7 000 salariés dévoués à la qualité des soins. Notre réseau de soins Kalivia est surtout présent dans les secteurs faiblement remboursés par la sécurité sociale. En 2011, près de 2 300 opticiens, sur les 11 000 que compte notre pays, participaient à notre réseau. L'appel d'offres suivant, à l'automne 2012, a porté le nombre d'opticiens conventionnés à 4 200, ce qui invalide l'argument de la défiance des professionnels à l'égard des réseaux de soins.
Ces appels d'offres ont témoigné d'un niveau d'exigence élevé, sanctionné par l'adhésion des opticiens à une charte des bonnes pratiques, comprenant notamment la prise en charge avant et après-vente, l'implication dans la prévention, l'étendue de l'offre de produits ou encore la richesse des contacts entretenus avec les autres professions médicales. Deuxième argument qualité : le contact avec les adhérents, c'est-à-dire la formation initiale et continue de l'équipe de vente et l'équipement des magasins. Enfin, sont également pris en compte les services apportés aux assurés - garantie contre la casse, prise en charge du tiers payant - ainsi que les caractéristiques techniques des verres.
Les tarifs ont baissé de plus de 40 %, le reste à charge des patients a fortement diminué et les visites régulières de contrôles donnent satisfaction sur la qualité des soins. Bref, le bilan est incontestablement positif.
Mme Marianne Binst, directrice générale de Santéclair. - Je dirige Santéclair, réseau de soins qui couvre près de 6,5 millions de personnes, à titre individuel ou collectif, et réunit les trois familles d'organismes complémentaires que sont les institutions de prévoyance, les mutuelles et les assurances. Dialoguer et transcender les anciens clivages : voilà ce qui fait notre force.
Les réseaux de soins font baisser les prix, c'est-à-dire les marges des professionnels : l'accusation de menace à la qualité des soins qui nous est adressée ne s'explique pas autrement ! A la vérité, personne ne sait mesurer de manière systémique la qualité des soins, car les critères n'existent pas.
Le très lourd travail de définition de normes ISO et de référencement qui est nécessaire pour évaluer la qualité des soins, nous l'avons entamé. Nos appels d'offres prennent désormais ces critères en compte, à l'exception des soins dentaires, où l'évaluation de la qualité reste plus difficile. La Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) a estimé que 30 % des dévitalisations préalables à la pose d'une couronne dentaire ne seraient pas de qualité, et la Cour des comptes qu'une hépatite C sur deux serait transmise chez le dentiste. Mais la dernière étude de la Cnam sur le sujet date de 2006 : c'est dire le peu de zèle consacré à ces questions. Dans ces domaines, les réseaux de soins font des mesures quotidiennes, en dépit des problèmes que nous rencontrons avec les conseils de l'Ordre.
Nous n'avons qu'un souhait : que les professionnels se prennent en charge. Pour l'heure, le code de déontologie des dentistes leur interdit par exemple de faire référence à une certification quelconque. Or, si les professionnels veulent de la qualité, qu'ils se dotent de critères de certification : nos appels d'offres en tiendront compte ! Aux syndicats de relayer les bonnes pratiques, à l'instar de ce qui se fait dans le domaine de l'optique, afin que tous les Français, et pas exclusivement nos adhérents, aillent se faire soigner en connaissance de cause et non plus sur la base du bouche-à-oreilles. Grâce aux réseaux, les patients ne sont plus seuls face aux professionnels de santé.
En faisant pression sur les prix, mais aussi sur l'exigence de qualité, nous faisons avancer les choses. C'est un mouvement historique auquel participent les réseaux de soins. Dans le nôtre, les prothèses dentaires sont garanties dix ans, et dès lors que 20 % à 30 % sont fabriquées à l'étranger, leur traçabilité fait l'objet de la plus grande attention. Bref, le prix n'est plus le seul indicateur de qualité : on peut désormais profiter d'une offre de qualité à un prix bas et, à l'inverse, des prix élevés ne garantissent pas la meilleure qualité.
M. Stephan Reuge, directeur institutionnel et stratégique Prévoyance et assurance de Pro-BTP. - Pro-BTP couvre près de 3 millions de personnes, dont beaucoup de salariés de petites entreprises et près de 650 000 retraités. Nous ne représentons pas les entreprises du CAC 40, plutôt la France profonde. A l'origine, à la fin des années 1990, nous n'avons pas souhaité entrer dans la logique des réseaux de soins. En 2010, nous nous y sommes ralliés en créant le réseau Sévéane avec Groupama, forcés que nous étions de constater que l'augmentation des cotisations et des taxes, le désengagement de la sécurité sociale, et plus encore l'augmentation des tarifs obéraient fortement le pouvoir d'achat d'un nombre croissant de salariés de PME et de retraités. Entre 2000 et 2012 en effet, les dépenses d'optique sont passées de 3,2 milliards à 5,1 milliards d'euros, ce qui ne peut refléter la seule augmentation de la demande de nature médicale.
Les réseaux de soins sont apparus comme un moyen pragmatique d'enrayer cette dérive. Depuis 2010, les dépenses de soins optiques ont cessé d'augmenter, ce qui a permis à nos adhérents d'économiser l'équivalent de l'inflation. Et si les cotisations des retraités ont augmenté de 9 % entre 2010 et 2012, c'est parce que les taxes sur les conventions d'assurance ont augmenté de 7 % : l'évolution a donc été moindre que l'inflation.
Le régime général a agi pour réguler certaines dépenses, par exemple en matière de médicaments, mais si nous n'avions pas travaillé sur les garanties optiques et dentaires avec l'apport d'un réseau, nous n'aurions pas pu accompagner la demande de nos adhérents d'enrayer la hausse des cotisations. Or, nombre d'entre eux ne peuvent plus s'accommoder d'une augmentation de 5 % à 7 % de leur cotisation et demandent malheureusement à passer à la gamme inférieure, donc à une qualité de garantie réduite.
L'existence d'un réseau optique ou dentaire a un impact positif sur le montant des cotisations, mais aussi sur celui du reste à charge pour l'adhérent qui l'utilise, ce qui accroît son pouvoir d'achat.
M. Jean-Martin Cohen Solal. - La proposition de loi ne met pas en cause les réseaux : ils existent, ils fonctionnent. Elle tend simplement à permettre aux mutuelles de faire ce que font les autres complémentaires santé. Cette disposition législative a été soumise à l'Assemblée nationale il y a deux ans par M. Bur, puis reprise dans les mêmes termes par M. Le Roux - à quelques modifications techniques près. Je rappelle qu'elle a été préconisée par la Cour des comptes, l'Igas, l'IGF... Il est paradoxal de réclamer dans le cadre de l'accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l'emploi que tous les organismes complémentaires soient placés sur un pied d'égalité, et de faire des différences quand il s'agit de réseaux. La question du rôle des complémentaires est débattue au sein du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, qui réfléchit notamment à la redéfinition des contrats responsables et solidaires : la Haute Assemblée y est représentée, et nous espérons que dans le PLFSS de l'an prochain figureront des mesures précisant le rôle des complémentaires au côté de l'assurance maladie obligatoire. Dans la réalité, nous travaillons déjà avec les compagnies d'assurances et les institutions de prévoyance sur certains réseaux : il convient d'adapter le droit aux faits !
