Mardi 9 avril 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Echange de vues avec une délégation du Parlement afghan
La commission reçoit une délégation du Parlement afghan, conduite par M. Mirdad Nijrabi, député de Kapisa et président de la Commission des affaires de sécurité de l'Assemblée nationale afghane.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir une délégation de la Wolesi Jirga conduite par M. Mirdad Nijrabi, député de la Kapisa, président de la commission des affaires de sécurité. Je vous souhaite, au nom de notre commission, une très chaleureuse bienvenue.
J'observe que, dans votre délégation, il y a également Madame Aimaque, qui est députée de Kaboul et donc de la région de Surobi. Nous avons donc là des élus des territoires qui ont été le lieu d'intervention de la force La Fayette jusqu'en novembre dernier et où notre pôle de développement continue à concentrer son action.
Cet échange de vues s'inscrit dans le suivi très attentif que notre commission fait de l'évolution de la situation en l'Afghanistan, pays, je le rappelle, avec lequel nous sommes liés, non seulement par les liens du sang, par les sacrifices que nous avons mutuellement consentis, par ceux de l'amitié, mais aussi par un intérêt profond puisque nous sommes persuadés que nous devons contribuer collectivement à ce que l'Afghanistan soit une terre de stabilité et ne constitue pas une menace de déséquilibre pour le monde et pour sa région. C'est tout le sens de notre engagement, depuis plus de dix ans, qui se concrétise aujourd'hui par la mise en oeuvre du traité d'amitié et de coopération.
Avant de vous passer la parole pour nous faire part de votre analyse de la situation politique et sécuritaire dans votre pays et de ses relations avec ses voisins, en particulier naturellement le Pakistan, je voulais vous faire part de quelques préoccupations que nous avons, nous qui suivons attentivement l'évolution de la situation en Afghanistan.
Après plus de 10 ans d'intervention de la communauté internationale, la situation militaire et sécuritaire reste fragile. Malgré d'indéniables succès, l'insurrection fait preuve d'une remarquable résilience et maintient dans le pays un niveau élevé d'insécurité. Cela est naturellement préoccupant pour l'avenir.
Alors que le retrait des troupes occidentales se poursuit, l'accent est mis sur la formation de l'armée nationale afghane et des forces de sécurité en général auxquelles la coalition passe le témoin. Cette montée en puissance indispensable des forces de sécurité afghane constitue bien évidemment la condition essentielle du bon déroulé de l'ensemble du processus militaire et politique qui marquera l'année 2014. Vous nous donnerez votre appréciation sur les conditions de ce transfert de responsabilité.
S'agissant des forces françaises, le dispositif de retrait a été réalisé aujourd'hui à 80 % et nos effectifs sont passés de 2 000 hommes à 1 000, chiffre qui devrait être encore divisé par deux d'ici le mois de juillet prochain.
L'année 2014 va également être marquée par les élections présidentielles ainsi que par la réforme électorale qui sera mise en oeuvre. Or nous ne pouvons que constater qu'aujourd'hui encore, ni le registre électoral, ni le cadre législatif, ni les mécanismes de financement, ni le plan opérationnel de la commission électorale indépendante, ni le projet de l'ONU pour soutenir celui-ci, ne sont en place. Vos analyses, en tant que responsable politique, de ce processus seront pour nous particulièrement intéressantes.
Enfin, vous pourrez nous dire où en est le processus de réconciliation et quel rôle joue votre voisin pakistanais dans ses négociations. Lors du dernier déplacement que j'ai effectué en Afghanistan avec le ministre de la défense, Gérard longuet, le Président Karzaï nous avait indiqué que seuls les Afghans étaient susceptibles de résoudre leurs problèmes internes sans une aide extérieure. Je souhaite vivement que vous puissiez résoudre ses problèmes et développer votre pays dans la liberté.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les parlementaires, je vous passe la parole.
M. Mirdad Nijrabi, député de Kapisa et président de la Commission des affaires de sécurité de l'Assemblée nationale afghane.- Après avoir fait chuter le gouvernement taliban en 2001, la coalition occidentale, réunie au sein de la FIAS, s'est concentrée sur la lutte contre le terrorisme. Malheureusement, dans cette lutte, les centres de formation installés en dehors de l'Afghanistan n'ont pas pu être neutralisés. Avec 350 000 hommes, l'armée afghane dispose du nombre mais se heurte encore à des problèmes d'équipement, de formation et d'appuis logistiques. De plus, notre pays a plus de 2 000 km de frontière avec ses voisins, ce qui multiplie les risques d'ingérence. De ce fait, on peut affirmer que la guerre, et sa solution, n'est pas un problème seulement interne à l'Afghanistan.
Mon pays fait face à deux enjeux majeurs : l'organisation des élections en 2014 et le transfert de responsabilité aux forces de sécurité nationales. À ces enjeux s'ajoute le défi du processus de paix et de réconciliation. Ce dernier est encouragé par les initiatives prises par la France, l'Allemagne ou le Qatar. Elles n'ont malheureusement pas jusqu'ici débouché sur des résultats concrets. Il est nécessaire que le gouvernement afghan, la communauté internationale et les pays voisins de la région redoublent d'efforts dans ce sens. Bien évidemment, le rôle du Pakistan est vital. J'estime entre 80 et 85 % la responsabilité de ce pays dans la réussite du processus.
Deux facteurs seraient susceptibles de diminuer le niveau d'ingérence du Pakistan. Le premier pourrait être une aggravation des problèmes politiques intérieurs. Ceux-ci sont très importants entre la montée en puissance des talibans pakistanais, l'extrémisme religieux, les tensions ethniques et le séparatisme de certains comme au Baloutchistan. Le second pourrait consister en une augmentation des pressions de la communauté internationale au Conseil de sécurité de l'ONU afin que le Pakistan arrête de soutenir l'opposition armée et contribue positivement au processus de paix. Il existe une réelle fragilité sécuritaire du Pakistan. Il me paraît évident que le processus de paix et de réconciliation pourrait connaître une accélération si on limitait le degré d'ingérence des services de certains de nos voisins.
S'agissant du défi des élections en 2014, la loi électorale est en ce moment même à l'étude au sein des 18 commissions de notre assemblée. Les débats en plénière pourraient avoir lieu à partir de la semaine prochaine. Vous avez tout à fait raison de souligner le faible degré de préparation de la commission électorale indépendante. Cela étant, le Président Karzaï s'est fortement engagé à ce que les élections aient bien lieu le 5 avril 2014. Personnellement, je suis persuadé que si les conditions de la sécurité en Afghanistan ne connaissent pas d'aggravation, ces élections auront bien lieu à la date prévue même si nous devons faire face à des problèmes classiques en période de post conflits. Il ne faut pas perdre de vue que l'Afghanistan, après 35 ans de guerre, a des institutions d'État très affaiblies. Pourtant, les 11 années qui viennent de s'écouler ont un acquis positif en matière de liberté de la presse, de liberté d'expression, des droits de l'homme et de la femme....
Tous les efforts possibles sont réalisés pour réussir le transfert de responsabilité et trouver les moyens de sécuriser le territoire, de préserver la souveraineté et de protéger notre intégrité territoriale.
Lors des différentes conférences internationales, comme celles de Chicago, de Tokyo ou de Londres, la communauté internationale a pris un certain nombre d'engagements vis-à-vis de l'Afghanistan. Avec la France, nous avons signé un traité d'amitié et de coopération qui couvre l'ensemble des domaines militaires, financiers, du développement, etc. Il importe naturellement que les pays tiennent les engagements pris.
S'agissant du processus de réconciliation, il est inutile d'en souligner l'importance. Il est rendu plus complexe par les divisions de l'opposition armée et par le soutien de certains pays de la région. Il est important de continuer à faire pression sur ces pays qui s'ingèrent et qui menacent la sécurité de l'Afghanistan. L'ensemble des partis politiques afghans oeuvre pour aboutir à la paix.
Je tiens à rendre un hommage solennel aux sacrifices faits par la France et, en particulier, aux 88 soldats français morts au combat. Je présente mes condoléances à leurs familles. Nous avons beaucoup de reconnaissance pour l'aide financière et technique dans tous les domaines (agriculture, santé, justice, électricité, gouvernance, etc.) que la France nous apporte. Je tiens en particulier à remercier l'ambassadeur Bajolet et Stéphane Cata, le chef du pôle stabilité français en Afghanistan.
