Mercredi 6 février 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Audition de M. Romano Prodi, envoyé spécial des Nations unies pour le Sahel
La commission auditionne M. Romano Prodi, envoyé spécial des Nations unies pour le Sahel.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Monsieur le Président Romano Prodi, mes chers collègues, je suis très heureux de vous accueillir devant la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. Sachez que nous sommes particulièrement sensibles au fait que vous soyez venu à Paris tout spécialement en réponse à notre invitation, et que vous ayez choisi de vous exprimer dans notre langue, que vous maîtrisez d'ailleurs parfaitement.
Il est inutile que je vous présente, chacun ici connaît votre parcours brillant, dans d'éminentes fonctions, aussi bien en Italie, qu'à la présidence de la Commission européenne, à la destinée de laquelle vous avez présidé à des moments particulièrement cruciaux de son histoire, je pense à l'introduction de l'euro mais aussi au « grand » élargissement à l'Est qui a réconcilié l'Europe.
C'est aujourd'hui en tant qu'envoyé spécial de l'Organisation des Nations unies pour le Sahel que nous vous entendons. Vous avez été nommé à ces fonctions en octobre dernier par le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki Moon.
Le schéma à l'époque était bien différent de la situation actuelle : on parlait d'une intervention africaine à l'automne au Mali... Mais au-delà de l'actualité, dont vous nous parlerez sans doute, votre présence ici nous donne l'occasion d'aborder les grandes questions de fond qui se posent pour l'ensemble de la région du Sahel. Car c'est bien là votre mission : c'est dire si elle est difficile.
Nous savons qu'il nous faut construire le « jour d'après », non seulement pour le Mali, mais aussi pour stabiliser la région.
Que penser de la « feuille de route », qui semble aussi optimiste en termes de calendrier, avec des élections prévues en juillet, qu'insuffisante, face aux revendications du Nord, en souffrance depuis tant d'années ? Comment faire que la « question touarègue » ne devienne pas la « question kurde » du Sahel : pourquoi le Mali a-t-il échoué là où d'autres, comme le Niger, semblent avoir mieux réussi ? De quelles formes d'organisation territoriale pouvons-nous nous inspirer, au sein de l'Union Africaine, notamment ?
Il s'agit en effet de contribuer à résoudre ce qui ressemble à une équation impossible : crise humanitaire et alimentaire, croissance démographique galopante, conditions climatiques extrêmes, populations déplacées, pauvreté, trafics de tout genre, États fragiles, tensions communautaires, montée du terrorisme...
Ce n'est qu'en résolvant les questions de fond qui se posent à cette région parmi les plus pauvres du monde que nous pourrons durablement la stabiliser et éviter, ou à tout le moins contenir, les risques d'exportation de cette instabilité, d'exportation du terrorisme et de développement de l'immigration clandestine.
Où en est la « stratégie régionale intégrée de l'ONU pour le Sahel », qui inclut les questions humanitaires, de sécurité, de gouvernance, de droits de l'homme et de développement ? Quelle coordination envisagez-vous avec le Plan Sahel de l'Union européenne ? Quelles sont les perspectives que vous voyez émerger aujourd'hui ?
Je vous passe la parole.
M. Romano Prodi, envoyé spécial des Nations unies pour le Sahel - Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis très honoré d'être parmi vous pour évoquer la tâche, difficile, qui est la mienne. Quand le Secrétaire général de l'ONU m'a désigné comme son représentant spécial pour le Sahel, je lui ai dit que je n'étais pas un expert de cette région. Il m'a répondu que justement il voulait un regard extérieur.
J'étais le 10 janvier à Bamako, journée que je qualifierai de « post-moderne » tant il était impossible de comprendre ce qui s'y passait réellement. Derrière une apparente « normalité », le Président de la République malienne nous a informés qu'en quelques heures le pays pourrait s'effondrer faute d'aide internationale. J'observe d'ailleurs aujourd'hui un consensus très large autour de l'intervention française.
J'ai fait des déplacements dans plusieurs pays : l'Egypte, l'Algérie, le Maroc, le Sénégal, la Chine, en plus des États de la région sahélienne et de leurs voisins. Ce que je constate partout, c'est un authentique rejet du terrorisme, qui s'exprime unanimement. Cela m'incite à dire qu'il faut préparer très vite une solution politique pour résoudre la crise malienne, car ce type d'unanimité, rare, est aussi fugace.
Naturellement, des réserves s'expriment, notamment dans la presse, naturellement, certains pays comme l'Égypte du Président Morsi ont exprimé des réserves, mais l'accord est très large.
Le premier problème que je vois est celui d'un risque d'exportation de la crise malienne, en particulier vers la Libye, compte tenu de la mobilité des terroristes, et du manque de gouvernance dans ce pays.
Le deuxième problème, et non le moindre, est celui du développement. Les indicateurs placent le Mali dans les pays les moins avancés du monde. Parallèlement, la croissance démographique est très forte, avec un âge médian à 18 ans, contre 40 en Europe. Les agences de l'ONU, qu'il s'agisse de l'aide aux réfugiés ou de l'aide à l'enfance, mettent régulièrement en avant les forts taux de mortalité infantile. L'urgence est de préparer le développement, un développement qui ne doit pas se limiter au Mali, mais qui doit être régional, compte tenu des économies d'échelle à atteindre, de la situation particulière de ces économies, de leurs agricultures. Il faut donc un plan de développement partagé par tous les pays de la zone.
Pourtant, on peut être plus optimiste qu'il y a dix ans pour les pays d'Afrique. La croissance ne se limite plus désormais aux pays qui disposent de ressources naturelles. Regardons l'Ethiopie, ou l'Egypte, par exemple. Avec une aide au développement intégrée, la croissance suivra. Je ne suis pas pessimiste. Il nous faut pour cela coordonner, mais aussi rassembler, et je pense à la société civile, aux leaders religieux, aux femmes...Il nous faut coordonner à quatre niveaux : au sein de la communauté internationale, entre gouvernements de la région, au sein du système des nations et pour rassembler la société civile. Je travaille à rassembler toutes les énergies pour régler les questions de sécurité, de gouvernance, les questions humanitaires et de développement. Concrètement, ce projet de développement doit venir de la société civile et ne pas être piloté d'en haut par l'ONU, mais bien au contraire émerger à partir des visions locales. Je travaille actuellement avec la Haute Représentante Lady Ashton et Mme Bachelet pour organiser une conférence sur les femmes du Sahel, pour exploiter leur potentiel, leur expérience et leur sagesse. Il nous faut chercher ensemble une meilleure organisation de nos moyens financiers, nous permettant d'avoir tout le monde « à bord ». Il existe des réticences à déléguer la gestion de l'aide à des structures multilatérales, car certains pays veulent garder la possibilité de gérer directement les projets financés. Je veux expliquer que nous avons intérêt à ce que le Sahel soit un champ de coopération, pas un champ de bataille.
