Mercredi 11 mai 2011

- Présidence de M. Robert del Picchia, vice-président -

Accord de coopération en matière militaire entre la France et le Kazakhstan- Examen du rapport et du texte de la commission

Lors d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine le rapport de M. Jean Besson sur le projet de loi n° 351 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord de coopération militaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan.

M. Jean Besson, rapporteur - Après avoir constitué un ferme soutien de la communauté des Etats indépendants (CEI), le Président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbaïev, tout en maintenant des rapports étroits avec la Russie, a entrepris de diversifier ses appuis. Son pays a ainsi conclu un mémorandum de coopération militaire avec les Etats-Unis, le 14 février 1994, puis des accords dans ce domaine avec la Grande-Bretagne, en 2000, l'Allemagne, en 2001 et la France, en 2009, pour s'en tenir aux seuls pays occidentaux.

Cette volonté de se différencier de ceux de ses voisins issus, comme lui, de l'empire soviétique, comme le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan, traduit l'aspiration du Président Nazarbaïev à voir son pays considéré comme une puissance en devenir.

Ce dessein politique s'appuie sur la position-clé du Kazakhstan, situé au coeur de l'Asie centrale, avec une imposante superficie de 2,725 millions de km² et de considérables ressources naturelles : uranium (2ème producteur mondial en 2009, après le Canada), zinc, argent et bauxite (10ème producteur mondial), cuivre, fer et phosphates (12ème rang mondial), et des réserves de gaz et de pétrole considérables dont l'ampleur exacte reste à évaluer.

Peuplé de 16 millions d'habitants, le Kazakhstan recherche l'appui de pays émergents et développés pour se doter des cadres indispensables à la gestion de ses immenses ressources.

La France dispose d'atouts spécifiques en ce domaine. Les forces armées kazakhes comptent un total de 30 000 hommes, dont 20 000 relèvent des forces terrestres, pour l'essentiel déployées dans l'est et le sud du pays. Les forces navales kazakhes comptent 3 000 hommes, avec les gardes-côtes. Bien que le littoral kazakhstanais soit plus long que ceux des autres pays riverains de la Caspienne, ces forces n'ont que des moyens limités.

La composante aérienne dispose d'un effectif de 6 000 hommes. Le Kazakhstan dispose d'une aviation de combat équipée de moyens aériens d'origine soviétique ou russe, soit diversifiés et récents (40 Mig 29, 24 SU-27, 28 Mig 31), soit plus anciens (Mig 27 et SU-25). L'acquisition d'avions américains d'occasion (six C-130 Hercules) est à l'étude, et la création d'une entreprise conjointe avec Eurocopter pourrait déboucher sur l'acquisition de 45 hélicoptères français.

Fortes d'environ 7 000 hommes, les unités de défense antiaérienne sont regroupées autour des centres de décision politiques et économiques, et sont incluses dans la permanence opérationnelle de la défense aérienne intégrée de la CEI. Leur modernisation par des acquisitions de matériel russe (systèmes sol-air S-300PMU-2 et S-400) a été annoncée. Le réseau de défense aérienne, très performant, fait l'objet d'une réflexion pour sa rénovation à partir de 2015. Des sociétés françaises, comme Thales et Sagem, pourraient y participer.

L'établissement des relations diplomatiques entre la France et le Kazakhstan, au lendemain de l'indépendance, en 1992, a ouvert la voie à une relation bilatérale dont la densité s'est récemment renforcée.

Le plus important des textes déjà signés est le partenariat stratégique de 2008. Vous en trouverez le texte en annexe de mon rapport. Outre l'accord en matière de coopération militaire, trois autres textes, ne nécessitant pas de ratification parlementaire, ont été conclus le 6 octobre 2009. Ce sont :

- un accord relatif à la coopération en matière d'armement ;

- un accord relatif au transit de matériel militaire et de personnel par le territoire de la République du Kazakhstan en rapport avec la participation des forces armées françaises aux efforts de stabilisation de l'Afghanistan ;

- un accord relatif aux conditions d'emploi d'un satellite optique de résolution métrique.

Leur entrée en vigueur est conditionnée à la ratification de l'accord en matière de coopération militaire.

Des actions de coopération en ce domaine ont déjà été entreprises par notre pays depuis la création d'un poste d'attaché de défense en 2002, fondées sur l'accompagnement de la réforme et de la modernisation des forces armées.

Articulée autour d'un plan de coopération bilatéral signé annuellement et accompagnée d'activités ponctuelles hors plan, elle porte sur quatre principaux axes :


· formation et spécialisation des élites (IHEDN, Ecole de guerre) et des officiers subalternes (cours des lieutenants et capitaines d'infanterie, transmissions et génie ou stages spécifiques (commando, plongeur démineur, parachutisme) ;


· visites et missions de conseil, visant une rentabilité dans le domaine du soutien à l'exportation ;


· activités à caractère opérationnel, dont les transmissions et le parachutisme, et exercices apportant une plus-value en matière d'entrainement et améliorant la connaissance mutuelle entre armées ;


· soutien à l'exportation avec des visites et exercices et démonstrations impliquant les armées en France et au Kazakhstan.

Le plan de coopération signé le 13 décembre 2010 prévoit une ouverture sur la coopération aéronautique, la poursuite de l'enseignement du français et celle de la coopération dans le domaine des transmissions, des forces spéciales et de la marine.

Les atouts du Kazakhstan suscitent une certaine émulation entre les différents pays sollicités par le Président Nazarbaïev pour coopérer avec son pays. C'est ainsi qu'outre les pays occidentaux précédemment évoqués, le Kazakhstan aurait conclu des accords de coopération militaire avec la Russie, en 1998, le Kirghizstan, en 2000, l'Azerbaïdjan, en 2004, le Tadjikistan, en 2000, la Biélorussie, en 1999, et l'Ukraine, en 1997. L'Inde et la Turquie apportent également leur aide en matière de formation des personnels.

L'ensemble de ces éléments me conduit à vous recommander d'adopter le présent accord, déjà approuvé par l'Assemblée nationale, et à vous suggérer que son examen en séance publique se fasse sous forme simplifiée.

M. André Dulait - La France devrait accroître ses efforts envers l'ensemble des républiques d'Asie centrale. Nos entreprises, tant civiles que militaires, n'y sont pas assez actives. Les jeunes gens de ces pays souhaiteraient étudier le français en plus grand nombre, et il faudrait que la France leur accorde des bourses dans cette optique.

Vous savez que la France enregistre chaque année près de 50 milliards d'euros de déficit commercial, alors que l'Allemagne dégage 180 milliards d'euros d'excédent. Nos PME devraient se montrer plus entreprenantes dans cette région, sur laquelle se réunira demain, au Sénat, un colloque organisé par UBIFRANCE.

M. Robert del Picchia - Il est envisagé de créer de petites écoles en partenariat avec TOTAL, ce qui permettrait de scolariser les enfants des salariés de cette entreprise ainsi que des élèves kazakhs.

M. Jacques Berthou - Je m'étonne, moi aussi, que la France ne soit pas plus présente économiquement dans cette région.

M. Jean Besson, rapporteur - Les entreprises françaises y sont actives ; il reste à élargir leur sphère d'intervention en dehors des domaines de l'énergie et de l'équipement militaire. Par ailleurs, le Kazakhstan a été longtemps dominé par une relation quasi-exclusive avec la Russie.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a alors adopté le projet de loi et proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

Convention entre la France et la Principauté de Monaco relative à l'approvisionnement de la Principauté en électricité - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine ensuite le rapport de M. Jacques Berthou sur le projet de loi n° 37 (2010-2011) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relative à l'approvisionnement de la Principauté de Monaco en électricité.

M. Jacques Berthou - La France et la Principauté de Monaco entretiennent depuis très longtemps des relations fortes et étroites, résumées depuis 2002 sous l'expression « communauté de destin ». Ces relations privilégiées s'expriment dans plusieurs domaines, et notamment depuis 1951 dans celui de l'approvisionnement en électricité de Monaco.

Une convention liait en effet Électricité de France (EDF) et la Société Monégasque d'Électricité et de Gaz (SMEG) quant à la fourniture d'électricité à la Principauté. Cette convention, parce qu'elle définissait la SMEG comme un distributeur non nationalisé, permettait de lui fournir de l'électricité au tarif de cession prévu en France. Par conséquent, les résidents monégasques disposaient d'électricité aux mêmes tarifs que les consommateurs français. Cet accord ayant été dénoncé en 2008, et la continuité de l'approvisionnement en électricité de Monaco étant une nécessité, un nouvel accord, cette fois intergouvernemental, a été négocié entre les deux pays. Le Sénat est aujourd'hui saisi du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre la France et Monaco relative à l'approvisionnement de la Principauté monégasque en électricité.

