Mardi 18 décembre 2012
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Plan de restructuration des activités de Sanofi - Audition des coordonnateurs syndicaux
La commission procède à l'audition des coordonnateurs syndicaux de Sanofi sur le plan de restructuration des activités du groupe.
Mme Annie David, présidente. - Nous recevons cet après-midi, à la suite de la demande qu'ils avaient formulée auprès du Président du Sénat, les coordonnateurs syndicaux du groupe Sanofi. La direction de Sanofi a présenté au mois de juillet dernier un projet de réorganisation des activités du groupe en France qui touche la recherche, les vaccins et les fonctions support. Il se traduirait, d'ici 2015, par plus de 900 suppressions de postes selon la direction, et davantage encore selon les organisations syndicales.
Ce plan de réorganisation a suscité de vives réactions, puisque Sanofi dégage année après année des résultats très largement bénéficiaires qui devraient lui permettre de préserver l'emploi. Notre commission doit également porter un intérêt tout particulier à l'avenir de l'industrie pharmaceutique française ; les aspects du plan de réorganisation qui concernent la recherche sont, de ce point de vue, très importants. Je salue la présence parmi nous de notre collègue Christian Bourquin, sénateur des Pyrénées-Orientales, département directement concerné par la restructuration de Sanofi.
Je vais maintenant laisser la parole à nos invités, Christian Billebault pour la CFTC, Rémi Barthès pour la CGC, Thierry Bodin pour la CGT, Philippe Guérin-Petrement pour FO, Pascal Vially pour la CFDT et Laurence Millet pour Sud.
M. Philippe Guérin-Petrement, représentant de FO. - Nous vous remercions d'avoir accepté de nous recevoir afin de vous présenter le contexte dans lequel s'inscrit le plan proposé par Sanofi. Le 5 juillet dernier, la direction a annoncé aux membres du comité de groupe France un plan de restructuration touchant la recherche, le secteur des vaccins et les fonctions support sur l'ensemble des activités du groupe dans le pays. Il vient à la suite du plan « Transforming », débuté il y a trois ans à l'arrivée de Christopher Viehbacher à la direction générale du groupe. Celui-ci a conduit à la suppression de 3 500 à 4 000 postes, notamment 1 200 dans la recherche et 1 500 visiteurs médicaux, à la fermeture du site de Porcheville et à celle prochaine de ceux de Romainville et de Neuville-sur-Saône.
Ce nouveau plan entraînerait la disparition de 2 000 à 2 400 emplois supplémentaires alors que rien ne le justifie. Selon des propos tenus récemment par un des dirigeants de Sanofi, il n'y a que très peu de chances que les prochaines molécules qui pourraient être trouvées en France soient produites sur notre territoire.
Pourtant Sanofi est un leader de l'industrie pharmaceutique en France et en Europe. Le groupe compte 28 000 salariés et, avec son chiffre d'affaires de 33 milliards d'euros en 2011 et ses 8,8 milliards d'euros de bénéfices, il se situe au quatrième rang mondial. 50 % de ses bénéfices sont reversés aux actionnaires, soit l'équivalent de la masse salariale de l'entreprise en France. Les suppressions de postes ne sont donc pas justifiées. De plus, Sanofi perçoit 150 millions d'euros au titre du crédit impôt recherche (CIR) mais supprime les activités de recherche du site de Montpellier et envisage la fermeture de celui de Toulouse. Cela fragilise la recherche de Sanofi en France mais surtout, plus largement, la recherche scientifique dans notre pays.
Les fonctions support seront réparties dans deux « pôles d'excellence », à Lyon et à Paris. Une telle réorganisation implique des centaines, voire des milliers de mobilités pour les salariés concernés. Le plan de restructuration aura également des conséquences très importantes sur la production de vaccins. Loin d'être nécessaire, il est au contraire destructeur d'emplois. Cette stratégie purement boursière va poursuivre le démantèlement scientifique et industriel engagé depuis trois ans.
M. Rémi Barthès, représentant de la CGC. - A l'heure actuelle, le modèle préconisé par les cabinets de conseil à l'industrie pharmaceutique repose sur l'idée que la recherche engendre un coût énorme et que les entreprises ont intérêt à acheter des molécules plutôt qu'à les créer elles-mêmes, puis à les développer en collaboration avec des laboratoires publics. Seules les molécules susceptibles de déboucher sur un médicament devraient être développées en interne, les activités les moins stratégiques pouvant être sous-traitées.
Chez Sanofi, qui représente 30 % de l'industrie pharmaceutique française et 40 % de la recherche, le plan de la direction constitue la traduction de ce modèle : désengagement du site de Toulouse, dont l'avenir est incertain, et arrêt de l'activité recherche à Montpellier, pour en faire un « centre d'excellence de développement » dont les spécificités n'existent que sur le papier. Le directeur général a justifié ces réorganisations en expliquant que le tissu scientifique environnant ces deux villes est « insuffisant ». On ne peut être plus éloigné de la vérité...
Avec le plan engagé en 2009, 1 200 chercheurs ont déjà quitté le groupe. Un millier de plus est concerné par les restructurations à venir. Comment augmenter la productivité de la recherche si on lui retire ses moyens ? Les choix stratégiques contradictoires de la direction doivent également être pris en compte, comme la fermeture, à Toulouse, d'une ligne de recherche en antibiothérapie récemment créée, alors même qu'elle devient pleinement fonctionnelle, pour l'intégrer, à Lyon, à un centre de recherche anti-infectieux.
Le choix des projets de recherche ne se fait plus en fonction de leur qualité scientifique mais plutôt de leur rentabilité à court terme. C'est dans cette optique qu'un partenariat a été conclu avec Coca-Cola pour commercialiser des boissons dont les effets sont censés s'approcher de ceux d'un médicament. Quelle en est véritablement l'intérêt thérapeutique ? Pour Sanofi, nous ne sommes plus une industrie pharmaceutique mais une industrie de santé : la nuance est importante.
L'externalisation de la recherche, avec la baisse du budget mondial qui lui est consacré, est en cours. L'étape finale est le projet « Sunrise » : Sanofi a décidé de s'associer à des investisseurs en capital-risque pour financer des startups et décider, au bout de quelques années, de l'opportunité d'intégrer ses recherches à l'entreprise ou bien de s'en retirer. La première entreprise bénéficiaire de ce programme est à Boston et emploie quinze personnes, qui ne sont pas salariées de Sanofi. On peut toutefois imaginer, à terme, que Sanofi détache des employés dans ce cadre.
Mme Laurence Millet, représentante de Sud. - La direction a clairement annoncé sa volonté de se désengager du site de Toulouse et de supprimer les activités de recherche, soit 200 emplois, du site de Montpellier.
Le plan « Transforming 1 » par les réductions d'effectifs qu'il comportait, a abouti, avec le départ des salariés les plus anciens, à une perte d'expertise qui n'a pas été compensée car ils n'ont pas été remplacés par des jeunes diplômés. Nous avons subi d'importantes diminutions du budget, que ce soit pour la maintenance, la formation ou le développement. Malgré tout, le site s'est adapté aux changements de stratégie décidés par la direction et à ses nouveaux axes thérapeutiques, comme la disparition du service consacré au système nerveux central au profit de celui travaillant sur les maladies anti-infectieuses. Trois ans plus tard, les efforts des équipes portent leurs fruits.
Alors que nous devons proposer des candidats au développement, c'est-à-dire de futurs médicaments, la baisse de nos moyens et les changements récurrents d'axes thérapeutiques ne nous facilitent pas la tâche. Des domaines abandonnés il y a trois ans réapparaissent même à la faveur du nouveau plan de la direction ! Une certaine continuité est nécessaire dans la recherche afin d'obtenir des résultats.
Le site de Toulouse pourrait intégrer les nouveaux axes choisis par la direction : recherche et médecine translationnelle, cancérologie, infectiologie. Presque toutes les équipes travaillent déjà sur ces sujets. Nous avons les infrastructures, les équipements, les plateformes techniques, les compétences et surtout la volonté nécessaires. Dans ce cas, pourquoi donc engager la destruction irréversible de ce potentiel de recherche ?
Les salariés sont dans l'attente et, dès que l'avenir du site est abordé, nous font part de leur détresse. Sanofi doit préserver le site, les emplois et investir pour développer les nouveaux axes thérapeutiques.
M. Christian Billebaut, représentant de la CFTC. - Le plan de la direction touche également l'ensemble des fonctions support en France : ressources humaines, achats, finances. Il ne faut pas l'oublier.
Il ne s'agit pas du premier plan social de ces dernières années chez Sanofi. Depuis cinq ans, trois plans sociaux dans la visite médicale, un dans la chimie, un dans la recherche et le développement et, déjà, un dans les fonctions support ont été réalisés. Où cela va-t-il s'arrêter ?
Contrairement à ce que la direction affirme, les effectifs globaux en France ne sont pas restés stables : il y a bien eu 3 000 emplois supprimés. Le chiffre de 28 000 salariés présenté par Sanofi comprend également ceux de Merial et de Genzyme, entreprises rachetées l'an dernier. Le périmètre n'est donc pas le même.
Il faut s'interroger sur les effets de la disparition de la recherche en France. Si Sanofi continue d'investir dans les biotechnologies à l'étranger, une molécule découverte en Inde, au Japon ou aux Etats-Unis sera-t-elle rapatriée en France pour être développée à Montpellier et ensuite produite dans une usine sur notre territoire ? Nous ne le pensons pas.
Le plan actuel, qui poursuit un mouvement de désengagement industriel au nom duquel certains sites ont déjà été cédés, n'est sans doute qu'une étape avant de nouveaux plans de restructurations à moyen terme, d'ici 2015-2020.
Les fonctions support, actuellement réparties sur tout le territoire, doivent être regroupées dans deux centres de services partagés à Lyon et Paris. En conséquence, la rentabilité de ces deux sites pourra être très facilement comparée, entre eux mais surtout par rapport à des prestataires. La suite logique sera l'externalisation de ces fonctions, alors que l'expert que nous avons mandaté a montré que la France est le seul pays en Europe où elles ne l'ont pas déjà été.
M. Pascal Vially, représentant de la CFDT. - Dans le domaine des vaccins, 800 postes devraient être supprimés, compensés en théorie par la création, liée à l'atteinte des objectifs d'activité, de 300 nouveaux postes. Il n'y a toutefois aucune garantie sur ce point.
Cela concerne les fonctions support, la recherche ainsi que la production industrielle, en particulier sur le site de Marcy-l'Etoile. L'arrêt de la production de certains vaccins va y faire disparaître 567 postes.
La direction invoque un manque de compétitivité et une augmentation de 27 % du coût de revient des productions françaises entre 2007 et 2011. L'expert mandaté par le comité central d'entreprise a montré que la méthode de calcul de Sanofi était faussée : on se situe en réalité à 20 %. Ce chiffre est lié à l'augmentation des effectifs dans la même période, qui a permis une hausse du chiffre d'affaires. Il est plus pertinent d'analyser le ratio entre l'évolution du prix de revient des productions françaises et le chiffre d'affaires : son évolution n'est que de 3,6 % en quatre ans, soit moins de 1 % par an. L'écart par rapport au reste du monde est limité, car le coût de revient des productions qui y sont réalisées a augmenté de 18 % sur la même période.
En réalité, ce sont les choix stratégiques faits ces dix dernières années par la direction qui sont les véritables causes de ces arrêts de production. Entre les coupes dans les projets de recherche, qui ont déjà été effectuées et qui sont la raison pour laquelle la modernisation de la technique de production des vaccins contre la pneumonie et les oreillons n'a pas été effectuée. Le manque d'investissement dans l'outil de production est généralisé : l'infrastructure n'a pas été modernisée ces cinq dernières années, malgré les appels en ce sens de notre part à la direction. La recherche d'une plus grande rentabilité et la réduction des coûts ont été sa priorité, tout en augmentant la redistribution des bénéfices aux actionnaires.
L'affirmation selon laquelle il n'y a pas de délocalisations est fausse. Dès 2015, le vaccin acellulaire contre la coqueluche ne sera plus produit à Marcy-l'Etoile mais en Inde. Le transfert de la production du vaccin contre l'hépatite A vers ce même pays est en cours. Quant à la production des vaccins contre la rougeole et la rubéole, il est prévu qu'elle soit arrêtée dès 2013 et transférée temporairement dans une autre unité pour 2014. Sa pérennisation est conditionnée à la réalisation d'importants travaux de rénovation qui ne seraient entrepris que si la rentabilité est assurée. De plus, les postes de production sont supprimés dans le cadre du plan de restructuration. La direction n'a plus que deux solutions : soit l'arrêt complet de la production, soit son transfert en Inde. Elle entretient le flou, tout en renégociant le prix du vaccin contre la rougeole à la hausse, comme il n'y a que deux producteurs dans le monde, avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle se livre à un véritable chantage.
Il est bien sûr de la responsabilité de la direction d'une entreprise d'adapter celle-ci aux évolutions de son marché. Nous contestons toutefois le postulat sur lequel les restructurations de Sanofi sont conduites, c'est-à-dire l'augmentation de la rentabilité pour améliorer la rémunération des actionnaires. Face à nous, la direction est intraitable et déroule son rouleau compresseur.
La seule solution est de légiférer : Sanofi n'est pas la seule entreprise concernée par ces plans purement boursiers. Il faut améliorer la régulation et donner plus de pouvoir aux comités d'entreprise (CE). La loi doit empêcher non seulement les licenciements boursiers mais, plus largement, les suppressions d'emplois à visée boursière. L'utilisation du terme « licenciement » serait trop restrictive et permettrait à de nombreuses entreprises de contourner l'interdiction en recourant, comme Sanofi l'a fait, à des plans de départs dits « volontaires ». Il faudrait que le motif économique qui justifie la suppression des emplois soit analysé en fonction de l'utilisation faite par l'entreprise de ses bénéfices. Dès lors qu'une part de ceux-ci supérieure à un seuil prédéterminé est consacrée au versement de dividendes ou au rachat d'actions, l'entreprise se porte bien et ne doit donc pas pouvoir supprimer des emplois. De même, les entreprises en difficulté qui peuvent avoir besoin de licencier ne devraient pas, dans les années suivantes, pouvoir redistribuer une part importante de leurs bénéfices aux actionnaires.
Un droit d'opposition aux suppressions de postes devrait être reconnu au CE en amont, avant qu'elles n'aient été effectuées. La législation actuelle permet aux entreprises de réaliser des licenciements qui ne sont pas conformes à la loi : c'est seulement une fois qu'ils ont eu lieu qu'un recours peut être déposé.
Les financements publics dont bénéficient les entreprises, comme le CIR, devraient être conditionnés à des objectifs scientifiques et industriels ainsi qu'à des engagements en matière d'emploi et d'activité.
Enfin, il faudrait inciter les entreprises à investir proportionnellement aux bénéfices qu'elles engrangent, afin d'éviter que les outils de production se dégradent. Les privilèges exorbitants des dirigeants, comme les retraites-chapeau ou les parachutes dorés, devraient être réduits.
L'adoption d'une telle loi est urgente car il n'y a pas d'autre solution face à l'avalanche actuelle des plans sociaux et au risque fort d'explosion sociale qu'elle comporte.
M. Thierry Bodin, représentant de la CGT. - Nous sommes aujourd'hui réunis en intersyndicale et tenons tous les mêmes propos. Ces actions que nous menons en commun, notamment pour vous rencontrer, nous les effectuons à la demande des salariés, qui sont fortement mobilisés depuis le mois de juillet. Pourquoi les salariés sont-ils autant mobilisés et pourquoi tenons-nous tous le même discours ? En premier lieu parce que Sanofi est une entreprise qui touche à un domaine fondamental, celui de la santé publique. Elle a donc une responsabilité envers la Nation. Même si elle ne réalise que 8 % de son chiffre d'affaires en France, son activité est fortement dépendante de la qualité du système de sécurité sociale français. En deuxième lieu, il s'agit d'une industrie stratégique pour le pays. L'indépendance thérapeutique est un élément déterminant pour l'avenir de notre système de soins. Qu'il s'agisse des médicaments ou des vaccins, il est nécessaire de ne pas devenir dépendants des Etats-Unis dans le futur.
Historiquement, la France a été à l'origine d'avancées majeures, notamment dans le domaine des vaccins. Sanofi représente aujourd'hui 30 % à 40 % du potentiel pharmaceutique français, aussi bien en recherche qu'en production. La stratégie de désengagement qui est mise en place risque donc d'avoir des conséquences graves sur le devenir de l'industrie pharmaceutique dans notre pays. Les deux autres acteurs principaux après Sanofi sont Fabre et Servier, qui connaissent des difficultés importantes, chacun pour des raisons différentes.
Les pouvoirs publics doivent intervenir. Il est inacceptable qu'une entreprise supprime des pans entiers de son activité dans le seul but d'augmenter le montant des dividendes versés aux actionnaires. Cela devrait être illégal. L'industrie pharmaceutique est relativement préservée de la crise économique et son chiffre d'affaires continue d'augmenter, certes à un rythme un peu moins soutenu qu'auparavant. Par ailleurs, Sanofi est l'une des entreprises pharmaceutiques qui devrait être le moins exposée aux pertes de brevets de petites molécules dans les années à venir.
Sur la période 2012-2015, le taux de croissance de son bénéfice net par action devrait être supérieur à celui de son chiffre d'affaires. Comment une telle évolution est-elle possible ? Simplement du fait de la mise en place des plans de restructuration. La direction s'est engagée à augmenter chaque année le niveau des dividendes versés afin que le taux de distribution passe à 50 % du résultat net. Jusqu'à quel niveau va-t-on accepter que des entreprises suppriment des activités et des emplois simplement pour faire en sorte qu'une minorité continue à s'enrichir ? C'est une question de fond qui est posée. Je vous rappelle de façon subsidiaire que le premier actionnaire de Sanofi est L'Oréal : Madame Bettencourt a-t-elle réellement besoin d'argent ?