Les organisations régionales, au premier rang desquelles l'Union africaine, doivent être mobilisées pour développer toutes les coopérations possibles. Il nous faut développer la coopération intra-africaine.
Les priorités de mon action sont l'agriculture, les infrastructures et l'énergie. Je suis aussi à votre écoute pour entendre vos propositions pour appuyer ce travail difficile mais nécessaire et capitaliser sur l'unité qui existe aujourd'hui dans la communauté internationale.
M. Jeanny Lorgeoux. - Permettez-moi tout d'abord de saluer la probité, l'élévation et l'humilité qui caractérisent l'ensemble de votre vie politique.
La question est en fait aujourd'hui de mettre en place une sorte de « petit plan Marshall » pour le Sahel, en recensant les infrastructures à mettre en oeuvre dans une Afrique où nous connaissons désormais 5 à 7 % de taux de croissance annuel, où la population sera dans vingt ans égale à celle de la Chine. Au Mali et au Soudan, l'écheveau politique est embrouillé, il n'y a plus d'État : comment faire ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous remercie de votre présentation et donne la parole à trois de mes collègues.
M. Gérard Larcher. - Quel regard portez-vous sur le dossier malien alors que nous sommes entrés dans un processus militaire et qu'un processus politique se met en place ? Quel sera l'acteur de l'avenir post-militaire malien, l'ONU ou l'Union africaine ? Comment s'articule votre mission avec celle de l'Union européenne sur le Sahel ? Comment rendre vos démarches respectives complémentaires et non parallèles ?
Les presses étrangères, notamment égyptienne et algérienne, portent un regard critique sur l'intervention française au Mali. Qu'en pensez-vous ?
Le Mali s'est effondré. Il en est de même des structures agricoles et du pastoralisme au Sahel. La réponse réside dans le développement, sous réserve qu'il ne soit pas « préfabriqué ». Une masse importante de fonds a déjà été consacrée à cette région avec des résultats cependant modestes. Ainsi les Touaregs sont les oubliés du Nord.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Le Président Gérard Larcher a abordé l'essentiel des sujets. Comment envisagez-vous les modalités d'une mission de l'ONU se substituant, ou tout au moins prenant le relais de la présence des forces françaises ? Faut-il la confier à l'Union africaine ? Cela mérite une discussion qui n'a pas eu lieu jusqu'à présent.
De surcroît, comment résoudre les problèmes issus de la scission entre le nord et le sud ? Cette fracture n'est pas le fruit du hasard. Le Nord du Mali a été souvent négligé. Plusieurs rébellions ont éclaté dont la dernière sous des formes particulièrement inquiétantes. Est-il possible de traiter ce problème dans le cadre de la feuille de route du gouvernement de Bamako ?
S'agissant du Sahel, à qui confier son développement alors que les Etats sont en déliquescence voire en faillite ? Quelle est l'autorité politique capable d'élaborer un projet d'ensemble de ces travaux de restauration agricole et pastorale?
M. Romano Prodi. - Tout plan d'aide est désormais intitulé « Marshall ». La situation est cependant différente. S'agissant du plan Marshall, il relevait de la responsabilité d'un Etat qui apportait son aide à d'autres Etats. Le cas présent est différent puisqu'il s'agit d'élaborer une stratégie de développement entre Etats.
Quel que soit le nom de ce plan, le problème réside essentiellement dans la capacité à convaincre les pays d'allouer des ressources communes très rapidement. J'insiste, le temps est primordial. J'ai été particulièrement attentif aux critiques d'un certain nombre de pays qui sont réticents à abandonner leurs ressources aux mains de l'ONU. Comme le moment est à l'urgence, j'entends beaucoup de déclarations de bonne volonté mais je ne veux pas que dans quelques mois la région retombe dans l'oubli.
Quant aux solutions post-militaires, la première étape consiste en la préparation d'élections. Avec 98 % de la population en capacité de voter, des élections peuvent être théoriquement organisées. Il convient préalablement d'élaborer les procédures nécessaires à leur bon déroulement.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Les listes électorales ...
M. Romano Prodi.- En effet, la constitution de listes électorales est essentielle, compte tenu de l'existence de 400 000 réfugiés. C'est un problème. Une élection sans garantie n'est pas une véritable élection. Le message est clair. Il faut commencer par l'élaboration de listes.
Quant à votre interrogation sur l'intervention de l'ONU en relais de la présence française, je ne peux pas y répondre. Cette décision appartient au Conseil de Sécurité.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Le Président de la République et notre diplomatie doivent y travailler.
M. Romano Prodi.- Il convient de se concentrer sur les élections sans se perdre dans les détails des modalités de la future gouvernance. Il est clair que la question de l'administration du Nord est centrale. Or elle ne fait pas consensus chez les Maliens. La situation est complexe. Elle évolue rapidement. Les opinions divergentes sont nombreuses. Il convient donc d'être prudent.
Quant aux critiques sur l'intervention française au Mali, en attendre moins serait impossible. La France a su créer une certaine unité. C'est la première fois de ma vie que je vois une telle situation. Il convient de l'exploiter. Tout le monde ne peut toutefois pas être d'accord. Certes, il y a le Brésil, l'Algérie, l'Égypte, peut-être l'Iran, je ne sais pas.
En ce qui concerne le développement de la région du Sahel, quel périmètre retenir ? Dans la pratique, la stratégie sera géographiquement plus limitée que le Sahel qui arrive jusqu'en Érythrée. Bien entendu, des pays tels que le Tchad, le Niger, la Mauritanie et le Mali seront compris dans notre champ d'action. Il est préférable que la notion de Sahel soit définie de manière flexible et empirique.
J'insiste, en revanche sur la nécessité de prévoir en priorité la fourniture d'eau et d'énergie.
Quant aux interrogations sur les autorités en capacité d'agir, je ne peux que préciser qu'il convient d'aider les structures et entités existantes. Il faut utiliser l'Union africaine, la CEDEAO.
M. Michel Boutant. - Vous avez fait de nombreuses références à la Chine. Pourquoi ?
M. Robert del Picchia. - Vous nous dites que si nous ne faisons pas attention, on oubliera bientôt le Sahel et que les mêmes difficultés recommenceront, au Mali ou ailleurs. Vous avez évoqué un plan de développement. Les industriels, désireux de s'implanter autour de projets énergétiques, en particulier l'énergie solaire avec un projet franco-américano-allemand, ont besoin de sécurité. Il faut donc une garantie internationale. Ce pourrait être le rôle de l'ONU, de l'Union africaine ou de la CEDEAO.
