- Mardi 26 février 2013
- Mercredi 27 février 2013
- Mobilité des jeunes et des professionnels entre la France et le Liban - Examen du rapport et du texte de la commission
- Circulation transfrontalière de travailleurs et de service entre la France et la Bulgarie - Examen du rapport et du texte de la commission
- Accord de partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et le Turkménistan - Examen du rapport et du texte de la commission
- Traité d'extradition entre la France et l'Argentine - Examen du rapport et du texte de la commission
- Mobilité des jeunes entre la France et le Monténégro - Mobilité des jeunes entre la France et la Serbie - Examen du rapport et des textes de la commission
- Accord entre la France et la République d'Azerbaïdjan - Création et conditions d'activités des centres culturels - Examen du rapport et du texte de la commission
- Déplacement en Libye - Communication
Mardi 26 février 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Situation au Mali - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Cette audition n'a pas donné lieu à un compte rendu.
Mercredi 27 février 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Mobilité des jeunes et des professionnels entre la France et le Liban - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Jean-Marc Pastor et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 456 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels.
M. Jean-Marc Pastor. - La France et le Liban ont signé le 26 juin 2010 à Beyrouth un accord relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels, complétant ainsi un ensemble riche de textes encadrant la coopération bilatérale de nos deux pays.
La France entretient traditionnellement de très bonnes relations avec le Liban, comme en témoignent les nombreuses visites politiques, l'excellence des relations économiques entre les deux pays ainsi qu'une coopération bilatérale dans de nombreux domaines : ces dernières années notre commission s'est notamment prononcée sur une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, une convention en matière de sécurité intérieure, de sécurité civile et d'administration, et un accord de coopération de défense.
Les relations sont excellentes également en matière d'éducation : il existe 27 doubles diplômes et diplômes conjoints avec des établissements d'enseignement supérieur français, et la France est la première destination des étudiants libanais en mobilité dans le monde : 44 % d'entre eux étudient en France, néanmoins le nombre d'étudiants libanais présents en France a tendance à baisser : 1303 en 2006, 924 en 2008 et 832 en 2010.
L'accord qui est soumis à notre approbation comporte plusieurs volets.
Le premier est de faciliter la circulation des personnes. Il est prévu une facilitation de la délivrance des visas de court séjour à entrée multiple, dits visas de circulation. Ces visas permettent des séjours de trois mois par semestre sur une durée allant de 1 à 5 ans. Cette possibilité vise principalement les personnes qui « participent activement aux relations économiques, commerciales, professionnelles, universitaires, scientifiques, culturelles et sportives entre les deux Etats ». Cette facilitation est à sens unique : c'est la partie française qui s'engage à faciliter la délivrance des visas, aucune réciprocité n'est prévue dans l'article. En 2012, 37 429 demandes de visa ont été formulées par les Libanais et 33955 acceptées.
Le deuxième volet est le développement de la mobilité des jeunes. Tout d'abord par la mobilité des étudiants, qui pourront se voir accorder, pour ceux ayant achevé leur cycle d'études en France, la possibilité de bénéficier d'une première expérience professionnelle en France avant leur retour dans leur pays d'origine. Il s'agit d'une autorisation de six mois, renouvelable une fois.
Ensuite par la mobilité des stagiaires français et libanais, qui souhaiteraient effectuer un stage en entreprise ou en administration sur le territoire de l'autre Partie. Sont également concernés par ces dispositions les salariés libanais d'entreprises françaises installées au Liban qui souhaiteraient suivre un stage de formation en France, dans une entreprise partenaire ou appartenant au même groupe. Tous peuvent se voir octroyer un visa de long séjour de 3 à 12 mois.
Puis la mobilité des jeunes professionnels, âgés de 18 à 35 ans, déjà insérés dans la vie professionnelle dans leur pays, et qui pourront se rendre sur le territoire de l'autre Partie afin d'effectuer une expérience de travail salarié en entreprise. L'autorisation de travail est d'une durée de 12 mois renouvelable une fois. 42 titres de séjour ont été délivrés à des Libanais sur cette base.
Enfin, le cas du volontariat international est également prévu, puisqu'un titre de séjour de douze mois renouvelable une fois pourra être délivré aux volontaires français sur simple présentation de l'attestation de l'organisme français, Ubifrance actuellement, qui les détache dans une entreprise au Liban.
Le dernier volet est la mobilité professionnelle. La France s'engage à faciliter la délivrance des cartes « compétence et talents » et « salarié en mission » aux Libanais remplissant les critères d'octroi. De même, chaque Etat s'engage à accueillir sur son territoire et en respectant la législation en vigueur, les ressortissants de l'autre Partie considérés comme travailleurs « hautement qualifiés » remplissant un certain nombre de critères. Ce titre est délivré pour une durée de 1 à 3 ans, renouvelable dans les mêmes conditions.
Mes chers collègues, je vous renvoie à mon rapport écrit pour plus de précisions sur le contenu de cet accord. Celui-ci vient compléter une coopération déjà riche avec le Liban, en élargissant les possibilités de migration tout en veillant à ce que soit conservée la procédure du visa. Je vous recommande donc d'adopter le présent projet de loi, qui pourrait faire l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique le 12 mars prochain.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Circulation transfrontalière de travailleurs et de service entre la France et la Bulgarie - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Raymond Couderc et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 465 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord de coopération administrative entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bulgarie relatif à la lutte contre l'emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Mes chers collègues, je vous présente rapidement, en remplacement de notre collègue M. Raymond Couderc, qui ne pouvait être présent aujourd'hui, le rapport sur l'accord entre la France et la Bulgarie, signé à Sofia le 30 mai 2008, relatif à la lutte contre l'emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services.
Le contrôle des conditions de travail est un axe prioritaire autant au niveau français que communautaire. En matière de travail détaché, le texte de référence est la directive communautaire 96/71/CE, qui prévoit un ensemble de règles impératives de protection minimale que doivent respecter les employeurs qui détachent des salariés dans un Etat, en vue d'y exécuter, à titre temporaire, une prestation. En particulier, l'article 4 encourage le développement de la coopération administrative des pays membres afin de garantir la bonne application de la directive, notamment en matière de surveillance des conditions de travail et d'emploi des salariés détachés.
Au niveau national, le code du travail, en particulier son article L. 1262-4, veille à ce que l'employeur détachant des salariés sur le territoire national respecte les règles françaises, et le plan national de lutte contre le travail illégal 2013-2015, dans son objectif 2, réaffirme l'objectif de renforcer la lutte contre les fraudes aux détachements dans le cadre des prestations de service transnationales.
Cet accord avec la Bulgarie s'inscrit donc dans le prolongement des priorités communautaires et françaises.
La réglementation du détachement « intracommunautaire » des travailleurs en droit du travail bulgare a commencé avec la signature de l'accord de l'association de la Bulgarie à l'Union européenne (1995). Ce n'était pas une notion juridique présente, auparavant, en droit du travail bulgare. La transposition de la directive communautaire de référence a été accomplie avec succès par la Bulgarie, ce qui représente un net progrès dans le développement du droit du travail bulgare, en particulier en permettant une extension du champ des principes de libre circulation des personnes et des services, ainsi qu'en renforçant la protection des travailleurs détachés.
Que prévoit cet accord ? C'est un texte court, composé de 9 articles, et qui définit deux axes prioritaires. Le premier est la coopération en matière de prévention. Les deux États s'engagent à mener conjointement des actions d'information et de sensibilisation des entreprises et des travailleurs concernés, tant sur leurs droits et leurs obligations que sur les risques qu'ils encourent en cas de méconnaissance des règles en vigueur, dans la langue des intéressés. Le second est la coopération en matière de contrôle. Les deux États s'engagent à s'échanger des informations par l'intermédiaire de bureaux de liaison. Des stages d'observation et des échanges de fonctionnaires sont prévus afin de permettre une meilleure compréhension et connaissance des deux systèmes par les agents de contrôle. Cet échange d'informations concerne également toutes les modifications législatives susceptibles d'intervenir dans l'application de cet accord, et dont l'autre Partie doit être informée.
En 2009 on dénombrait 120 travailleurs détachés en Bulgarie, quel que soit leur pays d'origine. En France, les chiffres sont plus élevés : 145 000 travailleurs détachés en 2011, dont 5 700 bulgares, soit 4 % du total des travailleurs détachés en France.
La ratification de cet accord devrait amplifier la coopération administrative entre les bureaux de liaison des deux pays. Les échanges, depuis trois ans, sont de très bonne qualité et se développent progressivement : un seul échange en 2008 sur 158 au total, contre 22 en 2012 sur 558 au total. Actuellement, le bureau de liaison français questionne son homologue bulgare plus souvent qu'il n'est questionné. Les échanges portent essentiellement sur la vérification de la régularité de la situation d'entreprises bulgares intervenant dans le secteur du bâtiment et de l'agriculture, sur les conditions de rémunération des travailleurs bulgares détachés en France, ainsi que sur la vérification de leur affiliation au régime de sécurité sociale bulgare. Les réponses sont obtenues dans un délai de 4 semaines environ, toujours très détaillées et en adéquation avec les interrogations des services.
Au-delà de la stricte coopération entre la France et la Bulgarie, ce sont les travailleurs qui gagnent à la ratification et à l'application de cet accord : les actions d'information et de sensibilisation précitées visent à faciliter l'accès à leurs droits et obligations. Le bilan annuel prévu à l'article 8 permettra aussi une actualisation régulière et une meilleure adaptation à la réalité et aux situations rencontrées.
Cet accord s'inscrit également dans la continuité des actions que la France mène avec ses partenaires depuis une dizaine d'années afin de renforcer la coopération administrative, répondant ainsi aux voeux de Bruxelles : accord similaire conclu avec les Pays-Bas en 2009, arrangements administratifs conclus avec la Belgique et l'Allemagne, et plus récemment des déclarations d'intention avec l'Espagne, le Luxembourg et l'Italie.
En conclusion, je vous recommande d'adopter le présent projet de loi, qui pourrait faire l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique le 12 mars prochain.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Accord de partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et le Turkménistan - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de Mme Josette Durrieu et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 523 (2011-2012) autorisant la ratification d'un accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Turkménistan, d'autre part.
Mme Josette Durrieu, rapporteur. - Nous sommes appelés à nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération (APC) entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Turkménistan, d'autre part.
Avant d'évoquer le contenu de cet accord et de vous donner mon sentiment, je souhaiterais vous présenter brièvement la situation du Turkménistan et les enjeux de la présence française et européenne en Asie centrale.
Le Turkménistan est l'un des cinq États d'Asie centrale issus de l'éclatement de l'URSS en 1991. Il compte 5 millions d'habitants, dont la très grande majorité de Turkmènes, de religion musulmane, avec une minorité russe (6 %).
Quasi désertique, mais riche en gaz (ce pays occupe le 4e rang mondial concernant les réserves potentielles de gaz naturel), le Turkménistan connaît une forte croissance économique, de l'ordre de 10 % par an, et un important programme de construction (infrastructures, bâtiments officiels, etc.).
En matière de politique étrangère, le Turkménistan a fait le choix de la neutralité, reconnue par une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en décembre 1995.
On oublie également souvent de mentionner le fait que, au lendemain de la dislocation de l'URSS en 1991, tous les pays d'Asie centrale ont fait le choix de renoncer aux armes nucléaires héritées de l'Union soviétique.