Les choix de la direction de Sanofi ne sont pas dictés par des difficultés économiques. Il s'agit bien de choix financiers. C'est l'illustration même de suppressions d'emplois à visée boursière. La direction ne parle pas de licenciements mais de plans de départs volontaires. Le résultat est pourtant exactement le même : des emplois sont définitivement détruits dans le simple but d'augmenter la rentabilité financière. La direction, qui diminue aujourd'hui son budget de recherche en France, porte seule la responsabilité d'une stratégie court-termiste qui conduit, malgré la qualité de nos chercheurs, à une diminution de la productivité de la recherche.
Le Parlement doit intervenir pleinement et nous sommes prêts à vous aider. Ayez le courage de proposer des textes de loi pour que des directions ne puissent plus supprimer des emplois simplement pour augmenter les dividendes. L'ensemble de la population vous en sera reconnaissant. Une première tentative a eu lieu en février dernier au Sénat. Elle a échoué de peu. Sans doute faut-il encore améliorer le texte et faire en sorte que tous les élus de la Nation puissent se retrouver sur un texte commun. Les salariés de Sanofi seront en tout cas très attentifs à ce que feront le Parlement et le Gouvernement.
Dès le départ, l'intersyndicale a été favorable à une réunion tripartite avec la direction du groupe et les pouvoirs publics. Mais il fallait dans le même temps geler le plan de restructuration afin que l'ensemble des problématiques puissent être mises sur la table. La direction refuse une telle réunion. Pourquoi ? Le ferait-elle si elle était sûre d'être dans son bon droit ? La direction n'est prête à engager le dialogue que sur l'accompagnement des plans de restructuration, pas sur leur bien-fondé. Pourtant, l'enjeu est essentiel : s'il n'y a plus de recherche sur le sol français, l'impact sur l'ensemble du potentiel industriel sera terrible.
Mme Annie David, présidente. - Merci pour cette présentation sans concessions. Vous avez clairement soulevé le fait que l'enjeu était double : il s'agit à la fois d'apporter une solution à la situation particulière de votre entreprise et d'avoir une vision globale pour être en mesure de légiférer.
Mme Colette Giudicelli. - Au regard des informations que vous nous avez apportées sur le niveau des dividendes versés et sur les suppressions d'emplois qui sont envisagées, il est en effet légitime de s'interroger sur l'opportunité d'une loi visant à interdire certaines pratiques. J'y serais sur le principe favorable même s'il me semble que sa faisabilité pose question.
Les entreprises mettent souvent en avant le fait que le coût du travail est plus élevé en France que chez nos voisins ou dans des pays plus lointains. Pensez-vous qu'il s'agit là d'un problème réel ou n'est-ce qu'un prétexte pour restructurer ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - La région de Montpellier est directement concernée par le plan de restructuration des activités de Sanofi. Il y a quelques années, j'ai assisté avec plusieurs élus à une réunion au cours de laquelle Monsieur Viehbacher nous a assurés qu'aucune baisse d'emploi n'aurait lieu dans la région et que la recherche serait recentrée sur le diabète tandis que l'activité de cancérologie serait déplacée à Lyon. Nous étions relativement confiants. Je me rends compte que les orientations qui nous ont été présentées ne sont plus d'actualité. En outre, il n'est pas envisagé de proposer une formation adaptée aux personnes qui vont subir la restructuration. Je pourrais être favorable à une loi.
La direction de Sanofi a une vision des choses très différente de celle que vous nous présentez. Un de ses représentants m'a en effet parlé de départs volontaires, liés notamment aux retraites anticipées, et m'a expliqué qu'il n'était en aucun cas question d'obliger à partir des salariés qui souhaiteraient rester dans l'entreprise. J'ai plutôt tendance à croire ce que vous me dîtes.
Au final, ce plan de restructuration est très dommageable pour l'emploi dans notre région. Il faut aider les salariés de cette entreprise.
M. Christian Bourquin. - Merci pour votre analyse. Disposez-vous d'éléments de bilan sur les plans de restructuration qui ont déjà été menés par Sanofi dans d'autres pays ? Le Canada a versé d'importantes subventions pour faire venir l'entreprise, ce qui n'a pas empêché cette dernière de quitter le pays quelques années plus tard.
Nous parlons d'une entreprise implantée au niveau mondial, cotée en bourse sur différentes places et qui pourrait à l'avenir implanter son siège ailleurs qu'en France. Quelle analyse portez-vous sur l'impact qu'aura le plan de restructuration sur la position de la France au sein du groupe Sanofi ?
Mme Laurence Cohen. - Le fait que l'ensemble des organisations syndicales parle d'une même voix doit être souligné. Cela montre qu'il y a une convergence, à la fois dans l'analyse de la situation et dans la définition des propositions. Cette cohérence ne peut qu'aider le législateur dans son travail.
Nous sommes face à une question de santé publique. Vous défendez un bien commun. Les élus ont une responsabilité particulière, d'autant plus que les besoins de santé ne sont pas satisfaits puisque près de 50 % de la population n'a pas accès à des thérapeutiques adaptées. Il faut donc accentuer les travaux de recherche et de développement. Or il est très inquiétant que la recherche du taux de profit maximum se fasse, non seulement au prix d'une dégradation des conditions de travail et de licenciements déguisés, mais également au prix de l'abandon progressif de la recherche. Si l'on veut être en mesure de répondre aux besoins de santé et que la France soit indépendante dans ce domaine, il faut développer la recherche.
Il y a quelques mois, le groupe CRC a présenté une proposition de loi qui a été rejetée à une très faible majorité. Les éléments que vous nous apportez aujourd'hui, notamment pour bien distinguer les suppressions d'emplois des seuls licenciements à visée boursière, doivent nous permettre d'enrichir un futur texte. Il faut également que la loi donne des pouvoirs et des droits nouveaux aux salariés. Ces derniers ont une expertise qu'ils doivent pouvoir communiquer dans des lieux de partage et de prise de décision. Enfin, il est inadmissible qu'une entreprise touche autant de fonds publics sans aucune contrepartie.
Mme Catherine Génisson. - Il faut distinguer deux éléments : la situation particulière de Sanofi ; la question plus large d'une modification du cadre législatif applicable aux licenciements.
Je m'interroge sur la stratégie développée par Sanofi en matière de recherche. Il y a un continuum nécessaire entre recherche et production. Or Sanofi abandonne le volet recherche, en particulier en France, au profit de structures extérieures, notamment des startups. Une stratégie identique est-elle développée au niveau mondial ?
J'ai entendu que les laboratoires pharmaceutiques, en s'orientant principalement vers la recherche chimique au détriment des biotechnologies, commettaient une erreur stratégique. Quelle est votre position sur ce point ?
M. Jacky Le Menn. - L'exemple de Sanofi illustre une situation de mutation du coeur de métier que l'on retrouve dans nombre d'entreprises. Pour ce qui est de Sanofi, on passe de la recherche pharmaceutique vers de la recherche en santé de façon plus générale, cette dernière étant jugée plus intéressante en termes de retour sur investissement. La question que vous nous posez consiste au final à savoir comment bloquer des orientations qui seraient contraires à l'intérêt du pays.
Avant toute autre initiative, je serais favorable à l'adoption d'un texte de loi visant à donner aux représentants des salariés un poids particulier dans la définition de la stratégie de leur entreprise. A partir du moment où des sommes conséquentes d'argent public sont investies dans une entreprise et où les enjeux en termes d'intérêt général sont importants, il serait légitime que la loi permette de bloquer certaines inflexions unilatérales défavorables. Quand on parle d'empêcher les licenciements boursiers, on n'avance pas réellement sur la façon dont les salariés peuvent contribuer à orienter la stratégie de leur entreprise.
Mme Annie David, présidente. - La direction explique que le plan de restructuration n'a pas d'impact sur les effectifs globaux en raison du rachat de deux entreprises. Celles-ci exercent-elles les mêmes métiers ? S'agissait-il d'étouffer la concurrence en les rachetant ?
Les 800 suppressions de postes annoncées dans le secteur des vaccins devraient être compensées par 300 créations. Pour le moment, rien ne semble définitif. Ces 300 postes relèvent-ils dans le même coeur de métier ? Ce mouvement participe-t-il du changement de stratégie engagé par la direction ?
Vous nous avez parlé de partenariats avec des laboratoires publics. Qu'en est-il en pratique ?
M. Philippe Guérin-Petrement. - Concernant la formation, la direction n'envisage pas de la mettre en oeuvre directement à l'intérieur de l'entreprise. Elle sera sans doute prévue pour les salariés qui voudront quitter l'entreprise ; il n'y aura donc aucun impact positif sur l'entreprise elle-même.
Pour ce qui est de l'introduction en bourse de l'entreprise à l'étranger, c'est déjà le cas.
M. Christian Bourquin. - Je m'interroge avant tout sur la question de la volatilité.
M. Philippe Guérin-Petrement. - Sans doute y a-t-il une pression particulière liée au niveau du cours de bourse.
M. Christian Billebault. - Plus que la question du placement en bourse se pose celle de la localisation du siège.
M. Philippe Guérin-Petrement. - Monsieur Viehbacher n'a jamais caché vouloir faire vivre l'entreprise avant tout aux Etats-Unis.
La direction parle de départs volontaires. En pratique, les postes seront supprimés mais les salariés ne seront pas obligés de partir. Une fois la restructuration achevée, il est fort probable que les personnes concernées soient obligées de choisir entre le licenciement pur et simple et un départ volontaire que la direction aura su rendre financièrement plus intéressant. La direction pourra alors souligner qu'elle n'aura effectué aucun licenciement. Des pressions énormes seront exercées pour que les salariés acceptent des mobilités ou pour qu'ils quittent l'entreprise.
La direction avance le chiffre de 900 postes concernés par la restructuration. Depuis le début, nous considérons que cela est largement sous-estimé. Nos experts nous ont confirmé, en prenant en compte tout un ensemble de critères, que 2 383 postes seraient concernés.
Les deux entreprises rachetées par Sanofi n'exercent pas tout à fait la même activité. Leur rachat n'est pas neutre mais conduit à un nivellement des effectifs. Depuis un peu plus de trois ans, Sanofi a procédé à soixante-quinze partenariats et acquisitions dont très peu ont un impact positif sur le territoire français.
Mme Laurence Millet. - Sanofi est quasiment la seule entreprise du Cac 40 qui, depuis plus de vingt ans, augmente de manière continue le versement des dividendes aux actionnaires. La direction s'est engagée à ce que le taux de reversement atteigne 50 % des bénéfices. Même si le plan d'économies que nous subissons actuellement, qui porte sur 2 milliards d'euros, n'est pas réalisé, ainsi que l'ont démontré plusieurs experts, l'augmentation du dividende se poursuivrait. C'est inacceptable.
Les partenariats avec la recherche académique ont toujours existé. Le risque actuel tient au fait que la politique de la direction de Sanofi va tarir la source qui alimente la recherche appliquée industrielle, à savoir la recherche fondamentale. A moyen terme, la recherche va s'épuiser, mais à court terme les risques qui y sont liés pour l'entreprise vont diminuer.
Les petites structures qui se lancent dans la recherche en matière de biotechnologies mènent peu de projets en parallèle. Elles vont donc vendre aux grandes entreprises pharmaceutiques, qui cherchent toutes la molécule « miracle », les résultats de leurs travaux. Toutefois, il est très difficile pour elles de se renouveler : la frénésie d'achats des grandes firmes va ici aussi tarir la source.
La chimie et les biotechnologies doivent faire partie de la stratégie de Sanofi ; il ne faut pas négliger l'un au profit de l'autre. Grâce aux années d'expérience que nous avons sur la chimie, les risques sont connus et une véritable expertise a été acquise. Au contraire, très peu de recul est disponible pour les nouvelles technologies liées à la production d'anticorps : qui peut dire ce qu'il en sera dans dix ans ? N'est-il pas dangereux d'investir uniquement dans ce domaine ? Il faut travailler sur ces deux secteurs en parallèle. Ces deux types de molécules n'agissent pas de la même façon, et certaines choses ne pourront jamais être faites avec des anticorps. La chimie est donc nécessaire et il ne faut pas l'opposer aux biotechnologies. Le retard supposé de Sanofi dans ce domaine est la conséquence directe des choix stratégiques des directions qui se sont succédé ces dernières années. Il faut aujourd'hui assumer les décisions prises, comme la fermeture du site de Labège, près de Toulouse, qui était spécialisé dans les biothérapeutiques.
La stratégie de diversification du groupe, qui cherche à devenir une entreprise de santé, est acceptée, parfois difficilement, par les salariés. Dans le passé, la gamme de produits en vente libre, comme du dentifrice, était très développée mais le chiffre d'affaires ainsi récolté était réinvesti dans le médicament. Aujourd'hui, c'est la logique inverse qui prévaut : se retirer du médicament, activité risquée, pour se concentrer sur ce qui est le plus rentable et augmenter l'argent reversé aux actionnaires.
M. Rémi Barthès. - Sanofi avait beaucoup de retard en matière de biotechnologies ; il était donc nécessaire de faire un effort en matière d'investissement dans ce domaine, tout en restant prudent. Le rachat de Genzyme pour 15 milliards d'euros a conduit à l'abandon de la chimie. A Montpellier, l'investissement très lourd qu'a constitué la réalisation d'un pilote chimie, pour 107 millions d'euros, n'a finalement servi à rien puisqu'après sa validation, ce local a été mis sous cloche.
Concernant la cancérologie, l'idée d'origine de M. Viehbacher était de transférer toutes ces activités à Boston. Ce sont les organisations syndicales qui ont attiré l'attention des pouvoirs publics sur ce fait, alors qu'à la même époque le Président de la République lançait le plan cancer. Au final, Vitry a conservé un embryon de recherche en cancérologie mais toutes les décisions sont prises aux Etats-Unis.
Par ailleurs, il n'y a jamais eu de recherche sur le diabète à Montpellier. Depuis 2009, l'étude des maladies liées au vieillissement ainsi qu'une unité exploratoire sur les molécules chimiques de petite taille y étaient implantées. L'arrêt de ces activités est en cours, et on peut s'interroger sur la viabilité de ce site, conçu pour 1 800 personnes mais qui n'en accueillera bientôt plus que 700.
Désormais, toutes les nominations à des postes de recherche ou de direction au sein du groupe vont à des anglo-saxons qui viennent de sociétés américaines, jusqu'à un cadre de chez Coca-Cola. On assiste selon moi à un siphonage de l'industrie pharmaceutique par les Etats-Unis.
Les financements publics dont bénéficie Sanofi sont multiples et ne proviennent pas que de la sécurité sociale. Les aides à l'installation versées par les collectivités territoriales et le soutien qu'elles ont apporté à l'entreprise ne sont pas négligeables. Sanofi est une émanation d'Elf tandis qu'Aventis est l'héritière de Rhône-Poulenc. Les fonds publics n'ont donc jamais été absents de cette société.
M. Pascal Vially. - L'évolution des effectifs dans l'activité vaccins est liée aux choix faits dans la production, l'arrêt ou au contraire le développement de certains produits. Le reclassement des salariés concernés ne sera toutefois pas systématique car les métiers peuvent être très différents. C'est le cas par exemple avec l'atelier de répartition des seringues, qui va être arrêté et pour lequel, malgré les demandes répétées des organisations syndicales, aucune formation n'a été offerte à ceux qui y travaillent durant leur carrière pour leur permettre d'obtenir un poste dans un autre service. Leur employabilité ailleurs dans l'entreprise est donc limitée.
Le coût du travail est un des éléments de la compétitivité mais ce n'est pas le seul : il représente environ un tiers du coût de revient des productions, qui constitue lui-même un tiers du chiffre d'affaires. Le coût du travail pèse donc un peu moins du dixième du chiffre d'affaires. Sa portée n'est pas négligeable mais il n'est pas le déterminant majeur de la compétitivité. Celle-ci comporte d'autres aspects qui sont, à mes yeux, bien plus importants : comme l'innovation ou la qualité de la production. L'usine de Sanofi en Inde a pendant plusieurs années été dans l'impossibilité de produire quoi que ce soit et les surcoûts qui en résultaient ont pesé sur la production française.
La problématique de la pénétration des nouveaux marchés concerne tout particulièrement les vaccins et elle est, dans ce domaine, spécifique. L'exportation se fait par des marchés publics, sous la supervision de l'OMS ou d'autres organisations internationales. La question du coût du travail est donc secondaire, comme le montre l'augmentation du prix du vaccin contre la rougeole que la direction cherche à négocier.
Il faut répondre au risque de délocalisation du siège en cas de vote d'une loi et d'application d'une régulation plus stricte par une action au niveau européen et non au niveau uniquement national. C'est la raison pour laquelle le comité d'entreprise européen de Sanofi se rendra au Parlement européen le 15 janvier prochain.
Les pistes que nous vous fournissons concernant un prochain texte de loi prennent en compte ce problème et ne peuvent être contournées par la délocalisation d'un siège. Même si celle-ci a lieu, cela n'aura aucune conséquence sur les critères économiques en matière de licenciement tels que nous les proposons. Au contraire, nos suggestions font obstacle à une telle manoeuvre car la délocalisation signifierait que des emplois seraient supprimés alors que l'entreprise réalise des bénéfices et verse des dividendes.