M. Alain Néri. - L'Afrique dispose d'un potentiel économique et démographique considérable, le continent passera de 700 millions à 2 milliards d'habitants en 2040. Comment a été utilisée l'aide au développement, dans ces états sans structures administratives ? Au Mali, l'enseignement se fait dans quatorze langues, il n'y a pas de cadastre, pas de rôle des impôts : comment contrôler l'utilisation de l'argent ? Il y a beaucoup d'évaporation... Il nous faut d'abord constituer des états réels.
M. Romano Prodi - La Chine réalise déjà avec l'Afrique un commerce extérieur équivalent à la moitié de celui de l'Union européenne avec le continent africain, soit 200 milliards contre 430 pour les Européens. La Chine a des relations diplomatiques avec 52 pays africains. C'est le seul pays qui exporte simultanément des marchandises, de la main-d'oeuvre, de la technologie, et du capital en même temps. Rien qu'en Algérie, 25 000 citoyens chinois travaillent dans le secteur du bâtiment, du maçon à l'architecte, pour la livraison de logements sociaux. 5 000 s'installent chaque année définitivement, se marient, ouvrent des commerces...
S'agissant des investissements, le développement escompté n'aura pas lieu si on ne tient compte que de l'investissement public. Les investissements privés sont absolument nécessaires. Des opportunités existent mais le contexte actuel n'y est pas favorable. Or c'est la coopération et la paix qui permettent la réalisation de tels investissements.
C'est pourquoi, il apparaît nécessaire de mobiliser plusieurs pays de l'Union africaine et de réfléchir ainsi sur la notion de gouvernance. Je fais référence ici à l'absence des structures élémentaires. C'est notre tâche. Le processus démocratique n'est peut-être pas suffisant mais il est nécessaire afin de sortir de l'impasse.
M. Christian Cambon. - Je souhaite m'adresser à l'ancien président de la commission européenne. Les événements actuels tendent à témoigner de l'échec des politiques de coopération parcellisées mettant en jeu des sommes importantes. Nos analyses politiques élogieuses à l'égard de certains régimes se sont parfois révélées erronées. N'est il pas temps pour l'Union européenne de se livrer à un examen de conscience sur les modalités de l'organisation de son aide et de la coopération dans cette partie du monde lorsque la paix sera revenue et les armes se seront tues ?
En mission au Mali, nous avons dénombré sur le terrain près de vingt-cinq politiques de coopération de différents pays européens, parallèlement à une action menée par l'Union européenne de manière indépendante. Si l'on souhaite l'instauration d'une meilleure gouvernance de ce pays, l'Union européenne ne doit-elle pas réexaminer ses aides, éventuellement instituer des « pays chefs de file » en ce domaine, afin de mieux orienter ses aides?
Mme Josette Durrieu. - Puisque le Président Prodi doit élaborer un plan au Sahel et au Mali, quels sont sa méthode, son cadre juridique, ses objectifs, son calendrier ainsi que les conditions du dialogue ?
M. Jacques Berthou. - Peut-on envisager un règlement malo-malien du problème des Touaregs qui visent à accéder à certaines responsabilités voire à l'autonomie, ce qui pourrait les conduire à devoir lutter contre le terrorisme dans cette région ?
M. Gilbert Roger. - Notre vision occidentale de l'Afrique en tant qu'unité et non pas en tant qu'un ensemble de pays n'est elle pas une grave erreur ? N'aurions nous pas à intérêt à changer de logiciel afin d'envisager ces Etats comme pays du continent africain avec lesquels il convient de développer des coopérations partielles ?
Mme Leila Aïchi. - Cette zone comprend seize à dix huit millions de personnes susceptibles de souffrir de la famine. Entre Mopti et Gao, il existe 1,8 million d'hectares de terres cultivables. On peut y exploiter des céréales et du riz. Des investisseurs libyens ont acquis une concession de terres agricoles pour une valeur de trois cent millions de dollars. Ils ont construit un canal sur cent mille hectares de 18 kilomètres de long, vingt mètres de large et quatre mètres de profondeur transportant de l'eau.
Que peut faire l'Europe afin de rapprocher les TPE PME françaises, européennes et maliennes afin de favoriser ce développement de terres agricoles dans ce pays et de nourrir sa population ?
M. Romano Prodi. -En termes de développement, la première priorité est de finir le travail commencé mais interrompu faute d'argent. Pour cela, il faut une bonne coordination entre la banque mondiale, la banque africaine de développement, mais aussi, ne l'oublions pas, la banque européenne d'investissement. La coordination de l'aide de l'Union européenne et de celle des ses états membres est une question insoluble, c'est pourquoi je prône une stratégie flexible permettant de « mettre des drapeaux » sur certains projets. L'Europe est le premier donateur en Afrique, mais les pays européens veulent aussi garder une certaine autonomie. Il est possible de réexaminer les procédures pour aboutir une meilleure coordination, mais il faut que les états membres le veuillent. Le calendrier est crucial, car bientôt tout le monde va oublier le Sahel. J'ai personnellement participé dix fois au G8, et j'ai constaté que nous n'avons jamais tenu les engagements pris, ce qui n'est pas étonnant pour une structure qui n'a pas de secrétariat permanent.
La question du Nord-Mali est naturellement centrale. Elle ne concerne d'ailleurs pas que les Touaregs qui sont minoritaires, même au Nord. Beaucoup de responsables internationaux s'accordent à dire que, sans élections claires et transparentes, il n'est pas possible d'avancer.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Merci Monsieur le Président Prodi de cet éclairage. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous, une fois les élections passées en Italie, pour que vous nous conseilliez sur les moyens de tisser des liens, dans le futur paysage politique italien, nous permettant de travailler à la construction de l'Europe de la Défense.
Jeudi 7 février 2013
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Situation au Mali - Audition de MM. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, et Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Cette audition n'a pas donné lieu à un compte rendu.
Audition du Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN
La commission auditionne le général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous sommes particulièrement heureux, mon Général, de vous accueillir à nouveau devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Je rappelle qu'après avoir été pilote de chasse et commandé plusieurs escadres, vous avez été chef d'état-major de l'armée de l'air de 2009 à 2012. A ce titre, vous avez joué un rôle majeur lors de l'intervention en Libye. Depuis septembre 2012, vous occupez le poste de commandant suprême allié de la transformation de l'OTAN (« ACT » dans le jargon otanien). Après le Général Stéphane Abrial, vous êtes donc le deuxième officier français à occuper ce poste essentiel.
Je rappelle, en effet, que ACT est l'un des deux commandements stratégiques au sein de l'Alliance atlantique, avec le commandant suprême allié chargé des opérations.
ACT est plus particulièrement chargé de tout ce qui concerne la recherche, la doctrine, les concepts, la formation, l'entraînement et l'expérimentation.
Ayant son siège à Norfolk, en Virginie, à proximité du commandement interarmées américain, situé lui aussi à Norfolk, ACT doit permettre d'enrichir la réflexion commune de tous les alliés en vue d'adapter leurs forces à l'évolution du contexte stratégique, de redéfinir leurs doctrines et de dégager des priorités en termes de capacités.
