Mardi 5 avril 2011
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -Audition de M. Philippe Deslandes, président de la Commission nationale du débat public
La commission entend M. Philippe Deslandes, président de la Commission nationale du débat public, en application du V de l'article 3 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
M. Jean-Paul Emorine, président. - Je suis heureux d'accueillir en votre nom M. Philippe Deslandes, président de la commission nationale du débat public. Il est, pour cette réunion ouverte aux membres de la commission spéciale sur le Grand Paris, accompagné de M. François Leblond, président de la commission particulière du débat public sur le réseau de transport public du Grand Paris. Ensemble, ils vont revenir sur le déroulement de cette procédure et nous exposer le bilan qu'ils en ont tiré.
M. Philippe Deslandes, président de la commission nationale du débat public. - Merci de cet accueil, monsieur le Président. J'étais venu lors de l'examen du projet de loi sur le Grand Paris. J'avais alors demandé au rapporteur M. Jean-Pierre Fourcade que la commission particulière compte douze membres. Il y a eu en effet 67 réunions publiques en quatre mois, soit une tous les deux jours, et il était important que la commission particulière puisse se subdiviser en plusieurs groupes.
Les deux débats publics conjoints - l'un sur le réseau de transport public du Grand Paris et l'autre sur le projet de métro automatique Arc Express - se sont déroulés du 30 septembre 2010 au 31 janvier 2011, soit dans les quatre mois qui nous étaient impartis. Le calendrier prévu par la loi du 3 juin a été scrupuleusement respecté, même si cela a parfois été difficile pour la préparation du dossier soumis à la concertation, ne serait-ce que parce que la société la société du Grand Paris n'était pas constituée. La commission nationale et les ingénieurs qui préfiguraient le Grand Paris ont travaillé tout l'été afin d'être prêts pour le 1er septembre. Les délais ont été tenus et le débat a eu lieu.
L'ambiance a d'abord été conflictuelle : le schéma directeur de la région d'Île-de-France (SDRIF) avait été annulé par le Conseil d'État, tandis que le gouvernement n'avait pas confirmé ses promesses de financement. Le projet de la Région, Arc Express consistait à l'origine en une rocade en souterrain d'une soixantaine de kilomètres reliée aux lignes de métro existantes ; avec une quarantaine de gares en proche banlieue, situées à un kilomètre ou 1,5 kilomètre l'une de l'autre, comme pour le métro, il assurait une vitesse commerciale de 40 kilomètres-heure contre 25 pour le métro. Le projet du Grand Paris dessinait une double boucle, avec une petite rocade desservant Montfermeil à l'est, une autre à l'ouest pour Versailles, Saclay et Massy, et une ligne reliant Roissy à Orly, via Paris ; d'une longueur de 162 kilomètres avec une gare tous les 4 à 8 kilomètres, le réseau aurait eu une vitesse commerciale de 60 kilomètres-heure.
La première réunion a eu lieu le 30 septembre et, dès le début est apparue la nécessité d'une synthèse entre les deux projets, comme l'a bien vu Gilles Carrez. Ce besoin de convergence et de complémentarité a été exprimé dès le début par André Santini et repris par Jean-Paul Huchon, lequel a néanmoins souhaité simultanément une mobilisation des financements pour les transports. De réunion en réunion, le public a quant à lui insisté sur la nécessité de l'amélioration de l'existant, et surtout du R.E.R.
Convergence et amélioration de l'existant sont les deux concepts autour desquels s'est effectué le rapprochement entre l'État et la Région. Dès sa nomination au ministère de la ville, Maurice Leroy a réuni un groupe de travail, intégrant par exemple l'Atelier international d'architecture, afin de dégager les voies d'une contribution commune. Le compromis a été possible, d'autant que nous nous sommes efforcés de faire en sorte que le débat autour des deux projets ne tourne pas au duel entre le Syndicat des transports publics d'Ile-de-France (STIF) et la Société du Grand Paris. Peu à peu, les deux propositions ont laissé place à une troisième, sortie le 26 janvier. Le débat, qui en 67 réunions publiques a réuni 17 500 personnes, ce qui est considérable, a ainsi préparé les voies d'un compromis et forcé les maîtres d'ouvrage à s'entendre. Le public a réellement participé au processus d'élaboration de la décision. Je ne peux que me féliciter de cet exercice de démocratie participative.
M. François Leblond, président de la commission particulière du débat public sur le réseau de transport public du Grand Paris. - Le président Philippe Deslandes a dit tout ce qu'il fallait dire. Puisque le président de la commission particulière propose les noms des membres de celle-ci au président de la commission nationale du débat public, j'ajouterai simplement que j'ai fait en sorte qu'il y ait autant de femmes que d'hommes, plus d'actifs que de retraités, et que les critères professionnels assurent une complémentarité des compétences.
J'ai participé à la préparation de la première réunion. Nous avons réussi à respecter les délais, ce qui n'était pas évident. Les services ont bien travaillé et mes trois collaborateurs se sont montrés très efficaces.
Dans le compte rendu, qui est sur internet depuis trois jours, nous avons essayé de présenter les conclusions de la manière la plus opérationnelle et la plus didactique possible. Les propositions de gares y sont plus nombreuses que dans le protocole intervenu entre l'État et la Région : des arbitrages seront nécessaires.
Le débat a été très riche, mais très lourd. Si le travail de la commission présidée par le ministre Maurice Leroy a été très important, notre rôle a été très positif : la loi sur le débat public a montré toute son utilité dans un tel dossier. C'est la première fois que la région d'Île-de-France bénéficie d'un tel traitement dans la préparation et dans la discussion d'un débat public ; je suis très heureux d'y avoir contribué.
M. Philippe Deslandes. - A l'issue de la conférence de presse, jeudi dernier, Christian Blanc, qui voulait initialement confier le débat public au préfet de région et non à la commission nationale de débat public, nous a présenté ses félicitations et ses remerciements. La raison l'a emporté.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Si je n'ai pas encore lu le rapport, j'entends déjà chacun s'extasier sur la richesse de l'expérience. Est-ce à dire que les précédents débats n'avaient pas suscité la même implication ?
Nous voulions éviter deux débats successifs sur Arc Express et sur le réseau de transport du Grand Paris. Il faut rendre hommage aux députés qui ont ajouté l'obligation d'un débat public, mais aussi rappeler que ce sont les sénateurs qui, en commission mixte paritaire, ont prévu l'examen concomitant des deux projets. Cependant, il n'y a pas eu d'accord sur deux points. J'aimerais d'abord connaître votre sentiment sur la desserte de Saclay, qui pose problème, et ensuite sur la plus difficile question du partage de la maîtrise d'ouvrage entre le STIF et la Société du Grand Paris.