M. Jacques Berthou. - L'avenir de l'Afghanistan passe par la réussite du processus de réconciliation et par le développement économique et social. La France a beaucoup participé à la formation des militaires et des gendarmes afghans. Comment appréciez-vous cette formation ? Il n'y a pas de paix sans développement économique, pouvez-vous nous éclairer sur les potentiels de développement et l'avenir économique de votre pays ?
M. Mirdad Nijrabi.- J'ai déjà souligné l'importance du processus de réconciliation. Nous croyons en sa réussite, mais nous avons aussi besoin de l'aide des pays amis et la communauté internationale pour nous aider à mettre fin à la guerre et à ses souffrances pour la population.
Il a été procédé à un inventaire des richesses naturelles pour environ 30 % du territoire. Celui-ci a mis en évidence une possibilité de disposer de 3 000 milliards de dollars de ressources minières potentielles. Et bien évidemment, le principal problème est la sécurité qui conditionne la mise en oeuvre de ces projets et de l'exploitation de ces ressources.
La France a en effet joué un rôle très important en matière de formation. J'ai d'ailleurs pu le constater moi-même dans ma province, en Kapissa, en particulier en ce qui concerne la formation de la police locale, qui a porté sur 600 hommes, et la formation des militaires afghans. Je tiens à souligner que l'armée nationale afghane a également beaucoup accompli mais qu'elle a encore besoin d'équipements et de formation.
L'avenir industriel de mon pays dépend des investissements étrangers. L'un des enjeux principaux consiste à développer la production d'énergie. Nous estimons que 220 000 MW sont nécessaires. L'Afghanistan dispose de beaucoup d'eau et de beaucoup de vent mais ces ressources ne sont pas encore utilisées aujourd'hui faute de sécurité.
M. Alain Néri. - Pouvez-vous nous parler du développement social et éducatif ? Quelle aide pourrait apporter la France dans ces domaines, sachant que l'éducation est la base de tout développement ?
M. Mirdad Nijrabi.- Beaucoup de progrès ont été faits. Par exemple, 8 300 000 élèves vont à l'école sur une population de 30 millions. Nous avons créé des universités nouvelles et des centres d'éducation supérieure. L'un des principaux problèmes auxquels nous faisons face est que les bacheliers ne peuvent pas tous entrer à l'université. À ce problème d'engorgement s'ajoute bien évidemment la question sécuritaire.
La résolution des problèmes sociaux est intimement liée aux problèmes économiques. Si le niveau de vie s'est indéniablement amélioré en 10 ans, de très importants problèmes persistent en matière de santé et d'éducation. L'existence de ces problèmes ne doit pas masquer les progrès qui ont été effectués en matière de mortalité infantile, de création de maternités ou encore de services de santé de base installés dans les zones éloignées.
Mme Michelle Demessine. - J'ai pu constater, à travers plusieurs séjours en Afghanistan et des rencontres avec des parlementaires, la responsabilité du Pakistan dans les problèmes de sécurité que rencontre votre pays. Qu'attendez-vous du Conseil de sécurité en matière de pression sur le Pakistan ?
M. Mirdad Nijrabi.- Vous avez raison de dire que les sources de la sécurité sont à l'extérieur du pays. Il est nécessaire de couper la source de cette insécurité. Faute de quoi aujourd'hui nous constatons que les objectifs militaires de la coalition occidentale, après 10 ans de présence, et malgré l'utilisation de technologies de pointe, n'ont pas été atteints. Une de nos préoccupations premières est la faiblesse des moyens dont dispose l'armée nationale afghane. Ce que nous demandons au Conseil de sécurité, c'est d'empêcher le Pakistan de saboter le processus de paix.
M. Alain Gournac. - Au moment où le retrait de nos forces va s'achever, qu'attendez-vous de notre pays ? Quel est le bon positionnement que nous pouvons adopter pour l'avenir de l'Afghanistan ?
M. Mirdad Nijrabi - Nous espérons naturellement que les engagements pris dans le traité entre la France et l'Afghanistan seront tenus. Sur la formation et les équipements, nous attendons une aide technique de la France ainsi que pour le développement économique et le renforcement des capacités, notamment en matière agricole.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Pouvez-vous nous éclairer sur le niveau des ressources propres du gouvernement afghan ?
M. Mirdad Nijrabi.- C'est une question très difficile. En 10 ans, nous sommes passés de zéro à environ 2 milliards de dollars par an de ressources propres. Mais il est aussi évident que sans les problèmes de sécurité que nous connaissons, l'Afghanistan aurait dû être autonome. C'est l'insécurité qui empêche le développement des projets et des infrastructures. Nous le constatons par exemple sur la mise en exploitation des mines de cuivre qui ont été attribuées à la Chine et qui n'a toujours pas pu commencer. Dans ce contexte les ressources propres de l'État afghan sont essentiellement fiscales. Le budget 2013 se monte à 7 milliards de dollars et nous espérons que les ressources propres pourront en couvrir de deux à 2,5 milliards.
M. Jean-Louis Carrère, président.- Pouvez-vous nous faire un point sur l'étendue du trafic de drogue et sur la possibilité de proposer aux paysans afghans des cultures de substitution leur apportant au moins autant de revenus. Cet objectif est atteignable quand on sait que l'essentiel des bénéfices du trafic vont aux intermédiaires.
M. Mirdad Nijrabi.- Il est important de dire que le fléau de la drogue touche également 1,1 million d'afghans dont beaucoup de jeunes qui deviennent dépendants. L'islam condamne la culture de la drogue de manière très ferme. C'est l'opposition armée qui utilise la culture du pavot comme ressources financières. Là où le gouvernement contrôle le territoire nous avons pu limiter ces cultures mais elles se développent principalement dans les zones frontalières, en particulier avec le Pakistan. La culture du safran qui a été expérimentée dans la province d'Heirat, est un bon produit de substitution. Il existe, au sein du gouvernement, un ministère chargé de la lutte contre le trafic de drogue. De plus, les actions du ministère de l'intérieur sont très efficaces et conduisent à la destruction d'environ 100 tonnes de drogue chaque année.
M. Jean-Louis Carrère, président.- La France dispose d'une compétence de pointe en matière agricole qui peut être mise au service de l'Afghanistan y compris en matière de sélection génétique des plantes en fonction du climat et du sol.
Échange de vues avec une délégation de députés turcs
La commission reçoit une délégation de députés de la Grande Assemblée nationale de Turquie, conduite par M. Mehmet Tekelioglu, président de la Commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir nos collègues de la Grande Assemblée Nationale de Turquie. Cette délégation est conduite par M. Tekelioglu, président de la commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne et elle compte parmi ses membres M. Gülpinar qui est le président du groupe d'amitié Turquie-France qui vient de se reconstituer, ce dont, naturellement, nous nous réjouissons.
Vous effectuez actuellement un séjour en France dans le cadre d'un projet de « Dialogue interparlementaire » financé par l'Union européenne. Vous avez pris l'initiative de cette rencontre avec notre commission à et je me réjouis de cette occasion de débat qui va nous permettre d'échanger de façon très libre sur un certain nombre de sujets, en lien avec les missions de notre commission.
J'ai l'avantage de présider une commission dont les domaines de compétence sont relativement consensuels entre la majorité et l'opposition puisque tant la défense que les affaires étrangères engagent nos intérêts nationaux. Nous avons d'ailleurs institué un principe de « binômes » majorité-opposition pour l'ensemble de nos rapports et de nos missions.
Nous avons beaucoup travaillé l'année dernière dans le cadre de la préparation, en France, d'un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et continuons à suivre très attentivement les travaux de la commission chargée de sa rédaction finale ainsi que la préparation d'une loi de programmation militaire dont les enjeux nous paraissent très importants. Nous sommes en effet préoccupés par la tendance observée dans la plupart des pays européens, membres de l'OTAN, de la réduction sensible des budgets consacrés à la défense, alors même que les États-Unis, confrontés eux-mêmes à la nécessité de réduire leurs dépenses, orientent davantage leurs intérêts vers l'Extrême-Orient. Nous avons eu l'occasion d'affirmer que la limite de 1,5% du PIB consacré à la défense nous paraissait un plancher à ne pas franchir et conservons quelque espoir d'être suivi en ce sens par le Président de la République. Nous serons naturellement intéressés à connaître l'actualité de cette question en Turquie.
