- Mardi 29 novembre 2011
- Mercredi 30 novembre 2011
- Perturbateurs endocriniens - Présentation du rapport établi au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst)
- Simplification du droit et allègement des procédures administratives - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis
- Etude de la Cour des comptes relative au régime d'assurance maladie complémentaire d'Alsace-Moselle - Nomination d'un rapporteur
Mardi 29 novembre 2011
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Loi de finances pour 2012 - Mission Direction de l'action du Gouvernement - Action Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) - Examen du rapport pour avis
La commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Laurence Cohen sur le projet de loi de finances pour 2012 (action « Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement »).
Mme Laurence Cohen, rapporteure pour avis. - La mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), dont le budget est d'un peu moins de 24 millions d'euros en 2012, comme en 2011, coordonne la politique gouvernementale en la matière et en définit les orientations générales. Plusieurs réformes récentes, notamment la loi « Warsmann » du 9 juillet 2010, ont renforcé l'approche patrimoniale de la lutte contre les trafiquants de drogues : le fonds de concours dont la Mildt bénéficie, alimenté par le produit de la revente des avoirs saisis aux personnes condamnées, est ainsi passé de 7,8 millions en 2008 à 21 millions en 2010. Il ne faudrait pourtant pas que sa croissance encourage l'Etat à se désengager, comme cela s'est produit entre 2009 à 2011. Surtout, sa répartition devrait être axée sur la prévention, trop souvent négligée.
L'année 2011 a été marquée par le départ controversé du directeur de l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), opérateur rattaché à la Mildt chargé du recueil et de l'analyse des données relatives à la toxicomanie. Lors de mes auditions, certains se sont inquiétés de l'indépendance de cet organisme : son conseil scientifique ne s'est pas réuni depuis 2009 et ne sera renouvelé qu'en avril prochain. Or, ses travaux ne doivent pas être entachés de soupçon de partialité. Pourquoi ne pas envisager une séparation complète de la Mildt et de l'OFDT afin de consacrer l'indépendance de ce dernier ?
Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, engagé en 2008, s'achève cette année. Ses cent quatre-vingt-treize mesures se répartissent entre prévention, communication ; information ; application de la loi, soins, insertion sociale, réduction des risques ; formation, observation, recherche ; coopération internationale. Malgré une approche équilibrée sur le papier, il s'est révélé essentiellement répressif, ce qui n'a pas empêché la résurgence de la consommation de certaines drogues. La Mildt devrait concilier l'application de la loi avec une véritable stratégie de santé publique.
Cela s'avère d'autant plus indispensable que la consommation de drogues, si elle n'est plus la même qu'il y a dix ans, ne diminue pas. Avec 1,2 million d'usagers réguliers, dont 550 000 quotidiens, le cannabis est le produit stupéfiant le plus consommé. Depuis 2002, la consommation des jeunes connaît une légère baisse mais, en 2010, un tiers des adultes déclarait en avoir déjà consommé.
Plus inquiétant, la banalisation de la cocaïne est avérée : sa consommation, en hausse depuis dix ans, a surtout concerné les jeunes adultes : en 2010, 2,5 % d'entre eux en aurait consommé, soit près de 400 000 usagers.
La consommation d'héroïne est le fait de publics fragiles et souvent jeunes. La prévention doit être renforcée, du fait des risques de surdose et de transmission des virus du sida ou de l'hépatite C.
Au total, l'usage problématique de drogues concerne 230 000 personnes, dont 74 000 usagers mensuels d'héroïne et 81 000 usagers mensuels par voie intraveineuse. Souvent associée à des phénomènes de polytoxicomanie et à des troubles psychiatriques, il affecte des populations marginalisées, dont la répression ne fait qu'aggraver les difficultés sociales.
La situation sanitaire des usagers de drogues est critique. Le taux des surdoses mortelles, qui avait baissé de 80 % entre 1994 et 1999, augmente depuis le milieu des années 2000 : plus de trois cents cas par an. Le VIH est désormais mieux dépisté et traité. En revanche, la France est confrontée à une véritable épidémie d'hépatite C. La prévalence de ce virus chez les usagers de drogues par voie intraveineuse est d'environ 60 %. Malgré la mise en place de programmes d'échange de seringues et le développement des traitements de substitution, le partage des accessoires de consommation propage cette maladie qui causerait entre deux mille et quatre mille décès par an.
Critique, la situation sanitaire au sein des prisons suscite chez bon nombre d'associations et de professionnels une indignation que je partage, de même que j'approuve le diagnostic fait par la mission commune d'information Sénat-Assemblée nationale sur les toxicomanies, dont le corapporteur était notre collègue Gilbert Barbier : la prison multiplie par dix le facteur de risques relatif à l'hépatite C. Des programmes d'échange de seringues devraient y être expérimentés et la continuité des soins pour les détenus toxicomanes garantie.
Par ailleurs, les addictions aux substances licites mériteraient d'être mieux traitées par la Mildt. Si la consommation générale d'alcool baisse, les comportements à risques augmentent, surtout chez les jeunes avec des phénomènes d'alcoolisation massive. La proportion de fumeurs quotidiens, en hausse, atteint 30 % des adultes. Le mésusage des médicaments et des traitements de substitution aux opiacés est une réalité : les personnes sous traitement devraient être accompagnées afin de détecter les comportements à risques.
La focalisation sur la répression, qui est au coeur de la politique en matière de lutte contre la drogue et la toxicomanie, peut se révéler néfaste. La lutte contre les trafiquants est certes indispensable mais il faut rappeler que la simple consommation d'une drogue reste un délit passible d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. La Cour des comptes a sur ce point dénoncé certaines dérives des services de police : la politique du chiffre les incite à interpeller de simples consommateurs au détriment de trafics plus complexes. En conséquence, l'incarcération des usagers de drogues est repartie à la hausse, avec 2 625 peines de prison ferme prononcées en 2009 pour usage illicite. Or, cette politique répressive éloigne les toxicomanes des dispositifs de prévention et de soin.
