Mardi 10 juillet 2012
- Présidence commune de M. Raymond Vall, président et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -Audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement
Lors d'une réunion conjointe avec la commission des affaires économiques, la commission entend Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Merci, Madame la Ministre, de venir vous exprimer devant nos deux commissions, dont celle que je préside, récemment créée, qui intègre la thématique de l'aménagement du territoire.
M. Daniel Raoul, président. - Les sujets qui préoccupent nos deux commissions sont similaires, en particulier ceux qui se rapportent à l'aménagement du territoire, au logement et au développement durable.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. - C'est pour moi un honneur tout particulier que de présenter pour la première fois les grandes lignes de l'action du ministère de l'égalité des territoires et du logement devant la chambre des territoires qu'est le Sénat.
L'ensemble des élus locaux a vu se succéder au cours des dernières années des projets multiples et des visions fort différentes en matière de politique territoriale, depuis l'ambition planificatrice des années 1960 jusqu'aux politiques de dérégulation, en passant par l'étape significative et historique de la décentralisation. L'aménagement du territoire semblait dépourvu d'un objectif clair, voire d'une ambition nationale. Il laissait coexister des politiques territoriales diverses aux ambitions inégales, qui ont rimé pour certains espaces avec abandon et relégation.
Le mandat que nous a confié le Président de la République est clair. Il l'avait exprimé lors de sa campagne, et sa feuille de route s'est trouvée confirmée et précisée par le discours de politique générale prononcé par le Premier ministre la semaine dernière. Notre mission est de placer l'ensemble des politiques d'aménagement du territoire sous le sceau de l'égalité. Ce qui ne signifie pas l'uniformité ou l'unicité, mais la reconnaissance de la diversité des contextes locaux dans une ambition de justice. C'est donc une mission nouvelle pour les institutions de la République, comme le fût à une époque - et j'en fus une partisane engagée - le développement durable. Elle remet les territoires au coeur de la République, comme beaucoup d'entre vous s'y sont attachés au cours des dernières années.
Aujourd'hui, chaque Français connaît sur son territoire une entreprise qui a délocalisé pour réduire ses coûts, et voit dans le même temps s'enchainer les fermetures de classes ou de réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté.
Dans le seul département de la Moselle, ce sont ainsi 5 400 postes de militaires, quatre tribunaux d'instance, deux conseils de prud'hommes, 267 postes dans l'enseignement primaire, une prison, et une quinzaine de brigades ou pelotons de gendarmerie qui ont été supprimés. A Joigny, dans l'Yonne, en douze ans, la ville a connu la fermeture de la maternité et du service de chirurgie, le départ du 28ème régiment de cartographie militaire, la fermeture des tribunaux d'instance et de commerce ; il ne reste que 24 agents de Pôle emploi pour 2 829 demandeurs d'emploi. A Briançon, ce sont une caserne et un tribunal qui ont fermé, le service de réanimation de l'hôpital devant subir le même sort.
Devant ce constat sans équivoque, les Français nous ont envoyé un message politique clair lors du premier tour de l'élection présidentielle. L'extrême-droite a remporté des scores sans précédent dans des territoires qui en étaient jusqu'alors préservés. Dans les campagnes, les quartiers et les villes petites et moyennes, vient se mêler à la désespérance sociale, qui naît de la crise, un sentiment de relégation et d'abandon par la puissance publique. Les Français sont à la fois déstabilisés par les effets incontrôlés et injustes d'une mondialisation sans limites, mais également victimes d'une réforme de l'État menée de manière désorganisée et incontrôlée. Les services publics ne jouent plus leur rôle, là où ils devraient être une puissance d'intégration.
Dès lors, naît un sentiment de méfiance et d'inquiétude. L'individualisme prospère, l'égoïsme progresse et le lien social se délite. L'État doit retrouver pleinement son rôle. Non pas celui d'une institution planificatrice qui décide de tout sans rien réaliser. Mais celui d'un État stratège, qui accompagne les citoyens, comme les élus, dans leurs projets.
L'égalité des territoires ne doit pas se concentrer sur quelques bénéficiaires, quartiers réservés ou territoires protégés. Elle doit donner à tous les habitants les moyens semblables de choisir leur vie. Si nous voulons assurer au plus grand nombre une amélioration de la qualité de vie - accès au logement, aux services publics, aux biens publics et à un environnement sain -, nous devons faire progresser les possibilités de recourir au droit et envisager les problèmes territoire par territoire.
Nous devons faire en sorte que les quelques 85% de la population française qui vivent à la ville s'y sentent bien, mais aussi éviter que les habitants des zones rurales ou des petites villes ne soient privés de l'accès à des services prévus pour tous. Nous devons reposer la question des relations entre les centres-villes, les banlieues et les territoires ruraux, ainsi que celles entre les grandes aires métropolitaines, dont la région capitale, et le reste du territoire. En somme, il s'agit de repenser la solidarité, à l'échelle nationale, comme à l'échelle régionale et locale.
Les problèmes sociaux sont en effet aujourd'hui multiples et diffus. Des quartiers dégradés existent également loin de la région capitale, comme à Limoges ou à Grande-Synthe. Mais la question sociale ne se limite pas aux quartiers populaires. Le statut d'ouvrier concerne plus de 60 % des hommes ruraux actifs - contre 44 % des citadins - et 18 % des femmes rurales actives - contre 9 % des urbaines.
La politique de la ville doit elle aussi être repensée, et mon collègue François Lamy y attache une importance toute particulière. La question des quartiers sensibles n'est jamais abordée comme elle se doit : s'ils connaissent des difficultés sociales et de la violence, ce sont les inégalités au sein d'une même agglomération qui sont les plus frappantes. Dans une même ville, cohabitent sans se rencontrer la grande bourgeoisie, des cadres et des professions intellectuelles, et des catégories populaires souvent immigrées. Le fossé se creuse, les inégalités progressent. Ainsi chaque année, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) nous montre que les quartiers sensibles voient leurs conditions de vie se dégrader, par rapport notamment aux centres aisés.
Mais si la carte des territoires prioritaires s'appuyait sur des données exclusivement sociales, elle ne ressemblerait absolument pas à celle actuelle des quartiers sensibles. Le recours croissant au revenu minimum d'insertion (RMI) et au revenu de solidarité active (RSA) dans les territoires ruraux en témoigne.
Un Français sur deux n'habite pas dans un grand centre urbain. Près des deux-tiers des communes de plus de 50 000 habitants ont perdu des habitants entre 1975 et 1990 au profit de la périphérie. Depuis 1975, ce sont les communes rurales périurbaines, celles qui sont dans la mouvance de grandes agglomérations, qui se développent le plus vite. Cette périurbanisation, qui avait commencé à s'essouffler, reprend depuis dix ans.
La fracture territoriale n'est pas toujours une fracture sociale. Elle est marquée par l'éloignement de services publics essentiels, laissant des populations entières dépendantes de leur automobile.
Il n'est pas de situation univoque, il n'est pas de solution unique. Nous devons donc trouver une réponse pour chaque territoire : pour les quartiers sensibles, pour les villes petites et moyennes et pour les territoires ruraux à faible densité. L'époque où l'aménagement des territoires se dessinait sur des plans et des schémas, loin des réalités de terrain, est révolue. Je souhaite associer pleinement les habitants, et d'abord leurs élus, à la construction de ces politiques. L'égalité des territoires se doit d'accompagner l'acte III de la décentralisation que nous engagerons, en s'appuyant sur des relations nouvelles entre l'État et les collectivités. Il s'agit de mettre en oeuvre une contractualisation nouvelle, partagée et équitable.
Nous devons aussi répondre aux nouvelles questions qui se posent, afin de mieux prendre en compte le fait métropolitain et son évolution, réexaminer les relations entre les régions, et considérer que les relations entre les territoires ne doivent pas être basées sur la compétition, mais sur une pleine coopération.
L'égalité des territoires, c'est aussi et avant tout une politique qui se trouve au coeur de la transition écologique, chère à ma volonté. C'est en effet au plus près de ces territoires que nous pourrons enraciner un modèle de développement soutenable économe de la ressource et soucieux des habitants, comme de l'environnement.
Dans les zones périurbaines, nous devrons entendre les attentes des habitants et améliorer leur desserte, tout en luttant vigoureusement contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols. Dans les zones rurales productives, nous devrons maintenir et renforcer une activité de proximité, tout en donnant un nouveau souffle aux villes et aux bourgs. Dans les campagnes abandonnées, nous devrons conserver les services publics, et en faire des espaces d'innovation et de création pour tous.
Dans les quartiers urbains sensibles, où se cumulent inégalités, chômage, insécurité, difficulté d'accès aux services, notamment publics, et enclavement, il faudra mettre un terme à des situations insupportables pour la République. A ce jour, à Clichy-Montfermeil, il n'y a toujours aucune agence Pôle emploi et pas de transport urbain !
La problématique n'est pas que locale et ne relève pas de la seule responsabilité des élus. Elle relève d'un enjeu national auquel l'État et le Gouvernement doivent apporter des réponses. Cela n'empêche pas les collectivités de s'approprier les sujets et de faire valoir leur connaissance du terrain. Mais en matière d'égalité, c'est la République qui est responsable et l'État qui doit en être le garant.
Le premier défi à relever sera de « réparer » les territoires meurtris. Je veux revoir la géographie prioritaire. Il y a aujourd'hui treize zonages différents. Comme l'intitulé de notre ministère l'indique, nous ne devons plus traiter les thématiques de manière éparse et désordonnée, mais selon une approche globale. La prise de conscience a eu lieu et la nécessité d'une action conjointe et coordonnée sur tous les territoires meurtris est désormais évidente.
Cet effort ne peut pas être décrété depuis Paris. L'égalité des territoires implique en effet la délibération collective de toutes les parties prenantes : les régions, dont le rôle en matière de développement économique ou de formation professionnelle est essentiel ; les départements, dont la mission d'insertion sociale doit être articulée avec celles des autres acteurs ; et les groupements de communes et leurs adhérents, dont le rôle de proximité est extrêmement important. L'égalité des territoires commande surtout une participation de tous les habitants. Il faut faire confiance à l'intelligence des territoires et leur permettre de reprendre en main la maîtrise de leur avenir.
En matière de politique de la ville, le Gouvernement prendra rapidement des mesures d'urgence dans trois domaines : il rétablira l'égalité sociale en créant 150 000 emplois d'avenir dans les communes qui connaissent à la fois un taux de chômage élevé et une pénurie de services publics ; il rétablira l'égalité devant la loi en déployant des effectifs de police supplémentaires ; enfin, il luttera pour l'égalité des chances en affectant prioritairement les emplois créés dans l'Education nationale aux écoles situées dans les quartiers populaires et en créant un droit à un capital formation pour tout jeune qui décroche.