La Principauté de Monaco est un État de 2,02 km2 divisé en cinq quartiers (Monaco-ville, Monte-Carlo, La Condamine, Fontvieille et Moneghetti) dont la population s'élève à environ 32000 habitants, parmi lesquels on dénombre près de 25 % de Français. C'est un pays tiers vis-à-vis de l'Union Européenne. Néanmoins, et à la suite de diverses décisions, la Principauté fait partie du territoire douanier de la Communauté, est point de passage autorisé pour l'entrée dans l'espace Schengen et a donné cours légal à l'Euro sur son territoire depuis le 1er janvier 1999.

Les relations franco-monégasques sont quant à elles très étroites. Une convention de 1918 les qualifiait « d'amitié protectrice » de la France vis-à-vis de Monaco, depuis 2002 cette expression a été remplacée par celle de « communauté de destin ». Cette modernisation de nos relations a justifié d'élever le Consulat Général au rang d'Ambassade en 2006.

La concession de la distribution d'électricité de la Principauté de Monaco étant arrivée à échéance le 31 décembre 2008, EDF a souhaité rompre ladite convention au titre de la libéralisation des marchés. A la suite de cette dénonciation, les autorités monégasques ont saisi le gouvernement français, ce dernier a réaffirmé auprès de la Principauté que des conditions d'approvisionnement dans la continuité des pratiques historiques seraient maintenues. Ainsi, une nouvelle convention, cette fois intergouvernementale, a été négociée et signée le 25 juin 2009.

Cette nouvelle convention s'inscrit dans le prolongement de l'accord antérieur qui liait les deux parties quant à la fourniture d'électricité. Par conséquent, l'objectif principal reste le même, à savoir approvisionner Monaco en électricité aux tarifs réglementés en vigueur en France. Outre les liens très forts entre la France et Monaco, cet accord se justifie aussi par l'incapacité structurelle, liées aux contraintes géographiques et aux infrastructures, de Monaco à assurer son propre approvisionnement en électricité.

D'un point de vue technique, l'alimentation électrique de la Principauté de Monaco est assurée par deux postes source situés sur le territoire monégasque - Sainte Dévote et Fontvieille - qui appartiennent tous deux à la SMEG. Ces deux postes sont alimentés en Haute Tension B depuis le réseau public de transport français, le poste de Sainte Dévote par deux liaisons souterraines 63 000 volts (63 kV) issues du poste RTE 63 kV de Beausoleil, et le poste de Fontvieille par une ligne 63 kV, partiellement souterraine, depuis le poste RTE 225/63 kV de Trinité Victor.

La limite de propriété entre RTE et la SMEG est fixée au niveau de la frontière, la SMEG exploitant la partie se trouvant sur son territoire. Pour pouvoir satisfaire l'augmentation prévue de la consommation, la SMEG a un projet de 3e poste source. Il sera alimenté par une liaison 63 kV entièrement souterraine depuis le poste de Trinité Victor. La SMEG a contractualisé avec RTE un contrat d'accès au réseau de transport (CART) du même type que les entreprises locales de distribution (ELD) sur le territoire français. En 2009, les habitants de la Principauté ont consommé 536 GWh d'électricité. En ordre de grandeur, cela donne une consommation par habitant deux fois supérieure à celle de la France.

L'accord dont nous sommes saisis est constitué de quatre articles.

L'article 1er dispose que les consommateurs monégasques continueront de bénéficier des tarifs réglementés applicables aux consommateurs français afin que leurs besoins en électricité soient couverts. La SMEG possède toujours le statut de distributeur non nationalisé, permettant cet accès aux tarifs réglementés en vigueur en France.

L'article 2 prévoit les conditions d'exploitation ainsi que l'accès au réseau pour la fourniture d'électricité. Ainsi, le cadre de référence d'accès aux installations électriques est celui prévu par la réglementation applicable en France aux gestionnaires de réseaux publics de distribution.

L'article 3 concerne la gestion des différends dans la compréhension ou la mise en oeuvre de l'accord. Il dispose que la voie diplomatique est compétente pour régler tout conflit de ce type.

Enfin, l'article 4 est un article administratif classique prévoyant l'entrée en vigueur et les modalités de disparition de la présente convention.

Cette convention ne pose pas de problème d'articulation avec le droit existant, notamment le droit européen, puisque son objet est uniquement de couvrir en électricité les consommateurs finals monégasques. Sa mise en oeuvre n'entrainera donc aucun différentiel de prix car les tarifs de cession et les tarifs de vente à Monaco seront les mêmes que ceux applicables en France. Son champ territorial limité et son objet ne sont pas de nature à affecter de quelque manière que ce soit les règles et le fonctionnement du marché intérieur de l'Union.

A ce jour, la Principauté de Monaco reste dans l'attente de la notification par les Autorités françaises de l'accomplissement de leurs procédures constitutionnelles internes, nécessaires à la publication d'une Ordonnance Souveraine rendant exécutoire en Principauté ce texte. Dès réception de la note verbale de l'Ambassade de France notifiant l'accomplissement de la procédure française, le Gouvernement Princier finalisera sa procédure interne de ratification, qui sera très rapide, moins d'un mois.

C'est pourquoi je vous recommande d'adopter le présent projet de loi, qui pourrait faire l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique.

M. Jacques Gautier - Qui prend en charge le coût de l'enfouissement des réseaux ?

M. Jacques Berthou - Je vais poser la question à RTE pour pouvoir vous apporter une réponse précise.

M. Jean-Pierre Bel - Où en est Monaco en matière de transparence fiscale ?

M. Robert del Picchia, président - Nos collègues de la Commission des Finances du Sénat travaillent actuellement sur la question.

M. Jacques Berthou - La Principauté a signé un accord avec l'Union Européenne sur la fiscalité des revenus et de l'épargne (accord signé le 7 décembre 2004 et entré en vigueur le 1er juillet 2005) qui établit sur tout le territoire de l'Union une imposition forfaitaire des non-résidents sur les revenus de l'épargne, ainsi qu'un échange d'informations fiscales sous certaines conditions.

Puis la commission adopte l'accord et recommande son examen en séance publique sous forme simplifiée.

Accord entre la France et le Venezuela relatif au statut de leurs forces armées dans le cadre de la coopération militaire - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis la commission examine le rapport de M. Jean-Louis Carrère sur le projet de loi n° 350 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela relatif au statut de leurs forces armées dans le cadre de la coopération militaire.

M. Jean-Louis Carrère - Signé à Paris le 2 octobre 2008, l'accord relatif au statut des forces (SOFA) dans le cadre de la coopération militaire a été ratifié par le Venezuela dès le 6 février 2009, et a été déjà approuvé par l'Assemblée nationale.

Les négociations, ouvertes en 2003, ont été menées dans l'optique de renforcer notre coopération avec le Venezuela. En effet, au niveau régional, la France partage avec le Venezuela des intérêts de sécurité dans la zone Caraïbe : sauvegarde maritime, lutte anti-drogue, secours d'urgence en cas de catastrophes naturelles. La relation bilatérale souffre du faible degré d'organisation des armées et des forces de police, dont les circuits décisionnels sont complexes et dont l'expression de besoins multiples est parfois imprécise.

La coopération de défense menée par le ministère des affaires étrangères et européennes, au travers de la Direction de la coopération de sécurité et de défense, porte sur des actions dans le domaine de l'enseignement du français en milieu militaire, pour la création d'un vivier d'officiers francophones, et dans celui de la formation des élites militaires, avec une place offerte pour une scolarité à l'Ecole de guerre.

En matière de coopération de sécurité intérieure, les trois principaux axes de coopération sont la lutte contre les grands trafics (notamment celui de stupéfiants), la professionnalisation des effectifs de sécurité (faux documents, enlèvements, homicides...) et la lutte contre la corruption.

Les besoins du Venezuela en équipements militaires, que ce soit pour son renouvellement ou sa modernisation, ses importantes capacités économiques et la proximité de son territoire avec des zones d'intérêt français, comme les Caraïbes et l'Amazonie, plaident en faveur du maintien à leur niveau actuel des actions de coopération structurelle de défense.

En matière de coopération opérationnelle, trois priorités ont été retenues : la lutte contre le narcotrafic, l'orpaillage illégal et le secours aux populations.

Un développement des échanges relatifs au narcotrafic entre le Commandement interarmées permanent (COMIA) Antilles et la marine bolivarienne en 2011 sera entrepris à l'occasion de l'escale de bâtiments vénézuéliens en Martinique. La France est, jusqu'à présent, l'un des rares pays à coopérer dans ce domaine avec les forces vénézuéliennes et à les associer à des activités conduites dans un cadre multilatéral.

Les effectifs des forces armées vénézuéliennes sont les suivants : armée de terre : 60 000, marine : 18 300, armée de l'air : 11 500, garde nationale : 35 000 et milice : 800 000.

L'armée de terre est composée de 6 divisions, plus un corps de génie et une brigade d'infanterie parachutiste.

Concernant l'équipement de l'armée de terre vénézuélienne, l'embargo imposé par le gouvernement américain lors de la présidence de G. W. Bush a profondément modifié les pays fournisseurs d'armement, et la Russie et la Chine se sont progressivement imposées sur ce marché. Le processus de modernisation engagé par l'armée de terre vise à accroître la mobilité des troupes, notamment grâce à l'acquisition d'hélicoptères de transport et de matériel de fabrication russe. La marine est notamment équipée de 6 frégates et de 2 sous-marins et l'armée de l'air de 24 Sukhoi russes et de 21 F-16 américains.