Appuyons-nous davantage sur les associations. Leurs efforts, durant les années 1980 et 1990, pour l'échange de seringues ou les traitements de substitution, ont porté leurs fruits ; elles sont les mieux à même de toucher les populations les plus fragiles, les plus marginales et donc les moins susceptibles de bénéficier des actions de prévention officielles. Elles ont aussi demandé l'ouverture de salles de consommation supervisées, sur le modèle de ce qui a été expérimenté chez certains de nos voisins. Quoique la mission d'information interparlementaire sur les toxicomanies ne l'ait pas jugée opportune, cette question mériterait d'être traitée d'un point de vue non pas moral mais pragmatique, afin de réduire les risques pour les usagers et les nuisances pour la société. La recrudescence des conduites à risque en matière d'usage intraveineux montre la limite des politiques actuelles. C'est pourquoi une évaluation des besoins est nécessaire et des expérimentations seraient les bienvenues. Fait important, des collectivités locales de toutes sensibilités politiques sont volontaires : reste à en établir de manière concertée le cadre juridique.
Sans trancher la question, une étude de l'Inserm sur la réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues relevait l'an dernier le caractère bénéfique de ces centres de consommation supervisés, pour les usagers comme pour la communauté. Elle contenait d'ailleurs de nombreuses autres recommandations qui ont malheureusement été passées sous silence alors qu'elles pourraient servir au plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2012-2015, dont l'élaboration est en cours.
Ce travail de l'Inserm démontre les insuffisances de la politique de prévention en France. Certains départements ne disposent d'aucune structure d'accueil « à bas seuil d'exigence », c'est-à-dire ouvertes à tous les usagers de drogues, et qui permettent de dispenser d'utiles conseils. Les dispositifs existants ne correspondent pas toujours aux besoins des toxicomanes. Une politique rénovée reposant sur l'accès à la prévention et aux soins et adaptée aux nouveaux modes de consommation est donc nécessaire. Alors que le nombre de jeunes consommatrices augmente, l'Inserm souligne l'urgence d'une politique de réduction des risques spécifiques aux femmes, qui sont exposées à des risques particuliers (violence, prostitution, grossesse). Je regrette que les conclusions de ce travail scientifique de référence n'aient pas, pour l'instant, été reprises par ceux qui l'ont commandé.
Les nouvelles formes d'addiction mériteraient également une attention accrue. Ces addictions sans substance constituent une véritable question de santé publique : il y aurait à peu près autant de personnes victimes d'une addiction au jeu que d'usagers problématiques de drogues, soit environ 200 000 personnes. Les comorbidités sont fréquentes et les conséquences financières extrêmement graves pour les familles. Les addictions comportementales devraient donc entrer dans le champ de compétence de la Mildt qui, jusqu'à présent, n'a pas fait preuve d'un grand intérêt en ce domaine.
Depuis le tournant répressif pris en 2007, la priorité n'est plus donnée à la prévention ni à la réduction des risques, d'où la dégradation de la situation sanitaire. L'emprisonnement des toxicomanes ne résoudra rien et la multiplication des arrestations de consommateurs pour gonfler les statistiques policières n'est pas acceptable.
J'émets le voeu que, pour la période 2012-2015, une nouvelle orientation soit donnée à cette politique. Comme il n'est pas souhaitable de conforter les choix actuels et comme les crédits de l'Etat sont insuffisants, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la Mildt.
M. Jean Desessard. - Pourquoi parler de consommateurs mensuels dans votre présentation statistique ? Vous dites aussi que le nombre de fumeurs a augmenté : l'augmentation des prix du tabac n'aurait-elle donc pas été dissuasive ? Enfin, pouvez-vous nous en dire plus sur les salles de consommation supervisées mises en oeuvre à l'étranger ?
M. Ronan Kerdraon. - Je salue la qualité de votre rapport, madame la rapporteure. Moi aussi, j'aimerais en savoir plus sur les salles de consommation supervisées expérimentées chez nos voisins. Nous devons en effet aller un peu plus loin.
Mme Isabelle Pasquet. - Je partage le sentiment, exposé lors de cette excellente présentation, que la politique répressive menée par la Mildt depuis 2007 n'est pas satisfaisante. Je n'ai pas voté le rapport de la mission commune d'information Assemblée Nationale-Sénat sur les toxicomanies car j'estimais qu'en matière d'expérimentation, notamment pour les salles de consommation supervisées, il fallait franchir un pas supplémentaire. Il est temps d'aborder ces sujets frontalement en évitant de refaire les erreurs qui ont pu intervenir chez nos voisins.
Mme Christiane Demontès. - Ce rapport a le grand mérite de balayer l'ensemble des addictions. Les jeunes consomment de plus en plus tôt diverses substances qui entraînent des troubles du comportement et de la personnalité. Or, la prévention a disparu de la politique de la ville et des établissements scolaires, faute de crédits, et la réduction programmée de la médecine scolaire ne va pas améliorer les choses. Vous avez également bien fait, madame la rapporteure, d'insister sur les dangers de la consommation des produits licites, surtout chez les jeunes qui s'exposent à de graves conséquences physiques et mentales.
M. René-Paul Savary. - A mon tour, je salue la qualité de ce rapport en regrettant toutefois qu'il ne signale pas que les crédits augmentent très légèrement. En cette période de vaches maigres, c'est un point positif.
La drogue ne touche pas que les quartiers urbains : médecin dans une petite commune, je puis vous assurer que les addictions concernent aussi le monde rural. Comment réagir en présence de ces comportements ? Il faut susciter une prise de conscience citoyenne : signaler n'est pas dénoncer. Les travailleurs sociaux et les établissements scolaires doivent être alertés afin que la chaîne de signalisation ne connaisse pas de rupture et que ces jeunes ne restent pas isolés.
Ces produits stupéfiants ont de terribles conséquences psychiatriques : en trente ans, le nombre de jeunes schizophrènes a considérablement augmenté. L'on commence également à parler de cancers dus à la consommation de cannabis. Il ne faudrait pas que l'on attende comme on l'a fait pour le tabac, des études seraient donc plus que souhaitables.
Les nouvelles conduites addictives, c'est aussi les jeux informatiques, pour lesquels une prévention distincte reste à inventer.
Après m'être bien interrogé, je ne suis pas favorable aux salles de consommation supervisées : comme pour la sécurité routière, la prévention ne peut pas tout. A un moment, il faut aussi du répressif si l'on veut modifier les comportements. Bref, il faut trouver un juste milieu entre répression et prévention, étant entendu que celle-ci doit frapper les vendeurs, plutôt que les consommateurs.
