Mardi 17 juillet 2012
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -Audition de M. François Houllier, candidat désigné aux fonctions de président de l'Institut national de la recherche agronomique
La commission procède tout d'abord à l'audition de M. François Houllier, en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
M. Daniel Raoul, président. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous allons procéder à l'audition de M. François Houllier, candidat aux fonctions de président de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Sa nomination par décret en Conseil des ministres ne peut intervenir qu'après l'audition du candidat devant les commissions compétentes du Parlement. Les modalités de cette audition publique et du vote ont été précisées par la loi organique et la loi ordinaire du 23 juillet 2010. Nous attendrons votre audition par l'Assemblée nationale pour dépouiller le vote, mardi 24 juillet en fin d'après-midi.
En application de l'article 13 de la Constitution, le président de la République ne pourrait procéder à cette nomination, si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquième des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Monsieur le délégué général, vous postulez à la succession de Marion Guillou, qui a exercé deux mandats à la tête de l'INRA. Vous en connaissez bien les rouages pour y avoir occupé diverses fonctions depuis 1998. Quel est votre projet stratégique pour le premier institut de recherche agronomique européen dans les domaines de l'agriculture, de l'alimentation et de l'environnement ? Il ne faudrait pas que cet établissement connaisse le même sort que l'INSERM ou le CNRS. Quelle part prenez-vous aux investissements d'avenir, quelle coopération entendez-vous développer avec les autres organismes de recherche et que pensez-vous des plantes génétiquement modifiées (PGM). Quel jugement portez-vous sur les « péripéties » de Colmar ? Les positions devront obligatoirement évoluer puisqu'il va falloir nourrir 9 milliards d'habitants et affronter l'impact des changements climatiques sur les productions agricoles.
M. François Houllier, candidat à la présidence de l'INRA. - Je suis très honoré que les deux ministres de tutelle aient proposé mon nom et que le Premier ministre envisage de le soumettre au président de la République. M'exprimer devant vous est également un honneur car le Sénat représente les territoires de notre pays, territoires dans lesquels l'INRA est profondément ancré, et cette audition constitue une première, la procédure s'appliquant pour la première fois à mon établissement.
C'est comme scientifique et administrateur de la recherche que je me présente à ce poste de haute responsabilité. La recherche et l'innovation ont un rôle déterminant à jouer dans une société de la connaissance ; de surcroît, les activités de l'INRA concernent un secteur majeur de l'économie française et, plus généralement, des domaines - l'alimentation, l'agriculture et l'environnement - essentiels pour l'avenir.
Quels sont les points forts de mon parcours ? Doctorant, puis partenaire extérieur, directeur d'une unité mixte de recherche, chef de département, directeur scientifique et, enfin, directeur général délégué, j'ai découvert différentes facettes de l'INRA. Ingénieur, enseignant-chercheur, chercheur, gestionnaire de la recherche, j'ai exercé en France et à l'étranger divers métiers aux ministères de l'agriculture et des affaires étrangères, avec des organismes de recherche, des universités et des écoles d'ingénieurs. J'ai travaillé avec de nombreux opérateurs français, européens ou internationaux. Mes activités ont porté sur la production, l'écologie et la biodiversité des forêts et sur la modélisation des plantes. Elles se sont élargies à d'autres domaines : en Inde, où j'ai eu la chance de diriger l'Institut français de Pondichéry, un institut pluridisciplinaire alliant écologie, géomatique, sciences humaines et sociales ; dans un cadre paneuropéen, lorsque j'ai présidé l'Institut forestier européen ; à l'INRA, comme directeur scientifique en charge du secteur des productions végétales, puis comme directeur général délégué supervisant son dispositif scientifique. J'ai alors porté une grande attention à la cohérence entres nos orientations scientifiques nationales et leur inscription territoriale. J'ai mis en place des groupements d'intérêt scientifique associant l'ensemble des acteurs publics et privés concernés, comme le GIS Biotechnologies vertes qui implique le CNRS, le Cirad, le CEA, l'IRD et l'INRA ainsi que des instituts techniques, des semenciers, des pôles de compétitivité et des entreprises de l'aval des filières végétales. J'ai aussi développé la programmation de l'INRA pour traiter de grands enjeux : l'adaptation de l'agriculture et de la forêt au changement climatique, la gestion intégrée et durable de la santé animale et de la santé des cultures, la sécurité alimentaire.
A cinquante trois ans, je me présente donc à vous, fort de cette expérience et de quelques convictions : j'ai le goût de la collaboration, entre disciplines, entre individus, entre partenaires ayant des missions et fonctions différentes mais des ambitions et des objectifs communs ; j'ai aussi le goût des allers-et-retours entre l'approfondissement des connaissances et leur transformation en applications concrètes. De plus, je m'intéresse à la coopération scientifique internationale, parce que l'exercice individuel de la recherche est par essence international, mais aussi parce que les défis adressés à la recherche agronomique sont globaux.
Si je recueille votre confiance, je mettrai cette expérience, ces compétences et ces convictions au service de l'INRA, à un moment où l'effort partagé et la solidarité nationale sont nécessaires, où les sciences de la vie ouvrent des perspectives remarquables, où l'on attend de la science qu'elle irrigue la formation et l'innovation, et de la recherche agronomique qu'elle contribue à l'émergence d'une bioéconomie.
La recherche agronomique est au coeur d'enjeux majeurs. Au XXIe siècle, nos sociétés doivent relever trois défis : assurer la sécurité alimentaire pour neuf milliards d'êtres humains, devenus majoritairement urbains ; préserver les ressources naturelles et l'environnement ; pallier la raréfaction et le renchérissement des ressources fossiles. L'interdépendance et la conjonction de ces trois défis en renforcent l'acuité et tous trois interpellent l'agriculture. Ils sont au coeur des enjeux du développement durable et d'une bioéconomie fondée sur les usages du carbone renouvelable, la connaissance des régulations écologiques et la conception de nouveaux systèmes agricoles et alimentaires. Les relever suppose de mobiliser une science qui soit à la fois excellente et pertinente, belle et utile.
Le domaine stratégique de la recherche agronomique est défini par un tripode : l'alimentation, condition première du bien-être des populations humaines et qui met en jeu un tissu d'industries agroalimentaires ; l'agriculture, qui recouvre un ensemble d'activités humaines, techniques et économiques, principalement dédiées à cette finalité alimentaire ; l'environnement, dont les ressources et milieux sont indispensables à l'agriculture et dont il convient de préserver la qualité et les fonctionnalités pour les générations futures. Ce domaine interagit avec d'autres : le climat, l'énergie, la chimie, la santé humaine, le développement périurbain. C'est cette vision de la recherche agronomique que j'entends promouvoir.
Le secteur agricole et agroalimentaire a un poids important dans l'économie et l'emploi : il est le premier secteur excédentaire de la balance commerciale nationale en 2011, mais c'est aussi un secteur fragile qui doit rester compétitif. L'agriculture et la sylviculture s'inscrivent dans les paysages et les territoires, ont une forte empreinte environnementale et rendent des services écologiques d'approvisionnement, de régulation, de support ainsi que culturels. L'INRA sera mobilisé pour élaborer de nouveaux modèles agricoles et de nouveaux systèmes alimentaires.
Par sa production scientifique, l'INRA est la deuxième institution de recherche mondiale en agronomie, la première en Europe. Depuis l'an 2000, l'Institut a accru le nombre de ses publications : plus de 3 800 en 2011 (+ 60% depuis 2000). Il a affirmé son leadership dans l'étude des flores du tube digestif et acquis une place privilégiée en Europe : il participe à 208 projets et coordonne ainsi l'initiative de programmation conjointe dédiée à la sécurité alimentaire et à l'adaptation de l'agriculture au changement climatique. Alors que l'on constate un regain mondial d'intérêt pour la recherche agronomique, qu'émergent de nouveaux acteurs scientifiques internationaux, en Chine, au Brésil ou en Turquie, et que des organismes plus académiques se réorientent dans cette direction en Grande-Bretagne ou en Allemagne, l'une de mes priorités sera de maintenir notre leadership.
Organisme public national, l'INRA est partie prenante du système national de recherche et d'innovation. Il dispose d'un patrimoine expérimental et d'infrastructures scientifiques dont la pérennité et le renouvellement sont essentiels. Avec son budget de près de 850 millions d'euros, ses 8 480 titulaires, ses 49 unités expérimentales et ses 200 unités de recherche, dont les deux tiers sont mixtes associant d'autres organismes, des universités, des écoles ou des instituts techniques, l'INRA est au coeur d'une communauté scientifique et technique qui accueille 1 800 étudiants et chercheurs étrangers et implique plus de 1 000 agents d'autres établissements. Je m'attacherai à faire vivre les missions nationales de l'Institut ainsi que son ancrage territorial.
Il incombe à l'INRA de produire des connaissances nouvelles au meilleur niveau, mais aussi de contribuer à l'innovation et à l'émergence de nouvelles ingénieries, d'éclairer les politiques publiques par la synthèse de connaissances et la prospective, d'assurer un vivier d'experts pour des agences dédiées, de participer à la formation et à la diffusion des connaissances, de s'engager dans les débats sociétaux. Je veillerai à ce que l'Institut continue à remplir pleinement ces missions.
Depuis 2004, son président directeur général assure à la fois son pilotage interne, la présidence du conseil d'administration et les relations avec la puissance publique et la société. Ses priorités ont été fixées par son contrat d'objectifs 2012-2016 sous-tendu par le document d'orientation 2010-2020.
Ma première ligne d'action concernera l'ingénierie de la production scientifique. Je souhaite améliorer la qualité et l'impact des productions de l'Institut, qu'elles soient académiques ou tournées vers les usagers de la recherche - c'est la clé de son leadership et du respect dont il bénéficie aujourd'hui.
Je garantirai les compétences de l'INRA, son aptitude à explorer de nouveaux domaines pour aller de la découverte jusqu'aux aux applications. Je développerai sa capacité de programmation sur les grands enjeux scientifiques, technologiques, économiques, sociaux ou environnementaux. Je prolongerai les grands programmes en y associant davantage nos partenaires. Je consoliderai les infrastructures scientifiques collectives de l'Institut qui fondent son originalité, son efficacité et son attractivité. Je veillerai à la mise en place des deux démonstrateurs préindustriels (tube digestif, biotechnologies blanches) et des infrastructures nationales sélectionnées dans le cadre des investissements d'avenir que vous avez évoqués.
Ma deuxième ligne d'action consistera à promouvoir la recherche agronomique dans différents écosystèmes : un organisme public de recherche finalisée se définit aussi par ses partenariats. Accroître l'efficacité et le rayonnement de la recherche agronomique dans les écosystèmes de recherche et d'innovation, aux échelles locale, nationale et internationale constitue un enjeu majeur.
Tout en maintenant son engagement en Europe, je poursuivrai l'internationalisation de l'INRA en prenant appui sur les grands programmes et la montée en puissance d'Agreenium, consortium de recherche et de formation agronomique et vétérinaire tourné vers l'international et qui rassemble le Cirad, l'INRA et plusieurs écoles d'ingénieurs, en privilégiant les collaborations avec les grands opérateurs de l'Institut et dans certaines régions du monde, notamment la Méditerranée ; en amplifiant l'implication de l'INRA dans des initiatives de grande portée, à l'image de ce qui a déjà été fait dans le cadre de l'alliance globale de recherche sur les gaz à effet de serre en agriculture, ou de la Wheat Initiative, lancée par le G20 et coordonnée par l'Institut en lien avec le BBSRC, son homologue britannique, et le CIMMYT.
J'impliquerai aussi l'INRA afin de structurer le système national de recherche et d'innovation : il contribuera aux alliances nationales de recherche, tout particulièrement à AllEnvi, dédié à la recherche environnementale. Je souhaite développer une politique territoriale, respectueuse des missions des uns et des autres.
Enfin, l'Institut continuera à jouer son double rôle de pionnier et de garde-fou avec tous les acteurs des filières, des territoires et du développement agricoles - instituts techniques, coopératives, chambres d'agriculture - et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). Nous prendrons appui sur des instruments existants, sur les trois instituts Carnot récemment créés et sur le consortium de valorisation thématique d'AllEnvi. La collaboration avec l'INRA doit être un facteur de compétitivité pour ses partenaires. Avec nos concitoyens engagés dans, le secteur associatif de la consommation et de la protection de l'environnement, je développerai les sciences participatives afin de les impliquer davantage à nos travaux.
Je privilégierai les contacts directs, le respect mutuel, le dialogue, la solidarité collective dans la mise en oeuvre des choix et des décisions. Je tirerai parti des idées et des initiatives individuelles, je favoriserai les formes collégiales de gouvernance et veillerai à simplifier le fonctionnement de l'INRA, afin de garantir la cohérence et la mobilisation de la communauté de travail dans un contexte exigeant où la cohésion est un facteur de réussite. Il est nécessaire de moderniser notre gestion pour que les ressources contractuelles contribuent à financer la dimension collective de nos activités.
L'INRA doit donner aux Français l'envie de comprendre la science, à ses partenaires l'envie de collaborer, et aux techniciens, ingénieurs et chercheurs l'envie de rejoindre l'Institut.
Voilà la vision de la recherche agronomique, des missions et de la place de l'INRA que je me propose de porter dans le cadre des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, et tels sont mes engagements, si je suis nommé à la tête de l'INRA.