Le régime chaviste a jeté les bases d'une réforme en profondeur de la défense vénézuélienne.

D'ores et déjà, toutes les décisions sont prises au plus haut niveau de l'appareil militaire, et s'inscrivent dans l'esprit révolutionnaire bolivarien. La réorganisation annoncée des forces armées nationales bolivariennes (FANB), avec la disparition programmée des commandements des composantes traditionnelles au profit de régions militaires aux ordres d'un commandement stratégique opérationnelle (CEO) délocalisé à Maracay, à 200 km à l'ouest de Caracas, s'accompagnent d'une formation à dominante idéologique dispensée à l'Université militaire bolivarienne, à vocation civico-militaire. Cette Université doit, à terme, regrouper toutes les structures de formation de la défense, notamment les écoles militaires. Aux officiers d'origine européenne succèdent les fils du peuple, de préférence indiens ou créoles.

Les promotions se font en fonction du degré d'adhésion à la révolution, ce qui conduit à une réduction du nombre des officiers ayant des compétences techniques (notamment les pilotes de l'ALAT et de l'Armée de l'air) ou ayant effectué des formations à l'étranger.

L'armée vénézuélienne, peu nombreuse et sans grande expérience opérationnelle, est dotée de matériels vétustes en cours de remplacement progressif. Les autorités de Caracas ont exprimé des besoins en matière de transport aérien, d'hélicoptères de surveillance, de moyens navals, de télécommunication, de couverture radar, qui sont à prendre en compte par nos industriels pour espérer y conclure d'importants contrats, alors que les trois dernières années se sont soldées, pour nos intérêts, par des résultats insignifiants, et par la prépondérance de la concurrence russe et chinoise.

Les entreprises françaises ont des atouts à faire valoir sur ce marché solvable, mais très concurrentiel, notamment dans leurs domaines d'excellence. Les principales perspectives portent, dans le domaine naval, sur le projet d'acquisition de deux BPC : DCNS a le projet de remettre aux autorités vénézuéliennes une offre pour la fourniture de deux bâtiments de ce type, ainsi que leurs moyens et services associés. Des sonars remorqués seraient destinés à quatre corvettes océaniques : Thales Underwater Systems se trouve en bonne position pour la fourniture et l'installation de ces systèmes.

Dans le domaine aéronautique, l'achat d'une dizaine d'hélicoptères EC 725 Caracal est à l'étude. Ils viendraient compléter le parc d'hélicoptères de fabrication française déjà en service (Cougar et Super Puma).

Dans le domaine terrestre, les communications font l'objet de propositions de Thales, portant sur 200 000 postes de radio sécurisés PR4G, avec transfert de technologie et construction d'une usine au Venezuela.

En conclusion, j'estime donc qu'une telle coopération bilatérale ne peut qu'être mutuellement profitable, et vous engage à adopter le présent accord, et à prévoir son examen en séance publique en forme simplifiée.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a alors adopté le projet de loi et proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

Audition du Dr Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères d'Afghanistan

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission entend le Dr Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères d'Afghanistan.

M. Josselin de Rohan - Monsieur le ministre, j'ai le plaisir de vous accueillir une nouvelle fois devant notre commission. Nous vous avions entendu il y a un peu plus d'un an, le 22 février 2010. Depuis cette date les élections législatives se sont déroulées et ma première question portera sur votre appréciation de la façon dont la vie politique se structure en Afghanistan.

Vous nous aviez annoncé la création d'un parti politique tout en soulignant qu'il n'y avait pas de tradition historique de telles structures politiques dans votre pays. Avez-vous pu surmonter cette difficulté et rassembler, dans un même ensemble, des représentants divers de la société afghane ?

Dans le même esprit vous êtes, je crois, en faveur d'une forte décentralisation des pouvoirs au bénéfice des provinces. Cette décentralisation permettrait de refléter le pluralisme du système, le multiculturalisme, le multilinguisme et même les différentes religions qui caractérisent la diversité afghane. Pensez-vous que des progrès aient été faits dans ce sens ?

Je conduirai dans quelques semaines une délégation de notre commission dans votre pays. Nous souhaitons nous rendre sur place et rencontrer les responsables afghans afin d'avoir une idée plus précise de l'avancement du processus de transition. Comme vous le savez l'opinion publique en France, sans porter une appréciation négative sur notre intervention, s'interroge sur son bien-fondé. Les mêmes questions se posent du reste au Royaume-Uni ou en Allemagne par exemple. Les pertes que nous subissons, et je pense au sacrifice du 57ème de nos soldats qui vient de tomber en Afghanistan, sont très douloureusement ressenties. Il est normal que nos concitoyens s'interrogent sur l'utilité de ces sacrifices.

Lors de la réunion de Lisbonne, l'OTAN a indiqué que 2014 pourrait être l'année d'un retrait significatif de la coalition si les circonstances le permettent. La principale question est donc de savoir comment se passe la montée en puissance de l'armée nationale afghane mais aussi de la police, de la gendarmerie et de la justice. Il est vraisemblable que, s'agissant de la France, nous pourrons transférer la responsabilité de la Surobi aux forces de sécurité afghane à la fin de cette année. Mais, qu'en est-il dans les autres provinces ?

Nous savons évidemment qu'il n'y a pas de solution militaire. Où en est selon vous le processus de réconciliation ? A-t-il une chance d'aboutir de la façon dont il est mené par le président Karzai ?

Enfin, dernière question, il y un an vous aviez souligné une étroite relation entre les talibans et Al-Qaïda et vous nous aviez indiqué que la majorité des Pachtouns était fermement opposée au retour des talibans au pouvoir. Quelles conséquences la mort d'Oussama Ben Laden aura-t-elle sur le mouvement insurgé ? L'état de choc dans lequel se trouve le Pakistan après l'opération menée par les forces américaines démontre, s'il en était besoin, l'ambiguïté de la position du Gouvernement et surtout de l'armée pakistanaise. Je suis persuadé, comme nous l'avions souligné dans notre dernier rapport d'information, que seule une solution régionale avec l'implication de l'ensemble des pays de la zone permettra d'avancer sur le chemin de la paix.

Monsieur le ministre, je vous passe la parole.

Dr Abdullah Abdullah - Merci pour votre invitation et pour votre soutien à l'Afghanistan tout au long de ce processus.

Depuis notre rencontre devant votre commission l'an dernier, les élections parlementaires se sont déroulées. A l'époque, je soutenais qu'une réforme du système électoral était un préalable aux élections, mais je n'ai pas été entendu, et les élections se sont tenues. Le résultat n'a pas été à la hauteur des espérances de Hamid Karzai, qui pensait remporter près de 70 % des sièges. La conséquence en a été la création par M. Karzai d'un Tribunal spécial chargé de régler le contentieux des législatives, afin d'exercer une pression sur le Parlement.

Le mouvement que je préside, la Coalition pour le Changement et l'Espoir, a gagné plusieurs sièges lors de ces élections. Il s'agit d'un mouvement qui se veut fédérateur, pour mieux évoluer et se développer. Il a pris racine à travers le pays, dans tous les groupes ethniques et les milieux sociaux. Nous avons des députés, des sénateurs, des membres des conseils provinciaux, ainsi que des représentants de la société civile. Nous espérons que nos fondements soient les plus larges possible, que nos structures ne soient pas figées, afin de rassembler le maximum de personnes et avoir quelques leaders qui puissent agir. Nous suivons un code déontologique précis, nous recherchons le consensus sur la conduite à suivre. Prochainement, à Kaboul, une rencontre sera organisée avec les représentants provinciaux afin de créer à l'intérieur du mouvement des structures, un conseil exécutif, des commissions... Nous espérons que notre mouvement aura des conséquences sur la politique intérieure afghane, en incitant à plus de démocratie. Nous voulons créer de l'espoir pour la population afghane.

En ce qui concerne le processus de transition, celui-ci se passe bien dans certaines régions, et il faut s'en réjouir. Les choses avancent pas à pas, les efforts consentis depuis dix ans ne doivent pas être gâchés par trop d'impatience. C'est une préoccupation importante pour nous comme pour la communauté internationale, qui aimerait des résultats rapides et pérennes. De mon point de vue, il ne faut pas se précipiter, mais avancer petit à petit. Notre intérêt exige que tout se fasse graduellement, et il ne faut surtout pas perdre de vue la population afghane et son rôle dans l'avenir de son pays. Aux Etats-Unis, le consensus existe sur la manière d'avancer, mais dans leurs relations avec les autres pays membres de la coalition internationale, il n'y a plus, de mon point de vue, de politique cohérente. Il est important que le message de la communauté internationale soit cohérent et pérenne.