Certains nous expliquent qu'il n'est pas possible de définir le licenciement boursier. Nous ne sommes pas d'accord : si la loi est rédigée correctement, elle ne sera pas contournée. Je dois avouer qu'il est difficile de comprendre les obstacles auxquels nous devons faire face sur ce sujet de la part des appareils politiques et syndicaux. Cette loi est indispensable et possible. Les structures nationales sont en décalage avec cette réalité. La légitimité que nous confère l'adhésion de la population et la représentation des militants et des adhérents doit nous inciter à agir vigoureusement pour qu'une telle loi voie le jour dans les plus brefs délais.
M. Thierry Bodin. - Quel que soit l'accompagnement social proposé aux salariés, la problématique de fond est la suppression d'activités. Or une fois qu'une activité de recherche est supprimée, il n'est plus possible de revenir en arrière. Il faut donc mener une bataille fondamentale pour le devenir des salariés et des jeunes. Nos propositions relèvent de l'intérêt général.
Il y a eu beaucoup de suppressions d'emplois en Europe, en particulier dans les activités de recherche.
Concernant les biotechnologies, les organisations syndicales ont toujours été favorables à leur développement à condition de travailler les deux sujets, recherche clinique et recherche en biotechnologie, de façon parallèle. Les entreprises pharmaceutiques ont aujourd'hui tendance à privilégier les biotechnologies, non seulement parce que les profits potentiels sont plus importants, mais également parce qu'elles espèrent que les produits développés ne seront pas généricables. Un récent rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) montre que si les traitements à base de biotechnologies demeurent comme aujourd'hui inabordables, leur poids ne sera plus supportable par la collectivité. Continuer à développer de façon équilibrée la recherche clinique et celle en biotechnologies relève donc d'un intérêt public. La France est un des pays les plus productifs en termes de recherche.
Sanofi estime à 1,8 milliard d'euros le coût de développement des médicaments. Pour nos experts, le coût réel doit être divisé par huit. En effet, les entreprises pharmaceutiques intègrent dans ce coût ce qu'elles estiment comme un manque à gagner et qu'elles calculent en effectuant la différence entre le produit de l'investissement dans la recherche et le profit qui aurait pu être réalisé si l'argent avait été placé sur les marchés financiers. Par ailleurs, les entreprises pharmaceutiques ne soustraient jamais du coût de production les aides publiques dont elles bénéficient, notamment le crédit d'impôt recherche.
Par ailleurs, il faudra un jour se poser la question de la transparence des prix des médicaments.
Concernant les startups, celles-ci ne peuvent vivre qu'à partir du moment où elles travaillent pour des acteurs importants dans leur domaine d'activité. Seules, elles ne peuvent pas survivre.
Je vous suggère de poser plusieurs questions à Monsieur Lajoux. En premier lieu, pourquoi la direction refuse-t-elle d'effectuer le bilan des plans de restructuration engagés ces trois dernières années ? Deuxièmement, pourquoi refuse-t-elle de participer à une réunion tripartite ? La direction dit qu'elle souhaite dialoguer seule avec les organisations syndicales sur la restructuration. Mais nous ne sommes pas là pour simplement accompagner un plan de restructuration qui compromet l'avenir de la filière dans son ensemble. Il est fondamental que soit discuté le principe même de ce plan.
Nous comptons sur vous pour élaborer une loi. Si le Parlement laisse entendre qu'une loi va être votée, cela enverra un signal à la justice dans le cadre des procédures contentieuses qui sont en cours, qu'il s'agisse de notre entreprise ou d'autres.
M. Christian Bourquin. - Je suis sceptique. Il faut laisser les juges où ils sont.
M. Thierry Bodin. - Beaucoup de juges nous ont pourtant dit qu'il leur était difficile d'aller plus loin dans notre sens sans une évolution de la loi.
M. Christian Billebault. - Depuis le mois de juillet, la direction nous reproche de refuser le dialogue social. Mais elle n'accepte de dialoguer qu'avec le comité d'entreprise et le comité central d'entreprise. Nous ne sommes pas là pour simplement valider le plan social. L'intersyndicale est opposée à ces pratiques de la direction.
M. Philippe Guérin-Pétrement. - En pratique, il peut y avoir des départs volontaires pour les personnes qui partiront en cessation anticipée d'activité.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Le 9 novembre dernier, j'ai posé une question relative au site de Montpellier à Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Il m'a répondu avoir reçu messieurs Lajoux et Viehbacher. Ces derniers lui ont expliqué que, malgré les 5 milliards d'euros de profits réalisés par l'entreprise l'année dernière, il était nécessaire de licencier entre 2 500 et 2 800 salariés en France. La vive réaction du Gouvernement à cette annonce a conduit à la tenue d'une réunion à l'Elysée en septembre. Sanofi a alors accepté de diminuer le nombre de suppressions de postes à 1 390 puis à un niveau encore inférieur. Au final, la direction de Sanofi a accepté le principe de n'effectuer aucun licenciement et la suppression nette de 914 postes.
M. Philippe Guérin-Pétrement. - Cela correspond à ce que je vous expliquais. Les destructions d'emplois sont habillées de façon à ce qu'il n'y ait en apparence aucun licenciement.
M. Rémi Barthès. - La direction entretient également un flou sur le nombre de départs en cessation anticipée d'activité. Pour définir le nombre de salariés potentiellement concernés, elle ne se fonde en effet que sur leur âge et non sur leur nombre d'annuités. La direction parle également de 300 à 400 départs volontaires mais, nous vous l'avons dit, il s'agit de volontaires désignés d'office dans la mesure où leur poste est supprimé. En outre, dans le cadre d'un départ volontaire, les salariés signent une convention de gré à gré qui n'est pas encadrée par le code du travail mais par le code civil. Il faut être très vigilant : pour contourner la complexité du code du travail, les entreprises utilisent des conventions qui se réfèrent au code civil.
Mme Colette Giudicelli. - Si vous aviez l'occasion de parler à Christian Lajoux, que lui diriez-vous en priorité ?
M. Philippe Guérin-Pétrement. - Nous lui demanderions le retrait du plan et la tenue d'une réunion tripartite.
M. Rémi Barthès. - L'intérêt d'une réunion tripartite est d'éviter le risque de double langage de la part de la direction.
M. Pascal Vially. - Nous lui rappellerions également qu'il existe un outil pour gérer les problèmes d'emploi qui n'a pourtant jamais été utilisé. Il s'agit de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Les organisations syndicales qui ont accepté de signer l'accord de GPEC se sentent aujourd'hui lésées.
Mme Annie David, présidente. - La GPEC a normalement une fonction prospective, notamment en termes de formation et de stratégie de l'entreprise.
M. Philippe Guérin-Pétrement. - Les plans de formation à visée externe qui ont été mis en place couvrent une période de trois à quatre années.
M. René-Paul Savary. - Ce type de plan doit être envisagé à l'échelle d'un territoire dans son ensemble.
Mme Laurence Millet. - Le groupe Sanofi définit des plans sur des horizons très lointains. La restructuration qui est envisagée aujourd'hui était déjà prévue de longue date.
M. Thierry Bodin. - Le maintien des capacités de production industrielle constitue le prochain enjeu.
M. Philippe Guérin-Pétrement. - Seule l'activité de production a été relativement épargnée par les plans de restructuration pour le moment.
M. Christian Billebault. - Pour donner une vision de la stratégie du groupe au niveau européen, je rappellerai qu'un site de production situé en Slovaquie vient d'être revendu à une banque d'investissement. C'est désormais la sous-traitance qui est privilégiée alors même que les salariés de ce site sont loin de coûter cher à l'entreprise.
M. Pascal Vially. - Les indemnités qui ont été versées aux 800 salariés du site slovaque correspondraient au départ de quatre salariés français.
Plan de restructuration des activités de Sanofi - Audition de M. Christian Lajoux, président de Sanofi-Aventis France
La commission procède à l'audition de M. Christian Lajoux, président de Sanofi-Aventis France, sur le plan de restructuration des activités du groupe.
Mme Annie David, présidente. - Monsieur Christian Lajoux, merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes accompagné de plusieurs collaborateurs, parmi lesquels M. François de Font-Réaulx, vice-président de Sanofi France chargé des ressources humaines, et M. Philippe Tcheng, vice-président de Sanofi France chargé des affaires publiques et gouvernementales. Nous avons reçu à l'instant les organisations syndicales. Il nous a semblé nécessaire, en effet, de faire le point sur la situation de Sanofi et sur la mise en oeuvre de son plan de réorganisation, compte tenu de la place importante de ce groupe dans notre économie, du rôle stratégique de l'industrie pharmaceutique pour la France et de la discordance frappante entre d'excellents résultats financiers et l'annonce de suppressions d'emplois.
M. Christian Lajoux, président de Sanofi-Aventis France. - Merci de me donner ainsi l'occasion de vous éclairer sur certains points, et en particulier sur la discordance que vous relevez entre nos résultats financiers et notre plan de réorganisation, mais aussi sur les enjeux d'une grande entreprise comme la nôtre sur le territoire français.
Sanofi-Aventis est un groupe international de santé présent dans près de cent pays : santé humaine, avec les vaccins, le traitement pour le diabète, contre le cancer, les maladies cardio-vasculaires, les maladies rares, mais aussi santé animale. Notre ancrage en France est fort, et constitue un maillage unique sur le territoire. Nous employons 28 000 personnes sur le territoire français, ce qui constitue un quart de notre effectif global, et la moitié de notre effectif de recherche et développement. Nous avons quarante-neuf sites industriels et de recherche répartis entre vingt-cinq départements et quinze régions, vingt-six sites de production chimique, biotechnologique et pharmaceutique - peu d'entreprises ont autant de sites de production et de recherche en France ! Quatorze de nos sites - dont notre siège social, qui emploie 9 000 personnes - sont situés en région parisienne, et nous sommes le premier employeur privé du Grand Lyon, avec 7 000 collaborateurs. L'activité de nos 28 000 collaborateurs en France est orientée à 80 % vers l'exportation ou du moins vers l'international : la France est la base internationale de Sanofi, alors même que le chiffre d'affaires de nos médicaments remboursés par la sécurité sociale en France est en forte régression depuis 2006 et ne représente plus que 7 % du chiffre d'affaires total du groupe.
Sanofi est la seule entreprise de cette taille en France dans l'univers de la santé et, comme c'est le cas dans d'autres secteurs technologiques, nous sommes confrontés à des changements considérables. C'est pourquoi Sanofi a présenté dès juillet 2012 ce plan d'adaptation de ses activités en France, avec comme horizon une mise en oeuvre pour 2015 : nous avons donc trois ans devant nous.
Les enjeux sont multiples. Nous devons en particulier découvrir de nouveaux médicaments pour faire face à la nouvelle concurrence dans le secteur des vaccins. Je dois en effet vous dire que depuis dix ans nous n'avons pas trouvé de médicament significatif. Et la concurrence des pays émergents dans le domaine des vaccins nous impose des efforts de compétitivité si nous voulons continuer à fabriquer nos vaccins en France. Le contexte scientifique est en évolution rapide et constante. La complexité de la recherche fondamentale et des nouvelles technologies telles que les biotechnologies est un défi qu'il nous faut relever afin d'assurer le progrès thérapeutique pour les patients : tous les observateurs du secteur s'accordent à dire qu'il faut en finir avec la pratique des « me too » et qu'il faut mettre à disposition des médicaments d'innovation et de rupture.
Face à ce bouleversement de notre environnement, nous avons plusieurs niveaux de responsabilité : anticiper le changement pour prendre les décisions d'investissement permettant de développer les innovations thérapeutiques et de maintenir les activités industrielles, et accompagner ces adaptations dans les meilleures conditions pour chacun de nos collaborateurs - c'est notre responsabilité sociale - tout en gardant à l'esprit l'importance de ce que nous faisons pour l'économie et l'indépendance stratégique du pays - c'est notre responsabilité de citoyen. La performance, et les résultats, de l'entreprise, me permettent d'exercer pleinement ces responsabilités. Pour avoir travaillé dans le groupe depuis plus de vingt ans, aux côtés de Jean-François Dehecq puis de Chris Viehbacher, je puis dire que l'adaptation que nous projetons est dans la continuité de toutes celles qui ont été mises en oeuvre depuis plusieurs décennies : elle se fera dans le respect de nos collaborateurs, dans le dialogue et la concertation, et avec le souci d'assurer la pérennité de l'emploi.
Au cours des dernières années, l'entreprise pharmaceutique a effectué plusieurs changements stratégiques, pour faire face à la perte de nombreux brevets. Sanofi, en particulier, a perdu six de ses sept brevets les plus lucratifs, ce qui l'a privée de 30 % de son chiffre d'affaires. Malgré ce contexte difficile, nous avons toujours privilégié notre ancrage français, en protégeant notamment nos vingt-six sites industriels : nous avons constamment rapatrié des volumes de production et d'activité depuis nos sites étrangers, notamment depuis les Etats-Unis, l'Italie, l'Espagne... Sanofi pilote l'ensemble de ses activités mondiales depuis la France, et les sièges sociaux de ses activités « vaccin » et « santé animale » ont été rapatriés à Lyon en 2011 - ils étaient auparavant localisés aux Etats-Unis. Je réaffirme que notre projet ne comporte ni délocalisation, ni réduction du nombre de sites industriels. D'ailleurs, plusieurs chantiers importants témoignent de notre volonté de rester implantés en France : nous construisons deux sites tertiaires, l'un à Lyon pour 1 600 personnes et l'autre à Gentilly, de 50 000 mètres carrés, dans lequel nous accueillerons plus de 3 000 personnes et où nous rassemblerons une grande partie de nos activités parisiennes - nous avons posé la première pierre de ce nouveau site il y a quinze jours, en présence des élus locaux. Les investissements industriels du groupe en France se sont élevés, sur les cinq dernières années, à plus de 3,5 milliards d'euros, soit la moitié du total de nos investissements, alors que nous n'avons que le quart de nos collaborateurs en France. Ils sont destinés à la reconversion de sites de production chimique vers des activités de bio-production. Ainsi, nous avons investi 350 millions d'euros à Neuville-sur-Saône afin de créer le site de production mondiale du vaccin contre la dengue ; et nous avons reconfiguré un site classé Seveso à Vitry-sur-Seine pour qu'il devienne une plateforme de bio-production ouverte aux partenariats avec les entreprises françaises et européennes.
Quels sont nos objectifs ? En recherche et développement, le problème principal est qu'aucun médicament significatif n'a été mis au point par Sanofi au cours des dix dernières années. Or, pendant cette période, nous avons investi environ 2 milliards d'euros chaque année sur le territoire français, et 4,8 milliards à l'étranger. Cela fait 20 milliards d'euros en dix ans pour la France, presque 50 milliards à l'étranger, et nous n'avons pas été en mesure de mettre au point une molécule nouvelle significative sur le marché ! Il n'est pas question d'imputer la responsabilité de cet échec à nos collaborateurs. Nos chercheurs ont autant de talent que ceux des autres entreprises ou dans les centres publics de recherche. Il s'agit de repenser notre organisation, comme le font d'autres grands groupes internationaux qui sont confrontés à des difficultés comparables aux nôtres. Le succès de la recherche mondiale de Sanofi passe donc par son changement de modèle et par la simplification de son organisation en France : c'est ce que nous avons fait depuis 2010-2011 dans les autres pays. La recherche amont doit être plus ouverte et coopérative - c'est ce qu'on appelle l'open-innovation - et nos sites doivent être beaucoup plus spécialisés. Actuellement, il y a beaucoup de redondances, ce qui est un héritage de notre histoire faite de fusions et d'acquisitions - Sanofi regroupe l'essentiel de la pharmacie française des années 1980 - mais les rationalisations ne se sont sans doute pas faites aussi vite que ne l'exigeait la compétition internationale. Nos neuf sites de recherche français travaillent souvent sur les mêmes choses. Leur nombre même est considérable : il n'y a guère d'entreprise qui en possède autant. Nous devons donc spécialiser notre recherche d'ici à 2015, ce qui entraînera un recentrage de nos activités sur les sites de la région parisienne, sur ceux de la région lyonnaise et à Strasbourg.
Certaines activités des sites de Toulouse et de Montpellier seront regroupées à Vitry-sur-Seine, à Chilly-Mazarin et à Lyon. Le site de Montpellier évoluera pour devenir un centre stratégique mondial de développement et de conduite des essais cliniques des nouvelles molécules, à la suite de la fermeture de deux sites aux Etats-Unis (Bridgewater et Green Valley). L'avenir du site de Toulouse, en revanche, est plus problématique, et l'on comprend que cela suscite des inquiétudes parmi nos collaborateurs. Mais il n'a pas vocation à disparaître : seule une partie de ses activités fait l'objet du plan que nous présentons. Pour explorer l'ensemble des options, nous avons proposé la constitution d'un groupe de travail réunissant des représentants de Sanofi, des représentants de salariés et des acteurs publics et nationaux. Les propositions seront faites en marge du projet actuel, mais je comprends votre désir de clarification sur ce point.
En matière de vaccins, la problématique est différente : il s'agit de la confrontation avec les marchés émergents. Les vaccins produits en France sont à 97 % destinés à l'étranger. Les niveaux de prix pratiqués sur les marchés émergents, où se trouve le potentiel de croissance de nos ventes de vaccins, sont très bas, et les marges sont donc sensiblement dégradées : certains produits vendus sur ces marchés par nos concurrents, européens ou non, le sont à des prix proches de nos coûts de revient industriels. Notre plan de restructuration vise à répondre à cette problématique en maintenant le nombre de sites sur le territoire français, et en développant un nouveau site dans le domaine du vaccin.