Mme Renée Nicoux. - Merci pour cette présentation complète et intéressante. Comment concilier recherche sur les PGM et maintien de la biodiversité ? Je pense tout particulièrement aux abeilles. Comment rendre plus accessibles les travaux de l'INRA ? Les Français souhaitent être éclairés.
M. Pierre Hérisson. - Les agences de l'eau présentent le dixième programme aux comités de bassin. L'agence Rhône-Méditerranée et Corse dispose de 3,6 milliards d'euros pour le programme 2013-2017, dont - c'est du jamais vu - un milliard pour la protection des milieux aquatiques. Cependant, à Thonon-les-Bains, on s'inquiète d'une possible réduction des crédits. Pouvons-nous compter sur votre soutien si de nouvelles ponctions sur les unités de recherche étaient envisagées ?
M. Daniel Raoul, président. - Vous craignez une récidive ?
M. Claude Bérit-Débat. - Vous voulez développer une politique plus proche de nos territoires. Avec quels moyens ?
Mme Élisabeth Lamure. - Nous sommes fiers que l'INRA soit le deuxième institut au monde. Vous avez évoqué des partenariats avec des instituts étrangers : pouvez-vous nous en dire plus ? J'aimerais en particulier savoir quels sont vos points d'accord ou de désaccord.
M. Gérard César. - Si vous êtes nommé, sur qui allez-vous vous appuyer ? Comment fonctionne le conseil d'administration de l'INRA ?
Que s'est-il passé à Colmar ? Un protocole avait été signé avec toutes les parties prenantes et nous n'avons pas apprécié le saccage des plants de l'INRA.
En tant que responsable du groupe viticole, je souhaite connaître votre avis sur le court-noué et sur la flavescence dorée. Travaillez-vous avec la protection des végétaux, ou du moins ce qu'il en reste ?
M. Michel Bécot. - Dans quelques années, la terre devra nourrir 9 milliards d'habitants. Comment relever ce défi sans PGM ?
Pourquoi n'est-il pas possible de mettre en place des retenues d'eau en hiver pour éviter de puiser dans les nappes phréatiques l'été ?
M. Alain Chatillon. - Le pôle de compétitivité AgriMip sud-ouest innovation, que je préside, a été mis en place avec l'INRA. Nous avons aujourd'hui deux interlocuteurs à Toulouse et à Bordeaux. Allez-vous continuer à collaborer avec les pôles de compétitivité ? La France a besoin de regrouper les PME alors que les ETI, dont vous avez parlé, disposent souvent de leur propre service de recherche. Les pôles de compétitivité pourraient être une bonne interface.
M. Daniel Raoul, président. - Je suis d'accord avec vous, d'autant que j'ai moi aussi un pôle de compétitivité du végétal spécialisé. Les PME forment un remarquable tissu d'obtenteurs.
M. Gérard Bailly. - Durant deux années, j'ai suivi des stages d'immersion à l'INRA. Avec Renée Nicoux, je réfléchis pour la Délégation à la prospective sur l'avenir des campagnes à l'horizon 2030-2040. Nous avons déjà beaucoup auditionné. Vous êtes passé un peu vite sur l'agriculture et sa compétitivité. Les Allemands et l'Amérique du Sud ont pris des parts de marché importantes. Que pense l'INRA de l'agriculture française ? Quels sont ses atouts ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - Quel rôle l'INRA pourrait-il jouer pour aider l'opinion publique à y voir plus clair en matière d'OGM ? Ceux qui ne sont pas initiés ont l'impression qu'on dit tout et son contraire. Comment trouver le juste milieu entre scientisme et obscurantisme ?
M. Martial Bourquin. - Pensez-vous que l'agriculture française et européenne peut se moderniser tout en préservant l'environnement ? Les OGM sont-ils inéluctables ?
M. Joël Labbé. - En suivant la mission d'information sur les pesticides, j'ai constaté un défaut de contre-expertises indépendantes et publiques des autorisations de mise sur le marché (AMM) de molécules. L'INRA pourrait-elle assurer ce rôle, tout en respectant les secrets de fabrication ?
M. François Houllier. - Ces nombreuses questions témoignent de votre intérêt.
Il y a une attente sur nos travaux : nous modernisons notre site internet pour présenter nos grandes thématiques de façon plus pédagogique. L'INRA doit donner des informations sur ses travaux et sur leurs résultats. Que fait-il sur les abeilles, sur les sols ou sur l'eau ? Il est important de dire ce que nous faisons, ce que nous savons, ce que nous trouvons.
A Colmar, nous avions consulté très en amont toutes les parties prenantes : nous avions adapté nos protocoles en fonctions des remarques faites. Nous avons été transparents en désignant les 35 m2 qui ont été arrachés. Cette action nous a choqués et nous avons porté plainte.
Après avoir sollicité son comité d'éthique au début des années 2000, son conseil scientifique en 2005 et son conseil d'administration en 2007, l'INRA a arrêté sa politique en matière de PGM : l'Institut se doit d'être compétent sur un tel sujet, mais aussi pertinent : il n'a pas à mener des expériences déjà réalisées par l'industrie. En revanche, il peut se pencher sur divers sujets comme les mauvaises herbes résistantes aux herbicides. Le coton OGM en Chine peut favoriser la biodiversité en évitant des pesticides. Il y a des pistes sérieuses de fixation bactérienne de l'azote pour les céréales. L'Institut devra être parcimonieux, parce que la société ne souhaite pas travailler sur ces sujets. Aussi devrons-nous êtres clairs et transparents, rendre compte de nos travaux. De plus, il y a des voies alternatives pour accélérer le progrès génétique : la sélection génomique accélère les procédés usuels d'amélioration des plants. Sur le blé, mais aussi sur les bovins, des recherches sont menées en ce sens.
L'INRA, qui n'est pas le seul à intervenir dans les milieux aquatiques, a des unités de recherche, notamment à Thonon-les-Bains, à Rennes à Saint-Pée surNivelle. A Thonon, il y a eu des départs, mais aussi des recrutements qui nous permettent d'équilibrer les compétences de nos collaborateurs. Je vous incite à visiter cette belle station. Une jeune chercheure a d'ailleurs failli être lauréate au Conseil européen de la recherche.
L'INRA est profondément ancré dans les territoires avec ses dix-huit centres et ses 100 stations; c'est pourquoi il souhaite travailler avec tous ses partenaires. En 2004, l'Institut a élaboré des schémas de centre pour déterminer la politique de chacun des sites. Il vient de les réactualiser afin de mettre en place avec nos partenaires des politiques de site, des espaces de projets collaboratifs.
Une quinzaine de pôles de compétitivité interviennent dans le domaine de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Nous travaillons avec ces pôles, notamment avec celui de M. Alain Chatillon, qui est très actif dans un ensemble qui fait sens. Quand nous avons créé le GIS Biotechnologie verte pour développer l'agriculture, les organismes publics de recherche, des instituts techniques, des entreprises semencières et trois pôles de compétitivité nous ont rejoints.
La gouvernance de l'INRA est collégiale et la présence du directeur délégué à mes côtés montre mon attachement à ce mode de fonctionnement. Des directeurs scientifiques font partie du collège de direction. Le conseil d'administration est l'organe qui décide. Si je suis nommé, une de mes premières tâches sera de rencontrer les administrateurs pour savoir quelles orientations ils souhaitent nous voir suivre.
Nous travaillons sur le court-noué et sur la flavescence dorée. Nous espérons pouvoir diffuser d'ici deux ou trois ans des variétés avec des résistances polygéniques obtenues par voie conventionnelle et réduisant sensiblement l'usage des fongicides.
Nous sommes passés en 50 ans de 3,5 à 7 milliards d'habitants et nous avons augmenté la production agricole. Nous pourrons nourrir 9 milliards d'êtres humains en 2050, à condition de limiter les pertes et les gaspillages, de modifier nos régimes alimentaires et, si l'on veut préserver les écosystèmes naturels, il sera inévitable d'augmenter les rendements pour éviter de réduire les écosystèmes naturels. Enfin, les régions n'étant pas toutes bien loties en matière agricole, le commerce devra se développer. Nous réussirons en jouant de tous ces leviers. A ce titre, même si l'INRA ne travaille actuellement pas sur les PGM, il se doit d'être attentif aux travaux menés à l'étranger, notamment en Chine et en Grande-Bretagne.
En ce qui concerne l'expertise des molécules mises sur le marché, chacun doit tenir son rôle. Nous avons obtenu des résultats de recherche sur les abeilles. Il existe des agences de l'expertise : à elles de les conduire de façon indépendante, même si nous constituons un vivier d'experts. Il y a quelques années, nous avons élaboré une charte de l'expertise, pour répondre aux questions de notre tutelle et organiser l'implication de nos chercheurs dans ces agences. Il faut trouver le juste équilibre entre les positions des uns et des autres.
L'avenir des campagnes a fait l'objet, il y a quelques années, d'une prospective sur la nouvelle ruralité. Notre position est claire : si on veut une agriculture en France, elle doit être compétitive. Cela pose deux questions, celle du coût de la main-d'oeuvre et des distorsions de concurrence, et celle de l'organisation des filières, domaine dans lequel nos marges de progression sont très sensibles. Notre excédent commercial, qui repose sur les produits de terroir ou de base comme les céréales, est très fragile. Nous y travaillons avec nos collègues économistes. Nous élaborons aussi un projet structurant les pôles de compétitivité sur toute la filière laitière avec nos collègues de Rennes.
Nos partenariats avec l'étranger sont nombreux : en Europe au titre du programme cadre, avec l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne, et avec le reste du monde. Les grands programmes sur l'adaptation au changement climatique ou sur la métagénomique sont le principal support de ces collaborations. Nous travaillons si possible avec des acteurs publics homologues au nôtre, comme l'Agricultural Research Service américain. Nous les avons rencontrés avec nos collègues britanniques à Toulouse, récemment. Au total, 46 % de nos publications sont effectuées avec des collègues étrangers, et 27 % avec des collègues européens.
Mme Élisabeth Lamure. - Avez-vous avec certains instituts dans le monde, des désaccords profonds ?
M. François Houllier. - Nous sommes d'accord sur les grands objectifs, mais certains sont plus spécialisés, l'INRA étant sans doute l'organisme le plus équilibré : agriculture, alimentation et environnement y tiennent une part à peu près égale. D'autres sont plus académiques, les universités par exemple, et d'autres plus appliqués, souvent les plus proches de l'industrie, comme au Brésil. Avec eux, nous sommes prudents. Nous repérons ceux qui ont la même valeur ou définissons des segments correspondant à des biens publics.
M. Gérard César. - La France importe 85 % de protéines, qu'en pensez-vous ?
M. François Houllier. - C'est ennuyeux à double titre : ce taux est trop élevé, et l'agronomie en souffre. Les espèces qui produisent des protéines fixent l'azote et jouent un rôle positif dans l'assolement, c'est pourquoi il est important de poursuivre la recherche sur les légumineuses. Quoique l'économie française utilise peu de protéagineux, nous avons maintenu en France une recherche sensiblement supérieure à celle de nos partenaires européens, et ce, dans un contexte défavorable. Nous avons un projet d'investissement d'avenir à Dijon : Pea-MUST. J'y reviens, notre rôle se limite à la recherche, nous ne sommes pas responsables des mesures déterminantes dans le choix des producteurs.
M. Daniel Raoul, président. - Je vous remercie. Votre présentation a suscité de nouvelles questions. Nul doute que nous aurons l'occasion de nous revoir.
Puis la commission procède au vote à bulletin secret sur la candidature de M. François Houllier, candidat à la présidence de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA).
- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable -
Audition de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Puis, lors d'une réunion conjointe avec la commission du développement durable, la commission procède à l'audition de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Raymond Vall, président. - Madame la ministre, nous étions impatients de vous recevoir. Le Sénat a constitué récemment une septième commission dont les compétences recouvrent, pour une large part, les vôtres. Elle est née de la partition de la grande commission des affaires économiques présidée par Daniel Raoul, en deux commissions qui sont ici réunies. Parmi les sujets sur lesquels nous souhaitons vous interroger, il y aura l'organisation de la conférence environnementale, les questions des gaz de schiste et la réforme du code minier, l'avenir des filières photovoltaïques et éoliennes, la transition énergétique, la biodiversité, et même votre position sur le schéma national des infrastructures de transport (SNIT).
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je me réjouis de cette première audition. Vous découvrez les us et coutumes du Sénat et la liberté de ton qui nous caractérise. Nos deux commissions ont des intérêts communs, notamment la future conférence environnementale : quelle place laisserez-vous aux parlementaires ? En dehors de l'énergie, enjeu majeur pour notre commission, vos attributions portent aussi sur la pêche et l'aquaculture. Nous avons échangé avec Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux transports et à l'économie maritime, au sujet de la réforme de la politique commune de la pêche, mais peut-être pourriez-vous nous dire quelques mots de la définition de vos périmètres respectifs.
Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. - C'est avec plaisir que je découvre les habitudes et la sagesse de la Haute Assemblée. La transition écologique et énergétique est au coeur de la politique du Gouvernement pour le redressement dans la justice. L'écologie sociale constitue à la fois un impératif lié à nos engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique, et un levier pour sortir de nos difficultés économiques actuelles, et nous inscrire dans une logique vertueuse, celle d'une mutation de notre modèle de développement. C'est à notre génération que revient cette responsabilité, et c'est la raison pour laquelle sont rassemblées sous un même ministère les attributions écologiques, environnementales, et énergétiques.
