Mercredi 3 avril 2013
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Audition de M. Jean-Marc Michel et de M. Bernard Chevassus-au-Louis, préfigurateurs d'une Agence française de la biodiversité
La commission procède à l'audition de M. Jean-Marc Michel et de M. Bernard Chevassus-au-Louis, préfigurateurs d'une Agence française de la biodiversité.
Nous accueillons ce matin Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et Bernard Chevassus-au-Louis, inspecteur général de l'agriculture. Vous avez tous deux été chargés au mois de décembre dernier par la ministre Delphine Batho d'une mission de préfiguration de l'agence de la biodiversité. Cette agence avait été annoncée par le Président de la République lors de l'ouverture de la conférence environnementale au mois de septembre 2012. Il en avait tracé la feuille de route, en indiquant que cette agence pourrait, sur le modèle de l'Ademe, venir en appui auprès des collectivités territoriales, des entreprises, et des associations, dans tous les domaines du champ de la biodiversité, et notamment au regard de la stratégie nationale pour la biodiversité et des engagements internationaux de la France. Votre rapport contient plusieurs scenarii de définition du périmètre et des moyens de cette agence. Il a déjà suscité certaines polémiques. Plusieurs questions se posent. L'office national de la chasse et de la faune sauvage, l'Onema, voire les agences de l'eau, ont-ils vocation à être inclus dans le champ de cette création ? Quelle sera l'articulation du travail de l'agence avec celui des collectivités territoriales ? Celles-ci s'inquiètent aujourd'hui de voir sans cesse se créer des organismes qui recentralisent certaines missions.
M. Bernard Chevassus-au-Louis. - Quelles sont les raisons qui ont progressivement poussé à envisager la création d'un opérateur dans le domaine de la biodiversité ? Depuis une quinzaine d'années, le regard sur les questions de protection de la nature s'est déplacé, de deux manières complémentaires. Nous sommes passés de la notion d'espace ou d'espèce protégés, qui impliquait de repérer dans la diversité du vivant des choses qui méritaient protection, généralement dans des espaces dédiés, à la notion de protection de l'ensemble de la biodiversité ordinaire sur tout le territoire, agricole, forestier, urbain et périurbain. La deuxième évolution nous a fait passer d'une vision statique de conservation à l'identique de certains espaces et de certaines espèces, à l'idée que la biodiversité est un système évolutif, que les espèces et les milieux changent et se transforment. Il ne s'agit plus de vouloir conserver une photographie d'un milieu, mais plutôt de préserver les capacités d'adaptation des espèces sur l'ensemble du territoire. La biodiversité est sortie du monde des spécialistes pour devenir un enjeu d'aménagement du territoire.
Toute une série d'opérateurs se sont peu à peu saisis de ces enjeux. Partout sur notre territoire, des collectivités territoriales, des villes, des associations, des syndicats mixtes comme les parcs naturels régionaux, mais aussi des entreprises, des fédérations professionnelles, ont perçu l'importance de la biodiversité et pris des initiatives. Je prendrai un exemple très concret : le fait que les départements se soient intéressés à une autre manière de faucher les bords de route, lorsqu'on s'est rendu compte que ces bords de route pouvaient conserver de nombreuses espèces intéressantes, est une mesure de biodiversité du quotidien qui illustre la possibilité pour les gestionnaires d'infrastructures d'intégrer cette problématique. Les grands groupes industriels, dans le domaine des carrières, de l'eau, des autoroutes, ont eux aussi compris que prendre en compte la biodiversité, et savoir aménager les infrastructures dans cette optique, leur offre un avantage comparatif en France comme sur la scène internationale.
Pour appuyer et former ces acteurs, ainsi que les coordonner sur un certain nombre d'opérations, un opérateur unique et commun est nécessaire. L'idée n'est pas nouvelle. On a pu constater, dans d'autres domaines de l'environnement, comme la qualité de l'air, l'énergie, les déchets, ou l'eau, qu'il était nécessaire de mettre en place des opérateurs dédiés. La recentralisation des politiques n'est pas l'esprit dans lequel nous voulons travailler. Les nombreuses initiatives locales prises ces dernières années sont une richesse sur laquelle il faut capitaliser. Une recentralisation se traduirait par une perte d'efficacité collective.
Notre message est donc le suivant : il y a une place pour tout le monde, de l'association locale de protection des mésanges au grand groupe industriel international, en passant par les différents acteurs publics. Il faut donc parvenir à proposer à chacun des formes d'action adaptées. Nous avons beaucoup étudié le modèle de l'Ademe, qui nous semble permettre à une grande diversité d'acteurs de trouver des partenariats et des appuis techniques pour agir.