Quant aux fonctions support (ressources humaines, paie, comptabilité, achats...), elles ne seront ni délocalisées, ni externalisées, mais nous les regrouperons progressivement autour de deux pôles géographiques, à Paris et à Lyon.
Nous mettrons en oeuvre ces adaptations en faisant exclusivement appel au volontariat. Nos mesures s'inscrivent dans la continuité de ce que le groupe a toujours proposé à ses collaborateurs : une cessation anticipée d'activité sera proposée à 1 300 collaborateurs - alors que le nombre de postes que nous supprimons ne dépasse pas 900 -, un dispositif de mobilité externe volontaire accompagnera des départs dont le nombre est estimé à 300 ou 400, et des mobilités sur un même secteur, ou en dehors d'un secteur, seront proposées, toujours sur la base du volontariat, y compris et surtout pour les quelque 360 mobilités hors secteur prévues. Nous savons qu'en général 90 % de la population adhère à ce type de mesures et, à l'heure actuelle, une partie de nos collaborateurs souhaite que les négociations aboutissent pour pouvoir en bénéficier. Le solde net de suppressions de postes en France en 2015 serait de 914. Cela correspond à 1 % environ de l'activité de notre entreprise, c'est un niveau d'attrition naturel que peuvent connaître toutes les grandes entreprises.
J'y insiste : nous ne ferons appel qu'au volontariat. Une personne qui ne sera pas volontaire pour changer de région se verra proposer des alternatives professionnelles, par exemple une reconversion et une formation lui permettant de rester sur son bassin d'emploi. Nous mettrons en oeuvre la restructuration de manière progressive, dans la concertation avec les partenaires sociaux, et elle fera l'objet d'un suivi par des comités paritaires : notre expérience nous enseigne d'ailleurs que maints problèmes trouvent leur solution dans ce type d'instance.
Bref, Sanofi est et restera fortement implantée en France, où nous continuons à investir pour consolider notre outil industriel et notre place de premier investisseur privé dans la recherche, toutes activités confondues - y compris l'aéronautique, l'aérospatiale, le nucléaire... Sanofi sera un partenaire actif dans la mise en oeuvre du pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi : nous sommes un grand exportateur, notre participation au solde positif de la balance commerciale s'élevant à 7 milliards d'euros. Nous continuerons à assumer notre rôle stratégique, qui contribue à rendre notre pays indépendant en matière de politique de santé, notamment dans la fabrication des vaccins - pour l'homme comme pour les animaux -, dans le développement des biotechnologies, ou dans le domaine des maladies orphelines - grâce à l'acquisition de Genzyme, nous y sommes désormais un acteur majeur. Notre plan de restructuration a suscité beaucoup de commentaires et d'émotions, sans doute en raison du rôle que nous jouons dans le pays, où nous avons de nombreux sites. C'est pourquoi nous pensons qu'il est important de poursuivre le dialogue social, d'abord pour répondre aux interrogations parfaitement légitimes des représentants du personnel, mais aussi pour répondre aux attentes de nos collaborateurs, qui ont besoin de visibilité, et qui veulent savoir comment ces adaptations seront conduites. Notre attitude d'ouverture nous a donc conduits à proposer une rencontre à l'intersyndicale, en marge des réunions qui se tiennent avec les institutions représentatives du personnel de chaque entité, pour essayer de réfléchir ensemble aux modalités du processus d'adaptation que nous pourrions modifier, corriger, supprimer...
Madame la Présidente, vous avez évoqué une discordance entre les résultats de notre entreprise et notre intention de la restructurer. Mais les résultats que nous obtenons aujourd'hui sont le produit du cycle pharmaceutique d'hier. Nous mettons en place une réorganisation pour continuer à croître et à avoir de bons résultats. Les dividendes distribués aux actionnaires l'an dernier se sont élevés à 3,5 milliards d'euros, les investissements dans la recherche à 4,8 milliards : notre choix reste donc délibérément de découvrir de nouvelles molécules. Nous comprenons bien évidemment les enjeux pour le pays de la présence de Sanofi en France, et nous n'avons aucunement l'intention de nous en retirer - au contraire, nous avons rapatrié récemment deux centres de décision importants.
Mme Annie David, présidente. - Merci pour votre exposé. Nous nous soucions, bien sûr, du devenir de vos sites dans nos départements, mais aussi de la stratégie de l'industrie pharmaceutique dans son ensemble, car nous ne voulons pas que la France en vienne à dépendre, dans sa politique du médicament, d'économies étrangères. La parole est à notre rapporteur général, M. Daudigny.
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Quelle est l'influence sur vos activités des mesures prises dans les PLFSS successifs de ces dernières années ? Les économies ont en effet largement porté sur le médicament : 1 milliard d'euros dans le PLFSS pour 2013, 1 milliard dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, un peu plus encore les années précédentes...
Mme Laurence Cohen. - Il est intéressant de mettre en perspective vos propos avec ceux que les membres de l'intersyndicale nous ont tenus à l'instant, et dont la teneur était différente. Vous vous dîtes ouvert au dialogue social : pourquoi, alors, refusez-vous une réunion tripartite entre les organisations syndicales, le Gouvernement et la direction ? Cela permettrait d'aboutir à un langage commun, et d'éviter la diffusion d'informations erronées.
Vous affirmez qu'il ne s'agit pas de supprimer des emplois, qu'il n'y aura que des départs volontaires. Il est difficile, d'abord, d'évaluer dans quelle mesure ces départs sont vraiment volontaires. N'avez-vous pas fait le bilan des restructurations que vous avez déjà opérées par le passé ? En 2009-2010, quatre sites ont été fermés, et un cinquième vendu, avec une suppression de plus de 1 000 postes. A l'évidence, cela n'a pas été utile, puisque vous voulez recommencer.
Vous parlez d'un déficit de recherche, ce que pour ma part, je trouve très inquiétant. Comme je ne crois pas - pas plus que vous - que nos chercheurs soient moins performants que les chercheurs étrangers, je me demande si ce déficit n'est pas dû à la baisse des crédits que vous allouez à la recherche : les dividendes pour les actionnaires ont plus que doublé en sept ans, alors que le pourcentage du chiffre d'affaires consacré à la recherche est passé de 17 % en 2008 à moins de 15 % en 2011, et on parle, pour 2015, d'un pourcentage de l'ordre de 11,9 %. Peut-être faudrait-il faire le lien...
Vous avez évoqué le site de Gentilly, que je connais bien. Je suis très heureuse que Sanofi, qui a toujours une place très importante dans cette ville, continue à s'y développer. Mais il s'agit essentiellement d'un regroupement d'autres sites : il n'y a donc pas développement de l'emploi mais redéploiement.
Les élus de la Nation que nous sommes ont, vous le comprendrez, à faire valoir un certain nombre d'exigences, car vous bénéficiez d'argent public, ce qui appelle des contreparties sérieuses en terme d'emploi, et en matière de recherche : vous touchez à ce titre plus de 54 millions d'euros d'aide publique. Une entreprise comme Sanofi ne peut, dans ces conditions, parler de fermeture de sites, de restructuration, qui me semblent essentiellement destinées à faire des économies au profit des actionnaires au détriment des salariés, et donc de l'industrie pharmaceutique, c'est-à-dire, plus globalement, de la santé publique.
M. Christian Bourquin. - Ne pensez-vous pas que le défaut de dialogue social nuit à l'image de votre groupe ? Comment répondez-vous à cette préoccupation, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du groupe ? Une rencontre comme celle d'aujourd'hui au Sénat ne pourrait-elle pas être un déclic, et conduire toutes les parties prenantes à se mettre autour de la table pour discuter ? L'intersyndicale que nous avons vue tout à l'heure est très inquiète, et a beaucoup communiqué sur ce thème. Vous nous dîtes que vous pratiquez le dialogue social avec ouverture. Où est l'apaisement ? Au Sénat, nous pratiquons beaucoup la sagesse... Nous serions très heureux de vous en communiquer une partie !
Votre groupe fait de gros bénéfices : réjouissons-nous, c'est toujours mieux que l'inverse ! Mais quand on rapproche cette donnée des autres éléments, l'image en ressort ternie... Qu'allez-vous faire ? Il est difficile d'avoir l'image d'un groupe qui tire beaucoup de son activité, mais qui au sein duquel les conflits sociaux sont irrésolus : la crédibilité en pâtit. Quelle est votre stratégie pour améliorer votre image ?
Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur le pôle d'excellence que vous voulez faire à Montpellier ? Je suis très sensible à tout ce qui concerne la région que je préside...
Qu'est-ce qui nous garantit votre attachement à la France ? Vous avez mentionné les vingt-six sites que vous avez en France, mais le choix des sites ne peut être dicté seulement par un attachement au pays. En quoi consiste votre attachement fort à la France ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Pouvez-vous préciser la composition de votre actionnariat ?
Quel bilan tirez-vous de la restructuration qui avait été conduite en 2008 et 2009 ? J'approuve l'idée d'une réunion tripartite mentionnée par mes collègues. Cela mettrait de l'huile dans les rouages.
Qu'avez-vous prévu pour la reconversion des personnels qui ne voudraient pas quitter leur bassin d'emploi ?
M. René-Paul Savary. - Je vois que Sanofi a fait un chiffre d'affaires mondial de 33 milliards d'euros en 2010. Et vous nous dîtes avoir investi 2 milliards sur dix ans dans la recherche...
M. Christian Lajoux. - Nous avons investi annuellement 4,8 milliards d'euros dans le monde, ce qui fait 48 milliards d'euros sur dix ans. La France représente 2 milliards d'euros annuels, soit 20 milliards en dix ans. Et je vous rappelle que le chiffre d'affaires réalisé en France ne représente que 7 % des 33 milliards d'euros que vous évoquez. C'est en France qu'on cherche, et on n'y vend guère...
M. René-Paul Savary. - Il n'empêche que vous avez distribué 3,5 milliards entre vos actionnaires, ce qui rend difficilement présentable votre plan de restructuration. Etes-vous sûr qu'il n'y en aura pas d'autres à la suite de celui-ci ? N'est-ce pas le début de l'abandon de la France par Sanofi ? Quelles sont vos intentions ? Comprenez-vous nos inquiétudes ? Etes-vous soumis à une pression des actionnaires, qui veulent à tout prix des dividendes ?
Mme Annie David, présidente. - Vous insistez sur le fait que le nombre de suppression de postes s'élèvera à 914 pour 2015. Mais il y aura d'autres départs, puisque vous avez évoqué 1 300 départs anticipés à la retraite. Vous parlez de mesures de départ fondées sur le volontariat, mais vous avez décidé de supprimer des postes. Comment allez-vous faire ? Que faîtes-vous des titulaires des postes que vous comptez supprimer ?
Vous vous dîtes prêt à négocier et à rencontrer les représentants syndicaux, mais je trouve ça un peu étrange : vous ne pouvez pas demander à des représentants syndicaux de venir discuter avec vous d'un plan qui n'est pas encore passé par les phases normales d'un plan de restructuration ! Le dialogue social ainsi envisagé me paraît compliqué, c'est peut-être pour cela que vous peinez à le mettre en oeuvre.
M. Christian Lajoux. - Il faut bien commencer, à un moment donné, le dialogue social. Nous l'avons fait le 5 juillet, en annonçant notre volonté d'adapter la structure de Sanofi en France, et en invitant les partenaires sociaux à participer à des réunions, encore informelles à ce stade, pour préparer cette adaptation. Ils ne se sont guère manifestés alors - peut-être n'était-ce pas la meilleure période pour organiser ce type de concertation. Nous les avons ensuite invités à entrer dans un processus de discussion et de négociation avant la finalisation du plan. Comme les lois nous y invitaient, nous leur avons remis un livre II et un livre I. Le livre II expliquait les raisons pour lesquelles nous voulons faire une adaptation ; à ce jour, il n'y a ni suppression de site ni licenciement. Nous avons tenu vingt-cinq réunions depuis le mois de septembre, dans trois entités : le dialogue social n'avance peut-être pas aussi vite qu'on le souhaiterait, mais il a lieu. Il n'y a pas rupture du dialogue social. Les représentants du personnel peuvent venir discuter, amender, proposer d'autres approches...
La réunion tripartite n'est pas de circonstance : les lois prescrivent que les représentants du personnel discutent d'abord des projets sociaux avec l'entreprise. Il y a eu beaucoup de médiatisation, en effet. Un de vos collègues me disait un jour que Sanofi n'est pas une entreprise mais une légende. Tout ce qui nous concerne est lourd de signification et d'émotion. La médiatisation n'a pas permis au dialogue social de progresser au rythme que nous aurions souhaité. Le livre II prévoit la possibilité d'une réunion tripartite pour la question du site de Toulouse. Mais elle n'a de sens que s'il y a blocage du dialogue social et de la concertation. A ce jour, avec vingt-cinq réunions, on ne peut pas parler de blocage !
La situation du site de Toulouse n'est qu'en partie comprise dans le plan social. Il faudra que nous abordions la méthode à adopter pour résoudre ce problème, car aujourd'hui ce dossier est en partie couvert par le plan et lui est en partie extérieur, ce qui est inconfortable pour tout le monde : pour les partenaires sociaux, pour nos collaborateurs, pour la direction - car ce n'était pas notre choix.
M. René-Paul Savary. - De qui était-ce le choix ?
M. Christian Lajoux. - C'était une demande du Gouvernement. La presse s'en est largement fait écho en septembre. Nous avons accepté dans un souci de coopération et de dialogue avec le Gouvernement. Et nous avons pensé que cela pourrait être une solution, mais c'était une fausse bonne idée.
Mme Annie David, présidente. - Soyons clairs : quel était votre propre souhait ?
M. Christian Lajoux. - Nous souhaitions l'inclure complètement dans le plan, ce qui n'a pas été fait.
M. René-Paul Savary. - Vous vouliez supprimer le site de Toulouse ?
M. Christian Lajoux. - Nous n'avions pas pris de décision encore. Nous avions écrit que la vocation du site restait à définir, cela figure encore page 99 de notre livre II. La question doit faire l'objet d'une réunion tripartite. Cette situation, que nous avons acceptée en pensant que cela fonctionnerait, génère en fait de l'inquiétude, de la confusion.
M. François de Font-Réaulx, vice-président de Sanofi France chargé des ressources humaines. - A l'origine de la problématique du site de Toulouse, il y a la question de la cartographie de notre recherche et développement en France. Nous avons neuf sites, ce qui est le résultat de l'histoire de l'entreprise, qui s'est constituée petit à petit. Et il arrive souvent que plusieurs sites fassent la même activité. Il s'agit donc de recentrer sur des sites un peu plus homogènes les domaines thérapeutiques que l'on étudie : l'oncologie à Vitry-sur-Seine, les maladies du vieillissement à Chilly-Mazarin, l'infectiologie autour d'un pôle Pasteur-Lyon. Reste donc la question de la recherche à Toulouse et à Montpellier. Montpellier a une activité de développement importante, qui permet le reclassement et le repositionnement des salariés dont le poste aurait vocation à être transféré. Un désengagement éventuel du site de Toulouse nécessite de s'assurer que le site conserve une vocation scientifique et technologique. Nous devons trouver une solution pour chacun de nos collaborateurs. Même s'il ne figure plus formellement dans les livres I et II, la question du site de Toulouse doit être traitée, et nous le ferons en concertation avec les représentants du personnel de Toulouse. Bien sûr, cela génère de l'émotion. Mais notre recherche doit être plus innovante. Et ce n'est pas simplement Sanofi, c'est toute l'industrie pharmaceutique qui a ce problème.
Nos grands concurrents, les laboratoires Roche, Novartis, Pfizer ou autres ont également un problème de recherche. Nous avions l'habitude de travailler sur la chimie, et la biotechnologie prend le dessus, dans des applications beaucoup plus complexes à traiter, qui nécessitent des compétences différentes de celles qu'ont nos chercheurs en chimie ou chimie fine. Mais nous devons procéder à cette mutation tectonique de notre dispositif de recherche.
Nous devons également trouver une solution pour Toulouse, mais il faudra du temps pour dépasser la phase émotionnelle.
M. Christian Lajoux. - Très tôt, dans un esprit de dialogue et de partage, nous avons rencontré le Gouvernement. Il nous a été suggéré d'écarter Toulouse de notre plan, et il a été question de nommer une mission intergouvernementale. Des noms ont même circulé. Sur le principe, nous n'étions pas opposés : j'ai moi-même vingt ans de pratique sociale coopérative avec nos partenaires sociaux, je suis loin d'être en guerre avec eux, et j'accueille favorablement toute initiative susceptible de faciliter la négociation. Mais l'idée de la mission a suscité une émotion terrible, et les partenaires sociaux l'ont refusée. J'ai respecté leur décision. Depuis le mois de septembre, l'idée reste en suspens ; à mon avis, la mission n'aura pas lieu. Il faut dire aussi que s'il n'y avait pas Toulouse, notre plan serait beaucoup moins médiatisé : les collaborateurs accepteraient de faire des réformes, de concentrer telle ou telle activité de recherche à Lyon, Strasbourg ou Paris. Ce n'est pas qu'il n'y aurait pas de débat, mais il n'aurait pas le même écho. Aujourd'hui, nous avons 600 collaborateurs à Toulouse qui n'ont aucune visibilité de l'avenir. Espérant que cette réunion marquerait un nouveau départ, nous avons repris contact avec nos représentants du personnel, et donné de l'élasticité au processus de concertation : vingt-cinq réunions ont déjà eu lieu, de nouvelles dates sont prévues, des experts doivent rendre des rapports. Nous donnons du temps au temps pour que nos collaborateurs disposent de toutes les informations possibles, et je les invite à nous rencontrer au début du mois de janvier, avant même s'ils le veulent, pour définir une méthode de travail. Comment répondre aux nécessités du site ? Comment répondre aux perspectives que réclament légitimement nos collaborateurs ? Avec Toulouse, nous avons ouvert une boîte de Pandore. Ce que nous souhaitons, c'est que le site garde une vocation technologique et scientifique. Sans risquer le délit d'entrave ni vous communiquer des informations confidentielles, je peux vous annoncer que nous avons pris des contacts informels grâce auxquels nous pourrions annoncer des ébauches de solutions pour rassurer une partie de nos collaborateurs situés à Toulouse.