Frédéric Cuvillier vous répondra la semaine prochaine sur les transports et sur la pêche. Sur ce dernier sujet, je veux pour ma part insister sur l'enjeu de la biodiversité, car la prise de conscience des citoyens est insuffisante. Nous avons atteint la sixième grande phase d'extinction des espèces. D'ici 2100, 12 % des oiseaux, 25 % des mammifères et 32 % des amphibiens auront disparu, en raison de l'artificialisation croissante des sols : en France, 600 km² sont sacrifiés chaque année, soit un département tous les dix ans. Une prise de conscience citoyenne est urgente et c'est pourquoi le Président de la République a souhaité qu'un des objectifs de la conférence environnementale, soit d'engager la préparation d'une grande loi cadre sur la biodiversité.
Le réchauffement climatique est aujourd'hui un fait scientifique avéré, que plus personne ou presque ne conteste. Les émissions mondiales de CO2 ont progressé de 40 % de 1990 à 2010 et le réchauffement atteindra plus de 2°C d'ici 2100. L'Union européenne est responsable de 13 % des émissions mondiales de CO2, un chiffre en baisse de 12 % par rapport à 1990. La France a légèrement augmenté ses émissions qui s'élèvent aujourd'hui à 1,3 %. La réduction de l'empreinte carbone de notre pays tient plus à la désindustrialisation et à la situation économique qu'à nos efforts.
Dans le paquet énergie climat, l'Union européenne s'est fixé l'objectif des 3 fois 20 : diminution de 20 % des gaz à effet de serre, augmentation de 20 % de l'efficacité énergétique, et de 20 % des énergies renouvelables à l'horizon 2020. En 2009, un peu plus de la moitié du chemin a été parcourue pour les gaz à effet de serre. C'est dans ce contexte que la France s'est engagée à diviser par quatre ses propres émissions d'ici 2050.
Quoique déçus par l'accord a minima du sommet Rio + 20, nous travaillons à la réalisation concrète des objectifs inscrits dans la déclaration finale. La France prépare deux grand rendez-vous internationaux - je sais que Laurence Rossignol et son groupe de travail effectuent un suivi des négociations internationales sur le climat et l'environnement. A la conférence sur la biodiversité d'Hyderabad, en Inde, du 8 au 19 octobre prochain, la France présidera la table ronde sur les océans. Une conférence sur le climat se déroulera à Doha du 26 novembre au 7 décembre.
J'ai participé hier à une réunion à Berlin dans le cadre du dialogue de Petersberg, instauré après l'échec du sommet de Copenhague. J'ai été frappée par la difficulté de définir un accord réellement contraignant, et de trouver une vision commune entre les pays développées et les pays émergents sur la définition d'une responsabilité commune et différenciée, c'est-à-dire une répartition équitable des efforts à consentir en matière de réduction des émissions de CO2. La France a néanmoins rappelé l'urgence à agir.
La transition énergétique qu'appelle de ses voeux le Président de la République est évidemment déterminée par ces enjeux de lutte contre le réchauffement climatique et par la volonté de respecter les engagements que nous avons pris au sein de l'Union européenne. C'est aussi une question d'emploi, avec 500 000 personnes dans un secteur de l'énergie représentant 25 % des investissements industriels et 2 % du PIB. C'est encore une question de compétitivité et d'indépendance énergétique. La sécurité d'approvisionnement commande en effet de privilégier une diversification de nos ressources énergétiques. L'énergie explique 61,4 milliards d'euros de notre déficit commercial. La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique est très insuffisante : il faut dire qu'elles ont été fragilisées, notamment les énergies photovoltaïque et éolienne, par les nombreux changements de réglementation et de politique tarifaire.
Les perspectives sont cadrées par les engagements du Président de la République : développer massivement les énergies renouvelables, grâce à un cadre réglementaire stable et par un fonds de capital-investissement auprès de la future Banque publique d'investissement (BPI), pour porter leur part dans le mix énergétique à 23 % d'ici 2020 ; diminuer de 75 % à 50 % d'ici 2025 de la part du nucléaire, démanteler Fessenheim et achever l'EPR de Flamanville ; protéger le pouvoir d'achat des Français, 8 millions d'entre eux étant en situation de précarité énergétique, consacrant plus de 10 % de leurs revenus à leur facture énergétique. C'est ce qui a motivé le projet d'arrêté transmis à la Commission de régulation de l'énergie qui limite à 2 % la hausse des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité - nous y reviendrons sans doute.
François Hollande avait repris l'idée d'une réforme structurelle introduisant la progressivité dans les tarifs de l'énergie. Le Gouvernement a indiqué qu'il était favorable à lier nos objectifs sociaux de lutte contre la précarité énergétique, d'une part, et écologiques, d'autre part, puisque cela encouragera la sobriété et l'efficacité énergétique.
La préparation de la conférence environnementale s'inscrit dans une forme de continuité par rapport à l'avancée majeure qu'a représenté le Grenelle de l'environnement : la notion de partenariat écologique a ouvert des perspectives intéressantes bien que sa traduction concrète ait déçu et n'ait pas fait l'objet de l'unanimité qui avait caractérisé la loi Grenelle I. Nous constatons un certain nombre de reculs : sur les engagements financiers en matière de lutte contre le réchauffement climatique (- 18 % sur trois ans), les énergies renouvelables et les pesticides, dont la consommation a augmenté, comme le signale l'avis du Conseil économique, social et environnemental du 15 février dernier, et en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
La conférence environnementale prévue à la mi-septembre s'inscrit à la fois dans une continuité et une différence ; elle sera le point de départ d'un processus de concertation en tout point comparable à celui de la conférence sociale. Introduite par le Président de la République, elle sera conclue par le Premier ministre. Elle réunira à la mi-septembre les cinq collèges du Grenelle de l'environnement et, cela avait fait l'objet d'un consensus lors du bilan de Grenelle, des parlementaires - ce qui n'affecte nullement le fait que le Parlement est souverain dans ses décisions...
M. Louis Nègre. - Cela va mieux en le disant.
Mme Delphine Batho, ministre. - Elle aura à son ordre du jour la biodiversité, la transition énergétique, la fiscalité écologique, sur laquelle la France accuse un grand retard, le lien entre la santé et l'environnement, et la gouvernance écologique à l'échelle nationale et locale. Nous souhaitons encourager les initiatives des collectivités territoriales qui jouent un rôle moteur dans le domaine de l'environnement.
Le Président de la République s'est engagé à ouvrir un grand débat national et citoyen sur la transition énergétique en 2012-2013, qui doit déboucher sur une loi de programmation fixant nos engagements et notre stratégie. La conférence environnementale a pour objectif d'arrêter les modalités du débat, que l'on souhaite vivant et décentralisé.
Enfin, le Parlement doit être pleinement associé aux réformes. Nous voulons laisser toute leur place au contrôle et à l'initiative parlementaires. Dans ces conditions, je me tiens à la disposition du Sénat pour être auditionnée autant que nécessaire.
M. Claude Bérit-Débat. - Mon département, la Dordogne, est confronté à la problématique des gaz de schiste à travers les permis d'explorer de Cahors, Brive et Beaumont de Lomagne. Quelle est la position du Gouvernement au sujet des gaz de schiste et où en est la réforme du code minier ?
M. Ladislas Poniatowski. - Je m'exprimerai en tant que président du groupe d'études « énergie ». Le Fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ), qui constitue jusqu'à 80 % des ressources disponibles dans certains départements pour l'électrification, est aujourd'hui bloqué. Transformé en compte d'affectation spéciale, il a été crédité en 2012 de 370 millions d'euros. Les recettes sont rentrées dans les caisses de l'État à hauteur de 210 millions d'euros, ERDF versant chaque mois 30 millions d'euros. Pourtant, pas un centime n'a à ce jour été versé aux syndicats d'électricité en charge de l'électrification. On n'a pas encore réglé le reliquat 2010. Quand les fonds 2012 seront-ils débloqués ? Ces syndicats travaillent avec des petites et moyennes entreprises dont certaines sont aujourd'hui proches de la faillite.
Deuxième question, le mécanisme de capacité introduit par la loi du 7 décembre 2010 sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité destiné à financer des unités de production indispensables dans les périodes de pointe, n'est pas encore en vigueur. Quant pouvons-nous espérer la sortie des deux décrets attendus ?
Enfin, les compteurs Linky sont-ils morts ? On sait qu'ils représentent un investissement important, 4 milliards d'euros. ERDF hésite à s'engager par peur de ne pas amortir l'investissement. Vous êtes la seule, madame la ministre, à pouvoir débloquer la situation en confirmant qu'ils répondent aux exigences de la directive efficacité énergétique.
M. Marcel Deneux. - L'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques dont je suis le vice-président a conduit des travaux sur l'avenir du nucléaire et la transition énergétique. Récemment, une organisation non gouvernementale proche du Gouvernement a publié les travaux d'un expert qui, constatant la crise financière et la rareté des capitaux, fait apparaître des différences notables entre les six filières concourant à la production d'électricité. Cette notion d'utilisation optimale du capital disponible est-elle de nature à influencer fortement les orientations du Gouvernement ?
Enfin, en mars 2003, j'ai acheté ma première voiture hybride. Depuis, j'ai parcouru 286 000 kilomètres et économisé 30 tonnes de CO2. Avec la naïveté du militant, j'ai voulu convaincre le ministre de l'équipement de s'équiper pareillement. Le précédent ministre de l'équipement, que j'avais réussi à convaincre, avait acheté une voiture hybride pour la communauté de communes dont il était le président, mais non pour le ministère où nous nous étions heurtés au refus de son directeur de cabinet. Depuis, les choses ont changé... Donnerez-vous l'exemple en achetant des voitures propres ?
M. Joël Labbé. - L'industrie des agrocarburants bénéficie de 196 millions d'euros d'exonérations fiscales par an, un soutien public important pour une filière qui a montré ses limites environnementales et énergétiques. Sans compter que nous sommes obligés d'importer pour tenir l'objectif des 10 %, ce qui contribue à l'accaparement des terres et à la diminution des cultures vivrières dans les pays tiers. Quelle sera la position du Gouvernement sur ce dossier ?
M. Michel Teston. - Le groupe socialiste du Sénat a déposé une proposition de loi en juillet 2011 pour marquer son refus du texte de Christian Jacob sur les gaz de schiste. Vous en inspirerez-vous afin de réviser le code minier ?
Les salariés de la sous-traitance nucléaire connaissent une situation préoccupante. EDF a tendance à externaliser de plus en plus de prestations de chantier. Que faire ?
M. Jean-Luc Fichet. - Je suis sénateur du Finistère, un département en proie au mal des algues vertes. De nombreux ministres sont venus constater les dégâts olfactifs et visuels qu'il provoque, ils nous ont promis leur aide. En attendant, les algues vertes continuent de proliférer, notre industrie touristique en paie le prix fort. Avez-vous à l'esprit des dispositions de court terme et de long terme pour combattre cette pollution d'origine agricole ? Il y a urgence, le problème devient sanitaire. Récemment, on a déploré la mort d'un cheval et d'un sanglier.
M. Yves Rome. - La récente panne du réseau Orange a souligné la dépendance de nos concitoyens à la téléphonie mobile. La demande est croissante, voire exponentielle ; les zones rurales se plaignent de discriminations. En même temps, les antennes-relais suscitent beaucoup d'interrogations, nous l'avons vu durant le Grenelle des ondes. Comment procéder ?
Le Président de la République a expliqué vouloir étudier la facture énergétique sous l'angle de la compétitivité. Fort bien, mais il est une autre facture sur laquelle il faudrait se pencher, celle liée au traitement des ordures ménagères. Certains territoires ont une appétence marquée pour les incinérateurs surdimensionnés. Dans l'Oise, nous n'avons pas réussi à interdire la réalisation d'un projet ruineux pour nos concitoyens et nocif pour l'environnement. Que faire ?
Mme Renée Nicoux. - Quelle est la position du Gouvernement sur l'utilisation de la biomasse comme source de production d'électricité ? Les grands projets soutenus par la Commission de régulation (CRE) de l'énergie assèchent la ressource au détriment des petites unités de production locales...
Des restrictions empêchent les agences de l'eau d'intervenir en amont sur la protection des zones de captage, l'aménagement des réseaux ou encore le traitement des eaux usées. Le problème est particulièrement sensible en montagne et dans les zones rurales qui sont soumises à de fortes exigences sans bénéficier des retombées de la taxe pollution. Comment améliorer cette situation ?
M. Michel Bécot. - Mes félicitations à la ministre qui est, comme moi, une élue des Deux-Sèvres. Ce matin, le ministre du redressement productif a annoncé qu'il ne fermait pas la porte à l'exploitation des gaz de schiste. Quel est votre avis ?
Le forage en Guyane, aussi, peut constituer une chance pour la France si l'importance du gisement est confirmée. Donnerez-vous votre accord à la délivrance de permis de recherche, étant entendu que cela nécessite la consultation préalable des populations ?
Mme Delphine Batho, ministre. - M. Claude Bérit-Débat, la position du Gouvernement sur les gaz de schiste est claire et nette : interdiction de l'exploration et de l'exploitation en l'état de la technique. Les risques sont avérés et considérables. La technique de la fracture hydraulique génère une pollution durable. Nulle part, je dis bien nulle part, il a été démontré que l'exploitation du gaz de schiste n'avait pas de conséquences sur la santé et l'environnement. Le Président de la République l'a rappelé durant la campagne.