La France a récemment signé à Nagoya de nouveaux engagements, retranscrits dans la stratégie nationale pour la biodiversité, qui va être mise en oeuvre jusqu'en 2020. Cette stratégie manifeste la volonté de mobiliser tous les acteurs, et de faire de la biodiversité une politique pour tous, et non une politique limitée à l'État.
M. Jean-Marc Michel. - Dans ce but, nous avons fait une série de propositions. Notre cap était fixé puisque la feuille de route du Président de la République vise à faire naître une agence française pour la biodiversité. Notre support sera la future loi-cadre pour la biodiversité. Au regard de ce que l'inspection générale des finances, le Conseil d'État et le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique proposent, notre ambition est de faire en sorte que la construction de l'agence s'adosse à une stratégie nationale pour la biodiversité, et à une mission de protection et de valorisation des milieux naturels dans la proximité du terrain. Cette ambition doit être lisible en termes d'efficacité environnementale, et doit viser l'efficience budgétaire et fiscale. Dans notre rapport, nous avons essayé de rassembler des propositions de financement mais nous ne sommes pas allés au bout du sujet de l'efficience, qui pourrait aussi se mesurer en termes de mutualisation, et d'accès à l'information sur les ressources naturelles. L'objectif est également de contribuer à créer une certaine proportionnalité sur des sujets qui font débat en termes d'évitement, de réduction ou de compensation.
Nos objectifs pour promouvoir cette agence de la biodiversité étaient de plusieurs natures : prendre en compte un contexte économique et budgétaire difficile, faire en sorte que notre proposition se traduise en économies pour les opérateurs, garantir l'efficacité environnementale, travailler en partenariat, enfin, mettre la nature entre toutes les mains. La biodiversité ne doit pas être confinée dans des espaces protégés.
Nous avons travaillé sur la définition des futures missions de l'agence. Le modèle Ademe combine éducation et communication. Sur le sujet de la biodiversité et de l'ensemble des sciences du vivant, l'acquisition de connaissances et de savoirs n'est pas assez grande. Il faudra donc encourager la formation. La deuxième mission de l'agence pourrait être la veille et la prospective, c'est-à-dire développer la connaissance, sa collecte, son stockage, sa valorisation afin d'améliorer les savoir-faire des opérateurs territoriaux et nationaux. La professionnalisation de cette veille devrait permettre de prendre des décisions en meilleure connaissance de cause et à moindre coût. L'agence pourra également avoir une mission d'appui à la gestion des territoires, des aires protégées, des corridors écologiques, et aider à la création d'atlas locaux de la biodiversité.
La question s'est posée de savoir si l'agence aurait des missions de police. Nous avons proposé que l'agence ne soit pas une autorité environnementale. Elle n'aura pas une place d'autorité indépendante comme l'agence du médicament ou l'autorité de sûreté nucléaire et ne se substituera pas à l'autorité administrative du ministère ou des services déconcentrés. Nous proposons que l'agence soit un opérateur technique et non un opérateur administratif. Elle ne sera ni une tutelle sur des établissements publics comme les parcs nationaux, ni le pilote des services déconcentrés de l'État.
La question du rôle international de l'agence a également été traitée. La France a signé beaucoup d'engagements et de protocoles en matière de biodiversité. Nous avons proposé que l'agence ne soit qu'un soutien technique. Elle pourrait éventuellement être mandatée pour organiser un suivi des engagements internationaux, mais elle ne serait pas autorité de négociation internationale multilatérale. Nous avons proposé qu'elle ne se substitue pas à l'agence française de développement en matière de biodiversité.
En matière d'intervention financière, nous avons fait la proposition que l'agence fonctionne par appels à projets, sur le modèle de l'Ademe ou du fonds français pour l'environnement mondial.
L'agence française de la biodiversité sera ainsi une agence de services, d'aide au développement de capacités territoriales. Elle ne confisquera ni l'autorité ni l'engagement des acteurs de terrain.
Pour la gouvernance, ce pourrait être un établissement public à caractère administratif, regroupant des opérateurs existants, dont l'agence des aires marines protégées, qui représente cent quarante emplois, l'atelier technique des espaces naturels, pour une quarantaine d'emplois, et Parcs nationaux de France, pour quarante emplois également. L'effort est mis sur la mutualisation. Nous prévoyons aussi d'intégrer d'autres services financés à presque 100% par subventions du ministère.
Une de nos propositions a été interprétée, à tort, comme un démantèlement d'autres organismes : il s'agissait de rattacher l'office national de la chasse et l'office national de l'eau et des milieux aquatiques dans le cadre de missions communes, au sens du code de l'éducation, c'est-à-dire de travaux en commun, sans que l'autonomie de chacun de ces établissements publics ne soit menacée. La commande qui nous a été passée par la ministre est de continuer à travailler sur ces idées de rapprochements et de synergies. Devant la fédération nationale des chasseurs, la ministre a en tout état de cause rappelé son attachement au maintien de l'intégrité de l'office national de la chasse en tant qu'établissement public.