Nous examinons aussi de près les développements de la coopération entre États européens en matière de défense, qu'il s'agisse des initiatives au sein de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne ou des initiatives conduites au sein de l'OTAN.
En matière de politique étrangère, nous avons mis l'accent cette année sur trois zones géographiques qui nous paraissent au coeur de l'actualité :
- les pays de la rive sud de la Méditerranée, pour apprécier les évolutions intervenues dans certains d'entre eux à la suite de ce que certains ont qualifié de « printemps arabes » et leurs conséquences ;
- les questions du Sahel, car nous avons considéré, bien avant l'intervention de l'armée française au Mali, que cette zone géographique peu peuplée et instable constituait une zone à risque ;
- et enfin l'Afrique subsaharienne qui nous paraît être un continent à fort potentiel de développement.
Nous savons que la Turquie est active dans ces régions, que certains des nouveaux dirigeants du monde arabe se réfèrent au modèle turc de démocratie et qu'elle a renforcé de façon importante ses moyens diplomatiques et d'influence sur le continent africain.
Nous suivons également de très près la situation en Syrie et ses récents développements. Nous avons eu d'ailleurs l'occasion d'auditionner votre ambassadeur, il y a quelques mois, sur cette question et, la semaine dernière, à huis clos, le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius.
Nous nous intéressons naturellement au conflit israélo-palestinien et observons les récentes évolutions des relations de la Turquie avec Israël et avec les différentes composantes palestiniennes.
Nous sommes également attentifs, tout comme vous, à la question du nucléaire iranien.
J'ajouterai que nous apprécions avec intérêt les récents développements de la question kurde en Turquie et nous nous nous réjouirions qu'une solution pacifique et durable puisse en être l'issue.
Enfin, les relations que nous entretenons avec la Turquie, soit en bilatéral, soit dans le cadre de l'Union européenne, sont, bien entendu, au coeur de nos préoccupations, nous avons conscience que pour diverses raisons, qu'il s'agisse de la position de la France sur le processus de négociation en vue de l'accession de la Turquie à l'Union européenne ou du vote par le Parlement d'une proposition de loi tendant à pénaliser la négation du génocide arménien, nos relations bilatérales se sont très sensiblement altérées, au cours des dernières années, ce que, pour ma part et je ne suis pas le seul dans cette commission, à le regretter profondément. J'ai le sentiment que nous entrons dans un période de reprise, de redémarrage de relations plus confiantes, votre visite en constituant l'illustration.
Nous avons, vous le voyez, de très nombreux sujets d'intérêt en commun. Ces sujets ne sont naturellement pas exclusifs et vous souhaiterez probablement en aborder quelques autres. Nous n'aurons sans doute pas le temps matériel pour les aborder tous au fond, mais cela constituera l'amorce d'un dialogue que, je l'espère, nous pourrons poursuivre.
M. Mehmet Tekelioglu, président de la Commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne - Je vous remercie, ainsi que la commission, de votre accueil. Notre visite s'inscrit dans le cadre d'un projet d'échange et de dialogue que conduit le Parlement turc avec l'Union européenne. Je voudrais d'abord partager avec vous certaines pensées relatives à l'Union européenne. Nous souhaitons développer des liens d'amitiés, nos liens sont très anciens avec la France et nous sommes obligés de nous entendre. Nous sommes deux anciens empires, conscients que le monde a changé, que nous ne pouvons plus avoir de pensées impériales dans le monde actuel, mais que nous devons établir d'autres unions politiques et économiques pour continuer à avancer.
Dans le cadre de ce projet, l'Union européenne, pendant la période de candidature, a tenu à ce que la Turquie soit mieux connue, que les points obscurs soient mis en lumière, que les pays réticents puissent lever leurs doutes, grâce à l'échange et au dialogue. C'est une initiative du Parlement européen. La visite d'une délégation française en Turquie sera organisée ; nos ambassades respectives travaillent à cela. Des délégations turques se sont rendues au Portugal, en Estonie, en Hongrie, bientôt en Belgique. Dans le cadre du dialogue, des symposiums sont organisés en Turquie et dans d'autres pays européens, sur l'immigration, sur le dialogue interculturel, sur l'alliance des civilisations et l'Union européenne, le rôle des médias et la diversité culturelle, sur le terrorisme et nous aurons de prochaines réunions sur la bonne gouvernance et les 6 et 7 novembre à Paris sur l'égalité des sexes. Les sénateurs sont invités à participer à ces conférences.
En 2006, l'opinion publique turque était favorable à 70% à ce que nous accédions à l'Union européenne. Aujourd'hui, si nous posons la question de l'accès aux normes et standards européens, nous obtiendrons probablement le même résultat mais si nous interrogeons sur l'adhésion les résultats sont plutôt de 30 à 40%. Qu'est-ce qui explique cela ? La Turquie n'a pas été bien compris et nous n'avons pas réussi à avoir l'appui de certains de nos amis. Ainsi la France a bloqué certains chapitres au cours de la dernière période. Le blocage sur un de ces chapitres a été levé récemment, mais il faudrait que le blocage soit levé sur les quatre chapitres restants, ainsi l'opinion publique vis-à-vis de la France deviendrait beaucoup plus positive. Il faut le faire car nous avons besoin de plus de relations économiques et si nos relations économiques sont meilleures nous n'aurons plus de raisons de ne pas nous entendre. Sinon nous aurons plus de problèmes dans notre dialogue. Il faut que nous soyons en état de discuter et de négocier sur toutes les questions.
Sur l'Union européenne, il n'y a pas de perte de la visée. Elle est partagée par notre parti et par les partis de l'opposition. Nous poursuivons les réformes ; un 4ème paquet de réformes portant notamment sur la justice est à l'ordre du jour. Certaines déclarations et agissements de certains leaders en Europe ont eu un effet sur l'opinion publique et il faut dépasser tout cela.
La concordance avec l'acquis communautaires touche les lois, les règlements, tout un ensemble de directives et de textes, c'est un travail considérable et peu visible, mais qui se réalise quotidiennement. Notre objectif est bien d'intégrer tout cet ensemble de normes et d'être au standard européen. D'ailleurs, quand nous en serons arrivés là, la question de l'adhésion à l'Union européenne ne sera peut-être même plus d'actualité, mais, pour le moment, notre but est l'adhésion pleine et entière.
Le budget de la défense reste important, à la seconde place, même s'il n'est plus le premier puisque désormais l'éducation est le la plus dotée.
Les évolutions démocratiques dans les pays de la rive sud de la Méditerranée, prennent la suite des mouvements observés dans les années 70-80 en Europe du Sud, puis en Europe de l'Est au début des années 90, puis dans certains pays d'Asie centrale. Les pays arabes étaient restés en dehors de ce mouvement, leurs régimes autoritaires ont pu se maintenir avec le soutien des pays étrangers soucieux de préserver leurs sources d'approvisionnement énergétique. Évidemment, ce n'est pas facile, la situation reste encore instable. Certains dirigeants prennent la Turquie comme exemple, ce n'est pas notre but, l'essentiel est que ces pays se dirigent durablement vers la démocratie.
Nous suivons de près ce qui se passe au Sahel et en Afrique subsaharienne, il faut que la paix vienne durablement sur ce continent.
Nous sommes préoccupés par la situation en Syrie qui est notre voisin. Nous avons actuellement 200 000 réfugiés syriens en Turquie, que nous prenons en charge et nous constatons la faiblesse de l'appui de la communauté internationale pour cela. Nous essayons de faire ce qui est dans nos possibilités pour que la paix survienne : action diplomatique, dialogue avec l'opposition.
S'agissant du conflit israélo-palestinien, nous voulions que les relations reprennent avec Israël dans un contexte nouveau, nous avons reçu les excuses que nous attendions mais l'essentiel est que la paix arrive dans la région, que les réfugiés soient traités équitablement, que l'embargo sur Gaza soit levé.