M. René-Paul Savary. - Vous avez les moyens, les cerveaux et le savoir-faire : votre force de frappe est extraordinaire.
M. Christian Lajoux. - En effet. Nous avons les moyens d'assurer la pérennité industrielle et scientifique de Sanofi en France. Nous sommes aussi en plein malentendu, avec cette image dégradée dont nous souffrons.
Ne regardons pas notre situation actuelle uniquement à travers le prisme de nos collaborateurs de Montpellier. Une partie d'entre eux, environ 20 %, est inquiète car les activités de recherche vont être transférées ailleurs, mais le reste du site restera en activité et va même devenir un centre de développement international de Sanofi. Une partie des collaborateurs des sites de Toulouse et Montpellier vit très mal la situation, mais la plupart de nos salariés sont dans l'expectative. C'est pourquoi nous devons accélérer le rythme de nos négociations avec les partenaires sociaux.
Il n'y a pas de fermeture de site aujourd'hui. L'un d'entre vous a évoqué une fermeture de site il y a trois ans. S'il s'agit de Romainville, ses activités se trouvent aujourd'hui à Vitry, qui devient un centre extrêmement moderne de technologie : c'est l'intérêt de nos collaborateurs. Il s'agit en outre d'un petit site de 160 personnes et les partenaires sociaux ne sont pas en désaccord avec notre action. S'agit-il de Neuville, dans la région de Lyon ? Ce site chimique est en voie de transformation en site de production de vaccin contre la dengue, virus qui affecte les pays les plus pauvres. Beaucoup de pays nous auraient déroulé un tapis rouge et accordé beaucoup d'argent pour investir dans un tel site, la Corée et Singapour notamment. Nous avons fait un choix d'entreprise citoyenne, un pari à 350 millions d'euros que nous avons pris avant même d'avoir la certitude que le vaccin aurait l'autorisation de mise sur le marché.
Etant un ancien de la maison - j'ai travaillé longtemps avec Jean-François Dehecq, avant l'arrivée de Christopher Viehbacher -, je sais que des sites de recherche ont été fermés à Bagneux et à Rueil-Malmaison. Les décisions ont été prises en 2000 et les sites ont été fermés en 2010.
Pourquoi me croiriez-vous ? Regardez ce que nous avons fait, ce qui fonctionne ou pas. Nous avons lancé un plan de restructuration en recherche et développement il y a trois ans, axé principalement sur la partie développement, celle qui répond à la question : une fois la molécule isolée, comment fabriquons-nous un médicament ? Montpellier est en passe de devenir un centre international de recherche et développement. Autre succès, la transformation de la pharmacie chimique de Neuville en pharmacie de biotechnologie ou pharmacie du vaccin. Nous avons également un site de production chimique à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, de même qu'un très grand site traditionnel à Vertolaye, à côté de Clermont-Ferrand. Dans ces deux sites, nous investissons 150 millions pour que la production chimique intègre les biotechnologies. Les réorganisations récentes ont donc abouti et atteint leurs objectifs.
Enfin, les médicaments que nous sommes appelés à développer seront radicalement nouveaux. Demain, nous ne soignerons pas le diabète, l'hypertension ou le cancer comme hier. Nous n'avons pas commercialisé de médicaments depuis dix ans. Nous en avons un certain nombre dans notre portefeuille, mais le profil des médicaments à venir est clairement un profil de rupture. En d'autres termes, nous ne sortons plus de « me too »: pour accéder au marché, il faut innover.
Si nous avions envie de partir, croyez-vous que nous nous engagerions dans un processus de réorganisation qui va rassembler plus de 3 000 collaborateurs sur le site de Val de Bièvre ? Vous savez que les choses n'étaient pas gagnées puisque j'ai rencontré un certain nombre d'élus, dont Mme Patricia Tordjman, que nous-mêmes avons dû convaincre nos actionnaires de rester à Gentilly. Non seulement nous ne fermons pas de site industriel, mais nous n'en fermerons ni dans les mois ni dans les années à venir. Nous nous engageons à rendre la recherche efficace pour que demain, nous ayons des molécules innovantes et qu'il soit possible de les fabriquer sur nos sites de production industrielle. Le rapatriement des centres de décision du vaccin, ou de Mérial santé animale ne va pas de soi. De nombreux pays nous conseillent de placer nos centres de décision ici ou là et nous questionnent sur le niveau des infrastructures à Lyon pour leurs cadres internationaux. Le sénateur Gérard Collomb, qui oeuvre avec efficacité dans ce sens, en sait quelque chose. Voilà les signaux concrets et palpables que nous pouvons vous donner.
Concernant les actionnaires, je n'ai pas inventé le monde dans lequel nous vivons. Notre actionnariat, très dispersé, a besoin d'être rémunéré.
M. Philippe Tcheng, vice-président de Sanofi France chargé des affaires publiques et gouvernementales. - Le public détient 85 % des actions, l'Oréal 9 %. Total détenait 3,2 % des actions il y a quelques années, mais depuis est totalement sorti de l'actionnariat. Les salariés détiennent 1,4 % des parts, et l'autocontrôle atteint 1,3 %. Sur ces 100 %, un tiers est situé en France, un tiers en Amérique du nord et un tiers dans le reste du monde. En Amérique du nord, il peut s'agir de fonds de pension.
M. René-Paul Savary. - L'actionnariat a besoin de rémunération.
M. Christian Lajoux. - Les actionnaires font leur métier d'actionnaire, ils investissent pour gagner de l'argent. Je n'ai pas inventé ce monde, c'est la logique économique dans laquelle nous nous trouvons.
Les investissements en recherche et développement ont connu un léger fléchissement en pourcentage, et une augmentation en valeur de 1,8 milliard en moyenne à 1,9 milliard. Le chiffre d'affaires a été restructuré. Monsieur Daudigny, vous m'avez interrogé sur l'influence du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Sur 1 milliard d'euros par an demandé à l'industrie pharmaceutique en France, Sanofi contribue à hauteur de 120 millions, soit un peu plus de 10 %. Les années précédentes, ce chiffre atteignait plutôt 130 à 140 millions. Cela représente 7 % de notre chiffre d'affaires : la charge est lourde pour les dirigeants de nos filiales en France, qui ont un budget à équilibrer et se comparent en outre à leurs homologues étrangers. Le crédit impôt recherche, atteint environ 100 millions d'euros, mais nous en perdons le bénéfice avec le PLFSS.
Mme Laurence Cohen. - Est-ce une opération nulle ? C'est un peu contradictoire. Vous nous dîtes que la charge est lourde, puis qu'elle s'équilibre.
M. Christian Lajoux. - C'est un malentendu. J'ai entendu des reproches au sujet du crédit impôt recherche. Nous perdons plus en termes de chiffre d'affaires que le crédit d'impôt qui nous est accordé. Le crédit d'impôt recherche ne doit pas être rapporté aux 110 millions que nous perdons en termes de chiffre d'affaires mais aux 2 milliards d'euros que nous investissons.
Vous avez évoqué des réunions tripartites...
Mme Laurence Cohen. - Vous n'y étiez pas favorable pour le moment.
M. Christian Lajoux. - Je connais les lois de la République. J'ai une vie sociale et syndicale très engagée : pendant plus de soixante ans, les syndicalistes se sont battus pour édifier des règles permettant le dialogue entre la direction et les salariés. Nous ne disons pas « jamais », mais au nom de quoi devrions-nous renoncer à appliquer ces règles sociales ? Les partenaires sociaux ont des instances privilégiées qui permettent le dialogue : utilisons-les ! La porte sera toujours ouverte à d'autres solutions, en cas d'échec. Mais nous voulons d'abord donner sa chance au dialogue social. Vous faîtes les lois de la République : elles ne privilégient pas la rencontre tripartite par rapport à la réglementation sociale.
Notre image dégradée me chagrine, notamment à Montpellier dont Sanofi est un fleuron. Il s'agit d'un malentendu, car Montpellier restera un site de développement international extrêmement important pour nous. Notre tort est peut-être de ne pas avoir répondu à la médiatisation... Il est vrai que nous n'avons répondu ni aux injonctions gouvernementales, ni aux fausses annonces sur le nombre de licenciements : 900, 1 300, 1400 ? J'ai lu un peu n'importe quoi dans la presse et n'ai pas voulu alimenter la polémique. Nous avons voulu gérer de façon responsable notre projet d'adaptation, avec le souci de ne pas provoquer les partenaires sociaux. Eux-mêmes ont senti qu'ils avaient une possibilité de donner un écho plus politique que syndical au débat. Aujourd'hui, ils se retrouvent, toutes proportions gardées eu égard à la situation financière de Sanofi, dans la situation d'autres partenaires sociaux, et c'est à nous, la direction, de les accueillir, car ils ont le sentiment d'avoir été abandonnés.
Tout cela n'est pas bon pour notre image. J'ai connu les années Dehecq, lorsque nous étions presque portés au pinacle : après l'excès dans la louange, je connais aujourd'hui l'excès dans le blâme. Mais j'ai bon espoir que nous arrivions à un dialogue.
M. François de Font-Réaulx. - Le volontariat est un sujet qui revient souvent. Dans un vrai plan de départ volontaire, il n'y a pas un seul licenciement. Il n'y en a pas eu un seul depuis quatre ans chez Sanofi, et il n'y en aura pas dans le plan France dont nous parlons. Dans un vrai plan de départ volontaire, un poste n'est supprimé que si son titulaire est volontaire pour faire autre chose. Nous n'irons pas voir nos salariés en leur demandant s'ils sont volontaires pour prendre un autre poste, le leur étant supprimé : nous ferons exactement l'inverse. Nous demanderons aux salariés s'ils sont volontaires pour une mobilité interne, ou pour une mesure d'âge s'ils sont éligibles. Nous expliquerons qu'à l'horizon de trois ans, l'entreprise souhaite regrouper l'élément transactionnel des fonctions support, par exemple la paye, ou la comptabilité, sur des plateformes. Nous dirons aux salariés de ces fonctions support : « Quel est votre souhait d'évolution ? ». Et nous créerons autant d'opportunités possibles pour des reclassements si la personne n'est pas disposée à déménager.
Dans l'économie du projet, 914 postes pourraient être supprimés, mais le volant de départs volontaires est beaucoup plus important, comprenant des mesures d'âges - 1 300 éligibles - , des départs pour motif personnel - 300 à 400 -, et la panoplie des mobilités internes proposées. L'essentiel des mobilités internes se situe sur le même bassin d'emploi : des salariés vont simplement changer d'entité juridique, comme à Lyon où plus de 280 collaborateurs seront transférés de l'entité Pasteur vers l'entité de gestion SAG (Sanofi Aventis groupe). Les mobilités interrégions sont plus difficiles à gérer, car elles impliquent des facteurs familiaux, mais elles sont accompagnées financièrement. Enfin, les repositionnements, changements de métier, reclassements et formations sont mis à disposition pour les personnes souhaitant rester dans le même bassin d'emploi.
Cette mécanique est complexe, même en interne. M. Lajoux a mentionné nos vingt-cinq réunions : en réalité, elles sont plus nombreuses. Nous avons six entités juridiques à gérer, et nous progressons. Il n'y aura ni mobilité forcée, ni pression, mais un accompagnement et une force positive de conviction pour arriver à l'organisation que nous souhaitons pour 2015. Nous avons trois ans devant nous, et comme toujours nous nous donnons beaucoup de temps pour accomplir les réorganisations.
Mme Laurence Cohen. - Vos réponses sont détaillées, mais vous n'avez pas dressé le bilan des restructurations passées. Quand vous parlez de départ volontaire, il demeure une certaine ambiguïté. L'offre d'emploi baissera sur les sites situés sur le territoire français, dans un secteur de pointe, au moment où la situation de l'emploi n'est pas bonne. Pour moi, ce n'est pas anodin.
Je me réjouis de la bonne santé de Sanofi. L'entreprise est en bonne santé, elle cherche à satisfaire ses actionnaires, mais il y a une limite. Le législateur peut se sentir incité à légiférer pour interdire tout licenciement boursier. Nous en avons discuté avec l'organisation intersyndicale, et le groupe communiste va sans doute travailler sur le sujet. Notre groupe avait rédigé une proposition de loi, rejetée à quatre voix près, qui interdisait les licenciements boursiers.
Je tenais à le dire pour être franche avec vous.
M. Christian Lajoux. - La rémunération des actionnaires n'est pas un gros mot. En pourcentage des résultats, la nôtre n'est pas au niveau des standards internationaux. En volume, nous avons effectivement connu des années fastes, qui permettent peut-être de compenser ces moindres pourcentages.
Notre plan n'est pas un plan de destruction d'emplois : nous vous avons remis des documents sur lesquels figure une hypothèse de 700 à 800 postes à créer, et ces chiffres figurent dans les livres I et II remis aux partenaires sociaux. Nous supprimons des emplois qui ne sont plus viables, et ne détruisons pas d'emplois sur le territoire français. Les activités que nous renforcerons, l'infectiologie à Lyon, la cancérologie à Paris, vont également créer des emplois indirects. Ces créations d'emplois donneront en outre de la souplesse aux mobilités et permettront d'embaucher des jeunes, car notre entreprise a tendance à vieillir.
Sanofi est une entreprise qui a de bons résultats, un problème de recherche, certes, mais qui s'engage sur le territoire français et propose des mesures sociales acceptables : je connais peu d'anciens de la maison qui se plaignent après l'avoir quittée. A tout prendre, je préfère être dans cette situation que dans celle de PSA. Nous pourrions aussi ne rien faire ; nous nous reverrions dans quelques années dans une toute autre situation...Si nos résultats ne nous donnent pas le droit de restructurer avec insolence, ils nous donnent les moyens d'y procéder dans de bonnes conditions. Un chiffre vous éclairera : pour un collaborateur de trente-cinq ans, ayant dix ans d'ancienneté, un plan de reconversion construit sous le contrôle des partenaires sociaux revient entre 250 000 et 300 000 euros. Dans bien des secteurs, les salariés n'ont rien de comparable.
Mme Annie David, présidente. - Je regrette de ne pas avoir organisé une table ronde avec les syndicats...
M. Christian Lajoux. - Chacun présente les choses selon son point de vue, mais l'espace existe pour le dialogue et la concertation.
Mme Annie David, présidente. - Ce qui m'importe, c'est que vous retrouviez le chemin du dialogue au sein de l'entreprise. Si ce plan de restructuration pouvait évoluer de manière positive du point de vue de l'emploi, ce serait préférable. Il se trouve que j'ai travaillé dans un grand groupe, et j'ai connu un certain nombre de départs volontaires : je ne connais que trop bien le sujet. Je veux bien croire que les choses évoluent, mais à terme, je crains qu'il y ait moins d'emplois. Vous dîtes qu'il n'y aura pas de licenciements, mais des postes seront supprimés. J'ai été aussi représentante syndicale... Je connais la chanson ! Et je souhaite un minimum de casse au niveau de l'emploi.
Mercredi 19 décembre 2012
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Prise en charge psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux - Examen du rapport d'information
Mme Annie David, présidente. - Nous avions chargé Alain Milon d'un rapport sur la prise en charge psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux : il va nous le présenter.
M. Alain Milon, rapporteur. - La psychiatrie est régulièrement sous les feux de l'actualité à l'occasion de faits divers tragiques, liés par exemple au mal-être au travail, à l'évaluation de la dangerosité des malades. On compte aussi de nombreuses polémiques dont celle relative à la prise en charge de l'autisme.
Au cours des dernières années, une vingtaine de rapports ont dressé un bilan de la situation et formulé des propositions. Malgré ces préconisations, le gouvernement précédent n'a présenté au Parlement qu'un projet de loi relatif à l'hospitalisation sans consentement.
Mme Muguette Dini. - Je m'en souviens !
M. Alain Milon, rapporteur. - La focalisation sur la dangerosité nous avait semblée excessive, même si la psychiatrie n'avait pas été uniquement abordée sous cet angle. Ainsi, deux plans de santé mentale ont été élaborés, l'un pour 2005-2008 et l'autre pour 2011-2015 ; l'essentiel de l'action publique repose sur ces plans. Malgré nos demandes répétées, aucune concertation nationale avec les acteurs de la psychiatrie et de la santé mentale n'a été engagée, ni aucun projet de loi relatif à la santé mentale déposé.
Cette inaction est-elle liée à l'idée que le plan de santé mentale 2005-2008 serait suffisant ? Parus fin 2011, les rapports du Haut Conseil de la santé publique et de la Cour des comptes en ont pourtant dressé un bilan en demi-teinte : absence de connaissances exactes tant sur la prévalence des troubles relevant de la psychiatrie que sur l'activité des équipes et des structures ; cloisonnement persistant des soins, notamment entre psychiatrie et médecine générale ; absence de politique d'innovation et d'amélioration des soins. Il est trop tôt pour juger des effets du plan 2011-2015 dont le programme n'est paru que fin février 2012.