Pour la mise en place de l'agence de la biodiversité, nous proposons qu'elle monte en régime, depuis l'année 2015, où elle pourrait être créée, jusqu'à l'année 2020. Il faut prendre le temps de procéder aux divers regroupements d'institutions prévus, et d'ajuster les éventuelles superpositions de missions. Nous avons proposé que cette montée en puissance se fasse par l'intermédiaire d'un fonds d'intervention, sur le modèle du fonds français pour l'environnement mondial. Ce fonds est recapitalisé tous les trois ou quatre ans, au fur et à mesure de la consommation des crédits. Cela permet une programmation et une visibilité pluriannuelles.
Les cinquante premières interviews que nous avons conduites en décembre et en janvier nous ont montré qu'il y a une attente réelle de la part du réseau des collectivités, tant les intercommunalités que les communes, départements et régions, pour bénéficier des services de ce futur opérateur technique. Il y a aussi une attente des professionnels. Des programmes partenariaux avec les entreprises et les collectivités territoriales pourraient être bâtis, sous la forme d'appels à projets ou de contrats de partenariat.
M. Raymond Vall, président. - Merci pour ces explications.
M. Michel Teston. - Il est incontestable que l'enjeu de la biodiversité concerne l'ensemble du territoire. Afin d'avoir une approche globale, le choix a été fait en France de créer une agence de la biodiversité dédiée, à l'instar de ce qui a été fait dans d'autres domaines, comme la gestion de l'eau, la qualité de l'air... Je n'ai pas d'opposition formelle à cette orientation, mais on apprend beaucoup du droit comparé : comment les autres États membres de l'Union européenne, en particulier les plus peuplés, ont-ils procédé ? Ont-ils créé une structure dédiée ? Ont-ils opté pour une organisation différente, qui peut avoir sa pertinence ? Nous avons en France le goût des agences et des autorités indépendantes.
M. Charles Revet. - Nous en sommes au stade de la préfiguration de cette agence. Pourriez-vous nous en dire plus sur la manière dont ce projet va être finalisé ? Je suppose que la création de cette agence interviendra avec la loi-cadre sur la biodiversité. J'ai bien compris que certains financements allaient être récupérés ici ou là, mais je souhaiterais avoir davantage de précisions sur la question essentielle du financement de cette agence. J'ai entendu dans votre intervention ce que vous ne feriez pas et ce que vous ne vouliez pas supprimer. Mais quel sera le champ d'intervention défini par cette loi-cadre ? Quelle sera la mission exacte de l'agence ?
Vous avez indiqué que les sites à protéger représentent 2 % du territoire, et qu'il faudrait valoriser la biodiversité sur la totalité du territoire. En tant qu'élus locaux, nous connaissons la lourdeur des procédures, et il est à craindre que la multiplication des acteurs entraîne une multiplication des lourdeurs. Je citerai l'exemple de la recherche archéologique. Il y a certes des sites à protéger. Mais ils ne sont pas répertoriés sur une carte et ne sont pas identifiés par décision des collectivités : c'est l'organisme lui-même qui, sachant qu'il y a des travaux, décide de faire des recherches, qui sont financées par la collectivité. Envisagez-vous de transposer cette démarche ou y aura-t-il un autre modèle ?
M. Jean-Jacques Filleul. - Je ne m'interroge pas sur le rôle de l'agence, que vous avez bien décrit. En revanche, cette agence va-t-elle remplacer d'autres organismes ? Cela serait conforme aux préoccupations actuelles, exprimées hier par le Premier ministre. Je prends l'exemple du comité trame verte et bleue, un énorme « machin » auquel j'appartiens depuis un an sans jamais avoir été convoqué à une réunion. Va-t-il disparaître ?
Quel rôle allez-vous assurer vis-à-vis des collectivités territoriales ? Allez-vous intervenir au niveau des agendas 21 ? Il y en a beaucoup dans les collectivités, quelle que soit leur taille. Allez-vous exercer une fonction de coordination, de suivi, de validation ?
Mme Évelyne Didier. - Je suis très heureuse que nous soyons passés de la notion d'espaces et d'espèces protégés au concept de protection de l'environnement. La biodiversité est liée à la notion d'écosystème. L'homme se situe au milieu d'un écosystème, et personne ne vit jamais hors sol. Il est important de prévenir les dégâts, et donc d'éduquer, afin de permettre une prise de conscience globale. L'une des premières formations devrait d'ailleurs s'adresser aux parlementaires : je suis persuadée que nous avons tous ici beaucoup à apprendre dans ce domaine.