A la différence d'autres pays d'Asie centrale, comme le Kazakhstan par exemple, le Turkménistan souhaite s'émanciper de la Russie, qui reste son premier partenaire commercial.
En raison de son statut de neutralité, le Turkménistan refuse de participer aux initiatives d'intégration renforcée au sein de la Communauté des Etats indépendants (CEI) et n'adhère pas aux organisations régionales sous tutelle russe (Organisation de Coopération de Shanghai, Organisation du Traité de Sécurité Collective). Par ailleurs, il n'est pas non plus membre de l'OMC.
Cette volonté d'indépendance s'est heurtée en 2009 à des positions plus fermes de Moscou dans le domaine énergétique avec l'interruption de l'importation de gaz du Turkménistan par Gazprom, provoquant ainsi une crise ouverte entre Moscou et Achgabat et une fragilisation de l'économie turkmène. A partir de janvier 2010, les exportations ont repris mais à des volumes et un prix inférieurs à ceux escomptés par Achgabat (10 Mds m3/an ; 195 USD/m3).
Le pays entretient des relations apaisées avec ses voisins, notamment avec l'Ouzbékistan et s'est rapproché de l'Azerbaïdjan depuis 2008 malgré la persistance du contentieux sur la délimitation de la mer Caspienne.
Le Turkménistan a des liens privilégiés avec la Turquie, qui mène une politique culturelle et commerciale très active, soutenue par une certaine proximité linguistique.
Le Turkménistan mène une politique de coopération avec le voisin iranien : Achgabat assure 40 % de la consommation en énergie de la conurbation industrielle de Téhéran, ce qui permet à l'Iran d'exporter ses hydrocarbures du sud du pays vers l'Extrême-Orient. Un nouveau gazoduc vers l'Iran a été inauguré en janvier 2010 (6 Mds m3/an).
Sa politique à l'égard de l'Afghanistan est pragmatique, alliant soutien humanitaire et promotion de projets économiques, notamment celui du gazoduc TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde). Le Turkménistan a apporté son soutien de principe à la coalition anti-terroriste après les attentats du 11 septembre 2001 et autorisé l'acheminement à travers son territoire de l'aide humanitaire sous l'égide de l'ONU, mais refuse tout déploiement de troupes étrangères sur son sol.
La coopération énergétique avec la Chine est dynamique : un gazoduc, inauguré en décembre 2010, construit en seulement 27 mois (7000 km à travers le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Kazakhstan), devrait permettre de fournir près de 30 milliards de mètres cube de gaz annuels à la Chine durant 30 ans (environ 6 milliards de mètres cubes en 2010). Il met un terme au monopole de Gazprom sur l'exportation du gaz turkmène. Par ailleurs, la Chine a accordé au Turkménistan des crédits dont le montant avoisine les 9 milliards de dollars.
Le Turkménistan accorde un rôle important aux Nations unies et accueille le premier Centre régional de diplomatie préventive des Nations unies qu'il souhaite valoriser pour affirmer son rôle de médiateur dans la région.
Enfin, les relations du Turkménistan avec la France sont bonnes et les entreprises françaises y sont actives. Le Turkménistan est le 3e partenaire commercial de la France en Asie centrale avec des échanges commerciaux de 94 millions d'euros en 2011. Les relations économiques et commerciales sont nourries exclusivement par la réalisation de grands contrats. Les exportations françaises sont essentiellement composées de biens d'équipements mécaniques et électriques ainsi que de biens intermédiaires (minéraux, produits chimiques) utilisés dans l'industrie extractive. Nos importations se composent à 87 % d'hydrocarbures. La part de marché de la France au Turkménistan est limitée (3 % environ), notamment par rapport à l'Allemagne. Les principales entreprises françaises sont Bouygues (qui y réalise 50 % de son chiffre d'affaires à l'international), Alcatel-Lucent, Accor, Schlumberger, Schneider Electric, Thales, Total, Vinci, Veolia, etc.
Enfin, en matière de coopération culturelle, le centre culturel français Jules Verne organise des expositions, des concerts, mais également des conférences et des sessions de formation (cours de français, formation des professeurs, notamment ceux des 4 écoles turkmènes enseignant le français).
J'en viens maintenant à l'accord qui est soumis à notre examen.
Il s'agit d'un accord de partenariat et de coopération, signé en 1998 (il y a déjà presque 15 ans !) entre l'Union européenne et le Turkménistan, qui complète le maillage des accords déjà conclus avec les autres pays d'Asie centrale. C'est toutefois le seul à ne pas être encore entré en vigueur.
Son objectif est de créer un cadre unique pour l'ensemble des relations de l'Union européenne avec le Turkménistan.
Il prévoit notamment :
- des consultations politiques régulières, avec un Conseil de coopération au niveau ministériel, assisté par un comité de coopération au niveau des hauts fonctionnaires, et une commission parlementaire de coopération, réunissant des membres du Parlement turkmène et des membres du Parlement européen ;
- un renforcement des échanges économiques, avec notamment l'objectif d'établir une zone de libre échange ;
- des stipulations concernant la liberté d'établissement des entreprises, des services et des capitaux, ainsi qu'en matière de protection de la propriété intellectuelle et commerciale ;
Enfin, l'accord fait référence, dans son préambule et dans plusieurs articles, au respect de la démocratie et des droits de l'Homme. Il prévoit notamment un renforcement de la coopération en matière d'Etat de droit et de protection des droits fondamentaux, en particulier grâce à des programmes d'assistance technique et des formations.
Bien que signé en 1998, cet accord n'est pas encore entré en vigueur. En effet, le Parlement européen et deux Etats membres (le Royaume-Uni et la France) sur Quinze n'ont pas encore ratifié cet accord. Pour les nouveaux Etats membres, la ratification ne nécessite qu'un protocole.
Le Parlement européen, le Royaume-Uni et la France (mais pas l'Allemagne) ont pendant longtemps bloqué la ratification de cet accord pour dénoncer l'absence de progrès du Turkménistan en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme.
Il faut savoir, en effet, que le Turkménistan a pendant longtemps été considéré comme une sorte de « Corée du Nord » en Asie centrale.
Après son indépendance en 1991, le Président Nyazov, qui se faisait appeler « Turkmenbachi » (le « père des Turkmènes »), a instauré dans ce pays un régime autoritaire et autarcique.
Développant sur la scène intérieure un culte de la personnalité omniprésent ne laissant place à aucune opposition, le Président Nyazov a multiplié les décisions autoritaires, conduites au nom du « Ruhnama » (livre officiel écrit par le Président) et confortées par un contrôle étroit de la population : suppression de l'enseignement supérieur, fermeture des hôpitaux, etc.
Cette dérive autoritaire du régime, fortement critiquée par les organisations non gouvernementales, avait amené la France à réduire le niveau de ses relations avec le Turkménistan.
Depuis la mort du Président Nyazov en 2006, son successeur, le Président Berdymouhammedov, élu en 2007 avec 97 % des voix, s'inscrit dans les pas de son prédécesseur mais montre toutefois des velléités de réformes.
Rompant avec la politique d'isolement, il accompagne l'ouverture de son pays par quelques réformes institutionnelles, comme l'illustre la réforme de la Constitution en 2008, l'adoption d'une nouvelle loi électorale, l'autorisation d'un deuxième parti politique, la réforme du système pénal et pénitentiaire (la peine de mort est abolie) ou encore l'autorisation des activités de l'église catholique.
La situation au regard de la démocratie et des droits de l'homme demeure toutefois très dégradée.
Il n'existe pas réellement d'opposition, le contrôle de la population est très étroit et le culte de la personnalité demeure très important. Les libertés d'expression, de manifestation et d'association sont inexistantes. Enfin, les opposants font l'objet de détentions arbitraires.
On note toutefois certains progrès. Ainsi, s'il n'existe pas de médias indépendants, les habitants ont accès, par les paraboles ou l'Internet, aux médias occidentaux ou turcs. En revanche, les réseaux sociaux font l'objet d'une censure du régime. Par ailleurs, il s'agit d'un régime laïc, où la religion n'intervient pas dans l'espace public.
Enfin, le régime se montre sensible aux pressions des pays européens.
Ainsi, le présent projet de loi avait été déposé une première fois en novembre 2009 à l'Assemblée nationale. Il avait fait l'objet d'un rapport de notre collègue député M. Gaëtan Gorce, qui l'avait présenté devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, en avril 2010.
La commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale avait alors décidé d'approuver ce projet de loi, tout en demandant au gouvernement de ne pas l'inscrire à l'ordre du jour de la séance publique tant que deux ressortissants turkmènes, arrêtés et condamnés en 2006 après avoir participé au tournage d'un reportage critique sur le régime diffusé par France 2, n'auraient pas été libérés.
En définitive, le projet de loi avait été retiré par le gouvernement, avant d'être déposé à nouveau sur le bureau du Sénat, en mai 2012.
Comme me l'ont confirmé les représentants du ministère des affaires étrangères, auditionnés la semaine dernière, ces deux personnes ont été libérées en janvier dernier et on peut penser que cette décision n'est pas étrangère au fait que nous nous réunissons aujourd'hui pour statuer sur cet accord et à la visite que devrait faire le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, en Asie centrale dans les prochains jours.
Dès lors, que faut-il penser de cet accord ?
Comme je l'avais souligné dès 2006, dans un rapport consacré à la sécurité et à la stabilité en Asie centrale, dans le cadre de l'assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale, l'Asie centrale représente une région stratégique pour l'Europe, notamment du point de vue de ses approvisionnements énergétiques. Il est donc essentiel pour l'Union européenne et la France en particulier, de renforcer nos relations avec ce pays
Actuellement, l'ensemble du gaz en provenance du Turkménistan transite vers l'Europe par les gazoducs russes, ce qui conforte le monopole de Gazprom et permet à la Russie d'être en position de force face à l'Europe. La diversification des voies d'approvisionnement du gaz turkmène, grâce notamment au projet de gazoduc transcaspien et au gazoduc Nabucco est un enjeu majeur du point de vue de la réduction de notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
Cet accord s'inscrit aussi dans le cadre de la nouvelle stratégie de l'Union européenne pour l'Asie centrale, élaborée grâce à l'action de l'ancien représentant spécial de l'Union européenne pour l'Asie centrale, le diplomate français Pierre Morel, ancien ambassadeur de France à Moscou.
Il permettra de renforcer le dialogue politique avec un pays dont la situation géographique, à la frontière de l'Iran et de l'Afghanistan, à proximité de la Russie et de la Chine, en font un acteur incontournable de la stabilité de la région.
Il ne faut pas négliger non plus l'importance de cet accord pour la présence économique française dans ce pays et la région.
Enfin, même si la situation au regard de la démocratie et des droits de l'homme reste préoccupante, on peut noter qu'une ouverture relative est engagée, comme l'illustre la récente grâce présidentielle des deux turkmènes emprisonnés pour avoir participé au reportage diffusé sur France 2.
Je suis persuadée que, sans renoncer à l'attachement à la démocratie et au respect des droits de l'homme, il est dans l'intérêt de l'Europe de contribuer à l'ouverture de ce pays et de répondre à son souhait de s'émanciper de l'influence russe.