Selon l'expression de son premier commandant, l'amiral américain Giambastiani, il s'agit du « centre intellectuel pour la transformation de l'Alliance ».
Lors de votre prise de fonction, en septembre dernier, vous avez indiqué que votre principale mission était de réfléchir à l'avenir de l'Alliance atlantique après l'Afghanistan et de faire en sorte que les pays alliés soient en mesure de répondre aux défis futurs, que ce soit en termes de capacités, d'interopérabilité ou de disponibilité des forces « au niveau le plus élevé ».
Dans un contexte marqué par le rééquilibrage de la stratégie américaine vers la zone Asie Pacifique et par la réduction des budgets de la défense, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, en raison du retrait d'Afghanistan, mais aussi par l'écart croissant entre les deux rives de l'Atlantique et au sein même de l'Europe, comme l'illustre le récent rapport du Secrétaire général de l'OTAN, comment voyez-vous l'avenir de l'Alliance Atlantique ?
Comment maintenir, après l'Afghanistan, l'interopérabilité, la disponibilité et l'efficacité des forces militaires ? Quel rôle pour la force de réaction de l'OTAN (NRF) ?
Dans un contexte budgétaire difficile, comment permettre aux pays alliés de préserver, sinon renforcer, nos capacités, dont nous avons pu mesurer les lacunes en Libye ? Que faut-il penser de la « Smart defence » ou de l'initiative « connected forces » ? Le recours à la spécialisation ou au « financement en commun » vous paraissent-ils réellement de nature à compenser les réductions des budgets de la défense et ne risquent-ils pas paradoxalement d'encourager les pays européens à réduire davantage leur effort, en fragilisant l'industrie européenne de défense et en privilégiant l'achat sur étagère d'équipements américains ?
Pour être un peu provocateur, ACT a-t-il vocation d'après vous à devenir une sorte d'agence de l'armement supranationale, qui déciderait en lieu et place des Parlements ?
Qu'en est-il également de l'articulation entre la « Smart defence » de l'OTAN et l'initiative « mutualisation et partage » menée sous l'égide de l'Agence européenne de défense au sein de l'Union européenne ?
Enfin, alors que le Livre blanc devrait confirmer les orientations du rapport d'Hubert Védrine sur la réintégration de la France au sein du commandement militaire intégré, comment voyez-vous, de votre position, la place et l'influence de la France et des Européens au sein de l'Alliance ?
Je vous laisse maintenant la parole.
Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN. - Je vous remercie, Monsieur le Président, pour cette occasion qui m'est donnée de vous offrir un premier bilan de mon engagement à la tête du Commandement allié pour la Transformation de l'OTAN.
Près de quatre années après la décision prise, au Sommet de Strasbourg/Kehl, du retour de la France dans son commandement intégré, l'OTAN est désormais une sphère d'action importante pour la préparation de l'outil militaire français. Il convient de s'en souvenir à l'heure des décisions importantes qui se préparent.
A l'instar de la France, et sans préjuger du développement des crises en cours et à venir, l'Alliance atlantique est sur le point de vivre un nouveau tournant de son histoire militaire, marqué par la concomitance d'une baisse programmée en 2014 du niveau de son engagement opérationnel en Afghanistan, et d'une austérité budgétaire affectant la plupart des 28 nations qui la constituent. Ces évolutions majeures sont pour l'Alliance en général et pour chacune des nations, porteuses de risques à maîtriser, mais aussi d'occasions à saisir.
Au sein de l'organisation, le commandement allié pour la transformation (ACT) est un outil unique, au service de l'Alliance, c'est-à-dire de ses nations. Il est confié avec l'accord des États-Unis depuis 2009 à un Européen français : cette marque de confiance de nos alliés illustre aussi et de manière très visible, l'importance du lien transatlantique pour le devenir de l'OTAN, confirmée par le Vice-Président Joe Biden à la Conférence de Munich.
Vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, la mission de ce commandement est de préparer l'avenir, ce qui recouvre la préparation des forces et le développement capacitaire de l'Alliance, domaines qui se nourrissent également d'une solide réflexion prospective. Le présent opérationnel est confié à l'autre commandement stratégique de l'OTAN, le commandement allié opérations (ACO) de Mons.
La transformation est un processus permanent guidé par une stratégie pour le moyen et le long terme, qui vise à appréhender pleinement les défis que vous venez d'évoquer.
Vue de Norfolk, l'Alliance est une structure politico-militaire unique dont le plus grand ciment reste l'adhésion à une communauté de valeurs fondée sur la liberté, la paix, la sécurité, l'état de droit, et son attachement à la Chartre des Nations unies, rappelé dans le préambule du Traité de l'Atlantique Nord.
Mais c'est aussi une mosaïque de sensibilités politiques et militaires parfois très différentes d'Est en Ouest et du Nord au Sud, qui sont façonnées par une histoire et un environnement stratégique propres à chaque pays.
Pour adapter notre Alliance à l'évolution du contexte mondial, un nouveau concept stratégique a été adopté à Lisbonne en 2010, puis confirmé et précisé en termes d'objectifs capacitaires à Chicago en 2012.
Les missions de l'OTAN répondent aux objectifs de Défense collective de l'Alliance dans le cadre de l'article 5 du Traité de Washington et couvrent également les domaines de Gestion des crises et de Sécurité coopérative. Ses champs d'intervention potentiels sont de fait, très étendus. Ils recoupent souvent ceux de la Politique de Sécurité et de Défense Commune de l'Union européenne (PSDC), ce qui ouvre la voie à une complémentarité recherchée dans le cadre d'un partenariat stratégique entre les deux organisations, dont il faut rappeler qu'elles comptent 21 membres en commun.
Dans ce contexte, l'Alliance veille à garder toute sa crédibilité militaire en s'appuyant sur le maintien d'une capacité de génération de forces interopérables et sur une solide structure de commandement, récemment rationalisée à la demande des nations : effectifs ramenés de 13 000 à 8 500, réduction à 2 commandements opérationnels niveau interarmées et 1 par composante (Terre, Air, Mer). Rationalisation à laquelle il convient d'ajouter la réforme des Agences, passées de 14 à 3.
Je souhaiterais maintenant partager avec vous mon analyse des facteurs essentiels qui sous-tendent la transformation de l'OTAN et les priorités que j'en ai tirées pour mon commandement.