En ce qui concerne la mort d'Oussama Ben Laden, il ne devrait pas y avoir dans l'immédiat beaucoup de conséquences, mis à part peut-être une certaine méfiance des chefs talibans. Oussama Ben Laden avait une importance physique mais aussi symbolique extrêmement forte. Pour Al-Qaïda, il apparaissait comme un leader, un guide spirituel. Certes sa mort aura des conséquences sur les talibans, mais il n'y aura pas la paix pour autant, car les talibans ne croient pas en la participation au processus démocratique, ils veulent uniquement remplacer le système existant par leur propre système. Hamid Karzai utilise la réconciliation nationale comme un outil au lieu de mettre en place un processus transparent pour le peuple afghan. La population ne veut pas d'un retour à l'époque des talibans.

Enfin, s'agissant du Pakistan, j'avais mentionné l'an dernier devant vous les problèmes régionaux que nous connaissions. La mort d'Oussama Ben Laden a mis en lumière ce que chacun savait déjà. La question est de savoir comment le Pakistan va pouvoir changer, comment le convaincre d'adopter un point de vue différent. C'est à la communauté internationale de travailler avec le Pakistan, sur la base des nouvelles réalités d'aujourd'hui. Quant aux relations avec l'Inde et le sentiment d'encerclement, ce n'est pas un problème pour l'Afghanistan, qui a d'autres sujets à traiter. Le Pakistan doit également comprendre que l'Afghanistan n'est pas une menace pour lui.

M. Josselin de Rohan, président - Je souhaite aborder la question de la ligne Durand. Est-ce que ce problème envenime ou envenimera les relations entre l'Afghanistan et le Pakistan ? Le Pakistan ne craint-il pas une remise en cause de cette ligne, et la création d'un pays pachtoun qui empièterait sur les frontières des deux pays ?

M. Homayoun Shah Assefy - La ligne Durand a été mise en place à l'époque du colonialisme anglais. Peut-on dire pour autant que si l'Afghanistan reconnaît cette ligne, il n'y aura plus d'ingérence pakistanaise ? Personnellement je ne le pense pas. Les questions de démarcations territoriales sont toujours délicates. L'appétit du Pakistan va au-delà de la question de la ligne Durand. Nous voulons avoir de bonnes relations avec le Pakistan, mais tant qu'il utilisera le terrorisme comme un moyen de politique étrangère, il existera des tensions. Donc la ligne Durand est un faux problème, de facto cette ligne a été reconnue.

M. Jean-Pierre Bel - La situation a beaucoup évolué au cours des derniers mois. Quel impact peut avoir la mort d'Oussama Ben Laden sur la suite des opérations et la situation en Afghanistan ? Concernant la présence des troupes étrangères, quelle est votre position sur la question d'un retrait progressif et ordonné des troupes internationales selon un calendrier précis ? Enfin, à propos de la position ambiguë du Pakistan sur sa façon de lutter contre les talibans, et sur le distinguo qu'il fait entre talibans pakistanais et talibans afghans, avez-vous des éléments de clarification à nous apporter ?

M. Jean-Louis Carrère - Quel est votre point de vue sur l'évolution en matière d'éducation, d'amélioration des infrastructures, de santé, d'économie, et de formation de la police et des armées ?

Je suis allé en Afghanistan au nom de cette commission, j'ai rencontré l'armée in situ, avec des formateurs américains et français, je me suis rendu sur la base de Kandahar, j'ai rencontré les formateurs de la police afghane. Je n'ai pas été convaincu d'une évolution aussi positive des progrès réalisés. Il m'est apparu que les moyens étaient très dispersés et pas toujours adaptés au but poursuivi, malgré la bonne volonté.

Je suis persuadé que la solution ne peut pas être uniquement militaire, elle doit être politique et se placer dans le cadre d'une coopération multilatérale. Quelle est votre vision à ce propos ?

M. Jean-Pierre Chevènement - Je voudrais revenir sur le processus de réconciliation, tel qu'engagé par le président Karzai, avec les talibans dits modérés. Où en est ce processus, quelles sont ses perspectives, et qui y est intégré ?

Dr Abdullah Abdullah - La mort d'Oussama Ben Laden a relancé le débat aux Etats-Unis sur l'intérêt de se maintenir en Afghanistan. C'est un débat essentiellement politique, à l'approche de l'élection présidentielle américaine. Sa mort renforce la position de ceux qui souhaitent un retrait.

En Afghanistan, Oussama Ben Laden était une véritable figure de proue pour les talibans, il canalisait les réseaux terroristes, en particulier concernant les soutiens financiers. Aujourd'hui, la structuration parait moins claire, donc la situation va forcément être modifiée.

Concernant le processus de transition, le transfert est long, mais il est préférable qu'il soit graduel. Les institutions doivent être créées de façon à avoir un réel pouvoir, elles doivent pouvoir assumer les responsabilités qui leur incombent. Si la transition n'est pas abordée correctement, si les conditions ne sont pas optimales, alors nous risquons de mettre en danger certains aspects de l'avenir de l'Afghanistan.

S'agissant du Pakistan, celui-ci a utilisé le terrorisme comme moyen de politique étrangère. Avec la mort d'Oussama Ben Laden, il a dû modifier son attitude en public, mais a-t-il pour autant changé de point de vue ? Le Pakistan doit profiter de l'opportunité qui lui est offerte pour changer. Les Pakistanais qui soutiennent Oussama ben Laden sont une minorité, le Pakistan doit choisir, il s'agit d'un acteur important de la région. L'armée pakistanaise combat aujourd'hui les talibans pakistanais, et le Pakistan doit comprendre que plus les talibans afghans seront forts, alors plus les talibans pakistanais se renforceront également.

Concernant la vie de la population afghane, une de nos préoccupations est que la réduction du nombre des troupes internationales entraine une réduction de l'aide financière et une dégradation du contexte général. Beaucoup a déjà été fait dans la construction d'infrastructures, du système de soins, de l'éducation, ... des efforts doivent désormais être réalisés dans le domaine agricole, puisque 70 % de la population travaille dans ce milieu, et dans la création d'une chaine de valeurs ajoutées. Les perspectives économiques doivent être élargies, en termes de pays de transit pour les marchandises, de tourisme, mais tout cela exige des infrastructures fonctionnelles et que la corruption soit éradiquée. Il y a beaucoup de raisons d'espérer un avenir positif. Les choses changeront, avec le temps, mais il est nécessaire d'avoir un soutien sans faille au fil des années.

A propos de la formation de l'armée et de la police, il est extrêmement difficile d'essayer d'enrôler des policiers et des soldats, alors qu'on combat des terroristes et des insurgés, car des problèmes de désertion surgissent dès lors qu'on les envoie dans une zone de combat. Mais on avance petit à petit. Les formations des Américains et des Français sont des formations pour le long terme, les Américains forment sur les nouvelles technologies, mais cette formation risque d'être difficile à conserver sans moyens nécessaires pour la mettre en pratique.

Enfin, en ce qui concerne la solution politique qui serait envisageable, et la question de la réconciliation, l'obstacle majeur reste que les talibans ne se battent pas pour faire partie du système, mais au contraire pour l'anéantir, ils ont des sanctuaires, des réseaux de soutien. La politique de réconciliation nationale voulue par le président Karzai n'est pas très explicite, il est probable que son idée de départ soit de diviser les talibans. Il y aura toujours des talibans purs et durs, voulant se battre, et d'autres dits modérés. Malheureusement, le résultat a été de polariser la société afghane, qui est très inquiète à l'idée de revenir aux jours moyenâgeux des talibans. Il faut travailler sur la confiance, le moral de l'armée et du peuple afghan, et pour l'instant, le processus en cours est celui de la réconciliation dans les provinces.

M. Homayoun Shah Assefy - L'armée a besoin de formations, d'équipements, mais aussi de motivation. Malheureusement, le gouvernement afghan est confronté à des problèmes de corruption, de trafic, de mafia. D'après les spécialistes, il y aurait en Afghanistan entre 20 000 et 30 000 talibans purs et durs, contre plus de 300 000 soldats et policiers, pourtant le taux de désertion serait très élevé, environ un tiers.

M. Jacques Gautier - On a parfois l'impression que le processus de réconciliation est avant tout une discussion inter-Pachtouns, et que les autres ethnies qui composent l'Afghanistan ne sont pas prises en compte dans ce mouvement.

Dr Abdullah Abdullah - L'utilisation de la réconciliation pour le jeu du pouvoir ne peut avoir que des conséquences négatives. Le président Karzai essaie probablement de s'assurer le soutien pachtoun à travers cette politique. Les talibans sont essentiellement pachtouns, ils se battent pour eux-mêmes et ne tiennent pas compte des autres ethnies. Néanmoins, les talibans ne sont pas que pachtouns, on trouve aussi des ouzbeks, des pakistanais, des tchétchènes ... Le paradoxe, c'est qu'en cas de retour au pouvoir des talibans, le président Karzai en serait la première victime.

Le peuple afghan ne veut pas d'un retour au pouvoir des talibans, il ne ferait pas confiance à un gouvernement qui intègrerait des talibans.