Mme Annie David, présidente. - Certes, l'enjeu de ce texte n'est pas l'existence même des réseaux, mais il en parle : il entre donc tout à fait dans nos prérogatives de nous interroger sur leur fonctionnement.
M. Jean-Martin Cohen Solal. - Nous respectons la démocratie !
M. Christophe Lafond, délégué national de la MGEN. - Je m'exprime au nom des quelque 3 millions d'adhérents du groupe MGEN, mais aussi, pour certains dispositifs conventionnels, au nom d'autres mutuelles qui nous ont rejoints à travers différents réseaux ou conventionnements - même si ces termes ne sont pas toujours adaptés. Parler de réseau en optique peut se comprendre ; en hospitalisation, c'est moins approprié. Chaque spécialité médicale commande une approche différente.
Le groupe MGEN a lancé cette démarche dans le secteur de l'hospitalisation dès la fin des années 1980 pour faciliter l'accès à l'hospitalisation. Sont apparus ensuite le forfait journalier, les suppléments pour chambre particulière, les dépassements d'honoraires, vis-à-vis desquels l'assurance maladie est restée assez passive. Dès 1991, nous avons instauré des prestations différenciées, et personne ne s'en est plaint : ni les adhérents, ni les professionnels de santé, ni les directeurs d'établissements, pour qui le tiers-payant est préférable à des chèques sans provision...
On ne peut pas comparer le conventionnement hospitalier, tel que nous le pratiquons, avec douze mutuelles de la fonction publique, avec un réseau optique : l'enjeu, l'attitude des adhérents, celle des professionnels de santé sont différents. Dès 1997, nous avons organisé un protocole dentaire : nous avons construit avec des représentants de la profession, en plusieurs années, une nouvelle nomenclature. Grâce à nos excellentes relations avec les syndicats dentaires, nous travaillons à faire régulièrement évoluer ce protocole. L'adhésion au protocole est libre et individuelle, et il rassemble quelque 25 000 chirurgiens-dentistes.
Nous souhaitons aussi que l'assurance maladie réalise davantage de contrôles. J'ai été directeur d'une section locale de sécurité sociale pendant vingt ans : j'ai vu des contrôles sur les transports, sur les dépassements abusifs, rarement sur l'optique. Dans notre dispositif Optistya, nous procédons à des contrôles à trois niveaux : a priori, lors de la demande de prise en charge, a posteriori, au moment du paiement, et, après le paiement, en contrôlant les pièces. Sur quelque 1 000 contrôles en 2012, 600 se sont avérés positifs. Nous avons été jusqu'à exclure des opticiens du réseau, pour des pratiques qui peuvent intéresser l'assurance maladie, et qu'elle néglige, comme la multi-facturation : c'est une tentative de fraude, mais qui intéresse peu l'assurance maladie puisqu'elle porte sur moins de 15 euros. Nous avons ainsi exclu soixante opticiens en 2011 et quarante en 2012.
M. Alain Rouché. - Comment infléchir l'évolution de la dépense ? L'assurance maladie est plus exposée que nous, mais nous devons participer aux négociations conventionnelles avec les professionnels de santé. Dans les domaines où nous intervenons de façon plus significative, notre rôle est d'essayer de peser sur l'évolution de la dépense : sinon, les Français n'arriveront plus à payer la charge des soins.
M. Philippe Mixe. - La fédération que je représente n'est pas opposée par principe aux réseaux de soins. Ils existent, ils ont sans doute un effet sur les prix : pourquoi pas ? Mais il faudrait sans doute que leur qualité soit certifiée par un organisme de contrôle ! On avance que le monde mutualiste ne serait pas en capacité de faire comme les autres acteurs. Mais le doit-il ? Je suis fatigué de voir qu'il leur emboîte le pas et se trouve ainsi confronté, depuis une douzaine d'années, à des règles de plus en plus similaires en matière de fiscalité ou d'obligations : la réforme « solvabilité 2 » ne devrait pas concerner le mutualisme de terrain. Auparavant, ce mutualisme de terrain avait un véritable réseau dans son territoire... Plutôt que d'imiter les autres acteurs, mettons en avant les différences et les valeurs du mouvement mutualiste : notre métier est peut-être comparable, mais nous devons le faire différemment. Si l'on souhaite l'égalité, pourquoi ne pas interdire aux autres ce qui nous est interdit ? Cela rétablirait la liberté totale de choix du praticien ou de l'opérateur par le patient, qui représente un grand principe que les prestations différenciées bafouent. Nous sommes indéfectiblement attachés à l'égalité de traitement entre nos adhérents et à la liberté de choix. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs réaffirmé son attachement au principe de liberté d'installation et de concurrence la semaine dernière. Nous devrions plutôt avancer sur d'autres sujets, comme la prévention ; nous avons là un travail colossal à faire.
M. Gilbert Barbier. - Orienter le plus grand nombre vers des réseaux où le reste à charge est minimal ne peut qu'infléchir la qualité des prestations offertes. M. Lafond a été le seul à parler de sanctions. Combien d'adhérents à ces systèmes ont-ils été sanctionnés ? Je connais un cabinet dentaire mutualiste : on ne s'y précipite pas, car sa renommée n'est pas excellente. Pourquoi ? Nous parlons aujourd'hui d'optique, de soins dentaires ou de prothèses auditives. Demain, les patients seront-ils orientés en fonction de la marque du pacemaker ou de la prothèse qu'on veut leur appliquer ? L'extension potentielle de ces pratiques à la médecine en général m'inquiète : la qualité de la médecine française résulte de la liberté de choix.
Mme Isabelle Debré. - Nous parlons d'optique, de soins dentaires, de prothèses auditives... Il ne faut pas déshumaniser ces sujets. En cas de pathologie lourde, même dentaire, le patient qui est habitué à son praticien sera moins bien remboursé si celui-ci n'est pas dans un réseau : c'est choquant, quand on sait combien les facteurs subjectifs contribuent à la guérison. Il n'y a pas que l'argent ! Tout le monde doit être traité de la même façon, qu'il s'agisse des patients ou des mutuelles.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je souscris aux propos liminaires de M. Mixe lorsqu'il a fait référence à la clause de désignation. Mme Debré et moi-même, nous avons pourfendu cette clause au nom de la libre concurrence. J'entends que des divergences se font jour entre les représentants des différents mouvements mutualistes. Pour ma part, je ne conçois pas un remboursement à plusieurs vitesses, en fonction de l'appartenance, ou non, d'un praticien à un réseau. La mutuelle doit garantir le même remboursement quel que soit le praticien choisi par le patient : l'élément subjectif dans les pathologies lourdes est fondamental, c'est une grande partie de la guérison. Les mutuelles mettent en place un système d'évaluation des soins, mais chaque cas est un cas particulier : comment évaluer administrativement le résultat d'un médecin ? Si cela doit aboutir à la création d'une nouvelle Haute Autorité chargée d'évaluer les évaluateurs, nous basculerons dans un système technocratique !