Au niveau stratégique, il faut en premier lieu souligner les effets conjugués du rééquilibrage des intérêts américains vers l'Asie et des contraintes budgétaires (« fiscal austerity ») également prégnantes outre-Atlantique, ce qui va entraîner un réajustement de la présence militaire américaine en Europe. Cette évolution ne remet pas en cause l'engagement des Etats-Unis auprès de leurs alliés européens, mais cet engagement s'accompagne néanmoins du souhait que l'on peut trouver « légitime », exprimé fréquemment outre-Atlantique, que les Européens prennent une part plus importante à l'effort de défense, dans le cadre du partage des tâches (« burden sharing »). Dans ce cadre, les Etats-Unis rapatrieront leurs 2 brigades déployées en Europe, mais engageront 2 bataillons au profit de la Force de Réaction de l'OTAN. Cela devrait conduire à un modèle de forces rotationnelles dont le but principal sera de conserver un niveau de présence et d'entraînement suffisant pour maintenir l'interopérabilité des forces américaines au sein des forces alliées.
La prise en compte des nouvelles menaces représente également un enjeu important. Ainsi, la défense contre les missiles balistiques, ou encore la protection contre la menace cyber, domaine que votre commission connaît bien, sont deux objectifs réaffirmés à Chicago. ACT est totalement impliqué dans ces deux domaines.
Enfin, les réductions quasiment généralisées des budgets de défense des nations membres sont de nature à mettre en cause durablement les capacités militaires de l'Alliance, non seulement en termes d'équipements mais aussi de préparation opérationnelle des forces.
Dans ce cadre extrêmement contraint, les principes que j'ai présentés récemment au Comité Militaire et au Conseil de l'Atlantique Nord visent avant tout à préserver l'efficacité opérationnelle de l'OTAN sur le court et le moyen termes, en gardant une vision sur le long terme, dans le cadre d'une analyse prospective des grands facteurs d'évolution.
Il s'agit donc en premier lieu de maintenir la disponibilité, la réactivité et l'interopérabilité des forces, alors que se profile pour 2014 la fin des opérations de combat de l'OTAN en Afghanistan.
L'initiative des forces connectées (« connected forces ») répond à ces enjeux. Elle doit permettre aux forces employées par l'OTAN de mieux travailler ensemble, et également avec les partenaires. Au-delà de l'interopérabilité des équipements, il s'agit d'une démarche centrée sur les compétences, qui intègre également les volets doctrine, organisation, entrainement, logistique et infrastructure liés à l'emploi d'une capacité. Dans cette approche globale, l'efficacité des entrainements communs occupe une place de choix, notamment parce qu'il s'agit à travers eux de pallier la baisse probable de l'activité opérationnelle qui fut, depuis plus de dix ans, le véritable vecteur de l'interopérabilité des forces de l'Alliance.
Dans ce cadre, ACT qui assume désormais la responsabilité de l'entrainement collectif de l'Alliance, a récemment proposé l'idée d'organiser un programme d'exercices annuels plus nombreux et plus diversifiés qui intégrerait un exercice annuel de grande ampleur et à haute visibilité. Celui-ci prendrait appui sur les structures de commandement et les générations de forces de la « NATO Response Force » (NRF), faisant de ladite force un outil de préparation mais également un puissant vecteur de transformation pour l'Alliance.
De manière générale, la transformation de l'OTAN doit favoriser la réactivité et l'adaptation permanente en employant au mieux les compétences où elles se trouvent, en les constituant en réseaux et en développant toutes les synergies possibles. C'est dans cet esprit d'efficacité et d'optimisation qu'a été lancée l'initiative dite de « Smart Defence », que je traduirais par défense optimisée, plus intelligente. Son objectif est de développer des coopérations multinationales pour répondre à certains objectifs capacitaires ou éviter des ruptures de capacités, et ce en réduisant les coûts.
Vous savez que l'Union européenne de son côté a lancé à Gand l'initiative « mutualisation et partage » (« Pooling and Sharing »), conduite par l'Agence européenne de défense (AED), qui dans son principe est très proche de la Smart Defence. C'est pourquoi ACT mène avec l'AED un travail méticuleux d'analyse des projets réciproques pour en assurer la complémentarité, et mieux la synergie.
La complexité de l'environnement géostratégique et son caractère évolutif poussent l'OTAN à développer une politique de partenariat dynamique et globale incluant les organisations internationales. La logique de partenariat répond à un véritable besoin de coopération qu'illustrent les opérations récentes.
Au premier rang des partenariats stratégiques pour l'avenir de l'OTAN, figure celui avec l'Union européenne. 21 pays sont membres à la fois de l'UE et de l'OTAN, ce qui milite pour que les réflexions capacitaires menées par les deux organisations soient bien coordonnées, car portant sur les mêmes forces (et les mêmes budgets !). Le renforcement du pilier européen de l'OTAN constitue un objectif majeur pour le renforcement du lien transatlantique et la crédibilité d'ensemble de l'Alliance.
Monsieur le Président, vu de mon poste, je pense que le regard que nous devons porter sur l'OTAN est désormais celui d'un actionnaire majeur d'une entreprise vaste et complexe dont il convient de maitriser toutes les arcanes. Il me semble en particulier opportun d'utiliser le plein potentiel des projets portés par l'initiative « Smart Defence » dans une démarche proactive. La France participe déjà à 28 projets et il est de son intérêt autant que de celui de l'OTAN d'entretenir l'élan initial :
- 14 projets de premier rang, parmi lesquels elle est deux fois nation cadre : dans les domaines du soutien médical (« Pooling and Sharing Multinational Medical Treatment Facilities ») et des carburants (« Multinational Logistic Partnership - Fuel Handling »).
- 12 projets de deuxième rang ;
- 2 de troisième rang.
Il est notable que 8 de ces projets répondent directement à l'atteinte de cibles capacitaires visées en 2013 par le processus de planification de défense de l'Alliance (NDPP).
Parmi les projets portés par cette initiative, le projet franco-américain en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, « Joint Intelligence, Surveillance and Reconnaissance » (JISR), constitue un enjeu important dont la conduite doit faire l'objet d'une attention soutenue.
Enfin, à l'heure où la France met la dernière main à son Livre blanc, je souligne l'importance d'expliquer et de mettre en perspective les orientations stratégiques et les choix qui en découleront vis à vis de nos engagements au sein de l'Alliance.
Monsieur le Président, au sein de l'OTAN, nos femmes et nos hommes représentent aussi notre meilleur investissement. A ce titre, je constate au quotidien que la France a fait un choix pertinent en misant sur leur compétence et leur motivation. Ces qualités, alliées à l'expérience opérationnelle, leur confèrent une place qui fait honneur à notre pays.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.
M. Jacques Gautier. - Au moment où nos forces armées sont engagées au Mali et où nous achevons les travaux autour du nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, il est particulièrement intéressant de vous entendre, Mon Général, sur les principaux dossiers dont vous avez la charge au sein de l'Alliance.
Vous avez évoqué dans votre intervention la question de la réforme de l'organisation et des agences de l'Alliance, à laquelle nous attachons une importance particulière.