Le Conseil d'Etat avait estimé qu'il y avait incompatibilité entre des projets des collectivités territoriales et le SDRIF. Nous avons voté la semaine dernière, en l'amendant, une proposition de loi d'origine socialiste permettant à toutes les collectivités territoriales de débloquer des projets compatibles avec le projet de SDRIF de 2008 et avec la loi sur le Grand Paris. Qu'en pensez-vous ?
M. Philippe Deslandes. - Quid des autres débats ? Un débat public n'est ni un référendum ni un sondage mais une confrontation d'arguments afin d'éclairer la décision que le maitre d'ouvrage prend à l'issue du débat. Il réunit en général 3 000 personnes, comme sur la concession de la liaison routière Centre-Europe-Atlantique entre Saône-et-Loire et Allier.
Nous avons tenu 17 réunions sur les nanotechnologies - certaines ont été annulées à cause des manifestants - mais, comme les gens découvraient ces technologies, ils sont d'abord venus s'informer : ils pouvaient difficilement donner leur avis... Pour qu'un débat soit fructueux, il serait bon de le préparer par une information préalable. En l'occurrence, le débat est devenu intéressant vers la fin, lorsque les participants ont compris les enjeux. Nous avons été confrontés à une opposition frontale, animée par « Pièces et main d'oeuvre », groupe animé par des ingénieurs qui ont fait intervenir des anarchistes locaux. Les préfets ont laissé les anarchistes rentrer dans les salles, et il s'est passé ce qui devait se passer, sauf à Caen où le préfet à tenu tête au pavillon noir. La presse s'est intéressée au sujet lorsqu'il y eu des oppositions physiques. Dans le reste de l'Europe, le débat s'est limité aux initiés. Le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) avait déjà beaucoup réfléchi sur le sujet, mais ses travaux étaient restés confidentiels : l'intérêt du débat public, c'est d'être public. Le public ne vient largement aux réunions que lorsqu'il a l'impression de pouvoir exercer une influence dès lors que tout n'est pas bouclé. Sur le Grand Paris, les gens ont compris qu'ils pouvaient faire passer un message sur le matériel actuel ou sur le réseau existant, message qu'ils avaient déjà exprimé dans l'enquête publique sur le SDRIF, mais sur des registres, pas de vive voix.
Si je prends l'exemple de la route Centre-Atlantique, la ministre de l'écologie et du développement durable dispose désormais de tous les éléments, y compris juridiques, de la concession d'une route nationale. L'Allier est relativement favorable, mais la Saône-et-Loire est farouchement hostile, faute de circuits de substitution.
Les débats marchent bien. Nous en menons une dizaine par an ; ils concernent l'interconnexion sud des TGV en Ile-de-France, le TGV Paris-Le-Havre, le TGV Paris-Caen, le TGV Paris-Orléans-Lyon, sans oublier l'extension de la piste d'aéroport de Mayotte ou celle du port de Jarry en Guadeloupe. Cependant, celui sur le Grand Paris a été le plus important, voire le plus populaire.
S'agissant de Saclay, les Verts ont mis le sujet en exergue dès le début du débat. Les gens du nord-est et de Seine-Saint-Denis voulaient réinvestir l'argent de Saclay dans le réseau en boucle de ce département. La boucle orientale courte est bien dans l'accord, mais pas Saclay. Toute l'habileté de Maurice Leroy a consisté à écarter les points qui fâchaient afin de dégager un accord sur les autres.
Le partage de la maîtrise d'ouvrage est un point qui doit impérativement être tranché d'ici le 31 mai. Qui fait quoi sur la ligne bleue Orly-Saint-Denis-Pleyel ou sur la boucle Bobigny-Pantin-Val de Fontenay-Noisy-le Grand ? Nous expliquons bien dans nos recommandations qu'il faut partager clairement. Le choix est en train de s'opérer. Nous avons nettement souhaité une concertation sur le segment Bobigny-Noisy-le-Grand, dont l'opportunité a été établie par le débat.
S'agissant de la proposition de loi, nous avons un débat en cours sur Villages nature en Seine-et-Marne, qui figure dans le SDRIF révisé, mais pas dans celui de 1994... Il est important que ce texte soit voté.
M. François Leblond. - Le compte rendu consacre un chapitre complet à Saclay. Nous tablions sur 100 cahiers d'acteurs, nous en avons eu 250, soit 1 000 pages ! Une faible majorité de cahiers est très, très favorable, une petite minorité très défavorable - ce sont toutes les associations que l'on connaît ; les élus locaux, très nuancés, posent des questions tout en soulignant l'importance de désenclaver Saclay ; enfin, la chambre d'agriculture, qui a beaucoup travaillé, veut qu'on lui garantisse 2 300 hectares.
Le rapport peut être utile parce qu'il fait oeuvre de pédagogie sur un sujet très délicat. Lors des réunions (je pense en particulier à celle de Jouy-en-Josas), les uns et les autres se sont parlé, ce qui n'était jamais arrivé auparavant. J'ajoute que les industriels, depuis qu'ils ont reçu le montant de leur imposition au titre des bureaux, disent que s'ils paient, ils veulent être écoutés.
M. Denis Badré. - Je veux d'abord vous féliciter d'avoir mené à bien une affaire extrêmement lourde. Vous avez montré qu'un débat était possible sur un tel sujet : c'est la consécration de la démarche du débat public ! Vous avez évoqué la place des élus ; j'ai suivi plusieurs réunions dans les Hauts-de-Seine : nous avons essayé de nous taire. Nous avons fait de gros efforts, d'autant que nous connaissions les intervenants...Les élus doivent-ils rester discrets ou doivent-ils plus s'impliquer dans les réunions?
La dualité Arc Express - réseau de transport Grand Paris a laissé place à la complémentarité, mais l'information préalable n'a-t-elle pas manqué ? Il y a le tracé sur la carte, et il y a les dessertes, les choix entre des gares plus proches mais des durées de trajet plus longues, ou des gares plus éloignées, avec rabattement des voyageurs, mais des temps de parcours plus courts. Si l'on avait expliqué que le débat portait sur deux conceptions différentes de transport, vous auriez gagné du temps.