Le précédent Gouvernement avait dû abroger les permis qu'il avait accordés devant l'opposition des élus, des associations et des populations. En outre, il n'avait pas procédé à la réforme du code minier que le Conseil d'État a pourtant exigée en décembre 2010. Le code actuel, en effet, ne respecte pas l'exigence constitutionnelle d'information et de participation du public préalable avant toute décision ayant un impact sur l'environnement, posée à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Cela entraîne une fragilité juridique des permis accordés, y compris sur les hydrocarbures conventionnels.
Il nous faut mettre au point un code minier conforme à la Constitution rapidement et dans la concertation, le Premier ministre l'a dit lors de son discours de politique générale. Le Gouvernement va mettre en place un groupe de travail ; un projet de loi de révision est en cours d'élaboration pour une présentation fin 2012.
M. Ladislas Poniatowski, la transformation du Fonds d'amortissement des charges d'électrification en un compte d'affectation spéciale fin 2011 est une réforme dont nous héritons. Elle avait été mal préparée, des alertes avaient d'ailleurs été lancées et sa mise en place avait exigé un petit délai supplémentaire. Le ministère a rencontré des problèmes administratifs et comptables pour payer les aides, ce qui a retardé les projets des collectivités. Nous travaillons à assouplir les procédures pour normaliser la situation le plus rapidement possible, dans le respect des règles d'engagement des dépenses publiques.
Concernant le mécanisme de capacité, le défi est de traiter les pointes électriques. Une nouvelle régulation est nécessaire. J'échangeais hier avec les ministres allemand et britannique sur ce sujet. Nous devons conduire une réflexion européenne sur l'effacement et la production. Un décret et une réforme qui vont dans le bon sens sont en cours d'élaboration.
Nous souhaitons développer tous les outils améliorant la sobriété énergétique. Le compteur Linky doit rester gratuit pour l'usager, ce qui nécessite effectivement des investissements importants.
M. Marcel Deneux, nous soutiendrons les voitures hybrides, le Président de la République l'a indiqué dans son entretien du 14 juillet dernier. Nous réfléchissons également à la pérennisation du bonus-malus. A moyen terme, il faudra des voitures françaises hybrides à essence, nous en discuterons avec les constructeurs. En tout état de cause, je veille à l'exemplarité de mon ministère, une exemplarité qui doit se traduire aussi par des achats raisonnables.
M. Joël Labbé, les biocarburants sont encadrés par la directive de 2009. La Commission européenne évalue actuellement leur impact. Les conclusions de l'ADEME et de l'INRA vont dans le même sens. Nous serons attentifs à ces travaux.
M. Michel Teston, j'avoue ignorer le contenu de la proposition de loi du groupe socialiste du Sénat, il doit être assez proche du texte que j'ai signé moi-même à l'Assemblée nationale. Le groupe de travail sur la réforme du code minier, composé des cinq collèges du Grenelle de l'environnement, procédera aux auditions nécessaires et examinera les travaux du Parlement et du Conseil d'État.
Je suis très attentive à la sous-traitance dans le nucléaire pour des raisons sociales, mais aussi pour des questions de sûreté. L'ASN reconnaît elle-même que le facteur humain est un pilier de la sûreté nucléaire. La formation des personnels, la qualité de leurs conditions de travail doivent être au coeur de nos réflexions, le Président de la République l'a évoqué durant la campagne. Nous envisageons, entre autres, d'interdire la sous-traitance pour les travaux les plus importants et d'augmenter sensiblement le niveau de sûreté imposé aux exploitants en cas de recours à des prestataires pour des opérations courantes. Ces pistes seront approfondies dans le dialogue avec les opérateurs.
M. Jean-Luc Fichet, un plan « algues vertes » a été établi en février 2010 pour combattre leurs effets sanitaires, environnementaux et économiques. Il vise huit baies bretonnes. Chaque été, les algues sont ramassées dans un délai rapide avant leur décomposition. Ces mesures curatives, qui coûtent 1 million d'euros par an, ne serviront à rien si nous ne prenons pas des mesures préventives afin de ralentir le flux de nitrates. Le plan prévoit leur mise en place pour 2013. Les discussions ont bien avancé pour les adapter aux situations locales, sauf dans la baie de la Fresnaye et l'Anse de l'Horn, raison pour laquelle j'ai demandé au préfet de Bretagne de prendre des arrêtés de zones soumises à contrainte environnementale dans ces deux territoires. La Commission européenne a engagé une demande d'information en 2011 et deux contentieux sont engagés en application de la « directive nitrates ».
M. Yves Rome, trois des dix actions retenues lors du Grenelle des ondes sont en cours. Une expérimentation de faisabilité de baisse de l'exposition a lieu dans le XIVe arrondissement de Paris sur les antennes-relais. Je sais combien les maires se sentent seuls devant les populations qui veulent à la fois un bon réseau et peu d'antennes... Nous avons prévu des nouvelles procédures de consultation préalable et de surveillance des antennes. Un décret est en cours, je le soumettrai aux parties prenantes du Grenelle des ondes.
Votre remarque sur l'installation d'incinérateurs, qui ne se justifient pas localement, est de bon sens.
Mme Renée Nicoux, je crois beaucoup en la biomasse, particulièrement de l'énergie bois. Elle représente la moitié des énergies renouvelables en France. Il faut développer cette filière tout en évitant les conflits d'usage par la valorisation des sous-produits. Priorité doit être donnée à la chaleur ; vient ensuite l'électricité en cogénération. Les quelques cas problématiques ne se reproduiront pas. Les grands projets ont leur place, raison pour laquelle, dans les arbitrages ministériels, j'ai tenu à préserver le Fonds chaleur. Mais les petites unités doivent être développées à condition d'utiliser nos ressources. J'ai eu vent d'une situation locale où le bois est importé de loin... Evidemment, ce n'est pas un modèle !
M. Robert Navarro. - A la suite du Grenelle de l'environnement, le schéma national des infrastructures de transport a prévu un effort considérable sur le transport ferroviaire. D'après la rumeur, cette logique serait remise en cause. Comment vous y prendrez-vous pour promouvoir le transport ferroviaire ? Permettez-moi de vous soumettre quelques idées : accélérer la mise en place de la taxe poids lourds et en réserver une partie aux régions qui ont une importante compétence transport.
M. Louis Nègre. - Merci d'intégrer officiellement les parlementaires aux réunions de type Grenelle. A qui dois-je m'adresser pour m'assurer que les dossiers sur les transports progressent : à vous ou à M. Frédéric Cuvillier ? L'articulation n'est pas claire...
Pour prolonger la question de Robert Navarro, que deviendra le SNIT ? Qui est en charge des véhicules électriques et des bornes de rechargement ? Quelle politique entend mener le Gouvernement en la matière ? Vous avez programmé une conférence environnementale ; or les transports ne semblent pas en faire partie alors qu'ils sont responsables de 26 % des gaz à effet de serre. Que doit-on faire pour défendre à la fois les transports et l'environnement dans ce beau pays ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - Chacun sait les avanies qu'a connues le secteur du photovoltaïque. La raison en était toute simple : on a confondu la demande et l'offre. La baisse brutale des tarifs de rachat et le moratoire ont causé la désespérance de la filière. Comment redresser le tir ?
Je change mon fusil d'épaule pour évoquer la chasse et les activités cynégétiques... La dernière loi que le Sénat a votée avait pour but de marquer une pause législative et de réconcilier l'ensemble de ceux qui s'intéressent à la nature. Dans ce texte, les chasseurs étaient reconnus comme des acteurs de la biodiversité à part entière. La chasse représente en France 1,3 million d'adhérents à 80 000 associations et un poids financier de 2,5 milliards par an. Quel dialogue constructif et partenarial allez-vous bâtir avec ce monde ? Ma question est d'une brûlante actualité car un certain projet d'arrêté doit être finalisé avant la fin juillet...
Mme Évelyne Didier. - La commission nationale de concertation sur les risques miniers, au sein de laquelle je représente le Sénat, a malheureusement interrompu ses travaux. Elle devrait les reprendre sous peu, dès que les députés auront désigné leurs membres. Sera-t-elle consultée sur la révision du code minier ?
J'ai l'honneur de présider le groupe d'études « déchets » du Sénat, qui concerne un sujet intéressant absolument tous les élus. Dans ce cadre, nous souhaitons dresser un état des lieux de la valorisation matière, qui est au moins aussi importante que la valorisation énergétique dont on parle davantage, nous pencher sur le rôle de conseil de l'ADEME et sur les questions de tarification, de redevance et de coût pour l'usager. Ce dernier aspect est loin d'être négligeable pour les Français en période de crise, qui subissent déjà l'augmentation de leur loyer et de leurs factures d'eau et d'énergie. Nous voulons également nous saisir d'autres sujets comme la pénibilité des métiers du tri ou le cas des entreprises d'insertion qui se voient souffler les marchés par de grands groupes une fois qu'elles ont structuré la filière. Etes-vous prête à nous rencontrer pour évoquer ensemble ces questions ? Nous aimerions être associés en amont au travail législatif et réglementaire car nous avons constaté que l'exécutif a trop souvent tendance à réagir de manière ponctuelle, par le dépôt de cavaliers législatifs dans les textes financiers ou la publication de décrets.
M. Ronan Dantec. - Vous êtes à notre disposition, avez-vous dit. Nous sommes aussi à la vôtre, madame la ministre ! Dans les prochains jours, j'aurai le plaisir de vous adresser le compte rendu du débat sur la biodiversité qui s'est tenu au Sénat à l'initiative des Verts. La commission d'enquête sur le coût de l'électricité, également formée à notre demande, rendra ses conclusions publiques demain.
Je vous rejoins totalement : le mécanisme de capacité doit être pensé à l'échelle européenne. Dans le rapport de la commission d'enquête, vous trouverez des observations intéressantes sur le quotient intellectuel du fameux compteur Linky...
C'est l'Europe qui porte l'ambition de la lutte contre le réchauffement climatique dans le monde. Comment la France compte-t-elle défendre la taxation des carburants du transport aérien au sein de l'Union ? Plus globalement, quelle sera sa stratégie pour remonter le prix de la tonne de CO2 sur le marché carbone ? L'enjeu est de taille : cela représente, potentiellement, 50 milliards d'euros de recette pour les budgets européens.
M. Rémy Pointereau. - Les récentes déclarations des ministres Jérôme Cahuzac et Arnaud Montebourg sur les projets de LGV ont inquiété les élus des territoires isolés de la grande vitesse, toutes tendances politiques confondues. Le transport ferroviaire est pourtant un moyen de lutter contre l'effet de serre... A titre personnel, quelle est votre position ? Certes, les projets n'ont pas été financés par le précédent gouvernement. Mais n'est-ce pas la logique quand il s'agit de perspectives d'avenir ?
Mme Laurence Rossignol. - Si j'ai bien compris votre feuille de route, vous devez préparer le moyen et le long termes sans perdre une minute... La conférence environnementale et le grand débat sur la transition énergétique seront suivis d'une loi au premier semestre 2013. En attendant, envisagez-vous des mesures réglementaires, en particulier pour l'éolien et le photovoltaïque, des secteurs où les contraintes pèsent lourdement sur les investisseurs ?
Ensuite, quelques décrets, pris par le précédent Gouvernement, sont à regarder de près. Je pense à celui sur l'affichage publicitaire, qui est tout à fait contraire au Grenelle, et celui sur l'ADEME, qui a mis l'agence sous la tutelle des préfets, décret publié quand la ministre avait quitté le ministère pour devenir porte-parole de campagne de l'ancien président.
Enfin, le groupe de travail sur les négociations climatiques vise à éclairer les citoyens sur des pourparlers internationaux qui semblent bien loin d'eux. A l'occasion de la conférence de Durban, un débat s'est tenu au Sénat. Le calendrier de la session extraordinaire n'a pas permis de le rééditer pour Rio. Deux conférences sont à venir en 2012, viendrez-vous devant le Sénat pour en débattre ?
M. Robert Tropeano. - Madame la ministre, je me réjouis de votre réponse sur le gaz de schiste. Vous aviez déposé, à l'Assemblée nationale, une proposition de loi pour un arrêt ferme et définitif de l'exploration et de l'exploitation. Cela apaisera les inquiétudes des citoyens sur la protection de l'environnement et la ressource en eau potable.
M. Roland Courteau. - A propos de la transition énergétique, la France a pris des engagements. Pourtant, la législation sur l'éolien terrestre a été verrouillée, le photovoltaïque a été frappé par la baisse des aides, les avantages fiscaux consacrés aux énergies renouvelables et les économies d'énergie sont tombés de 3 milliards en 2009 à 1,4 milliard en 2012. Au rythme actuel, nous n'atteindrons pas les objectifs fixés pour 2020. Quelles sont vos intentions ?
Sur l'éolien en mer, lors du premier appel d'offres au début de l'année, des projets de 2 GW seulement ont été sélectionnés, contre 3 initialement prévus. Allez-vous lancer rapidement un deuxième appel d'offres pour combler le retard pris et soutenir l'essor de cette filière industrielle en France ?
Les petits producteurs d'hydroélectricité, aux termes de la loi NOME, peuvent voir leur contrat renouvelé s'ils s'engagent sur un programme de travaux. Or les contrats d'achat d'hydroélectricité, conclus en 1997, arrivent à leur terme. Quels seront les investissements concernés ? Quand prendrez-vous l'arrêté ?