Cet accord permettra d'y contribuer par un renforcement du dialogue politique, des échanges économiques et le renforcement de la coopération dans tous les domaines, y compris en matière de démocratie et de droits de l'homme.
Rien n'empêche d'ailleurs l'Union européenne de suspendre l'application de cet accord en cas de manquement grave par le Turkménistan à ses obligations dans ce domaine.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Traité d'extradition entre la France et l'Argentine - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Alain Néri et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 492 (2011-2012) autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République argentine.
M. Alain Néri. - Monsieur le Président, mes chers collègues, la justice, limitée par le principe de la territorialité, retrouve toute sa force et sa portée, grâce au procédé d'extradition. C'est tout l'enjeu du présent traité soumis à votre approbation.
Il a été conclu avec l'Argentine le 26 juillet 2011. Il tend à renforcer la coopération entre les deux pays qui s'est opérée jusqu'à présent sur une base consensuelle mais perfectible. Ainsi seules treize demandes d'extradition sur les vingt-neuf requêtes adressées à l'Argentine ont conduit à la remise effective des personnes. Quant aux délais de transfert, ils varient de vingt-deux jours à cinq ans.
Ces demandes ont porté sur des faits aussi variés que des assassinats, des séquestrations, des viols, de l'escroquerie, du blanchiment et des infractions à la législation sur les stupéfiants.
S'agissant des crimes commis pendant la dictature militaire qui a sévi de 1976 à 1983, aucune remise, en revanche, n'a été accordée.
Certes, l'Argentine, sous les présidences de Nestor et de Cristina Kirchner, a procédé à la poursuite de certains militaires au nom du travail de justice et de mémoire qu'elle a entrepris.
Nestor Kirchner a été ainsi l'artisan de l'abrogation, en 2003, des lois d'amnistie dites du « point final » et du « devoir d'obéissance » qui posaient une limite temporelle aux poursuites contre les militaires ainsi qu'une exemption de responsabilité pour obéissance aux ordres de leurs supérieurs.
En conséquence, des officiers tels qu'Alfredo Astiz ont pu être jugés en Argentine. Celui-ci a été condamné, en 2011, à la prison à perpétuité pour son implication dans la disparition de deux religieuses françaises survenue en 1977. Astiz avait pourtant été condamné par contumace par la Cour d'Assises de Paris en 1990. Son extradition avait été ensuite réclamée sans succès par les autorités françaises.
Voila donc une raison de conclure un tel traité d'extradition.
Il y en a d'autres. Je fais référence aux interprétations restrictives des autorités argentines sur les différentes modalités et le contenu de la présentation des demandes d'extradition, dont je vous ferai grâce et qui sont rappelées dans le rapport. Tout cela est désormais réglé dans le traité.
En outre, ce dernier vient compléter le dispositif bilatéral en matière de coopération et d'entraide judiciaire instauré en 1991 et 1998.
Ce n'est, en revanche, que le troisième accord conclu par la France après celui signé avec les Etats-Unis en 1996 et avec la Chine en 2007, ce qui ne signifie pas que l'extradition soit hors champ conventionnel. En effet, ces accords sont généralement conclus au niveau intergouvernemental.
Le traité d'extradition entre la République française et la République argentine revêt donc une forme solennelle. Ses stipulations sont conformes à la pratique internationale. Les deux Parties s'engagent à se livrer réciproquement toute personne qui, se trouvant sur leurs territoires respectifs est réclamée par l'autre Partie afin d'être poursuivie ou jugée ou encore d'exécuter une peine privative de liberté.
Les situations de refus de l'Etat d'extrader sont strictement encadrées. Tel est le cas si l'infraction est de type militaire ou politique, si la personne est appelée à être jugée par un tribunal d'exception ou risque la peine de mort. Je vous renvoie au rapport pour les modalités de la procédure qui doit être écrite et documentée. La seule spécificité du présent traité réside dans l'accélération de la procédure d'examen, en cas de consentement de la personne à être extradée.
L'examen du traité m'a également permis de faire un point sur la politique argentine que vous retrouverez dans le rapport.
C'est un pays au pilotage affirmé. Il a su rebondir et se renouveler entre crises et reconstructions.
L'Argentine est parvenue à reconquérir une place essentielle dans le commerce mondial, après la dictature et les crises financières. Elle a ainsi connu une croissance rapide et stable d'environ 7,5 %, en moyenne annuelle sur la période 2003-2011, ce qui l'a hissée à la position de deuxième économie de l'Amérique du Sud en 2011.
Cet envol s'explique non seulement par le dynamisme de sa demande intérieure mais surtout par ses exportations. L'Argentine est le premier exportateur mondial de produits dérivés du soja. En Amérique latine, elle est également le premier producteur de gaz et le quatrième producteur de pétrole.
Elle constitue un partenaire privilégié de la France en Amérique latine. Nous sommes son septième fournisseur. Nous conservons un solde excédentaire en 2011 d'un demi-milliard d'euros.
Toutefois, nos relations sont sous menace protectionniste. En effet, l'excédent commercial argentin constitue sa seule voie de financement, en l'absence d'accès aux marchés financiers internationaux.
Outre les échéances de la dette publique, le pays doit également faire face à une baisse des réserves monétaires, à la fuite des capitaux, aux pressions inflationnistes ainsi qu'aux besoins de financement d'une politique sociale ambitieuse pour faire face au chômage et à la pauvreté. Il y aurait deux millions de pauvres, selon les données officielles, contre une dizaine de millions, selon les instituts privés, sur près de 41 millions d'habitants.
Le budget du ministère du développement social a donc progressé substantiellement de 360 millions d'euros en 2003 à 2,8 milliards d'euros en 2010. Si la croissance argentine se maintient, elle tend à s'infléchir néanmoins à la baisse, passant de 8,9 % en 2011 à 3,4 % en 2012, dont beaucoup se contenteraient dans d'autres régions du monde. Chiffre qui bien entendu nous fait rêver mais est moins ambitieux que les 6 % qui avaient été initialement annoncés par le gouvernement argentin.
Mobilité des jeunes entre la France et le Monténégro - Mobilité des jeunes entre la France et la Serbie - Examen du rapport et des textes de la commission
La commission examine le rapport de M. René Beaumont et les textes proposés par la commission pour :
- le projet de loi n° 350 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Monténégro relatif à la mobilité des jeunes ;
- le projet de loi n° 351 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la mobilité des jeunes.
M. René Beaumont. - Monsieur le Président, chers collègues, deux accords sur la mobilité des jeunes sont soumis à votre approbation : le premier signé le 1er décembre 2009 avec le Monténégro, le second, avec la Serbie, le 2 décembre de la même année.
Ces accords ont été ratifiés tant par la Serbie que par le Monténégro.
La vocation européenne de ces États, mais aussi la situation économique difficile qu'ils connaissent et qui pénalise tout particulièrement leur jeunesse, justifient pleinement que notre pays leur offre des facilités dans ce domaine.
Je vous rappelle qu'ils ont entamé un processus de rapprochement avec l'Union européenne et qu'après la conclusion d'accords de stabilisation et d'association, ils se sont vu reconnaître le statut de candidat depuis le 17 décembre 2010 pour le Monténégro, et depuis le 1er mars 2012 pour la Serbie.
Les accords de stabilisation et d'association prévoient une coopération en matière migratoire. Dans ce cadre, la dispense de visa pour les courts séjours dans la zone Schengen a été accordée à compter du 19 décembre 2009 à leurs citoyens.
En outre, des accords de réadmission ont été signés le 18 septembre 2007 entre l'Union européenne et les deux États concernés. Ces accords prévoient la faculté de conclure un protocole bilatéral d'application entre un État membre et chacun des États concernés. A ce jour la France a signé un protocole avec la Serbie le 18 novembre 2009 qui doit être ratifié. Il n'est pas prévu, pour le moment, de conclure un protocole d'application avec le Monténégro.
En termes statistiques, le nombre de titres de séjour supérieurs à 3 mois délivrés pour les ressortissants s'élèvent en 2012 à 28 pour le Monténégro et 415 pour la Serbie dont une petite moitié environ à des conjoints de Français.
La crise économique et financière a accentué les difficultés de ces pays. La Serbie est entrée en décroissance en 2012 avec une baisse de (- 1,5 %), le chômage touche 22,2 % de la population active en 2011. Le Monténégro a connu en 2012 une croissance de son PIB (0,6 %) et le taux de chômage s'élève à 11,3 %.
Le taux élevé de chômage chez les jeunes, tant en Serbie (46,4 %) qu'au Monténégro (37 %), les conduit à quitter leur pays pour chercher du travail à l'étranger. Les deux pays ont pris des mesures et lancé des réformes pour adapter leurs systèmes de formation mais sans retour de la croissance, ils auront des difficultés à pouvoir proposer un nombre d'emplois suffisants aux diplômés.
Outre les partenariats noués entre les établissements français d'enseignement supérieur et les établissements serbes et monténégrins, des actions de coopération dans l'esprit des accords signés, ont été développés. En 2011, 661 inscriptions d'étudiants serbes ont été enregistrées dans l'enseignement supérieur en France et 27 d'étudiants monténégrins.
La France dispose au sein de l'Institut Français d'un Espace Campus France que nous avons eu l'occasion de visiter lors d'une mission à Belgrade en avril 2012, avec mon collègue Jean Besson. Campus France travaille en étroite collaboration avec l'Ambassade de France au Monténégro pour développer les actions de promotion et la réalisation d'un premier salon des études en France à Podgorica en novembre 2012.
Le nombre de bousiers s'élèvent à 83 pour la Serbie (dont 64 bousiers du gouvernement français). Leurs nombres sont respectivement de 20 dont 18 pour le Monténégro.
Les deux accords reposent sur la distinction entre les étudiants, les stagiaires et les jeunes professionnels.
Les stipulations concernant les étudiants sont destinées aux jeunes ressortissants serbes ou monténégrins qui viennent finir leurs études et souhaitent compléter leur formation par une première expérience professionnelle en France.
Ils seront autorisés à exercer un emploi en relation avec leur formation, assorti d'une rémunération au moins égale à une fois et demie le SMIC mensuel.
Le jeune se verra délivrer par les autorités françaises un titre de séjour d'une durée de validité de douze mois. Au-delà, si le jeune exerce un emploi conforme à ces conditions ou a une promesse d'embauche pour un tel emploi, il pourra continuer à travailler en France, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi.
Le résultat est donc potentiellement très intéressant mais les conditions de diplôme à remplir sont exigeantes. Le niveau du diplôme et celui du salaire montrent clairement que la France veut attirer de bons étudiants. Le retour dans le pays d'origine est mentionné, mais, une fois que le jeune a un travail en France et le titre de séjour lui permettant de l'occuper, rien ne l'oblige à rentrer alors que le droit commun est nettement plus contraignant.
Les accords ne prévoient pas la réciprocité.
S'agissant des stagiaires, l'accord passé avec la Serbie précise qu'il concerne les stages dans une entreprise ou un organisme public, sous couvert d'une convention d'une part, et d'autre part, les salariés qui travaillent dans une entreprise française installée dans leur pays ou dans une entreprise de ce pays liée par un partenariat à une entreprise française et qui viennent en France suivre un stage de formation. L'accord avec le Monténégro y ajoute les jeunes qui suivent un programme européen de formation professionnelle ou de coopération requérant un stage.