J'engagerai la suppression des zonages au profit d'un périmètre unique resituant les quartiers défavorisés dans les dynamiques d'agglomération, au service d'un projet global de territoire. Ce périmètre distinguera la situation des villes qui ont des quartiers défavorisés de celles entièrement défavorisées, et ciblera les territoires qui ont structurellement peu de ressources et beaucoup de charges. Il proposera un contrat unique, déterminé en cohérence avec le périmètre prioritaire, transversal aux différents champs d'intervention, intégrant dans un même mouvement les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) et les projets de rénovation urbaine (PRU). On ne peut en effet dissocier l'humain de l'urbain. Le programme national de rénovation urbaine (PNRU) sera mené à son terme ; nous souhaitons qu'une nouvelle étape s'engage avant la fin de la mandature.
Il nous faudra restaurer la solidarité entre les territoires, gage d'une véritable cohésion nationale, à travers une politique de péréquation rénovée entre les différentes catégories de collectivités et territoires. Cela passera également par une politique raisonnée d'aménagement du territoire qui assure la mixité sociale, concilie les espaces naturels, agricoles et urbanisés, et développe la capacité de chaque territoire à trouver des relais de croissance. Je souhaite contribuer à la diversification des modèles de développement par le tourisme, par l'économie rurale, par l'économie sociale et solidaire, ou encore par la politique territoriale de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Ce sont autant de leviers pour ré-articuler au niveau régional les liens entre villes et campagnes autour de circuits courts, de solidarités nouvelles et de filières régionales créatrices de valeur, grâce à un tissu de PME devant être mieux accompagnées.
Il nous faudra également nous assurer de la permanence d'un service rendu au public, en fonction des besoins propres de chacun des territoires, en y affectant les moyens de droit commun.
L'égalité devra être rétablie, non seulement devant les charges publiques, mais également dans l'accès aux services publics. Je veux que les effectifs, ainsi que toutes les dépenses d'intervention de droit commun de l'État qui ne sont pas destinées aux ménages, soient affectés sur la base d'un diagnostic territorial, d'un dialogue puis d'un contrat passé entre l'État et les collectivités. Notre crédibilité dépendra en effet de notre capacité à rétablir l'égalité et la justice dans la répartition des moyens de droit commun, en affectant les effectifs et les dépenses d'intervention vers les collectivités les plus démunies, à partir d'un diagnostic partagé.
Un panel de services adaptés doit être offert à l'ensemble des Français, dans des conditions d'accès demeurant raisonnables. L'heure est venue de conjuguer présence physique de proximité et télé-services, et de désenclaver les territoires par une politique adéquate de transport et de développement de la couverture numérique.
Je ne pourrai relever seule ces défis, qui présentent pour la plupart une dimension interministérielle. Je souhaite énumérer quelques sujets sur lesquels nous entendrons associer la représentation nationale.
Il s'agira tout d'abord de tenir l'engagement présidentiel d'une couverture haut débit, puis très haut débit pour tous. Cette politique d'investissement public dans les réseaux favorise un développement plus harmonieux. Elle facilite la diffusion des services et remédie aux inégalités et à la fracture numérique. Enfin, elle constitue un levier de développement de nouveaux services, notamment dans le secteur privé. Le modèle reste à inventer ; ce pourrait être la transformation d'une partie de l'administration en plateforme, grâce à l'open data, sur laquelle se grefferaient des opérateurs proposant des services élaborés à partir des données mises en ligne.
Cette indispensable couverture numérique ne sera pas toutefois une raison de réduire la présence des services publics, au risque de les déshumaniser. Elle sera au contraire l'occasion de ré-articuler d'un côté les fonctions d'accueil, d'orientation, d'écoute, de conseil et d'appui, qui supposent la rencontre physique, et de l'autre la fonction d'administration de procédures, pour laquelle c'est moins le cas.
Notre deuxième objectif sera d'assurer l'accès en un temps raisonnable aux services essentiels pour tous : l'école et la petite enfance, la santé et les loisirs. Je sais que la présence médicale sur tous les territoires est un sujet dont vous vous êtes saisis avec résolution, dans vos territoires bien sûr et ici, au Sénat. Je prendrai connaissance avec attention des conclusions du groupe de travail présidé par Jean-Luc Fichet.
Il est essentiel de réussir le renouvellement des voies de chemin de fer et de relancer une ambition nationale de désenclavement, c'est-à-dire de pouvoir accéder à un centre urbain ou économique dans un délai raisonnable, ceci en déclinant, dans des schémas régionaux, des objectifs d'amélioration de l'accessibilité et de la desserte des territoires.
Pour donner un nouvel élan à une politique territorialisée de soutien à un développement économique durable, il faut structurer les métiers de l'aménagement du territoire et développer une ingénierie publique innovante, décentralisée et écologique.
L'accroissement de la mixité sociale dans les grands centres urbains doit être poursuivi. Le renforcement des obligations de la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) figure dans le programme présidentiel, mais les sanctions prévues sont rarement effectives. Je peux vous assurer qu'elles seront appliquées.
Je souhaite que nous réfléchissions également au levier que constituent les documents d'urbanisme pour favoriser la planification de la mixité sociale à l'échelle pertinente et éviter la ségrégation urbaine.
Mais nous devons voir plus loin et « refaire la ville » en intégrant ses habitants. La conception des quartiers doit prendre en compte la logistique et les services, ainsi que les relations avec les autres espaces, urbains comme ruraux, en privilégiant les circuits courts, qui s'appuient sur des réseaux de chaleur intelligents et sur le transport durable. Je veux éviter le risque d'un urbanisme générique, d'une ville sans qualité et sans identité, qui se plie aux seuls impératifs financiers et sécuritaires.
La politique du logement constitue le deuxième volet d'action de ce grand ministère. Elle n'est pas un complément à la politique d'égalité des territoires, mais véritablement un moyen privilégié d'atteindre ses objectifs à l'échelle nationale.
Dans les zones tendues, se pose le problème du coût de l'accès au logement et de ses conséquences : sur-occupation, reste à vivre réduit au minimum, saturation des capacités d'hébergement, listes d'attente interminables pour accéder au parc social et, en parallèle, exploitation de la situation par des « marchands de sommeil » qui profitent de la « captivité » des ménages dans le parc privé.
Dans les zones plus détendues, les problèmes sont d'une autre nature : dégradation du parc faute d'investissements, précarité énergétique, inadaptation des logements au vieillissement de la population ...
Ces crises sont le résultat d'un monde qui a changé : les inégalités, la pauvreté et la précarité au travail ont explosé, la structuration des familles a évolué, le vieillissement de la population a débuté. Le modèle français du logement, repensé à la fin des années 70, ne correspond plus à cette réalité. Il faut désormais l'adapter en profondeur tout en améliorant les conditions de vie des Français. Pour y parvenir, trois défis majeurs doivent être relevés.
Le premier, le plus important, est celui de l'offre. Nous devons développer massivement la construction de logements à des prix abordables, là où sont les besoins. L'objectif, très ambitieux car inédit depuis plus de trente ans, a été fixé par le Président de la République à 500 000 logements nouveaux chaque année. Nous n'y parviendrons pas du jour au lendemain, mais progressivement, en nous donnant les moyens de notre ambition.
Il faudra tout d'abord trouver des terrains. A cette fin, un programme de mobilisation du foncier sans précédent sera lancé par le Gouvernement dès les mois qui viennent. Il s'agira bien sûr du foncier public, dont la mise à disposition sera facilitée et simplifiée, avec une forte décote pour la réalisation de logements sociaux. Mais il s'agira aussi du foncier privé : nous travaillons à l'instauration d'une fiscalité spécifique sur les terrains constructibles qui permettra de lutter contre la rétention foncière.
Ensuite, il faudra des élus volontaires. A court terme, nous étudions la mise en place de moyens incitatifs forts, afin d'accompagner ceux qui construisent. Il faudra sans doute songer aussi à pénaliser davantage ceux qui refusent de prendre part à l'effort. A moyen terme, doit être posée la question essentielle de l'échelle pertinente pour élaborer et mettre en oeuvre les documents d'urbanisme : les compétences de l'échelon intercommunal doivent être renforcées en ce domaine.
Enfin, il faudra des investisseurs intéressés par la pierre et soucieux d'investir dans une cause utile. Le fer de lance du programme de construction sera constitué des bailleurs sociaux. Ils devront réaliser 150 000 logements par an. Nous leur donnerons pour cela des moyens renforcés, mais resterons très exigeants. Leurs capacités de financement devront être mutualisées et les logements sociaux financés majoritairement issus d'opérations neuves et adaptés aux besoins locaux.
L'investissement des particuliers dans le parc locatif est également nécessaire pour atteindre nos objectifs. Mais le logement ne doit pas être réduit à une niche fiscale : on ne devient pas propriétaire bailleur uniquement pour payer moins d'impôts. La loi Scellier s'est avérée efficace pour stimuler la construction, mais pas pour répondre aux besoins de logement des Français ; elle a montré les limites d'un dispositif sans contreparties sociales et sans contrôle. Je suis prête à réfléchir à de nouvelles mesures, qu'il faudra adapter aux besoins réels de nos concitoyens. Nous devons surtout inciter les investisseurs institutionnels à revenir sur le segment du logement intermédiaire ; c'est la condition essentielle de la constitution d'un parc locatif privé pérenne et de qualité.
Un autre défi que je souhaite relever est celui de l'habitat écologique. Le bâtiment constitue l'un des premiers secteurs de consommation d'énergie en France, des gisements d'économie gigantesques existent à cet égard. Nous devons agir maintenant, en inventant les savoir-faire artisanaux et industriels adaptés à la rénovation thermique. L'objectif posé par le Président de la République est de doter d'une performance thermique de qualité un million de logements par an. C'est un immense chantier, nécessitant que nous passions à la vitesse supérieure. Un plan national de performance thermique sera conçu en ce sens, en collaboration avec Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Je souhaite également qu'un chantier de grande ampleur soit ouvert sur la question des matériaux. Les hydrocarbures ne sont pas les seules ressources rares. Une réflexion approfondie doit être menée pour mieux recycler et mieux réutiliser les matériaux de construction. Les filières d'éco-matériaux, notamment la filière bois, doivent être structurées et mises en places, en lien étroit avec les collectivités territoriales et en tenant compte des spécificités régionales.