Mme Annie David, présidente. - Nous parlons des opticiens, des chirurgiens-dentistes et des audioprothésistes.
M. Jean-François Husson. - La FNIM a une position singulière. Je n'ai jamais trouvé normal que l'on ne puisse savoir si le montant de la cotisation à une mutuelle servait à financer des oeuvres sociales ou à rembourser des dépenses de santé au sens strict. Je soutiens pleinement cette proposition de loi qui me paraît une mesure d'équité. J'avais dénoncé la clause de désignation. Le réseau de soins aide incontestablement à maîtriser la dérive des dépenses de santé. Le meilleur baromètre de la qualité des soins, ce sont les services clients et, le cas échéant, le médiateur de la République : or, il n'apparaît pas que les plaintes relatives à des erreurs médicales ou à des soins sont liées aux réseaux. L'article 2 porte sur les critères « objectifs et transparents » : il faudrait en avoir une définition, en amont comme en aval, et préciser qui évalue, qui contrôle et qui sanctionne. La situation des usagers est parfois paradoxale : il arrive que des patients âgés de condition modeste acceptent, lors d'une hospitalisation, de prendre un chirurgien avec dépassement d'honoraires restant à leur charge, parce qu'ils ont le sentiment qu'ils seront mieux soignés... Dans le texte, il est bien écrit que la liberté de choix est préservée : c'est essentiel !
M. Alain Milon. - Je vous ai plusieurs fois entendus dire que l'assurance maladie n'a pas fait son travail. C'est le Parlement qui vote son budget : c'est donc nous, parlementaires, qui n'aurions pas fait le nôtre. J'admets le reproche, mais si nous avions fait notre travail, vous n'existeriez pas ; et si nous le faisions, vous n'existeriez plus ! Qu'en pensez-vous ? Nous aurions dû trouver les financements nécessaires à ce que l'ensemble des actes médicaux et paramédicaux soient pris en charge par la sécurité sociale.
Ce dont nous discutons a déjà été discuté ici il y a deux ou trois ans, à propos d'une proposition de loi de M. Bur qui a été reprise dans le cadre de la proposition de loi de M. Fourcade. L'article 22 de cette dernière a été rejeté par le Sénat ; rapporteur, j'avais dit qu'offrir un meilleur remboursement aux adhérents qui se font soigner par un professionnel conventionné par un réseau de soins s'inscrit non pas dans le cadre du conventionnement de ce dernier mais bien dans celui des relations entre les adhérents et les mutuelles. J'avais aussi dit que cette incitation financière semble actuellement interdite aux mutuelles par le code de la mutualité - ce qui n'a pas changé - et qu'il ne semblait pas légal de la part des autres catégories d'organisation complémentaire d'assurance maladie (Ocam), puisque le code de la santé publique érige en règle fondamentale de la législation sanitaire le droit du patient au libre choix de son praticien et de son établissement de santé. L'article 22 bis de la proposition Fourcade a été adopté par le Sénat et par l'Assemblée nationale, même si le Conseil constitutionnel l'a censuré, ce qui est dommage car il prévoyait que l'Autorité de la concurrence remette tous les trois ans aux commissions des affaires sociales du Parlement un rapport relatif aux réseaux de soins agréés : il nous serait utile aujourd'hui !
Il y a une trentaine d'années, nous parlions de centrales d'achat, de sécurité alimentaire, et nous découvrons aujourd'hui de la viande de cheval dans les surgelés et constatons la disparition des petits commerces, des agriculteurs... Cette proposition de loi aura-t-elle un effet similaire dans vingt ou trente ans ?
Madame la présidente, vous avez organisé cette table ronde rassemblant des personnes plutôt favorables à ce projet, pourrions-nous en organiser une des personnes qui y sont opposées ?
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Si l'assurance maladie devait couvrir la part complémentaire dans tous les domaines dont nous parlons, cela coûterait entre 8 et 9 milliards d'euros. Un sujet n'a pas été abordé : la question des réseaux ouverts ou fermés. On comprend facilement qu'en chirurgie dentaire les réseaux soient ouverts, compte tenu du nombre de praticiens. En optique, de nombreux réseaux sont fermés : les professionnels s'en plaignent, car même s'ils répondent aux critères, ils peuvent être écartés d'un réseau.
M. Jean-Martin Cohen Solal. - Nous parlons des professionnels : les patients, eux, ont toujours le libre choix, garanti par la loi. Nous sommes fidèles aux engagements du Conseil national de la résistance, qui avait prévu de laisser une part aux complémentaires. Cette part s'est accrue, par désengagement progressif de l'assurance maladie obligatoire. Celle-ci rembourse environ 200 millions d'euros de soins optiques, sur un total de 8 ou 9 milliards de dépenses totales. La mutualité française a toujours affirmé qu'elle souhaitait une assurance maladie obligatoire forte et refusait les reculs. Tous les gouvernements, depuis plus de vingt ans, ont pourtant fait reculer la prise en charge. Le problème, ce sont les renoncements aux soins dus au reste à charge. Pour un retraité, la complémentaire mobilise en moyenne 10 % de ses ressources, et les restes à charge augmentent quand même ! Les complémentaires doivent se battre contre les inégalités. Vous avez évoqué la perte de qualité : c'est vrai, il y a un problème de qualité. Je suis médecin, je le sais bien, et les protocoles que les réseaux mettent en place ne sont pas faits de manière technocratique mais par les professionnels. Le système de santé est de plus en plus complexe, grâce au progrès : du coup, il est de plus en plus difficile de s'y orienter. Par exemple, chez l'opticien, comment savoir ce qui correspond réellement à vos besoins ? C'est le rôle des réseaux que d'aider les adhérents à y voir clair - c'est le cas de le dire ! M. Cardoux nous a interpellés sur la diversité de nos prises de positions : j'aurai la courtoisie de ne pas rappeler ce que chacune représente en termes de nombre d'adhérents couverts. Je respecte la parole de chacun.
M. Jean-Noël Cardoux. - Quel bel état d'esprit !
M. Philippe Mixe. - La modestie de la taille n'empêche pas la pertinence du propos. De plus, les volumes relatifs peuvent évoluer... J'ai moi-même fait le parallèle récemment entre le scandale de la viande de cheval et ce qui pourrait arriver dans l'univers de la protection sociale. La fédération que je représente n'est nullement opposée aux réseaux. Chaque profession peut s'organiser comme elle l'entend. Sur les désignations, les petits pots de terre ont bousculé quelques gros pots de fer... Je ne souhaite pas voir apparaître des prestations différenciées, qui téléguideraient les patients vers tel ou tel professionnel. Je préfère largement les réseaux ouverts aux réseaux fermés. Sur l'optique, n'assurons-nous pas une certitude, plutôt qu'un risque ? L'assurance n'est pas faite pour cela. Il s'agit de fournir une avance de trésorerie, dont un tiers est ponctionné avant d'être rendue à celui qui l'a fournie.