Dans les deux accords, le stagiaire obtient un visa de long séjour temporaire d'une durée de 3 à 12 mois.
En troisième lieu, les stipulations concernent les jeunes professionnels âgés de 18 à 35 ans, engagés ou entrant dans la vie active. Le but de leur séjour dans l'autre pays est d'améliorer leurs perspectives de carrière et approfondir leur connaissance de la société d'accueil grâce à une expérience de travail salarié dans une entreprise. Ils doivent être titulaires d'un diplôme correspondant à l'emploi qu'ils veulent occuper ou avoir une expérience professionnelle dans ce domaine. S'ils remplissent ces conditions, ils sont autorisés à occuper un emploi sans que soit prise en considération la situation de l'emploi. La durée autorisée de travail est de douze mois renouvelable une fois.
Chaque accord fixe le nombre maximal de bénéficiaires potentiels de ce dispositif pour chaque État partie : cent par an dans l'accord avec le Monténégro, et cinq cents par an dans l'accord avec la Serbie.
Les accords prévoient la réciprocité pour les jeunes professionnels français.
Les accords enfin prévoient diverses actions et fixent le montant d'une enveloppe globale qui y sera consacrée par la France sur trois ans : elle est de 150 000 euros au Monténégro et de 650 000 euros en Serbie.
Il s'agit d'actions de promotions des études en France, d'attribution de bourses et enfin de la mise en place de plateforme d'accès à des offres d'emploi dans les deux pays.
Ces dispositions ont d'ores et déjà été mises en oeuvre.
Campus France a reçu dès 2010 des subventions pour la gestion du programme de bourses sur la base de conventions signées avec le ministère de l'immigration, intégration, identité nationale et du développement solidaire
Les deux accords prévoient également que soient organisées des actions de promotion des échanges de jeunes professionnels mais leur mise en oeuvre semble plus difficile.
Enfin, seul l'accord avec le Monténégro comporte des stipulations relatives à l'immigration professionnelle. Elles concernent essentiellement la partie française et ne dépassent pas le cadre du droit commun. On peut dès lors douter de l'utilité de les introduire dans le texte de tels accords. C'est d'ailleurs, pour cette raison, que les autorités serbes n'ont pas souhaité de mesures particulières en ce domaine.
En conclusion, je voudrais faire quelques observations d'ordre général. Je déplore la lenteur du processus de ratification de ces accords. Signés les 1er et 2 décembre 2009, ils n'ont été déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale que le 1er août 2011 (soit 19 mois après leur signature), inscrits à son ordre du jour en décembre et adopté le 9 février 2012, ils ne sont inscrits à l'ordre du jour du Sénat qu'en février 2013. Il est regrettable que les projets de loi ne puissent être déposés sur le bureau des assemblées rapidement après leur signature. La rédaction du dispositif du projet de loi ne paraît pas devoir prendre un temps aussi long, quant à l'étude d'impact, on peut espérer que l'ensemble des éléments est réunie avant la signature de l'accord et constitue un outil d'aide à la décision du ministre signataire.
Fort heureusement, cette lenteur n'a pas empêché leur mise en oeuvre partielle notamment les volets relatifs à la promotion des études et aux bourses, puisque des conventions ont été signées dès 2010 par le ministère de l'immigration, intégration, identité nationale et du développement solidaire avec Campus France. Pour autant, je m'interroge sur l'utilité de soumettre à l'approbation du Parlement des dispositions qui sont entrées en vigueur avant la promulgation des projets de loi de ratification. Que se passerait-il si nous rejetions ces projets de loi ?
Tout ceci milite pour que les accords soient soumis à ratification dans des délais plus rapides d'autant que la simplification de la procédure d'examen au Parlement constitue d'ores et déjà une facilité pour accélérer la procédure de ratification.
Sous réserve de ces observations, et ne souhaitant pas allonger à l'excès une procédure qui a déjà pris suffisamment de retard, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption par le Sénat des deux projets de loi et recommande leur examen en séance publique sous forme simplifiée.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte les deux projets de loi et propose leur examen sous forme simplifiée en séance publique.
Accord entre la France et la République d'Azerbaïdjan - Création et conditions d'activités des centres culturels - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de Mme Kalliopi Ango Ela et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 708 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Azerbaïdjan relatif à la création et aux conditions d'activités des centres culturels.
Mme Kalliopi Ango Ela. - Monsieur le Président, mes chers collègues, je tenais tout d'abord à remercier de nouveau notre Commission de m'avoir désignée rapporteure sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Azerbaïdjan relatif à la création et aux conditions d'activités des centres culturels, et à lui faire part du grand intérêt que j'ai eu à travailler sur ce rapport.
Je m'intéresse, en effet, depuis plusieurs années, à l'action culturelle extérieure de la France, et j'ai, en particulier, suivi avec la plus grande attention, depuis 2009, (date de mon élection en tant que conseillère à l'AFE -Assemblée des Français de l'Étranger-) les réflexions ayant conduit à la loi du 27 juillet 2010.
J'exposerai donc brièvement cette réforme du réseau culturel et de coopération ayant conduit à la création de « l'Institut français » qu'il est nécessaire d'appréhender pour mieux saisir la ratification du texte qui nous réunit, avant de rappeler quelques éléments de la situation azerbaidjanaise et des relations qui unissent cet Etat à la France. Je présenterai ensuite le centre culturel français de Bakou, puis évoquerai les mesures significatives contenues par le présent accord bilatéral.
Évoquer cette réforme du réseau culturel et de coopération ayant abouti à la création de « l'Institut français » -constitué sous forme d'établissement public industriel et commercial- permet de mieux contextualiser le projet de ratification qui nous réunit. La fusion des dispositifs existants (SCAC- Établissement à autonomie financière, antennes) en un dispositif unique piloté par le COCAC a été achevée dans 93 pays fin 2012, et dans les 5 derniers, elle sera conduite cette année. Parallèlement, dans 12 états est menée une expérimentation du rattachement du réseau culturel à l'Institut français (effectif depuis le 1er janvier 2012). L'évaluation définitive du dispositif devrait avoir lieu avant le mois d'octobre 2013.
Par ailleurs, cet accord bilatéral s'inscrit également dans le cadre des relations suivies que la France entretient avec l'Azerbaïdjan depuis sa déclaration d'indépendance le 30 août 1991, et plus précisément dans le cadre d'un Traité d'amitié, d'entente et de coopération signé le 20 décembre 1993.
Rappelons, cependant, que la politique étrangère de ce petit état caucasien de 9,1 millions d'habitants est fortement marquée par la persistance d'un conflit ouvert avec la république voisine d'Arménie sur la région du Haut-Karabagh. En outre, l'Azerbaïdjan s'efforce de maintenir un équilibre entre les principales puissances régionales (Russie, Iran, Turquie, ...). Le développement de relations fortes avec la France et l'Union européenne participe à cette diplomatie d'équilibre.
En raison de l'implication de la France dans la recherche d'une solution au conflit de Haut-Karabagh - elle est membre du groupe de Minsk -, mais aussi du développement des relations bilatérales, les visites au niveau présidentiel et ministériel ont été exceptionnellement nombreuses. 12 accords bilatéraux ont ainsi été conclus depuis la ratification du traité fondateur de 1993. Dans le domaine économique, l'Azerbaïdjan est de très loin, en valeur, le pays du Caucase avec lequel la France a développé les relations commerciales les plus fortes. En 2011, elle était son 2e client et son 5e fournisseur. Enfin, la communauté française comprend un peu plus de 150 ressortissants.
Les relations de l'Union européenne avec l'Azerbaïdjan sont, quant à elles, régies par un accord de partenariat et de coopération entré en vigueur en 1999. En outre, il bénéficie depuis 2004 de la politique européenne de voisinage.
Fort de ses ressources en hydrocarbures, mais aussi de sa situation géographique, l'Azerbaïdjan, malgré une population relativement peu nombreuse, peut donc être vu comme un État stratégiquement important. Cela ne doit pas nous faire perdre de vue les attentes en matière de développement de la démocratie et des libertés publiques soulignées par les observateurs internationaux, et notamment l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Directement concerné par le présent accord, le centre culturel de Bakou a été créé en 2004, avec notamment l'appui du Sénat, et développe depuis de nombreuses activités.
Toutefois, on constate une situation préoccupante concernant la fréquentation des élèves suivant les cours de langue, qui a fortement diminué (de 957 en 2011 à 821 en 2012). Or, ce secteur a vocation à soutenir financièrement les autres activités.
Un ensemble d'actions de coopération dans le domaine universitaire ont été développées avec plus ou moins de succès. Environ une cinquantaine d'étudiants azerbaïdjanais effectuent des études en France et le gouvernement français attribue une vingtaine de bourses chaque année. Toutefois, l'attractivité des universités françaises a reculé, passant de la 1re place (en 2009) à la 5e. Il serait donc souhaitable qu'un Espace Campus France puisse être installé rapidement dans le cadre du centre culturel.
La coopération éducative paraît plus dynamique. Le nombre d'apprenants de français est en augmentation et la langue française est actuellement la 3e langue étrangère enseignée. Un accord relatif à la création de l'École française de Bakou a également été signé le 7 novembre 2011.
L'Institut français d'Azerbaïdjan emploie 27 personnes. Il occupe des locaux loués à l'État d'Azerbaïdjan situés dans le centre de Bakou. Son budget s'est élevé en 2012 à 385 063 euros avec un niveau d'autofinancement en forte baisse traduisant, notamment, la diminution des ressources propres et en particulier des cours de langue.
Aujourd'hui, il existe différents centres culturels étrangers à Bakou, généralement dépendants des ambassades d'Allemagne, de Russie, de Turquie, d'Iran, d'Égypte et des États-Unis.
L'accord qui nous est soumis présente les caractéristiques classiques des accords de ce type. Il vise à doter les centres culturels des deux pays d'un véritable statut au regard du droit local et apporte ainsi à la France une garantie de poursuite de sa diplomatie culturelle et d'influence dans un cadre juridique cohérent. Il assure une réciprocité à l'Azerbaïdjan qui pourra mettre en place, lorsqu'il le souhaitera, un centre culturel en France. L'ouverture d'un centre culturel ne semble pas, pour l'instant, être prévue ; je le regrette car il me semble que ce serait un moyen de mettre en valeur et de faire découvrir aux Français, l'histoire, le patrimoine culturel et les artistes de ce pays, mais aussi d'établir des échanges plus nourris.
Le temps qui m'est imparti ne me permet pas d'entrer dans l'explication détaillée de chacun des 19 articles de l'accord, mais je pourrai évidemment répondre aux questions de celles et ceux d'entre vous, chers collègues, qui souhaiteraient obtenir des précisions avant le vote.
Notons néanmoins deux éléments importants :
- Il est rappelé (à l'article 2) que les centres culturels sont placés sous l'autorité des Ambassades respectives et ont la personnalité juridique de l'État d'envoi. L'Institut français d'Azerbaïdjan demeure donc un service de l'État français (placé sous l'autorité de l'Ambassadeur de France). Selon le ministère des affaires étrangères, interrogé à ce propos, il ne semble pas que la rédaction de cet article doive être modifiée si, au terme de l'expérimentation en cours dans 12 postes diplomatiques, le centre culturel devait être rattaché à l'Institut français, EPIC, opération de l'action culturelle extérieure.