La situation nucléaire de l'Iran conduit à une impasse. Nous essayons de convaincre l'Iran d'arrêter ses travaux et d'accepter les contrôles des Nations unies sur l'ensemble des centres. S'il n'y a pas cette transparence, les craintes augmenteront dans le monde et l'Iran en subira les conséquences.
Le problème kurde doit pouvoir être résolu de façon durable et pacifique. Un processus est en cours. Il y a un volet « droits de l'homme » et un volet « terrorisme », cela a entraîné un très grand nombre de morts jusqu'à aujourd'hui. Une ouverture est en cours pour que le sang ne coule plus. C'est un préalable. Les kurdes commencent à voir qu'il est possible de vivre ensemble en Turquie en obtenant l'intégralité de leurs droits et ils savent désormais que cela est possible.
La question arménienne continue de nous préoccuper. Nous avons été éduqués à considérer la France comme le centre et de la liberté d'expression et des droits de l'homme et nous souhaitons que les Turcs obtiennent les mêmes droits que les citoyens français. Il ne faudrait pas observer un recul en la matière en France. Il y a eu des événements de 1915, ils n'étaient pas unilatéraux, mais les Parlements ne peuvent pas être les mécanismes de ces décisions, laissons les organismes internationaux et surtout les historiens travailler sur ces sujets. Lors du radoucissement des relations entre la Turquie et l'Arménie, avec des visites respectives des présidents de la République, il y avait eu la mise au point d'un protocole en ce sens mais cela s'est arrêté. Il faudrait relancer ce protocole et que les travaux se poursuivent dans cette direction.
Il y a toujours un grand nombre d'étudiants turcs en France, mais beaucoup plus encore qui se rendent aux États-Unis, il faudrait relancer ces échanges dans le cadre du développement de nos relations bilatérales.
Enfin, je voudrais vous signaler deux candidatures turques, celle de la ville d'Izmir à l'organisation de l'Exposition universelle 2020 et celle d'Istanbul à l'organisation des Jeux olympiques la même année. Nous avons besoin de votre soutien.
M. Daniel Reiner - Nous avions abordé la question syrienne, il y a quelques mois, avec votre ambassadeur. Depuis, la situation a évolué et se pose la question de la fin de l'embargo sur les armes. Nous observons une dissymétrie entre les belligérants, la Russie et l'Iran qui ne respectent pas cet embargo, qui n'est d'ailleurs pas le leur, qui continuent à approvisionner le régime et en conséquence, c'est l'Armée syrienne libre qui se trouve pénalisée. En même temps, l'hésitation persiste car l'opposition nous paraît encore très divisée. J'imagine que la Turquie se pose les mêmes questions. Quelles sont, de votre point de vue, les perspectives de sortie de crise ? Comment hâter l'issue de la crise ?
M. André Vallini - Sur la question arménienne, je partage la perplexité que vous avez exprimée sur les lois mémorielles. Ce n'est pas aux parlements mais aux historiens de dire l'histoire, pour autant, comme élu d'une région où les familles d'origine arménienne sont nombreuses, je peux vous dire que la question de la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie est une question majeure en France et donc chez les représentants du peuple français.
Je voudrais également vous interroger sur les droits de l'homme. L'Europe est un espace géographique, l'appartenance de la Turquie à cet espace a fait l'objet de nombreuses discussions depuis des siècles. L'adhésion de la Turquie serait très bénéfique à l'Europe sur le plan économique compte tenu de son développement. Mais l'Europe est d'abord un projet politique fondé sur la paix, la démocratie et les droits de l'homme. Le Gouvernement et le Parlement ont-t-il toujours la ferme volonté de mettre votre pays aux standards européens en ce domaine et de respecter la Convention européenne des droits de l'homme, notamment en matière de procédure pénale, de liberté d'expression et de liberté de la presse.
M. Mehmet Tekelioglu, président de la Commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne - La solution de la crise en Syrie ne dépend pas de la Turquie. Le blocage au Conseil de sécurité de la Russie et de la Chine est préjudiciable mais nous n'avons pas les moyens de les convaincre, peut-être que la France pourra y parvenir par son influence. Ce que nous savons, c'est que la situation ne peut pas durer comme cela et que Bachar Al-Assad doit être convaincu de quitter le pouvoir pour que le calme revienne en Syrie. Nous continuons à avoir des entretiens avec l'opposition syrienne. La Turquie n'agira que dans le cadre d'accords internationaux, d'une résolution préalable des Nations unies. Nous sommes très concernés aussi par l'afflux des réfugiés. Il faut que la communauté internationale soit plus active.
Nous pensons comme vous que la question arménienne n'est pas du ressort des parlements. Sur la reconnaissance du génocide, laissons les historiens nous dire s'il y a eu génocide ou non. Créons une commission d'arbitrage internationale. Nous avons déjà dit que nous accepterions la décision d'une telle commission d'arbitrage, parce qu'il y a eu énormément de morts de chaque côté et que nous ne pensons pas qu'il y ait eu un but génocidaire, mais nous le disons unilatéralement et vous ne l'accepterez pas, c'est pourquoi nous proposons qu'une commission internationale arbitre.
Sur les droits de l'homme et la démocratie, nous essayons d'atteindre le niveau européen, nous avons conscience de nos manques mais nous avons la volonté de les combler. Pour mettre en mouvement les solides, il faut de l'énergie, mais une fois qu'ils sont mis en mouvement on ne peut guère les arrêter. Il en va de même des mouvements sociaux, il faut que la législation soit mise en pratique, que la société l'admette et l'accepte. En matière de démocratie et de droits de l'homme, nous n'avons pas l'intention de faire de concessions, les partis d'opposition sont d'accord sur ce point, parce que nous travaillons, en adoptant ces standards, au bénéfice des citoyens turcs.
Mme Ayse Gülsün Bilgehan, député. - En tant que député de l'opposition, je suis d'accord avec le président. La Turquie et la France ont des approches communes sur la Syrie, sur les pays du « printemps arabes « et sur la Palestine. On pourrait, de loin, dire que nous sommes parfois concurrents. S'agissant de la Syrie, la Turquie porte un lourd fardeau et a besoin de l'aide de la communauté internationale. Mais, outre la question des réfugiés, il faut aussi penser à ce qui adviendra après la chute du Gouvernement, car l'opposition est divisée et il faut poser la question des minorités, y compris chrétiennes, la question de la place des femmes, celle de la laïcité. C'est d'ailleurs notre point commun, dans les pays des printemps arabes et au Mali aussi. Il faut souligner la position modérée du Gouvernement turc sur l'intervention française au Mali.
Sur l'Union européenne, il est vraiment important que nous poursuivions le processus d'adhésion. Il ne faut pas que la France arrête les négociations en bloquant des chapitres. Je suis membre du Conseil de l'Europe dont la Turquie est un membre fondateur et nous n'avons heureusement pas ces problèmes-là, nous travaillons tous en bonne intelligence. Il est donc important que le processus continue sans quoi nous risquons de perdre le soutien de l'opinion, et si la Turquie perd l'espoir d'adhérer, cela sera une grande désolation pour une grande partie des républicains et des amis de la culture française. Notre intérêt est d'être dans le même camp.
M. Yves Pozzo di Borgo - L'environnement de la Turquie est instable, des crises sont latentes chez tous ses voisins, de la Géorgie à la Syrie, en passant par l'Irak et l'Iran, et je me réjouis que la Turquie ait su préserver la paix avec ses voisins. Ma question portera sur le problème du Haut-Karabagh, ayant l'impression que les travaux du groupe de Minsk, co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie, n'avancent guère. Quelle est votre appréciation de la situation ?
M. Alain Gournac - Je voudrais saluer nos amis turcs et exprimer également mes réserves sur les lois mémorielles. La Turquie fait des efforts pour adopter les standards européens, mais Chypre reste un « caillou » dans la chaussure de la Turquie, tout en reconnaissant que c'est la communauté chypriote grecque qui a rejeté le dernier plan proposé par le secrétaire général des Nations unies. Il est important que la question trouve une solution, l'élection d'un nouveau président à Chypre n'est-elle pas une occasion pour relancer des négociations ?