Mme Marianne Binst. - Le libre choix est important, mais ce concept recouvre des réalités bien différentes. Il ne s'oppose nullement aux réseaux : ceux-ci représentent un choix supplémentaire. Lorsqu'il faut renoncer aux soins, faute de pouvoir payer, par exemple, une prothèse auditive à 1 500 euros pièce, est-ce vraiment un choix libre ? Celui-ci implique au contraire une bonne traçabilité et un bon rapport qualité-prix, ce que garantissent les réseaux. Rien n'oblige à les utiliser ou même à choisir une complémentaire qui en propose ! Parmi les 6,5 millions de personnes qui ont accès à nos réseaux, moins de la moitié ont des remboursements différenciés dans les réseaux - et souvent uniquement pour l'optique. La diversité supplémentaire offerte par les réseaux accroîtra l'offre et donc la liberté de choix. Les patients plébiscitent les contrats donnant accès à des réseaux.
Les réseaux doivent-ils avoir un numerus clausus ou non ? L'Autorité de la concurrence fait bien la différence. S'ils en ont un, il faut lancer un appel d'offres, ouvert à tous. La démographie des professions d'optique est impressionnante, et nous n'y sommes pour rien : il y a chaque année 2 000 diplômés d'optique supplémentaires, des magasins s'ouvrent tous les jours... Si nous voulons garantir au professionnel un afflux de clients suffisant pour négocier des prix satisfaisants, le numerus clausus est indispensable. Mais tous peuvent postuler, de manière ouverte. L'Autorité de la concurrence a publié en septembre 2009 un texte de référence : « De la bonne pratique de l'appel d'offre en matière de réseaux, avec ou sans numerus clausus ». Ce document est extrêmement complet et utile : c'est la Bible des appels d'offre de réseaux, l'important est de s'y référer.
M. Gérard Roche. - Vous parlez de la profusion des opticiens, alors que nous manquons d'autres spécialités. Je voudrais rappeler qu'au fond, les dépenses de santé sont de l'argent public, plutôt que privé. Par ailleurs, je suis étonné que personne ne parle des marges bénéficiaires...
M. Laurent Borella. - Essayons d'être objectifs. L'idée que les réseaux génèrent une moindre qualité est fausse. Pour s'en assurer, nous utilisons les référentiels produits par la Haute Autorité de santé, les sociétés savantes ou la Cnam - même si les publications scientifiques manquent dans certains secteurs. Des comités d'experts, recrutés parmi des praticiens, rédigent des chartes de qualité définissant ce que les professionnels doivent mettre en oeuvre pour travailler correctement dans les domaines qui font l'objet de réseaux - domaines dans lesquels les tarifs sont libres, la prise en charge par la sécurité sociale trop faible et où les dépenses sont en croissance non contenue, ce qui pose des problèmes de reste à charge et d'accès aux soins. Nous mettons en place des contrôles : vérification des bons de livraisons, contrôles sur place - l'an dernier nous avons envoyé 300 auditeurs dans 300 magasins d'optique du réseau Kalivia.
M. Gilbert Barbier. - Vous rémunérez les contrôleurs ?
M. Laurent Borella. - Bien entendu.
M. Gilbert Barbier. - Peut-on parler d'indépendance de l'expertise ?
M. Laurent Borella. - Nous rémunérons des cabinets indépendants qui font de l'audit. Ce ne sont pas nos équipes. Ces structures ne travaillent pas que pour nous, elles sont spécialisées dans ce travail.
C'est vrai que la confiance est importante : nous demandons donc à nos assurés s'ils sont satisfaits. Le taux de satisfaction est de 93 % pour notre réseau, ce qui reflète sans doute à la fois la qualité des soins reçus et la baisse du reste à charge. Ce sont des faits : 500 000 personnes ont bénéficié l'an dernier des prestations du réseau Kalivia en optique. La qualité des soins dans les réseaux n'est pas inférieure à ce qu'on trouve ailleurs. Nous avons fait une étude comparative sur plus de 200 000 ventes : la qualité des verres vendus, en termes de génération, de marque, de traitement de surface et géométrique, ne diffère pas significativement de ce qui existe hors du réseau.
M. Christophe Lafond. - Lorsqu'en 2008 la MGEN a lancé son dispositif, il y avait 10 000 opticiens installés : il y a eu 4 500 candidatures à notre appel d'offres. Trois ans après, nous avons renouvelé le dispositif : sur 11 000 opticiens, il y a eu 6 400 postulants - pour 2 200 places. Le numerus clausus, qui existe pour d'autres professions médicales, n'existe pas pour l'optique. Les études statistiques montrent bien le double effet des conventionnements : la maîtrise des tarifs et l'augmentation des prestations versées, ce qui induit une réduction des restes à charge. Sur différents centres d'optique, nous avons divisé par dix les restes à charge : un de ces opticiens, libéral à Orléans, voit son chiffre d'affaires augmenter ! L'Autorité de la concurrence examine attentivement chaque renouvellement de notre dispositif. Les conditions sont très rigoureuses.
M. Alain Rouché. - Une des grandes questions est d'organiser mieux les parcours de soins. L'assurance maladie a créé le médecin traitant. Nous essayons pour notre part d'orienter, sans contrainte, avec les réseaux.
Mme Catherine Génisson. - Monsieur Lafond, qu'advient-il aux opticiens refusés lors de votre appel à candidatures ? Quelle injustice pour eux ! Cela me choque.
M. Christophe Lafond. - C'est un appel à candidatures avec cahier des charges et numerus clausus connus d'emblée. Nous prenons les premiers et mettons les suivants sur liste d'attente.
Mme Catherine Génisson. - Ce n'est pas normal.
Mme Annie David, présidente. - C'est sûrement la concurrence ! Nous pouvons conclure ainsi cette table ronde. Chacun a pu s'exprimer et être entendu. Le rapporteur a déjà procédé et va continuer à procéder à de nombreuses auditions, ouvertes à l'ensemble des membres de la commission. Compte tenu des contraintes d'ordre du jour, il me paraît difficile d'organiser une nouvelle table ronde, mais je sais que l'ensemble des parties prenantes peuvent rencontrer le rapporteur ou des membres de la commission. Le rapport sera présenté le 17 juillet et le texte sera examiné en séance publique le 24 juillet.
Jeudi 20 juin 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Audition de M. Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), candidat au renouvellement de son poste
Mme Annie David, présidente. - En application de l'article L.1451-1 du code de la santé publique, nous auditionnons M. Marc Mortureux, candidat au renouvellement de son mandat de directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Nous ne sommes pas dans le cadre de l'article 13 de la Constitution : cette audition ne sera donc pas suivie d'un vote.