Une nouvelle impulsion politique est donc indispensable. Le Gouvernement pourrait proposer une politique de lutte contre les troubles mentaux qui s'intègre enfin à la politique de santé publique. L'annonce d'une nouvelle loi de santé publique favoriserait cette approche. Je crains cependant que les difficultés qui ont corseté les initiatives du précédent gouvernement n'entravent l'action du nouveau.
Les acteurs de la prise en charge des troubles mentaux ne sont absolument pas d'accord entre eux. Le rapprochement des points de vue sera particulièrement ardu. Aucune proposition dans le domaine de la prise en charge psychiatrique, excepté l'augmentation des moyens, ne peut être formulée sans déclencher des protestations et des campagnes d'opinion qui garantissent le maintien du statu quo.
La situation actuelle est préférable à une réforme mal conçue ou aux demi-mesures déjà prises. La prise en charge psychiatrique française a été refondée en 1960, avec la création des secteurs, sur des valeurs qui conservent toute leur actualité. Malgré ses défauts, le système parvient, grâce à l'implication des personnels, à prendre en charge la plupart des malades. Mais le statu quo n'offre que l'illusion du maintien des principes fondateurs. Le rapport que j'ai présenté au nom de l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps) dénonçait l'état d'abandon des malades et des soignants, en l'absence d'une politique pour améliorer la prise en charge psychiatrique. La liberté d'innovation du praticien et l'autonomie du malade se heurtent à l'absence de diffusion des meilleures pratiques et au défaut de suivi thérapeutique, qui fait peser sur l'entourage des malades le risque d'une rechute. Le rapport de l'Opeps, publié en 2009, estimait que la psychiatrie française, longtemps stigmatisée, était en mesure de devenir une médecine de pointe. C'est ce projet ambitieux qu'il convient de présenter aux professionnels de santé, aux patients et à leurs familles.
Il faut tout d'abord nous livrer à un exercice de définition. La commission m'ayant demandé d'examiner la prise en charge psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux, le sujet est donc restreint : il s'agit de la prise en charge psychiatrique et non des autres formes de thérapie ou de prise en charge sociale dont sont susceptibles de bénéficier les malades, ce qui ne signifie pas que les prises en charge non psychiatriques soient moins importantes. Pour la vie quotidienne des patients, la prise en charge sociale est incontestablement plus importante que les thérapies offertes par la psychiatrie. Mais la psychiatrie est au coeur du traitement de la maladie mentale. C'est donc sur l'avenir de cette spécialité médicale que je me suis penché.
Le domaine de la psychiatrie est celui du trouble mental, qui comporte des pathologies lourdes, comme la schizophrénie, mais aussi toute l'étendue de pathologies dont la sévérité varie, comme la dépression. A priori, la notion de trouble mental exclut les troubles du comportement, comme l'anorexie et la boulimie, et les troubles envahissants du développement, comme l'autisme. J'ai néanmoins fait référence à la prise en charge psychiatrique dans ces domaines pour lesquels la recherche et les recommandations de bonnes pratiques jouent un rôle déterminant.
L'intérêt de ce sujet restreint est de rompre avec l'approche en termes de « santé mentale ». Ce concept est issu de la convention constitutive de l'OMS de 1948 ; il a été précisé par cette institution et ses organisations régionales depuis 2002. Il s'intègre à l'approche globale des problématiques de santé prônée par l'organisation, pour qui la santé est caractérisée par un « état de complet bien-être physique, mental et social et non par la simple absence de maladie ». De même, « la santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté ». Cette définition passe sous silence l'aspect médical pour souligner les facteurs et les conséquences sociales de la santé mentale, présentée comme « le fondement du bien-être d'un individu et du bon fonctionnement d'une communauté ». La Commission européenne a repris cette notion dans son « Livre vert » sur la santé mentale, publié en 2005. La mauvaise santé mentale y est estimée au travers de la prévalence des troubles anxiodépressifs dont le coût est exorbitant : en 2004, le « Livre vert » le chiffrait à 235 euros par habitant de l'Union.
En France, la direction générale de la santé (DGS) a partiellement adopté la notion de santé mentale, tout en maintenant celle de troubles mentaux. Dans les informations communiquées à la Cour des comptes, elle estime ainsi qu'« environ 30 % de la patientèle des médecins généralistes souffrirait de troubles psychiatriques ou relatifs à leur santé mentale ».
M. Jean Desessard. - 30 %, c'est énorme !
M. Alain Milon, rapporteur. - L'approche en termes de santé mentale tend à reléguer les troubles mentaux relevant d'un traitement psychiatrique au rang d'épiphénomènes au sein d'un problème de santé beaucoup plus large. Les études sur la prévalence des troubles mentaux reposent de plus en plus sur une acception large. Un article publié en septembre 2011 dans la Revue européenne de neuropsychopharmacologie, affirmait ainsi que chaque année, 38,2 % de la population européenne souffre d'un trouble mental...
L'étude inclut la dépression, la démence, l'usage d'alcool et le stress mesuré par les attaques cardiaques. Comme le souligne un rapport du Centre d'analyse stratégique, « la maladie mentale et la santé mentale ne sont pas mutuellement exclusives : une personne souffrant d'une maladie mentale peut jouir par d'autres aspects d'une santé mentale positive ».
La santé mentale tend à se confondre avec la capacité à mener une vie sociale. Les notions de santé mentale et de santé mentale positive, sans pathologie, s'inscrivent donc dans le cadre de la promotion du bien-être de l'individu. Elles peuvent être porteuses de progrès pour les personnes qui souffrent et pour la collectivité dans son ensemble. Elles ne sont pourtant pas exemptes de dangers car elles peuvent s'appuyer sur les pratiques non médicales pour promouvoir la confiance de l'individu en lui-même. Si des professionnels de grande qualité peuvent fournir des conseils avisés, le centre d'analyse stratégique relève que les personnes peu diplômées sont séduites par des pratiques comme le coaching qui peuvent comprendre des éléments déviants, voire sectaires. Il faut donc nous concentrer sur les pathologies mentales qui sont l'objet de la psychiatrie.
La psychiatrie et les psychiatres n'ont pas vocation à traiter l'ensemble du mal-être social. Dans le domaine des pathologies mentales, la psychiatrie doit permettre une approche équilibrée entre traitements médicaux et autres formes de prise en charge. La prudence est d'autant plus nécessaire que de nombreuses critiques sont adressées aux pratiques anglo-saxonnes dominantes en la matière. Les chiffres considérables de certaines études nous amènent à penser que la prévalence actuelle des maladies mentales est surestimée. La maladie mentale, aux Etats-Unis, est diagnostiquée sur la base de symptômes, c'est-à-dire de manifestations subjectives, comme la douleur, et de comportements, et non de signes, qui sont des manifestations objectives, comme une inflammation. La psychiatrie se distingue ainsi des autres disciplines médicales en ce que la plupart des maladies traitées par les autres spécialités produisent des signes physiques et des résultats biologiques ou radiologiques anormaux, en plus de symptômes. La part de subjectivité est donc importante dans le diagnostic psychiatrique.
Le recours aux médicaments est lui aussi contesté. Dans les années 1950, les modalités de prise en charge psychiatrique ont évolué, après la mise sur le marché de quatre nouvelles molécules, la chlorpromazine en 1954, le méprobamate en 1955, l'iproniazid en 1957 et la première benzodiazépine, la chlordiazépoxyde, en 1958. Ces molécules, agissant comme calmant ou comme stimulant, réduisent les symptômes les plus visibles de certains troubles mentaux. Elles limitent, voire éliminent, la nécessité de contrainte et d'isolement et permettent le traitement ambulatoire des malades, mis en place dans les années 1960. L'efficacité réelle de certains médicaments a cependant été remise en cause à partir d'une analyse des essais cliniques disponibles. Un chercheur affirme ainsi qu'une fois éliminés les biais méthodologiques des études cliniques, plusieurs gammes d'antidépresseurs semblent avoir un effet clinique à peu près équivalent au placebo. Dès lors que leur efficacité est considérée comme faible, le rapport bénéfices-risques des médicaments psychiatriques devient défavorable.
Comme l'indique le rapport de l'Opeps sur le bon usage du médicament psychotrope, même si les nouvelles classes de médicaments ont des effets secondaires moindres que leurs prédécesseurs, leur ampleur exacte n'est pas connue avec certitude en raison d'études pharmaco-épidémiologiques insuffisantes. L'Igas (inspection générale des affaires sociales) relève néanmoins que les neuroleptiques classiques provoquent « des syndromes extrapyramidaux (tremblements, hypertonie et akinésie) dont l'importance dépend de la dose administrée et qui disparaissent à l'arrêt des traitements, des dyskinésies tardives (20 % à 40 % des traitements prolongés), des crises convulsives, de l'hypotension orthostatique », ainsi que des effets plus rares. Les neuroleptiques de seconde génération provoquent moins d'effets neurologiques, mais « entraînent des effets métaboliques (prise de poids, obésité, diabète, hyperlipémies, dysfonctions sexuelles, hyperprolactinémie, constipation) ainsi que des risques cardiaques accrus ».
Le développement des médicaments psychiatriques a accompagné l'essor de la prévalence des troubles mentaux, ce qui peut être considéré comme un échec. Le directeur du National Institute of Mental Health, chargé de la politique fédérale de santé mentale aux Etats-Unis, constate ainsi que malgré le « boom » des médicaments psychotropes depuis cinquante ans - 25 milliards de dollars de chiffre d'affaire en 2011 aux Etats-Unis - il n'y a eu aucun impact significatif sur la morbidité ni la mortalité. Ces données renforcent le scepticisme face au médicament psychiatrique qui rejoint la remise en cause plus générale du médicament à la suite des scandales sanitaires.
L'hypothèse de l'origine neurologique des troubles mentaux qui sous-tend l'approche anglo-saxonne, est elle aussi remise en cause, car aucune causalité n'a pu être établie entre les dysfonctionnements cérébraux relevés chez les malades et la maladie elle-même. L'hypothèse d'un lien de causalité entre dopamine et schizophrénie, développée dans les années 1960, n'a pu être prouvée empiriquement. Les variations par rapport à la normale du taux de dopamine chez les malades peuvent apparaître tout autant comme une cause que comme une conséquence ou une coïncidence avec la maladie. Le rôle de la dopamine dans l'action des neuroleptiques a, pour sa part, été scientifiquement validé.
Les théories psychiatriques fondées sur la biologie ont été répudiées, faute d'assises scientifiques suffisantes. Elles ont néanmoins suscité pendant un temps l'enthousiasme de praticiens avec des conséquences graves en matière de prise en charge.
Les dérives de pratiques psychiatriques fondées sur des hypothèses non validées renforcent incontestablement l'intérêt de la psychanalyse. Ces dérives nourrissent par ailleurs le mouvement antipsychiatrique, sans apporter à elles seules la preuve qu'il existe une alternative à la prise en charge psychiatrique des troubles mentaux.
Lors de mes auditions, j'ai constaté l'existence d'une spirale néfaste : l'extension du concept de santé mentale aux troubles du comportement dès le plus jeune âge a pour conséquence l'encombrement croissant des consultations en psychiatrie, une pression accrue sur les médecins pour poser rapidement un diagnostic et engager un traitement qui donne des résultats immédiats. En réaction, la contestation radicale de la psychiatrie a émergé.
Nombre de praticiens auditionnés ont insisté sur l'augmentation du nombre de consultations, spécialement en pédopsychiatrie, liées à des questions impliquant moins des troubles mentaux que des problèmes sociaux. Le Haut Conseil de la santé publique relève le cas d'un centre hospitalier dont la population était composée en 1987 pour 44 % par des personnes atteintes de schizophrénie. En 2002, le taux était passé à 29 % tandis que les troubles de l'humeur s'établissaient à 29 %...
M. Jacky Le Menn. - Est-ce bien ou mal ?
M. Alain Milon, rapporteur. - C'est mal, car cette situation limite la prise en charge rapide des malades les plus lourds. Elle accentue le recours à la psychiatrie pour les malades que les autres branches de la médecine délaissent. Comme l'a indiqué Anne Fagot-Largeault, professeur au Collège de France et ancien médecin psychiatre dans un service d'urgence hospitalière, « le diagnostic psychiatrique est trop souvent un diagnostic de secours ». La psychiatrie permet aux autres services de médecine de lui adresser les patients dont les symptômes ne sont pas rapidement identifiables. La psychiatrie devient le bouc émissaire des critiques, ce qui est d'autant plus injuste que la psychiatrie française se distingue par une plus grande prudence que la psychiatrie anglo-saxonne.
Les critiques adressées à une partie de la psychiatrie anglo-saxonne en raison de dérives sociales et économiques sans lien réel avec les besoins des malades ne sont pas applicables aux pratiques psychiatriques et aux praticiens français. De plus, notre psychiatrie a été moins sensible aux effets de mode en matière théorique et thérapeutique. La définition de la psychiatrie comme thérapie de l'être et non d'un organe, à laquelle sont attachés la plupart des praticiens, a empêché la focalisation exclusive sur la neurobiologie.
De même, la pédopsychiatrie s'est longtemps caractérisée par la volonté de ne pas fixer un diagnostic sur l'état d'un enfant et de commencer un traitement médicamenteux de manière trop précoce. La plupart des praticiens que j'ai auditionnés ont insisté sur les précautions que nécessitait le recours au DSM (manuel américain diagnostique et statistique des troubles mentaux) et leur préférence pour la classification des troubles mentaux proposée par l'OMS ou celle élaborée en France. Les psychiatres français souhaitent préserver la spécificité de leur approche qui apparaît moins dangereuse pour les patients et plus respectueuse de leur autonomie.
J'en viens à la prise en charge psychiatrique en France et à ses besoins. Les pathologies relevant de la psychiatrie se situent au troisième rang des maladies les plus fréquentes, après le cancer et les maladies cardio-vasculaires. La Cour des comptes évalue à 107 milliards d'euros par an le coût économique et social des pathologies mentales. La rénovation de la prise en charge psychiatrique en France date de la circulaire du 15 mars 1960 qui a fondé le « secteur », selon des principes toujours actuels. La Cour des comptes les résume de la façon suivante : « proximité, continuité et cohérence des soins, prévention, réinsertion, non-stigmatisation ». Le secteur psychiatrique compte environ 70 000 personnes et assure la coordination des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale pour lutter contre les maladies mentales.
La structuration des soins doit permettre la prise en charge la plus rapide possible et le mode ambulatoire, privilégié, concerne 86 % des malades. Viennent ensuite les alternatives à l'hospitalisation à temps partiel ou complet puis, pour les cas les plus graves ou les crises aigües, l'hospitalisation à temps complet avec ou sans consentement. De plus, le soin des malades aux plus près de leur lieu de vie est encouragé. Enfin, des équipes mobiles se rendent au contact des populations les plus fragiles.
Il convient de donner au système actuel les moyens de fonctionner. D'après la Cour des comptes, lors de la mise en place du plan psychiatrie et santé mentale en 2005, 80 % des bâtiments consacrés à la prise en charge psychiatrique avaient bénéficié de rénovations, mais moins d'un quart des chambres disposait d'une douche et des toilettes, et les services techniques étaient insatisfaisants dans 86 % des cas. Un programme d'investissements de 1,8 milliard d'euros d'ici 2017 a donc été lancé. Le plan hôpital 2007 avait prévu 600 millions d'investissements dans les établissements psychiatriques.
La mission commune d'information sur l'incarcération des personnes atteintes de troubles mentaux, conduite avec la commission des lois et à laquelle participaient nos collègues Christiane Demontès et Gilbert Barbier, s'est inquiétée de certaines innovations, comme les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), destinées à permettre l'hospitalisation sous contrainte des détenus atteints de troubles psychiatriques. La Cour des comptes a souligné le financement parfois prématuré de ces structures particulièrement coûteuses en raison des impératifs de sécurité. Il apparaît néanmoins que l'implication des équipes justifie la création de ces structures pour remédier au traitement des détenus en situation de décompensation et trop souvent soumis à l'hôpital à des mesures de coercition que ne justifient pas leur pathologie.
Le défaut principal du système actuel tient à l'accent mis sur l'hospitalisation qui compte 19 millions d'actes par an contre 18 millions pour la prise en charge ambulatoire. Le nombre des actes n'est pas toujours lié à la situation du malade, mais à l'absence de mode de prise en charge alternatif, spécialement médico-social, comme l'a souligné la FNaPsy, principale association de malades, lors de son audition. Cette situation entraîne des investissements en personnel et en moyens trop importants dans les structures hospitalières, au détriment des alternatives à l'hospitalisation.
Le manque de psychiatres de ville sur le territoire est préoccupant. La Cour des comptes relève qu'entre 2000 et 2010, malgré l'augmentation du nombre de postes ouverts à l'internat, les écarts de densité pour 100 000 habitants se sont creusés. Mis à part Paris (67 libéraux pour 100 000 habitants), les déséquilibres vont du simple au décuple entre la Gironde (21) et les Bouches-du-Rhône (20) et l'Eure ou la Vendée (2), tandis que la Guyane n'a aucun psychiatre libéral. La Cour des comptes a démontré que ce sont parfois des médecins généralistes qui sont recrutés sur les postes ouverts, certains services fonctionnant ainsi quasi exclusivement avec des omnipraticiens.