Le troisième défi à relever concerne l'accès au logement. Construire 500 000 logements par an est une absolue nécessité, mais à condition que les Français puissent en bénéficier. Lorsque le marché perd ses repères, et que les loyers atteignent des niveaux très excessifs, il est de notre devoir de les encadrer. Nous sommes en train de le faire. Dans un premier temps, nous exploiterons entièrement la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Le décret d'urgence, qui sera effectif au 1er août prochain, sera une première étape. Dans un second temps, nous vous proposerons de revoir la loi en profondeur : les rapports entre locataires et propriétaires seront réorganisés, et les loyers pourront être contrôlés par comparaison à des données fiables, éventuellement revus à la baisse. Pour rendre cette disposition effective, nous lancerons prochainement, en lien avec les collectivités, la mise en place d'un réseau d'observatoires des loyers des principales agglomérations.
Notre objectif est bien de travailler à la constitution d'un véritable service public du logement. Il est inacceptable aujourd'hui qu'un demandeur de logement social ait à suivre un « parcours du combattant » administratif. Comme s'y est engagé le Président de la République, je souhaite une réforme en profondeur des procédures d'attribution des logements sociaux. Le dispositif refondu devra être plus simple, plus lisible et plus juste, au service des usagers.
Cette politique du logement doit se faire pour tous, mais aussi au service des plus fragiles. Chaque jour, de nouvelles personnes sont à la rue et en situation d'exclusion. Pour y faire face, il nous faut rénover les dispositifs de veille sociale, de mise à l'abri et d'hébergement de manière à accompagner ces personnes dans la continuité. La volonté du Gouvernement est claire : l'État doit se donner les moyens d'appliquer le principe d'accueil inconditionnel. La politique d'accueil et d'hébergement doit ainsi être orientée vers le logement, dans l'esprit de la conférence de consensus tenue au niveau européen en 2010.
Il est nécessaire aussi d'agir en prévention, et je souhaite à ce titre mener un travail approfondi avec les bailleurs sociaux. Ils doivent agir dès le premier impayé auprès de leurs locataires. Cette question doit être mieux intégrée dans leurs missions.
Enfin, l'accès au logement implique de rendre effectif le droit au logement opposable, c'est-à-dire d'offrir à chacun un vrai lieu de vie et un logement de qualité, adapté à ses besoins et à ses aspirations. Il s'agit là d'une condition nécessaire pour pouvoir se construire sur tous les autres plans.
Notre feuille de route est dense, vaste et ambitieuse. Notre projet n'est pas moins que de permettre à chacun de retrouver sa place dans notre pays, conformément à la promesse d'égalité qui fonde notre République. Certes, la tâche est ardue, mais j'ai la conviction que se joue là le futur de notre démocratie et l'avenir de nos territoires.
M. Hervé Maurey. - Chacun sait ici que l'aménagement du territoire est au coeur des préoccupations, qu'il est la vocation même du Sénat. Je partage d'autant plus votre diagnostic, Madame la ministre, qu'il rejoint celui que je faisais déjà sous l'ancienne majorité, alors que j'en étais membre : l'aménagement du territoire manque cruellement de pilotage, ce n'est pas nouveau - et il nous faut, comme nous l'avons écrit en sous-titre de notre rapport sur l'aménagement numérique du territoire, « passer de la parole aux actes ».
Vous soulignez avec raison le caractère essentiel de l'accès au numérique, pour les entreprises, les services publics, l'ensemble de nos concitoyens : c'est ce qui fait de l'aménagement numérique du territoire, un facteur clé du développement durable. Le Président de la République promet le très haut débit pour tous dans dix ans : la promesse est plus belle encore que celle de son prédécesseur. Cependant, pour les populations et pour les élus qui ne disposent même pas du haut débit, la promesse paraîtra bien illusoire ! Dans les faits, l'installation du très haut débit ne fait qu'accentuer la fracture numérique entre ceux qui en disposent, et ceux qui n'accèdent pas au haut débit : c'est un domaine où l'égalité territoriale prend tout son sens ! Or, l'État est absent du sujet, les opérateurs sont tout à leur rentabilité et il ne reste que les collectivités locales pour s'occuper des territoires délaissés : là où elles sont actives, il y a un rattrapage, mais là où elles n'en n'ont pas les moyens, les habitants n'accèdent tout simplement pas aux réseaux numériques. Si l'on veut réduire la fracture numérique, il faut donc « changer de braquet » - je l'ai dit à Mme Fleur Pellerin -, ce qui implique de passer outre un puissant lobby numérique. Madame la ministre, le Gouvernement entend-t-il inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi que le Sénat a adoptée le 15 février dernier visant à instaurer l'aménagement numérique du territoire ?
Nous avons, ensuite, décidé de prendre à bras-le-corps la question de la désertification médicale, en lui consacrant un groupe de travail : nous vous ferons des propositions, nous espérons que vous les examinerez avec attention. Le temps d'accès aux services médicaux est un facteur crucial, mais il faut également prendre en compte le délai pour l'obtention d'un rendez-vous : quand il faut des mois pour avoir un rendez-vous chez un spécialiste, comme c'est le cas dans bien des territoires, votre problème de santé peut devenir grave dans l'intervalle !
M. Michel Teston. - Comment le Gouvernement compte-t-il faire évoluer le plan national pour le très haut débit, lequel fait la part belle - trop belle - aux opérateurs ?
S'agissant de l'accès aux services publics, le Sénat a débattu d'une proposition de loi faite par le groupe socialiste et visant à instaurer un nouveau pacte territorial, que la majorité de l'époque, le 30 juin 2011, avait renvoyée en commission. Nous y proposions en particulier une nouvelle organisation de l'offre de services publics et une prise en compte du temps d'accès aux services : le Gouvernement entend-t-il reprendre nos propositions ?
Mme Renée Nicoux. - Nous avons tous une attente forte en matière de services publics, c'est particulièrement vrai en Creuse, département si malmené qu'il a été la tête de pont pour le maintien des services. C'est pour bien connaître la situation qu'avec mon collègue creusois Jean-Jacques Lozach, nous avions proposé ce nouveau pacte territorial qu'évoque Michel Teston. En matière de santé, les collectivités locales se mobilisent en installant des maisons de santé, mais leur capacité d'action est limitée face à la désertification médicale : le Gouvernement, Madame la ministre, envisage-t-il d'agir sur le numerus clausus des formations médicales ?
La rénovation et l'amélioration de la performance écologique des bâtiments, ensuite, requièrent des formations nouvelles, pour les professionnels du bâtiment mais aussi pour leurs formateurs : les entreprises doivent disposer des compétences qu'exige la transition écologique de notre économie, il ne faut pas négliger cet aspect de la formation.
Vous proposez de renouveler les zonages, c'est une bonne nouvelle, et vous savez combien les régions de montagne paient leurs spécificités géographiques et topographiques : les élus de la montagne vous ont écrit pour que soient bien prises en compte ces spécificités, nous vous faisons confiance pour nous entendre !
M. Didier Guillaume. - Madame la ministre, je vous félicite d'être allée à l'essentiel : nous avons besoin d'un État stratège dans une France décentralisée et diverse. Au Sénat, nous savons bien que les problèmes - et leurs solutions - varient avec les territoires : merci de l'avoir dit et d'en faire un choix politique majeur. Il faut effectivement aider les villes en difficultés, mais sans délaisser les territoires qui se sentent oubliés - et qui l'ont dit avec force en votant pour l'extrême-droite.
Nous sommes également favorables à la fin de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et à une présence territoriale renouvelée des services publics. Je vous proposerais volontiers cette formule : ni statu quo, ni déménagement du territoire. Une évolution des services publics est nécessaire, parce que les services changent, de même que les territoires ; mais cette évolution pour plus d'efficacité ne signifie pas un déménagement du territoire - pourquoi ne pas, plutôt, chercher à inverser la tendance, en aidant l'installation de travail dans les territoires qui en manquent ? On connaît les contrats urbains de cohésion sociale, pourquoi ne pas tenter aussi des contrats ruraux de cohésion sociale ?
Enfin, le changement de politique ne pourra se passer d'une grande réforme de la fiscalité locale et de la redistribution de richesses entre territoires : c'est à ce prix seulement que nous pourrons contrer l'exode périurbain.
J'ajoute que si, comme vous le dites, la région est chef de file en matière économique et le département en matière sociale, les collectivités locales disposent d'une clause générale de compétence : les départements ne peuvent se contenter d'agir pour la solidarité sociale, ils ont un rôle économique à jouer, au service du développement territorial. Comme vous le voyez, vous avez - nous avons - du pain sur la planche !
M. Rémy Pointereau. - Sur le fond, on ne peut que souscrire au catalogue que vous nous présentez : par son épaisseur, il n'a rien à envier à celui de La Redoute ! Sur la forme pourtant, on ne peut qu'être gêné : vous faites comme s'il ne s'était rien passé avant votre arrivée - et comme si vous alliez enfin régler tous les problèmes ! Les zones de redynamisation rurales (ZRR) existent depuis longtemps : quel bilan en faites-vous et qu'allez-vous en faire ? Les pôles de compétitivité ont joué un rôle amplement reconnu pour structurer des filières économiques : quel sort leur réservez-vous ? Même question pour les pôles d'excellence rurale, véritables accélérateurs de la mobilisation pour le développement territorial. Les collectivités locales ont installé ou vont installer quelque trois cents maisons de santé : sur quel soutien peuvent-elles compter ? Qu'allez-vous faire pour le désenclavement territorial ? Quelles seront vos positions sur le ferroviaire ? Votre intervention laisse en suspens bien trop de questions et vous ne pouvez faire fi de ce qui s'est passé avant vous !
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. - Rémy Pointereau, je vous accorde que beaucoup de choses ont déjà été faites par les gouvernements précédents, bien sûr, mais dans le cadre d'un certain renoncement à une vision de politique d'aménagement du territoire. Nous devons maintenant « recoudre les mailles » du territoire. Certaines zones du territoire sont dans une situation difficile, parce que l'État a raisonné en matière de réaménagement des services publics de façon verticale, sans se soucier des effets cumulatifs par endroits. C'est pour cela que j'ai cité le cas précis de localités particulièrement touchées.
Il nous faut renouer avec une vision de l'aménagement du territoire prenant en compte le fait que nous sommes aujourd'hui trente ans après le début de la décentralisation. Les collectivités territoriales ont pris de l'ampleur, et on sait à quel point elles sont devenues indispensables, notamment en matière de logement locatif social, pour ne prendre qu'un exemple.