Vous avez également évoqué les projets de coopération en matière de capacités, dans le cadre de l'initiative de la « Smart Defence » au sein de l'OTAN et la nécessité d'une étroite articulation avec l'initiative « mutualisation et partage » (« pooling and sharing ») menée par l'Agence européenne de défense dans le cadre de l'Union européenne. Au moment où les budgets de la défense connaissent des réductions sensibles en Europe, ces initiatives me paraissent constituer de réelles opportunités pour notre industrie de la défense.
A cet égard, quelle place voyez-vous pour l'industrie de la défense française au regard de la « Smart Defence » ? Comment nos industries de la défense pourraient-elles tirer le maximum de bénéfice des projets lancés dans ce cadre et quel devrait être le rôle de l'Etat ?
Ma deuxième question porte sur la force de réaction de l'OTAN (NRF). Dans le cadre des travaux autour du nouveau Livre blanc de la défense et la sécurité nationale, nous nous appuyons beaucoup sur la NRF, tant au niveau du format de nos forces que de notre structure de commandement. Or, il semblerait que certains de nos alliés, confrontés à des difficultés budgétaires, soient favorables à une diminution de la NRF. Ces inquiétudes vous paraissent-elles fondées ?
Enfin, comme l'a souligné Hubert Védrine dans son rapport remis au Président de la République, la réintégration de la France au sein du commandement intégré a contribué à renforcer notre influence au sein de l'Alliance et la nouvelle stratégie américaine de « pivot » vers la zone Asie Pacifique pourrait contribuer à renforcer encore la place de la France, aux côtés de nos amis britanniques, au sein de l'OTAN et donc à favoriser l'émergence d'un « pilier » européen au sein de l'Alliance. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur ce point.
M. Alain Néri. - Compte tenu des difficultés budgétaires que traversent les pays européens, comment, d'après vous, assurer le maintien des capacités de nos outils de défense ? Est-ce que ces difficultés, qui touchent l'ensemble des pays de l'Alliance, ne devraient pas nous inciter à renforcer davantage notre coopération au sein de l'OTAN et de l'Union européenne mais aussi avec des pays partenaires ?
M. Robert del Picchia. - Je souhaiterais revenir sur la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne, qui présente à mes yeux une grande importance. Est-ce que cette coopération ne mériterait pas, d'après vous, d'être renforcée et comment dépasser les obstacles politiques ou les réticences de certains de nos alliés ?
Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN. - La « Smart Defence », que l'on peut traduire par « défense plus intelligente » ou « défense optimisée » représente une réelle opportunité pour l'industrie française de défense. Nous incitons donc les industriels français à être présents autour de la table et à répondre aux appels à projets. Nous avons d'ailleurs créé, au sein de ACT, un cadre pour la coopération en amont avec le monde industriel, même si ACT n'est pas une agence d'acquisition de l'OTAN, qui existe par ailleurs au sein de l'Alliance. Nous sommes là pour stimuler, pour préparer et travailler en amont avec le monde industriel, à l'image de ce que nous faisions à l'état-major des armées, pour identifier et orienter la recherche vers les besoins opérationnels de nos forces sur le long terme. Nous touchons là le coeur de notre travail. Nous voyons bien que nous tirons aujourd'hui profit des investissements réalisés il y a dix ou quinze ans dans le secteur de la défense et il est impératif de réfléchir et préparer dès aujourd'hui les capacités dont nos forces auront besoin dans dix ou vingt ans, alors que tout nous pousse à regarder le présent.
L'Europe dispose d'une industrie de défense de très grande qualité, reconnue au sein de l'OTAN et hors de nos frontières, y compris outre-Atlantique, avec des réalisations remarquables, à l'image de l'A400M. Elle pourrait donc tirer un grand bénéfice de la « Smart Defence », qui suppose aussi un certain esprit d'initiative. C'est le sens de ma démarche auprès des industriels de la défense. J'incite les industriels à avoir une approche proactive, à stimuler leur créativité, à imaginer des solutions innovantes et moins onéreuses, notamment dans le cadre de la recherche duale. Cela suppose aussi de notre part un travail pour mieux identifier les besoins et réduire les spécifications.
Concernant la force de réaction de l'OTAN, il s'agit au contraire dans mon esprit de la conforter et de la renforcer, de la « revitaliser » pour reprendre l'expression utilisée dans la déclaration adoptée lors du Sommet de Chicago, et elle est au centre de l'initiative des forces connectées. La NRF doit être visible, disponible à court terme et entrainée au meilleur niveau, c'est en quelque sorte la « pointe de diamant » de l'Alliance, et il me semble souhaitable que les pays alliés, dont la France, contribuent au mieux à cet objectif, en termes de préparation, de disponibilité opérationnelle ou d'interopérabilité. A cet égard, le réaménagement du dispositif militaire américain en Europe va certainement contribuer à renforcer la NRF et sera un bon test de notre aptitude à conserver cette interopérabilité avec nos alliés américains mais aussi avec nos partenaires européens. Par ailleurs, on pourrait étudier la possibilité d'ouvrir la NRF à d'autres forces, à l'image des groupements tactiques de l'Union européenne, ce qui permettrait de renforcer les synergies en matière de génération de forces.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter au rapport d'Hubert Védrine, qui décrit très bien la relation décomplexée qu'entretient aujourd'hui la France avec ses alliés au sein de l'Alliance atlantique. La France est membre à part entière de l'OTAN. Notre pays occupe aujourd'hui une place importante au sein de l'Alliance, ceci pour deux raisons. D'une part, parce que notre pays fait preuve de volonté et, d'autre part, parce qu'il dispose de capacités. La France fait preuve de volonté pour défendre son rang car elle est force de proposition. Elle sait aussi prendre ses responsabilités, comme on peut le voir avec l'intervention au Mali. C'est la raison pour laquelle la France est respectée par tous ses alliés, en particulier outre-Atlantique, et nos alliés américains ne cessent de le souligner.
Concernant le niveau de défense et d'ambition, il faut bien admettre qu'au sein de l'OTAN il existe peu de Nations-cadres, c'est-à-dire de pays qui ont la volonté et les moyens de mener une intervention d'envergure hors de leurs frontières, en disposant en propre des structures de commandement, des capacités de projection ou des moyens de renseignement nécessaires, et que la France fait partie de ce cercle restreint, ce qui lui confère un poids particulier au sein de l'Alliance.
La question des partenariats est effectivement centrale pour l'avenir de l'Alliance. Même si tous les pays partenaires n'ont pas vocation à devenir un jour membres de l'Alliance, nous aurons de plus en plus besoin de renforcer notre coopération militaire avec des pays partenaires, y compris avec des pays européens non membres de l'Alliance, comme la Suède ou la Finlande ou l'Autriche, ou des pays voisins.