L'affaire du plateau de Saclay va au-delà du désenclavement. La question des transports n'a pas été réglée dans les années 70, et le résultat est dramatique : des écoles sont complètement enclavées, en rase campagne ; inviter un chercheur américain tient de la gageure : si aller de Roissy à Paris est une aventure, que dire du voyage de Paris à Saclay ! L'aménagement du territoire, c'est traditionnellement le logement, l'emploi et les transports, mais il doit également prendre en compte la dimension scientifique.
M. Philippe Deslandes. - Nous l'avons bien senti et j'avais essayé, sans succès, de convaincre Christian Blanc de lancer un débat spécifique sur Saclay. Quand on investit plus de 300 millions d'euros dans des bâtiments universitaires, c'est nécessaire. A défaut, on est passé à autre chose et on s'est inquiété « d'un métro dans les champs de betteraves » : il aurait fallu un débat sur les écoles, les entreprises et les gens auraient commencé à croire au projet .... Il est vrai que le directeur général de l'établissement public ne souhaitait pas un débat public tout de suite. Reste que quand on ne joue pas le jeu de la transparence, on introduit un biais.
M. Denis Badré. - Et le rôle des élus ?
M. Philippe Deslandes. - Dans un débat, le public, ce ne sont pas les associations, ce ne sont pas les élus, et il importe que chacun laisse parler les autres. Les gens ont souvent peur de parler en public ; ils s'expriment sur internet pour dire oui mais vont aux réunions pour dire non. Il faut que les élus montrent l'exemple en venant aux réunions, mais qu'ils n'y monopolisent pas la parole. Il revient au président de la commission particulière d'expliquer aux élus qu'ils ont un rôle moteur, mais qu'ils doivent écouter, car les avis sont très souvent pertinents.
M. François Leblond. - Le compte rendu donne la liste, énorme, des personnalités rencontrées avant le débat public. L'implication des élus était très forte : il était naturel qu'ils viennent et essaient de parler, mais nous avons eu un peu de mal au début - Philippe Deslandes nous l'a fait remarquer - à laisser les particuliers s'exprimer. J'ai demandé une fois que les élus ne parlent pas les premiers, et cela a marché. Il a fallu établir un équilibre, trouver le juste ton.
M. Charles Revet. - Vous nous avez cité une liste des prochains sites donnant lieu à débat public. Celui sur le Grand Paris intéresse d'abord la région d'Île-de-France, mais le président de la République avait évoqué l'axe Seine, les ports de Rouen et du Havre, et la ligne à grande vitesse ; n'est-ce pas le cas ?
M. Philippe Deslandes. - Si ! Dans trois semaines sera décidé un débat sur la liaison Paris-Normandie, avec une ligne nouvelle entre Paris et Mantes et trois scénarios pour les deux Normandie ; Rouen sera à 45 minutes, Le Havre et Caen à 1 h 15... mais la ligne ira au Havre sans passer par Criquetot !
M. Charles Revet. - Je suis surpris, car la réunion que nous avons à la préfecture dans quinze jours devait porter sur quatre scénarios...
J'ai vécu un autre débat public sur le port méthanier d'Antifer. Ce n'était pas les élus qu'il fallait faire taire à cette époque ! La commission nationale s'appuie-t-elle sur ce type d'exemples pour prévoir une organisation différente des réunions ?
M. Philippe Deslandes. - Il est très important de bien préparer le débat et d'identifier ceux qui entendent monopoliser la parole afin d'empêcher le débat. Ce qui reste du service des renseignements généraux ne les repère pas toujours, parce qu'ils viennent parfois de l'extérieur. Une bonne préparation avec tous les acteurs permet de détecter les tensions et de les désamorcer, sans interdire aux opposants de s'exprimer. Mais c'est aussi un problème d'éducation : on l'a bien vu pour les nanotechnologies.
M. Charles Revet. - Je sais bien que la LGV ne passera pas à Criquetot, mais nous travaillons à réactiver la ligne, qui vient de Gravenchon-Lillebonne-Bréauté et Fécamp, sous forme de tram-train, vers Le Havre.
M. François Leblond. - Je me suis posé la question de l'assise géographique du débat public et j'aurais aimé organiser des réunions au-delà de l'Île-de-France, à Amiens, Orléans et Rouen. C'était trop lourd mais néanmoins le compte rendu intègre des réflexions du maire d'Orléans et d'élus picards.
M. Philippe Deslandes. - Le débat sur l'EPR de Penly s'est bien passé ; le collectif « STOP EPR » m'avait assuré qu'il y participerait sans violence. Aujourd'hui, ça se passerait certainement moins bien...
M. Philippe Dominati. - Je m'associe aux félicitations qui vous ont été adressées. Votre mission a été un succès, notamment pour alerter les pouvoirs publics sur la nécessité d'améliorer l'existant. Mais, puisque nous en sommes au debriefing, j'aimerais savoir si l'on a bien pris en compte la dimension financière pour l'usager. Le réveil des entreprises a été brutal et cela ne fait que commencer. Toujours sur la dimension économique, je rappelle que l'Etat a longtemps hésité entre Eole et Météor, si bien qu'on a mis vingt ans pour construire deux demi-projets et qu'il n'y a toujours pas de liaison entre Roissy et la capitale sans rupture de charge. Etes-vous content du rapprochement entre la SNCF et la RATP, mais n'avez-vous pas le sentiment que, de conciliation en conciliation et de compromis en compromis, on a oublié la cohérence du projet, qu'il y a eu fausse information voire mystification ?
M. Philippe Deslandes. - Le débat n'est pas terminé. Pour l'instant, aux termes du protocole d'accord, ni l'État ni la Région ne sont maîtres d'ouvrage.
Reste à la société du Grand Paris et au STIF à confirmer les engagements pris en quelque sorte en leur nom. Les discussions se poursuivent, certaines gares sont encore optionnelles ; il faut maintenant justifier les choix : l'exercice est assez difficile d'ici le 31 mai. Vous avez raison de vous interroger sur le partage de la maîtrise d'ouvrage. Le projet commun est ambitieux, mais qui fait quoi ? Je sais que les discussions sont toujours en cours ; je sais que la liaison directe Roissy-Paris sans rupture de charge à St-Denis-Pleyel conserve des partisans. Dans l'accord, il y a rupture de charge. Cela sera-t-il encore le cas après le 31 mai ? Je n'en sais rien.