En ce qui concerne la couverture numérique du territoire, il faut mettre tout le monde autour de la table. C'est ce que nous avons commencé à faire avec ma collègue Fleur Pellerin. La mise en oeuvre du programme national du très haut débit nécessitera un effort d'investissement significatif de la part de l'État et des collectivités territoriales. Un comité de pilotage interministériel a été mis en place pour l'aménagement numérique du territoire, et il appartiendra au Parlement de se prononcer sur les arbitrages budgétaires nécessaires.
Sur la question de la couverture médicale du territoire, il est évident que la notion de temps d'accès ne recouvre pas seulement le temps de trajet physique pour rejoindre le cabinet du médecin, mais aussi les délais pour obtenir un rendez-vous. Nous aurons l'occasion de réfléchir à d'autres logiques d'accès aux services publics qu'un raisonnement secteur par secteur. Les expérimentations conduites par certaines agences régionales de santé mériteront d'être étendues.
Sur la question des zones de revitalisation rurale, les premières consultations que j'ai menées ont eu pour résultat cocasse que l'ensemble des acteurs reconnaît qu'elles ne sont plus adaptées, mais que chacun considère difficile d'en refaire le zonage. Il ne faut pas répondre par une nouvelle couche de zonage, mais établir, avec les élus, un zonage plus global et plus simple. La simplification est importante. Beaucoup d'aides européennes ne sont pas mobilisées dans les faits en raison d'une complexité excessive des dispositifs. Même si c'est moins glorieux pour un ministre, il faut d'abord oeuvrer à la simplification de l'existant.
En ce qui concerne la montagne, nous devons renouveler le Conseil national de la montagne au mois de novembre 2012. Ces territoires apportent une contribution particulière à l'égalité des territoires, mais présentent une forte vulnérabilité.
En ce qui concerne la rénovation thermique des bâtiments, le Premier ministre a pris des engagements sur ce point dans son discours de politique générale. Je suis favorable à un dispositif pluriannuel qui permette aux professionnels de se positionner dans la durée.
M. Alain Bertrand. - Je souhaite plaider pour l'« hyper-ruralité », c'est-à-dire les territoires ruraux à faible densité. Vous avez dit, Madame la ministre, qu'il existe des territoires meurtris qui doivent obtenir réparation. Je rappelle que la Lozère se situe à huit heures de train de Paris, que l'on n'y dispose pas d'internet, ni du téléphone mobile, qu'il ne s'y trouve pas d'université, ni d'école d'ingénieurs. Je me félicite donc de votre volontarisme et de votre souci d'égalité entre les territoires.
M. Martial Bourquin. - Cela fait plaisir d'entendre votre discours sur l'égalité des territoires, et nous avons envie de vous aider dans votre tâche. Nous avons participé pendant un an au débat sur les intercommunalités. L'accouchement au forceps des communautés de communes ne marche pas et il faudrait des schémas directeurs de l'aménagement du territoire dans chaque espace, rural ou urbain. Quand au retrait des services publics, il importe de ne pas mettre les élus devant le fait accompli, mais d'avoir un débat préalable. Avec la mise en place des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), la concertation s'est trouvée remontée au niveau régional. Celles-ci n'ont plus de rôle de conseil aux élus ruraux, et n'agissent plus comme des facilitateurs de projets. L'ingénierie territoriale fait défaut. Notre collègue Anne-Marie Escoffier, avant de devenir ministre, a terminé sa mission d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle (TP) et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET). Ce rapport du Sénat comporte un certain nombre de propositions visant à corriger les effets négatifs de cette réforme, il faudra en tenir compte.
M. Alain Fouché. - L'expérience des maisons de l'emploi initiée par Jean-Louis Borloo n'a pas bien fonctionné, en dépit de crédits importants. Pôle Emploi participe peu aux maisons des services publics qui se développent dans certains secteurs, mais demeure cantonné aux villes les plus importantes. Envisagez-vous de demander à Pôle Emploi d'être davantage déconcentré ?
M. Charles Revet. - Vous nous avez présenté un vaste programme, et nous vous souhaitons de pouvoir le mener à bien. Mais tout cela ne va-t-il pas demander des financements importants ? Sur le terrain, il faudrait que les services de l'État soient davantage attentifs aux projets des élus. Je souhaite que vous donniez des instructions précises et fortes en ce sens.
Mme Mireille Schurch. - Nous nous félicitons de la création de votre ministère, et espérons que vous allez réussir. Lorsque nous avons débattu de la proposition de loi sur la fracture numérique du territoire, la France est apparue divisée en trois catégories de zones : les zones denses, les plus rentables, les zones intermédiaires et les zones peu denses. Il faut une péréquation entre ces trois catégories. En ce qui concerne les « déserts médicaux », on inaugure actuellement des maisons de santé dans de nombreux cantons, mais trop souvent on attend ensuite les médecins qui voudront bien s'y installer. Le département de l'Allier accorde des bourses aux étudiants en médecine, mais cela ne suffit pas. Va-t-on réussir à contraindre le corps médical pour une meilleure répartition territoriale, comme c'est déjà le cas pour les pharmacies ? En ce qui concerne la desserte par les transports, trois des cinq capitales régionales qui ne sont pas encore reliées à une ligne à grande vitesse se trouvent dans le Massif central : Orléans, Clermont-Ferrand et Limoges. Allez-vous améliorer la desserte de celui-ci, qui ne constitue pas une zone de montagnes infranchissables et peut contribuer à la mise en place de lignes orientées Est-Ouest ? Sur le logement, comptez-vous interdire les expulsions des personnes prioritaires au regard de la loi instituant le droit au logement opposable (DALO) ? Par ailleurs, allez-vous modifier la définition d'un logement décent, en portant sa surface minimale de 9m2 à 14m2 ? Ceci peut être réglé par simple voie réglementaire.
M. Daniel Dubois. - Je souhaite vous poser trois questions. Premièrement, vous avez déclaré devant les directions régionales de l'équipement, de l'aménagement et du logement (DREAL) que le programme « Habiter mieux » ne fonctionnait pas bien. Envisagez-vous de poursuivre les actions lancées par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et le Gouvernement précédent ou de les modifier ? Deuxièmement : au cours du débat très intéressant que nous venons d'avoir en séance publique, j'ai exposé la problématique du logement dans les territoires ruraux. Je crains que, si les politiques du logement à destination des territoires ruraux restent inchangées, on crée des zones semblables à des « réserves indiennes ». Quelle est votre position en la matière ? Peut-on encore construire en territoire rural ? Les DREAL n'ont-elles pas reçu des ordres pour passer d'une approche urbanistique à une approche numérique de construction sur les territoires ? Troisièmement : en tant qu'ancienne dirigeante d'un parti politique, quelle est votre position sur le canal à grand gabarit ?
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. - Je vous ai en effet présenté un projet ambitieux, mais à la hauteur des besoins. La responsabilité du Gouvernement est de prendre à bras le corps un certain nombre de sujets.
Les écologistes ne sont en rien opposés par principe aux grands projets d'infrastructures. Ils souhaitent simplement que ces projets soient utiles et ont à cet égard une approche pragmatique. Or, je ne peux que souligner, en tant que ministre, que le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) correspond à cent dix ans d'investissements publics, sur la base des investissements actuels ! Il est donc clair pour tout le monde que l'intégralité de ce schéma ne sera pas réalisée dans les dix années qui viennent.
Par ailleurs, dans la période de difficultés financières actuelle, il est de la responsabilité de l'État de prioriser les investissements. Il est aussi indispensable, en matière de réseau de transport ferré, d'entretenir le réseau secondaire : si on stoppe les investissements sur ce réseau au profit d'une éventuelle ligne à grand vitesse (LGV), on prend le risque de ne pas avoir de ligne LGV et un réseau de transport classique tellement dégradé que le niveau du service assuré sera inférieur à celui des années cinquante.
La problématique du canal à grand gabarit rejoint celle d'autres infrastructures : elle soulève la question des partenariats public-privé (PPP). De nombreuses collectivités locales se rendent compte aujourd'hui que la signature de certains contrats révèlent des réalités financières douloureuses.
En matière d'intercommunalité, Martial Bourquin, le forceps ne fonctionne en effet pas, mais le statu quo n'est pas souhaitable. Vous avez souligné, à raison, que le désengagement de certains services de l'État rend délicate la situation de certaines collectivités locales, notamment les petites communes rurales qui exercent seules la compétence urbanisme. Pour autant, on ne reviendra pas en arrière sur le chemin de l'intercommunalité : la logique de la décentralisation est bien que les collectivités locales exercent l'ensemble des compétences dont elles ont la charge. Le schéma de cohérence territoriale (SCOT), outil qui mobilise l'ensemble des collectivités territoriales autour d'un projet de territoire partagé, a fait la preuve de son utilité. Il faut, à mes yeux, aboutir à une couverture de l'ensemble du territoire national par ce type d'outils, permettant ainsi une meilleure contractualisation entre l'État et les collectivités. Je serai très attentive à soutenir cette démarche et à faire en sorte que les SCOT, aujourd'hui juridiquement très vulnérables, deviennent plus robustes.
Sur la question des maisons de l'emploi et de la délocalisation de Pôle emploi, j'estime qu'un agent d'accueil qui assure un service public peut être celui qui oriente vers d'autres types de dispositifs. Le contact humain est incontournable. Il faut travailler notamment à la mise en place d'un dispositif juridique aisé dans lequel pourraient s'insérer les différents services de l'État et les collectivités locales. Certaines initiatives ont été lancées, notamment par des départements, avec des maisons de service public, mais il est souvent difficile aux services de l'État de s'intégrer dans ce type de dispositifs.
Sur la question du logement, nous souhaitons travailler sur la capacité contradictoire des préfets de loger prioritairement les familles reconnues comme telles au titre du droit au logement opposable (DALO) et de pouvoir recourir dans le même temps à la force publique pour les expulser de leur logement. Une instruction est en cours de discussion entre le ministère du logement et le ministère de l'intérieur. Ma détermination sur ce sujet sensible est très grande. Je souhaite que nous aboutissions, tout en étant consciente que cela ne règlera pas le problème des prioritaires DALO qui ne sont pas relogés, notamment en raison du déficit de mobilisation des bailleurs.