Mme Laurence Cohen, rapporteure pour avis. - Monsieur Desessard, les statistiques européennes font référence à des consommations mensuelles, ce qui explique les chiffres que je vous ai exposés. Pour ce qui est des fumeurs, leur nombre a effectivement augmenté de deux points entre 2005 et 2010, passant de 28 % à 30 %. La hausse du prix du tabac n'a donc pas eu l'effet escompté.
Pour ce qui concerne les salles de consommation supervisées, voici quelques chiffres : il y a quarante-cinq salles dans trente villes en Hollande, vingt-cinq dans seize villes en Allemagne, douze dans huit villes en Suisse, six dans trois villes en Espagne, une au Luxembourg et une en Norvège. L'Australie et le Canada en ont aussi, mais pas autant. Je regrette que le débat de l'an dernier se soit tout de suite porté sur le plan moral. Certes, les salles de consommation ne sont pas la solution miracle, mais des expérimentations auraient permis d'y voir plus clair et surtout de renouer le contact avec ces publics fragiles. A l'heure actuelle, la propagation de l'hépatite C est spectaculaire et il n'y a aucun suivi, contrairement à ce qui a été fait pour le sida. La prévention ne peut se borner à des messages d'informations d'un format comparable aux films publicitaires et qui n'ont d'ailleurs aucun impact sur le public concerné.
La précédente présidente de la Mildt avait à juste titre lancé une campagne intitulée « Savoir plus pour risquer moins ». Les toxicomanes doivent en effet connaître les risques pour eux-mêmes, mais aussi pour leur entourage. Or, pour prévenir, il faut du personnel compétent, pas seulement des gendarmes. Les opérations coup de poing dans les collèges sont extrêmement traumatisantes et ne peuvent s'apparenter à une politique de prévention.
On ne m'a pas parlé des effets cancérigènes du cannabis lors de nos auditions. Une étude de l'Académie de médecine révèle néanmoins l'existence d'une corrélation mais qui appellerait sans doute des recherches plus approfondies.
Mme Claire-Lise Campion. - Je partage l'analyse de ce rapport très complet sur le mésusage des médicaments et sur le manque d'informations : on laisse trop souvent les intéressés livrés à eux-mêmes.
J'entends bien les arguments de M. Savary sur la répression, mais il est inacceptable d'augmenter le nombre d'interpellations de consommateurs de drogue à seule fin statistique.
Mme Patricia Schillinger. - J'ai pris grand intérêt à entendre cette présentation exhaustive. Les conseils généraux, et le mien tout particulièrement, sont attachés à la prévention, mais les crédits sont en baisse et l'Etat se désengage, ce qui ne permet plus de faire de prévention en milieu scolaire. Il ne faudrait pas non plus oublier le monde de l'entreprise où des adultes, des cadres, sont touchés...
Mme Catherine Génisson. - Toutes les professions sont touchées !
Mme Patricia Schillinger. - Et que dire des prisons ! Certains détenus entrent sans avoir jamais consommé de drogues et ressortent dépendants ! Avez-vous entendu hier cette mère qui témoignait à la télévision et qui disait qu'il fallait se débarrasser des dealers au lance-flamme, plutôt qu'au karcher ? Certains parents n'en peuvent vraiment plus !
M. Jean-Louis Lorrain. - Les conseils généraux financent des programmes de prévention, mais si le périmètre de leurs missions se réduit, je crains de grandes difficultés pour les années à venir.
Que savez-vous des nouveaux produits de synthèse qui semblent très toxiques ? Le Subutex ne devient-il pas une drogue comme une autre ?
Si nous n'avons pas voulu de salles de consommation supervisées, ce n'était pas par dogmatisme ou par souci moralisateur. Mais, les frontaliers que nous sommes le savent bien, certaines politiques ont montré leurs limites, je pense en particulier à l'ouverture catastrophique des parcs aux toxicomanes en Suisse.
Le schéma de santé mentale et le travail des ARS sur la lutte contre les toxicomanies doivent s'inscrire dans des programmes de prévention et de santé publique.
Mme Catherine Génisson. - Je reviens un instant sur la corrélation entre le cannabis et le cancer pour rappeler que le cannabis est parfois prescrit en soins palliatifs, afin de lutter contre la douleur.
Les drogues de synthèse ne sont pas toutes interdites alors qu'elles peuvent avoir des effets neurotoxiques effrayants. Je n'évoquerai pas plus avant la prévention, sinon pour souligner que la loi « Warsmann » mériterait que l'Etat y consacre plus de moyens.
La Mildt devrait tenir compte du fait qu'un toxicomane doit être suivi vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui implique des moyens considérables. Je comprends le cri de désespoir d'une mère rapporté par Patricia Schillinger : on ne dit pas assez que les proches, la famille d'un toxicomane, connaissent l'enfer lorsqu'ils sont confrontés à cette situation dramatique.
Mme Anne-Marie Escoffier. - Dans les crédits de paiement de la Mildt, est-il possible de distinguer ce qui relève de la prévention ?
Je partage pleinement l'analyse selon laquelle les associations ont un grand rôle à jouer et pourtant, elles sont en train de mourir, faute de crédits.
Les addictions sont en effet de plus en variées : n'est-il pas temps de modifier les missions de la Mildt en lui donnant pour objectif de lutter contre toutes les formes d'addictions ?
Vous estimez, madame la rapporteure, qu'il faudrait détacher l'OFDT de la Mildt. Serait-ce vraiment une bonne solution ? Le lien entre les deux doit cependant être préservé. Plus important, la vocation de la Mildt est, par essence, interministérielle. Manifestement, tel n'est pas le cas aujourd'hui. Comment améliorer les choses ?
Mme Laurence Cohen, rapporteure pour avis. - Les conséquences d'une réduction des missions des collectivités territoriales seront fort dommageables, surtout pour la prévention.
Sur les drogues de synthèse, les chimistes, véritables drug designers, ont un pouvoir d'imagination extraordinaire, ce qui leur permet de contourner les interdictions légales et d'avoir toujours une longueur d'avance sur la législation. Or, comme l'a dit Mme Génisson, ces drogues ont de très graves répercussions sur la santé physique et mentale des consommateurs.