Le deuxième scénario proposé par votre rapport semble recueillir le plus d'assentiment, du côté des collectivités territoriales comme des associations : est-il celui qui a le plus de chance d'exister ?
La démarche de l'appel à projets n'est-elle pas à l'opposé d'une démarche globale ? N'est-elle pas, en ce sens, réductrice, en particulier au niveau des coûts ?
S'agissant du souci de ne pas bousculer l'existant, ne serait-il pas utile de simplifier un peu le paysage actuel, de regrouper les organismes existants, de mettre fin à la dispersion qui résulte de la nouveauté de cette matière ? Les départements ont la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS), des agendas 21 locaux sont instaurés... Un besoin de coordination existe. Il est peut-être temps de simplifier pour rationaliser l'action et faire des économies.
Enfin, un deuxième rapport vous a été demandé. Pourriez-vous nous en parler ?
M. Henri Tandonnet. - L'agence que vous décrivez a la forme la forme d'un grand bureau d'ingénierie à disposition des ministères et des collectivités territoriales. Allez-vous prendre la compétence de la politique publique de l'eau ? Au sein du ministère, il y a pourtant une direction de l'eau et de la biodiversité.
Du point de vue des territoires, devra-t-on soumettre chaque projet à l'avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) ainsi que de cette agence ? Cela va-il simplifier ou complexifier l'action des collectivités territoriales ?
M. Ronan Dantec. - Je suis favorable à la création d'une agence nationale et du passage d'une tradition de préservation de la biodiversité avec, depuis les années 1960, ses nombreux succès mais aussi quelques échecs, à une approche globale qui n'oublie pas la dimension internationale du sujet. Il s'agit de sortir de la segmentation des politiques qui ne correspond plus aux enjeux : aujourd'hui nous avons de plus en plus de loups et de moins en moins de bouvreuils...
Sur les missions de l'agence, il n'apparaît pas clairement à quel endroit une stratégie globale est établie, c'est-à-dire une trame cohérente, scientifiquement reconnue, couvrant l'ensemble du territoire, et hiérarchisant les atteintes principales à la biodiversité. Le rôle de soutien est bien visible, il est semblable à celui de l'Ademe. Mais l'articulation avec une stratégie nationale claire l'est beaucoup moins.
Deuxièmement, il y a toujours un paradoxe ou une contradiction dans les positions politiques. Si l'on souhaite aller vers plus de simplification, il faut effectivement regrouper des entités. Là, on reste un peu au milieu du gué. Il faudrait que la chasse soit incluse - je ne souhaite pas la stigmatiser, elle peut être envisagée comme instrument de préservation de la biodiversité - tout comme l'eau, les espaces naturels etc. La police environnementale pourrait quant à elle regrouper les garde-chasses, les agents en charge du contrôle de la qualité de l'eau, etc. sous l'autorité du préfet. Il en résulterait des gains importants en termes de fonctionnement comme de lisibilité.
M. Marcel Deneux. - Je me félicite de cette discussion sur le problème de la compréhension et de la protection de la biodiversité. Mais je m'interroge sur la méthode. La décision de créer une agence de la biodiversité a déjà été prise, ce que je conteste : les compétences des régions auraient pu être étendues dans ce domaine. Les décisions les plus efficaces sont celles qui sont le plus décentralisées. Vous avez été enfermés dans une lettre de mission, mais il faut avoir une réflexion sur l'efficacité de l'administration centrale, par rapport aux services déconcentrés et aux collectivités. Face à la diversité du terrain, une politique centralisée, qu'elle émane d'un EPA ou d'EPIC, ne peut être efficace. Pour une fois que nous avons l'occasion de donner plus de responsabilités aux collectivités territoriales...
M. Rémy Pointereau. - La création de cette agence part d'un bon sentiment, de la volonté de faire plus simple, de faire des économies, de gagner en efficacité dans ce « mille-feuilles » de la préservation de l'environnement, mais quel est l'intérêt s'il s'agit de créer un « machin » de plus qui représente des coûts, dans la période de disette budgétaire que nous connaissons aujourd'hui ? On parle de décentralisation alors que dans les faits, on recentralise. Cette entité n'aura pas de pouvoir administratif ou de police, ni de tutelle sur les autres entités : à quoi va-t-elle servir ? Et si ces compétences lui sont octroyées par la suite, ce qui adviendra forcément, je crains la création d'un État dans l'État, comme cela a été le cas pour les Drac en matière archéologie. A Bourges, à l'occasion des travaux réalisés pour la maison de la culture, monument historique créé à l'initiative d'André Malraux, les fouilles archéologiques ont coûté cinq millions d'euros, que la ville n'a pas les moyens d'assumer. Je redoute les coûts supplémentaires alors que l'argent se fait rare.