S'agissant du décret sur le logement décent, il faut se garder d'effectuer une modification qui risquerait d'aggraver la crise. Depuis de nombreuses années, des résidences sociales ont ainsi été réalisées avec des logements d'une taille inférieure à 14 m2. Une telle mesure induirait à une situation extrêmement délicate, avec soit le maintien de locataires de façon informelle, soit une partie du parc social qui ne serait plus habitable. Cela ne me paraît pas réalisable rapidement, même si on pourrait imaginer que les normes minimales applicables au patrimoine construit avec l'aide de l'État soient renforcées.
Ce n'est pas un secret : le programme « Habiter mieux » a du mal à démarrer, mais il répond à une vraie nécessité. Il sera mis en lien avec l'objectif de rénovation thermique de un million de logements par an. Des difficultés existent aujourd'hui sur des dispositifs de l'ANAH qui, sous couvert de simplification, ont été complexifiés. Malgré des besoins immenses, l'intégralité des aides n'a ainsi pas pu être distribuée. Nous allons donc travailler à lever les difficultés existantes.
S'agissant de la fracture numérique, nous voulons travailler sur l'ensemble des questions. Le droit européen permet la mise en place de réseaux d'initiatives publiques, à partir du moment où les opérateurs font défaut. Il convient aujourd'hui de mettre l'ensemble des opérateurs autour de la table, avec les collectivités locales et l'État, pour faire avancer un certain nombre de sujets. La volonté du Président de la République en la matière est très grande.
M. Claude Dilain. - Merci, Madame la ministre, pour votre intervention. J'ai apprécié que vous ayez parlé des « territoires meurtris », terme qui permet de dépasser le clivage traditionnel entre urbain et rural. Ces territoires ont un point commun, être meurtris, avec les conséquences électorales que nous connaissons.
Le rapport du Sénat sur la loi DALO souligne un véritable problème de gouvernance. Le service public du logement auquel vous avez fait allusion pourrait-il être de nature à améliorer les problèmes de gouvernance qui font obstacle au droit au logement ?
M. Roland Courteau. - Le parc privé potentiellement indigne compterait de 500 000 à 600 000 logements, avec une moitié de locataires et une moitié de propriétaires occupants. La précarité énergétique frappe plus précisément ces logements. Quelles réponses peut-on apporter ?
Par ailleurs, on a assisté au cours des dernières années à un désengagement de l'État en matière d'hébergement d'urgence, alors que le nombre de sans abris et de familles à la rue n'a cessé d'augmenter. Dans la pratique, des centaines - voire des milliers - de places d'hébergement en hôtels ont été fermées au profit de places en logements classiques, qui au final n'existaient pas. Votre prédécesseur estimait que le logement classique était préférable à l'hébergement d'urgence. Quelle est votre position sur ce point ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Un sujet rejoint les préoccupations évoquées tout à l'heure : le Grand Paris, dont vous avez la charge, qui constitue un des moteurs de la France des territoires. Sur les territoires de l'Île-de-France, certaines populations vivent une situation de désespérance sociale. Le Grand Paris a été beaucoup axé sur le transport. En termes de séquençage du réseau express du Grand Paris, pouvez-vous nous rassurer ? Le projet global est-il maintenu dans son unité ?
Un travail a été fait sur les contrats de développement territorial (CDT). Il faut redéfinir aujourd'hui une stratégie au niveau de l'Île-de-France. Il faut que vous arriviez à repartir du travail accompli sur les CDT et reconstruire une logique de réseau qui diffuse.
M. Joël Labbé. - Je tiens avant tout à souligner que le programme présenté par la ministre dans son exposé liminaire m'apparait comme un catalogue certes ambitieux mais également pragmatique, ce qui correspond aux attentes des élus de terrain.
Je voudrais ensuite mettre en avant le développement de véritables projets d'éco-quartiers qui combinent des avantages en termes de sobriété énergétique, de qualité architecturale, de mixité sociale ou générationnelle et de maîtrise des coûts d'acquisition pour les primo-accédants. Vos services travaillent d'ores et déjà sur la labellisation de ces éco-quartiers : au-delà, pouvez-vous réaffirmer la volonté d'implication de votre ministère pour soutenir ces projets ?
Enfin, pour rompre avec la logique traditionnelle de l'urbanisme qui place trop souvent le volet agricole dans une position défensive, un certain nombre de communes sont prêtes à s'engager dans un projet agricole de territoire qui permet d'appréhender l'utilisation du sol de façon nouvelle et de fixer l'activité agricole dans le futur. Le Gouvernement est-il prêt à accroitre les mesures incitatives allouées dans ce sens aux communes ? A plus long terme je suggère de généraliser cette expérience, en rendant obligatoire l'intégration de tels projets dans les documents d'urbanisme.
M. Ronan Dantec. - Madame la ministre, il y a bien longtemps que nous n'avions pas eu l'occasion d'entendre un discours aussi prospectif sur l'aménagement du territoire et je m'en félicite.
J'insisterai sur l'importance des villes moyennes et des petites communes dans notre stratégie d'aménagement du territoire. L'enjeu que notre président Daniel Raoul résume par la formule de « polarités secondaires d'équilibres » est essentiel. En effet, nous arrivons à la fin d'un cycle, celui des années 1980-2000 au cours duquel les grandes agglomérations se sont efforcées de rapatrier l'activité des territoires vers les centres urbains pour atteindre un seuil critique leur permettant de bien figurer dans la compétition européenne. Aujourd'hui nous rentrons dans une nouvelle étape : pour l'équilibre de nos territoires, il faut s'appuyer sur les villes moyennes, ce qui suppose d'abord que l'État les valorise dans son discours, ensuite que la fiscalité y favorise la réimplantation d'activités et enfin que soit garantie la transversalité des politiques d'aménagement du territoire en impliquant les différents ministères. C'est sur cette capacité à favoriser la cohérence de l'État que je souhaite vous interroger.
M. Jean-Luc Fichet. - J'attire l'attention du Gouvernement sur la problématique des déserts médicaux. Le groupe de travail que je préside a constaté que les maisons de santé sont une réponse relativement bien adaptée - quoique couteuse - dans les seuls endroits où subsiste encore des professionnels de santé. Reste à trouver d'autres solutions sur les territoires où les médecins ainsi que les personnels médicaux sont partis ou vieillissants : nous serons amenés avant la fin de l'année à formuler des propositions concrètes dans ce domaine.
Par ailleurs sur le terrain j'ai été surpris de découvrir, dans bon nombre de petits villages, la qualité des maisons qui sont rénovées et restent inhabitées : ces demeures magnifiques sont donc menacées de dégradation rapide. Ne pourrait-on pas conduire des politiques permettant à des jeunes d'acquérir ces biens délaissés, dans des conditions leur permettant de ne pas s'endetter de manière excessive, comme pour l'achat des maisons neuves. A mon sens une telle orientation présenterait l'avantage de favoriser l'installation en milieu rural de jeunes en situation difficile. Pour ne pas limiter cette approche à son volet immobilier, il me parait en même temps essentiel de renforcer la vie associative pour répondre aux attentes culturelles, éducatives et sportives. Vous avez, Madame la ministre évoqué ce sujet de façon générale mais je souhaite attirer l'attention sur les mesures très concrètes qui peuvent permettre de revitaliser le monde rural et de limiter l'endettement des jeunes.
M. Alain Houpert. - Ma conviction est que l'égalité des territoires exprime aujourd'hui le droit de chacun de vivre là où il le souhaite en fonction de ses racines ou d'un choix délibéré.
Je voudrais insister sur une inégalité flagrante entre les territoires qui n'a pas été mentionnée jusqu'ici : celle de l'accès à l'eau. Les territoires ruraux souffrent d'une insuffisance de la qualité plus encore que de la quantité d'eau à leur disposition, avec des réseaux d'accès obsolètes, dans certaines petites communes, et des dispositifs d'assainissement dont le coût excessif de remise aux normes risque de conduire certains villages à la désertification. Jusqu'à présent ce sont les agences de l'eau qui apportaient une contribution financière avec le soutien complémentaire de certains conseils généraux - mais ces derniers n'ont plus guère les moyens de systématiser leur appui.
Par conséquent, trop de maires ruraux renoncent, par la force des choses, à rénover leurs réseaux d'accès à l'eau. Votre politique sera-t-elle volontariste dans ce domaine ? En ce qui concerne les moyens mobilisables, il y a peut-être une piste de progrès et je souligne à cet égard la nécessité pour la France de négocier au niveau de l'Union européenne des financements complémentaires.
Mme Cécile Duflot. - En premier lieu, je souligne que n'est pas un hasard si le Grand Paris entre dans le champ d'intervention du ministère en charge de l'égalité des territoires ; ce projet de transport urbain n'est qu'un moyen de travailler sur un projet de métropole durable et de retisser du lien entre ses quartiers. Le choix retenu consiste à accorder une priorité aux lignes de transport permettant de répondre aux besoins du nombre d'habitants le plus important et de permettre le désenclavement des territoires victimes d'une absence historique de desserte en transports en commun. Ceci va entrainer non pas l'abandon mais le décalage plus ou moins durable dans le temps d'autres projets. Je souligne que la priorité du Gouvernement est de mettre l'accent sur la rénovation des transports en commun pour apporter une réponse aux usagers du quotidien.
Vous avez raison de souligner que les CDT (contrat de développement territorial) sont un lieu important de débat entre les collectivités locales ainsi qu'un lieu de mobilisation autour d'un projet. Parce qu'ils ne sont pas prêts sur certains territoires, il me parait absolument nécessaire de rallonger leur délai d'adoption, ce qui leur permettra d'être mis en cohérence avec les projets portés par les départements et les régions.
Je confirme la poursuite du travail de labellisation des éco-quartiers. Il convient d'abord d'encourager les collectivités locales en accompagnant ces démarches, ensuite de garantir la qualité ainsi que le niveau d'exigence des projets, et enfin de s'assurer de leur pérennisation en vérifiant la réalisation des engagements pris. J'insiste sur l'importance de la mise en réseau des retours d'expérience qui pourront ainsi servir aux autres collectivités qui s'engagent dans des projets similaires.
En ce qui concerne la place des petites villes, je fais observer que le fait même de parler d'égalité des territoires implique le renoncement à la logique de segmentation qui a été au demeurant utile lors des étapes précédentes des politiques d'aménagement. Il s'agit désormais de respecter la réalité des territoires et de partir de leur organisation pour mettre en place un maillage de services publics adapté.