La fenêtre d'opportunité n'a jamais été aussi ouverte qu'aujourd'hui pour renforcer les relations et la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne et, dans mon travail quotidien, je ne rencontre pas de réticences particulières. Les pays européens sont aujourd'hui en quelque sorte au pied du mur et c'est un peu l'heure de vérité pour l'Europe de la défense. Au moment où la relation transatlantique est en pleine mutation et que nos amis américains nous incitent à prendre davantage nos responsabilités, il revient aux Européens, et sans doute d'abord à nous Français, de faire valoir nos atouts et nos outils, qui ne ressortissent pas tous du domaine militaire mais qui relèvent également de ce qu'il est convenu d'appeler l'« approche globale », avec par exemple la politique d'aide au développement. Pour ce faire, il me semble nécessaire d'avoir une réflexion sur nos intérêts communs, y compris industriels, car l'Alliance est aussi une alliance d'intérêts au service de valeurs communes.
M. André Vallini. - Au moment où l'OTAN s'« européanise », avec le « rééquilibrage » des Etats-Unis vers la zone Asie-Pacifique et le retour de la France au sein du commandement militaire intégré, l'Europe de la défense a-t-elle encore un sens ? Voyez-vous une contradiction entre l'« européanisation » de l'OTAN et l'Europe de la défense ?
M. Jean-Marie Bockel. - Dans le rapport d'information sur la cyberdéfense, adopté en juillet dernier par notre commission, j'avais consacré une large partie à l'OTAN. A la suite des attaques informatiques massives ayant visé l'Estonie en 2007, l'Alliance atlantique s'est, en effet, préoccupée de la cyberdéfense. Les cyberattaques sont prises en compte dans le nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique, adopté lors du Sommet de Lisbonne en novembre 2010 et l'OTAN s'est dotée en janvier 2011 d'un concept et d'une politique dans ce domaine. L'OTAN s'est dotée d'un centre technique de la capacité OTAN de réaction aux incidents informatiques (NCIRC) et un centre d'excellence sur la cyberdéfense a été créé à Tallinn, en Estonie. L'OTAN mène aussi des exercices cyber, à l'image du « Cybercoalition ».
Pour autant, l'OTAN ne me semble pas encore complètement armée pour faire face à cette menace. Ainsi, je reste préoccupé par les retards concernant la capacité opérationnelle de l'OTAN en matière de réponse aux cyberattaques, qui devait être prête pour la fin de l'année 2012 mais dont la mise en place a été reportée.
Je souhaiterais donc connaître votre sentiment sur le rôle de l'OTAN en matière de cyberdéfense.
Par ailleurs, quelles réflexions vous inspirent le virus informatique STUXNET qui aurait endommagé un millier de centrifugeuses d'enrichissement de l'uranium en Iran, retardant ainsi le programme nucléaire militaire de ce pays, et dont les Etats-Unis et Israël pourraient être à l'origine. Cette affaire vous semble-t-elle laisser présager une nouvelle forme de « cyberguerre » ?
Mme Josette Durrieu. - J'ai quatre questions à vous poser. Tout d'abord, qu'en est-il de la politique de l'OTAN en matière de standardisation et de normalisation ? Est-ce que cette politique tient réellement compte des industries européennes de défense ?
Ensuite, faut-il d'après vous croire véritablement à l'idée d'un « pilier européen » au sein de l'Alliance atlantique ? Cette expression n'est pas nouvelle, puisqu'elle date déjà de l'ère Kennedy, or elle ne s'est jamais traduite jusqu'à présent par un véritable renforcement du rôle et de la place des Européens au sein de l'Alliance atlantique, compte tenu des réticences des Américains mais aussi de nos partenaires européens.
Par ailleurs, qu'en est-il des relations entre l'OTAN et la Russie ?
Enfin, quels enseignements tirez-vous de l'intervention de l'OTAN en Libye, notamment sur le plan de nos lacunes capacitaires ?
Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN. - Plutôt que de parler d'« Europe de la défense », qui est une expression assez imprécise, je préfère pour ma part parler de « la politique de sécurité et de défense commune » (PSDC) de l'Union européenne, qui est l'expression utilisée par le Traité de Lisbonne. Parler d'« Europe de la défense » me semble, en effet, aujourd'hui prématuré même si je crois qu'il nous appartient de rendre l'avenir possible, pour reprendre l'expression de Saint Exupéry. Le fait d'en parler de manière décomplexée aujourd'hui au sein de l'OTAN est déjà en soi un progrès considérable dans les esprits. Nous aurions tort de parler d'un désintérêt des Etats-Unis à l'égard de l'Europe, car aucun signe ne va dans ce sens. Au contraire, comme l'a encore rappelé le Vice-Président Joe Biden lors de la conférence sur la sécurité de Munich, l'Europe reste un partenaire majeur pour les Etats-Unis. Nous ne devrions pas fragiliser la relation transatlantique qui demeure essentielle, des deux côtés de l'océan.
Par ailleurs, l'Alliance atlantique ne se résume pas aux Etats-Unis et comprend d'autres pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne, comme le Canada, la Norvège ou la Turquie, qui comptent et qui disposent d'importantes capacités en matière de défense. Il faut aussi en tenir compte.
Je ne vois pas d'incohérence ou d'incompatibilité entre l'OTAN et le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne. Etant donné que 21 pays européens sont membres des deux organisations, on imagine mal que les positions de ces pays soient incohérentes selon qu'ils se réunissent au sein du Conseil de l'Union européenne ou bien au Conseil de l'Atlantique Nord.
Depuis quatre mois, j'ai pu mieux mesurer toute la force de l'OTAN, qui est une organisation politico-militaire très intégrée au sein de laquelle le Conseil de l'Atlantique Nord occupe une place centrale et qui demeure très attractive pour de nombreux pays. Dans un monde instable confronté à de nouvelles menaces, telles que le cyber, il ne faut pas négliger tout l'intérêt d'être membre d'une alliance reposant sur des valeurs communes et un engagement collectif.
Comme vous le savez, en matière de cyberdéfense, l'OTAN s'est vue confier uniquement, et les nations ont été très vigilantes sur ce point, la mission d'assurer la protection de ses propres systèmes d'information.
Lors de ma prise de fonction, il y a quatre mois, j'ai immédiatement demandé à mes services qu'ils me présentent l'état d'avancement des travaux sur ce point.
Comme vous le soulignez très bien dans votre rapport, les attaques contre les systèmes d'information et de communication représentent une menace bien réelle et concrète, complexe, dont l'identification de l'auteur est très difficile, et qui ne connait pas de frontières, bref une menace qui peut toucher n'importe qui, n'importe quand et n'importe où. C'est aussi une menace qui dépasse le strict cadre militaire, puisqu'elle touche à des questions de sécurité nationale mais aussi à la sécurité des entreprises privées et qu'elle suppose un partenariat de confiance avec le secteur privé. La cyberdéfense est donc révélatrice de cette « approche globale ».