M. Robert Navarro. - Je partage l'analyse de Marcel Deneux. Nous avons besoin de communication, de formation et d'information dans les territoires. La création de cette agence est bienvenue si elle doit rendre service aux collectivités. La situation est différente si elle doit engendrer des normes et des contraintes supplémentaires. Il convient de rappeler qu'au-delà de toutes les normes qui nous sont imposées, qu'elles soient archéologiques, environnementales etc., la priorité des priorités reste l'emploi.
Je porte un projet d'agrandissement d'un port et de valorisation d'un espace de développement économique. Après la sortie d'un rapport sur les tsunamis en Méditerranée, il a fallu rehausser la plateforme économique de soixante centimètres, ce qui a engendré un coût supplémentaire considérable, non prévu initialement. Nous avons besoin d'un équilibre entre la protection de la richesse naturelle et culturelle et la nécessité de faire vivre les nôtres. A défaut, la mécanique risque de se gripper.
Mme Hélène Masson-Maret. - J'ai lu un article du Monde intitulé « le profil polémique de la future agence de la biodiversité », qui relève deux sources de polémique : les luttes de pouvoir avec les organismes existants et le risque d'ajout d'une couche supplémentaire au « mille-feuilles » en période de disette budgétaire. Le journal évoque un budget de 400 millions d'euros, sous la forme de dotations de l'État et d'apports privés. Or, ces apports manquent souvent...
Je voudrais, pour ma part, souligner l'importance de ce troisième élément polémique qui est celui de la superposition des normes. Nous avons déjà des agendas 21 sur lesquels tout le monde se mobilise. Lorsqu'on envisage de créer une zone d'aménagement, il suffit qu'il y ait une grenouille verte avec trois pois bleus pour geler tout un bassin.
Vous avez indiqué que vous ne souhaitiez pas gêner l'action des autres acteurs, mais qu'allez-vous faire ? La préservation de la biodiversité n'est remise en cause par personne. Mais dans une société fragilisée, où l'économie est un facteur important, je souhaiterais que vous nous expliquiez en quoi l'agence va être utile, en quoi elle ne sera pas nuisible aux autres instances.
Mme Laurence Rossignol. - La création de cette agence est une bonne nouvelle même si je comprends les interrogations soulevées. Mais on ne va pas créer un service au sein du ministère et il faut bien un outil.
Je ne suis pas si sûre que tout le monde soit au point sur la biodiversité. Ce sujet est un parent pauvre de l'environnement, beaucoup moins présent dans les débats que la transition énergétique, par exemple.
Nous devons éviter de créer des réserves et privilégier une approche en termes d'écosystème. Les jardins de la biodiversité sont utiles pour faire découvrir les différentes espèces aux enfants, mais cela s'arrête là au niveau de la préservation des écosystèmes.
L'agence sera respectée si elle comprend que les difficultés exposées ici sont courantes pour les élus locaux. Elles n'émanent pas de gens dont l'objectif est de repousser les obstacles à tout prix. Il y a un réel problème de hiérarchisation des exigences environnementales. Lorsqu'on fait un port fluvial pour encourager le report modal, et donc réduire les émissions de dioxyde de carbone, et qu'on ne peut pas avancer parce qu'il s'agit d'un milieu humide avec son écosystème à préserver, on se heurte à un problème évident.
M. Raymond Vall, président. - Les questions que viennent de vous poser mes collègues montrent combien agir et concrétiser des projets est de plus en plus difficile et coûteux. Les élus ont même parfois tendance à baisser les bras ! Pour autant, l'agence que vous venez de nous présenter est un sujet capital pour l'avenir de la biodiversité.
M. Bernard Chevassus-au-Louis. - Je répondrai tout d'abord sur ce qui existe chez nos voisins européens, et même un peu plus loin. La Grande-Bretagne a fait le choix d'un ministère commun à l'agriculture et à l'environnement. En conséquence, son agence environnementale gère aussi les subventions de la politique agricole commune. Je rappelle qu'en France, le montant des aides de la PAC liées à l'éco-conditionnalité est nettement supérieur à celui des subventions que peut accorder le ministère de l'écologie pour des enjeux environnementaux. Le Royaume-Uni a aussi pour tradition de respecter l'autonomie de ses régions. De ce fait, son système est très décentralisé, et l'agence compétente pour la seule Angleterre comporte 2 500 personnes, là où l'agence centrale n'en compte que 150. C'est la même chose en Allemagne, où ces questions relèvent largement des politiques menées par les Lander.