Je n'ai pas d'éléments précis sur la répartition des crédits de la Mildt. En revanche, je dispose des chiffres concernant le fonds de concours alimenté par le produit de la revente des avoirs des trafiquants : 35 % de ces fonds reviennent à la police, 25 % à la gendarmerie, 20 % à la justice, 10 % aux douanes et 10 % aux actions de prévention. Cela se passe de commentaires.
Modifier les missions de la Mildt ? Pourquoi pas, mais il est essentiel de préserver son caractère interministériel. Il est vrai, madame Escoffier, que depuis 2007, la Mildt semble être très proche du ministère de l'intérieur et que certaines des préoccupations du ministère de la santé n'ont pas abouti, Etienne Apaire, le président de la Mildt, ne les ayant pas prises en compte.
Le conseil d'administration de l'OFDT ne s'est pas réuni depuis 2009, ce qui donne l'impression qu'il dépend de la Mildt. Or, il faut que les scientifiques puissent travailler en toute indépendance. Le départ de son ancien président a suscité des controverses. Les données fournies ne correspondaient pas aux attentes de la Mildt. Je ne veux pas polémiquer mais rappeler que nous avons besoin de chiffres objectifs pour définir des choix politiques que nous assumerons.
Mme Annie David, présidente. - La commission souhaite-t-elle suivre l'avis de sa rapporteure et se déclarer défavorable à l'adoption des crédits de la Mildt ?
M. Jean-Louis Lorrain. - Nous nous abstiendrons.
Mme Anne-Marie Escoffier. - Moi aussi car, si j'approuve le rapport, je ne puis accepter ses conclusions, faute d'information sur la répartition des crédits de la Mildt entre prévention et répression.
Suivant sa rapporteure, la commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Mercredi 30 novembre 2011
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Perturbateurs endocriniens - Présentation du rapport établi au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst)
La commission entend la communication de M. Gilbert Barbier sur le rapport « Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution » établi au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
M. Gilbert Barbier, rapporteur. - A la suite du vote de la loi interdisant l'usage du bisphénol A dans les biberons, issue d'une proposition de mon groupe, le RDSE, l'office avait été chargé, sur demande de notre commission, de mener une étude sur les perturbateurs endocriniens, dont j'ai assuré seul la conduite, Jean-Claude Etienne ayant été appelé sous d'autres cieux.
Ce domaine, qui touche à des questions très sensibles de santé publique et environnementale, est, depuis deux ou trois décennies, en pleine évolution. Le système endocrinien qui inclut de multiples organes, depuis l'hypophyse jusqu'aux organes de la reproduction, en passant par la thyroïde, est fort complexe. Les hormones, substances chimiques sécrétées par ces glandes, contrôlent la croissance, le métabolisme, le développement, y compris sexuel, et la reproduction. Leur rôle est de mieux en mieux connu du fait des capacités de dosage de plus en plus précises.
On sait aujourd'hui que certaines molécules synthétiques libérées dans l'environnement - au nombre de 100 000, auxquelles 900 nouvelles viennent s'ajouter chaque année - perturbent le fonctionnement du système endocrinien, le problème se compliquant encore de leur interaction. Elles sont dégagées par des produits pharmaceutiques, dentaires, vétérinaires, de combustion, des produits à usage industriel ou domestique, des produits phytosanitaires, des phyto-oestrogènes, des mycotoxines... La plus emblématique d'entre elles, le Bisphénol A, entre dans la fabrication de multiples plastiques de type polycarbonates mais aussi des résines époxy. On en retrouve la trace dans les bouteilles en plastique, les canettes et boîtes de conserve, les emballages alimentaires. Elle entre également dans la composition des CD, des DVD, de composants électroménagers et automobiles, comme les pare-chocs, mais aussi dans les téléphones portables, les lunettes, les lentilles de contact, et même les tickets de caisse à encre thermique. Quant aux résines époxy, elles sont utilisées dans les systèmes de stockage et de transport de l'eau et dans certains ciments dentaires. Les dérivés halogénés du bisphénol A, se retrouvant également dans les retardateurs de flamme, peuvent contaminer l'atmosphère de certains logements. La molécule a cependant son utilité, comme antioxydant, stabilisateur, protecteur mécanique anti corrosion, si bien qu'il convient d'établir, pour chaque type de produit, une balance bénéfices-risques.
Certains autres constituants des plastiques comme les phtalates ou des produits cosmétiques et médicamentaux comme les parabènes posent également des problèmes, en raison de leur effet potentiellement reprotoxique. A ces substances de synthèse s'ajoutent des substances naturelles, présentes par exemple dans le soja. Autant d'éléments qui causent des interférences dans le jeu hormonal.
Sur le rôle des perturbateurs endocriniens, les observations sont déjà anciennes. C'est ainsi que l'on connaît de longue date les effets néfastes du DDT. Dans son livre Silent Spring, Rachel Carson s'étonnait déjà de la disparition de l'aigle, symbole de l'Amérique. Des études ont été menées sur les malformations génitales des alligators de Floride, la diminution de l'épaisseur des coquilles d'oeufs de faucons. Au Canada, l'expérience de pollution volontaire d'un lac de l'Ontario a permis d'observer la disparition d'une race de cyprinidés. Bien d'autres observations ont été conduites sur le milieu aquatique, y compris en France où une étude de 2009-2010 concluait à la contamination en oestrogènes de l'estuaire de la Seine et ses conséquence sur les mâles d'une espèce de poisson, le flèt. Complétées par de nombreux travaux de laboratoires diligentés par des programmes de recherche, tous ces travaux permettent de conclure au rôle majeur des perturbateurs endocriniens dans l'environnement.
Face à quoi il convient, cependant, d'agir avec toute l'objectivité scientifique requise, ainsi que le souligne l'audit collectif récemment publié par l'Académie de médecine, qui relève l'écart entre les conclusions des agences sanitaires et les annonces alarmistes de certaines organisations non gouvernementales (ONG). Sans nier la nécessité d'alerter, gardons-nous de prendre des décisions précipitées, sous la pression de l'opinion, avant de disposer d'une évaluation scientifique menée auprès de tous les acteurs concernés.