M. Jeanny Lorgeoux - Le Gouvernement turc fait preuve de beaucoup de courage en réaffirmant sa volonté de rentrer en Europe alors que nous posons des conditions et que l'opinion publique turque est de plus en plus sceptique. Mais nous apprécions aussi beaucoup cette orientation nouvelle prise par le Gouvernement pour essayer de régler la question kurde et celle du PKK, et peut être, là aussi, à rebrousse-poil de l'opinion publique. Il s'agit là d'une réorientation de la politique menée jusqu'alors qui nous montre que la Turquie joue un rôle pondérateur, modérateur, à l'intérieur comme à l'extérieur On le voit également dans les discussions avec Israël et elle porte un poids important des conséquences de la crise syrienne. C'est donc une inflexion nouvelle, qui est très appréciable, qui montre que la Turquie ne tourne pas le dos à la modernité et joue un rôle régional très important. Me confirmez-vous que, joint à l'héritage kémaliste de la laïcité -Kemal Atatürk était imprégné de culture française- la voie nouvelle qui a été prise va se développer, car elle ouvrirait la voie à une Turquie en pleine cohésion avec l'Europe ?
M. Mehmet Tekelioglu, président de la Commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne - Lorsque nous avons entamé les négociations d'adhésion à l'Union européenne, nous avons reçu deux messages : il faut que les institutions non politiques ne s'occupent plus de politique en Turquie et que vous avanciez sur Chypre. Après l'échec du référendum, nous avons fait un pas, et nous avons dit que si l'embargo sur la partie nord était levé nous ouvririons nos ports et nous mettrions en pratique le protocole d'Ankara, mais il n'y a pas eu d'évolution. Nous avons tout fait à l'époque pour que les négociations continuent. L'arrivée d'un nouveau président à Chypre permettra peut-être de discuter, de faire une nouvelle évaluation et d'avancer vers une solution. Nous sommes optimistes, mais il faut que l'autre partie le soit également. Il faut avancer car, si nous ne dialoguons pas, demain nous risquons de nous quereller. D'ailleurs de nouvelles questions surgissent comme celle de l'exploitation des ressources énergétiques. On peut coopérer sur ce sujet. Si on a une approche selon laquelle ces ressources appartiennent à Chypre dans son intégralité, on pourra avancer. D'ailleurs, si ces ressources ne peuvent être transférées vers la Turquie, l'exploitation ne sera pas rentable. On avait proposé une solution bicommunautaire, mais il faut la volonté des deux parties. On a un « caillou » dans les deux chaussures, mais il faut résoudre la question en ôtant les cailloux pas en coupant le pied. Nous savons que nous devons avancer.
Sur le problème kurde, il y a une bonne atmosphère en Turquie actuellement. Il faut que toutes les couches de la société participent à la solution parce que si on oublie une partie de la société, les discussions grandissent et cela devient plus difficile. On vient de créer un Conseil des sages dans ce but. Il y a des risques, mais la politique est l'art de prendre des risques. Si on ne prend pas de risques, aucune évolution n'est possible.
En matière de laïcité, je vous rappelle que notre Premier ministre, lors d'un discours en Égypte, a dit aux Égyptiens de ne pas abandonner la laïcité, c'est un élément de cohésion de la société. Il n'a pas été compris, le mot n'existe pas en arabe. Certains l'ont accusé de proférer des insultes et de dire d'autres choses en Turquie, mais nous n'avons pas fait de concessions en matière de laïcité en Turquie. Nous ne sommes pas pour autant partisans d'une laïcité rigide, il faut la concilier avec les libertés individuelles. Nous essayons d'adopter toutes les normes européennes. On ne peut avoir de problèmes sur la laïcité Si vous abandonnez la laïcité, cela veut dire que vous voulez transposer des principes religieux dans vos lois, il n'en est pas question en Turquie. Certaines applications sont critiquées comme des atteintes à la laïcité, mais nous voulons juste mettre en avant les libertés individuelles et nous pensons qu'il y aura une meilleure cohésion sociétale.
M. Tahsin Burcuoglou, ambassadeur de Turquie à Paris. - Le Groupe de Minsk travaille depuis de nombreuses années, mais, jusqu'à aujourd'hui, aucun plan n'a été soumis aux partis. Ce système n'a fait que maintenir le statu quo sans apporter de solution. Or un cinquième du territoire de l'Azerbaïdjan (hors Haut-Karabagh) reste occupé, les Nations unies l'ont admis, il faut que cette occupation cesse. La Turquie a des projets de coopération régionale dans le domaine de transports, de l'énergie et de l'aide humanitaire, si on ne le fait pas les parties continueront à s'opposer et les opinions resteront figées. Nous avons des frontières communes avec les deux pays. Il faut souligner la présence visible et l'influence de la Russie en Arménie. Il faudrait que le groupe de Minsk soit moins passif, il faut que l'occupation des terres azerbaïdjanaises occupées cesse, je ne parle pas du Haut-Karabagh, et que les solutions proposées par la Turquie soient discutées par le groupe de Minsk. À défaut, la situation n'évoluera pas. L'Azerbaïdjan, de son côté, s'enrichit avec ses ressources pétrolières et gazières et en consacre une partie croissante à sa défense alors que l'Arménie s'appauvrit en population et se développe peu. Cela va conduire à un déséquilibre à terme avec tous les risques que cela comporte si on n'apporte pas de solutions. C'est une région sensible.
M. Jean-Louis Carrère, président - Nous n'avons pas le temps d'engager un dialogue sur le concept de laïcité, mais je pense que cela sera utile. Dans notre conception, c'est d'abord le respect de la pensée de l'autre. L'objectif de de dialogue ne serait pas d'imposer un modèle mais d'examiner la façon dont chacun le décline en droit, en matière d'éducation, en matière politique, et adapte ce principe en fonction de son histoire. L'évoquer lèverait des incompréhensions qui pourraient conduire à des retards dans le processus que nous conduisons et pour lequel, tout comme vous, je m'impatiente.
M. Mehmet Tekelioglu, président de la Commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne - Nous sommes en faveur de la continuation du dialogue et j'espère que nous aurons d'autres occasions de ce type. Nous attendons impatiemment une délégation en Turquie et j'espère qu'un membre de votre commission en fera partie.
Mercredi 10 avril 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Cybersécurité - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de MM. Jacques Berthou et Jean-Marie Bockel et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 458 (2012-2013), présentée par MM. Jacques Berthou et Jean-Marie Bockel au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union (E8076) et sur la stratégie européenne de cybersécurité : un cyberespace ouvert, sûr et sécurisé (JOIN(2013) 1 final).
M. Jean-Louis Carrère, président. - Le premier point à l'ordre du jour porte sur l'examen du rapport de nos collègues MM. Jacques Berthou et Jean-Marie Bockel et l'adoption d'une proposition de résolution européenne portant sur la stratégie européenne de cybersécurité et la proposition de directive de la Commission européenne sur la sécurité des réseaux et de l'information.
Nos deux collègues ayant déjà présenté cette proposition de résolution européenne lors de notre réunion du 27 mars, et aucun amendement n'ayant été déposé sur ce texte, je vous proposerai de passer directement au vote sur l'adoption de cette proposition de résolution européenne, après un bref rappel de la procédure relative à l'adoption des résolutions européennes, qui se caractérise par des délais très courts.
Je rappelle, en effet, que la stratégie européenne et la proposition de directive ont été publiées le 7 février dernier.
Notre commission s'est saisie de ces deux textes le 20 février et a désigné nos deux collègues comme co-rapporteurs.
Nos collègues nous ont ensuite présenté une communication et une proposition de résolution européenne le 27 mars.
Je rappelle que les résolutions européennes, prévues à l'article 88-4 de la Constitution, permettent au Parlement de faire connaître au Gouvernement sa position sur un projet de texte européen, avant son adoption par les institutions européennes. Elles ne sont pas contraignantes juridiquement pour le Gouvernement mais elles ont une forte portée politique. Elles figurent ainsi dans les dossiers des ministres lorsque ceux-ci négocient les textes européens à Bruxelles.