Il est donc très difficile d'identifier précisément l'étendue des mesures de protection et de défense à mettre en place pour assurer la meilleure protection possible des systèmes d'information et de communication de l'Alliance face aux cyberattaques, même si l'OTAN dispose d'une certaine expérience dans ce domaine, que l'on appelait autrefois la lutte contre la guerre électronique.
Au sein de l'OTAN, notre objectif est d'assurer la protection et la surveillance des systèmes d'information et de communication propres à notre organisation, car c'est le mandat donné par les nations.
Personnellement, je ne crois pas beaucoup à l'idée d'une « cyberguerre ».
J'ai cependant le sentiment que nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère et que les nations seront peut être contraintes à l'avenir de revoir le rôle qu'elles entendent confier à l'OTAN face à cette menace bien réelle et permanente.
La politique de standardisation de l'OTAN est un sujet important. J'entends souvent dire en Europe que la politique de standardisation de l'OTAN est définie par les Etats-Unis et qu'elle profite à l'industrie de défense américaine. C'est peut-être vrai en partie aujourd'hui mais il appartient aux Européens de s'organiser et de s'impliquer davantage dans cette politique de standardisation, car l'Europe, avec sa puissance normative, dispose d'un réel avantage dans ce domaine et a un rôle à jouer pour définir les meilleurs standards au juste prix. Car, aujourd'hui, la standardisation ou la normalisation ne concernent pas uniquement les équipements militaires mais touchent aussi d'autres domaines comme les systèmes d'information et de communication. Nous avons un vrai travail à mener au sein de l'OTAN.
Je partage votre sentiment sur l'idée d'un « pilier européen » au sein de l'OTAN.
Quelles leçons peut-on tirer de l'intervention en Libye ? Nos lacunes capacitaires, en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance ou encore en matière de ravitaillement en vol, sont bien connues et les projets lancés dans le cadre de la « Smart Defence » visent précisément à combler ces lacunes. Ces lacunes correspondent à la manière dont nous souhaitons mener des opérations, en limitant au maximum les pertes et les dégâts collatéraux, grâce au renseignement le plus précis possible, ce qui suppose par exemple des drones, comme votre commission le sait très bien. Cela suppose aussi une formation particulière des militaires et il est intéressant de savoir que l'OTAN est la première organisation au monde en matière de formation à distance des personnels via Internet « e-learning », ce qui ne remplace évidemment pas l'entrainement sur le terrain.
La question des relations entre l'OTAN et la Russie est de nature très politique et revêt une sensibilité différente entre les différents pays membres de l'Alliance. C'est aussi un sujet sensible au sein de l'Alliance. Il existe un Conseil OTAN-Russie qui fonctionne de manière satisfaisante et il est dans notre intérêt que l'OTAN et la Russie renforcent leur coopération.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Pourriez-vous nous éclairer sur les réflexions menées actuellement au sein de l'OTAN sur l'idée d'une spécialisation des nations et d'un recours accru au financement en commun, sur le modèle de la flotte d'AWACS de l'OTAN ?
Par ailleurs, en tant qu'ancien pilote de chasse et d'ancien chef d'état-major de l'armée de l'air, quelles réflexions vous inspirent les qualités exceptionnelles du Rafale et les difficultés rencontrées en matière d'exportation de cet avion ?
Enfin, face au risque d'une réduction de notre effort de défense, qui serait incompatible avec l'objectif d'un renforcement de notre influence au sein de l'OTAN et d'une relance de l'Europe de la défense, je considère qu'il conviendrait de mieux mettre en avant l'atout que représente notre industrie de défense pour la recherche, en matière de richesse et d'emplois pour notre pays.
Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN. - L'idée d'une spécialisation ou d'un partage des tâches n'est pas nouvelle. On peut citer notamment l'expérience des pays du Benelux qui ont décidé de se partager certaines tâches. Elle se pose aujourd'hui avec une acuité particulière car, en raison de la réduction sensible des budgets de la défense dans un grand nombre de pays européens, nous arrivons aujourd'hui à un seuil critique en matière de capacités. Or, l'OTAN ne dispose pas en propre de capacités, à l'exception d'une flotte limitée d'AWACS, et elle repose sur les capacités des Nations. Le risque existe donc aujourd'hui que, si la spécialisation ne se réalise pas de manière organisée au sein de l'OTAN, elle se réalise par défaut de manière désorganisée au détriment des capacités de l'Alliance dans son ensemble. Je pense au contraire qu'il faut se montrer ambitieux et faire preuve de plus de réactivité. Je constate d'ailleurs que, de plus en plus, les pays sont amenés à partager certaines capacités, et que la spécialisation, notamment au niveau régional, progresse, par exemple avec les pays nordiques, dont certains ne sont d'ailleurs pas membres de l'OTAN.
La vrai question est donc de savoir jusqu'où les nations veulent aller en matière de partage de capacités, quelles sont celles qu'elles sont disposées à partager et à mutualiser et quelles sont celles, clés, que les pays veulent conserver de manière autonome. Cela n'empêche d'ailleurs pas leur mise en commun, comme l'illustre la réussite du commandement européen du transport aérien, notamment pour l'intervention de la France au Mali. C'est seulement de cette manière que l'on parviendra réellement à préserver nos capacités. Et, les périodes de réflexion telles que le Livre blanc en France ou la revue stratégique au Royaume-Uni et en Allemagne sont particulièrement propices à cette réflexion.
Pour ma part, je considère qu'il est plus facile de commencer par la mise en commun et le partage de capacités dans les domaines du soutien, à l'image du soutien logistique, voire peut-être du renseignement, où il existe de véritables potentialités en matière de standardisation et d'optimisation, plutôt que les capacités liées à l'action de vive force. La flotte d'AWACS de l'OTAN, qui est complémentaire des flottes d'AWACS nationales, des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France, illustre, à mes yeux tout l'intérêt d'une telle mutualisation. Je souhaite d'ailleurs que cette flotte soit modernisée. Cela pourrait servir de source d'inspiration en ce qui concerne les capacités de renseignement, de reconnaissance et de surveillance. Il faut donc encourager ce mouvement tout en étant conscient de ses limites, qui s'arrêtent à l'autonomie stratégique que veulent conserver les nations.
Enfin, s'agissant du Rafale, je peux témoigner des qualités exceptionnelles de cet avion de combat, qualités reconnues par nos alliées, dont l'efficacité a été démontrée lors des dernières interventions et qui présente l'avantage de la polyvalence, ce qui correspond à une nécessité d'aujourd'hui.
Nomination d'un rapporteur
La commission nomme :
M. Robert del Picchia rapporteur pour le projet de loi n° 328 (2006-2007), portant application du protocole additionnel à l'accord entre la France, la Communauté européenne de l'énergie atomique et l'Agence internationale de l'énergie atomique relatif à l'application de garanties en France (en remplacement de M. André Vantomme).