M. Martial Bourquin. - Le Gouvernement veut ramener la part du nucléaire dans le mix énergétique à 50 %, ce débat a été tranché. Si nous ne voulons pas aggraver le déficit de notre balance commerciale, ce changement de politique doit s'accompagner de la volonté d'explorer des gisements d'emploi nouveaux. Ce peut être l'occasion de réindustrialiser vigoureusement la France. Les Allemands ont créé 370 000 emplois dans les énergies renouvelables. Prenons exemple sur eux en construisant nos propres panneaux photovoltaïques et chaudières à condensation ! Les PME qui travaillent dans ce secteur seraient certainement ravies d'accueillir les cadres techniciens licenciés de Peugeot-Citroën !
M. Alain Fauconnier. - Une question rapide sur le stockage de l'eau et les retenues collinaires. Entre la déréglementation du précédent gouvernement juste avant les élections et la réglementation tatillonne que connaissent aujourd'hui les porteurs de projet, il y a un chemin et, surtout, une urgence. Quelles sont vos intentions ?
Mme Bernadette Bourzai. - Le précédent gouvernement avait lancé une procédure de mise en concurrence des concessionnaires des grands barrages. Je m'y intéresse de près en tant que sénatrice de la Corrèze, un département en bordure de la Dordogne. Où en est-on sur ce dossier ?
Qu'en est-il du plan Ecophyto 2018 ? Au-delà des travaux de la mission commune d'information du Sénat sur les pesticides, que comptez-vous faire sur l'utilisation de ces produits dans l'espace public ?
M. Jean-Pierre Vial. - Les décrets sur les marchés capacitaires sont très attendus par les industriels car il s'agit d'un gisement important en France, de 6 à 8 GW.
Concernant la filière bois, nous rencontrons aujourd'hui une difficulté sérieuse : dans les plans CRE engagés, la distorsion est importante entre l'offre sur le marché et les capacités. Par exemple, des entreprises de ma région ont dû cesser le travail faute d'approvisionnement en papier. Les préfets de région devraient suivre ces plans avec plus de précision.
M. Marc Daunis. - La filière ovine est traditionnelle dans les Alpes. Vous connaissez les difficultés des éleveurs avec les loups. Accepterez-vous de les rencontrer ?
Mme Delphine Batho, ministre. - MM. Rémy Pointereau et Louis Nègre, le Gouvernement entend mener une politique responsable en matière de transports, centrée sur des investissements qui répondent à court et moyen termes aux besoins des usagers. Oui, il y a une volonté de rupture par rapport à l'accumulation de promesses irréalistes de l'ancien gouvernement. Une politique ambitieuse n'a de sens que si elle est crédible. Il était prévu 245 milliards d'euros sur 20 à 30 ans, dont 140 milliards pour le développement de nouvelles infrastructures. Le Premier ministre veillera à la modernisation des infrastructures de transport pour une mobilité plus sobre et plus équitable. Une commission des sages évaluera les projets en fonction des priorités. Pour le SNIT, la préoccupation centrale doit évoluer et devenir l'aménagement du territoire, la lutte contre la fracture territoriale, l'amélioration des transports quotidiens et la desserte des territoires enclavés.
M. Louis Nègre, je travaille en totale confiance avec le ministre des transports, qui est en responsabilité à mes côtés sur ces dossiers. En revanche, les véhicules électriques dépendent de la direction générale de l'énergie et du climat. J'ai fait des propositions au ministre du redressement productif pour un pilotage de la stratégie française dans ce domaine, plus réactif, plus simple et, donc, plus efficace.
La consommation d'énergie liée aux transports sera partie intégrante de la conférence environnementale.
M. Jean-Jacques Mirassou, j'annoncerai dans les prochains jours la validation de l'appel d'offres pour les installations photovoltaïques de forte puissance, soit supérieures à 250 KW. Pour les installations de moyenne puissance, les résultats de l'appel d'offres sont insatisfaisants. J'étudie le bon dimensionnement, je donnerai un signal clair dès la semaine prochaine sur ces projets attendus par les territoires.
Mme Evelyne Didier, la commission nationale de concertation sur les risques miniers sera évidemment consultée sur la révision du code minier. Etablir un bilan du coût global des déchets est une nécessité, j'en parlais d'ailleurs tout récemment avec l'Association des maires de France. Je suis ouverte au dialogue.
M. Ronan Dantec, j'attends avec intérêt les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur le coût de l'électricité. L'Europe garde la volonté de tenir ses objectifs de lutte contre le changement climatique. J'échangeais hier à Berlin avec la commissaire européenne sur la directive « ETS aviation » et le marché du carbone. Dans ce dernier domaine, l'un des leviers crédibles est de diminuer les quotas autorisés, ce qui suppose l'adhésion des 27. D'autres pistes sont possibles.
Madame Rossignol, je n'exclus pas des mesures transitoires pour donner un signal de persévérance aux filières des énergies renouvelables en attendant le grand débat sur la transition énergétique, qui débouchera sur des règles stables.
Le décret sur l'ADEME a été pris en pleine campagne électorale, il pose effectivement difficulté. Après nous être entretenu avec l'agence, nous y regarderons de près. Je crois beaucoup à la stratégie décentralisée ou déconcentrée pour les énergies renouvelables et la sobriété énergétique. En ce domaine, les collectivités territoriales peuvent être exemplaires. Un autre décret devra être étudié lors de la conférence environnementale, celui sur la responsabilité sociale des entreprises.
Je suis absolument favorable à l'idée de venir devant le Sénat, avec le ministre des affaires étrangères, avant les grandes conférences internationales.
L'éolien terrestre est, après l'hydroélectricité, l'une des sources d'énergie renouvelables les plus compétitives, les coûts de production étant aujourd'hui proches des prix du marché, soit trois fois mois cher que le photovoltaïque. Le débat sur la transition énergétique se penchera donc sur les moyens de le développer. Quant à l'éolien off-shore, s'il est plus coûteux, il offre des perspectives industrielles intéressantes.
Les décrets sur l'hydroélectricité devraient être pris dans une dizaine de jours, en tout état de cause, je l'espère, avant le mois d'août.
Je regrette qu'en matière de chasse, la période récente ait donné lieu à une rupture des discussions entre les chasseurs et les associations de défense de l'environnement, rupture qui a décrédibilisé la gouvernance qui avait été mise en place. Ma priorité sera la reprise de la concertation et, à ce titre, je recevrai bientôt le Président de la fédération nationale des chasseurs. Je ne suis pas dogmatique : ce secteur est très réglementé et je rappelle que François Hollande a souhaité une pause législative. En termes de méthode, je privilégierai le dialogue et nos décisions suivront les consensus qui se dégageront des discussions entre les acteurs. A défaut, nous nous en remettrons à l'avis des scientifiques.
L'arrêté national relatif aux nuisibles a été adopté pour trois ans mais, puisque certains territoires ont établi leurs classements sans toujours les fonder sur des éléments techniques probants, cet arrêté sera revu au bout d'un an.
La fabrication des panneaux solaires constituant un enjeu industriel, Arnaud Montebourg et moi avons confié au Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies et au Conseil général de l'environnement et du développement durable deux missions portant sur l'amont des filières photovoltaïque et éolienne. L'objectif est de dégager une stratégie permettant d'éviter l'absence d'entreprise française parmi les dix premières mondiales dans ces secteurs. Nous souhaitons disposer des deux rapports le 13 septembre, soit avant l'ouverture de la conférence environnementale.
Les projets de décret sur les retenues collinaires, préparés par le précédent gouvernement et qui consistent à supprimer les études d'impact pour les retenues de substitution d'un volume important, seront abandonnés. Avec le ministère de l'agriculture, nous souhaitons que tout soit remis à plat dans le cadre d'une concertation. J'alerte toutefois sur le fait que la réponse à la sécheresse, en particulier dans les régions en déficit structurel d'eau, suppose une stratégie d'ensemble prenant en compte la dimension agricole.
La question des pesticides sera abordée lors de la conférence environnementale au titre du lien entre l'environnement et la santé et je réserverai la primeur de certaines propositions à mon audition devant la mission d'information du Sénat qui travaille sur ce sujet. Il est tout à fait possible de soutenir les actions des collectivités territoriales, dont celle que j'ai plaisir à citer, menée par la région Poitou-Charentes en faveur de la charte Terre saine, consistant à accorder un certain nombre de papillons aux communes en fonction de leurs efforts de réduction de l'usage de ces produits, de la même façon qu'il existe une classification des villes fleuries.
J'ai entendu les remarques de M. Jean-Pierre Vial sur les marchés de grandes capacités ainsi que sur la filière bois-énergie.
A propos des barrages, je préfère ne pas me prononcer sur le fond du dossier dans la mesure où je n'ai, à ce stade, reçu que des échos contradictoires.
L'encadrement de la gestion du loup aboutit à une augmentation du nombre d'individus et à des arrivées dans des territoires qui étaient moins préparés. C'est un sujet que nous pourrons évoquer dimanche lors de mon déplacement dans les Alpes-Maritimes. Nous travaillons avec les préfets à une évaluation de la situation et de la nécessité d'éventuelles adaptations locales. Le plan d'action national 2008-2012, établi avec le ministère de l'agriculture, arrivant à échéance, nous serons conduits à redéfinir, pour les quatre prochaines années, les objectifs en visant à concilier nos engagements de protection du loup et le maintien d'une activité d'élevage.
Mercredi 18 juillet 2012
- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable -Audition de M. Stéphane Richard, président-directeur général de France Télécom-Orange
Lors d'une réunion conjointe avec la commission du développement durable, la commission procède tout d'abord à l'audition de M. Stéphane Richard, président-directeur général de France Télécom - Orange.
M. Daniel Raoul, président. - Monsieur le Président, nous sommes heureux de vous accueillir devant notre commission pour une audition qui va nous permettre de rattraper un retard conséquent : nous n'avions pas reçu le président-directeur général (PDG) du groupe France Télécom depuis plus de cinq ans !
Or, le secteur des télécommunications est en pleine mutation, et nous sommes impatients d'avoir votre avis à ce sujet. Qu'il s'agisse de l'arrivée d'un nouvel opérateur sur le marché de la téléphonie mobile, Free, dont vous assurez l'itinérance ; une arrivée qui entraîne une reconfiguration du modèle économique du secteur, avec à la clef des questionnements de moyen et long terme sur ses implications sociales, et votre stratégie industrielle et commerciale. On peut s'interroger, d'ailleurs, sur l'opportunité de l'attribution d'une quatrième licence à un opérateur mobile qui, si elle se fait au profit de la concurrence et du consommateur, s'opère également au détriment de l'emploi et de l'aménagement du territoire.
Nous évoquerons la modernisation des réseaux, à la fois fixes, avec le déploiement progressif de la fibre optique, mais aussi mobiles, avec le déploiement du réseau 4G, dont l'entrée en service est attendue dès la fin de l'année. Ce sera l'occasion de revenir sur la panne qui a affecté il y a quelques jours votre réseau mobile au niveau national, sur laquelle vous devriez réaliser un audit d'ici la fin du mois, et qui met plus généralement en relief la grande fragilité de nos sociétés modernes.
Enfin, nous pourrons aborder une phase plus prospective, avec votre vision de l'avenir du groupe dans le contexte européen et international. On vous prête des projets de rapprochement avec votre homologue allemand, le très puissant Deutsch Telekom ; sans doute pourrez-vous nous éclairer à cet égard.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Bienvenue Monsieur le Président devant nos deux commissions, dont celle du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, récemment créée. Le désenclavement numérique des territoires est un enjeu extrêmement important, sur lequel nous souhaiterions avoir votre analyse.
M. Stéphane Richard, président-directeur général de France Télécom - Orange. - Je commencerai par évoquer la panne qui a affecté notre réseau mobile, et qui illustre effectivement la complexité et la précarité des nos sociétés contemporaines. Il s'agit d'un accident, à l'abri duquel ne se trouve aucun opérateur, aussi expérimenté soit-il en matière de réseaux que France Télécom. Nos homologues britanniques, norvégiens et américains en ont d'ailleurs également fait l'expérience. Nous souhaitons à présent analyser l'origine de la panne, qui se trouve dans une défaillance logicielle sur un équipement de coeur de réseau, et surtout en tirer les conséquences pour l'avenir. Nous avons encore des progrès à réaliser, non pas sur la réactivité, qui a été remarquable au sein du groupe, mais sur les procédures à mettre en oeuvre lors d'une crise de ce type. Fort heureusement, il s'agit là d'un type d'incident très rare, dont la dernière occurrence remonte à 2004.
Je souhaiterais ensuite mettre l'accent sur le secteur des télécommunications, qui a contribué depuis une vingtaine d'années à l'investissement et à l'emploi en Europe et en France. Notre groupe réalise ainsi chaque année 3 milliards d'euros d'investissement dans notre pays, où il compte 100 000 salariés, dont 60 000 encore fonctionnaires. 3 500 salariés sont spécialisés en recherche et innovation, 10 000 ayant été recrutés ces trois dernières années. Les quatre principaux opérateurs historiques en Europe (France Télécom, Deutsch Telekom, Telefonica et Telecom Italia) emploient près de 800 000 personnes à travers le monde, ont près d'un milliard de clients et investissent près de 30 milliards par an ; il faut bien mesurer le poids de ce secteur dans l'économie de ces pays.