La Cour des comptes et l'Igas ont relevé que des praticiens hospitaliers étaient parfois pris par des missions de service public comme l'expertise mais elles ont aussi dénoncé des dérives : une inspection de l'Igas dans un établissement des Alpes-Maritimes a ainsi révélé que la présence effective des psychiatres n'atteignait pas 50 % des effectifs prévus dans les services. Le manque de temps disponible de psychiatres a des conséquences directes sur le soin, les personnels non médicaux étant laissés sans encadrement et les patients sans accès aux médecins. « Trois facteurs au moins augmentent le risque de fugue ou de violence au cours d'un séjour dans une unité d'hospitalisation. Tout d'abord, le confinement dans des espaces étroits de personnes de tous âges présentant des pathologies et des origines diverses, certaines délirantes et en crise aiguë et d'autres proches de la sortie, crée d'inévitables tensions. Par la suite, la négation de la vie privée qui se traduit par des chambres communes, parfois le port obligatoire du pyjama en journée, le repas systématiquement pris en commun, la chaîne de télévision imposée, et l'absence quasi totale de distractions les aggravent encore. Enfin, l'utilisation abusive des chambres d'isolement (accentué parfois par l'emploi des méthodes de contention) éloignée de toute bonne pratique et presque systématiquement pour les détenus et les malades difficiles, peut rendre la tentative de fugue ou d'agression hautement prévisible ».
Des pratiques excessives sont aussi relevées en psychiatrie libérale. D'après l'assurance maladie, les trois psychiatres libéraux les plus actifs d'une région que la Cour des comptes ne nomme pas ont effectué soixante-trois consultations par jour ouvré en moyenne en 2009 contre une moyenne nationale de 11,5.
Mme Catherine Deroche. - Ce sont des consultations de groupe !
M. Alain Milon, rapporteur. - L'existence de dérives nourrit le discours antipsychiatrique, voire sectaire : la commission des citoyens pour les droits de l'homme, affiliée à la Scientologie, affirme ainsi que la psychiatrie est un danger pour la société.
Il est facile de remédier à ces dérives, heureusement circonscrites. La meilleure protection des droits des malades comme de la sécurité du personnel, repose avant tout sur le projet thérapeutique de l'équipe soignante. L'Igas donne l'exemple du centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers, où la circulation des malades est libre alors que le taux d'incidents y est plus faible que dans d'autres établissements. Chaque malade est pris en charge dans un programme d'activités thérapeutiques et de loisirs qui ne le laisse pas seul face à ses troubles. De telles pratiques devraient être généralisées.
Une meilleure gestion des établissements est nécessaire pour mettre fin aux abus. Une association administrative plus étroite avec les établissements généraux devrait également être envisagée pour que le dialogue social puisse reposer sur des comparaisons avec les autres services de médecine.
Surtout, il importe d'associer les familles et les associations d'usagers à la vie des services de psychiatrie, afin de faire mieux accepter les traitements et d'assurer un regard extérieur sur les pratiques. J'ai pu mesurer, lors de l'audition des associations de familles, dont le Collectif national des victimes de la psychiatrie, la douleur due à l'absence de dialogue avec les soignants. Un conseil regroupant représentants des familles et des malades devrait être créé dans chaque établissement et informé des choix administratifs et des stratégies médicales globales. Le dialogue entre les soignants et les proches du malade doit également être renforcé ne serait-ce que parce que l'entourage prendra en charge le patient lors de la sortie de l'hospitalisation.
La réforme de la psychiatrie ne se fera pas de l'extérieur ou contre la psychiatrie mais à partir et avec les soignants.
Après avoir hésité, j'estime qu'il faut intégrer la lutte contre les troubles mentaux à la prochaine loi de santé publique, pour deux raisons. L'une est d'opportunité. Nous avons trop attendu pour nous permettre de laisser passer un véhicule législatif adapté. Peu de mesures législatives sont nécessaires mais elles doivent être prises rapidement. L'autre est de fond. La psychiatrie a plus souffert que bénéficié de son isolement par rapport aux autres spécialités médicales. De nombreux professionnels ont insisté en audition sur le fait que les critères d'évaluation de la psychiatrie ne sont pas différents de ceux qui s'appliquent à la recherche et à l'activité des autres disciplines. Intégrer la prise en charge des pathologies mentales à la loi de santé publique soutiendrait l'action des professionnels les plus dynamiques.
Il faut, en deuxième lieu, organiser une concertation avec les praticiens et les associations représentant les malades et leur famille pour que la prochaine loi sur l'accès aux soins comporte des choix clairs et acceptables sur l'avenir du secteur. L'absence de fondement juridique du secteur psychiatrique n'est plus tenable et seule une solution concertée permettra d'y remédier.
Troisièmement, un programme de développement des réseaux de soins en psychiatrie devrait être élaboré. Que ce soit en matière de recherche ou de prise en charge, ces réseaux sont très innovants mais ils ont du mal à mobiliser des ressources. Une action déterminée de la direction générale de l'offre de soins améliorerait la prise en charge sur le terrain.
Je propose, en quatrième lieu, de mettre en place des case managers non-médecins chargés du suivi d'un patient afin de surmonter les cloisonnements entre hôpital et ville, médecine et médico-social, qui engorgent le système et font peser sur les malades et leur entourage un poids démesuré.
Comme je l'ai déjà dit, il faudrait aussi intégrer un conseil des familles et des usagers à l'organisation des établissements psychiatriques.
En sixième lieu, il conviendrait de fixer avec la Haute Autorité de santé (HAS) un calendrier de réunions de consensus pour élaborer des recommandations de bonnes pratiques. Face à des écarts de prise en charge de plus en plus mal compris par les malades et les familles, ces recommandations éviteraient les polémiques et favoriserait les bonnes pratiques.
Je propose aussi la prise en charge somatique des personnes atteintes de troubles mentaux. Ce point essentiel milite pour l'inscription de la psychiatrie dans la loi de santé publique. L'espérance de vie des personnes atteintes de tels troubles est inférieure de vingt ans à celle de la population générale en raison des nombreuses comorbidités et des effets secondaires des traitements. Un suivi spécifique doit donc être effectué. Dans ce cadre, il faut lutter contre les addictions comme le tabac, toléré dans les hôpitaux psychiatriques, et les drogues illégales, qui circulent dans de nombreux établissements. De plus, comme le souligne Mme Fagot-Largeault, « la dépression n'empêche pas d'avoir une insuffisance cardiaque ; on rate trop de diagnostics masqués par un état psychiatrique ». Le patient en psychiatrie doit être suivi par une équipe pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire. Pour la FNaPsy, très attachée à cette idée d'une prise en charge globale, l'état de santé dégradé des personnes souffrant de troubles mentaux est en partie lié à la difficulté d'accès de ces malades à la médecine générale de ville. Des consultations somatiques pourraient donc être conduites dans les établissements psychiatriques. Le développement de services de psychiatrie dans les hôpitaux généraux depuis les années 1970 favorise la prise en charge complète des patients. Pourtant, seuls 40 % des établissements psychiatriques d'Ile-de-France pourraient assurer la prise en charge somatique des patients. Pourquoi ne pas constituer des services de médecine générale au sein de ces établissements ? La FNaPsy suggère la mise en place de maisons de santé ouvertes à l'ensemble de la population en périphérie des établissements psychiatriques.
L'interaction entre le somatique et les troubles psychiatriques est mal connue. Le déficit en vitamine D, récemment établi par les chercheurs, des patients hospitalisés pour troubles mentaux est un exemple de cas où examens somatiques et prise en charge psychiatrique doivent interagir. En Allemagne et en Autriche, la psychosomatique est une discipline à part entière tournée vers l'étude et la prise en charge des pathologies mentales. Une analyse plus détaillée de ces pratiques permettrait d'améliorer les soins en France.
Il conviendrait de garantir un tronc commun de la spécialisation en psychiatrie. La régionalisation des spécialisations en psychiatrie renforce le poids des chefs de services de CHU. Les étudiants en psychiatrie veulent pouvoir librement déterminer leur formation. Il importe cependant qu'ils soient formés à tous les types de prise en charge. Je regrette que l'idée de porter de trois à cinq ans la formation générale en psychiatrie ait été abandonnée et que la création de deux nouveaux diplômes d'études spécialisées soit encore en projet.
Enfin, sur le modèle de l'Institut national du cancer, il faudrait qu'une agence centrale finance les projets de recherche en psychiatrie qui ne représentent que 2,4 % des publications mondiales. Cette situation est en partie liée aux refus de certaines équipes de soumettre leur démarche aux critères d'évaluation des grandes revues internationales, mais elle est surtout due à la sous-dotation persistante de la recherche en psychiatrie qui ne reçoit que 3 % des crédits publics de recherche en santé. Malgré la faiblesse du financement, les publications françaises font référence dans plusieurs domaines, notamment l'autisme.
L'absence de financement de la recherche épidémiologique est la cause du manque de connaissances précises sur les prévalences, les facteurs de risques et même les modalités de prise en charge et leur efficacité.
Comme le dit Marie-Odile Krebs, la recherche en psychiatrie comporte des spécificités : « la recherche en psychiatrie est plus que pour tout autre spécialité nécessairement (i) intégrative : manifestement multifactorielles, les maladies s'expriment par des comportements complexes et seules des approches multi-niveaux (du moléculaire au niveau le plus intégré, individuel et sociétal) permettront de progresser et (ii) translationnelle, pour faciliter le transfert entre la recherche fondamentale - recherche « clinique » : seul espoir d'aboutir à l'innovation thérapeutique et diagnostique, et faciliter le transfert entre la recherche et la pratique clinique : pour améliorer les procédures diagnostiques et thérapeutiques ».
De nouvelles perspectives de diagnostic et de soins s'ouvrent à la psychiatrie. En neuropsychiatrie et en biologie, la recherche de bio-marqueurs permettrait de détecter les fragilités des individus avant l'apparition de symptôme et de mettre en place un suivi pour prévenir le développement de la maladie. La recherche sur les thérapies cognitives pourrait également apporter des évolutions bénéfiques à la prise en charge des malades étant donné les premiers résultats positifs obtenus aux Etats-Unis. Il importe de ne pas mener un seul type de recherche mais de faire progresser les connaissances dans tous les domaines. Le réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapeutiques, labellisé par l'Inserm, se fixe parmi ses objectifs de « développer une collaboration soutenue entre chercheurs et cliniciens en centrant la recherche évaluative sur des questions cliniques favorisant l'amélioration des pratiques ».
La création d'une instance alliant recherche et soins sur le modèle de l'Institut national du cancer permettrait aux projets innovants d'obtenir les crédits dont ils ont besoin tout en garantissant l'efficacité des sommes allouées.
Il faudrait aussi renforcer la formation continue des pédiatres et des médecins généralistes pour prendre en charge les dépressions et détecter les troubles psychiatriques.
Je propose enfin de mettre en place un observatoire des suicides rattaché à l'Institut de veille sanitaire. D'après une étude de la Drees de septembre 2012, la tendance suicidaire est une problématique importante : au cours des cinq dernières années, 80 % des médecins généralistes ont été confrontés à la tentative de suicide et près de la moitié à un suicide. Le rôle des généralistes dans ce domaine est donc essentiel. L'OMS mène depuis plusieurs années des campagnes de prévention et souligne la situation particulièrement préoccupante en Europe. Des bonnes pratiques existent, comme en Suède, qui reposent sur une meilleure formation des médecins généralistes. Le colloque sur la mortalité due à la crise organisé par France Prévention Suicide et Technologia le 11 février au Sénat a permis de souligner le manque de données épidémiologiques fiables sur les suicides qui sont pourtant nécessaires pour leur prévention.
Ces quelques propositions pourraient améliorer la situation de la psychiatrie et donc celle des malades à l'occasion de la discussion du prochain projet de loi qui nous sera soumis, quel qu'il soit.
Mme Annie David, présidente. - Merci pour ce rapport complet et fort intéressant. La mission que nous envisageons au Canada nous permettra de nous faire une idée précise sur l'observatoire du suicide que vous nous proposez de créer.
Je suis favorable, pour ma part, à l'intégration dans la loi sur la santé publique de la partie relative à la santé mentale.
Lors du colloque du 6 décembre sur l'autisme, j'ai réalisé combien la psychiatrie était mal perçue et qu'il fallait améliorer son image. Beaucoup reste donc à faire pour lui redonner toute sa place dans le domaine de la santé.
Mme Samia Ghali. - Merci pour ce rapport complet et réaliste, qui provoque la réflexion, même si certaines remarques font froid dans le dos.
Vous avez donné les proportions de psychiatres pour 100 000 habitants dans divers départements. Dans mon secteur, il n'y a aucun psychiatre et aucun pédopsychiatre ! Que répondre aux malades, aux familles qui veulent des réponses immédiates ? Elles se tournent le plus souvent vers les généralistes qui ne sont pas formés et l'état des malades se détériore inexorablement. Il n'y a rien de pire pour une famille que d'être laissée seule, face à un destin souvent catastrophique.
Il faut parler des prisons. Nombre de détenus libérés font des tentatives de suicide car, durant leur détention, ils ont été mis sous médicaments pour supporter les conditions de vie, et lorsqu'ils sortent, leur traitement est interrompu.
M. Claude Jeannerot. - Merci pour cet exposé qui m'a beaucoup appris.
Lorsque vous évoquez les positions prises par la « psychiatrie française », cette expression a-t-elle du sens ? J'ai plutôt le sentiment que cette discipline se caractérise par la diversité de ses positions et par les nombreuses écoles qui s'opposent les unes aux autres.
Dans votre rapport, vous dites que les psychiatres n'ont pas vocation à traiter le mal-être social. Il me semble pourtant que le lien entre ce mal-être et les troubles mentaux est important, en termes de prévention. La réalité sociale est source de pathologies.
Certains estiment que la réforme de la profession d'infirmiers en psychiatrie n'a pas eu d'incidence positive sur l'évolution du secteur hospitalier. Qu'en pensez-vous ?
Mme Christiane Demontès. - Merci pour la qualité de votre rapport, Monsieur Milon.
Je rejoins les remarques de Mme Ghali sur les inégalités territoriales : les Français ne sont pas lotis de la même manière en matière psychiatrique selon qu'ils habitent en Ile-de-France ou dans d'autres territoires, urbains ou ruraux, d'ailleurs.
Nous devrons aussi faire porter nos efforts sur les soins ambulatoires. La grande réforme de la psychiatrie qui a eu lieu il y a déjà plusieurs années a fait sortir les malades du tout hôpital, mais les soins ambulatoires n'ont pas suivi. La psychiatrie de secteur s'organise autour d'un hôpital, mais il n'y a pas de services dans ces territoires pour accompagner les malades stabilisés par les médicaments. Or, quand un malade sort de l'hôpital, il se croit le plus souvent guéri.
La psychiatrie est une spécialité médicale, mais pas un secteur à part. Il est donc logique que nous traitions de cette spécialité dans la loi de santé publique.
Nous avons publié, sous les auspices des commissions des affaires sociales et des lois, un rapport sur les troubles psychiatriques et la prison, qui m'a beaucoup bousculée. Comme l'a dit Mme Ghali, certains détenus ne vont pas bien lorsqu'ils sortent de prison, mais c'est souvent le cas aussi lorsque des personnes sont incarcérées. Il n'est pas rare que des détenus ne comprennent pas la raison de leur emprisonnement. Nous avions présenté des préconisations et une proposition de loi sur l'altération du discernement avait été déposée. Les médecins et les juges s'accordent à dire qu'il y a des personnes en prison qui ne devraient pas s'y trouver mais qui ne peuvent être placées en hôpital psychiatrique, faute de place. C'est terrible.
La remarque de M. Jeannerot sur les infirmiers en psychiatrie est importante : plus personne ne demande à revenir à la formation totalement spécifique, mais il faut créer, comme pour les blocs opératoires, une spécialité en psychiatrie.
Mme Laurence Cohen. - Merci pour ce rapport complet.
Une perspective historique serait utile. Pendant des siècles, les malades étaient enfermés à vie...
Mme Muguette Dini. - Au XIXe siècle.
Mme Laurence Cohen. - Ensuite, l'ouverture vers la société a été privilégiée mais, ces dernières années, un mouvement inverse s'est amorcé et nous avons le sentiment que la société ne veut plus voir ces malades.
Depuis des années, la psychiatrie est le parent pauvre du secteur médical. En tant que rapporteure de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), j'ai visité des prisons et j'ai dialogué avec le personnel pénitentiaire qui reconnait que bon nombre de détenus, qui n'ont pas leur place en prison, sont assommés de médicaments. Il est donc urgent de parler des moyens financiers et humains nécessaires au bon fonctionnement de la psychiatrie. Il est d'ailleurs frappant de constater que tous ceux qui travaillent dans le secteur psychiatrique se sentent abandonnés, dévalorisés, mésestimés.
Comme vous, j'estime que les familles doivent participer aux décisions de soin, ce qui permettrait aussi d'éviter la dévalorisation sociale de la psychiatrie.
Que voulez-vous dire, Monsieur le Rapporteur, lorsque vous parlez d'absence de fondement juridique du secteur psychiatrique ?
Peut-être faudrait-il aussi en dire un peu plus lorsque vous évoquez la lutte contre les addictions, à savoir le tabac et les drogues illégales qui circulent dans les hôpitaux.
Enfin, j'avoue ne pas comprendre la nécessité de mentionner, comme vous le faites, le lien que vous semblez établir entre carences en vitamine D et troubles mentaux, qui mériterait d'être explicitée.