Les talibans sont contre l'éducation, la santé, ... mais pourtant les Pachtouns eux-mêmes en sont demandeurs ! Personne en Afghanistan ne veut un retour au régime des talibans.

M. Homayoun Shah Assefy - Je suis moi-même un Pachtoun. Et ni les talibans, ni Hamid Karzai ne représentent la majorité des pachtoun.

M. Jean-Louis Carrère - Votre projet en matière d'agriculture prend-il en compte l'arrêt de la culture du pavot ?

Dr Abdullah Abdullah - La question de la culture du pavot va au-delà de l'agriculture, c'est une question de criminalité. Ce problème a été pris en charge, et plus ou moins réglé, sauf dans les régions où sévissent encore les talibans, puisqu'il va de pair avec la question de la sécurité.

En ce qui concerne l'agriculture, il est nécessaire de trouver des cultures différentes, alternatives, comme le safran par exemple, mais il ne se cultive pas partout. Il faut trouver d'autres cultures qui apporteront des revenus au peuple. Et bien sûr ces projets doivent être légitimes. L'opium est illégal. L'un des principaux bénéficiaires du trafic est le propre frère du président Karzai.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Lors de votre audition l'an dernier, vous aviez parlé de décentralisation. Où en êtes-vous aujourd'hui sur ce thème, ainsi que sur la question de la reconstruction de la société civile et du soutien aux femmes ?

Dr Abdullah Abdullah - Le temps joue contre nous dans tout ce que nous entreprenons. Il faut du temps pour développer une société civile, investir dans l'éducation, améliorer la condition des femmes. Le débat sur la décentralisation est en cours, ce n'est pas une question figée.

Il faut un système parlementaire et non présidentiel. Karzai utilise aujourd'hui le judiciaire comme un outil personnel, il limite les pouvoirs du Parlement, il n'est pas responsable devant le Parlement, trop de pouvoir est concentré entre ses mains.

A cela s'ajoute le problème de la corruption des autorités. Il faut donc changer le système électoral, passer à un système parlementaire. Les maires de villes doivent êtres élus, c'est prévu par la Constitution mais pas encore mis en oeuvre.

Si l'Afghanistan était dirigé par un appareil étatique unique et omniprésent, ce serait impossible, dans l'histoire afghane ça n'a jamais fonctionné. Notre pays est divers, et cette diversité doit être représentée à long terme, même si cela sera difficile dans un premier temps.

Au-delà de ces questions se pose celle de la responsabilité. Si les gouverneurs ne répondent de leurs actions qu'au président, ils ont moins de pression, alors que s'ils sont élus par le peuple, ils doivent répondre de leurs actes car ont la sanction des urnes.

La décentralisation, telle que nous la connaissons actuellement, s'est mise en place en dehors de la Constitution. A ce jour, deux possibilités, soit ce système chaotique, malade, va rester en place, soit il va s'auto-corriger au fil des années grâce à l'aide du peuple.

M. Josselin de Rohan, président - Quelles sont vos relations avec les Etats-Unis ? Le président Obama a fixé à l'horizon 2014 le retrait progressif des troupes américaines. Avec la mort d'Oussama Ben Laden, pensez-vous que cet horizon de retrait soit avancé et que le transfert soit accéléré ? D'autant plus que si les Américains se retirent, le risque de retrait des autres partenaires de l'OTAN est important.

Dr Abdullah Abdullah - Les Etats-Unis ont des échéances électorales qui se rapprochent. Le vice-président américain Joe Biden pense que la date de 2014 doit être une date butoir de retrait total, et le parti démocrate soutient pour l'essentiel cette vision des choses. D'autres partis, comme le « Tea Party », sont contre l'engagement en Afghanistan et militent pour un retrait immédiat. Certains candidats, comme Mitt Romney, opposés à la présence américaine an Afghanistan, ont changé de point de vue en venant sur place et en voyant l'espoir que la présence de la coalition internationale suscite au sein de la population. Le président Obama souhaite naturellement être réélu. Il est placé devant un choix cornélien.

Concernant l'Afghanistan, le président Karzai a perdu le soutien du peuple. Il agit comme si jeter le blâme sur les étrangers allait faire de lui un grand chef national. A mon sens, c'est très dangereux, car cela fait le jeu des talibans et du Pakistan.

Le jeu du pouvoir est compliqué, le président Karzai n'a pas de vision claire sur l'avenir, d'autant moins que même les Etats-Unis ne savent pas ce qu'ils vont faire à long terme sur le dossier afghan.

Audition de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Enfin la commission entend M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Josselin de Rohan, président - Monsieur le ministre, nous souhaiterions, au cours de cette audition, aborder deux types de questions : les opérations en cours, et plus particulièrement la Libye et l'Afghanistan, mais également les problématiques strictement nationales, c'est-à-dire le cadrage budgétaire, la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire et la réorganisation de votre ministère.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants - Cette audition est pour moi très importante. Elle intervient à un moment où, au-delà d'une actualité extrêmement forte, j'ai pu appréhender les différents dossiers du ministère, alors que nous devons réfléchir ensemble aux perspectives de notre politique de défense. Le ministère de la défense est singulier. Nous venons, hélas, de perdre un 57ème soldat français en Afghanistan. Ce sont des morts que nous avons acceptées, puisqu'elles s'inscrivent dans l'engagement que nous avons décidé. Mais cela exige de nous une gravité particulière lorsque nous traitons de notre politique de défense.

D'emblée, je voudrais souligner que, de mon point de vue, la politique de défense a toujours été et reste fondée sur l'implication du Parlement. Cela était vrai jadis, par exemple avec la « loi des trois ans » de 1913. Cela reste vrai aujourd'hui, avec les engagements approuvés dans le cadre de la loi de programmation militaire. Les fonctions de ministre de la défense requièrent également un dialogue permanent avec ceux qui ont la charge de mettre en oeuvre cette politique. Le contact avec les unités de terrain est pour moi indispensable.

Le ministère de la défense est actuellement engagé dans une profonde réforme, une réorganisation qui n'a pas d'équivalent dans d'autres administrations. Sur la période 2009-2015, nous réalisons une diminution de 54 000 postes civils et militaires et nous supprimons 82 unités, dont 20 régiments sur 110 et 11 bases aériennes sur 37. Il s'agit d'un effort très lourd sur le plan humain.

Les dividendes de cette restructuration sont entièrement réinvestis au profit de la condition du personnel et des équipements. Nous avons mobilisé des moyens importants pour l'accompagnement individuel des personnels. Plus de 238 millions d'euros y ont été consacrés au titre de leur départ du ministère, de leur mobilité ou de leur reclassement. Cet accompagnement individuel s'est doublé de réformes statutaires, indiciaires et indemnitaires, étalées dans le temps, qui représentent un effort annuel de 95 millions d'euros.

J'avais eu l'honneur, avec certains d'entre vous, d'accompagner le président Larcher en Afghanistan il y a dix-huit mois. Depuis lors, et votre commission pourra le constater lors de son prochain déplacement, nous avons réalisé d'indéniables progrès sur les équipements. Les VAB (véhicules de l'avant blindés) ont pour une part été remplacés par le VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie) et pour l'autre part équipés de postes de tir téléopérés. Le canon Caesar a été intégré dans les unités. Au second semestre 2011, nous mettrons en oeuvre la tenue Felin (fantassin à équipements et liaisons intégrés) destinée à intégrer le combattant dans la numérisation du théâtre d'opérations.

Parallèlement, la montée en puissance du Rafale se poursuit. Cet appareil multimissions, qui opère actuellement en Libye, montre ses qualités exceptionnelles. Il permet à la France de pleinement tenir son rang.

Cet effort est le résultat direct du Livre blanc et de la loi de programmation militaire.

Le général Petraeus, auquel j'ai récemment remis les insignes de commandeur de la Légion d'honneur avant qu'il ne prenne la tête de la CIA, m'a dit tout le bien qu'il pensait de l'engagement des hommes de la Task Force « La Fayette » en Kapisa et en Surobi.

L'affaire libyenne a particulièrement illustré notre réactivité et l'apport du Rafale. Alors que la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies avait été adoptée un jeudi et que les membres de la coalition se réunissaient un samedi matin à Paris, nos avions sont intervenus dès le samedi après-midi pour stopper les blindés de Khadafi avant qu'ils n'entrent dans Benghazi et s'imbriquent avec les forces insurgées. Nous avons pris le risque d'intervenir sans avoir préalablement opéré la destruction complète des moyens de défense sol-air libyen. A la différence de nos alliés, nous avons pu prendre ce risque parce que le Rafale permet de tirer hors d'atteinte des défenses sol-air de moyenne altitude.

Aux côtés de ces points forts, nous souffrons de faiblesses persistantes.

C'est le cas en matière de drones Male. Nous disposons de ce type de drones, mais ils n'ont pas le degré de performance nécessaire.