L'Europe des télécommunications se trouve toutefois en grande difficulté aujourd'hui, du fait d'une régulation exclusivement orientée en faveur du consommateur. L'industrie est extrêmement fragmentée, avec 100 opérateurs en Europe pour 450 millions de clients, contre 4 aux États-Unis pour 350 millions de clients, 3 en Chine et 8 en Inde pour environ 1 milliard de clients. Du fait de la pression règlementaire, le groupe France Télécom perd chaque année 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, soit 350 millions d'euros de marge, qui sont autant de fonds ne pouvant donc être réinvestis. Si l'on ajoute à cela la pression fiscale, également extrêmement lourde, on aboutit à une situation très critique, où les opérateurs européens peuvent être les cibles d'opérateurs de pays tiers comme le mexicain America Movil, porteur d'une offre publique d'achat hostile sur l'opérateur de télécommunications néerlandais KPN. La valorisation boursière cumulée des quatre opérateurs historiques européens précités et de KPN est deux fois et demi inférieure à celle d'Apple. La valeur boursière de France Télécom, plus spécifiquement, est aujourd'hui inférieure à celle de ses fonds propres. Les opérateurs européens sont désormais des « géants aux pieds d'argile ».
Ceci intervient à un moment où l'on doit faire face à l'explosion des usages : le trafic de données sur les réseaux mobiles a été multiplié par 68 depuis 5 ans, et doit continuer à croître d'un rapport de 6 ou 7 d'ici à 2015, nécessitant des investissements très conséquents dans les réseaux. Ce déclin n'est pas une fatalité, si l'on se réfère aux opérateurs américains, chinois et des pays émergents. Mais une particularité européenne, celle d'un marché de consommateurs où est recherchée la baisse du prix des produits et services, sans se préoccuper suffisamment des enjeux en termes d'emploi, d'investissement, de recherche et d'innovation.
La situation française connaît de plus une spécificité, avec l'arrivée d'un quatrième opérateur, de façon contracyclique, à un moment où la plupart des pays européens réduisent leur nombre. Il existe certes des pays recensant quatre ou cinq opérateurs, mais ils ont été introduits il y a une décennie, alors que le marché connaissait une croissance spontanée. Nous n'avons pas fini de payer les conséquences de ces choix.
Une prise de conscience se dessine aujourd'hui sur la nécessité d'un changement d'approche du secteur, comme l'illustre l'annonce récente par la commissaire européenne chargée de la société numérique, Mme Nelly Kroes, d'une proposition de recommandations sur la réglementation prévoyant la stabilisation du tarif d'accès au réseau cuivre, en contrepartie d'engagements des opérateurs à investir dans les réseaux du futur. Le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), M. Jean-Ludovic Silicani, m'a indiqué partager cette réorientation et être prêt à en tirer les conséquences au niveau français.
Le groupe France Télécom-Orange est aujourd'hui solide, car sa situation financière a été restaurée après la crise des années 2000, avec une recapitalisation de l'État, détenteur de 27 % du capital. Avec une dette maitrisée, des conditions d'accès aux marchés financiers satisfaisantes et des capacités d'investissement intactes, la situation est saine. Le groupe peut faire face aux contraintes qu'il connaît aujourd'hui, en France notamment, en faisant preuve de pragmatisme et en ne considérant pas que l'emploi ne doit pas être la variable d'ajustement. Le marché du mobile n'y représentant que le quart environ du chiffre d'affaires du groupe, la situation pour France Télécom-Orange est différente de celle d'autres opérateurs. Des adaptations doivent être réalisées, mais dans le respect des engagements pris en matière d'emplois : les recrutements seront moindres que les deux ou trois dernières années, mais il n'y aura pas de réduction d'effectifs ou de plan social.
L'objectif est aujourd'hui d'investir autant que possible, dans les réseaux fixes tout d'abord, avec le déploiement de la fibre, qui débutera dans 3 600 communes d'ici 2015. En 2012, le montant des investissements sera le double de celui de 2011, et il sera encore supérieur en 2013 : il y a donc une réelle montée en puissance. Je tiens à attirer votre attention sur le lien étroit existant entre réseaux fixes et mobiles, les acteurs étant les mêmes : ainsi, l'affaiblissement des opérateurs mobiles lié à l'arrivée d'un quatrième opérateur sur le marché aura des répercussions sur le déploiement de la fibre.
L'investissement portera aussi sur les réseaux mobiles, avec une accélération du déploiement de la 4G, qui sera porteur d'une différenciation positive pour le groupe et permettra de désenclaver certains territoires. J'ai inauguré il y a quelques jours le premier réseau 4G à Marseille, une première gamme de terminaux mobiles étant attendue pour septembre.
Je souhaite, pour conclure, faire passer des messages forts s'agissant de la réglementation du secteur. Seul opérateur mondial de télécommunications sur le marché national, le groupe France Télécom-Orange est présent dans 35 pays, dont certains représentent des enjeux politiques particulièrement importants. Il s'agit d'en faire une entreprise utile aux français, notamment à travers les emplois, tout en rayonnant sur la scène internationale.
M. Raymond Vall, président. - Monsieur le Président, je voudrais vous interroger sur un point précis qui se rattache au thème du maintien de la capacité d'investissement de France Télécom - Orange. Le président de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), M. Pierre Mongin, vous a proposé de conquérir dix millions de clients par jour dans les transports parisiens en les équipant d'un réseau mobile et semble s'étonner de ne pas avoir reçu, en retour, de proposition de votre part, alors que SFR et Bouygues Telecom ont d'ores et déjà formalisé leur engagement.
M. Michel Teston. - Je limiterai mon intervention à deux sujets.
Le premier concerne la situation de l'emploi dans la filière de la téléphonie mobile. Au printemps 2009, lors du débat relatif à l'autorisation d'un quatrième opérateur de téléphonie mobile, j'avais indiqué, au nom du groupe socialiste, qu'il semblait préférable d'accorder la priorité au développement de la couverture numérique du territoire. Ce n'est pas la voie qui a été suivie et nous constatons aujourd'hui que deux opérateurs ont annoncé des plans sociaux : vous avez indiqué qu'il n'y en aurait pas à France Télécom, mais nous souhaiterions en avoir la certitude.
En second, lieu, s'agissant de la couverture numérique du territoire, le programme national très haut débit (PNTHD) fait, à mon sens, la part très belle aux opérateurs et cantonne les collectivités territoriales dans la couverture des zones classées les moins denses. Il faudra faire évoluer ce plan. En attendant, nous souhaiterions être rassurés sur la capacité de votre groupe à tenir ses engagements tant en matière de téléphonie fixe que mobile. Je dois avouer que la montée en puissance de vos investissements suscite un certain doute.
M. Daniel Raoul, président. - Je m'associe à cette crainte.
M. Hervé Maurey. - J'avais également pris des positions à peu près identiques à celle que vient de rappeler mon collègue Michel Teston.
J'estime par ailleurs légitime la remarque formulée par le président de France Télécom, qui a utilisé l'image de la « vache à lait » fiscale : je préfèrerai qu'on mette à la charge des opérateurs un peu moins de taxes et un peu plus d'obligations en termes de couverture du territoire. Je formulerai trois questions à propos de cette dernière.
Tout d'abord, au moment où on parle de très haut débit, je rappelle que certains territoires ne bénéficient même pas du haut débit. Vous avez annoncé, en 2010, un programme triennal permettant de couvrir, selon vos indications, 99 % de la population en ADSL. Il m'a été signalé, au niveau régional, que, par mesure d'économie, ce programme avait été interrompu ou suspendu : à la mi-2012, seuls un tiers des investissements prévus au total semblent avoir pu être réalisés. Vous avez cependant contesté cette affirmation et je voudrais, dans ces conditions, savoir si vous êtes en mesure de confirmer que le programme sera mené à son terme en 2013.
S'agissant du très haut débit, vous avez évoqué la montée en puissance de vos investissements : comment expliquer, dans ces conditions, la diminution de moitié du carnet de commande des entreprises qui déploient la fibre optique ? Vous comprenez que ce constat alimente les doutes...
Enfin, vous avez exprimé des réserves à l'égard de la proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire adoptée par le Sénat le 14 février 2012 et aujourd'hui en « navette » devant l'Assemblée nationale. Je voudrais, en particulier, vous interroger sur les motifs pour lesquels vous contestez le volet prévoyant la contractualisation avec les collectivités territoriales des engagements pris par les opérateurs.
Mme Évelyne Didier. - Vous avez évoqué la question du déploiement de la fibre optique et, comme vous le savez, dans ce domaine, les zones péri urbaines ou rurales constituent le sujet le plus sensible. Un certain nombre de communes peu peuplées s'efforcent de financer certaines infrastructures et je souhaite vous demander si un soutien ou un intérêt particulier leur est accordé.
Ma seconde interrogation, plus ponctuelle, porte sur les raisons pouvant expliquer que France Télécom n'ait pas pu réussir à conserver les contrats de téléphonie conclus avec certains ministères ou avec le Sénat.
M. Pierre Hérisson. - Je forme d'abord un voeu pour que l'appellation France Télécom - Orange soit simplifiée. En ce qui concerne, ensuite, la panne récente que vous avez évoquée, envisagez-vous à très court terme des mesures de sécurité complémentaires pour prévenir les actes de malveillance ou les attaques terroristes ?
Par ailleurs, comme nous pouvons le constater, les approches diffèrent légèrement en matière de déploiement de réseau. Je résumerai la mienne en deux concepts avec, tout d'abord, celui de la compatibilité entre les technologies : à mon sens on doit pouvoir imaginer une complémentarité entre fibre et 4 G ; je voudrais savoir dans quelle mesure vous rejoignez cette analyse. En second lieu, j'insiste sur la mutualisation des moyens, ce qui amène à se demander s'il convient de faire porter la charge financière sur les consommateurs ou les usagers clients : ces deux ensembles se recoupent en grande partie mais pas totalement. Je conclus mon propos en souhaitant que les opérateurs de téléphonie puissent être associés de façon transparente, tant du côté du Parlement que de l'État, à l'élaboration des normes législatives et réglementaires qui les concernent directement.
M. Yves Rome. - Je me félicite de la réaffirmation, par France Télécom, de la volonté de mise à niveau de notre territoire en très haut débit et je rejoins le diagnostic selon lequel notre pays a besoin d'un opérateur puissant sur la scène internationale.
Je souhaite ici exprimer l'inquiétude des collectivités locales sur trois points précis. Tout d'abord, en 2010, votre plan « Conquête 2015 » prévoyait d'apporter la fibre à 10 millions de foyers d'ici 2015 ; or, selon l'ARCEP, nous en sommes aujourd'hui à 1,58 million seulement, tous opérateurs confondus. Pouvez-vous préciser vos objectifs intermédiaires pour la fin 2012, 2013 et 2014 ?
Deuxièmement, quel est le chiffrage des moyens que France Telecom pourra consacrer aux co-investissements avec les collectivités territoriales d'ici 2015 pour développer les réseaux et surtout mieux utiliser l'existant ?
Enfin, êtes-vous dès à présent préparés à engager des discussions avec les départements et les régions qui portent les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN) pour donner aux collectivités une meilleure visibilité en matière de couverture du territoire en réseau 4G ?
M. Bruno Retailleau. - Je poserai rapidement quatre questions. Premièrement, une défaillance humaine est-elle à l'origine de la récente panne de votre réseau mobile, et quel en sera le coût global ? Deuxièmement, pensez-vous étendre à la 4G l'accord d'itinérance en 3G que vous avez conclu avec Free ? En ce qui concerne la fibre, le principal motif d'inquiétude des collectivités se concentre sur certaines zones : quelle assurance pouvez-vous nous apporter sur le respect du calendrier de déploiement ? Par ailleurs, j'attends avec impatience la prise de position de l'État sur le dividende versé à ses actionnaires par France Télécom pour le prochain exercice, tout en rappelant que le dividende a été maintenu pour l'année en cours. J'ai noté, comme vous, le changement de position de la commissaire européenne chargée de la société numérique, Mme Nelly Kroes, qui me parait fondamental. Permettez-moi, enfin, de vous interroger sur votre sentiment à l'égard d'une éventuelle fusion des deux régulateurs que sont le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et l'ARCEP.
M. Daniel Raoul, président. - Cette fusion apparait, à mon sens, dans la logique de la convergence des deux technologies dont on voit mal pourquoi elles continueraient à faire l'objet de circuits de régulation séparés.
M. Stéphane Richard. - Je confirme, tout d'abord, notre intention de parvenir à un accord avec la RATP. Le début des discussions entre cette dernière et les opérateurs a été difficile car nous sommes soumis à une obligation de rentabilité financière et à de multiples contraintes d'investissement sur l'ensemble du territoire. Je note que l'approche de la RATP a considérablement évolué puisqu'elle recherchait au départ une forme d'exclusivité avec un seul opérateur, ce qui ne constituait pas un modèle économiquement viable.