Aujourd'hui nous sommes appelés à nous prononcer définitivement sur l'adoption de cette proposition de résolution européenne, en l'absence d'amendements déposés.
Cette résolution européenne deviendra une résolution du Sénat au terme d'un délai de trois jours francs, sauf si le Président du Sénat, le président d'un groupe, le président d'une commission permanente, le président de la commission des affaires européennes ou le Gouvernement demande, dans ce délai, qu'elle soit examinée par le Sénat.
Si, dans les sept jours francs qui suivent cette demande, la Conférence des présidents ne propose pas ou le Sénat ne décide pas son inscription à l'ordre du jour, la proposition de résolution de la commission devient alors la résolution du Sénat.
Je tenais donc à remercier nos deux collègues pour leur travail réalisé dans des délais aussi brefs.
Après le rapport d'information sur la cyberdéfense de notre ancien collègue Roger Romani en 2008, puis celui de notre collègue Jean-Marie Bockel en juillet dernier, notre commission confirme ainsi son rôle d'éclaireur sur un dossier majeur pour notre politique de défense et de sécurité, mais aussi son intérêt pour le suivi de ses recommandations et les questions européennes.
Le texte de la résolution européenne et le projet de rapport vous ont été distribués.
Êtes-vous favorable à l'adoption de cette résolution européenne ?
Nos deux rapporteurs veulent-ils dire un mot ?
M. Jacques Berthou, co-rapporteur. - Je ne reviendrai pas ici sur le contenu de la communication que nous vous avions présentée, avec notre collègue M. Jean-Marie Bockel, lors de notre réunion du 27 mars dernier. Je voudrais simplement rappeler brièvement les principales recommandations qui figurent dans le texte de la proposition de résolution européenne.
Cette proposition de résolution européenne vise tout d'abord à approuver les grandes orientations de la stratégie européenne de cybersécurité, qui a été proposée dans la communication conjointe de la Commission européenne et de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le 7 février dernier, et à appeler les institutions européennes et les Etats membres à une mise en oeuvre rapide de ses différentes priorités.
Elle souligne, en particulier, l'importance de la mise en place et du développement par l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne de capacités nationales de cybersécurité, la nécessité de disposer d'une base industrielle européenne pérenne en matière de cybersécurité et d'équipements de confiance, ainsi que l'importance des actions de sensibilisation et de formation.
Elle vise ensuite à approuver les principales dispositions de la proposition de directive de la Commission européenne sur la sécurité des réseaux et de l'information, qui a été présentée également le 7 février dernier.
En particulier, nous nous félicitons du fait que cette proposition de directive rend obligatoire, pour chaque Etat membre, la mise en place d'un organisme responsable en matière de cybersécurité, doté de ressources humaines et financières suffisantes, la définition d'une stratégie nationale et la création d'une structure opérationnelle d'assistance au traitement d'incidents informatiques.
Nous approuvons également l'obligation, pour les administrations publiques et les opérateurs d'importance vitale, de notifier, sous peine de sanctions, les incidents graves de sécurité informatique à l'autorité nationale compétente, ainsi que la reconnaissance par les Etats membres du pouvoir donné aux autorités compétentes de donner des instructions contraignantes aux administrations publiques et aux opérateurs d'importance vitale, afin qu'ils renforcent la sécurité de leurs réseaux et systèmes.
Nous recommandons même d'inclure dans cette proposition de directive l'obligation pour les opérateurs d'importance vitale de mettre en place des outils de détection d'incidents ou d'attaques informatiques et de disposer d'une cartographie à jour de leur système d'information.
Nous estimons toutefois que la définition des modalités d'application des mesures prévues par la directive devrait être confiée aux Etats membres et non à la Commission européenne, notamment en ce qui concerne la définition des circonstances dans lesquelles s'appliquerait l'obligation de notifier les incidents ou la liste des opérateurs d'importance vitale, et nous jugeons qu'il ne serait pas pertinent de prévoir la notification systématique des incidents par les autorités nationales compétentes à l'ensemble des autres Etats membres et à la Commission européenne.
Sous ces deux réserves, la proposition de résolution européenne vise à demander au Gouvernement de soutenir ces deux initiatives et d'oeuvrer au sein du Conseil afin que ces recommandations soient prises en compte lors des négociations.
M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur. - Le travail que nous avons réalisé avec notre collègue Jacques Berthou se situe dans le prolongement du rapport d'information sur la cyberdéfense que je vous avais présenté en juillet dernier et dont les recommandations avaient été adoptées à l'unanimité par la commission.
Parmi les dix priorités et les cinquante recommandations de notre rapport, une partie d'entre-elles était consacrée au rôle de l'Union européenne.
En effet, même si la cyberdéfense doit demeurer avant tout une compétence des Etats membres, car elle touche directement à la souveraineté nationale, et que, dans ce domaine, la coopération est surtout bilatérale, notamment avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, je considère que, s'agissant d'une menace qui s'affranchit des frontières, l'Union européenne a un rôle essentiel à jouer, notamment parce qu'une grande partie des normes applicables aux opérateurs de télécommunications relève de ses compétences.
Dans ce rapport, je m'étais montré toutefois assez critique sur l'action de l'Union européenne en matière de cybersécurité, en regrettant notamment l'absence de réelle stratégie européenne, la dispersion des acteurs et le manque d'efficacité de l'Union européenne.
Parmi nos recommandations figurait ainsi la définition d'une véritable stratégie européenne de cybersécurité et, de ce point de vue, la communication de la Commission européenne et de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité répond directement à notre souhait.
Je me félicite également de l'accent mis sur les aspects industriels, notamment en ce qui concerne les équipements de confiance, à l'image des « routeurs de coeur de réseaux » ou l'offre de « cloud » de confiance en Europe. Je pense notamment qu'il serait utile de soutenir les efforts de normalisation au niveau européen, de prévoir un système de certification, des financements européens afin de soutenir les efforts de recherche et de développement, mais aussi la prise en compte de la sécurité informatique dans les marchés publics ou encore dans les primes d'assurance, comme l'envisage la Commission européenne.
Il faut aller vers une véritable politique industrielle, à l'échelle nationale et européenne, pour les produits et services de cybersécurité, et, plus largement, pour le secteur des technologies de l'information et de la communication, afin que l'Europe retrouve sa souveraineté numérique. De même qu'il existe une Europe spatiale ou une Europe de l'aéronautique, il faut aller vers une Europe du cyber ou du numérique.
J'approuve également les principales dispositions de la proposition de directive de la Commission européenne, en particulier l'obligation qui s'appliquerait aux administrations publiques et aux opérateurs d'importance vitale de notifier à l'autorité nationale compétente les incidents informatiques significatifs, qui répond aussi à l'une des recommandations qui figurent dans notre rapport d'information.
Actuellement, la plupart des incidents informatiques ne sont pas signalés. Or, l'Etat doit être informé dans les délais les plus brefs de telles attaques, surtout si elles touchent les secteurs d'importance vitale, comme l'énergie, les transports ou la santé. L'obligation de notification, sous peine de sanctions, mais avec une garantie de confidentialité, représentera donc un progrès.
À l'issue de ce débat, la commission adopte à l'unanimité le rapport de MM. Jacques Berthou et Jean-Marie Bockel et la proposition de résolution européenne.
Séminaire sur les changements politiques et sécuritaires en Afrique du Nord - Communication
Mme Joëlle Garriaud-Maylam présente un compte rendu du séminaire, organisé par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN et le Parlement du Royaume du Maroc, sur « les changements politiques et sécuritaires en Afrique du Nord », qui s'est tenu à Marrakech, du 3 au 5 avril 2013.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Du 3 au 5 avril derniers, j'ai participé à un séminaire à Marrakech, organisé par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN en partenariat avec le Parlement du Royaume du Maroc et avec le soutien de la Suisse, dont le thème principal était « les changements politiques et sécuritaires en Afrique du Nord : conséquences pour la paix et la coopération dans les régions euro-méditerranéenne et transatlantique ».
Ce séminaire de trois jours, placé sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi du Maroc Mohammed VI et remarquablement bien organisé par la partie marocaine, a réuni une centaine de parlementaires représentants les Parlements des pays membres de l'OTAN et des pays associés ou partenaires, dont l'Algérie et la Jordanie.