- Le périmètre des activités décrit dans l'accord (article 4) dont la négociation a été engagée en 2004 est limité aux fonctions classiques. Mais ceci n'empêche pas le centre de développer des activités notamment dans le cadre de la politique d'attractivité et de la coopération universitaire et scientifique.
La procédure de ratification de l'accord a été menée à bien en Azerbaïdjan en mars 2011. Son examen par notre commission, avant d'être soumis à l'Assemblée nationale, constitue la première étape de la partie parlementaire de ce processus.
Cet accord consolide les relations culturelles avec un État dont le développement humain et social doit être poursuivi pour assurer sa stabilité et son association à la sphère d'influence européenne.
Compte tenu de son objet, de sa place particulière et du contexte plus large des relations bilatérales avec l'Azerbaïdjan, le présent projet de loi ne peut que les conforter.
En conséquence, sous les réserves évoquées en matière de développement de la démocratie, et d'un réel équilibre entre les deux États afin que la culture d'Azerbaïdjan puisse aussi être promue en France, je propose à notre commission de l'adopter. Je propose également son examen en séance publique sous forme simplifiée.
M. Jean-Marie Bockel. - Dans ce pays, des progrès ont été réalisés depuis vingt ans et cela mérite d'être souligné. Nous avons eu ce débat au sein de l'Assemblée parlementaire du conseil de l'Europe sur le rapport d'un collègue espagnol qui a montré le chemin parcouru mais aussi ce qui reste à accomplir. Cette assemblée adopte une attitude de vigilance et d'encouragement.
M. Jeanny Lorgeoux. - La situation politique de ce pays présente un double paradoxe : celui d'un pouvoir autoritaire fort mais d'une grande tolérance dans certains domaines, notamment religieux, celui d'un pays dont la majorité de la population azérie chiite, proche de la population voisine de l'Iran et qui maintient une politique étrangère de proximité très équilibrée entre l'Iran et la Russie. Nonobstant sa relation conflictuelle avec l'Arménie, il pourrait être une passerelle diplomatique.
Mme Josette Durrieu. - Il est important de soutenir tout ce qui peut accompagner l'évolution de la démocratie dans ce pays. Le centre culturel français est un espace de liberté. La France est concernée par le conflit du Haut-Karabagh en tant que présidente du groupe de Minsk. Il est dommage que l'adhésion de l'Azerbaïdjan au groupe des Douze Plus au sein l'Union interparlementaire (UIP) n'ait pu aboutir.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Déplacement en Libye - Communication
La commission entend une communication de MM. Jean-Louis Carrère, Joël Guerriau, Alain Gournac et Jean-Claude Requier sur leur déplacement en Libye du 11 au 13 décembre 2012.
M. Jean-Louis Carrère, président - Avec Alain Gournac, Joël Guerriau et Jean-Claude Requier, nous nous sommes rendus à Tripoli du 11 au 13 décembre 2012.
Nous avons pu, en un temps très limité, rencontrer les principaux responsables libyens, à l'exception du Premier ministre M. Ali Zeidan et du Ministre de la Coopération Internationale M. Mohamed Abdelaziz, qui étaient en déplacement au Tchad, en Algérie et au Niger. De plus, le ministre des affaires étrangères n'avait pas encore été investi à l'époque où nous étions à Tripoli. C'est à présent M. Mohamed Abdelaziz qui a été nommé récemment et que nous avons reçu le 12 février dernier devant notre commission.
En revanche, nous avons rencontré le ministre de la défense M. Mohamed al-Barghati et nous avons eu des entretiens très approfondis avec le Colonel Idriss el Maadi, directeur des affaires politiques et militaires ainsi qu'avec le chef d'état major adjoint, le général Mansour Abu Hajar.
Du point de vue parlementaire, nous avons rencontré les présidents des commissions des Affaires Etrangères, de la Défense et de l'Intérieur du Congrès général national (CGN).
De plus, nous avons pu échanger avec le président du CGN, M. Mohamed Magarief, qui est, dans cette période transitoire, le chef d'Etat, et avec son vice-président M. Saleh Makhzoum.
Sur les aspects coopération, sécurité et développement, nous avons vu les représentants de l'ONU et de l'Union européenne ainsi que les représentants de la communauté économique française implantés en Libye.
Tous ces entretiens ont naturellement été complétés par les réunions de travail que nous avons tenues avec l'ambassadeur et les chefs de service de l'ambassade que je tiens à remercier chaleureusement pour leur accueil et leur aide précieuse.
Nous devons également souligner la qualité des entretiens à tous les niveaux. Nous y avons recueilli les témoignages de reconnaissance vis-à-vis de la France mais nous avons également apprécié la transparence et la franchise des analyses face à la situation. Il existe, chez les dirigeants libyens, une claire conscience des difficultés et de l'énormité de la tâche à venir. Ils sont pleinement conscients de la nécessité d'une aide et d'une assistance internationales mais ils l'attendent dans le plein respect de leur souveraineté et de leur liberté retrouvée. Ils ne veulent pas d'une solution plaquée sur une réalité qu'ils connaissent parfaitement et, personnellement, je crois que c'est une excellente chose si l'on regarde les erreurs qui ont été faites, au départ, en Irak ou en Afghanistan et dont les conséquences sont graves. Cette constatation doit servir de ligne de conduite à notre action et à nos relations avec ce pays.
La Libye fait face à des défis considérables qui se trouvent compliqués par les récents évènements au Mali, en Egypte et en Tunisie.
Après 42 ans de dictature, tout est à faire en Libye, tout est à reconstruire et tout est à organiser.
D'une manière générale, la dictature de Kadhafi a été une longue période de glaciation : pas d'investissements dans les infrastructures, développement d'une administration hypertrophiée et inefficace qui permettait d'attribuer des emplois et des revenus à des affidés, méfiance à l'égard de l'armée en dehors d'une garde prétorienne constituée en partie de mercenaires, régime répressif et policier, mise en place d'un assistanat généralisé que permettait la manne pétrolière etc...
Les évènements et les destructions dus aux combats ont accru cette désorganisation générale.
Un pays ruiné faute d'une gestion minimale sort du chaos de la révolution. Que ce soit dans le domaine des ressources pétrolières, de l'eau, de l'électricité, des facilités portuaires et aéroportuaires, du système de santé, de la justice et de l'État de droit en général, toutes les réformes doivent être menées de front et toutes sont prioritaires.
L'un des principaux sentiments qui ressort de nos entretiens est que les responsables libyens sont confrontés à un engorgement des décisions du fait même de l'urgence à laquelle ils sont confrontés et de l'inefficacité de l'administration. Leur principale difficulté est de s'en extraire pour arriver à décider.
Au moment où le pays vient de fêter l'anniversaire de la Révolution du 17 février, les défis demeurent les mêmes et leur prise en charge a relativement peu évolué depuis un an, créant ainsi une situation qui risque, peu à peu, de devenir critique.
Il ne faut pas néanmoins oublier le chemin remarquable qui a été parcouru : une révolution réussie qui n'a pas basculé dans la guerre civile tribale ou religieuse, des élections dont on a salué le caractère transparent ; il n'y a pas eu d'éclatement du pays en dépit de la tendance irrédentiste de l'Est libyen, il n'y a aucune possibilité de restauration de l'ordre ancien et l'esprit de revanche, s'il existe, ne prédomine pas.
L'un des atouts de la Libye réside également dans la détermination de ses dirigeants. Je voudrais citer le président Magarief qui, lors de notre entrevue, nous a dit de la réussite de l'entreprise actuelle : « c'est notre devoir envers le peuple, et quelque chose que nous devons au monde ; notre échec serait notre honte, et une déception pour le monde. J'ai confiance en notre succès, qui sera source de fierté pour les amis qui nous ont aidés ».
Les défis de la Libye sont connus : ce sont ceux de la réconciliation nationale, du désarmement des milices, du contrôle des frontières, de la reconstruction d'une armée et d'une force de police, et de la remise en route des circuits économiques et financiers. Je voudrais centrer mon propos sur les deux principaux qui, à dire vrai, les recouvrent tous : la sécurité et l'Etat de droit.
Le principal défi est bien évidemment sécuritaire.
La sécurité est bien sûr liée à la prolifération des armes en tout genre qu'a amené la révolution. Selon le directeur politique du ministère de la défense, le colonel Idriss el Maadi, c'est la première préoccupation du gouvernement et du ministère.
Le pillage des arsenaux a conduit à une très large diffusion dans la population d'armement de toute nature, principalement en armes légères. Cela alimente le trafic des armes dans toute la région et l'on en a vu les conséquences au Nord Mali.
Paradoxalement, cette prolifération en Libye est un facteur de stabilité des forces en présence, pour lesquelles joue un certain équilibre de la terreur, qui les dissuade de s'affronter les unes les autres.
En dehors des forces fidèles au colonel Kadhafi et de ses troupes mercenaires, l'armée libyenne, dont le dictateur se méfiait, n'était plus que l'ombre d'une armée depuis qu'en 1988 avaient été supprimées toutes les zones militaires. La révolution n'a fait qu'accentuer la déliquescence complète de l'outil militaire.
De ce fait, ce sont les katibas des révolutionnaires qui assurent pour l'essentiel la sécurité sur une base locale. Il y a eu en quelque sorte une miliciarisation et une décentralisation de la sécurité.
L'enjeu, après l'élimination des katibas qui se sont lancés dans la délinquance et le trafic, c'est d'intégrer progressivement ces brigades révolutionnaires au sein des forces armées et de la police.
Le désarmement des milices est en cours mais il se heurte à la méfiance de celles-ci les unes vis-à-vis des autres ainsi qu'à leurs craintes de se voir voler leur révolution. Faute d'une intégration complète, le pays vit dans une situation où les brigades ayant fait allégeance au gouvernement s'opposent à celles qui ont fait le choix de la marginalisation et de la délinquance.
Ce processus difficile et complexe devrait aboutir à terme à la reconstitution d'une armée nationale. La France peut et doit jouer un rôle important dans l'émergence des nouvelles forces armées tant au niveau de la formation que de l'équipement. La reconstitution de forces armées est un enjeu fondamental notamment si nous songeons que la Libye est l'Etat fragile de la zone et que les évènements au Mali ne manqueront pas d'avoir une incidence en retour sur sa sécurité. C'est la raison pour laquelle la question des gardes frontières sur laquelle je vais revenir est cruciale.