M. Philippe Dominati. - Mais lors des débats, la liaison directe a-t-elle été évoquée ?
M. Philippe Deslandes. - Au début, on parlait de double liaison. La résolution du 15 novembre a repris le projet de Charles-de-Gaulle-express, liaison directe à partir de la gare du Nord. Il y avait deux lignes : entre Roissy et La Défense, par Saint-Denis, la ligne verte ; et entre Roissy et Orly, la ligne bleue, également via Saint-Denis mais sans rupture de charge. Certains ont fait remarquer qu'à vouloir tout regrouper sur la ligne 14, on prenait le risque d'une saturation dés la mise en service. La liaison directe Roissy-Orly est certaine, mais avec ou sans rupture de charge, le service n'est pas le même. Mais nous ne décidons pas : les arguments sont sur la table, aux décideurs de décider.
M. François Leblond. - Pendant les débats, la question n'a guère été évoquée, et lorsqu'elle l'a été, la rupture de charge à Saint-Denis-Pleyel a suscité peu d'émotion... La situation changera peut-être lorsque le projet sera achevé, mais jusqu'à présent, la liaison avec Roissy a été jugée si importante que l'on ne s'est pas véritablement penché sur cette rupture. Les élus locaux concernés, surtout soucieux de valoriser Saint-Denis-Pleyel, ne jugeaient pas la rupture fondamentale. J'ai entendu peu de choses sur cette question.
M. Jean-Paul Emorine, président. - Mais Jean-Pierre Fourcade peut confirmer que ce fut l'un des éléments majeurs lors de l'examen du projet de loi, un élément qui a pesé dans les décisions finales.
M. Philippe Deslandes. - La RATP est favorable à une liaison directe Roissy-Orly.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Cette affaire présente des aspects techniques sur lesquels je ne suis pas assez compétent. Certains disent qu'il serait absurde de faire circuler le même train sur les 150 kilomètres de la boucle. Pourquoi le RER fonctionne-t-il si mal ? Parce que les lignes sont trop longues et sans segmentation.
M. Denis Badré. - Mais ici il s'agit d'une boucle, ce n'est pas la même chose.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Il faut tout de même prévoir des segmentations. Il y a deux théories : une liaison directe Roissy-Orly par un Meteor élargi ; ou Roissy-boucle, comportant une desserte rapide de La Défense, Saclay, Descartes...Il faudra trancher entre ces deux conceptions techniques d'ici le 31 mai ; mais aujourd'hui, les dirigeants de la société du Grand Paris, de la RATP et du STIF ne sont pas d'accord sur ce point technique.
M. Philippe Deslandes. - Ce n'est pas leur seul point de désaccord !
M. Jean-Paul Emorine, président. - Les citoyens ne savent pas toujours ce que c'est que le débat public ; nous l'avons vu dans mon département lors du débat sur la route Centre-Europe-Atlantique...Bien des élus ont pensé qu'en participant à toutes les réunions, ils sensibiliseraient mieux la commission à leurs positions. Mais la présidente n'a pas été sensible au plaisir d'entendre douze fois le même argument !
Organisme extra-parlementaire - Désignation d'un candidat
M. Jean-Paul Emorine, président. - M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de bien vouloir lui faire connaitre le nom du sénateur appelé à siéger au Conseil national de la sécurité routière en remplacement de notre collègue Francis Grignon, dont le mandat arrive à expiration et qui ne souhaite pas être candidat. Je vous propose la candidature de Gérard Bailly. (Assentiment)
Il en est ainsi décidé.
Lutte contre l'habitat indigne outre-mer - Audition de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer
Ensuite, la commission entend Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, chargée de l'outre-mer, sur la proposition de loi n° 267 (2010-2011) portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.
M. Jean-Paul Emorine, président. - Notre commission, élargie aux anciens membres de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, a le plaisir d'accueillir pour la première fois Mme Penchard. La ministre nous donnera son sentiment sur ce texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale en janvier dernier, dont notre collègue Georges Patient est le rapporteur, et Serge Larcher le rapporteur pour avis. A titre indicatif, le texte pourrait, à la demande du groupe socialiste, être inscrit à l'ordre du jour du mercredi 4 mai après-midi.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - L'Assemblée nationale a adopté le 26 janvier dernier la proposition de loi du député Serge Letchimy, à qui le Gouvernement avait demandé d'étudier les moyens de relancer la lutte contre l'habitat insalubre outre-mer. L'objectif de ce texte est, à la suite de l'élaboration du plan global de lutte contre l'habitat indigne et insalubre en outre-mer adopté lors du conseil interministériel du 6 novembre 2009, de doter cette politique publique d'outils efficaces. Le soutien apporté par le Gouvernement à ce texte traduit son engagement pour le logement outre-mer.
L'habitat insalubre en outre-mer est un phénomène massif : plus de 200 000 personnes vivent dans des logements qui ne répondent pas aux conditions minimales de confort et de dignité en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et en Guyane, ce qui les expose à des risques notamment sanitaires. Certes, ce texte ne règle pas tout, mais il constitue une avancée notable.
Le champ d'application de sa section 1 est national car le bénéfice d'une aide financière à des occupants sans droit ni titre ne peut pas être réservé à l'outre-mer, à moins d'introduire une rupture d'égalité avec la métropole. Pour autant, l'habitat informel ou spontané concerne presque exclusivement l'outre-mer : il est constitué de constructions et d'installations à usage d'habitation, construites par des personnes sans droit ni titre, sur des terrains qui forment des zones d'urbanisation de fait, sans desserte, ni assainissement, ni eau potable, ni les autres équipements publics de base propres à assurer la salubrité et la sécurité. Malgré l'accélération des opérations de résorption de l'habitat insalubre (RHI) lancées depuis plus de 25 ans, le phénomène persiste. La situation est particulièrement inquiétante à Mayotte où les bidonvilles se développent.
Les situations sont très diverses. Dans certains cas, les occupants ont construit sur la base de contrats de location sous seing privé, ou encore d'accords verbaux juridiquement fragiles ; d'autres sont sans droit ni titre, d'autres encore sont locataires de ces habitations. Ces constructions, autour desquelles se sont développées activités commerciales et artisanales, constituent souvent le seul patrimoine de leurs occupants. Certaines de ces cases sont correctes ou peuvent être améliorées. La volonté du Gouvernement est d'accélérer le rythme des opérations de résorption.
J'ai bien conscience que la proposition de loi peut susciter certaines interrogations, en dépit des garanties apportées au respect du droit de propriété.
En ce qui concerne le champ d'application du texte, la section 1 s'applique également à la métropole : la « cabanisation », qui touche notamment le littoral, y reste cependant limitée. En revanche, des règles particulières se justifient par les situations de droit et de fait prévalant dans les DOM. D'où l'application de la section 2 au seul outre-mer.