J'ai, pour ma part, essayé, dans ce rapport, de respecter le principe d'objectivité. Il m'était impossible d'aborder tous les problèmes soulevés par les perturbateurs endocriniens, sachant que cet important sujet de santé publique doit suivre au plus près les avancées de la science, de l'industrie et des données expérimentales. C'est ainsi que l'agence nationale de sécurité sanitaire, l'Anses, a rendu, le 27 septembre dernier, une étude faisant le point sur les différentes substances et les réglementations existantes, principalement celles relatives au bisphénol A. L'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait publié en mars dernier une étude sur les effets reprotoxiques des perturbateurs endocriniens, suivie en novembre par le rapport de l'Académie de médecine sur leur rôle cancérigène.
Deux grands domaines occupent la recherche expérimentale. Le premier, largement exploré par les laboratoires, concerne les incidences de ces produits sur le développement sexuel, les malformations génito-urinaires induites, la croissance et la fertilité. Le second tend à mesurer leur incidence sur l'augmentation des cancers hormono-dépendants - cancer du sein, de la prostate, de la thyroïde, du testicule.
Ces études ont provoqué une révolution dans la recherche toxicologique. De fait, elles mettent en cause les fondements établis au XVIe siècle par Paracelse. « Toute chose est poison et rien n'est poison, seule la dose fait le poison » : ce précepte, qui fonde aujourd'hui toute la réglementation de protection en définissant des doses d'exposition maximales, ne saurait s'appliquer, de fait, aux perturbateurs endocriniens, pour lesquels la réponse n'est pas toujours linéaire, puisque leur effet peut être fort à faible dose, faible à forte dose, et qu'ils peuvent même agir comme la clé dans la serrure, leur seule présence, fût-elle infinitésimale, pouvant déclencher les perturbations. Sans compter les effets synergiques et de potentialisation qui résultent de leur mélange, fréquent. S'ajoute enfin le fait que les organismes peuvent leur être plus sensibles en certains temps de la vie, comme durant la période intra-utérine, si bien que ce n'est plus la dose qui fait le poison, mais le moment. On observe des effets transgénérationnels, comme on l'a vu avec le Distilbène, prescrit à des femmes enceintes dans les années 70, responsable de malformations génito-urinaires graves sur les enfants, malformations que l'on retrouve à présent à la deuxième génération. On peut encore déplorer d'autres utilisations malheureuses de certains produits, comme celle du chlordécone dans les bananeraies antillaises, objet d'un rapport de Catherine Proccacia, et qui serait à l'origine d'un taux de cancer de la prostate élevé dans la population, ou celle de la thalidomide qui, prescrite aux femmes enceintes, dans les années 50 et 60 comme antinauséeux, est responsable de malformations graves chez les enfants - on reparle pourtant de la thalidomide qui pourrait être utilisée dans les traitements de la maladie d'Alzheimer. Beaucoup de ces molécules sont aujourd'hui retirées du marché, et ne sont plus utilisées par l'agriculture et la pharmacie. L'Union européenne a d'ailleurs adopté une législation restrictive, qui s'applique aujourd'hui aux nouvelles molécules. Le programme Reach (registration, evaluation and autorisation of chemicals), en vigueur depuis le 1er juin 2007, contraint ainsi les entreprises produisant ou important plus d'une tonne de produits chimiques par an à s'enregistrer et à référencer les produits en démontrant leur innocuité. Les substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, en particulier celles qui sont persistantes, sujettes à bioaccumulation ou qui comprennent des perturbateurs endocriniens, et sur la nocivité desquelles on dispose d'éléments scientifiques, font l'objet d'un système particulier.
Une question de fond reste cependant posée, qui doit interpeller les chercheurs et la puissance publique : dans quelle mesure une expérimentation in vitro sur l'animal est-elle transposable à l'homme sans étude épidémiologique encadrée et précise, comme cela se passe pour une majorité de produits ? De telles études requièrent une observation de plusieurs années sur une cohorte homogène de générations. Comment, de même, s'assurer du caractère incontestable des résultats, sachant que bien des troubles et bien des maladies ont des origines plurifactorielles et que l'individu est exposé à une multitude de produits, inégalement répertoriés, susceptibles de provoquer des perturbations endocriniennes ?
C'est pourquoi je me réjouis que la France ait engagé, depuis trois ans, le programme de recherche Elfe, étude longitudinale française depuis l'enfance, qui, entamé en 2007 auprès de cinq cents familles pilotes, vise à suivre 20 000 enfants de la naissance à l'âge adulte. Ce programme mobilise plus de soixante équipes de recherche, soit quatre cents chercheurs, autour de plus de quatre-vingt-dix sujets. Il fait partie des priorités du Gouvernement et a bénéficié, via le grand emprunt et les investissements d'avenir, d'un financement spécifique.
Dans la préface au rapport de l'Inserm, on lit que si « la compréhension fine des mécanismes mis en jeu chez l'homme représente un travail considérable, qui ne pourra pas aboutir prochainement », cela n'empêche pas d'envisager des pistes d'action, en appliquant le principe de précaution « à partir du moment où la suspicion fondée sur des données scientifiques impose d'agir pour supprimer ou réduire des effets graves ou irréversibles pour la santé du fait d'expositions non obligatoires ». Et les auteurs ajoutent qu'il ne faut pas attendre la preuve de la causalité et la compréhension de tous les mécanismes en jeu pour protéger la santé des populations et se tourner vers des substances de substitution.
Je partage leur analyse. Les données sont suffisamment nombreuses pour inciter à l'action, en développant une politique évolutive de protection en fonction des résultats scientifiques. Cette politique devrait reposer sur trois piliers : savoir, prévenir, interdire.
Développer les connaissances disponibles est une priorité. La France, comme l'Europe, y consacre déjà des moyens importants - plan d'action du ministère de la santé, programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens, agence nationale de la recherche, programme Elfe, investissements d'avenir. Mais foisonnement n'est pas stratégie. On y voudrait plus de coordination, autour d'une stratégie interministérielle, à laquelle il conviendrait d'associer le monde industriel, eu égard aux enjeux économiques des découvertes potentielles sur les matériaux, le fonctionnement du système hormonal et les médicaments du futur.