L'Anses résulte de la fusion, en 2010, de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). Investie de leurs missions respectives, elle évalue les risques pour la santé humaine, animale et végétale en s'appuyant sur une expertise dont l'indépendance est garantie notamment par un code de déontologie, l'obligation de publication de déclarations d'intérêts, et l'existence d'une instance spécialisée dans la prévention des conflits d'intérêts.
L'agence est placée sous la tutelle de cinq ministères : ceux de la santé, de l'agriculture, de l'environnement, du travail et de la consommation. Elle possède onze laboratoires de référence et de recherche répartis sur seize implantations géographiques, et fonctionne grâce à 1 350 agents et 800 experts extérieurs, qui se réunissent en divers collectifs. Son budget avoisine les 130 millions d'euros, alimenté pour l'essentiel par des subventions de l'Etat et des taxes affectées.
Le Gouvernement souhaite renouveler votre mandat. Quel bilan faites-vous du fonctionnement de l'Anses et quelles perspectives dégagez-vous pour les années à venir ?
M. Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. - Je suis ravi d'être à nouveau parmi vous. J'avais été auditionné par le Sénat en 2010 lors de la fusion de l'Afssa et de l'Afsset, ainsi qu'à diverses occasions : proposition de loi relative à l'interdiction du bisphénol A, publication de Gilles-Eric Séralini sur les effets des OGM, proposition de loi sur les lanceurs d'alerte et l'indépendance de l'expertise. L'Anses cultive de fortes relations avec le Parlement : d'une part parce que le Parlement est à l'origine de sa création, et d'autre part parce que nos activités sont à l'interface entre la science et la société, et à ce titre répondent aux préoccupations de tous nos concitoyens. Mon mandat de directeur général de l'Anses arrive à échéance le 6 juillet. Nos cinq ministres de tutelles ont proposé ma reconduction.
Ingénieur de formation, membre du corps des mines, j'ai commencé ma carrière dans le domaine environnemental comme responsable des installations classées de la région Île-de-France et secrétaire général d'Airparif, organisme chargé de mesurer la pollution atmosphérique dans l'agglomération parisienne. J'ai ensuite travaillé dans le secteur privé, en tant que responsable de la recherche et développement de la Compagnie nationale de géophysique, société d'imagerie du sous-sol, entreprise de taille moyenne mais cotée aux bourses de Paris et New-York. Je me suis familiarisé aux enjeux liés à la santé humaine à la tête du Laboratoire de métrologie et d'essais, établissement public industriel et commercial dont le rôle est notamment de contrôler les dispositifs médicaux sous l'autorité de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), puis en tant que directeur général adjoint de l'Institut Pasteur. J'ai ensuite occupé la fonction de directeur de cabinet du secrétaire d'Etat à l'industrie et à la consommation. En 2009, j'ai été nommé directeur général de l'Afssa et chargé de préparer sa fusion avec l'Afsset.
L'Afssa était une importante agence forte de 1 250 agents et de dix ans d'expérience dans le champ de la sécurité alimentaire. Son fonctionnement très intégré couvrait toute la chaîne, « de la fourche à la fourchette », y compris la santé animale et végétale. L'Afssa s'appuyait sur des collectifs d'experts chargés d'évaluer les risques, et sur des laboratoires disséminés sur le territoire pour collecter des données au plus près des lieux d'élevage et de culture. L'Afsset, plus petite, plus récente, était quant à elle compétente en matière d'environnement et de santé au travail.
Un article de la loi « hôpital, patients, santé et territoires » prévoyait la fusion de ces agences par ordonnance dans un délai de six mois. Cette perspective a suscité de nombreuses inquiétudes dans des structures de tailles et de cultures différentes. Pour les lever, j'ai conduit la fusion à partir de septembre 2009 dans le respect d'un certain nombre de principes : d'abord, forte concertation interne, mais aussi externe, compte tenu des relations étroites qui unissaient les agences aux partenaires sociaux, aux associations de consommateurs, aux ONG de défense de l'environnement, aux organismes professionnels et aux administrations. Les quinze réunions que nous avons organisées en six mois ont été l'occasion d'échanges avec quarante partenaires et ont permis à tous de comprendre les synergies attendues de l'opération.
Deuxième principe : faire du neuf, ne pas réduire la fusion à l'absorption d'une agence par une autre. Ce qui caractérise l'Anses, c'est son large champ de compétences, qui découle de la proximité des activités de l'Afssa et de l'Afsset. La première était par exemple compétente pour évaluer les pesticides, la seconde les biocides - c'est-à-dire les produits chimiques à usage non agricole ; l'Afssa étudiait l'eau destinée à la consommation humaine, l'Afsset l'eau de baignade. Enfin, dernier principe : créer une dynamique interne. Ce fut le cas, puisque j'ai eu la chance de réaliser le processus dans des délais rapides : l'agence a été créée le 1er juillet 2010.
Avec trois ans de recul, on peut dire que la sécurité sanitaire a fait d'importants progrès, en s'appuyant sur les acquis. D'abord, l'évaluation des risques s'appréhende de manière bien plus intégrée. Les risques encourus par l'homme en tant que travailleur, consommateur ou citoyen exigent une évaluation coordonnée, que l'agence fournit. Par exemple, répondre aux questions qui entourent le bisphénol A exige d'étudier toutes les sources d'exposition auxquelles nous sommes soumis : alimentation, matières plastiques, traces résiduelles dans l'environnement... Sous ce rapport, l'Anses est une structure unique au niveau international, où les risques alimentaires et environnementaux sont étudiés séparément, et elle commence à faire école.
Deuxième atout de l'agence : sa gouvernance originale, très ouverte à toutes les parties prenantes. Nos collectifs d'experts sont très protégés de toute influence particulière. En amont comme en aval de l'évaluation, des espaces sont aménagés pour la discussion contradictoire. Nous faisons en outre d'importants efforts pédagogiques pour expliquer les résultats de nos travaux.
Enfin, le cadre déontologique de l'agence a été renouvelé. Un code de déontologie a été élaboré. Un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts, indépendant de la direction de l'agence, publie des analyses et des recommandations. Tous les salariés et experts extérieurs établissent une déclaration - ce qui ne veut pas dire que nous n'acceptons pas les liens d'intérêts, indissociables de la compétence de terrain. Nous étudions avant chaque réunion, en fonction de chacun des points de l'ordre du jour, les risques de conflits d'intérêts. Écarter des scientifiques d'une discussion n'est jamais simple, car ils vivent cela comme une remise en cause de leur intégrité intellectuelle et professionnelle. C'est pourquoi nous travaillons beaucoup sur la dépersonnalisation de cette pratique, devenue chez nous systématique et banalisée.
Le principe de séparation entre l'évaluation et la gestion des risques est un pilier du fonctionnement de l'Anses. Nos travaux se bornent à faire l'inventaire des connaissances - mais aussi des ignorances ! - scientifiques dans certains domaines. Puis nous émettons des avis à l'attention des citoyens et des pouvoirs publics. Charge à ces derniers de prendre les décisions qu'ils estiment en découler.