La question des étrangers en situation irrégulière concerne surtout la Guyane et Mayotte qui totalisent 96,6 % du total des reconduites d'étrangers en situation irrégulière. Le Gouvernement est déterminé à poursuivre sa politique de fermeté : en 2010, les éloignements de personnes en situation irrégulière ont progressé en outre-mer de 16,65 %. Le Gouvernement entend réserver le versement de l'aide financière prévu par ce texte aux seules personnes régulièrement installées sur le territoire national, comme cela est la règle pour les prestations familiales. Le texte doit s'inscrire dans une démarche équilibrée et pragmatique.
Dernière interrogation : le sort des « marchands de sommeil ». La volonté du Gouvernement et des parlementaires de mettre un terme à cette pratique inacceptable est manifeste : l'article 5 de ce texte dispose qu'aucune aide ne peut être versée aux bailleurs de locaux frappés d'un arrêté d'insalubrité ou de péril. Je demanderai aux préfets d'être particulièrement attentifs à la bonne application de cette mesure.
Pour terminer, je veux souligner deux mesures particulièrement novatrices de ce texte. Tout d'abord, la possibilité de définir par arrêté du préfet un périmètre d'insalubrité adapté à l'état des diverses constructions dans les secteurs d'habitat informel, après un travail de repérage de 18 mois au maximum. De fait, l'actuel article L. 1331-25 du code de la santé publique exige un quartier homogène et suppose une interdiction générale et définitive d'habiter, sanctionnée par une obligation de relogement dans un délai maximum d'un an. Ce dispositif n'est pas adapté à l'outre-mer où les quartiers sont hétérogènes et nombre habitations peuvent être conservées et améliorées. Ensuite, il n'est ni souhaitable, ni réaliste d'interdire d'habiter dans un certain périmètre et de s'obliger à reloger tous les occupants dans le délai d'un an. Il convient donc de mener un travail de repérage pour définir les périmètres concernés : l'Assemblée nationale a décidé de le limiter à 18 mois. Ce délai me parait raisonnable : à trop le prolonger, nous n'arriverons pas à résorber l'habitat insalubre
La seconde mesure concerne l'abandon manifeste des parcelles, qui existe dans nombre de villes et de bourgs ; compte tenu de la rareté du foncier urbain outre-mer, une simplification des articles L. 2243-1 et suivants du code général des collectivités territoriales s'impose pour accélérer les processus de travaux et de récupération de ces biens.
Le texte étant d'origine parlementaire, le Gouvernement sera attentif à toutes vos propositions d'amélioration. J'espère la même belle unanimité qu'à l'Assemblée nationale !
M. Georges Patient, rapporteur. - Ce texte s'attaque à un sujet essentiel : l'habitat informel en outre-mer. De 150 000 à 200 000 personnes, selon le député Letchimy, sont concernées. Le chiffre est important à l'échelle de l'outre-mer : il équivaut à 6 millions de métropolitains. Le texte a des atouts ; je le soutiens. Néanmoins, après vous avoir entendu Mme la ministre, je continue de m'interroger sur certains points.
Le champ d'application de la section 1 relative à l'octroi d'aides financières, dans le cadre d'opérations d'aménagement et sous certaines conditions, à des personnes installées sur des terrains sur lesquels elles n'ont ni droit ni titre, a suscité des inquiétudes parmi les sénateurs. La volonté de respecter la Constitution a conduit à l'étendre à la métropole. L'article 73 de la Constitution ne permet-il pas de le limiter aux départements d'outre-mer ?
En ce qui concerne les étrangers en situation irrégulière, vous avez évoqué Mayotte, mais prenons le cas de la Guyane. Pas moins de 80 % des occupants sans titre sont des étrangers en situation irrégulière. Ce texte ne risque-t-il pas de créer un appel d'air ? Comment comptez-vous régler la question concrètement ? Toujours en Guyane, plus de 90 % du foncier appartient à l'État. Dans ces conditions, ne revient-il pas à l'État de financer intégralement les aides financières et le relogement des personnes évincées liées à des opérations d'aménagement, lorsque ces dernières portent sur des terrains cédés par l'État aux collectivités territoriales.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Monsieur le rapporteur, les départements et régions d'outre-mer relèvent du régime de l'identité législative aux termes de l'article 73 de la Constitution : dépourvus de statut particulier, ils bénéficient de toutes les dispositions législatives de droit commun. Une mesure, pour être rapidement applicable outre-mer, doit donc être étendue à tout le territoire national. C'est un principe constitutionnel. Cela dit, les dispositions de ce texte visent majoritairement l'outre-mer : seul le phénomène de « cabanisation » du littoral serait concerné en métropole pour une aide en volume moindre.
Vous savez l'action de l'État en matière de lutte contre l'immigration irrégulière et les moyens qu'il a engagés en Guyane. Ceux-ci ont d'ailleurs permis une diminution nette de la délinquance et de l'orpaillage illégal depuis 2007. Reste que l'immigration illégale posera toujours un problème particulier en Guyane, du fait de ses 730 km de frontière avec le Brésil et de ses 510 km avec le Surinam. Les bailleurs et les collectivités, notamment Cayenne, veulent résorber rapidement l'habitat insalubre. Nous devons tenir compte de leurs demandes en reconnaissant un droit à indemnisation aux seules personnes - j'y insiste - en situation régulière. En bref, la logique est identique à celle qui prévaut pour le versement des allocations familiales.
Le rôle de l'État ? Celui-ci participera au financement des opérations de résorption de l'habitat insalubre notamment via l'Agence nationale de l'habitat (l'ANAH) et le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (le FRAFU).
Ce texte est équilibré, à la fois juridiquement et financièrement. Et pour la première fois, un texte reconnaît un droit à prévoir une aide pour des personnes qui ont construit des logements sans droit ni titre : cela ne s'est jamais vu !
M. Thierry Repentin. - Je me réjouis que le Parlement s'attaque aux problèmes spécifiques que connaissent certains territoires atypiques. Avec la loi sur le Grand Paris, nous avons répondu aux attentes des élus franciliens ; il n'y a aucune raison de traiter autrement les élus ultra-marins.