Le Gouvernement attend avec beaucoup d'intérêt les suggestions sénatoriales sur les moyens de remédier aux déserts médicaux. Par ailleurs, la thématique des maisons inhabitées en centre bourg et, plus généralement, celle de la vacance des lieux d'habitation me tient particulièrement à coeur. On croit généralement à tort que cette dernière ne concerne que les grandes villes. Or je rappelle qu'il coute aujourd'hui moins cher de construire une maison individuelle de mauvaise qualité environnementale sur un terrain viabilisé par une commune que de rénover une demeure de qualité en centre bourg. Nous devons trouver les dispositifs de nature à modifier cette situation, ce qui permettra de progresser à la fois sur la question foncière et l'animation des villages : je pense à des mesures fiscales extrêmement contraignantes pour ceux qui, par confort, laissent leurs logements vacants et, simultanément, à de très fortes incitations à la reconquête du patrimoine existant et à sa mise à disposition, soit dans le cadre de l'accession sociale, soit par le biais de baux plafonnés.
Pour conclure, vous l'avez compris, même si le Gouvernement affiche clairement une stratégie volontariste au service de l'égalité des territoires, je souhaite que sa mise en oeuvre ainsi que l'ensemble des sujets qui ont été aujourd'hui évoqués, qui transcendent les clivages politiques, puissent donner lieu à la concertation la plus large possible avec les élus. Je resterai à la disposition des parlementaires pour examiner leurs suggestions tout en continuant à aller à la rencontre des élus des territoires.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Merci, Madame la ministre : nous avons pu apprécier la qualité de votre exposé, celle de vos réponses et enfin votre enthousiasme qui est communicatif.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Tous les élus qui sont aujourd'hui en train d'élaborer leur schéma de cohérence territoriale (SCOT) sont confrontés aux difficultés et aux enjeux de l'aménagement du territoire. Je reviens un instant sur le sens de la notion de « polarité secondaire d'équilibre » : toutes les activités et tous les services publics ne doivent pas nécessairement être concentrés dans la ville centre. On peut parfaitement imaginer, en matière de santé ou d'administration, des regroupements localisés dans des polarités secondaires aisément accessibles et par suite utiles aux citoyens : il faut les encourager dans la mesure des moyens disponibles.
M. Alain Bertrand. - Le problème des grandes agglomérations se pose aujourd'hui avec une acuité toute particulière mais il ne faut pas pour autant oublier le monde rural : l'un n'exclut pas l'autre.
Mercredi 11 juillet 2012
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Audition de M. François Loos, président de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME)
La commission procède à l'audition de M. François Loos, président de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME).
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui François Loos, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Nous souhaitions vous interroger sur les activités de l'ADEME. Pouvez-vous nous rappeler les missions de cette agence, ainsi que son organisation et ses modes d'intervention ? Peut-être pourrez-vous également nous préciser le bilan que vous tirez de l'utilisation des fonds issus du Grenelle de l'environnement ?
M. François Loos, président de l'ADEME. - Je vous remercie de m'avoir convié à vos réflexions.
L'ADEME est un établissement public issu de la fusion en 1990 de trois autres établissements, l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME), l'Agence pour la qualité de l'air (AQA) et l'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets (ANRED). L'ADEME emploie 1 000 personnes, dont la moitié travaille dans les trois sièges centraux, Angers, Paris et Valbonne. Le reste des effectifs est réparti au sein des vingt-six directions régionales.
L'ADEME a signé avec l'État pour la période 2009-2012 un contrat d'objectifs, qui reprend une grande partie des objectifs fixés par le Grenelle. L'activité de l'agence s'organise autour de quatre métiers : connaître, convaincre, conseiller, et aider à réaliser. Ses deux ministères de tutelle sont le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. En fonction du périmètre définitif du ministère de l'égalité des territoires et du logement, l'ADEME pourrait également en dépendre en ce qui concerne la partie rénovation énergétique des bâtiments. Les domaines de compétence de l'ADEME sont en effet l'énergie et le climat, les déchets, les sols pollués et les friches, l'air et le bruit, ainsi que des actions transversales.
Le budget de l'ADEME s'élève à 690 millions d'euros, auxquels s'ajoute la gestion des Investissements d'avenir en matière de développement durable, pour un montant de 2,6 milliards d'euros. Sur ces 2,6 milliards, 700 millions d'euros sont déjà engagés dans divers contrats, et 1,2 milliard sont en cours d'engagement. Au sein du budget propre de l'ADEME, près de 242 millions étaient consacrés en 2012 au fonds chaleur, et 211 millions au plan déchets.
Au titre des actions du volet énergie, l'ADEME cherche à encourager les efforts d'efficacité d'une part, afin de réduire la facture énergétique, et les efforts de substitution d'autre part, pour développer les énergies renouvelables en France. En ce qui concerne l'offre d'énergie, la filière éolienne présente actuellement des résultats un peu en deçà des objectifs du Grenelle, mais ces derniers sont en passe d'être atteints grâce au développement de l'éolien maritime. L'éolien fait par ailleurs l'objet d'un certain nombre de projets de recherche dans le cadre des Investissements d'avenir, notamment pour développer des techniques d'éolien flottant, ou améliorer les pales des machines.
Pour ce qui est de l'énergie photovoltaïque, les objectifs seront atteints. Si les coûts de cette technique étaient à l'origine bien plus élevés que les coûts de l'électricité classique car il fallait financer le développement de la filière et les investissements nécessaires, les prix sont aujourd'hui devenus très intéressants et compétitifs. Des recherches sont en cours, en partenariat avec le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) et avec des entreprises sur le silicium, pour améliorer les techniques, avec un potentiel industriel très intéressant à terme.
La biomasse fait l'objet de l'essentiel du budget énergie de l'ADEME. Le but est de substituer l'utilisation de la biomasse (déchets de la forêt, des scieries, etc.) à une partie des énergies fossiles. Les objectifs 2020 en la matière peuvent être atteints. Cependant, la question de la durabilité de cette ressource se pose, d'autant plus qu'on souhaite aujourd'hui multiplier les débouchés et les usages de la biomasse (énergie, carburants, ...). Au-delà d'un certain tonnage de bois, il n'est plus possible d'augmenter indéfiniment la ressource disponible et la limite physique du procédé est rapidement atteinte. C'est pourquoi aujourd'hui, certains projets de la CRE (Commission de régulation de l'électricité), notamment dans le cadre du quatrième appel à projets biomasse, consomment du bois acheminé par bateau d'autres parties du monde.
En matière d'efficacité énergétique, plusieurs points peuvent être distingués. L'objectif du Grenelle concernant l'efficacité énergétique des logements sociaux et de l'habitat en général était très ambitieux et n'a pas encore atteint son niveau de croisière. Concernant les certificats d'économies d'énergie, qui permettent d'obliger un producteur d'énergie à donner des conseils à ses clients pour réduire leur consommation faute de quoi le producteur doit payer des certificats, le dispositif arrivera fin 2013 à la fin de sa deuxième phase. La question de la suite à donner au programme se posera alors. L'ADEME préconise de multiplier par 2,6 le prix actuel des certificats d'économie d'énergie, afin de remplir l'objectif de 20% d'économies d'énergie d'ici 2020, ainsi que les objectifs d'efficacité, énergétique de la récente directive européenne sur le sujet. Les collectivités territoriales doivent être les premières à se mobiliser pour atteindre tous ces objectifs ambitieux de développement durable.
Sur la question des contrats de performance énergétique, l'ADEME considère que ces dispositifs sont écologiquement vertueux, mais nécessitent des montages juridiques encore complexes. Dans le cadre de ces contrats, un opérateur économique prend en charge les travaux de performance énergétique à réaliser, et se rémunère par la suite sur les économies d'énergie effectuées. Seulement une douzaine de contrats de ce genre existent en France à l'heure actuelle. La question de fond est la suivante : qui prend la responsabilité de la garantie du résultat ? Il s'agit là d'une difficulté juridique réelle. Ces contrats de performance énergétique sont financièrement risqués pour les investisseurs.
Enfin, l'ADEME a établi des scénarios en matière d'énergie à l'horizon 2030 et à l'horizon 2050, sur la base des feuilles de route établies par l'agence pour orienter la recherche. Les scénarios précédents considéraient qu'on pourrait améliorer l'efficacité énergétique, tout en économisant les ressources, en s'appuyant notamment sur la biomasse. On sait désormais que cette ressource atteindra rapidement un seuil maximal d'utilisation. Les nouveaux scénarios permettent de s'adapter à cette réalité et d'alimenter le débat politique, ce qui s'inscrit parfaitement dans le rôle de prospective de l'ADEME.
Le deuxième grand sujet qui intéresse l'ADEME est celui des déchets. Comme dans le domaine de l'énergie, les objectifs poursuivis sont soit des objectifs européens, soit des objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement. L'objectif de valorisation de 75 % des emballages demandé par une directive européenne de 2008 sera bientôt atteint, et celui, fixé par le Grenelle, de valorisation dès 2012 de 35 % des déchets ordinaires est rempli.
En revanche, la mise en décharge de produits fermentescibles représente un objectif bien plus difficile à atteindre. Nous ne valorisons pas suffisamment ce qui pourrait être valorisé énergétiquement dans les déchets et il n'est pas certain que nos politiques actuelles nous permettent de combler notre retard. Les niveaux de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ne sont en effet pas assez incitatifs. Pour dire les choses très concrètement, les niveaux de TGAP élevés sont contrebalancés par un certain nombre de détaxes. Par exemple, une station d'incinération très propre se verra appliquer une TGAP très basse. Au lieu d'avoir un effet incitatif, la TGAP est devenue une simple taxe. En outre, le coût de la mise en décharge et de la TGAP du stockage équivaut à celui de la mise en incinérateur et de la TGAP de l'incinérateur. L'effet incitatif que devrait avoir la TGAP est en réalité dilué par les réductions de tarifs et par l'absence de hiérarchie entre les traitements. Des comparaisons internationales ont été réalisées et sont explicites : le fonctionnement est optimal dans les pays où les TGAP sont très incitatives. Notre objectif est donc de réduire le fermentescible : ce qui est compostable doit être composté.
Nous aurons à répondre à certaines questions législatives. L'Allemagne, par exemple, n'a pas recouru à la TGAP mais a procédé par interdictions : les Allemands n'ont pas le droit de mettre en décharge des produits qui sont organiques, fermentescibles, compostables. Nous pouvons aller progressivement dans cette voie, en tenant compte de la situation réelle et des possibilités existantes, vers un système comportant davantage d'interdictions. Mais nous pouvons également opter pour des TGAP plus incitatives et plus lourdes, permettant d'agir différemment.
En tout état de cause, un véritable investissement est indispensable pour que le compostage et la méthanisation soient développés. Les hypothèses d'investissements nécessaires montrent qu'une politique dans ce domaine coûterait 1 milliard en subventions pour financer 4 milliards d'investissements.