Plusieurs Parlements, notamment du Mali, du Tchad et de la Mauritanie, avaient également été invités, de même que des observateurs d'autres organisations régionales, d'ONG ou des experts.
La délégation française était composée de cinq députés, Mme Nicole Ameline, M. Gilbert Le Bris, M. Pierre Lellouche, M. Francis Hillmeyer, M. Jean-Luc Reitzer, et d'un seul représentant du Sénat.
Comme l'avait souhaité le président Jean-Louis Carrère et compte tenu de l'intérêt de notre commission pour les conséquences du « printemps arabe », sujet qui fait l'objet d'un groupe de travail, j'ai pensé utile de vous présenter brièvement un compte rendu de ce séminaire. Étant donné que ce séminaire a coïncidé avec la visite d'Etat du Président de la République au Maroc, j'ai également pensé utile de vous présenter brièvement l'état des relations entre nos deux pays.
Tout d'abord, quels enseignements peut-on tirer du séminaire sur « les conséquences du printemps arabe » ?
Dans le cadre de ses activités avec les pays partenaires, l'Assemblée parlementaire de l'OTAN a fondé, en 1995, un « Groupe spécial Méditerranée » dans le but d'entamer un dialogue politique avec les législateurs des pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.
Le programme de ce Groupe s'est élargi au fil du temps. Aujourd'hui, l'Assemblée entretient des relations régulières à différents niveaux avec les parlements de neuf pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée : l'Algérie, Chypre, l'Égypte, Israël, la Jordanie, Malte, le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie, ainsi qu'avec le Conseil législatif palestinien. Récemment, des contacts préliminaires ont été pris avec certains pays du Golfe et la Libye.
Parmi les activités annuelles du Groupe figurent une visite dans l'un des pays partenaires régionaux et membres associés méditerranéens, ainsi que deux séminaires méditerranéens, dont un est organisé à Naples en collaboration avec le parlement italien.
Ces réunions ont pour but de sensibiliser davantage les parlementaires aux problèmes de la région, de promouvoir un dialogue politique interparlementaire et de partager expérience et savoir-faire avec des législateurs des pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
Le séminaire qui s'est tenu à Marrakech, du 3 au 5 avril, a été -je pense utile de le souligner- le premier séminaire de l'Assemblée parlementaire organisé en Afrique du Nord.
Lors de ce séminaire 8 sessions de travail avaient été organisées. Nous avons ainsi discuté de la situation en Syrie, de la situation au Sahel, des réformes politiques, économiques et sociales dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, des conséquences du « printemps arabe » sur la sécurité dans la zone euro-méditerranéenne et transatlantique et du rôle que pourraient jouer les pays occidentaux et les différentes organisations internationales ou régionales, comme l'Union européenne ou l'OTAN, pour aider et soutenir ces pays dans leurs réformes.
Enfin, nous avons discuté sur un projet de rapport, présenté par une parlementaire canadienne, Mme Raynell Andreychuk, au titre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, portant sur le programme nucléaire militaire de l'Iran.
Je n'évoquerai pas ici l'ensemble des sujets particulièrement denses qui ont été évoqués lors de ce séminaire. Je voudrais simplement dire ici que l'action de la France au Mali a été saluée par l'ensemble des participants, qu'un large consensus s'est exprimé au sein de la conférence en faveur d'une reprise du processus de paix israélo-palestinien et que, s'agissant de la Syrie, un consensus s'est dégagé à la fois pour condamner la répression brutale du régime de Damas mais aussi pour exprimer de fortes réserves sur l'idée de livrer des armes à la rébellion en raison des risques que ces armes ne parviennent aux mains de groupes terroristes islamistes.
Ainsi, concernant le Mali, les parlementaires maliens invités à Marrakech, dont le vice-président de l'Assemblée nationale du Mali, M. Assarid Ag Imbarcaouane, ont tous remercié la France et les pays africains, en particulier le Tchad, pour leur aide et rendu hommage à l'action de nos soldats. Ils ont aussi insisté sur la nécessité de sécuriser les villes reconquises du Nord du Mali. Ils ont également souligné toute l'importance de la refondation de la démocratie et notamment de la tenue des élections en juillet prochain. Enfin, à la lumière du précédent de la Libye, ils ont fait valoir la nécessité d'une approche régionale et d'une plus grande implication de l'ensemble des pays de la région sahélienne pour lutter contre les trafics, notamment d'armes, et assurer une véritable surveillance des frontières.
S'agissant de la Syrie, un large consensus s'est dégagé au sein de la conférence, à la fois pour condamner la répression brutale du régime de Damas mais aussi pour exprimer de fortes réserves sur l'idée de livrer des armes à la rébellion en raison des risques que ces armes ne parviennent aux mains de groupes terroristes islamistes. Ayant moi-même exprimé les mêmes réserves, lors de l'audition devant notre commission, des responsables de l'opposition syrienne, j'ai été heureuse de constater que cette position était maintenant largement partagée parmi les représentants des Parlements au sein de l'assemblée.
Je voudrais vous faire part de mes réflexions sur les deux principaux sujets évoqués lors de la conférence : les conséquences du « printemps arabe » et le programme nucléaire militaire de l'Iran.
Deux ans après le déclenchement de ce qu'il est convenu d'appeler le « printemps arabe », et malgré les espoirs suscités par les révoltes populaires et la fin des dictatures, l'arrivée de partis islamistes au pouvoir, en Tunisie, en Égypte, en Libye et même au Maroc, a provoqué des tensions au point de s'interroger sur le sens même de ces révolutions. Le « printemps arabe » s'est-il transformé en « hiver islamiste », pour reprendre une expression journalistique utilisée également par une députée algérienne ?
Confrontés à l'exercice du pouvoir, mais aussi aux défis immenses de ces sociétés en matière de démographie, de développement économique ou d'éducation, les partis islamistes sont contestés à la fois par les « laïques », mais aussi par une frange plus radicale, « salafiste », et doivent faire face à des tensions sociales qui peuvent prendre un caractère violent, comme en Égypte.
En réalité, le processus de transition dans ces pays -qui sortent de cinquante ans de dictature- demeure encore largement inachevé et il faudra du temps avant que ne se mettent en place des systèmes pérennes.
Dans ce contexte, quelle attitude doivent adopter les pays occidentaux à l'égard des pays arabes en transition ?
Il est clair qu'il est dans notre intérêt que ces transitions réussissent. Notre devoir, nos intérêts nous commandent d'accompagner les sociétés arabes dans la voie de la modernité politique, sans arrogance, ni ingérence, mais en les assurant de notre disponibilité et de notre soutien. Plus que jamais, une approche globale s'impose, avec une dimension économique, de développement, politique et militaire. Et l'Europe a un rôle essentiel à jouer, compte tenu de sa proximité géographique, mais aussi de la nouvelle stratégie américaine de « pivot » vers la zone Asie-Pacifique.
D'après le FMI, compte tenu de la croissance démographique dans la région, ces pays doivent créer d'ici 2020, 50 millions d'emplois nouveaux, ne serait-ce que pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. La question de la transition économique constitue donc un défi majeur.
Au-delà des aspects économiques, il nous faudra trouver un instrument diplomatique qui puisse, autant que faire se peut, favoriser l'instauration de régimes réellement pluralistes, respectueux des droits de l'Homme et notamment de l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous n'avons rien à dicter à des pays qui ont pris leur destin en main, tracé leur histoire et fait leur révolution. Mais nous avons le devoir moral de répondre à leurs attentes et de leur apporter notre appui pour la réussite de leur transition démocratique.
Quels sont les mécanismes et les enceintes diplomatiques qui peuvent renforcer les liens régionaux et favoriser une évolution continue vers des régimes pluralistes ? Peut-on imaginer l'équivalent de ce que le Conseil de l'Europe a été pour les pays issus du bloc soviétique ? Est-ce que l'Union pour la Méditerranée, le processus de Barcelone, le dialogue 5+5 ou encore le dialogue méditerranéen dans le cadre de l'OTAN sont les instruments pertinents ? Il me semble qu'il y a une opportunité pour une organisation intergouvernementale régionale avec une valorisation d'un volet parlementaire qui puisse accompagner l'enracinement de la démocratie, l'unité du Maghreb et le dialogue euro-méditerranéen.