Si la section 1 du texte vise l'ensemble du territoire national, nous pourrions découvrir qu'il existe également des occupations sans droit ni titre en métropole. Récemment, un maire m'a signalé le cas d'une famille, autrefois nomade, qui s'est installée depuis des décennies sur une parcelle avec l'accord du propriétaire ; cette famille a construit un logement, en dehors de toutes les règles d'urbanisme ; aujourd'hui, l'urbanisme arrive, et il n'y a plus une, mais cinq familles... Que faire ? Il y aurait aussi des occupations sans droit ni titre du coté de Perpignan et dans le Var ; il n'est pas impossible que l'on découvre bientôt d'autres cas. Je ne suis nullement horrifié par ce petit millier de cas ; la République peut les absorber. Vous avez évoqué un principe constitutionnel pour justifier l'extension du champ du texte à tout le territoire national. Pour autant, nous avons adopté une loi Montagne en 1985, puis la loi d'orientation pour la ville et la loi Demessine qui prévoient toutes des dispositions spécifiques pour des territoires zonés. (M. Claude Lise approuve.) Qu'en est-il exactement ? Ne risque-t-on pas de susciter l'incompréhension des élus de métropole? Enfin, si la loi est consensuelle, il n'y a aucun risque que les parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel...
M. Dominique Braye. - Le Gouvernement avait donné un avis favorable à l'assouplissement de la procédure de récupération des parcelles et immeubles manifestement abandonnés à l'article 16 de cette proposition de loi ; la Chancellerie semble revenir sur son avis : faut-il y voir un signe de méfiance envers les collectivités ? Ce serait un mauvais signe. Comment expliquer ce revirement ? Quid du contrôle des aides financières pour les bailleurs sans titre ? Président de l'ANAH, je sais que des bailleurs indélicats demandent parfois jusqu'à 900 euros pour un toit de tôle de 6 mètres carrés posé sur quatre piquets. Nous ne pouvons pas légaliser ces situations inacceptables !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Monsieur Repentin, c'est un vrai débat, que nous avons eu à l'Assemblée nationale. Si l'on avait abordé le problème sous l'angle du droit de la propriété, nous risquions l'inconstitutionnalité. D'où la réaction de la Chancellerie. Les auteurs de la proposition de loi ont donc choisi d'instituer plutôt une aide sociale. Or toute aide sociale votée par le Parlement doit s'appliquer à l'ensemble du territoire national. J'entends vos observations sur le risque d'effet d'appel, mais le texte est bordé : il concerne seulement les implantations depuis plus de dix ans, ce qui limitera le nombre de demandes en métropole. Le problème est autrement plus sérieux en outre-mer où l'habitat informel a prospéré avec la complicité de tous, y compris des pouvoirs publics. Bien souvent, ces habitations sont le seul patrimoine de leurs occupants. En tant que ministre chargée de l'outre-mer, je défends mes territoires. Certaines opérations sont bloquées depuis 20 ans ; c'est le cas notamment au quartier de Trénelle à Fort-de-France ! Résorber ces poches d'habitat insalubre indignes de la République est une nécessité dans le cadre que la Constitution nous impose : celui du régime de l'identité législative.
M. Serge Larcher, rapporteur pour avis. - Les trois premiers articles de ce texte évoquent un barème qui serait fixé par l'État. Celui-ci sera-t-il différencié selon les départements et régions concernés ? Avez-vous une idée du montant de l'aide ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Nous n'en sommes pas encore là. L'arrêté sera fixé par les ministres compétents ; France Domaine fera des propositions qui pourront tenir compte du cout du foncier dans chaque territoire. Nous sommes ouverts.
M. Georges Patient, rapporteur. - Madame la ministre, vous ne m'avez pas répondu : lorsque l'État est propriétaire du foncier, comme en Guyane, l'aide financière sera-t-elle directement prise en charge par l'État ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Il s'agit d'une opération tiroir : d'un coté, libération de foncier qui sera cédé gratuitement à des opérateurs pour construire des logements sociaux, de l'autre, aide à l'occupant sans titre sur la base d'un barème. Voilà la décision qu'a prise le Président de la République lors du conseil interministériel.
M. Georges Patient, rapporteur. - Qui financera ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Le FRAFU, la ligne budgétaire unique (LBU), le « Fonds Barnier ».
M. Georges Patient, rapporteur. - Dans le cadre des opérations RHI, une part de 20 % reste souvent à la charge des communes ; certaines d'entre elles sont déjà exsangues. L'État ne peut-il pas tout prendre en charge ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Les communes doivent être les acteurs de leur développement. Au moment où l'on parle tant du rôle des acteurs publics locaux, ce serait un mauvais message de laisser l'État maître du jeu.
Mercredi 6 avril 2011
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -Audition de M. Hubert du Mesnil, président de Réseau ferré de France (RFF)
M. Jean-Paul Emorine, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui afin de connaître l'activité du Réseau ferré de France (RFF) et de suivre la mise en oeuvre de la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF). Nous avons procédé la semaine dernière à l'audition de Pierre Cardo, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) et nous procéderons prochainement à l'audition de Guillaume Pepy, président de la SNCF. Nous souhaitons donner au réseau ferroviaire actuel le meilleur fonctionnement possible, tout en respectant les objectifs du Grenelle de l'environnement. En préalable à votre intervention, pouvez-vous rappeler la longueur du réseau, son niveau de fréquentation, ainsi que son état général ? Sur ce dernier point nous devons avoir un discours objectif et ne pas céder au catastrophisme...
M. Hubert du Mesnil. - Je constate avec satisfaction que votre commission porte un grand intérêt au sujet ferroviaire. J'espère que mon intervention vous permettra d'avoir une vision claire et objective de la situation du secteur ferroviaire aujourd'hui en France. Le réseau français compte 30 000 km de voies, ce qui le place juste derrière le réseau allemand, mais devant le britannique. Notre réseau national a deux spécificités. D'une part, il est globalement sous-utilisé : deux fois moins de trains circulent en France qu'en l'Allemagne, dont le réseau est de taille comparable au nôtre. Par conséquent, l'équilibre économique du réseau est difficile à trouver, car l'utilisation d'un réseau entraine des coûts fixes indépendants du nombre de trains qui y circulent. D'autre part, notre réseau ferroviaire est très hétérogène. Certains territoires sont très fréquentés, comme l'Alsace ou l'Île-de-France, d'autres territoires voient peu de trains circuler. Aujourd'hui, la moitié du réseau concentre 90 % des trains en circulation. Comment devons-nous gérer notre réseau ? Il ne faut pas supprimer un tiers du réseau comme certains le préconisaient il y a peu encore. Cette solution serait simpliste, car il y a certaines lignes délaissées qui peuvent retrouver rapidement une utilité pour les territoires desservis. J'en viens à l'actualité pour RFF. Nous avons trois points de satisfaction. D'un point de vue financier, le résultat net de RFF reste positif en 2010 et avoisine 200 millions d'euros. Deuxième point de satisfaction : nous avons dégagé une enveloppe très importante pour les investissements. Elle s'est élevée à 3,2 milliards d'euros l'an passé, soit un montant similaire à celui observé en 2009. Enfin, nous avons réussi l'exploit de cantonner la dette en 2010 grâce à des taux d'intérêt très bas et à une bonne gestion de notre trésorerie, nous permettant d'économiser entre 200 et 300 millions d'euros.