M. Marcel Deneux - Je me félicite tout d'abord de cette audition.
Je suis très sensible à certains points évoqués par François Loos et je voudrais revenir sur la question des fermentescibles en méthanisation. Il s'agit de dossiers techniques un peu compliqués à l'égard de la réglementation et aux yeux du grand public. Il faut que l'ADEME, et peut-être aussi le ministère, mène des campagnes d'information en vue d'une acceptation sociétale de la méthanisation, qui est actuellement en défaut dans beaucoup de régions. Il faut que le grand public comprenne que la méthanisation doit se faire.
J'ai eu la chance, avec Christian Bataille et l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de passer quelques jours en Allemagne. Ce fut très intéressant. Les politiques énergétiques menées à Hambourg, à Munich ou à Stuttgart sont différentes, mais contribuent toutes à une politique globale nationale. Malgré l'acte III de la décentralisation, nous ne pourrons aboutir à cela en France très rapidement. Alors il nous faut régler les problèmes qui persistent dans certaines régions, notamment celui de la combinaison de la méthanisation agricole. Mélanger des fermentescibles et la fermentation agricole est nécessaire sur le plan technique, car on ne tient pas une fermentation 365 jours par an uniquement avec du lisier. Il faut faire des mélanges et mener une vaste campagne d'information.
Je partage totalement ce qui a été dit sur la biomasse, y compris sur la forêt. On a mis beaucoup d'espoirs dans la forêt en se trompant sur les perspectives à 20 ans. Il faut utiliser la forêt, mais celle-ci a ses limites !
Les actions des directions régionales de l'ADEME sont inégales en fonction des orientations des directeurs régionaux ou de leurs équipes. Des dossiers similaires ne sont pas reçus de la même façon à Lille qu'à Rennes. Il faut coordonner tout cela. L'ADEME n'est pas l'unique responsable en France des économies d'énergie. Il faut utiliser les certificats d'économies d'énergie et procéder à une incitation auprès du public, vérifier les actions région par région et établir une politique générale sur l'ensemble du territoire métropolitain.
M. Alain Fouché - Nous avons connu il y a quelques années une vague photovoltaïque très forte. Les choses se sont ensuite arrêtées, car on construisait des hangars qui restaient vides, sans aucune utilisation pratique, uniquement pour produire de l'électricité. En sillonnant la campagne dans ma circonscription, j'ai l'impression que ce phénomène renaît. Je vois des hangars qui se construisent sans affectation particulière, uniquement pour produire de l'électricité, et cela coûte très cher. Comment comptez-vous contrôler le lien entre la production d'électricité et l'utilisation rationnelle de bâtiments coûteux ?
Mme Évelyne Didier. - C'est en tant que présidente du groupe d'études sur les déchets que je m'exprime, afin de vous de vous faire part des principaux axes de travail retenus par le groupe d'études.
- l'adéquation entre projets et territoires, avec l'enjeu sous-jacent du développement de l'emploi local et le maintien des filières industrielles ;
- l'éco-conception et le bilan des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) ;
- l'état des lieux des filières de valorisation, et notamment la « valorisation matière », avec un intérêt particulier pour celle du verre ;
- le rôle de conseil de l'ADEME dans la mise en place de projets adaptés aux territoires. Par qui sont émis les décrets qui semblent imposés aux collectivités ? Pourquoi ne pas associer les parlementaires ?
- la question de la redevance incitative, qui permet une facturation en fonction de la production des déchets du ménage, avec pour objectif d'inciter les usagers à modifier leurs comportements en contrepartie d'une baisse de leur facture. L'idée est bonne, mais elle comporte de nombreux effets pervers (notamment en termes de facturation) et sa mise en oeuvre est difficile ;
- la pénibilité du travail des métiers ouvriers du tri. Il n'est pas durable d'imposer des gestes mécaniques, comme aux ripeurs par exemple, qui génèrent de sévères troubles musculo-squelettiques. Les élus s'inquiètent, tout comme les professionnels, qui ne savent plus comment reclasser leurs salariés souffrant de ces troubles ;
- la délicate question du recyclage des mâchefers.
Je souhaiterais connaître les objectifs poursuivis en termes de biomasse et de déchets fermentescibles. La Suède a décidé que les déchets faisaient partie de la politique énergétique et qu'il ne fallait plus de décharge... Expliquez-moi la différence entre la décharge, les tris mécano-biologiques (TMB), à l'égard desquels l'ADEME montre un certain nombre de réticences sans qu'on sache vraiment pourquoi, et le fait de brûler. Pourquoi établit-on des différences entre la méthanisation dans le méthaniseur, la méthanisation dans la décharge et la méthanisation dans le TMB ? On s'aperçoit qu'il existe différents types de méthanisations, de fermentations, de récupérations. Pourquoi fait-on des hiérarchies alors que certaines collectivités se sont lancées dans des investissements pour au moins quinze ans ? On a besoin de stabilité et de cohérence dans ce genre de politique.
M. Michel Teston. - Ma question s'appuie sur un exemple local mais peut tout à fait être transposée au niveau national. L'Ardèche présente un taux de boisement de plus de 50 %. Pourtant, le développement de la filière bois-énergie n'y atteint pas le niveau escompté. Les aides de l'ADEME portent essentiellement sur les systèmes de chaufferies collectives. Il existe cependant de réelles pistes de développement dans l'équipement individuel des particuliers. Quelle est votre position sur le sujet ?
M. Alain Houpert. - La biomasse doit être pensée et utilisée dans une logique de proximité. De la même manière, elle doit s'inscrire dans une démarche de sobriété énergétique. On trouve souvent aujourd'hui dans les chaufferies du bois noble qui pourrait servir à autre chose qu'une valorisation énergétique. On n'utilise pas toujours des sous-produits. Cela tient notamment à la gestion de la propriété forestière publique : l'ONF empêche parfois la production de sous-produits du bois. Le domaine forestier public n'est pas toujours bien traité, ce qui n'est pas sans poser problème du point de vue de la santé publique pour les promeneurs. L'utilisation des sous-produits du bois est probablement moins rentable, mais elle permettrait de créer des emplois ruraux.
M. Charles Revet. - J'aurais deux questions à vous poser. La première, très concrète, concerne la communauté de communes dont je suis président. Nous disposons de 1500 tonnes de sous-produits de bois broyés qui constituent un potentiel de transformation énergétique très important. Une réflexion est en cours pour créer une chaufferie bois qui alimenterait la piscine et la maison de retraite. Si ce projet se concrétise, cela supposerait la construction d'un broyeur, d'un hangar de stockage, d'un local pour brûler le bois. L'ADEME soutient-elle ce type d'initiatives locales ?
Ma seconde question porte sur les biocarburants. J'ai créé il y a vingt ans en Seine-Maritime une association pour le développement des énergies renouvelables (ADER). Lors d'une rencontre, un pétrolier nous avait présenté des projets de biocarburants en indiquant que lorsque le baril de pétrole coûterait soixante dollars, ces projets deviendraient rentables. Le baril est aujourd'hui à cent dollars. Est-ce que l'ADEME dispose de données chiffrées précises sur la rentabilité comparative du pétrole et des biocarburants, les chiffres fournis par les pétroliers étant manifestement à considérer avec méfiance ?
M. Louis Nègre. - Lors du Grenelle a été décidé le transfert modal de la route vers le rail. C'est un échec à ce jour. Le livre blanc de la Commission européenne paru en mars 2012 fixe de nouveaux objectifs qu'il sera impossible d'atteindre. Que peut-on faire selon vous dans ce domaine ?
Sur la question des véhicules électriques, on considère souvent que la France dispose du meilleur plan véhicules décarbonés au monde. Des constructeurs comme Renault ont fait le pari de la voiture électrique. La question qui se pose dès lors est celle des bornes de recharge à installer sur tout le territoire. Que propose l'ADEME sur ces questions ?
Pour finir, j'aimerais savoir où en sont les filières française et européennes de production de panneaux photovoltaïques.
M. Jean-Jacques Filleul. - Vous nous avez présenté les quatre missions de l'ADEME dans le cadre du Grenelle. Qu'en est-il des véhicules du futur et des technologies numériques ?
Dans le domaine des déchets, quelle est la position de l'ADEME sur la question de la TEOM incitative ? Par ailleurs, où en est votre réflexion sur la question de la récupération des métaux précieux dans les décharges ?
M. Henri Tandonnet - La géothermie représente-t-elle une piste d'avenir ?
M. François Loos, président de l'ADEME - Je vous remercie de toutes ces questions qui me démontrent, s'il en était besoin, combien les fonctions que j'occupe sont intéressantes !
Pour répondre à Marcel Deneux, je souhaiterais préciser que l'ajout de produits alimentaires est autorisé en Allemagne dans le cadre de la méthanisation. Les agriculteurs allemands peuvent améliorer la méthanisation par l'ajout de céréales et deviennent de ce fait producteurs d'énergie. Ce n'est pas le cas en France et notre tarif de rachat est moins intéressant que celui pratiqué en Allemagne. De surcroît, en Allemagne, la traduction en gaz est possible. Si l'on veut méthaniser davantage en France, il faut que de nouvelles règles soient fixées.
Ceux qui ont parlé de biocarburants voient bien la difficulté à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Je suis à l'origine des tarifs plus élevés pratiqués sur les biocarburants : il fallait provoquer une onde de choc pour initier les investissements. Des centaines de millions d'euros ont été investis pour construire des usines de biocarburants. En comparant l'effet des biocarburants à l'échelle mondiale, nous nous sommes rendu compte, avec le changement d'affectation des sols dans le monde, que notre production supplémentaire causait indirectement des problèmes alimentaires. Ceci est très discutable, notamment techniquement, car ce qui est vrai pour la betterave, et donc pour l'éthanol, ne l'est pas du tout pour le blé et le colza. De ce fait, les Européens souhaitent rester sur le statu quo des quantités et des proportions qu'il est possible d'incorporer. La question est la même que pour la méthanisation : combien de notre production alimentaire accepte-t-on d'utiliser pour des usages autres qu'alimentaires ? Il s'agit là de choix politiques. L'Allemagne a choisi d'aider ses agriculteurs en leur permettant de transformer en énergie, dans de très bonnes conditions, certaines productions, ce qui est indirectement une subvention à l'agriculture. Il faut continuer à travailler là-dessus.