Je crois aussi que l'OTAN a un rôle à jouer pour accompagner la transition démocratique des pays de la région qui le demandent, notamment en apportant sa vision stratégique et son expertise dans le domaine de la réforme de défense et du contrôle démocratique des forces armées, du maintien de la sécurité, de la coopération de la formation dans une aide à la mise en place de structures institutionnelles solides.
Dans cette perspective, il me semble que la proposition du Maroc consistant à refonder le dialogue méditerranéen de l'OTAN, en s'inspirant du Partenariat pour la Paix, lancé en direction des pays d'Europe orientale, mériterait d'être soutenue.
Le deuxième principal sujet évoqué lors de ce séminaire a porté sur l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran et de son programme nucléaire militaire.
Nous avons discuté d'un projet de rapport, présenté par une parlementaire canadienne, Mme Raynell Andreychuk, au titre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, portant sur le programme nucléaire militaire de l'Iran. Si ce rapport met en lumière les menaces que ce programme représente pour la sécurité et la stabilité de la région, sur fond de tensions croissantes entre sunnites et chiites, et les limites des sanctions, il mentionne néanmoins les risques que comporterait une intervention militaire préventive, notamment en ce qui concerne le risque de déstabilisation de l'ensemble de la région.
Les discussions entre les représentants réunis lors de la conférence ont mis en évidence le rôle de médiateur que pourrait jouer la Turquie dans ce dossier ainsi que l'importance de suivre avec attention cette question au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN. A été évoquée notamment l'idée d'organiser un séminaire spécialement consacré à l'Iran dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
Le deuxième sujet que je voulais évoquer porte sur les relations franco-marocaines.
Étant donné que le séminaire de l'OTAN a coïncidé avec la visite d'Etat du Président de la République au Maroc, j'ai pensé utile de vous présenter brièvement l'état des relations franco-marocaines et la situation de nos compatriotes dans ce pays, à la lumière des échanges que j'ai pu avoir sur place avec différents responsables marocains et français, dont la Consule de France à Marrakech, Mme Chantal Chauvin, qui a eu l'obligeance de m'accompagner à Casablanca pour une réception donnée par François Hollande pour la communauté française et que je tiens à remercier pour sa disponibilité et son aide précieuse.
Comme le souligne l'article du journal Le Monde consacré à la visite du Président de la République à Rabat et à Casablanca, les relations entre la France et le Maroc sont « au beau fixe ».
Malgré l'alternance politique en France, nos deux pays entretiennent des relations politiques très étroites.
Le Roi du Maroc Mohammed VI avait choisi la France pour effectuer sa première visite d'Etat à l'étranger en mars 2000. Il a également été le premier chef d'Etat à être reçu par le Président François Hollande, une semaine après la passation de pouvoir.
Lors de sa visite d'Etat de deux jours au Maroc, à Rabat et à Casablanca, trois mois après son déplacement en Algérie, le Président de la République s'est entretenu avec le Roi du Maroc et le chef du gouvernement, dirigé par les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), M. Abdelilah Benkirane.
Le Président a également prononcé un discours devant le Parlement marocain et échangé avec des étudiants marocains de l'Université de Rabat.
Il a aussi rencontré des représentants de la société civile, pour évoquer la situation des droits de l'homme et la liberté de la presse, ainsi que la communauté française, avec un discours au Lycée français Lyautey de Casablanca.
Le Président de la République était accompagné par une importante délégation comprenant une dizaine de ministres, soixante chefs d'entreprise et plusieurs personnalités, dont le président du Conseil français du culte musulman et le directeur général de l'Agence française de développement. Parmi les parlementaires figuraient de nombreux députés et un seul sénateur, notre collègue M. Christian Cambon, qui préside le groupe d'amitié France-Maroc du Sénat. Pour ma part, j'ai assisté à l'intervention du Président de la République devant la communauté française à Casablanca.
Lors de son discours devant le Parlement marocain, le Président de la République a salué les « pas décisifs » accomplis par le Maroc vers la démocratie. Il a notamment évoqué l'adoption, à l'été 2011, d'une nouvelle Constitution, qui garantit la tolérance.
Le Président a également réaffirmé le soutien de la France au plan proposé par le Maroc pour le règlement de la question du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole contrôlée par le Maroc, mais revendiquée par les indépendantistes du front Polisario, soutenus par l'Algérie. Ce plan, présenté en 2007, prévoit un statut de large autonomie pour cette région.
De son côté, le Maroc a apporté son soutien à la France dès le début de l'intervention au Mali et nos deux pays partagent la même préoccupation au sujet de la Syrie.
Une large place dans ce déplacement a également été consacrée aux relations économiques. Si la France reste le premier partenaire commercial du Maroc, la France a cédé sa traditionnelle place de premier fournisseur à l'Espagne en 2012.
Le Maroc demeure toutefois la première destination des investissements français sur le continent africain, avec plus de 750 filiales d'entreprises françaises, dont une usine Renault à Tanger.
La France est également le premier donneur net d'aide publique au développement au Maroc. Les engagements de l'AFD s'élèvent à 1,7 milliard d'euros, principalement dans les secteurs de l'eau et de l'environnement.
Lors de la visite du Président de la République, une trentaine d'accords commerciaux ont été signés, pour un montant d'environ 300 millions d'euros.
Dans le domaine de l'éducation, la langue française jouit du statut d'une véritable seconde langue au Maroc (on estime que 40 % de la population peut s'exprimer en français). Il existe trente établissements d'enseignement français, qui accueillent près de 31 000 élèves, dont la moitié de Marocains.
Dans le domaine culturel, l'Institut français du Maroc compte onze implantations et il existe trois alliances franco-marocaines, qui organisent 1 500 manifestations culturelles par an et accueillent 65 000 élèves apprenant le français.
Enfin, la communauté française au Maroc est l'une des communautés françaises les plus importantes au monde. 45 000 français sont immatriculés dans les dix consulats mais, selon les estimations, les Français résidents seraient près de 80 000, sans compter naturellement les millions de touristes français qui visitent le pays.
Je rappelle aussi que plus d'un million de Marocains résident en France, sans compter les nombreux Français d'origine marocaine.
Nos compatriotes, dont de nombreux binationaux, contribuent ainsi au rayonnement de notre pays et de notre langue, aux échanges économiques et culturels et au développement du Maroc. Même s'ils bénéficient généralement d'un cadre de vie agréable, ils se heurtent à de nombreuses difficultés, tenant par exemple à la question de la scolarité ou aux problèmes soulevés en matière de garde d'enfants (avec le cas des enlèvements d'enfants de couples mixtes séparés ou divorcés), etc.
La question de la sécurité de nos ressortissants, notamment au regard de la situation au Sahel, est également une préoccupation constante, comme me l'ont confirmé les représentants de la communauté française ainsi que les agents de notre réseau diplomatique et consulaire que j'ai pu rencontrer sur place.
Voilà les quelques enseignements que je retire de ce séminaire et de mon déplacement au Maroc, mais je suis naturellement disposée à répondre à vos questions.
M. Jacques Berthou. - Vous avez évoqué la question du Sahara occidental. Où en sommes-nous du règlement de cette question, qui dure depuis déjà plusieurs dizaines d'années et qui empoisonne les relations entre le Maroc et l'Algérie ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Lors de son discours devant le Parlement marocain, le Président de la République a indiqué que la crise au Sahel rendait encore plus urgente la nécessité de mettre fin à cette situation. La France soutient la démarche du secrétaire général des Nations unies pour parvenir à un règlement politique acceptable, sur la base des résolutions de l'ONU. Il a aussi réaffirmé le soutien de la France au plan d'autonomie proposé par le Maroc en 2007, qui prévoit un statut de large autonomie pour la population et qui constitue une base sérieuse et crédible en vue d'une solution négociée. « Tout doit être fait pour améliorer les conditions de vie de la population dans cette région » a-t-il ajouté.
Jeudi 11 avril 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Cette audition n'a pas donné lieu à un compte rendu.