Une autre question est de savoir si l'agence gèrera directement des territoires ? En France, nous avons fait le choix de confier les zones protégées à des opérateurs délégués, avec un établissement public spécialisé pour chacun des parcs nationaux. C'est une spécificité française : ailleurs, la gestion des espaces protégés est confiée à des organismes ou des établissements exerçant aussi d'autres missions. Une autre question est de savoir si l'on doit, ou pas, confier à l'agence des pouvoirs de police. C'est le cas aux Etats-Unis, où l'agence à des fonctions de contrôle. Pour notre part, nous avons fait le choix de ne pas les intégrer dans notre projet d'agence de la biodiversité. Bref, on trouve toutes les formules dans les comparaisons internationales.
En ce qui concerne le périmètre de compétences, aux niveaux technique et scientifique, il faut veiller à la cohérence des politiques des ressources naturelles, de l'eau, des sols, des forêts, du gibier, etc. Il faudra donc aussi parvenir un jour ou l'autre à une cohérence de l'action publique dans ces domaines. Nous avons estimé que l'agence de la biodiversité pourrait assurer un premier niveau de coordination. Mais si un choix politique différent est fait, ce sera à l'Etat d'assurer cette cohérence. In fine, il reviendra au Parlement de se prononcer sur ce point.
Pour les appels à projets et la stratégie, nous avons la volonté d'éviter le saupoudrage. Ceux-ci ne seront lancés qu'après une réflexion sur les aspects stratégiques. Par exemple, la diversité du vivant dans les sols de notre pays est un sujet encore largement méconnu, qui appelle d'abord l'acquisition de meilleures connaissances. Nous recommandons de faire les appels à projets conformément à ce thème stratégique. Mais l'agence de la biodiversité, comme l'Ademe actuellement, aura besoin d'une validation politique de ses axes stratégiques.
A propos des collectivités territoriales et du développement, si l'on fait le pari de la biodiversité sur l'ensemble du territoire, il faut insérer sa protection dans l'ensemble des difficiles compromis du développement durable. Une collectivité gère des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Il ne s'agit pas de sacraliser la biodiversité, mais de la mettre « dans toutes les mains », donc d'accepter les compromis. Par exemple, les parcs naturels régionaux, qui sont d'initiative locale, doivent concilier développement économique, vie sociale et préservation du patrimoine naturel. L'agence aura la responsabilité de parler de la biodiversité, mais acceptera de la mettre en débat. Sinon, on ne fera une agence que pour les espaces protégés, qui couvrent 2 % seulement du territoire.
M. Jean-Marc Michel. - L'agence de la biodiversité aura pour mission d'être au service des acteurs de terrain, pour faire des diagnostics de territoires. Je retiens votre idée de raisonner par écosystèmes, et non en fonction d'une liste des espèces protégées. Nous rejoignons ici la question de savoir comment l'homme peut contribuer à restaurer, stabiliser, ou au contraire fragiliser, ce fonctionnement des écosystèmes. Nous pourrons reprendre cette approche dans notre proposition finale.
En créant il y a vingt ans l'Ademe, la France a regroupé trois établissements publics compétents respectivement en matière d'environnement, de qualité de l'air et d'énergie. L'Ademe regroupe aujourd'hui un millier de personnes, qui ont une culture commune et s'appellent eux-mêmes les « adémiens ». C'est une forme de réussite, et nous faisons le pari de la renouveler pour l'agence de la biodiversité.
Je vous entends quand vous nous dites que nous n'allons pas assez loin dans notre tentative de réorganisation. Par exemple, sur le sujet des milieux humides, il faut distinguer le « grand cycle » de l'eau, dans tous ses aspects, du « petit cycle » de l'eau, seulement lié à l'eau potable. Le dispositif français organisé par bassins adossés à des agences fonctionne bien : personne ne nous a fait de remarque sur ces agences, sauf peut-être à Bercy. Mais le sujet que nous n'avons pas fini de traiter est celui des milieux humides, qui sont des écosystèmes où l'on peut protéger des ressources naturelles et faire en sorte que le coût d'accès à celles-ci se trouve réduit. Il faut faire converger les intérêts de la biodiversité et ceux d'un accès au meilleur prix à un bien essentiel comme l'eau.
Vous l'avez dit, il faut réintroduire les sujets de biodiversité dans les choix à conduire sur les territoires. L'entrée par les écosystèmes me semble une bonne approche.