C'est le cas en matière d'aéromobilité. Notre flotte de Transall est obsolète et le premier A400M n'arrivera qu'en 2013. Nos ravitailleurs ont plus de 40 ans et la commande du MRTT n'interviendra elle aussi qu'en 2013. S'agissant des hélicoptères de manoeuvre, nous attendons avec impatience le NH90 et nous n'avons pas d'hélicoptères lourds offrant une grande capacité d'emport.

S'agissant de la réorganisation du ministère, la mise en oeuvre des bases de défense est nécessairement difficile, mais les critiques de la Cour des comptes me paraissent exagérées et injustifiées. Les résultats ne peuvent être optimaux alors que nous sommes en pleine phase de restructuration. La Cour a proposé un regroupement autour de 20 bases de défense seulement, au lieu de 60, mais cela éloignerait excessivement les chefs d'unités des commandants de base. Je constate, en outre, qu'en pratique, le système fonctionne bien. En préliminaire à l'opération Harmattan en Libye, la base de défense de Marseille a rapidement apporté son concours pour permettre le déploiement en 48 heures du BPC MISTRAL afin de se préparer éventuellement à évacuer des ressortissants égyptiens de Libye.

De même, je considère que le fonctionnement du service de santé des armées est satisfaisant, même s'il faut optimiser l'emploi de ses moyens.

En ce qui concerne l'évolution des menaces sécuritaires, le Livre blanc avait peut-être sous-estimé celles qui pèsent sur la sécurité maritime. Je reviens des Emirats arabes unis et j'ai pu mesurer que la piraterie ne cesse de croître. A ce propos, notre présence à Abou Dhabi me paraît pleinement compléter notre implantation à Djibouti. Nous nous trouvons là au coeur d'une région cruciale pour suivre les évolutions du monde arabo-musulman et les enjeux liés à la sécurité des approvisionnements en matières stratégiques.

Je crois également que la réorganisation de nos implantations permanentes en Afrique, autour des bases de Libreville et de Djibouti, a démontré sa pertinence. Grâce à ce dispositif, nous avons pu, en quelques heures, porter les effectifs de la force Licorne en Côte d'Ivoire de 980 à près de 1 700 hommes.

En 2008, le dispositif Epervier au Tchad avait permis l'évacuation de 1 500 ressortissants. Nous sommes en revanche plus démunis pour assurer la protection individuelle de nos compatriotes dans la zone sub-sahélienne, face à des actes qui relèvent autant du banditisme que du terrorisme.

Je souhaiterais également insister sur le rôle de plus en plus important de l'espace. Nous avons pris les décisions nécessaires pour assurer la continuité du système d'observation satellitaire Helios II, grâce au lancement du programme Musis, et nous devons également préserver nos capacités actuelles dans le domaine électromagnétique entre les démonstrateurs en service et le futur système opérationnel afin d'éviter tout risque de rupture capacitaire.

Dans le domaine industriel, il faut évidemment veiller à ce que l'effort réalisé en faveur des programmes ne s'effectue pas au détriment des études-amont, qui préparent l'avenir. Je considère que, pour la période 2011-2013, le niveau programmé des crédits d'études-amont est très substantiel. Il appartient aux industriels de se regrouper pour que nous puissions optimiser nos efforts et éviter de disperser nos moyens. D'une manière plus générale, il est souhaitable que les industriels travaillent plus étroitement avec les entreprises petites et moyennes, dans le cadre d'un véritable partenariat.

S'agissant du financement des opérations extérieures, la dotation inscrite dans la loi de finances initiale pour 2011 s'élève à 630 millions d'euros et nous pouvons escompter des remboursements de l'ONU à hauteur de 20 millions d'euros. Cela ne fait que 650 millions d'euros pour un coût prévisionnel qui atteint déjà 900 millions d'euros. La Libye représente aujourd'hui un surcoût supplémentaire de 50 millions d'euros, dont 30 millions d'euros au titre des munitions.

En tenant compte des recettes exceptionnelles, nous disposons actuellement d'une visibilité budgétaire sur l'application de la loi de programmation militaire jusqu'à la fin de l'année 2013. Au-delà, si la croissance reste modeste et que nos déséquilibres budgétaires perdurent, il est facile d'imaginer que des économies seront recherchées. Pour ma part, je considère qu'il n'existe aucune marge de manoeuvre sur le budget de la défense. La loi de programmation militaire a été construite très rigoureusement et l'actualité démontre que nous devons être capables d'honorer les engagements opérationnels qu'elle comporte. Nous ne pouvons pas nous permettre d'affaiblir cet ensemble cohérent.

J'en viens maintenant, comme vous m'y avez invité, Monsieur le Président, aux opérations en cours.

En Côte d'Ivoire, la situation est stabilisée. Notre objectif est désormais de réduire notre présence dans le cadre de la force Licorne. Nous souhaitons engager la renégociation de l'accord de défense, comme nous l'avons déjà fait avec les autres pays africains concernés. On peut imaginer le maintien, sur notre base de Port-Bouet, d'un pôle de coopération analogue à celui prévu à Dakar.

En Libye, nous avons assumé une responsabilité forte : ne pas rester passifs face à la tentative d'élimination par la force de l'opposition populaire. Nous savons parfaitement que la solution de la crise appartient aux Libyens eux-mêmes. Elle ne résultera pas des opérations militaires aériennes, mais celles-ci permettent au peuple libyen de s'exprimer et au Conseil national de transition d'agir.

Que ce soit en Cyrénaïque, à Misrata ou dans le massif du Djebel Nefoussa, autour de Zintan, la situation n'évolue plus, ni dans un sens, ni dans l'autre. Dans le cadre de la résolution 1973, nous apportons par voie maritime un soutien à Misrata. Un bâtiment français a ainsi neutralisé des lance-roquettes.

Depuis trois semaines, les forces de Khadafi tentent de se déployer en contournant la route côtière. Nos avions ont effectué des bombardements dans la profondeur à l'intérieur des terres, à une distance compatible avec nos procédures de sécurité les plus exigeantes, sachant que nous pouvons aller au-delà s'il le fallait, en prenant plus de risques pour la sécurité de nos pilotes.

Sur demande de la France et du Royaume-Uni, l'OTAN a procédé à des tirs sur des cibles militaires à Tripoli. Les résidences personnelles de Khadafi ou de ses proches ne sont en aucun cas visées. C'est parce qu'il se trouvait dans un centre de commandement et de contrôle qu'un des fils de Khadafi a été tué.

En ce qui concerne l'Afghanistan, il faut souligner les bons résultats de notre travail de pacification en Kapisa et en Surobi. Les rebelles n'ont pas lancé d'offensive de printemps. Nous avons déploré des pertes liées à des engins explosifs improvisés, mais nos troupes n'ont pas été la cible de tirs directs ou d'embuscades. Nous souhaitons pouvoir transférer la sécurité du district de Surobi aux Afghans au second trimestre 2011. La situation est plus complexe en Kapisa, mais nous pourrions viser le 1er semestre 2012.

La formation de l'Armée nationale afghane monte en puissance, même s'il est évident que l'on ne peut constituer une armée en quelques mois seulement.

Enfin, la disparition de ben Laden constitue une excellente nouvelle. On peut espérer que les documents recueillis par les Américains seront riches de renseignements sur les relations qu'il entretenait avec son environnement. Ce doit être l'occasion d'une clarification entre l'Afghanistan et le Pakistan.

M. Josselin de Rohan, président.- Je vous propose de regrouper vos questions autour de deux thèmes : la politique de défense au niveau national, puis les aspects internationaux et les opérations en cours.

M. Jean-Louis Carrère. - Avant de vous interroger, je voudrais faire une observation.

J'ai participé récemment avec des collègues parlementaires à une réunion au ministère de la défense consacrée au contrôle trimestriel de l'exécution du budget de la défense. Du point de vue du contrôle démocratique, on peut s'interroger sur l'intérêt de cette forme de contrôle. Ne serait-il pas souhaitable que le Parlement dispose d'une structure propre afin de pouvoir s'appuyer sur une évaluation indépendante et objective ?

J'en viens maintenant aux nombreuses interrogations soulevées par le récent référé de la Cour des comptes concernant la mise en place des bases de défense, généralisées depuis le 1er janvier dernier.

En effet, comme le souligne la Cour des comptes, il s'agit là d'une réforme de grande ampleur qui modifie de façon substantielle le fonctionnement du ministère de la défense. Elle suscite d'ailleurs de nombreuses inquiétudes au sein des armées et des représentants des personnels civils du ministère de la défense.

La Cour des comptes a formulé plusieurs critiques dans son référé, qui portent notamment sur la taille et le nombre de bases, qu'elle propose de réduire à vingt, ou sur le rôle des commandants des bases de défense, qui ont un nouveau rôle à trouver.

La Cour des comptes relève aussi que, si toutes les économies de personnel attendues de la mutualisation ne sont pas réalisées, la diminution du nombre d'emplois ne pourra alors se faire qu'au détriment du format opérationnel des forces.

Je souhaiterais donc connaître votre position concernant les critiques de la Cour des comptes.