De notre point de vue français, trois menaces doivent être prises en compte :
- la première est le terrorisme qui persiste notamment à l'Est et à Benghazi où existe un foyer d'Al-Qaïda composé de personnes dont certaines sont de retour du Waziristân et qui constitue une zone de recrutement et d'entraînement, en particulier pour la Syrie mais qui pourrait menacer notre pays demain compte tenu de l'opération au Mali. De plus, AQMI est présent dans le Sud où ses combattants étaient déjà actifs dans l'achat d'armes, dans l'escorte de convois de drogue et où ils avaient repéré des zones dans l'éventualité d'un repli du Nord Mali. L'opération SERVAL qui est en cours va nécessairement avoir un effet de vases communicants vers la Libye, qui est l'Etat le plus exposé et le plus fragile de la zone. Les risques de déstabilisation sont importants et, du reste, durant nos entretiens, les autorités libyennes nous avaient clairement dit qu'elles souhaitaient une solution politique au Mali car elles craignaient les conséquences d'une guerre. M. Abdul Rahman Swehli, président de la commission de la défense du CGN, a rappelé que la région était tumultueuse, ajoutant que, je le cite, « nous connaissons le prix de la guerre ; Il est facile d'en déclencher une, mais très difficile de la finir et d'en effacer les séquelles ». Lors de son audition devant notre commission, le ministre des affaires étrangères libyen nous a néanmoins assuré du soutien des autorités de son pays. L'assassinat de l'Ambassadeur américain à Benghazi le 11 septembre dernier n'a pas suffi pour déclencher la réaction de sursaut national qu'on aurait pu espérer. A cela s'ajoutent les incidents ethniques et tribaux qui fragilisent la sécurité régionale du pays, en particulier au sud-est entre Zwaï et Toubous, au sud-ouest entre Arabes et Touaregs.
- la seconde menace concerne un éventuel retour des Kadhafistes qui contrôlent encore à l'intérieur de la Libye quelques zones et qui se sont réfugiés dans les pays voisins, en particulier en Égypte où une communauté nombreuse d'exilés dispose de gros moyens financiers. Au Niger, le fils du colonel Kadhafi, Saadi, tente d'utiliser la déstabilisation du Sahel et en Algérie sa fille est particulièrement active. Comme je l'ai dit en introduction, et sans minimiser leur pouvoir, je crois qu'il s'agit plus d'une nuisance que d'une menace, sauf bien sûr si la situation devait verser dans le chaos, ce qui n'est pas le cas.
- la troisième menace est bien évidemment celle de l'ensemble des trafics de drogue, armes, d'êtres humains qui constituent une préoccupation majeure. Le régime précédent luttait, il est vrai d'une manière ambigüe, contre l'immigration clandestine. La drogue, les armes, l'immigration clandestine menacent directement l'Europe.
Cette énumération des menaces montre à l'évidence que l'urgence à laquelle fait face la Libye est celle de la sécurité de ses frontières par lesquelles transitent tous les trafics : drogue, armes, produits subventionnés, traite des êtres humains.... C'est l'un des thèmes qui a été le plus constamment cité dans nos entretiens. La question des frontières est du reste l'une des priorités de la mission d'appui des Nations unies pour la Libye (MANUL) et de l'Union européenne.
La sécurisation des frontières pose un premier problème, celui de l'identification de l'autorité qui en a la charge : Armée ? Etat-Major ? Police ? Garde-frontières ? Cette dispersion de l'autorité est d'ailleurs l'un des problèmes principaux de l'efficacité des institutions. Lors de notre visite, le ministre de la défense nous a indiqué que la décision venait d'être prise de confier l'ensemble de la responsabilité des garde-frontières au chef d'état-major des armées.
J'avais alors souligné l'urgence de traiter cette question dans la perspective d'une intervention au Mali qui verrait, par effet de percolation, les terroristes remonter vers le Niger puis la Libye.
L'UE devrait apporter son soutien dans ce domaine par le déploiement d'une mission PESD qui pourrait compter entre une soixantaine et une centaine de membres, mais ceci n'interviendrait pas avant juin ou juillet 2013. Cette mission s'étendrait sur 2 à 5 ans.
La vision stratégique globale de l'UE est de ramener la Libye vers l'espace euro-méditerranéen. Les négociations commencées du temps de Kadhafi pour un accord-cadre entre la Libye et l'UE pourraient reprendre prochainement. L'Europe jouit ici d'un fort capital de sympathie, et constitue l'horizon désiré par les Libyens. Cela nous a été fortement rappelé le 12 février par le ministre M. Mohamed Emhemed Abdelaziz.
Le Colonel Rio, colonel de gendarmerie, expert militaire français, qui malheureusement n'a pas été remplacé, nous a rappelé que la sécurité en Libye constituait également un enjeu de premier ordre pour l'espace européen. Le pays constitue une base potentielle aux portes de l'Europe pour le terrorisme. Le crime organisé pourrait également utiliser la Libye comme tremplin vers l'Europe. Si on n'y prend garde, la Libye pourrait prendre le relais des Balkans comme source d'approvisionnement de la pègre en armements de tous calibres. Mais pour le moment, elle n'a aucun moyen d'identifier les flux qui transitent par son territoire, faute de surveillance aux frontières. Si on l'aide à se stabiliser, la Libye peut devenir un élément stabilisateur pour toute la région et la frontière Sud de l'Europe.
Pour conclure sur ce point, il est évident que la question des frontières est un enjeu majeur de sécurité, mais également une opportunité en termes de marché pour nos entreprises. L'immensité des zones incontrôlées, les milliers de kilomètres de frontières, ne peuvent être contrôlés par les forces d'une armée encore décomposée. L'utilisation systématique des outils de contrôle technologique, couplée avec des moyens aéroportés et des forces spéciales, est indispensable. Un travail important doit également être entrepris en matière de mise en place et d'organisation des services de renseignement. La France pourrait aussi apporter un soutien dans ce domaine. Nous avons d'ailleurs fortement insisté pour que le savoir-faire de nos entreprises en la matière puisse être présenté et que les responsables libyens puissent aller voir les réalisations qui ont été faites dans les pays voisins par nos entreprises.
Dans ce contexte, la reconstitution de l'armée libyenne est une entreprise prioritaire. Elle est difficile car cette armée, déjà sclérosée par la méfiance du régime du colonel Kadhafi, a fini d'être détruite par la révolution. Elle est compliquée, car les cadres existants sont contestés par les révolutionnaires. Elle suppose un renouvellement quasi complet de ses équipements et un effort fondamental dans le domaine de la formation.
Notre coopération est formalisée par une déclaration d'intention signée le 25 février 2012 à Tripoli par les ministres de la défense et instaurant la mise en place d'une commission mixte. Celle-ci s'est déjà réunie à trois reprises, la dernière fois à Tripoli du 27 au 29 novembre, peu avant notre déplacement.
A court ou moyen termes, les perspectives de contrats de défense et de sécurité avec la Libye concernent principalement les secteurs aéronautique, naval, ainsi que ceux de la surveillance et du contrôle des frontières.
- en ce qui concerne les forces aériennes et celles de défense aérienne, sous commandements séparés en Libye, il s'agit de reconstruire l'ensemble des moyens capacitaires, anéantis par une trentaine d'années de négligence et les frappes de l'OTAN durant la révolution ; nous avons plusieurs pistes en cours qui vont de la remise en état des Mirage de l'armée de l'air, à la réfection des bases aériennes en passant par la vente d'appareils et, sans compter avec la mise en place de la future armée de l'air libyenne ;
- s'agissant des forces navales, leur reconstruction doit s'inscrire dans une vision globale de protection des frontières, centrée sur la surveillance, la défense de ses approches maritimes, la lutte contre l'immigration clandestine, les trafics illicites et la police des pêches ; je vous rappelle que nous avons eu une importante action en matière de déminage et que de très nombreuses opportunités de coopération et d'équipement se profilent, en particulier en matière de patrouilleurs.
- le volet des forces terrestres et des garde-frontières constitue, comme je l'ai indiqué, une préoccupation majeure des responsables politiques et militaires dans la perspective de la sécurisation des frontières.
Nos interlocuteurs ont rappelé que du temps de Kadhafi, à quelques exceptions près (comme nos Mirage pour l'armée de l'air), l'équipement des forces libyennes avait été demandé aux pays de l'Est de l'ancien bloc communiste. Ces équipements sont aujourd'hui en très mauvais état ou ont été détruits. Il convient de les remplacer. De même, pratiquement toutes les casernes ont été détruites ou endommagées. L'armée, notamment l'armée de terre, manque d'armes et de formation.
A plusieurs reprises, nos interlocuteurs ont regretté le manque de soutien de la communauté internationale pour permettre à l'armée de se reconstruire et de se rééquiper. Je vous rappelle que la Libye est toujours sous embargo pour ce qui concerne les armes et cela explique que jusqu'à présent, seuls de petits contrats aient été passés.
La France a bien évidemment une carte importante à jouer. Elle bénéficie d'un a priori très favorable du fait de son rôle dans la révolution, le savoir-faire de nos militaires comme de nos industriels est reconnu, mais cette situation pourrait péricliter si nous n'y prenons pas garde, et si nous tardons !
De ce point de vue, nous avons noté quatre points importants :
- les responsables libyens souhaitent que nos entreprises arrivent avec des propositions groupées, sous forme de consortium, et non pas en ordre dispersé, voire en concurrence les unes avec les autres ;
- il est particulièrement nécessaire que nous puissions mettre des experts militaires de haut niveau à disposition des forces armées et des autorités du ministère de la défense. C'est un impératif qu'ont bien compris nos concurrents, en particulier le Royaume-Uni. Or, nous faisons tout le contraire et notre expert gendarme auprès de l'Union européenne est parti. Il n'est pas remplacé à ce jour. Il faut une politique d'ampleur dans ce domaine. Comme en Bosnie, je crains que nous ne refassions les mêmes erreurs !!!
- la Libye dispose, avec le pétrole, de revenus importants, mais il me semble qu'il ne faut pas s'arrêter à ce constat et considérer l'immensité des besoins de la reconstruction. Il nous faut donc penser nos offres en fonction de cette réalité et proposer des solutions technologiquement adaptées aux besoins. Soyons aussi conscients que les Libyens paraissent culturellement fermés à une solution d'encadrement de leur armée par des experts sur le modèle, par exemple, des forces des Emirats arabes unis. Il est clair que, si cela est avéré, l'hypothèse d'une armée à haute technologie, qui suppose l'intervention d'experts occidentaux, n'est pas l'objectif immédiat.
- l'obstacle de la langue doit être dépassé, en particulier en organisant une formation linguistique au français et des invitations en France.
Pour conclure sur ce point, il me paraît utile de bien faire prendre conscience que le rétablissement de la sécurité est la première attente de la population et qu'elle est donc un enjeu majeur de la transition politique et de la légitimité des autorités politiques. Nous devons accompagner les autorités libyennes. Il est évident que la stabilisation de la Libye est de notre intérêt, comme de celui de l'Europe toute entière.
Je constate que ces analyses sont totalement partagées par la communauté internationale et qu'elles sont sérieusement prises en compte par le gouvernement libyen. Le communiqué de Paris, du 12 février dernier, publié à l'issue de la Conférence ministérielle internationale de soutien à la Libye dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l'état de droit, en témoigne.
Le second grand défi de la Libye, c'est la mise en place des institutions du futur État.
Le président de la commission de la sécurité intérieure de l'assemblée libyenne, M. Saif al-Nasr, nous disait qu'il était difficile de passer de la phase de la révolution à celle de la construction de l'Etat et que, dans ce domaine, ils attendaient l'aide de la France.
Le colonel Kadhafi a pris le pouvoir en 1969, date que le président Magarief qualifie de « malédiction », et dès 1973, il institue une forme de démocratie directe avec des comités populaires, puis en 1977, la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste ou État des masses. Ces différentes initiatives n'avaient en fait comme objet que de casser les structures d'un État classique au profit du seul pouvoir du Guide et de l'établissement d'une dictature.