Un élargissement des recherches est également nécessaire, sur un plus large éventail de substances et d'organes cibles, et la priorité devrait être accordée aux tests internationalement reconnus d'identification des perturbateurs endocriniens. Un suivi politique et parlementaire s'impose pour prendre en considération l'évolution des connaissances.
Dans l'intervalle, il convient de mettre en oeuvre une démarche de prévention, visant à limiter l'usage des substances incriminées, à prendre en compte leur potentiel perturbateur, à réduire leur rejet dans l'environnement. La bonne application des plans polychlorobiphényles (PCB) et Echophyto 2018 est à cet égard essentielle. Ainsi que le recommande l'Académie de médecine, une attention toute particulière devrait être portée au problème des résidus médicamenteux dans l'eau, soulevé encore récemment au sujet des pilules contraceptives. Réduire l'exposition périnatale, de la conception aux premières années de la vie, doit être une priorité pour nous. Les produits de consommation courante contenant des substances présentant un risque élevé de perturbation devraient être soumis à étiquetage particulier, pour inciter les mères à en utiliser d'autres.
Des mesures d'interdiction, enfin, peuvent être nécessaires, en fonction des produits, des usages, des possibilités de substitution et de la balance avantages-risques. C'est dans cette logique que je demande le retrait des phtalates à chaîne courte dans les applications médicales - tubulures, poches plastiques, perfusions - à destination de la femme enceinte et du jeune enfant, et plus généralement que tous les produits qui leur sont destinés soient exempts de perturbateurs endocriniens.
Enfin, il me semble que le Parlement, plutôt que multiplier les lois d'interdiction partielles dans le seul cadre national, devrait inviter le Gouvernement, via une résolution, à agir au niveau européen, sur l'ensemble du marché communautaire.
Mme Isabelle Debré. - Vous avez évoqué l'usage de la thalidomide dans le traitement de la maladie d'Alzheimer. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vous militez pour une action concertée au niveau européen. D'autres pays se sont-ils déjà saisis du problème ?
M. Gilbert Barbier, rapporteur. - Une étude que j'ai lue récemment mentionnait des expérimentations conduites pour mesurer l'efficacité de la thalidomide sur la maladie d'Alzheimer, étant entendu que le problème du cycle reproductif ne se pose plus pour les femmes concernées. Je ne saurais vous en dire plus...
Oui, plusieurs pays, au premier rang desquels les pays du Nord, veulent avancer sur la question de l'uniformisation de la réglementation. L'étude qui paraîtra prochainement, commandée par la direction de l'environnement de la Commission européenne au professeur Kortenkamp, devrait ouvrir des pistes.
M. Jean-Louis Lorrain. - Je remercie Gilbert Barbier de ses utiles recommandations. Il faut penser au service après-vente d'un tel rapport, à sa diffusion. Concernant la prévention, le registre des cancers est fort utile à la recherche sur les perturbateurs endocriniens, pour autant qu'il suive des règles pérennes sur longue période, ce qu'une récente diminution des aides de l'Etat risque de mettre en péril...
Sur le problème des stations d'épuration, il conviendrait d'assurer la bonne information des collectivités locales et des gestionnaires. Je n'insisterai pas, pour ma part, sur la question des traces, infimes, de contraceptifs, au risque de ranimer une récente controverse... En revanche, parlons de la collecte des médicaments, qui est essentielle : elle est efficace pour les cabinets médicaux mais moins bien assurée pour les familles, qui pouvaient autrefois rapporter en pharmacie leurs médicaments périmés.
Je ne reviens pas sur les turbulences vécues autour de la sécurité du médicament. Mais l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) s'est vu attribuer un nouveau rôle et il lui faudra effectuer un travail transversal, avec l'Anses. La recherche sur un produit doit prendre en compte les questions environnementales, ainsi que la balance bénéfices-risques, sans se limiter à l'étude sur individus. Il faudra y insister car je ne suis pas certain que l'agence soit à ce sujet très convaincue.
Mme Catherine Procaccia. - Je me félicite que les rapports de l'office, qui dispose de beaucoup plus de temps que nous pour ses investigations, soient présentés devant notre commission, fût-elle ou non à l'origine de la saisine. La semaine dernière, un amendement a été voté lors de la discussion budgétaire en séance, sur les perturbateurs endocriniens : je regrette, dans le même esprit, que nous n'en ayons pas été informés en amont. Gilbert Barbier lui-même n'est pas au courant.
Oui, il faut travailler de concert en Europe, et même au-delà : une réglementation qui resterait franco-française serait, en la matière, sans grand effet.
Mme Annie David, présidente. - La présidente Muguette Dini avait en effet saisi l'Opecst, au nom de notre commission, sur les perturbateurs endocriniens à la suite du vote de la loi sur le bisphénol A. J'ai donc souhaité que le rapport nous soit présenté. Nous avions procédé de même voici quelques mois pour le travail de Brigitte Bout sur l'obésité. On pourrait certes élargir l'exercice à d'autres études de l'office, si les thèmes intéressent notre commission, à condition que ses membres soient prêts à suivre...
L'amendement voté en séance, madame Procaccia, lors de l'examen de la mission « Environnement », visait à étendre la redevance pour pollutions diffuses aux perturbateurs endocriniens. Il répond donc à nos préoccupations.
Mme Isabelle Debré. - Comment seront ciblés les produits ?
Mme Annie David, présidente. - Je ne saurais vous retracer les débats sur cet amendement n° 235, la mission « Environnement » ne figurant pas parmi celles sur lesquelles nous présentons un avis. Mais il est certain qu'un peu plus de coordination entre nous ne ferait pas de mal.
M. Claude Jeannerot. - Merci à M. Barbier de son exposé clair et pédagogique, qui nous offre, une fois n'est pas coutume, une véritable approche globale. Voilà encore un rapport de qualité du Sénat. Comment s'assurer qu'il ne reste pas, comme cela reste trop souvent le cas, sur les étagères ? Ceci pour dire que nous devrions veiller au suivi qui est donné à nos travaux.
Une question sur les cancers liés aux perturbateurs endocriniens : pourquoi n'avoir pas cité, à côté des cancers de la prostate et du sein, le cancer du pancréas, dont l'augmentation du taux de prévalence semble avoir les mêmes causes ?