M. Alain Milon, rapporteur. - Cette incise sur la vitamine D rend compte d'une recherche française menée dans le cadre du réseau FondaMental par sa présidente, le professeur Marion Leboyer, spécialiste de recherche génétique et psychiatrique, qui s'inscrit dans la prise en charge par la recherche de la globalité de la maladie psychiatrique. Quand un malade bipolaire ou schizophrène est soigné en psychiatrie, trop souvent, il ne subit ni test sanguin, ni recherche d'une insuffisance cardiaque ou d'une anomalie hormonale, ni exploration d'une autre maladie associée. Le réseau FondaMental mène systématiquement ces investigations, et c'est ainsi qu'elle a constaté un déficit considérable de vitamine D chez les schizophrènes, cause ou conséquence de leur maladie, on ne sait, mais il y a là une voie de recherche. Il est nécessaire de prendre en charge le patient dans sa globalité, et j'y reviendrai dans mon rapport écrit.
Mme Muguette Dini. - Votre rapport, impressionnant, précis, complet, répond de manière globale aux enjeux. Vous soulignez à juste titre la nécessité de prévoir des services généralistes au sein des hôpitaux spécialisés, faute de quoi ceux-ci renvoient leurs patients à un autre hôpital distant.
Oui, il faut une spécialité infirmière psychiatrique, comme il en existe déjà dans d'autres disciplines médicales.
Vous insistez justement sur les nécessaires rapports entre les équipes soignantes et les familles. Il est de plus en plus difficile pour elles d'obtenir des renseignements sur les malades si ceux-ci n'y ont pas consenti. Il y a là de nouvelles relations avec les familles à consolider.
M. Jacky Le Menn. - Votre travail est excellent. Une spécialisation infirmière ne remet nullement en cause l'avancée que représente le diplôme d'Etat polyvalent. La recherche d'une définition claire, pour dissiper toute confusion, est l'un des points forts de votre rapport. Je suis d'accord avec vous, la santé mentale doit prendre sa place dans une loi de santé publique et non dans un texte spécifique.
Nous manquons non seulement de personnel, mais surtout de médecins. Vous faites justement référence à la complexité de certaines pathologies, pour lesquelles la présence de médecins est indispensable. Or le personnel paramédical est trop souvent laissé seul face à ces malades, comme j'ai pu le constater en présidant des conseils de discipline. Cela explique certaines dérives que vous mentionnez, comme la circulation de drogues illicites. Les infirmiers doivent fréquemment se débrouiller seuls, sans médecin à proximité, face à des pathologies extrêmement complexes.
Lors de la sectorisation, on a supprimé les structures asilaires, pour mettre en place des unités de courte durée, et très peu d'unités de longue durée, auprès des hôpitaux généraux. Ce fut une véritable foire d'empoigne : faute de médecins volontaires pour aller dans certains endroits, faute de relais dans le secteur libéral, nous n'avons pu organiser les complémentarités. Je pourrais encore beaucoup en dire sur la pédopsychiatrie, où j'ai connu bien des dérives...
Mme Gisèle Printz. - Je me joins aux remerciements de mes collègues : votre rapport est très compréhensible. Mais peut-on guérir de ces maladies ? Je suis un peu dubitative, y ayant été confrontée, le suicide m'ayant été présenté comme un aboutissement, hélas, normal.
Mme Michelle Meunier. - Tout ce que vous avez dit sur la prise en charge psychiatrique peut s'étendre à la pédopsychiatrie. Les services de protection de l'enfance accueillent beaucoup d'enfants ou d'adolescents présentant des troubles de la personnalité, qui ont besoin de soins. Or les inégalités territoriales sont encore plus criantes en pédopsychiatrie. Ainsi le secteur de Loire-Atlantique ne compte que douze lits pour 300 000 habitants ! Résultat : de jeunes adolescents n'ont d'autre choix que d'être pris en charge dans des services destinés aux adultes, avec toutes les difficultés que cela entraîne.
Votre proposition n° 4 sur les case managers est très intéressante. Comment peuvent collaborer les professionnels de santé et leurs collègues des services médico-sociaux ? C'est assurément l'une des clés de la réussite, voire de la guérison, mais les professionnels ont du mal à travailler en transversalité.
M. Yves Daudigny. - J'ajoute mes félicitations à celles qui vous ont été prodiguées. Je rejoins l'ensemble de vos propositions.
Que pensez-vous de la récente condamnation d'une psychiatre à un an de prison avec sursis ? La judiciarisation menace-t-elle la psychiatrie, à l'instar d'autres spécialités ?
Vos observations sur l'absence de prise en charge globale des patients en psychiatrie ne pointent-elles pas une insuffisance générale, touchant l'ensemble des disciplines médicales ? Un patient atteint d'une cardiopathie ne souffre-t-il pas, lui aussi, d'une prise en charge trop spécialisée ?
M. Bernard Cazeau. - La psychiatrie est un sujet très particulier, parce qu'elle touche un organe très mal connu, même si l'on a fait beaucoup de progrès dans son exploration, le cerveau. Vous vous êtes efforcé de clarifier des enjeux extrêmement complexes.
Entre les grandes maladies psychiatriques et les petites névroses réactionnelles, il y a beaucoup d'espace. Les unes requièrent une prise en charge en milieu hospitalier fermé, les autres forment le lot habituel des médecins généralistes. On se plaint du manque de psychiatres, mais trois quarts des affections psychiatriques sont réactionnelles et concernent les généralistes. Ceux-ci s'en désintéressent peut-être, mais ne sont pas mal formés. Quand trente personnes attendent dans leur cabinet, il leur est difficile de consacrer aux malades psychiatriques le temps nécessaire, car l'investigation et le traitement des maladies psychiatriques nécessitent plus de temps que le suivi d'une artériosclérose.
La formation des psychiatres était excellente autrefois : elle reposait sur l'internat des hôpitaux psychiatriques, proposé aux étudiants en médecine de sixième année, qui y voyaient une occasion d'être payés. Naissaient ainsi de nombreuses vocations. Ce système a disparu et on forme moins de psychiatres, d'autant qu'il s'agit de l'une des spécialités les moins rémunératrices. De ce point de vue, mieux vaut être ophtalmologiste que psychiatre !
Non, les infirmiers en psychiatrie ne sont pas mal formés : ce sont eux qui tissent les liens nécessaires entre milieu fermé et milieu ouvert, en assurant le suivi des traitements des malades qui sortent d'hôpitaux psychiatriques, en milieu urbain comme en milieu rural. En revanche, nous en manquons.
Il faut décentraliser la psychiatrie. Si les grandes maladies mentales ne peuvent être traitées qu'à l'hôpital, en milieu fermé, les médecins généralistes devraient néanmoins recevoir une petite spécialisation en psychiatrie.
Lorsque j'étais externe en psychiatrie, je croisais souvent des malades que j'avais traités en journée, dans le car du soir qui me ramenait à Bordeaux. La camisole chimique des années 1950 a permis à beaucoup de gens de mener une vie presque normale, mais il fallait qu'ils suivent leur traitement. Sinon, le pire était à redouter, et c'est sans doute ce qui s'est passé aux États-Unis.
Ce sujet est très vaste et tout se joue dans l'interface entre milieu fermé et milieu ouvert.
M. Gérard Roche. - Le rapport est dense et de qualité. Le moindre de ses mérites n'est pas de redonner ses lettres de noblesse à la psychiatrie, après les dérives postfreudiennes et New Age, qui ont ouvert la voie notamment à des tentatives sectaires, que vous connaissez bien.
Tout le monde souffre d'un désarroi. En premier lieu, les psychiatres, qui ne sont pas assez nombreux, au point que l'on fait venir des médecins étrangers qui ne maîtrisent même pas la langue ; songez aux patients et aux familles ! Si les psychiatres ne sont pas assez nombreux, ce n'est pas seulement pour des raisons financières. Lorsque nous faisions notre médecine, il ne nous serait pas venu à l'esprit de manifester pour défendre les dépassements d'honoraires ! Nous avions d'autres motivations ! La psychiatrie classique a pâti de son discrédit.
Le désarroi touche aussi les patients, les familles, la société dans son ensemble. Vous avez évoqué les personnes incarcérées, souffrant de troubles crypto-psychiatriques. De nombreuses situations psychiatriques ne sont pas diagnostiquées. Le déni des symptômes caractérise certaines maladies.
Le désarroi gagne les territoires, en raison de l'hétérogénéité des prises en charge. Les secteurs créés dans les années soixante-dix restent virtuels, faute de personnel.
Votre rapport présente l'avantage de donner des définitions, en plaçant le trouble mental au coeur de la psychiatrie, rappelant que les maladies psychiatriques sont bien des pathologies. Les psychoses doivent être prises en charge à l'hôpital, mais nécessitent aussi un suivi, de même que les pathologies cardiaques sont prises en charge à l'hôpital en phase aigüe, puis suivie dans des structures d'accueil transitoires en phase de convalescence et enfin au domicile des patients par leur médecin habituel.
C'est pourquoi les médecins généralistes doivent bénéficier d'une formation à l'urgence, à la pédiatrie et à la psychiatrie.
J'ajoute enfin que dans les départements, dans nos maisons de la petite enfance, nous constatons les carences de la prise en charge pédopsychiatrique, qui sont extrêmement lourdes de conséquences.
M. Jean Desessard. - Votre rapport a été salué par tous. Quelles seront ses suites ? Quelles chances a-t-il d'être pris en considération et de voir ses propositions retenues dans le projet de loi sur la santé publique ? S'il y a un vote, l'ensemble des groupes politiques devrait soutenir votre rapport, afin que ce soit le cas.
M. Georges Labazée. - Je salue à mon tour votre travail et rends hommage à notre présidente pour avoir accueilli au Sénat le colloque sur l'autisme le 6 décembre, sujet ô combien difficile. Longtemps, l'autisme fut considéré comme une maladie psychique, avant d'être reconnu comme un handicap. Il serait bon que vous le mentionniez dans votre rapport qui sera, je l'espère, largement diffusé pour déboucher sur des mesures concrètes.
Mme Isabelle Pasquet. - Je vous félicite de ce rapport très riche. Il n'évoque toutefois pas la psychiatrie sécuritaire. Nous souhaiterions revenir sur la loi de 2011, sur l'internement des personnes interpellées pour trouble à l'ordre public, quel qu'il soit. Nous voudrions également que le droit des patients de contester les décisions d'internement prises à leur encontre soit réaffirmé.
Vous parlez peu de la T2A, qui ne me paraît pas du tout appropriée à la psychiatrie. Cette volonté de rentabilité est particulièrement déplacée.
M. Alain Milon, rapporteur. - Merci pour vos remarques. Samia Ghali a parlé de désertification. Les inégalités portent sur la répartition et sur la formation des psychiatres. Malgré les ouvertures de postes, les étudiants en médecine s'en écartent, en raison des risques croissants de judiciarisation, qui touchent aussi la chirurgie. Je connais un spécialiste de greffe du foie, technique de pointe s'il en est ; ayant achevé son clinicat, il souhaite se réorienter vers la dermatologie pour ce motif. Il nous faut trouver des solutions. Présidents d'intercommunalités ou de conseils généraux, nous prenons en charge les frais de défense de nos fonctionnaires. Les médecins, bien que la médecine soit, encore, libérale, ne pourraient-ils pas être couverts de même par l'Etat ? Je pose la question, tant le problème devient grave. Les jeunes qui se lancent dans les études médicales subissent deux barrages : le numerus clausus, puis la judiciarisation.
Je ne me suis pas penché sur les prisons, compte tenu des travaux de fond, extrêmement forts, menés par Nicolas About, Christiane Demontès et Gilbert Barbier sur le sujet.
Pour répondre à Claude Jeannerot, je pense qu'il y a une nette différence entre la psychiatrie anglo-saxonne, exclusivement médicamenteuse, et la psychiatrie française, qui prescrit une approche personnalisée, comportant un volet psychanalytique et psychothérapeutique souvent important.
J'ai déjà rappelé ce matin que j'avais préconisé, dans un rapport de l'Opesct, la mise en place d'un diplôme d'infirmier psychiatrique, ce qui serait d'une importance considérable pour le suivi des malades et des soins. Les ministres de la santé successifs ont invariablement répondu que cela ferait passer les infirmiers concernés de la catégorie B à la catégorie A et ont refusé en alléguant le coût induit par une telle mesure. Peut-être la réponse de la nouvelle ministre sera-t-elle différente ?
M. Jean Desessard. - Vous répondez ainsi à ma question.
M. Alain Milon, rapporteur. - Tout à fait. La création d'un diplôme d'infirmier psychiatrique améliorerait les soins psychiatriques sur l'ensemble du territoire national.
Je suis d'accord avec Mme Demontès sur l'évolution des secteurs. Il faut considérer le malade dans sa globalité et le psychiatre comme un médecin exerçant une spécialité aux côtés d'autres collègues auxquels il doit s'adresser pour soigner les autres maladies de ses patients, ce qui n'est pas le cas.
Madame Cohen, si la psychiatrie peut être considérée comme le parent pauvre de la médecine, c'est aussi parce que les psychiatres eux-mêmes ont longtemps préféré s'isoler, travailler seuls dans leur coin, plutôt que de mettre en place des réseaux. Le secteur est une bonne chose, mais les psychiatres s'adressent rarement aux généralistes, cardiologues, neurologues de leur secteur. Cela évolue. Les réseaux se mettent en place, mais les psychiatres portent leur part de responsabilité dans cet isolement. La dissociation des neurologues et des psychiatres a peut-être été une erreur. Nous aurions dû conserver les neuropsychiatres, qui se seraient intéressés à la chimie du cerveau.
Oui, monsieur Cazeau, la psychiatrie traite des maladies du cerveau, mais c'est une notion récente puisqu'elle était censée traiter les maladies de l'être. La neuropsychiatrie offre des perspectives intéressantes.
Mme Gisèle Printz. - Autrefois, on disait qu'ils étaient fous...
M. Alain Milon, rapporteur. - Non, on ne guérit pas aujourd'hui les malades psychotiques, on les stabilise. Les chercheurs progressent sur la voie de la guérison, ils espèrent y arriver, mais quand ? Nous ne le savons pas. En tout cas, ils trouvent des résultats, à tous les niveaux et pourront un jour, à l'avenir, stabiliser complètement et définitivement les schizophrènes et les dépressifs.
Les conditions de financement de la recherche en psychiatrie s'améliorent. Celle-ci évolue de façon considérable actuellement, grâce aux réseaux qui se mettent en place sur le territoire national.
Oui, madame Meunier, il reste des manques en pédopsychiatrie. Le décloisonnement figurait dans le plan de santé mentale 2011-2015. Le case manager est une sorte d'assistante sociale. Il fait l'objet d'expérimentations de volontaires, qui travaillent à côté des psychiatres et des professionnels du secteur médico-social. Le problème, dans notre pays, tient à la séparation entre le médico-social, le sanitaire, la psychiatrie et la neurologie. Nous tentons aujourd'hui de décloisonner tout cela pour former une vision globale des patients, qui concerne aussi bien les malades somatiques que les personnes âgées qui souffrent de troubles mentaux. Le case manager a été mis en place à Sainte-Anne...
M. Claude Jeannerot. - Une très belle expérience est menée dans mon département, pour offrir une réponse intermédiaire entre l'hospitalisation et les soins ambulatoires, par l'association « Les Invités au festin » qui organise un accompagnement de nature à redonner une vie sociale aux malades.
M. Alain Milon, rapporteur. - Yves Daudigny pose la question des demandes des tribunaux qui explosent pour des expertises et des contre-expertises, réduisant d'autant le nombre de psychiatres présents dans les hôpitaux. Le cas que vous évoquez présente les inconvénients de la surmédiatisation. Si l'on s'en tient aux titres des journaux, une psychiatre condamnée pour n'avoir pas soigné convenablement un patient et rendue responsable de ce qu'il a fait par la suite, cela paraît scandaleux ; si l'on pousse plus loin l'analyse, beaucoup moins. Le patient en question avait été déclaré schizophrène à trois reprises par un collège de psychiatres, ce que la personne condamnée a refusé, en s'opposant chaque fois aux décisions de ce collège. Dès lors, la condamnation apparaît normale...
Mme Samia Ghali. - Tout à fait !
M. Alain Milon, rapporteur. - Il ne s'agit plus de droit à l'erreur, mais d'obstination.
M. Roche a évoqué à juste titre le désarroi des médecins et M. Labazée l'autisme, qui fait l'objet d'un paragraphe de mon rapport. Nous en avons discuté avec le professeur Olié. Comme pour l'Alzheimer, longtemps ces malades ont été vus par les psychiatres sous l'angle trop exclusif de la psychanalyse, alors que ce sont des maladies qui ont une expression psychiatrique.
Je n'ai pas participé au colloque sur l'autisme, mais je comprends que l'intervention de psychiatres fasse débat. Aujourd'hui, ils ont compris et font marche arrière, après avoir commis une erreur manifeste, la prise en charge de ces maladies neurologiques par la psychanalyse. Il faut comprendre les affres des parents, qui ont subi tout cela. La prise en charge psychanalytique des autistes a entraîné des catastrophes.
Madame Pasquet, soutenant la position de Mme Dini sur la loi de 2011, j'avais refusé d'en être le rapporteur et le gouvernement de l'époque avait repoussé mes amendements. Sur ce sujet, je ne suis pas loin de penser comme vous.
La T2A ne s'applique pas aux hôpitaux psychiatriques. D'éminents psychiatres, sans être demandeurs, souhaitent néanmoins un suivi tarifaire de leur activité.
Mme Annie David, présidente. - J'espère que cet excellent rapport sera suivi d'effets et nous ferons en sorte, avec les différents groupes, qu'il aboutisse à des mesures législatives.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Nomination d'un rapporteur
La commission désigne Mme Christiane Demontès en qualité de rapporteure pour le projet de loi n° 492 (AN - XIVe législature) portant création du contrat de génération.