C'est cet héritage politique que les responsables libyens ont aujourd'hui à gérer dans une situation chaotique post révolutionnaire. La Libye est en train de rechercher son nouveau modèle de gouvernance.
Il faut d'emblée souligner le grand succès des élections du 7 juillet 2012 qui ont été portées par l'ensemble de la population et vécues comme un moment historique et une grande fête. Elle a été précédée d'une forte mobilisation pour l'inscription sur les listes électorales qui s'est traduite par une participation de plus de 60 % aux élections, le tout dans d'excellentes conditions de sécurité.
Le résultat, en dépit d'un mode de scrutin complexe qui mélangeait un scrutin proportionnel et un scrutin uninominal à un tour, a conduit à un vote assez massif en faveur de l'Alliance des forces nationales modérées, modernes et tournées vers l'avenir, qui a remporté 39 sièges sur 200 élus, et un échec relatif, mais surprenant, des partis islamistes liés aux Frères musulmans qui n'ont obtenu que 17 sièges. Cette appréciation doit néanmoins être nuancée par l'importance du nombre des indépendants - qui sont près de 120 - dont les votes pourront varier en constituant des majorités de circonstance. La difficulté va donc être de trouver une majorité stable. Le risque de dilution, de versatilité suivant le thème du débat et de fragmentation est un défi que le gouvernement libyen doit relever.
En effet, sept mois après ces élections, la situation en Libye est celle d'institutions fragiles qui ont du mal à se mettre en place.
Depuis son élection le 14 octobre 2012 par le Congrès général national (CGN) et l'annonce de la formation de son gouvernement le 30 octobre, le premier ministre, M. Ali Zeidan, qui a la réputation d'être un rassembleur dans l'intérêt national, peine à dépasser sa fonction de plus petit dénominateur commun entre les forces politiques qui s'opposent au Congrès général national.
Le gouvernement de coalition a eu beaucoup de difficultés à se former, huit de ses ministres n'avaient pas été approuvés par le comité d'éthique dont, en particulier des ministères clés comme celui des affaires étrangères ou de la défense. La nomination du ministre des affaires étrangères date du début de cette année.
Ces difficultés à constituer et diriger un gouvernement instable rend plus difficiles encore les réponses urgentes que le gouvernement doit apporter à une population qui exige des améliorations dans le domaine de la sécurité et dans le domaine social.
C'est l'une des principales constatations que nous avons pu faire lors de notre mission : alors que la situation requiert des décisions rapides pour résoudre les difficultés, les autorités libyennes, qui ont - me semble-t-il - une claire vision de la situation, ont une grande difficulté à prendre des décisions.
Il faut absolument éviter que le mécontentement social se traduise par des mouvements et des affrontements comme ceux que connaissent des pays comme l'Égypte ou la Tunisie qui seraient beaucoup plus difficiles à maîtriser compte tenu de la dispersion des armes au sein de la population, des vieilles rivalités tribales ou régionales comme celles qui divisent la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan.
Le Parlement de transition, dont le rôle principal est d'établir une nouvelle constitution, connaît d'importantes difficultés de mise en place comme a pu le constater la délégation du Sénat et de l'Assemblée nationale qui s'est rendue du 5 au 8 novembre 2012 en Libye et à laquelle a participé notre collègue Michelle Demessine. Cette mission avait bien identifié les priorités que sont l'initiation à la pratique parlementaire, la logistique et l'appui à l'élaboration de la constitution.
Le Congrès rencontre des difficultés pour la mise en place de son règlement intérieur, du fonctionnement des commissions, de la gestion de l'agenda parlementaire et du rôle des partis politiques. Ces difficultés n'ont rien d'étonnant pour un pays qui a connu 42 ans de dictature. Mais elle entraîne un certain nombre de risques dans le contexte que connaît la Libye qui se voit confrontée à la nécessité urgente de rétablir un État de droit et, pour ce faire, d'adopter progressivement mais rapidement un corpus législatif important et moderne. Nous avons fait part de la disponibilité du Sénat pour établir une coopération avec le congrès. Il faudra néanmoins coordonner cette aide avec le programme européen qui est en cours. Michelle Demessine nous en dira peut-être plus sur ce point.
Parallèlement, la mise en place de la future constitution traîne. Comme nous l'avait indiqué le président Magarief, un amendement adopté par le Conseil National de Transition à la fin de son existence avait prévu que le comité de 60 experts qui seraient chargés de la rédaction du projet de constitution pourraient être élus et non nommés. Or, comme nous le soulignait le président du Conseil National de Transition, prédécesseur du Congrès, cette commission doit être composée d'experts et non de politiques. Elle devrait par ailleurs respecter la représentation des trois grandes régions libyennes : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan. Alors qu'il y a une grande urgence à ce que les travaux constitutionnels avancent, cette question n'a pas encore été tranchée. Cette situation préoccupante risque de prolonger de plusieurs mois le calendrier de la transition. Or, vous l'avez compris, ce dont la Libye a besoin, c'est de stabilité institutionnelle pour pouvoir se consacrer sur une base saine à la reconstruction et à la réconciliation.
Mais, maintenant qu'il est élu, le Congrès est la seule émanation du suffrage universel en Libye. Quels que soient ses défauts, il reste un acteur incontournable de la période transitoire.
Avant de conclure, je souhaite insister sur les répercussions de notre intervention au Mali.
Lors de nos entretiens, en décembre dernier, nos interlocuteurs ont tous exprimé, avec plus ou moins de force, leurs craintes d'une opération militaire. Tous ont souligné les risques de contagion et d'effet dominos de l'intervention et tous ont plaidé pour une solution politique.
Le ministre de la défense nous avait clairement fait part de son inquiétude et de sa préférence pour qu'une opération militaire n'ait pas lieu.
Aujourd'hui, alors que l'opération est en cours, nous voyons très bien que l'objectif est d'encercler les terroristes d'AQMI dans l'Adrar des Ifoghas et de les éliminer. C'est une stratégie qui prendra du temps et qui s'inscrit dans un territoire immense et accidenté dont il est relativement aisé de s'échapper. Elle suppose aussi la coopération étroite des pays limitrophes. Or nous savons que AQMI avait commencé à reconnaître des zones de repli dans le sud libyen. La Libye est en effet l'Etat le plus fragile et qui aura le plus de difficultés à sécuriser ses frontières et les zones de repli éventuel du terrorisme. Ces constatations confirment que la sécurisation des frontières de la Libye et la stabilisation de ce pays sont des priorités absolues.
Je vous remercie et je passe immédiatement la parole à nos collègues Jean-Claude Requier et Alain Gournac qui faisaient partie de la mission.
M. Jean-Claude Requier. - Je voudrais aborder la question des relations avec le ministère de l'intérieur et donc celle de la sécurité intérieure. Notre première constatation sur place est que la police n'a pas bonne réputation. Le métier n'était pas considéré comme valorisant, déjà sous l'ancien régime. On ne peut pas dire que la Révolution qui a fait voler en éclat tous les cadres d'autorité ait amélioré les choses. Pourtant, il y a nécessité évidente à disposer de forces de police efficaces et intégrées dans la population. Leur rôle est particulièrement difficile dans la situation post révolutionnaire de la Libye où tout le monde est armé et où tout ce qui incarne l'ordre ancien et l'autorité du passé, est, à tort ou à raison, fortement contesté. La première difficulté sera de changer les mentalités.
Cette nécessité de reconstruire des forces de police se heurte à une autre difficulté, qui caractérise l'état de la Libye actuelle, qui est celle de jouer à la fois le court terme pour répondre aux besoins immédiats et le long terme puisque tout est à restructurer. Dans ce contexte, l'assistance internationale est une nécessité. Elle est également de notre intérêt pour éviter et tenter de contrôler les différentes activités du crime organisé et les trafics qui nous menacent directement (drogue, armes, immigration etc...).
Avant d'en venir à notre coopération policière, je voudrais souligner que ces besoins sont clairement identifiés par les organisations internationales et qu'il existe notamment un programme d'Interpol, financé par l'Union européenne, pour reconstruire la capacité d'enquête de la Libye, le programme RELINC. De ce point de vue, le non remplacement de l'expert de la gendarmerie auprès de la délégation de l'Union européenne, le colonel Rio, est très regrettable.
Ma deuxième remarque préalable est qu'il existe une volonté de créer une force de gendarmerie où nous pourrions jouer un rôle important, soit directement, soit au travers des accords entre les gendarmeries européennes. Il y a eu en 2012 une visite du vice-ministre de la défense à la gendarmerie nationale. Il est évident que des concepts comme celui de maillage territorial, de proximité avec les populations et de gendarmerie mobile, intéressent directement les autorités libyennes.
La coopération franco-libyenne en matière de sécurité intérieure est néanmoins dynamique. Comme je l'ai dit, elle s'inscrit dans un contexte et une situation sécuritaire rendu plus compliqué par la question de l'intégration des révolutionnaires dans les forces régulières et par la complexité du contexte de transition.
Notre coopération de sécurité s'applique depuis octobre 2011 et s'organise autour des trois thématiques principales suivantes :
La protection des hautes personnalités en premier lieu qui porte sur la formation et qui a consisté en des contacts avec les responsables de la « garde présidentielle » libyenne qui est une unité nouvellement créée.
Le deuxième axe de coopération concerne la gestion démocratique des foules : la France a fait une offre contractuelle globale pour former plus de 3 000 agents du ministère de l'intérieur afin de répondre aux besoins de maintien de l'ordre. Il nous a été indiqué que les Turcs formaient de leur côté 700 policiers.
La lutte contre l'immigration irrégulière est le troisième volet de notre coopération qui intéresse directement notre pays mais aussi l'ensemble de nos partenaires européens.
D'autres actions sont entreprises en matière de protection civile et de douane.
M. Alain Gournac. - La situation économique de la Libye est l'un des éléments fondamentaux duquel dépendent les relations que la France et nos entreprises pourront avoir avec ce pays. Ce n'était naturellement pas l'objet principal de la mission de la commission, mais nous ne pouvons faire abstraction de cet environnement sachant que là comme ailleurs, la stabilité et la paix dépendent pour l'essentiel du développement.
En préambule, il faut rappeler qu'après la révolution, les nouvelles autorités libyennes avaient décidé de réexaminer l'ensemble des contrats passés avec l'ancien régime sous l'angle des critères économiques, de la lutte contre la corruption et de la transparence. Globalement cela représente plus de 1 500 contrats majeurs dont une partie concerne des entreprises françaises. C'est toute la question de la liquidation des créances et de la poursuite des contrats en cours qui se pose. Il est évident qu'une solution apportée à ces problèmes serait de nature à persuader nos entreprises de réinvestir ce marché.
Par ailleurs, certaines de nos entreprises, comme celles d'autres pays, ont connu des pertes et des destructions du fait de la guerre. Elles demandent des compensations.
A ces éléments factuels qui permettraient d'apurer le passé, il faut ajouter deux considérations :
D'une part, l'environnement financier des affaires est encore très dégradé et peu de banques françaises acceptent de travailler sur la Libye. En novembre dernier, la COFACE a classé la Libye dans la catégorie des pays à risque très élevé. Nous ne nous sommes pas penchés sur les aspects juridiques et notamment la sécurité des contrats et des investissements, sur la lutte contre la corruption, mais là aussi, il y a sans doute un très important travail législatif et réglementaire à effectuer.