M. Claude Léonard. - Sur la présence d'oestrogènes dans les eaux, dont Jean-Louis Lorrain dit qu'elle est infime, existe-t-il des mesures précises ? Les villes, les grandes agglomérations en particulier, sont-elles davantage concernées ? Car je ne pense pas que le monde rural, où se posent d'autres problèmes comme celui des pesticides, le soit autant. Sur cette question des eaux, ne serait-ce pas de bonne politique que d'associer à la recherche les grands délégataires de services publics et les services en régie ?
Mme Patricia Schillinger. - On a trop tendance à aborder le problème des perturbateurs endocriniens par segments. Si l'on entend souvent parler de l'Alzheimer induit, on parle peu de la maladie de Parkinson, dont les statistiques, que les neurologues peinent à faire reconnaître, font apparaître qu'elle touche des personnes de plus en plus jeunes, surtout chez les agriculteurs.
Les normes européennes ? Fort bien, mais n'oublions pas que la Suisse, notre voisine, autorise beaucoup plus de produits que nous. Preuve que l'approche doit être plus large encore que les frontières de l'Union. D'autant que se pose également la question des importations. Il faut proposer des solutions à un problème qui inquiète toujours plus les populations, et dont les familles qui vivent sous le seuil de pauvreté sont les premières victimes, via l'alimentation en particulier. J'espère que notre arsenal se fera, à l'avenir, beaucoup plus sévère.
Mme Chantal Jouanno. - Je veux vous conter une anecdote. Lors d'un G7, une réunion avait été consacrée à la santé environnementale, les recherches menées dans différents pays nordiques, aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil et au Japon avaient été exposées. Toutes concluaient à la dangerosité du bisphénol A pour les jeunes enfants. J'avais donc, au retour, alerté le ministère de la santé de ce sujet, qui en a saisi ses agences. Elles ont répondu qu'il ne posait aucune difficulté. Je suis revenue à la charge et j'ai obtenu qu'une étude soit conduite par l'Anses : elle a fait ressortir la réalité du problème.
Notre culture reste trop marquée par les principes de Pasteur. Les institutions de santé ont du mal à intégrer le fait que certaines substances, dont les pesticides, ont un réel effet à long terme sur l'environnement, ce qui pose le problème de la coordination et du pilotage des questions liées à la santé environnementale. J'ai évoqué le problème à deux reprises lors du débat budgétaire, sans obtenir de réponse. Je ne sais qui devrait être le pilote, du ministère de la santé ou de celui de l'environnement, mais ce que je sais, c'est que le terme de précaution fait réagir. Or, s'il est souvent appliqué à l'environnement, il ne l'est jamais à la santé.
Un mot sur les résidus médicamenteux. Si des programmes de recherche existent, reste que les systèmes de traitement coûtent cher. Nous avons déjà du mal à appliquer les directives européennes sur l'environnement, qu'en sera-t-il lorsque celles-ci aborderont les résidus des médicaments dans l'eau... Et elles y viendront prochainement, car si les éléments chiffrés manquaient jusqu'à présent, ils sont aujourd'hui disponibles, et l'on sait ce qu'il en est des problèmes de fertilité que pose, à terme, la féminisation des poissons.
M. René-Paul Savary. - Je tire mon chapeau à Gilbert Barbier pour ce rapport très intéressant dont j'ai pris connaissance en prévision de notre réunion.
Il a rapidement évoqué le soja. C'est à mon sens un vrai sujet. On continue d'importer des organismes génétiquement modifiés (OGM) de soja, dont on connaît les potentiels effets néfastes. Une seule décision s'impose : arrêter ! Dans mon département, il existe un pôle de compétitivité industrie et agro-ressources, autour de la bio-raffinerie végétale : on sait fabriquer des plastiques à base non de pétrole, mais de biomasse, comme on sait en faire par voie fermentaire et non acide. Cela mérite d'être soutenu : il faut poursuivre la recherche, avec des pilotes industriels.
Patricia Schillinger a relevé l'augmentation des cas de Parkinson chez les agriculteurs, liée à un effet dose. Mais dans le cas des perturbateurs endocriniens, on sait que la réponse, Gilbert Barbier l'a rappelé, n'est pas linéaire. C'est cela qui est inquiétant. Certains individus sont susceptibles de développer des pathologies, d'autres non. Le principe de précaution doit donc s'appliquer d'une autre façon. Il ne s'agit pas, comme pour le cancer du poumon, de recommander l'arrêt du tabac. Les choses, ici, sont plus complexes.
Un mot, pour finir, sur l'augmentation des cancers hormono-dépendants que sont le cancer de la prostate et du sein - tandis que les cancers des ovaires sont en diminution. Sait-on pourquoi ? Peut-on en expliquer tout uniment les causes ? Elles peuvent tenir, pour partie, aux progrès du dépistage.
M. Dominique Watrin. - Je salue, à mon tour, la qualité du travail de Gilbert Barbier et j'adhère à ses orientations : savoir, prévenir, interdire. D'accord sur la nécessité d'une approche transversale. La multiplicité des acteurs, avec l'institut national de la recherche agronomique (Inra), l'institut de veille sanitaire qui collecte l'information et rencontre en effet des difficultés, l'Anses, pose de fait la question du pilotage. Doit-il être interministériel ? Si non, qui doit piloter ? Il faut trancher, pour avancer.
Le principe de précaution se heurte au mur des lobbies industriels. Beaucoup de questions se posent sur les pesticides : ils sont utilisés dans une forme d'agriculture qui est industrielle, et les lobbies sont derrière. Et je me félicite que l'Anses ait également travaillé sur les effets de ces substances sur la santé des agriculteurs, non pas seulement sur les consommateurs.
Mme Aline Archimbaud. - Merci à Gilbert Barbier de ce rapport approfondi dont je me réjouis qu'il ouvre le débat sur la santé environnementale. Je l'ai déploré en séance plénière : nous restons englués dans les arbitrages financiers de court terme, alors que le sujet, qui concerne toute la population, exige une vision de plus large portée. Le Parlement doit faire des propositions qui, pour être opérationnelles, doivent aussi être financières. Passons aux actes dans le débat budgétaire. Je présenterai dans l'avenir des propositions sur le sujet.
Je rejoins Chantal Jouanno sur l'argument pernicieux des faibles doses, qui nous est souvent opposé. Mais le problème est dans l'addition des expositions, même à faible dose chacune. Il faudra y travailler.