Enfin, quelles sont les nouvelles externalisations envisagées ? Je pense notamment à l'habillement ou à l'alimentation. Est-ce que cette externalisation est compatible avec la volonté de favoriser l'emploi sur le territoire national.

M. Didier Boulaud. - Avec sa base militaire à Abou Dhabi, la France est en première ligne face à l'Iran, au coeur d'un Moyen Orient en plein bouleversement. Nous serons donc très attentifs à l'accord de défense entre la France et les Émirats arabes unis, lorsque le Sénat sera appelé à se prononcer sur sa ratification.

Je souhaiterais aussi avoir des indications concernant la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité, qui apparaît aujourd'hui nécessaire à la lumière des évolutions de la situation internationale et du contexte budgétaire. Quel devrait-être le calendrier de cette révision et la réflexion a-t-elle déjà commencé au sein du ministère de la défense ?

Enfin, je souhaiterais avoir des éclaircissements au sujet de la situation au sein de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) et à propos de la revue « Défense ». Certains ont le sentiment d'assister à une sorte de « reprise en main » par la hiérarchie militaire, soucieuse de limiter la liberté d'expression des officiers. A cet égard, je voudrais rappeler les propos de Mac Mahon : « j'efface du tableau d'avancement tout officier dont j'ai vu le nom sur la couverture d'un livre », et ceux du général de Gaulle : « il est vrai que parfois les militaires, exagérant l'impuissance relative de l'intelligence, négligent de s'en servir ». Sommes-nous plus près aujourd'hui de la conception du général de Gaulle ou bien sommes nous revenus à l'époque de Mac Mahon ?

M. Jacques Gautier. - Votre intervention a eu le mérite de répondre à la plupart de nos interrogations. Je souhaiterais toutefois vous interroger sur deux points.

D'une part, quelle est votre position concernant le drone Male, dont l'absence nuit à l'efficacité de nos interventions, en Afghanistan ou en Libye ?

Comme vous le savez, avec notre collègue Daniel Reiner, nous avons proposé de dissocier le besoin opérationnel, qui est urgent, de la problématique industrielle.

Je souhaiterais donc savoir si vous entendez officiellement solliciter General Atomic pour qu'il présente une offre concernant le drone Reaper. Comptez-vous réunir prochainement le Comité ministériel d'investissement ?

Ma deuxième question concerne l'avion multi rôle de ravitaillement et de transport. Là encore, nous pouvons constater les insuffisances concernant le ravitaillement en vol de nos avions en Libye. Or, à ma connaissance, la commande de cet avion n'a toujours pas été passée. Quand comptez-vous lancer la procédure ?

M. Jean-Pierre Chevènement. - La mise en oeuvre de la loi de programmation militaire semble devoir être remise en cause par la situation budgétaire et des finances publiques. Le programme de stabilité européen, qui vient d'être adopté par le Parlement, prévoit ainsi une forte réduction des déficits publics et des dépenses de l'Etat. Quelles seront ses implications pour le budget de la défense ? Quels sont les programmes d'équipement qui devraient être supprimés ou retardés ? Qu'en sera-t-il, par exemple, du lance-roquettes unitaire (LRU) ?

M. Gérard Longuet, ministre de la défense. - En tant qu'ancien parlementaire, j'attache une importance toute particulière au contrôle de l'exécutif par le Parlement, qui est essentiel dans une démocratie. Toutes les questions des Parlementaires sont donc légitimes et nous nous efforçons d'y répondre de la meilleure manière possible.

En réponse à M. Jean-Louis Carrère, à propos du récent référé de la Cour des comptes sur la réforme des bases de défense, je me garderai bien de vouloir porter atteinte aux prérogatives de la Cour des comptes, qui est dans son rôle, même si on peut s'interroger sur le manque de recul, puisque le référé est intervenu trois mois après la généralisation de cette réforme, qui n'a été effective qu'au 1er janvier 2011. Il me semble qu'il est difficile de porter un jugement définitif sur une réforme d'une telle ampleur dans un délai aussi court. Par ailleurs, la réforme des bases de défense a permis d'économiser environ 10 000 emplois de soutien, qui pourront ainsi être recentrés sur l'opérationnel. Les résultats ne sont donc pas négligeables.

A cet égard, l'idée de la Cour des comptes de vouloir réduire la taille et le nombre des bases de défense à vingt ne me paraît pas pertinente. Certes, cela aurait sans doute permis quelques suppressions de postes supplémentaires, mais cela aurait aussi conduit, outre le mécontentement des élus locaux et des personnels, à décourager les chefs d'unité qui n'auraient plus eu d'interlocuteurs directs à proximité.

Plus globalement, la question qui est posée est celle de la conduite du changement : comment conduire une réforme d'une telle ampleur, avec humanité, pragmatisme et réalisme, sans disposer, au moins pour la phase de restructuration, d'échelons intermédiaires permettant de rapprocher la décision de ceux qui la mettent en oeuvre ? Faute d'un relai intermédiaire, les décisions ne risqueraient-elles pas d'être perçues comme irréalistes et trop éloignées du terrain ?

Il est vrai que la mise en oeuvre de cette réforme a pu provoquer parfois des inquiétudes au sein des syndicats des personnels civils de la défense. Les commandants des bases de défense sont d'ailleurs chargés du dialogue avec les représentants des personnels civils. J'ai d'ailleurs rencontré leurs représentants, ainsi que les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire. La restructuration des forces aboutit parfois à confier provisoirement à des militaires des postes qui pourraient être confiés à des civils, dans l'attente d'un déménagement par exemple. Mais il s'agit d'une situation provisoire. Toutefois, la « civilianisation » de certaines tâches, qui étaient jusqu'à présent exercées par des militaires et qui seront dorénavant confiées progressivement à des personnels civils est aussi une forme de reconnaissance de ces personnels.

En ce qui concerne l'externalisation des tâches d'alimentation, une expérimentation a été lancée en janvier dernier par voie d'appel d'offres, et nous attendons les résultats en termes d'économies, qui sont évaluées à 20 %. Pour l'instant, l'externalisation de l'alimentation ne concerne que huit sites, ce qui correspond à 5 % des repas de l'ensemble des personnels du ministère de la défense. Pour l'habillement, une expérimentation a été lancée depuis mars. Le Royaume-Uni est très en pointe en matière d'externalisation dans le domaine de la défense. L'un des risques de cette externalisation est lié aux difficultés qu'elle soulève en opérations extérieures et au risque de contentieux juridique. Parallèlement, les personnels civils ont proposé la mise en place d'une régie rationalisée, avec moins de personnels pour le même service et nous sommes en train d'étudier cette proposition.

En réponse à M. Didier Boulaud, l'accord de défense avec les Emirats arabes unis a été déposé à l'Assemblée nationale et devrait être soumis au Sénat après son adoption par les députés.

Une actualisation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est prévue en 2012. Compte tenu du grand débat républicain qui doit avoir lieu à l'occasion de l'élection présidentielle en 2012, il est logique que cette révision intervienne après les résultats de l'élection présidentielle, au deuxième semestre 2012, ce qui n'empêche nullement de conduire une réflexion avant.

En ce qui concerne l'expression des militaires, je constate que les officiers s'expriment. A l'école de guerre, on apprend d'ailleurs aux jeunes officiers à s'exprimer publiquement et à communiquer dans le respect de leur devoir de réserve. Le général américain Petraeus se réfère d'ailleurs souvent aux écrits d'un militaire français, le lieutenant-colonel Galula, à propos de la stratégie de contre-insurrection en Afghanistan.

S'agissant des drones, la France a un réel retard que nous devons rattraper. Le drone n'est pas seulement un outil à usage militaire mais aussi à des fins civiles, puisqu'il s'agit de notre capacité à surveiller en temps réel le territoire à partir du ciel.

Un comité ministériel d'investissement se réunira pour prendre une décision. Mon souci est qu'un « achat sur étagère » ne doit pas condamner les efforts de nos industriels, notamment pour les drones de nouvelle génération. Mais, dans le même temps, lorsque l'on regarde les factures présentées par les industriels concernant la production d'un drone français, on a un peu le sentiment que l'Etat est traité comme une « vache à lait ». Il faudrait donc que nos industriels fassent des efforts.

Le lancement de la première commande des avions multi rôle de ravitaillement et de transport devrait intervenir en 2013 pour une livraison en 2017.

En réponse à M. Jean-Pierre Chevènement, je voudrais vous dire ma certitude que la loi de programmation militaire sera réalisée jusqu'à la fin 2013. Ainsi, le programme de lance roquettes unitaire sera bien réalisé.

Le véritable débat porte sur la période après 2013, avec l'actualisation du Livre blanc, et sur ce point ma conviction personnelle est qu'on ne pourra pas réduire nos ambitions.

Notre pays continue d'être confronté aux risques et menaces identifiés par le Livre blanc, comme le terrorisme, et à de nouveaux défis, comme la sécurité maritime.

Nous sommes au « taquet de nos engagements ».