Toutefois, je distingue quatre points négatifs. Premièrement, les recettes n'ont pas augmenté. Deuxièmement nous n'avons pas connu de reprise du fret dans notre pays, contrairement à nos voisins européens. Troisièmement, les taux d'intérêt remontent rapidement, ce qui alourdira la charge de la dette. Enfin, les coûts d'entretien du réseau n'ont pas baissé. Dès lors, l'espoir que nous caressions, il y a encore deux ou trois ans, de stabiliser la dette est en train de s'évanouir.
Incontestablement, nous avons enregistré de mauvais résultats en termes de qualité de gestion du réseau. Les causes du mécontentement des usagers sont nombreuses : mouvements de grèves, intempéries, problèmes techniques des locomotives, dysfonctionnement du réseau, vol de matériel... La coupe a un peu débordé pour les voyageurs, et surtout pour les abonnés. Ces difficultés ont généré un sentiment d'exaspération chez une partie de la population. Il faut démêler les responsabilités de chacun afin d'avoir une vision claire de la situation actuelle. A cet égard, je suis surpris de constater la polémique entre la direction de la SNCF et les syndicats sur les statistiques en matière de retard des trains. Les citoyens ont le droit de connaître la vérité. Il faut, selon moi, qu'une source incontestable fournisse ces chiffres. Personnellement, je serais favorable à ce que la direction de la circulation ferroviaire (DCF) assure cette mission. Aujourd'hui, j'estime qu'un quart des problèmes de régularité des trains est causé par l'infrastructure du réseau. Sur ces 25 %, la moitié est directement imputable à l'action de RFF et nous travaillerons à réduire ce chiffre. L'autre moitié résulte de difficultés sur lesquelles RFF n'a pas d'action possible..
M. Jean-Paul Emorine, président. - Je vous remercie pour votre franchise et votre objectivité. La dette initiale, que vous portez depuis 1997, rend votre action difficile et ce sujet n'a pas trouvé de solution satisfaisante de la part des gouvernements successifs. Certes, les trains connaissent de plus en plus de retards, mais gardons-nous de ne parler que des difficultés que traverse le secteur ferroviaire. Il y aura toujours des retards et des imprévus, même si nous devons réduire au maximum les retards de grande ampleur. On ne doit pas traiter de la même manière un train qui assure 3 heures et un autre qui accuse 10 minutes de retard. La DCF créée par la loi ORTF de décembre 2009 constitue un progrès indéniable, mais nous devons aller au bout de la logique : le personnel de la DCF doit être transféré à terme à RFF. Par ailleurs, je rappelle que la SNCF, qui compte 930 filiales, est devenue le premier transporteur routier de France. Enfin, si l'on veut améliorer le fonctionnement du réseau, nous devrons trouver de nouvelles sources de financement.
M. Francis Grignon. - Permettez-moi de rappeler que le réseau alsacien est très fréquenté, mais que les trains y roulent à droite comme en Allemagne contrairement au reste du territoire français, ce qui pose parfois quelques problèmes pratiques... Je regrette que la SNCF et RFF se rejettent mutuellement la responsabilité des retards de trains. Il faut clarifier le paysage institutionnel français dans le secteur ferroviaire. En particulier, la gestion des sillons doit être réformée et simplifiée. Qu'en est-il du cadencement en France ? Suivra-t-on le modèle suisse ? Comment peut-on améliorer l'organisation des travaux sur le réseau ? Après la création de deux salles de marché et le projet fenêtres 2012, quelles sont les actions que vous prévoyez pour améliorer techniquement la gestion des sillons ? Souhaitez-vous à terme qu'un établissement public unique spécifique gère l'ensemble des services à fournir aux entreprises ferroviaires, en distinguant clairement les fonctions régaliennes de gestion du réseau et les fonctions assurées par les opérateurs commerciaux ? Enfin, que pensez-vous de la proposition de Guillaume Pepy de fusionner les réseaux ferroviaires français et allemand ?
M. Michel Teston. - Je remarque au préalable que lorsque nous disposions d'un système ferroviaire intégré en France, on ne se posait pas toutes les questions que l'on se pose aujourd'hui. Le système ferroviaire aux États-Unis ou au Japon est beaucoup plus simple qu'en Europe. Je vous laisse en tirer les conclusions que vous voudrez. Quant à moi, vous savez ce que je pense de la libéralisation du secteur ferroviaire en Europe...
La dette colossale de RFF a des conséquences très négatives. Quand les taux d'intérêt augmentent, RFF a du mal à trouver les financements nécessaires, même si sa notation financière demeure inchangée. Si RFF ne pouvait plus refinancer sa dette, ce serait la catastrophe. Je constate, en outre, que malgré les efforts réels pour régénérer le réseau depuis 10 ans, le rythme actuel demeure insuffisant pour arrêter le vieillissement du réseau et se conformer aux préconisations du fameux rapport de l'école polytechnique de Lausanne de 2005. Enfin, j'observe que beaucoup voient dans les partenariats publics-privés la panacée au désengagement financier de l'État. Je regrette que les collectivités territoriales soient de plus en plus sollicitées. Surtout, le Gouvernement de Villepin a privé l'État d'une ressource financière pérenne en privatisant les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute. Je rappelle, à cet égard, que le budget des transports a baissé de 6 % dans le projet de loi de finances pour 2011, ce qui risque de diminuer les ressources de RFF. Quant à la fusion des réseaux ferrés français et allemand, je n'ai pas d'avis définitif sur la fusion mais je souhaite connaître le sentiment du président de RFF sur cette question.
M. Roland Courteau. - Je souhaite aborder avec vous un problème local qui revêt une grande importance à mes yeux. Alors que le contournement ferroviaire Nîmes-Montpellier est acquis et que la section à grande vitesse Perpignan-Figueras vient d'être inaugurée, le chaînon Perpignan-Montpellier reste absent de la carte des liaisons à grande vitesse. Depuis 1990, on nous promet de réaliser ce projet... Où en est-on sur l'étude préalable à l'enquête d'utilité publique ? Quand sera mis en place ce chaînon manquant ? Quelle sera la participation financière de l'Union européenne ? Mon collègue sénateur Marcel Raynaud et moi-même sommes très mobilisés sur ce dossier, qui est essentiel pour l'avenir de nos territoires. Parmi les nombreux tracés actuellement à l'étude, nous devons retenir celui qui réponde aux préoccupations environnementales des riverains, qui limitent l'impact économique sur les vignobles et qui tiennent compte de la problématique des zones inondables. Enfin, je souhaite que la nouvelle gare TGV soit située dans l'Aude, car cet emplacement serait cohérent avec le futur axe Narbonne-Toulouse.