En ce qui concerne la future loi cadre sur la biodiversité, nous travaillons à un projet de texte dans lequel nous retrouverons le sujet de l'agence, ainsi que celui des engagements de la France pris à Nagoya, qui doivent déboucher, dans l'année, sur une décision du Parlement européen relative à l'accès aux ressources génétiques et au partage des avantages qui en découlent. Il n'y a pas de consensus à ce propos. C'est compliqué pour la France, qui est à la fois un pays hébergeur de cette ressource génétique - ce qui n'est pas le cas de tous les pays européens - et un pays consommateur. Figurera également, dans ce texte de loi, un sujet sur la gouvernance. Nous allons essayer de simplifier le paysage des comités multiples qui existent. D'abord au niveau national, en fusionnant les comités « trames verte et bleue », le comité de révision de la stratégie nationale biodiversité, le comité de suivi Natura 2000, le conseil national de la chasse et de la faune sauvage, le groupe national zones humide, etc. Une douzaine de comités sont concernés au total. Le corollaire est qu'il y aurait aussi un seul comité national d'experts et de scientifiques, qui regrouperait le comité d'observation de la biodiversité, le comité national de protection de la nature, le comité de l'environnement polaire, le groupe national des experts sur les oiseaux et la chasse. Le projet de loi comportera deux autres titres : l'un relatif aux paysages et à la publicité, l'autre relatif aux outils législatifs de conservation de la nature accumulés depuis la loi de 1976. Quarante ans après, il n'est pas incongru de se poser la question de savoir si les dispositifs des livres III et IV du code de l'environnement ne pourraient pas être simplifiés. L'objectif est de parvenir à une saisine du Conseil d'Etat sur l'avant-projet de loi à la fin du printemps.
Je veux aussi insister sur la question : une agence de la biodiversité pour quoi faire ? Et bien, pour mettre en avant une capacité d'ingénierie au service du vivant, sauvage et domestique. Les compétences des deux ministères de l'agriculture et de l'écologie seront complémentaires, surtout si l'on décide de s'intéresser non pas aux 2 % du territoire qui sont protégés, mais à 100 % de celui-ci. Cette ingénierie autour des sciences du vivant sera mise aussi au service des décisions administratives ou politiques d'organisation des territoires. Il faut regrouper les moyens afin de donner aux collectivités locales comme aux opérateurs privés les outils nécessaires pour conduire plus facilement les études d'impact qui permettent d'arbitrer entre les trois options fondamentales : éviter, réduire ou compenser les atteintes à la biodiversité. Qu'est-ce qu'une vraie compensation ? Comment se conduit-elle ? Quelle doit être la proportionnalité entre destruction et compensation ? Autant de questions auxquelles il n'est pas aisé de répondre. Il s'agit là de sujets devenus très politiques. Je crois qu'il faut y mettre un peu de technique et d'expertise pour débloquer le débat. Nous proposons que l'agence ose venir sur ce terrain de l'évitement, de la réduction et de la compensation. C'est une démarche risquée, mais incontournable.
L'agence sera aussi au service d'une communication renforcée. Ce qui ne veut pas dire que celle-ci doit être centralisée ou confisquée. Mais je constate que le modèle de l'Ademe, avec des slogans tels que « Faisons vite, ça chauffe », pour le changement climatique, ou « ça déborde », pour la gestion des déchets, a su faire passer au niveau national des messages pas trop culpabilisants et écoutés par nos concitoyens. Si cette communication nationale se trouve relayée par des messages locaux, tant mieux. Mais nous avons retenu l'idée d'axer l'action de l'agence sur le triptyque éducation, formation, et communication.
En ce qui concerne l'organisation des services de l'Etat, elle n'était pas incluse dans le champ défini par notre lettre de mission. Nous avons quand même entendu des remarques sur le fait que les compétences techniques ont quitté les services de proximité, et qu'il fallait redonner à ceux-ci les moyens de s'adosser à des centres d'expertise. Tel est l'objet de l'agence, comme c'est celui de l'Ademe. Pour protéger la biodiversité, il n'y a pas que l'approche par le règlement, mais aussi celles par le conseil et le projet. Nous proposons que ce soit une agence de services, qui développe une offre de conseil pour les collectivités pour faire, par exemple, un atlas de la biodiversité, ou élaborer les rubriques trois et quatre d'un Agenda 21. Nous souhaitons que nos collègues des services déconcentrés puissent aussi s'adosser à l'agence, au lieu de s'abriter derrière les codes réglementaires et les procédures administratives. Ils doivent apprendre à être davantage dans une logique de territoires pour les domaines des sciences du vivant.
M. Bernard Chevassus-au-Louis. - Notre deuxième lettre de mission comporte quatre points. Premièrement, un énoncé des missions de l'agence sous la forme d'un texte législatif. Deuxièmement, le choix du scénario numéro 2, considéré comme le plus intéressant par la ministre. Troisièmement, une estimation des moyens nécessaires. Quatrièmement, des propositions de financement, pour lesquelles nous avons pris contact avec la commission chargée de réfléchir sur la fiscalité écologique. Ce deuxième rapport sera présenté le 16 avril prochain, et nous aurons vraisemblablement encore après une troisième phase de travail.