Le cadre Reach a fait l'objet de débats et de contestations. Il a suscité une forte opposition, qui perdure : les blocages sont terribles ! L'office a-t-il réfléchi à l'articulation possible entre réglementation européenne et politique nationale ? Je ferai également des propositions sur le sujet.
Mme Catherine Deroche. - Le nombre de cancers de la prostate et de cancers du sein augmente, mais cette croissance est due également au vieillissement de la population et à un dépistage plus efficace : l'analyse des causes est difficile parce que celles-ci sont multifactorielles.
Mme Annie David, présidente. - L'idée d'un suivi parlementaire me paraît judicieuse. Il pourrait prendre la forme d'un débat en séance publique sur ce thème.
Mme Catherine Procaccia. - Il est en effet déjà arrivé que nous organisions en séance publique un débat sur une question traitée par l'Opecst.
M. Gilbert Barbier, rapporteur. - Effectivement, nous avons débattu dans le passé des lignes à haute tension ou encore de l'obésité, objets d'étude de l'office, mais je crains que nous ne puissions trouver, d'ici à fin février 2012 date de l'interruption de nos travaux, un créneau dans l'ordre du jour de la séance publique pour organiser un débat sur les perturbateurs endocriniens.
Sur les résidus médicamenteux, les grands groupes chargés de la gestion de l'eau avancent... très lentement. C'est que la diversité des molécules rend le traitement très coûteux. Oui, il y a des mâles féminisés et des femelles masculinisées : les prélèvements de poissons en aval des stations d'épuration sont fort intéressants pour les chercheurs.
Dans les perturbateurs endocriniens, ce n'est pas la dose qui fait systématiquement le danger : je l'ai dit, une dose forte pourra n'avoir aucun impact ; l'effet, statistiquement, suit une courbe de Gauss. Il y a tout de même des cibles sensibles, j'en ai parlé, femmes enceintes, enfants dans leur vie intra-utérine et à leur naissance. On a interdit le bisphénol A dans la fabrication des biberons, mais le lait maternel en contient tout autant...
Sur les cancers hormono-dépendants, j'ai noté que l'Académie nationale de médecine était d'une grande prudence à l'égard des études menées sur les perturbateurs endocriniens et leur influence sur les cancers, du testicule par exemple... Je précise à Catherine Deroche que les statistiques relatives aux cancers de la prostate ou du sein comportent toujours une correction de l'effet vieillissement. Le cancer du sein - mais n'oublions pas qu'il y en a de multiples formes - subit l'incidence de nombreux facteurs, bien sûr. Quant au dépistage du cancer de la prostate, on s'interroge actuellement sur son utilité en fonction de l'âge - jusqu'à quel âge faut-il le maintenir, soixante-dix ans ou plus ? Je vous renvoie au rapport de Bernard Debré.
Dans les problèmes environnementaux, la dimension européenne est essentielle. Il a fallu du temps pour installer le système Reach mais aujourd'hui celui-ci fonctionne. La procédure se met en place progressivement, elle a d'abord visé les molécules les plus dangereuses. En matière de pesticides, plusieurs ont été interdits. La France peut prendre des mesures de prévention, mais s'agissant de l'industrie, c'est au niveau européen qu'il faut agir. J'ai rencontré des industriels, les grands groupes ne sont pas fermés à la discussion. Certains se sont interdit de recourir à des phtalates à chaîne courte - plus on allonge la molécule, moins elle passe du contenant au contenu mais cela renchérit le coût de fabrication.
Il faudrait approfondir le travail interministériel. Sur le médicament, les laboratoires Servier n'ont pas été exemplaires...
Mme Christiane Demontès. - C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Gilbert Barbier, rapporteur. - ...mais d'autres se préoccupent de rechercher des produits de substitution - lesquels posent parfois des problèmes.
Il faut faire avancer les choses. Un mouvement est à l'oeuvre. Je suis attaché à la figure et à l'apport de Pasteur, mais aujourd'hui nous vivons dans une ère différente. Nous pouvons néanmoins travailler et faire des propositions. Monsieur Jeannerot, je n'ai pas d'information fiable sur l'intervention des perturbateurs endocriniens dans le cancer du pancréas, c'est pourquoi je n'en ai pas parlé.
Mme Annie David, présidente. - Je veillerai au suivi parlementaire de ce travail. J'observe d'ailleurs que l'analyse du rapport bénéfices-risques concerne pareillement l'amiante. Or, les perturbateurs endocriniens, si l'on n'y prend garde, pourraient bien susciter, demain, un scandale du même ordre. La question est suffisamment grave pour être prise en considération.
M. Gilbert Barbier, rapporteur. - Nous avons hélas plus de questions que de réponses.
Mme Annie David, présidente. - Nous avons déjà légiféré sur le bisphénol A, même si le problème, comme nous l'a expliqué Gilbert Barbier, n'est pas pour autant résolu. Il serait intéressant de voir avec les industriels comment nous pouvons progresser ensemble.
Simplification du droit et allègement des procédures administratives - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis
Mme Annie David, présidente. - Nous en venons à la demande de saisine et la nomination d'un rapporteur pour avis sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives - autrement dit, la « Warsmann 4 ». Y a-t-il des candidatures, sachant que la commission doit examiner le texte avant Noël, pour un passage dès la première semaine de janvier en séance publique. Les articles relevant de notre commission concernent le droit du travail, des sociétés, de la famille...
Mme Catherine Procaccia. - Je veux bien m'en charger.
La commission décide de se saisir pour avis de la proposition de loi et désigne Catherine Procaccia en qualité de rapporteur pour avis.
Etude de la Cour des comptes relative au régime d'assurance maladie complémentaire d'Alsace-Moselle - Nomination d'un rapporteur
Mme Annie David, présidente. - C'est notamment à l'initiative de Patricia Schillinger que nous avions, l'an dernier, demandé une étude à la Cour des comptes sur le régime d'assurance maladie complémentaire obligatoire d'Alsace-Moselle. La Cour nous ayant rendu son rapport, accepterait-elle d'en être notre rapporteure ?
Mme Patricia Schillinger. - Volontiers.
La commission désigne Patricia Schillinger en qualité de rapporteure sur l'étude de la Cour des comptes.