L'Anses a rendu à ce jour plus de 5 000 avis. Elle peut être saisie par un ministère ou l'une des parties prenantes à ses travaux, mais examine aussi les dossiers que lui soumettent les industriels dans le cadre de la réglementation européenne, en matière de produits phytosanitaires, biocides ou vétérinaires. Les médicaments vétérinaires sont une exception au principe de séparation de l'évaluation et de la gestion des risques, puisque nous gérons également la mise sur le marché et le suivi de ces produits, en lien avec l'ANSM.
Venons-en aux enjeux d'avenir. L'essentiel est d'anticiper les risques émergents. Cela implique d'abord de fournir un travail de prospective scientifique pour identifier les grands sujets qui se poseront à moyen terme, comme les cancers hormono-dépendants ou les troubles de la fertilité. A cette fin, l'Anses pilote et coordonne les travaux des membres du réseau R31, qui rassemble de nombreux organismes de recherche, dont le CNRS et l'Inserm.
Anticiper suppose ensuite de capter les signaux d'alerte, dont les lanceurs sont désormais protégés par la loi de 2012. Celle-ci crée en outre dans les agences comme la nôtre des registres d'alerte, destinés à assurer la traçabilité. Nous sommes à l'écoute, sans prendre pour argent comptant tout ce qui nous est rapporté, mais sans rien négliger. Ici encore, notre gouvernance pluraliste et ouverte est précieuse, qui permet de ne sélectionner que les signaux d'alerte témoignant d'un risque scientifiquement étayé.
La tendance générale est au renforcement de la surveillance. Nous croisons de plus en plus systématiquement les données de l'évaluation avec les informations recueillies sur le terrain par les centres antipoison, de toxicovigilance et de pharmacovigilance, bien que ceux-ci souffrent de sous-déclaration et que leurs données soient difficiles à exploiter. En matière de maladies professionnelles, le réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), présent dans les centres hospitalo-universitaires, récolte les observations faites dans les consultations, sur les risques spécifiques à certaines professions : coiffeurs, travailleurs exposés au bitume, agriculteurs manipulant des pesticides.
Nous menons aussi des travaux méthodologiques, concernant les effets cocktail des substances chimiques (alors que les risques sont encore étudiés le plus souvent individuellement) ou sur les faibles doses dans le domaine des perturbateurs endocriniens, ou encore, sur les effets de certaines substances à certaines périodes de la vie, comme pendant la grossesse.
Comme d'autres, nous sommes financièrement contraints. Pour la troisième année consécutive, nous subissons la réduction de nos effectifs. Les synergies créées par la fusion l'expliquent en partie. Mais nous sommes sans cesse sollicités pour de nouveaux travaux, par exemple sur la création d'une base de données des industriels utilisant des nanomatériaux. En outre, il est difficile de faire des choix et de fixer des priorités dans un champ si vaste, d'autant que les crises surviennent souvent là où on ne les attend pas.
L'international est un autre défi à relever. Nous sommes plus au fait des progrès scientifiques étrangers que nous ne l'avons jamais été. Le risque de prendre avec retard des décisions sanitaires s'estompe par conséquent. Mais il reste à aider nos partenaires moins avancés à se doter de dispositifs de surveillance crédibles. C'est le cas en Chine, qui vient de s'équiper d'une agence comparable à la nôtre.
Nous ambitionnons d'attirer les meilleurs scientifiques dans chaque domaine, en conciliant stricte indépendance et compétence. Nous réfléchissons donc à une meilleure valorisation de l'activité d'expert dans la carrière de scientifique. Dernier défi, restaurer la confiance des citoyens ébranlée par les crises sanitaires. L'excellence scientifique, l'indépendance, la transparence, doivent y concourir. Nous participons aux débats publics. Nous avons d'ailleurs créé au sein de l'agence des comités de dialogue sur des sujets très controversés, comme les radiofréquences ou les nanomatériaux. Parce qu'elle n'est pas en charge de la décision politique, l'Anses est un lieu de dialogue très ouvert.
M. Georges Labazée. - Quelles sont les parts respectives des saisines par des acteurs extérieurs et de l'autosaisine ? Et quelles relations entretenez-vous avec les territoires, notamment à l'échelle régionale - avec les agences régionales de santé (ARS) par exemple ?
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - L'Anses et l'ANSM sont toutes deux des agences nationales de sécurité. Pouvez-vous préciser ce qui les distingue ?
Une question sur l'alimentation : l'actualité récente a montré que la composition de certains plats cuisinés reste entourée d'une grande incertitude. Certes, ils ne sont pas pour autant nocifs, mais l'accumulation de certaines molécules peut avoir des conséquences médicales considérables. Il ne s'agit pas de faire de l'industrie agroalimentaire un bouc-émissaire, mais il faut reconnaître que l'alimentation et la santé ont un lien très étroit. Comment l'Anses l'envisage-t-elle, dans le cadre de la prévention ?
L'amiante a longtemps été paré de toutes les qualités. Désormais, on est tombé dans l'extrême inverse, et le désamiantage est soumis à des normes de protection si impressionnantes et si contraignantes que certains opérateurs pourraient être tentés de masquer la nature des matériaux qu'ils traitent, lorsqu'ils le peuvent. Comment réagissez-vous face à des changements de perception parfois radicaux ?
Mme Annie David, présidente. - Quels liens avez-vous avec l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) ? Comment l'Anses agit-elle lorsqu'elle détecte un danger qui menace d'importants intérêts industriels ? Ôtez-moi d'un doute : le Parlement peut-il vous saisir ?
Vous évaluez des risques, mais également la qualité de la recherche conduite par d'autres organismes. Comment conciliez-vous ces deux activités ? N'est-il pas exagérément compliqué de dépendre de cinq tutelles ? On imagine que tous ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Enfin, comment vous y prenez-vous pour choisir les experts et pour attirer les meilleurs ?
M. Marc Mortureux. - Nous sommes une instance scientifique indépendante de l'administration, ce qui nous soustrait à toutes les pressions. Nous offrons un panorama mis à jour des connaissances scientifiques dans un domaine donné, sans exclure, je l'ai dit, les zones d'ombres qui demeurent, afin de fournir une base à la décision politique. En vertu du principe de précaution, celle-ci peut d'ailleurs consister à ne rien faire. Nous ne prenons en compte que les aspects scientifiques et sanitaires. Le politique peut y adjoindre des considérations d'une autre nature. En matière de santé au travail par exemple, nous émettons des valeurs limites d'exposition à certaines substances en fonction des risques aigus ou chroniques que la recherche scientifique a considérés comme en résultant. Nous consultons ensuite les industriels et recueillons leurs commentaires, avant que les pouvoirs publics ne prennent les décisions réglementaires qu'ils jugent nécessaires.