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et protection des lanceurs d'alerte - Examen des amendements au texte de la commission
La commission procède à l'examen des amendements sur le texte n° 452 (2012-2013), adopté par la commission, sur la proposition de loi n° 329 (2012-2013), modifiée par l'Assemblée nationale, relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte.
M. Raymond Vall, président. - Nous devons donner notre avis sur l'unique amendement déposé sur le texte de la commission.
M. Ronan Dantec, rapporteur. - Cet amendement marque le retour d'une question dont nous avions déjà discuté en séance, à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Plancade, à savoir le rappel de la possibilité pour toute personne faisant l'objet d'une mesure discriminatoire de saisir le Défenseur des droits, dans les conditions prévues par la loi organique du 29 mars 2011. L'Assemblée nationale a supprimé ce rappel.
Cet amendement ne pose aucun problème sur le fond et fait l'objet, je le pense, d'un consensus politique. Sur la forme, cet article n'est toutefois qu'un rappel de la loi organique existante. Celle-ci est extrêmement claire. Elle prévoit que toute personne victime d'une discrimination, directe ou indirecte, prohibée par la loi, peut saisir le Défenseur des droits. Dans le cadre de la présente proposition de loi nous créons une protection des lanceurs d'alerte contre les discriminations ; tout lanceur d'alerte s'estimant discriminé pourra donc saisir le Défenseur des droits. Notre collègue et le groupe RDSE retireront peut-être cet amendement lors de la discussion en séance, mais je ne peux pour l'heure que donner un avis défavorable dans la mesure où l'amendement est totalement satisfait.
Mme Hélène Masson-Maret. - - On peut lire dans l'objet de l'amendement la phrase suivante : la charge de la preuve incombera à l'auteur de la mesure discriminatoire. A quel moment dans le droit français la charge de la preuve doit-elle être rapportée par la personne qui est accusée ? Jamais. Cela n'existe que dans le droit anglo-saxon. La loi de modernisation sociale de 2002 avait introduit un renversement de la charge de la preuve dans un cas bien précis, celui du harcèlement moral au travail, pour la première fois en droit français. Souvenons-nous de ce qui s'était alors passé dans les entreprises : on a vu pléthore de plaintes pour harcèlement moral. En 2003, ce renversement de la charge de la preuve a été supprimé, tant il avait conduit à des excès. Je voulais attirer l'attention sur ce point précis.
M. Raymond Vall, président. - Sauf mauvaise interprétation de ma part, avec la présente proposition de loi, la charge de la preuve incombera désormais à l'auteur de la mesure discriminatoire, soit l'employeur. Il s'agit en effet de protéger le lanceur d'alerte. Il est normal que la personne prenant la mesure de sanction à l'encontre du lanceur d'alerte soit celle qui doive apporter la preuve du bien-fondé de sa décision et de l'absence de discrimination.
M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le renversement de la charge de la preuve est généralement la règle en matière de discrimination.
M. Michel Teston. - Je comprends l'esprit qui a présidé au dépôt de l'amendement. Cependant je me pose la question suivante : cet amendement, s'il était adopté, apporterait-il une protection supplémentaire par rapport au droit en vigueur ? A ma connaissance, non. Toute personne victime d'une mesure discriminatoire peut d'ores et déjà saisir le Défenseur des droits. C'est en cela que je suis sceptique sur l'amendement. Le fond du texte est logique et souhaitable, mais il semble ne rien apporter à la législation en vigueur.
M. Henri Tandonnet. - Si cet amendement n'ajoute rien à la protection existante, il est inutile de l'ajouter au texte. Je voterai cette proposition de loi cet après-midi en séance. L'article 1er A m'inquiète cependant. Nous avons élargi le droit d'alerte, sans définir comment le lanceur d'alerte pourrait se manifester. Il faudra probablement un décret d'application. L'alerte pourra-t-elle passer par un site Internet ? par un courrier envoyé à un journal ? Il faudra matérialiser le lancement de l'alerte, qui justifiera que la personne sollicite la protection du statut de lanceur d'alerte. C'est une lacune du texte.
M. Ronan Dantec, rapporteur. - L'alinéa 5 de l'article 1er, sur les missions de la commission nationale de déontologie, dispose que celle-ci définit les critères qui fondent la recevabilité d'une alerte. Ce sera donc le travail de la commission de cadrer ces interrogations. Un décret d'application est par ailleurs prévu par la proposition de loi.
La commission du développement durable émet un avis défavorable sur l'amendement.