De ce point de vue, la position de la France est assez singulière en Europe car notre pays est le seul à ne pas réduire ses dépenses militaires. Ainsi, mon homologue britannique doit faire face à une stagnation des investissements militaires sur les prochaines années, tandis que mon homologue allemand est confronté, dans le contexte de la professionnalisation de l'armée allemande, à une diminution des effectifs et des crédits de son ministère.

M. Josselin de Rohan, président. - Je vous propose maintenant de passer aux questions portant sur les aspects internationaux et les opérations en cours.

M. André Vantomme. - Au cours d'une audition devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le 3 mai dernier, vous avez déclaré que les 310 militaires français déployés actuellement au Kosovo dans le cadre de la KFOR seraient progressivement désengagés d'ici la fin de l'année 2011. Or, il me semble que le retrait de notre contingent ne pourrait intervenir qu'en concertation avec nos alliés au sein de l'OTAN, c'est-à-dire au mieux en 2012. Je souhaiterais donc avoir des éclaircissements sur ce point.

M. Jean-Pierre Bel. - Je voudrais vous poser deux questions.

Ma première question porte sur la situation en Afghanistan. J'avais été frappé lors de notre déplacement en Afghanistan, avec le président du Sénat, et auquel vous avez participé, par les propos du président Hamid Karzai, qui, à l'époque, se montrait très favorable à la présence et au soutien des troupes de la coalition internationale. Or, j'ai été assez surpris de ses dernières déclarations, après la mort d'Oussama Ben Laden, selon lesquelles l'occident se tromperait de cible par sa présence en Afghanistan plutôt qu'au Pakistan. Je m'interroge donc sur le fait de savoir si notre présence est toujours autant souhaitée par les responsables afghans.

Ma deuxième question concerne la situation en Libye et ses répercussions éventuelles sur le Sahel. Que pensez-vous des informations selon lesquelles les armes des insurgés libyens pourraient être récupérées par des membres d'Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ?

M. Jacques Berthou. - Je souhaiterais savoir si vous avez des informations récentes concernant le sort des otages français détenus au Sahel, en Somalie et en Afghanistan. Par ailleurs, les premiers éléments de l'enquête sur les attentats de Marrakech vont-ils dans le sens d'une implication d'AQMI ?

M. Bernard Piras. - Dans le prolongement des questions de notre collègue M. Jacques Berthou, j'aurais souhaité avoir des indications sur les moyens mis en oeuvre par les autorités françaises pour protéger nos ressortissants, lutter contre le terrorisme et les divers trafics au Sahel.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je souhaiterais savoir si le ministère de la défense envisage d'augmenter le nombre des attachés de défense auprès de nos ambassades. Même si le ministère de la défense est confronté à une baisse de ses effectifs, les attachés de défense jouent un rôle très important, notamment en ce qui concerne les exportations d'armement. J'ai pu m'en rendre compte lors d'un récent déplacement au Pérou, où notre pays ne dispose pas d'un attaché de défense, malgré les enjeux de ce marché en matière de défense.

M. Jean-Louis Carrère. - Vous avez évoqué les améliorations apportées en matière de protection et d'équipements des militaires français engagés en Afghanistan. Quelles ont été ces améliorations ? Est-ce que cela concerne également les capacités de désignation de cibles du Rafale ? En effet, je me souviens qu'il y a encore quelques mois, le Rafale ne pouvait effectuer des missions d'attaque au sol qu'accompagné d'un Mirage lui désignant les objectifs.

M. Jacques Gautier. - Personnellement, je trouve que nous ne communiquons pas assez sur les succès de l'intervention française en Afghanistan et les opérations réussies sur le terrain dans la lutte contre les insurgés.

Par ailleurs, je voudrais vous interroger à propos du transfert à l'armée afghane de la zone de Surobi. Pensez vous que ce transfert pourra intervenir cet été ou au début du deuxième semestre de cette année ? Ce transfert ne pourrait-il pas s'accompagner d'un retrait d'une partie des soldats français ?

M. Didier Boulaud. - Auriez-vous des éléments concernant le bilan de l'intervention en Libye ? Je pense notamment à une évaluation des pertes des troupes de Kadhafi, à une estimation des forces qui lui restent fidèles ou encore à l'efficacité de l'embargo.

Par ailleurs, je rappelle qu'en vertu de l'article 35 de la Constitution, le Parlement doit autoriser, au-delà de quatre mois, la prolongation d'une intervention des forces armées à l'étranger. Si l'intervention en Libye est amenée à se prolonger, le Parlement pourrait donc être amené à se prononcer durant l'été.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense. - A M. Jean-Pierre Bel, je répondrai que la disparition d'Oussama Ben Laden n'est pas seulement en soi un évènement très important, mais que cette opération a permis de mettre la main sur un nombre significatif de documents. Les propos du président Hamid Karzai me semblent devoir être interprétés non pas comme une remise en cause de la présence étrangère mais comme une interrogation sur le rôle du Pakistan. En tout état de cause, notre objectif est d'aller vers une transition et un transfert progressif aux autorités afghanes.

S'agissant des éventuelles répercussions de l'intervention en Libye sur la situation au Sahel, il existe un risque que des armes se retrouvent entre les mains d'AQMI compte tenu des fréquents déplacements des populations nomades et de la porosité des frontières. Les pays frontaliers sont toutefois vigilants sur ce point.

En réponse à M. André Vantomme, je voudrais compléter les propos que j'ai tenus à l'Assemblée nationale, puisque le désengagement progressif de la KFOR devrait se faire non pas en deux mais en trois étapes. Depuis mars dernier, nous sommes passés à la deuxième phase, avec une réduction de moitié des effectifs de la KFOR et du contingent français, qui est actuellement de 310 militaires. La troisième étape, c'est-à-dire le retrait de nos unités, pourrait intervenir dès l'an prochain, en concertation avec nos alliés et dans le cadre d'une décision de l'OTAN.

Je voudrais remercier M. Jacques Berthou d'avoir évoqué le sort de tous les otages français, y compris celui détenu en Somalie, dont la situation est peut être la plus délicate compte tenu du fait que ses ravisseurs n'ont pas réellement fait connaître leurs revendications. Les services de l'Etat, et du ministère de la défense, sont pleinement mobilisés. Ainsi, en Afghanistan, une équipe est spécialement chargée des négociations avec les ravisseurs. Celles-ci sont délicates car les négociateurs sont différents de ceux qui détiennent les otages et leurs intérêts ne sont pas forcément identiques. Les informations dont nous disposons nous laissent penser que les otages français sont en vie et traités convenablement.

Les attentats de Marrakech n'ont pas été revendiqués par AQMI et les premiers éléments de l'enquête laissent penser qu'ils ont été commis par un groupe isolé.

En réponse à M. Didier Boulaud, le bilan estimé de l'intervention en Libye est le suivant : l'aviation aurait été anéantie, avec plus de 80 % des appareils hors service et il ne resterait plus que des hélicoptères. L'armée de terre aurait subi de lourdes pertes, avec un tiers des matériels lourds détruits et environ 50 % des stocks de munitions. Seule la marine aurait été épargnée, mais elle ne présente pas un grand danger et les navires sont demeurés dans les ports où ils ne présentent pas de menace. Les défenses anti-aériennes ont également été sérieusement touchées.

Ce qui reste aux forces loyales à Kadhafi ce sont essentiellement les pick-up équipés de mitrailleuses, qu'il est difficile de détruire, car ils sont très mobiles et qu'ils sont utilisés également par les opposants.

Concernant l'embargo et le contrôle des frontières, elles sont assez bien surveillées à l'Est et à l'Ouest, mais moins au Sud.

En réponse à M. Jacques Gautier, je serai plus prudent en ce qui concerne les résultats de notre intervention en Afghanistan. Tuer n'est jamais un motif de satisfaction, même s'il s'agit d'insurgés talibans. Le vrai succès de notre intervention sera de transmettre la responsabilité de nos zones à l'armée afghane.

Madame Joëlle Garriaud Maylam, vous avez raison de souligner l'intérêt des attachés de défense au sein de nos ambassades. Compte tenu des contraintes budgétaires, le ministère n'envisage pas d'accroître leur nombre mais nous veillons à ce qu'ils soient présents dans tous les pays qui présentent un intérêt pour nos industries de défense.

Enfin, en réponse à M. Jean-Louis Carrère, je peux mentionner de nombreux exemples d'améliorations apportées à l'équipement et à la protection de nos soldats déployés en Afghanistan, comme le déploiement du Rafale, du véhicule blindé de combat d'infanterie ou encore du remplacement prochain des hélicoptères PUMA par le NH 90.

Nomination de rapporteurs

La commission procède à la nomination de rapporteurs :

M. Rachel Mazuir est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 402 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'arrangement concernant les services postaux de paiement.

M. Raymond Couderc est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 465 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord de coopération administrative entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bulgarie relatif à la lutte contre l'emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services.

Mme Bernadette Dupont est désignée rapporteur pour le projet de loi n° 466 (2010-2011) autorisant l'approbation du protocole additionnel à l'accord relatif aux rapports intellectuels et artistiques du 19 décembre 1938 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République hellénique.