D'autre part, la Libye est encore sous embargo. Les projets de contrats actuellement en cours de négociation finale doivent tous être soumis à l'aval du comité des sanctions des Nations unies, une fois les autorisations d'exportation accordées par la commission interministérielle d'exportation des matériels de guerre. Il est évident que très rapidement, plusieurs gros prospects envisagés nécessiteront une levée de cet embargo.
Quelle est la situation économique ? Je crois que nous pouvons dire que, comme dans pratiquement tous les domaines, ainsi que le faisait remarquer le président Carrère, les fondamentaux macro-économiques sont solides mais l'économie stagne du fait de la lenteur ou de l'absence de décisions.
Comme avant la révolution, les hydrocarbures représentent plus de 96 % des revenus de l'Etat. Grâce aux efforts conjoints des compagnies étrangères et libyennes, la production pétrolière est remontée à 1,6 M b/j dès l'été 2012 et les exportations de gaz naturel vers l'Italie ont repris. Toutefois, des mouvements sociaux et la vétusté des infrastructures pétrolières rendent la Libye vulnérable à des baisses ponctuelles de production. Ainsi, depuis fin décembre 2012, la production est en baisse à moins d'1,4 M b/j.
Mono-économie, la Libye ne manque cependant pas de moyens. La Banque centrale de Libye a été « délistée » et a ainsi pu reprendre le contrôle d'environ 100 milliards de dollars d'actifs liquides. Les avoirs des fonds souverains libyens, environ 60 Mds $ encore partiellement gelés en attendant leur réorganisation, n'ont pas été entamés par la Révolution.
Le budget 2012 (41,3 Mds EUR) a fait le choix, politiquement sage et avisé, d'une augmentation très sensible de la part des dépenses courantes (67,1 % des dépenses, contre 49 % en 2010) par rapport à celles d'investissement, traduisant un choix de redistribution immédiate des richesses à la population dans le but d'acheter la paix sociale. Cela s'est traduit par la hausse des salaires, des embauches, et des subventions.
Il faudra naturellement prendre garde à un dérapage dans le sens d'un accroissement de la part des dépenses courantes pour satisfaire les revendications.
En effet, une des conclusions de notre mission, c'est que la paix sociale dépend, au-delà de ces mesures immédiates, du retour de la sécurité et à plus long terme de la reconstruction du pays qui fournira infrastructures et emplois. Ce qui suppose de relancer les investissements et surtout de décider de le faire.
Depuis plusieurs mois, l'interrogation principale des partenaires économiques de la Libye concerne les conditions de reprise des projets d'infrastructures, suspendus depuis la Révolution, le lancement éventuel de nouveaux projets de développement ainsi que le redémarrage de l'exploration pétrolière. On estime sur 10 ans à 200 milliards de dollars le montant des infrastructures à construire. Il me semble que la France doit pouvoir en prendre toute sa part.
Mais avant d'aborder nos relations bilatérales, il faut que nous soyons bien conscients que le fait d'avoir été le fer de lance de l'intervention militaire, et donc de la libération du peuple libyen, s'il nous apporte la reconnaissance sincère des autorités, ne signifie en rien que nous aurions un passe droit pour l'obtention des marchés à venir.
Nos interlocuteurs nous l'ont dit de manière très explicite : ce n'est qu'à offre égale que les entreprises françaises pourront avoir une priorité due à notre « prime » politique. Or soyons bien conscient que la concurrence sera rude, en particulier avec des pays comme la Turquie, l'Italie, l'Allemagne ou le Royaume-Uni qui placent leurs pions et leurs experts. Pour l'instant, les pays qui ont pris position contre la révolution, comme la Chine ou la Russie, sont déclassés, ce qui est logique. Mais ne nous faisons pas d'illusion, ils reviendront dans des délais courts.
M. Jean-Louis Carrère, président, en remplacement de M. Joël Guerriau - J'en viens au bilatéral pour constater que nos relations économiques bilatérales ont été fortement affectées par la révolution.
La France occupait une position avantageuse avant le conflit : 6ème fournisseur et 3ème client après l'Italie et la Chine. Il faut toutefois faire remarquer que notre balance commerciale était fortement déficitaire en raison du poids des importations pétrolières.
En 2011, les exportations françaises vers la Libye se sont effondrées passant de près d'1 milliard d'euros en 2010 à 225 millions d'euros (-77 %) et les importations tombant de 4,8 milliards d'euros à 2 milliards d'euros (-58 %). En 2012, les exportations ont repris (prévision : +90 % par rapport à 2011), mais resteront toutefois inférieures de moitié à celles de 2010 (prévision : 450 millions d'euros).
Une trentaine de sociétés implantées ont repris leur activité en Libye (44 avant la révolution) mais, nous l'avons dit, la plupart attendent encore des clarifications quant à la reprise de leurs contrats suspendus. Hors hydrocarbures, les principaux enjeux économiques bilatéraux portent sur les grands contrats d'infrastructure et d'équipement et sur la privatisation de la Sahara Bank (2ème banque libyenne, dont BNP détient 19 % du capital).
Les autres entreprises tardent à s'engager sur ce marché (inquiétude sur la situation sécuritaire, lenteur des prises de décision) malgré un intérêt non démenti et plusieurs visites d'importantes délégations commerciales.
Nous avons eu une réunion avec les représentants des entreprises françaises en Libye. De cette réunion je retire les éléments suivants :
- Les témoignages directs des chefs d'entreprises sont que l'on exagère beaucoup, vu de France, le niveau d'insécurité. Il est vrai cependant que, depuis décembre dernier, la situation sécuritaire n'a pas évolué dans le sens d'une amélioration et que les évènements du Mali qui mettent la France et ses ressortissants en première ligne doivent inciter à la prudence, notamment dans le sud.
- Le second point important qui freine l'activité de nos entreprises est l'absence de liaison aérienne directe alors que d'autres pays comme l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni ou la Turquie, qui sont nos concurrents en disposent.
- En troisième lieu, nous avons pu relever que la Libye ouvre largement les portes aux sociétés qui n'ont pas de passé, c'est-à-dire qui n'ont pas eu de relations avec le régime précédent. Il y a là, pour des sociétés françaises, en particulier les PME-PMI, des opportunités importantes.
- Enfin, les industriels français ont des atouts évidents et notamment la réputation d'excellence des produits de notre pays et la palette très large tant en produits qu'en services que nos entreprises sont susceptibles d'offrir.
Ces quatre points, que nous a confirmé l'ambassadeur, devraient nous conduire à une attitude plus offensive et allante qu'actuellement. Il faut néanmoins souligner, au titre des facteurs qui freinent l'engagement de nos industriels, outre la question de la sécurité, une incertitude sur la fiabilité des interlocuteurs de haut niveau et l'environnement des affaires qui explique la frilosité des banques et de la COFACE à couvrir les transactions. Toutefois, lors de notre entretien avec le chef d'état-major adjoint, le responsable de la commission des achats noua a fait part de sa totale disponibilité à recevoir les offres provenant des entreprises françaises.
Pour conclure sur ces questions économiques, je retiendrai un message très clair des autorités libyennes qui peut se résumer en disant que la France et ses entreprises sont les bienvenues en Libye, qu'elles y bénéficient d'un préjugé favorable et même peut-être d'une priorité, pour peu que ce soit à offres égales. La Libye est certes un pays qui dispose de ressources naturelles très importantes et donc de revenus conséquents, mais l'immensité des besoins de la reconstruction, et d'ailleurs la simple application des principes de bonne gestion, font qu'il n'y aura pas de favoritisme et de « prime de reconnaissance ». La concurrence jouera. L'excellente réputation de nos entreprises, la qualité de nos produits et de nos services, l'appui de nos forces armées jouent néanmoins de manière évidente en notre faveur pour peu que nous soyons capables d'union. Nous perdrions à coup sûr si nous arrivons en ordre dispersé, si nos entreprises présentent des offres concurrentes. Il faut, là aussi, que l'équipe France joue solidaire. Ce sont d'ailleurs les orientations de la diplomatie économique que promeut notre ministère des Affaires étrangères.
M. Daniel Reiner. - Je constate que la chute du commerce avec la Libye, que ce soit pour les exportations comme pour les importations, a touché l'ensemble des pays partenaires, et non seulement la France, pendant toute la période des évènements. Il s'agit à présent de retrouver ce niveau.
M. Jean-Louis Carrère, président - S'agissant des impressions recueillies durant notre mission, la question est moins celle du niveau des exportations que celle de la coordination de nos entreprises face à une concurrence qui s'organise.
M. André Trillard. - La Libye a toujours eu un rapport à l'argent différent de celui d'autres pays. Lorsque le roi Idriss a été déposé par le coup d'Etat, il a renvoyé la cassette royale alors même qu'il était à l'étranger. Comme l'a rappelé le président, la Libye dispose de ressources importantes pour passer des contrats et lancer le processus de reconstruction. Le problème c'est l'attitude de la COFACE qui tarde, c'est un euphémisme, à s'adapter à la réalité qui a été signalée notamment en termes de sécurité. Notre commission pourrait interroger la COFACE sur ce point.
Mme Michelle Demessine. - Je m'étais rendue en Libye peu avant la mission de la commission dans le cadre d'un programme européen de coopération parlementaire. Ce pays, que nous ne connaissions que relativement peu, du fait de la fermeture de la dictature, m'est apparu - tout au moins à Tripoli - comme un pays apaisé où les gens vivent normalement. Ma deuxième remarque, qui la différencie des autres pays arabes, c'est qu'il n'y a pas de pauvreté en raison de ce que certains qualifient d'assistanat, mais que j'appellerai un haut niveau de transfert en particulier dans les domaines de l'éducation et de la santé. C'est un pays éduqué, ce qui est un grand atout.
J'observe également que le processus électoral a marché de bonne manière. Le point le plus délicat, c'est effectivement la question de la sécurité avec le défi du désarmement des milices. Viennent ensuite l'établissement de l'état de droit et la reprise de l'activité économique.
Lors de mes contacts au CNG - qui comporte 30 % de femmes - c'est qu'il n'y a pas de projet politique, pas de définition de partis politiques. Cela étant, j'ai constaté l'énorme bonne volonté de ces élus qui ont la volonté d'avancer et de travailler. Ce qui leur manque, c'est la méthode. Ils ne savent comment agir et ils comptent beaucoup sur la France pour la mise en place du système politique. Ils ne comprendraient pas que nous ne répondions pas très vite à leur attente.
L'Union européenne a un programme de construction de l'Etat dont la partie parlementaire a été confiée à une ONG multilatérale, qui ne m'a pas semblé à la hauteur des enjeux et dont l'expérience provient plutôt de pays du nord de l'Europe. Il est très important d'avoir rapidement des échanges entre parlementaires qui portent sur un savoir-faire très pratique comme par exemple le travail en commission. L'un des freins à ces échanges, comme cela a été indiqué, pour les entreprises, c'est l'absence de desserte aérienne directe par Air France. Il y a eu des refus de visas à des élus libyens par l'Allemagne et leur renvoi en Libye, ce qui a provoqué une impression très négative.
Enfin, je voudrais faire part d'une dernière observation : il me semble, à la lueur des entretiens que j'ai eus avec les parlementaires libyens, que le danger d'islamisation radicale est moins fort qu'ailleurs.