S'agissant de l'emploi dans le secteur de la téléphonie mobile, je partirai d'un constat de bon sens. On a introduit un quatrième opérateur en France en affichant comme priorité l'amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs. Le nouvel opérateur a même été jusqu'à estimer à 7 milliards d'euros le montant des sommes réaffectées au consommateur. J'estime qu'il faut clairement énoncer les implications d'un tel raisonnement : si on imagine que les autres opérateurs de téléphonie mobile étaient gérés de façon particulièrement dispendieuse, on peut alors conclure qu'ils peuvent aisément surmonter une baisse de leurs recettes. Dans l'hypothèse inverse, personne ne pouvait imaginer qu'un transfert de valeur aussi massif ne puisse avoir de conséquences redoutables sur tous les acteurs concernés. Une telle situation implique tout d'abord une baisse du dividende ; celle-ci concerne non seulement l'État actionnaire, mais aussi tous ceux qui ont investi dans l'entreprise France Télécom. Cette dernière, je le rappelle, est cotée en bourse et a encore aujourd'hui 30 milliards de dettes ; dans ces conditions, il nous est difficile de considérer les actionnaires comme une simple variable d'ajustement. En second lieu, la baisse du prix des abonnements - la France aura bientôt les tarifs les plus bas du marché européen - implique l'adoption d'un modèle économique différent et la diminution des marges des opérateurs. Les opérateurs viennent de signaler clairement au Gouvernement les risques pour l'emploi qui résultent de cette situation et ce dernier a l'intention d'examiner les mesures permettant un certain rééquilibrage. A cet égard, j'attire l'attention sur le fait que depuis un certain nombre d'années, les droits des consommateurs ont été systématiquement privilégiés dans ce secteur, en allant jusqu'à la limite extrême de l'équilibre économique. L'exemple des durées d'engagement l'illustre : ce délai minimum, qui suscite des réticences compréhensibles de la part des consommateurs, permet uniquement d'étaler dans le temps le prix d'achat des terminaux qui leur sont proposés. Or, le quatrième entrant a fait une percée commerciale en vendant uniquement des cartes SIM. Dans le même temps, la loi dite « Chatel » du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a donné la possibilité à ces derniers de réduire substantiellement leur durée d'engagement. On a ainsi rogné continuellement sur des éléments critiques de la rentabilité des opérateurs historiques. Le second exemple concerne la facturation des services d'assistance clients : si l'offre de base mérite sans doute de bénéficier de la gratuité, ce n'est pas le cas de tous les services, sauf à priver les opérateurs de ressources importantes et à les inciter à délocaliser leur activité.
Je souhaite donc que soient réexaminés un certain nombre de ces mécanismes afin de favoriser la sauvegarde des emplois de notre secteur. Je rappelle que France Télécom n'a, pour sa part, pas annoncé de plan social. Ceci d'abord parce que notre groupe a d'autres activités que la téléphonie mobile. Mais aussi parce qu'il a eu recours - je l'assume pleinement - à l'itinérance, ce qui a permis d'amortir la brutalité des ajustements induits par l'entrée du quatrième opérateur.
En ce qui concerne les problématiques liées à la couverture, je comprends parfaitement l'impatience et l'inquiétude de nombreuses collectivités sur ce sujet essentiel pour la vie de nos concitoyens et de nos entreprises : on ne peut pas parler de revitalisation des territoires sans haut débit et nous sommes parfaitement conscients de la pression exercée sur les élus dans ce domaine. La difficulté est qu'aucune solution simple ne se dessine. Il y a encore quarante ans, on aurait pu régler la question en lançant un grand emprunt d'État et en mobilisant, comme pour la téléphonie fixe en 1970, l'administration d'État en charge des télécommunications sur le sujet. Toutefois, le monde a changé : les acteurs et les contraintes se sont multipliés au niveau national et européen. Aujourd'hui, sur ces nouvelles bases, seules une relation de confiance entre les opérateurs et les collectivités publiques ainsi que des interventions partenariales permettront de dégager une solution. France Télécom s'est résolument engagé dans cette voie, d'une part, en annonçant de façon transparente et chiffrée ses engagements et, d'autre part, en signant régulièrement des conventions avec les grandes collectivités régionales, départementales et urbaines. Ces outils permettent aux élus locaux de suivre attentivement notre action. Au total, je réaffirme très clairement que nous n'avons pas l'intention de diminuer les ressources que nous consacrons, en France au haut débit ou au très haut débit, même si nous devons gérer une contraction sensible de nos ressources. En témoigne l'augmentation sensible depuis deux ans du pourcentage consacré par le groupe à l'investissement : il est passé de moins de 10 à environ 14 % de son chiffre d'affaires. Pour y parvenir, nous diminuons le dividende payé aux actionnaires et améliorons notre productivité tout en préservant l'emploi.
Nous ne souhaitons pas remettre en cause le programme de neutralisation des gros multiplexeurs. Nous avons l'intention de respecter cet engagement avec peut-être, cependant, un retard de six mois à un an par rapport à la date initialement prévue, à savoir 2013. Cet engagement correspond d'ailleurs à l'intérêt de l'entreprise, puisque les foyers des territoires concernés sont très majoritairement des clients du groupe.
La baisse des carnets de commande de l'industrie de la fibre peut s'expliquer par de multiples facteurs, parmi lesquels le passage à une phase de déploiement vertical -beaucoup moins consommateur de fibre que le déploiement horizontal - ou le ralentissement des investissements en raison de la situation sur le marché du mobile.
S'agissant de la proposition de loi adoptée par le Sénat visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, nous ne sommes pas opposés au principe de la contractualisation, mais aux sanctions financières qui l'accompagnent. Le secteur a été considéré pendant des années comme une « vache à lait », en étant constamment soumis à des taxes nouvelles. Les opérateurs ne peuvent pas être favorables à un système pouvant aggraver la charge fiscale.
En matière de très haut débit, nous sommes dans une économie mixte, dans laquelle les opérateurs et les collectivités sont les acteurs centraux. Une compréhension réciproque doit exister. Cela prendra du temps, mais le groupe France Télécom - Orange souhaite mettre en place une véritable relation de confiance avec les collectivités.
M. Hervé Maurey. - Dans la proposition de loi adoptée par le Sénat, l'application des sanctions est laissée à l'appréciation de l'ARCEP. L'objet du texte est simplement d'opérer un rééquilibrage car, actuellement, la contractualisation n'est pas de droit.
M. Stéphane Richard. - Nous avons effectivement perdu l'appel d'offres portant sur l'équipement du Sénat et de certains ministères. La mécanique de ces appels d'offres est très axée sur le prix, avec des cahiers des charges exigeants. Nous n'avons très certainement pas été assez performants, il faut le reconnaître. Notre objectif est de regagner ce marché lors du prochain appel d'offre : au-delà du chiffre d'affaires, il est important pour l'opérateur historique d'être présent dans les grands ministères et dans les assemblées.
En matière de sécurité, j'ai décidé de lancer, suite à la panne, un audit complet sur le fonctionnement des systèmes de sécurité de redondance qui n'ont manifestement pas bien fonctionné. Il s'agira plus généralement de dresser un état des lieux complet sur la sécurité des réseaux. Il y a tout d'abord la sécurité intrinsèque, c'est-à-dire la façon dont on peut assurer une redondance sur certains équipements critiques, afin de limiter les effets de la défaillance d'un équipement sur l'ensemble du système. Sur les équipements de coeur de réseau, nous disposons d'un système de sécurité à trois niveaux : or, lors de la panne, les équipements de secours n'ont pas été sollicités. Le groupe compte 27 machines de coeur de réseau réparties sur plus d'une dizaine de sites : il n'y a donc pas de concentration géographique. Par ailleurs, tous les liens de transmission sont répliqués un grand nombre de fois. Il y a également la question des agressions informatiques : nous sommes particulièrement précautionneux en matière de systèmes de sécurité ; parmi les grands opérateurs mondiaux, nous sommes en pointe sur ce sujet. Il convient d'être vigilant en permanence et c'est pourquoi notre corps d'audit interne, comprenant 120 personnes, s'y implique pleinement.
En matière de complémentarité, il est en effet important d'aller vers une utilisation intelligente des différentes technologies : la fibre, pour la plus grande partie des besoins, mais aussi la 4G ou le satellite. La fibre est la solution adéquate pour des territoires très denses comme le Japon ou la Corée du Sud, mais pas pour un territoire plus diversifié et moins dense comme le nôtre. Il faut donc être plus pragmatique, tout en gardant l'objectif d'apporter le très haut débit à tous les citoyens. S'agissant de la mutualisation, nous sommes également pragmatiques puisque nous avons signé un accord sur la fibre avec tous les opérateurs. Encore faut-il que chacun tienne ses engagements.
S'agissant de la montée en puissance du plan fibre, on comptait, en juin 2012, 1,25 million de logements raccordables et 4,7 millions de logements adressables. Le souhait de certains opérateurs de réserver certains logements a eu des effets négatifs, certaines copropriétés s'en plaignant auprès de nous. La vraie problématique porte par ailleurs aujourd'hui sur le taux de transformation entre les foyers raccordés et les abonnés : seuls 10 % des foyers raccordables sont abonnés à la fibre. La stratégie commerciale des opérateurs est en question. Nous sommes les plus motivés à tenir nos engagements, notamment parce que nous avons perdu du terrain depuis plus de dix ans. La fibre peut être un outil de reconquête efficace : sur Paris par exemple, le fait d'accélérer le déploiement vertical nous permet, pour la première fois depuis dix ans, d'accroître nos parts de marché. Nous sommes pour le reste en phase avec l'engagement pris jusqu'en 2015 : il n'y a aucun ralentissement des investissements. On est en effet passé de 150 millions d'euros d'investissements en 2011 à 300 millions en 2012. La hausse sera sensible en 2013 et les années suivantes ; l'effort se poursuivra d'ailleurs après 2015.
Nous n'avons pas identifié de budget spécifique pour les co-investissements avec les collectivités territoriales. Nous devons nous adapter aux appels d'offre, qui diffèrent en fonction de la nature et de la taille des collectivités. Nous souhaitons être présents partout où cela est possible. Nos délégués régionaux quadrillent le territoire. Nous sommes l'opérateur le plus actif pour ce qui concerne le co-investissement et nous souhaitons garder ce contact étroit avec les collectivités territoriales.
Je ne peux pas vous dire si une défaillance humaine explique la panne. Les investigations sont en cours. Elles sont menées conjointement avec Alcatel Lucent, notre partenaire technique, et sont relativement complexes. L'incident est intervenu après la préparation d'une mise à jour logicielle sur un des équipements critiques. Impossible de dire aujourd'hui s'il s'agit d'une erreur humaine, mais a priori ce n'est pas le cas. Je donnerai une estimation du coût de cet incident le 26 juillet prochain lors de la présentation des résultats du premier semestre. Il devrait atteindre plusieurs dizaines de millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
L'itinérance 4G n'est pas à l'ordre du jour pour l'instant. Votre question me permet d'évoquer la problématique de l'itinérance, qu'il faut bien dissocier de celle liée à l'arrivée d'un quatrième opérateur, dans les conditions qui avaient été prévues. Quand on permet au nouvel opérateur de lancer une offre sur tout le pays avec seulement 25 % de taux de couverture, l'itinérance est indispensable. Elle est même consubstantielle au cahier des charges du nouvel opérateur, qui prévoyait d'ailleurs l'itinérance sur la 2G. Je suis agacé que certains acteurs se fixent sur cette problématique. A mes yeux, on surestime l'impact sur le réseau 3G : le premier attrait de l'offre de Free reste la voix et le SMS. Je rappelle par ailleurs que l'ARCEP et, surtout, l'Autorité de la concurrence, nous ont incités à contracter l'itinérance 3G, en contrepartie de la possibilité de faire du quadruple play. L'itinérance n'a, bien sûr, pas vocation à être pérenne : le vrai enjeu réside dans le degré de déploiement du réseau de Free. Des questions se posent en la matière et, à mes yeux, la méthodologie retenue pour mesurer la réalité du déploiement de cet opérateur est contestable. Il reviendra au régulateur de prendre position sur ce sujet.
Pour ce qui concerne la position de l'État sur les dividendes du groupe, j'ai fait part au ministre de l'économie de nos projets en la matière. Il n'est pas encore temps de discuter de la politique de distribution des dividendes. L'État comprend que l'entreprise doit faire des arbitrages, notamment pour ne pas sacrifier ses investissements et pour préserver l'emploi. Le marché lui-même nous incite à revoir à la baisse le dividende.
Je ne me prononcerai pas sur la fusion CSA-ARCEP. Nous avons des relations de travail normales avec le régulateur, que nous souhaitons poursuivre : l'ARCEP est une autorité compétente, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde, et à l'écoute des opérateurs.
M. Alain Fouché. - Comment comptez-vous dédommager de la panne qui vient de se produire, les clients itinérants, c'est-à-dire ceux des opérateurs que vous hébergez ?
Comptez-vous, ensuite, rapatrier vos centres d'appels qui se trouvent hors du territoire national, ou bien faire rapatrier ceux de vos sous-traitants ?
M. Alain Chatillon. - Le secteur de la téléphonie est très porteur, puisqu'en quinze ans, vous êtes parvenus à capter 10 à 12 % du revenu des ménages, au détriment en particulier des produits alimentaires. Cependant, votre bilan ne manque pas d'inquiéter : votre groupe est à peine valorisé au prix de ses fonds propres, ce qui en fait une cible bien tentante d'une offre publique d'achat (OPA) hostile, en particulier venue de Chine. Comment vous prémunissez-vous d'une telle perspective ? Avez-vous, par exemple, constitué un pacte d'actionnaires suffisamment stable pour sécuriser l'entreprise ?
M. Joël Labbé. - Alors que les informations que vous nous donnez sur l'entreprise sont rassurantes - pour l'emploi, les investissements, l'activité -, vous êtes sur la défensive sur le versement du dividende à l'État, vous vous plaignez presque d'avoir à le faire ! Soit dit en passant, l'expression de « vache à lait » n'a rien de choquant : chez nous en Bretagne, on ne trait que les vaches qui ont du lait, c'est même parce qu'elles en ont, qu'on les traie !