Notre force réside dans la transparence de nos processus d'évaluation et de publication des résultats. Nos collectifs sont constitués de manière très large et comprennent plusieurs experts par champ d'expertise. Nos appels à candidature sont les plus ouverts possible, afin d'éviter la cooptation. Des procès-verbaux rendent compte des débats des collectifs. Enfin, nous entretenons des contacts avec les journalistes et les différents relais d'opinion pour faire la pédagogie de nos résultats. Par exemple, le bisphénol A fait l'objet d'avis très divergents : nous les confrontons.
Le domaine du médicament fonctionne autrement : des dossiers très aboutis nous sont présentés, et l'évaluation n'est pas réalisée uniquement pour l'autorisation de mise sur le marché, mais aussi pour en déterminer le remboursement, en suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé. L'ANSM n'est donc pas la seule à intervenir. Dans les autres pays, en dehors du médicament, les agences séparent souvent l'évaluation et la gestion des risques. Ces dispositifs fonctionnent bien lorsque chaque acteur joue pleinement, mais exclusivement, son rôle.
La capacité de s'autosaisir est un des éléments de notre indépendance. Plus de 90 % de nos saisines sont le fait des ministères. Et dans 5 % à 6 % des cas, des partenaires sociaux - sur les travailleurs qui goudronnent les routes, ou sur les pathologies des égoutiers par exemple. Nous nous autosaisissons une dizaine de fois par an. A la création de l'Anses, la santé des travailleurs exposés aux produits phytosanitaires était un vrai sujet. Nous avons créé notre propre groupe d'experts, indépendant du cadre réglementaire mis en place à l'époque, pour approfondir le sujet. La fusion a facilité le croisement des données agricoles et environnementales. Nous travaillons aujourd'hui, à notre propre initiative, sur les compléments alimentaires, ou encore sur la résistance aux antibiotiques - les antibiotiques de dernier recours étant les mêmes en médecine humaine et vétérinaire, des recherches sont à conduire dans ces deux domaines.
Nous n'avons pas de délégations régionales, mais des implantations à proximité des grands territoires d'élevage ou de culture. Nous avons un laboratoire à Ploufragan, près de Saint-Brieuc, compétent notamment sur les filières volaille et porcine ; un autre à Niort sur les caprins ; un autre encore à Sophia-Antopolis sur la santé des abeilles, sujet particulièrement épineux sur le plan scientifique en raison de la multiplicité des facteurs à prendre en compte. Ce dernier a d'ailleurs été nommé laboratoire de référence de l'Union européenne. Le lien avec les ARS n'est que ponctuel, mais les thématiques liées à la santé, à l'eau, à l'environnement justifieraient une coopération plus structurelle.
Le secteur de l'alimentation ne peut que nous interroger. Le scandale de la viande de cheval n'était certes pas de nature sanitaire, mais la complexité des circuits économiques suscite une préoccupation sur le plan sanitaire. Si nos laboratoires ne sont pas compétents pour faire des contrôles, ils conçoivent les méthodes qui servent à harmoniser les analyses décidées par les pouvoirs publics. Dans un contexte d'érosion des moyens, renforcer leur efficacité est une priorité : nos outils analytiques permettent désormais de rechercher jusqu'à 150 contaminants à la fois ; nos outils de séquençage identifient plus rapidement les gènes responsables d'une crise comme celle causée par la bactérie escherichia coli en 2011, responsable de 52 morts en Europe.
L'Anses suit également l'évolution de la qualité nutritionnelle des aliments. Notre observatoire de la qualité des aliments (OQALI) mesure la réalité des engagements pris par les industriels en matière de réduction de la teneur en gras ou en sel, et l'impact global de ces évolutions, en fonction des parts de marchés de chacun.
Nous travaillons étroitement avec l'Anact, bien que nous soyons plus investis dans les problèmes d'exposition aux produits chimiques. Nous sommes en outre très mobilisés dans le Plan de santé au travail.
Nous ne jugeons pas la qualité des travaux de recherche. Nous initions certains chantiers ; nous mobilisons les acteurs, comme nous l'avons fait avec l'Inserm sur les effets des pesticides sur la santé. Nous sommes certes parfois sollicités pour faire office de super comité de lecture, comme ce fut le cas pour les travaux de Gilles-Eric Séralini sur les OGM. Ce n'est toutefois pas notre rôle. Nous nous bornons, le plus souvent, à resituer les publications scientifiques dans un contexte plus large. Jamais une publication n'apporte la preuve unique et définitive : c'est le nombre de publications convergentes qui compte.
Nous avons cinq ministères de tutelle. Ce n'est pas simple, mais garantit paradoxalement notre indépendance, car nous ne sommes la chose d'aucun ! Certes, les positions des ministères divergent sur certains points. Mais le pilotage se fait de manière tournante tous les six mois, et nous échangeons trois ou quatre fois par an avec les cinq directeurs généraux. Cela fonctionne bien.
Notre seul souci est d'attirer des scientifiques de qualité, de langue française. Nous faisons de gros efforts d'explication sur les règles qui encadrent nos méthodes d'évaluation, qui peuvent paraître contradictoires. La présence d'un expert lié à l'institut Danone dans un collectif chargé d'étudier les liens entre les produits laitiers et la croissance, par exemple, nous paraissait impossible : l'intéressé l'a mal pris. Aujourd'hui, chacun l'admet plus facilement, car nous avons fait de la pédagogie. Cependant, nous ne pouvons souhaiter avoir affaire à des moines chercheurs, qui n'auraient aucune connaissance concrète des procédés technologiques ni aucun lien avec le monde extérieur !
Le Parlement ne peut pas, pour l'heure, saisir l'Anses. Nous pouvons certes nous autosaisir si vous attirez notre attention sur un point précis. Mais nous sommes très demandeurs d'un mécanisme plus direct.
M. René-Paul Savary. - Pouvez-vous revenir sur votre budget et vos effectifs ?
M. Marc Mortureux. - Notre budget est de 130 millions d'euros au total. Son champ de compétence fait de l'Anses la plus grande agence de ce type en Europe. Nous employons 1 350 personnes, soit cinquante de moins en trois ans, au rythme d'1,5 % d'effectifs en moins chaque année. Les deux tiers de nos financements proviennent de subventions des ministères, le tiers restant des taxes perçues pour nos activités relatives aux produits réglementés, c'est-à-dire acquittées par les industriels qui déposent des dossiers de produits phytosanitaires ou vétérinaires. A cela s'ajoutent les financements alloués sur les projets de recherche par l'ANR ou l'Union européenne.
M. René-Paul Savary. - Le gaz de schiste est-il de votre compétence ?
M. Marc Mortureux. - Oui, mais nous n'avons jamais été saisis de la question.
Mme Annie David, présidente. - Et les nanotechnologies ?
M. Marc Mortureux. - Nous publierons à l'automne des avis sur les nanotubes de carbone et le nano-argent, grâce à la base de données déclarative dont j'ai parlé. Nous souhaitons savoir quels produits industriels incluent des nanoparticules manufacturées. Nous déciderons ensuite des sujets sur lesquels les risques mériteront d'être approfondis.