Si les actions de l'ADEME diffèrent d'une région à l'autre, c'est parce que nous avons passé avec chacune des régions de France un contrat, qui est en quelque sorte parallèle au contrat de plan. Chaque région décide avec l'ADEME régionale des priorités. Ces procédures sont harmonisées dès lors que la procédure est nationale. Par exemple, sur le fonds chaleur, tout ce qui est fait par les régions est national, mais il existe des aides qui diffèrent en fonction des objectifs poursuivis par les régions.
La politique de communication est importante pour la sobriété. Après avoir laissé à la disposition du ministre en charge du Grenelle notre politique de communication, nous préparons de nouveaux actes, en liaison avec l'actuelle ministre de l'énergie, qui seront lancés en début d'année prochaine.
Existe-t-il une utilisation rationnelle du photovoltaïque ? Pour démarrer le photovoltaïque, il fallait des tarifs élevés et, par la suite, s'adapter à l'évolution des prix. Aujourd'hui, la France compte des fabricants potentiels de cellules de très bonne qualité, à de très bons tarifs. Il faut savoir que les cellules fabriquées en Chine sont vendues pour 70 % en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne. Les pays développés se sentent donc porteurs de cette politique. Il est important de se demander si le photovoltaïque peut atteindre des tarifs compétitifs avec ceux du nucléaire. Je constate que les tarifs du photovoltaïque ont atteint des niveaux comparables avec le prix de l'électricité nucléaire en France. Le discours selon lequel le photovoltaïque est plus cher que l'électricité est un discours daté, ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, lorsque le photovoltaïque est utilisé de façon optimale, il peut coûter environ 120-150 euros, quand le prix de l'électricité en France s'élève à 120 euros le mégawatheure. C'est très intéressant, car cela signifie que, demain, le développement du photovoltaïque pourra être généralisé. On ne pourra pas remplacer le fuel, le charbon et le gaz que par de la biomasse. Par ailleurs, la consommation d'électricité va augmenter. Les électricités photovoltaïque et éolienne, simplement expérimentées dans les pays les plus développés, sont donc très intéressantes. Une fois développé et bien installé, le photovoltaïque pourra être moins cher que l'électricité.
Les problèmes étudiés dans le cadre des Investissements d'avenir sont ceux du stockage et de l'intermittence. Mais le photovoltaïque reste une réponse à l'augmentation des besoins d'électricité du reste du monde. Il ne faut pas voir le problème aux bornes de la France ou de l'Europe. Nous procédons aujourd'hui au développement du photovoltaïque qui servira demain en Afrique et en Inde.
M. Charles Revet - Ne serait-il pas intéressant que l'ADEME, organisme indépendant, cherche à savoir ce qui est le plus intéressant pour le pays, le plus performant, et mène des études comparatives sur des dossiers aussi sensibles que ceux des biocarburants et du photovoltaïque, sur lesquels les lobbies jouent par ailleurs un rôle que je qualifierais parfois de scandaleux ?
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Je ne souhaitais pas intervenir dans le débat, mais je tiens à préciser que je mène, avec Jérôme Cahuzac, une expérience sur l'huile de colza. Nous disposons depuis une dizaine d'années d'une flotte automobile roulant à l'huile de colza. Nous n'avons rencontré aucun problème. Cependant, la fiscalité appliquée sur l'huile de colza non transformée est totalement inadaptée, puisqu'elle se voit appliquer la TIPP et la TVA. En fin de compte, nous avons payé pendant plusieurs années cette huile plus cher que le gazole. Il nous a fallu une volonté de fer pour continuer : c'est un véritable scandale ! Il y avait là, vous l'avez évoqué, une véritable possibilité d'aménagement du territoire. On pouvait parfaitement définir des quotas et des territoires de production pour garder et localiser une source d'énergie qui aurait pu aider certaines activités, notamment l'agriculture. Il y a là une nécessité d'agir avec une forme de justice territoriale, parce que ces mêmes territoires n'ont ni routes, ni voies ferrées, ni transports. Il faut faire un zonage de production locale qui donne une énergie et rétablisse une équité territoriale.
M. François Loos, président de l'ADEME - La question relative au contrôle des bâtiments construits trouvera une réponse politique. Il faut sortir de l'effet d'aubaine et savoir ce qu'on autorise. Il faudra encore résoudre les problèmes d'autoconsommation : le chantier qui s'ouvre devant nous est celui des tarifs d'électricité, qui est beaucoup plus vaste que celui des énergies renouvelables et qui porte en fait sur le financement de l'effacement.
Si l'on étudie la question de la forêt de façon macroscopique, on s'aperçoit qu'on peut mobiliser davantage de bois pour des utilisations « chaleur ». Mais cela signifie-t-il qu'il faut aider toutes les chaufferies à passer au bois ? Afin d'être efficace économiquement, la position actuelle de l'ADEME est d'aider les grandes chaufferies à passer au bois, indépendamment des problèmes de cogénération qui sont traités par la commission de régulation de l'énergie (CRE). Nous essayons de ne pas faire de transferts, comme par exemple du gaz vers le bois, si ceux-ci se font à des coûts exorbitants. Nous essayons de rester dans la limite de quarante euros par tonne équivalent pétrole économisés. Nous ne touchons alors pratiquement pas les petites chaufferies, sauf si cela permet de déclencher une activité nouvelle.
Utiliser plus de bois dans le chauffage est une politique qui atteint rapidement ses limites. On ne peut pas augmenter indéfiniment l'utilisation du bois et se dire que la biomasse va remplacer le pétrole. Des analyses mondiales montrent que la substitution du carbone du pétrole par de la biomasse n'est réalisable qu'à hauteur de 10, 20 ou 30 %. Si on savait faire aujourd'hui toute la chimie verte qui est nécessaire pour remplacer la chimie du pétrole, si on savait utiliser le bois de façon intelligente dans les biocarburants, on ne parviendrait de toute façon pas à remplacer le pétrole, par manque de quantité.
Sur les déchets, les emplois dans les centres de tri sont généralement des emplois non qualifiés ou des emplois d'insertion. La question de la pénibilité se pose. Cependant, certaines expériences intéressantes existent. J'ai visité récemment un centre de tri associé à un centre de formation : ce système offre une formation aux travailleurs et permet de prévoir et préparer leur reclassement.
En ce qui concerne le bilan des filières de responsabilité élargie du producteur, il s'agit de distinguer entre les filières. Ces dernières fonctionnent plus ou moins bien. Une constante peut cependant être relevée : aucune d'entre elles n'est tenue à des objectifs impératifs. On pourrait très bien fixer des objectifs de quantités à récupérer, sur les plastiques notamment. La fixation d'objectifs supposerait de les répartir entre les différents éco-organismes intervenant dans chaque filière, mais cela permettrait d'accélérer les progrès réalisés.
S'agissant du rôle de conseil de l'ADEME, je tiens à rappeler que ce rôle consiste essentiellement à fournir une expertise technique au ministère, sur les projets de décrets en particulier, mais que l'agence ne joue aucun rôle en matière d'arbitrage politique ou de prise de décision. L'ADEME intervient en amont, en tant qu'expert dans ses domaines de compétence.
Concernant la redevance incitative, l'ADEME aide les syndicats mixtes qui le souhaitent à mettre en place ce dispositif. La mise en oeuvre prend du temps et se heurte à de nombreuses difficultés, mais le surcoût causé par le passage à ce mode de tarification est couvert par l'agence.
J'aimerais rappeler que la politique des déchets en France n'est pas une politique énergétique. Le développement du compostage et de la méthanisation, souhaité par l'ADEME, est souvent confronté au problème de l'acceptabilité sociale de la construction d'incinérateurs. En France, la création d'usines de tri mécano-biologique (TMB) se fait parfois pour éviter la construction d'incinérateurs, mal acceptés par la population.
Enfin, la question de l'usage et de l'élimination des mâchefers est un réel problème. Il existe un blocage au niveau des débouchés et de la réglementation concernant ces matières.
Mme Évelyne Didier. - Quelle est concrètement la différence entre un TMB et un méthaniseur ? Pourquoi l'ADEME privilégie-t-elle le second au détriment du premier ? On sait que la question de la collecte et du tri des déchets est centrale, et que la collecte coûte très cher pour le citoyen. Par ailleurs, toujours plus d'efforts lui sont demandés en matière de tri, pour un coût de gestion des déchets qui ne baisse pas voire qui augmente. Le TMB permettant de réaliser un tri mécanique, pourquoi est-il déconsidéré par rapport au méthaniseur ?
M. François Loos, président de l'ADEME. - La raison centrale est que les TMB présentent des garanties moindres quant à la qualité des composts produits. Les débouchés auprès des agriculteurs ne sont dès lors pas assurés.
M. Henri Tandonnet. - Les agriculteurs veulent des garanties totales sur le compost qu'ils épandent.
M. François Loos, président de l'ADEME. - Concernant les bornes de recharge des véhicules électriques, des dispositifs d'aide existent pour les collectivités territoriales, comme la charte Borloo-Estrosi ou encore le programme mis en place par la Caisse des dépôts et consignations. Le problème est qu'on a donné aux seules collectivités la responsabilité du développement des bornes de recharge, et que leur nombre est aujourd'hui largement insuffisant. Un dispositif au niveau national devrait être mis en place. Le développement des véhicules électriques pose également la question de notre capacité à lancer des usines de batteries. Cette question reste entièrement ouverte. Il y aurait pourtant un grand intérêt à plus soutenir cette filière industrielle, en termes d'emploi mais aussi pour favoriser des améliorations technologiques rapides.
Mme Évelyne Didier. - Le développement des bornes de recharge électrique suppose également de travailler en partenariat avec les enseignes de grande distribution.
M. Louis Nègre - Davantage d'« énergie » politique est nécessaire pour que nous ne connaissions plus les problèmes de santé publique auxquels nous avons été et sommes encore confrontés. Jean-Paul Bailly, président-directeur général de La Poste, avait lancé quelque chose, mais je crois que c'est surtout par les collectivités locales qu'un mouvement en faveur de cette filière industrielle naissante peut être amorcé : le maire doit rouler en véhicule propre !
M. François Loos, président de l'ADEME - La géothermie fait partie des systèmes que nous soutenons dans le fonds chaleur avec plusieurs dizaines de millions d'euros d'aide par an. Cette aide peut représenter une garantie à l'égard du risque de forage ou concerner l'utilisation. La géothermie, telle qu'elle existe dans le bassin parisien ou en Alsace, est bien dans le coeur de cible de l'ADEME.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Monsieur le Président, je vous remercie. Nous serons sans doute amenés à nous revoir, au fur et à mesure de l'avancée des travaux des différents travaux de notre commission.