Comme élu local, ensuite, je déplore les difficultés relationnelles de votre entreprise avec les collectivités locales : la confiance est indispensable au partenariat, nous en avons tous besoin !
M. Robert Navarro. - Vous me rassurez en disant que l'emploi ne sera pas la variable d'ajustement, mais vous m'inquiétez lorsque vous annoncez 3 milliards d'investissement, alors que vos trois concurrents prévoient, en tout, 27 milliards ! Votre groupe est un fleuron, tout le monde en est d'accord ; le dividende qu'il apporte à l'État est utile à la collectivité : quelle stratégie comptez-vous mettre en oeuvre pour le pérenniser ? La réponse intéresse les finances publiques, mais aussi le service rendu à l'usager.
M. Philippe Leroy. - Votre attitude défensive m'inquiète également, car elle fait craindre que votre groupe ne soit pas à la hauteur des enjeux. Pour être membre de l'association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA), et co-auteur de la proposition de loi sur l'aménagement numérique du territoire que le Sénat a adopté en février dernier, je voudrais vous entendre dire que, pour le très haut débit, il n'y a pas d'alternative à la fibre. C'est important, parce que cela oblige notre pays à faire des choix d'infrastructures et à abandonner des combats d'arrière-garde qui ne font que désavantager certains territoires. Je pense ici à des investissements qui sont faits dans le réseau en cuivre, par des collectivités locales peut-être insuffisamment informées, alors qu'elles auraient bien plus intérêt à passer directement à la fibre : convenez-vous avec moi qu'il n'y a pas d'alternative à cette technologie pour passer au très haut débit, et que les autres réseaux ne peuvent intervenir qu'en complémentarité ?
M. Martial Bourquin. - La compétitivité est un thème d'actualité où l'on parle du coût du travail, mais pas assez des infrastructures. Or, le très haut débit, comme infrastructure, devient un facteur incontournable de notre compétitivité : les entreprises, petites et grandes, ne pourront bientôt pas s'en passer, au point de déserter les territoires qui ne le leur offriront pas. Cependant, la différentiation entre zones « denses », « moyennement denses » et « peu denses » interdit toute péréquation entre territoires : ne devrait-on pas rechercher une péréquation entre eux, redéployer de l'argent gagné dans les zones denses vers celles qui le sont moins ? Peut-on établir un schéma directeur dans ce sens ?
Sur la téléphonie mobile, ensuite, il reste trop de « zones blanches » ; il faut le reconnaître, plutôt que de se satisfaire d'une couverture illusoire.
Enfin, ne pensez-vous pas que l'ARCEP doive être dotée d'un pouvoir de sanction contre les opérateurs qui ne respectent pas leurs obligations ?
Mme Renée Nicoux. - Les « zones blanches » existent, elles sont le quotidien de bien des territoires et il est grand temps de le reconnaître. Il est difficile de comprendre, ensuite, pourquoi il faut tant de temps entre l'installation d'un pylône et son raccordement : en Creuse, je peux vous citer l'exemple d'un pylône installé depuis un an, mais qui n'est toujours pas raccordé, personne ne comprend pourquoi ! Ma commune, enfin, a mis en concurrence les opérateurs, comme c'est la règle, mais elle n'a reçu aucune offre de France Télécom : pourquoi ?
M. Bruno Sido. - En France, les discours l'emportent trop souvent sur l'action et les collectivités locales doivent agir par elles-mêmes quand elles sont lasses d'attendre les suites de belles paroles. C'est ce que nous avons fait dans mon département, en prenant les choses en mains. Des informations essentielles nous manquent cependant sur les « zones blanches », dont on sait bien qu'elles existent mais que personne ne veut cartographier. J'ai fait un rapport sur le sujet, je participe à une commission ad hoc : nous avons été réunis deux ou trois fois déjà, pour aucun résultat ! Quand va-t-on enfin disposer d'une carte des « zones blanches », qui nous permette d'agir ? Nous ne demandons pas à l'État ni aux opérateurs de payer, mais juste de nous communiquer l'information !
Sur le haut débit, ensuite, il est bien difficile de comprendre, et d'expliquer à nos concitoyens, qu'il faille plus d'un an pour raccorder un noeud de raccordement d'abonnés (NRA) à la fibre alors qu'elle passe juste devant. La collectivité locale investit, elle installe le NRA, mais pendant un an il ne se passe rien : pourquoi ? C'est de la perte de valeur...
M. Alain Houpert. - Je déplore à mon tour la détérioration des relations qui étaient traditionnellement très bonnes entre nos syndicats d'électrification et France Télécom : on en est arrivé quasiment au « 22 à Asnières », tout est toujours compliqué, dans mon département de la Côte d'Or votre entreprise retarde 60 dossiers, alors qu'à peine 30 000 euros sont en jeu ! Nous sommes des élus, nous aimons notre opérateur historique ; le partenariat est fait de relations qui sont toujours consentantes : France Télécom doit se mettre en empathie avec les collectivités locales pour, tous ensemble, construire les réseaux et les services de demain !
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Pour contribuer au financement des infrastructures, ne peut-on pas regarder du côté des grands emprunts et autres project bonds ? N'y a-t-il pas, ensuite, des marges de manoeuvre fiscales à trouver, en taxant non plus seulement le contenant, c'est-à-dire les réseaux, mais le contenu, c'est-à-dire l'activité qui se déroule grâce aux réseaux ?
M. Stéphane Richard, président de France Télécom. - Les clients dont les opérateurs sont hébergés, donc les clients itinérants, seront dédommagés au même titre que nos clients, mais via leurs opérateurs.
France Télécom n'a pas de centres d'appels à l'étranger : toutes nos plateformes sont sur le territoire national. Cependant, certains de nos sous-traitants ont des plateformes off shore. Pourquoi y ont-ils recours ? Pour des raisons de prix : le coût du travail est deux à trois fois moindre au Maghreb par exemple. Mais il y a aussi la question de la disponibilité horaire : aujourd'hui, les clients demandent un service permanent, ce qui est parfaitement impossible à organiser avec les salariés du groupe en France. Peut-on rapatrier les centres d'appels ? La question est à poser aux entreprises concernées, et il ne faut pas perdre de vue que les centres d'appels ont été des outils de la politique de coopération avec les pays du sud, en particulier avec le Maroc, la Tunisie et le Sénégal : ils sont des symboles de la participation française au développement de ces pays, les retirer n'est pas si simple qu'il y paraît. Je crois que nous avons plutôt besoin, pour commencer, d'un état des lieux, parce que nous entendons tout et n'importe quoi sur le sujet : une mission d'étude serait bienvenue, confiée par exemple à l'inspection générale des finances (IGF) et à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Les télécommunications seraient un secteur porteur ? Moins qu'on ne le croie souvent : en fait, le chiffre d'affaires ne progresse plus depuis dix ans, au gré de la régulation - qui prélève un milliard par an - et, surtout, de la baisse continue des prix des télécommunications : il suffit de comparer avec la plupart des autres biens, par exemple le train ou l'énergie, pour mesurer combien l'évolution des prix des télécommunications est favorable aux consommateurs. En fait, les dépenses de télécommunication sont stables depuis une dizaine d'années, elles représentent environ 2,5 % du budget des ménages - et non pas 12 % comme vous le dites, M. Alain Chatillon.
Notre faible valorisation est-elle une fragilité ? Nous préférerions certes être davantage valorisés par le marché, mais notre entreprise ne se distingue pas, sur ce point, de ses concurrentes : c'est le lot de ce secteur. Cependant, nous avons la chance que l'État détienne 27 % de notre capital : c'est quasiment la majorité en conseil d'administration et, surtout, c'est la meilleure protection contre toute OPA hostile.
Plusieurs d'entre vous ont eu le sentiment que j'étais sur la défensive, j'en suis bien attristé. La réalité du secteur est si différente de son image - celle d'un secteur encore « grassouillet », alors ce n'est plus du tout le cas - que j'ai peut-être un peu forcé le trait, pour vous faire bien percevoir ce qu'il en est réellement. Loin d'être sur la défensive, notre stratégie est offensive : notre plan stratégique « Conquête 2015 » se déploie sur quatre axes complémentaires : en interne, nous voulons reconstruire l'entreprise, faire que les salariés s'y sentent bien et nous faisons de réels progrès en la matière, le climat interne s'améliore ; nous investissons sur les réseaux du futur, en y consacrant 14 % de notre chiffre d'affaires - nous investissons 6 milliards d'euros par an, dont 3 milliards en France -, en nous positionnant sur la 4G ; nous développons le service, parce que nous sommes convaincus qu'il y a des places à prendre dans les technologies du « sans contact », dans la billettique, et qu'on ne doit pas tout laisser aux grandes entreprises américaines ; enfin, nous sommes conquérants à l'international, nous comptons déjà 230 millions de clients dans 35 pays, nous réalisons la majeure partie de notre chiffre d'affaires hors de France et nous sommes très présents sur les marchés en plein essor, par exemple en Afrique, le continent qui va connaître la plus forte croissance démographique dans les décennies à venir. Si mon discours a pu vous paraître sur la défensive, c'est parce que je défends mon entreprise, une entreprise conquérante et entièrement tournée vers l'avenir.
Les infrastructures numériques sont l'un des éléments essentiels de la compétitivité des territoires. Leur déploiement est un véritable enjeu national, que nous devons absolument relever. En tant qu'opérateur historique, nous avons une responsabilité particulière. Mais il s'agit d'un sujet complexe qui doit mobiliser tous les acteurs concernés, dans une logique de complémentarité des moyens et des actions, de façon transparente et en recourant à la contractualisation. Les investissements sont estimés à 300 milliards d'euros à l'échelle européenne ; ni les collectivités, ni les États ne pourront y pourvoir seuls. Certes, en Australie, l'État a décidé d'investir lui-même dans le déploiement de la fibre il y a trois ans, en empruntant 40 milliards de dollars, mais il ne connaît pas de dette publique comme la nôtre.
Le problème des « zones blanches » est réel. Peut-être faudra t-il revoir les modalités des mesures par l'ARCEP, qui ne reflètent pas toujours la réalité de terrain. Une mutualisation plus poussée entre opérateurs constitue une première réponse, en commençant pas les zones de déploiement prioritaires, qui représentent un peu moins de 20 % de la population mais 50 % des territoires, pour ce qui est de la 4G.
Je comprends les difficultés ressenties au niveau local, et nous nous efforçons de les examiner au cas par cas. Nous gérons un budget de 3 milliards d'euros d'investissement et sommes présents dans 250 sites : nous ne pouvons prétendre à un service parfait, mais nous nous engageons à remédier aux problèmes se posant.
S'agissant des relations avec les syndicats d'électrification, j'essaie de diffuser dans le groupe l'idée d'un renouvellement de l'état d'esprit du partenariat. Nous sommes désormais un acteur parmi d'autres, soumis à une concurrence très difficile, et tenu de rentrer dans une telle coopération. Les syndicats d'électrification sont des partenaires, mais ont été des concurrents, ce qui peut expliquer certaines incompréhensions.
En ce qui concerne les choix technologiques, j'admets, sans aucune ambigüité, que le très haut débit, c'est la fibre. En revanche, on peut s'interroger sur l'opportunité de recourir, de façon complémentaire mais marginale, à d'autres technologies et en s'appuyant sur la fibre : par exemple, il faut déployer de la fibre pour installer des émetteurs 4G.
Les financements européens sur les infrastructures font l'objet d'un programme de 10 milliards d'euros de la banque européenne d'investissement (BEI), ce qui peut être un complément de ressources intéressant.
Sur la taxation des opérateurs de service, on peut légitimement s'interroger sur la faible soumission à l'impôt de certains grands acteurs capturant la valeur de l'économie numérique, tel Google. Nos systèmes fiscaux ont des difficultés à appréhender l'activité de ces entreprises internationales, qui se sont implantées hors de France. Le Gouvernement, qui a lancé une mission sur la fiscalité du numérique, s'est emparé du sujet.
M. Gérard Bailly. - Comment pourra-t-on étendre la fibre dans les départements ruraux ?
M. Stéphane Richard. - L'économie du système veut que les opérateurs déploient dans les zones denses, de façon coordonnée, et que des partenariats public-privé interviennent sur le reste du territoire. A chaque collectivité de s'organiser pour les mettre en oeuvre, que ce soit au niveau des régions, des départements ou des communautés d'agglomérations. Cela prendre des formes différentes et nécessitera de recourir à des appels d'offres, dans des délais sans doute plus longs pour les zones rurales.
M. Alain Houpert. - Vous n'êtes pas véritablement un « opérateur parmi d'autres », car France Télécom est propriétaire des réseaux.
M. Stéphane Richard. - Certes, pour ce qui est du réseau cuivre, qui connaît toutefois un taux de dégroupage très important, puisque nous n'avons plus que 45 ou 46 % de parts de marché. Et pour ce qui est de la fibre, en-dehors des zones denses, nous représentons 80 % des déploiements et respecterons nos engagements en la matière.
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -
Organisme extraparlementaire - Désignation d'un candidat
La commission désigne Mme Bernadette Bourzai pour siéger, en qualité de membre titulaire, au sein du Conseil national de la montagne (en remplacement de M. Thierry Repentin).