Mme Annie David, présidente. - Merci.
Questions diverses - Organisation des travaux
Mme Annie David, présidente. - Je souhaite vous rendre compte de la réunion du bureau de la commission tenue le 22 mai dernier, qui a fait le point sur la suite des travaux de l'année 2012-2013 et l'avancement du programme de contrôle, et vous donner quelques précisions sur la session extraordinaire de juillet et la reprise des travaux en septembre.
Depuis le début de l'année parlementaire 2012-2013, en octobre dernier, notre commission a étudié pas moins de 22 textes législatifs, dont 17 textes pour lesquels nous étions saisis au fond. S'y ajoutent bien entendu les travaux du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances. Dans le même temps, nous avons publié quatre rapports d'information. Il faut également mentionner la commission d'enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé, présidée par Alain Milon et à laquelle plusieurs membres de la commission ont participé.
Par ailleurs, la mission annuelle de la commission s'est déroulée au Québec durant la première semaine de juin. Le compte rendu de ce déplacement sera présenté le 3 juillet. Les entretiens ont porté sur deux sujets : l'organisation des soins et la prévention du suicide, domaine dans lequel le Québec a développé une politique intéressante. Nous avons prévu la semaine prochaine de consacrer à ce thème une audition avec des spécialistes français et le rapporteur du Conseil économique, social et environnemental.
S'agissant des travaux à venir, la session extraordinaire de juillet comporte deux textes intéressant notre commission : la proposition de loi relative aux réseaux de soins et un projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat visant à prendre en compte une décision du Conseil constitutionnel suite à une question prioritaire de constitutionnalité. Ces deux textes devraient être examinés en séance publique le 24 juillet et en commission la semaine précédente.
Par ailleurs, en vue du débat d'orientation sur les finances publiques du 4 juillet, notre rapporteur général établira comme chaque année un rapport d'information sur la situation des finances sociales.
Il m'a paru nécessaire d'entendre la ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti, sur les mesures annoncées en matière de politique familiale. Cette audition aura lieu le 26 juin à 18 h 30.
Enfin, nous auditionnerons Yannick Moreau le mercredi 3 juillet au matin sur le rapport de la commission sur l'avenir des retraites qu'elle a présidée et sur les débats intervenus sur ce thème lors de la conférence sociale.
Sur un plan plus général, j'envisage de solliciter Michel Sapin et Marisol Touraine pour nous présenter dans le courant du mois de juillet les résultats de la Conférence sociale et la feuille de route qui en résulte pour le Gouvernement et les partenaires sociaux. Comme l'an passé, je regrette que le Parlement ne soit pas associé à cet exercice, alors qu'il est appelé à en transcrire les résultats dans la loi.
S'agissant de la reprise des travaux, une session extraordinaire de quinze jours est envisagée à compter du 9 septembre.
Elle s'ouvrirait, au Sénat, par l'examen du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, préparé par Najat Vallaud-Belkacem, qui sera déposé devant notre assemblée début juillet. Ce texte devrait comporter des mesures concernant en majorité la commission des lois qui serait donc saisie au fond. Nous demanderons à être saisis pour avis, avec une délégation au fond sur les articles relevant de notre compétence, notamment la réforme du congé de libre choix d'activité.
La rentrée 2013 devrait être marquée, pour notre commission, par l'examen du projet de loi sur les retraites. Son dépôt pourrait intervenir dans la deuxième quinzaine de septembre, pour un examen à l'Assemblée nationale et au Sénat dans les semaines suivantes.
Enfin, d'autres textes se profilent, vraisemblablement pour la fin de l'année : deux propositions de loi inscrites en juillet à l'Assemblée nationale, l'une sur les soins sans consentement en psychiatrie, l'autre sur la reprise des sites rentables, et un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la santé.
Nous devrons également nous saisir pour avis du projet de loi de décentralisation portant sur les compétences de régions, qui comporte des dispositions sur la formation professionnelle, l'apprentissage et les établissements et services d'aide par le travail (Esat). Il serait logique de le faire également sur deux autres textes dont l'adoption en conseil des ministres est prévue dans les prochaines semaines : le projet de loi sur le logement et le projet de loi sur l'économie sociale et solidaire.
Enfin, à tous ces textes, et bien entendu au PLFSS et au PLF, pourront s'ajouter des propositions de loi inscrites dans les espaces réservés aux groupes politiques.
Je terminerai par un mot sur l'avancement du programme de contrôle.
Le travail confié à Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno sur la situation sociale des personnes prostituées a donné lieu à de nombreuses auditions et devrait déboucher sur des conclusions en septembre. Catherine Génisson et Alain Milon ont commencé leurs auditions sur la répartition des compétences entre professionnels de santé, avec un objectif de remise de rapport à l'automne.
S'agissant de la Mecss, les auditions se poursuivent sur les ARS et sur la fiscalité comportementale, avec là aussi un objectif de remise à l'automne. Suite à une suggestion que j'avais formulée, la Mecss a également organisé hier des auditions sur le thème des médicaments génériques.
La Cour des comptes doit nous rendre deux enquêtes : l'une, cet été, sur la biologie médicale, avec un éclairage particulier sur la question de l'accréditation des laboratoires, l'autre en fin d'année sur l'AFPA.
Enfin, le comité de suivi sur l'amiante a été mis en place sous la présidence d'Aline Archimbaud et a commencé ses réunions.
Au cours de la réunion du bureau, nous avons constaté que la conduite des travaux de contrôle était impactée par les impératifs du programme législatif, ainsi que par des travaux extérieurs à la commission auxquels participent certains de nos collègues et notre secrétariat, notamment au titre de la commission sur l'application des lois, de commissions d'enquête, de missions communes d'information ou de la délégation pour l'outre-mer.
La détermination de nouveaux thèmes de travail devra bien entendu tenir compte de la nécessité d'achever préalablement les travaux en cours.
Le bureau a cependant pris acte de plusieurs demandes en vue de les inscrire dans le futur planning des travaux : pour la Mecss, un travail sur le régime social des indépendants (RSI), et pour la commission, un point sur le revenu de solidarité active (RSA) qui pourrait être confié à Claude Jeannerot, et également un travail portant sur la situation sociale et l'état de précarité des personnels intervenant dans le secteur de l'aide à domicile.
Plusieurs thèmes d'intérêt ont été évoqués, en particulier la coordination des acteurs de la protection de l'enfance, que nous n'avions pu planifier cette année, et d'autres encore, comme la pertinence des actes, l'égal accès à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire, le foisonnement des agences sanitaires ou les maisons médicales de garde. Nous devrons le moment venu faire un choix entre ces différents sujets d'étude.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Je me permets de rappeler, madame la présidente, que les deux échéances électorales de 2014 - municipales et sénatoriales - devront être prises en compte dans l'organisation de nos travaux.