M. Louis Nègre. - Nous ne devons pas céder au catastrophisme, mais pour les voyageurs la situation est préoccupante. Dans ma région, de nombreux usagers mécontents de la SNCF se sont réunis au sein d'une association au nom emblématique : « les naufragés du TER ». Comment répondre à leur mécontentement ? Quant au fret, il se porte de plus en plus mal. Quel est le montant de la dette actuelle de RFF et à combien s'élève la charge annuelle ? S'agissant de la rénovation des voies, vous régénérez en moyenne 1 000 kilomètres de voies par an, contre 500 kilomètres par an il y a peu encore. Ce rythme est-il suffisant pour arrêter le vieillissement de notre réseau ? A long terme, les travaux auront un impact positif sur le fonctionnement du réseau mais, à court terme, ils provoquent des retards et des perturbations évidentes. La loi dite Grenelle I prévoit la réalisation d'un grand nombre de lignes à grande vitesse. Compte tenu de la dette de l'État et de RFF pourra-t-on réaliser cet ambitieux programme ? Ne serons-nous pas amenés à faire des choix et à établir des priorités ? En matière de fret ferroviaire, nous souhaitons créer un réseau orienté fret. C'est une bonne chose, mais le fret ferroviaire en France connaît un manque de fiabilité très pénalisant. En Grande-Bretagne, pays pourtant décrié par de nombreux commentateurs, la régularité en matière de fret est de 99 %. Cette comparaison doit nous interpeller, même si le réseau britannique est plus petit que le nôtre. En outre, j'observe que le niveau de sécurité du réseau outre-manche est le meilleur d'Europe, alors qu'il était particulièrement alarmant dans les années 80-90. Le transport routier coûte 50 % moins cher que le transport ferroviaire, qui n'est pertinent qu'au-delà de trajets supérieurs à 300, voire 500 km, sauf pour quelques produits comme le transport des matières dangereuses. Comment peut-on, selon vous, relancer l'activité du fret ferroviaire en France ? RFF bénéficie-t-il des moyens de ses ambitions ?
M. Marcel Deneux. - Pouvez-vous rappeler la structure actuelle de la dette de RFF ? Quant au partenariat public-privé, j'observe que RFF a signé récemment un important contrat pour développer le GSM Rail.
Mme Mireille Schurch. - Selon RFF, 15 000 km de voies ne sont utilisés que par 10 % des trains en circulation. Quelle politique allez-vous mener sur cette partie du réseau a priori très déficitaire ? Comptez-vous mettre en place une péréquation entre cette partie sous-utilisée du réseau et l'autre partie plus fréquentée ? J'observe que la Cour des comptes a critiqué la politique d'investissement de RFF, qui a donné la priorité au développement du réseau plutôt qu'à sa régénération. Dès lors, comment peut-on requalifier la partie du réseau peu utilisée ? J'en viens maintenant au schéma national des infrastructures de transports (SNIT). Ce document met en oeuvre les engagements du Grenelle de l'environnement. Quel est votre sentiment sur ce document ? La ligne à grande vitesse reliant Paris, Orléans, Clermont-Ferrand et Lyon, également appelée POCL, est indispensable pour aménager le territoire national et désenclaver le Massif central, aujourd'hui délaissé par le maillage à grande vitesse. Le récent rapport de notre collègue député, M. Michel Voisin, sur la libéralisation du transport ferroviaire en Europe, a indiqué que le TER était devenu un outil incontestable et performant de l'aménagement du territoire, mais que paradoxalement il n'était pas soumis à appel d'offre. Qu'en pensez-vous ? Ne serait-il pas plus pertinent de confier à l'ARAF plutôt qu'à la DCF la mission de gérer les statistiques en matière de régularité des trains ? Enfin, je doute fort que les intempéries que nous avons connues l'an passé aient été sans commune mesure avec celles des années précédentes...
M. Hubert du Mesnil. - Je tiens au préalable à faire deux remarques : d'une part, gardons-nous de dresser un tableau apocalyptique de l'état du réseau ferroviaire français. Pensons à l'impact psychologique de tels propos sur les acteurs du monde ferroviaire, qui risquent de se sentir accablés par les critiques en tout genre. Nous devons trouver le ton juste. Nous avons eu de bons chiffres l'an dernier en termes de sécurité. Il n'y a eu aucune victime à cause des intempéries de neige en France ! Nous avons connu des difficultés sérieuses en 2010, mais nos voisins ont également été confrontés à des difficultés similaires. D'autre part, je pense que nous devons éviter les polémiques et les anathèmes. Nos concitoyens détestent cela. RFF s'est toujours montré solidaire de la SNCF quand elle était critiquée. Nous devons agir sereinement, dans la limite de nos compétences respectives. J'en viens à la question du fret. Fret SNCF doit réduire la voilure afin de résorber ses pertes de 500 à 600 millions d'euros par an. L'entreprise historique a arrêté rapidement de nombreux contrats de transport de marchandises, qui n'ont pas tous été repris par les concurrents privés. Du coup, le trafic total de fret ferroviaire n'a pas augmenté en 2010. Je crois qu'il était effectivement nécessaire d'assainir la situation du fret SNCF, et que nous observerons prochainement une reprise de la croissance de l'entreprise historique ainsi que la poursuite de la montée en puissance de ses concurrents. N'oublions pas que les concurrents du fret SNCF ont dépassé il y a un mois la barre de 20 % du trafic total de fret ferroviaire. Il existe des gisements de production importants. Pensez que seuls 10 % des marchandises du port du Havre sont acheminés par voie ferroviaire ! La qualité de nos sillons ? Elle n'est pas au rendez-vous. Et je l'assume. Nous sommes aujourd'hui en situation de crise. L'ARAF l'a pointé du doigt dans son avis du 2 février dernier, et l'École Polytechnique de Lausanne avait précédemment mis en exergue trois faiblesses dans la gestion de nos sillons : le cadencement n'était pas suffisamment développé, l'organisation des travaux était défaillante, et le travail des horairistes, partagés entre la SNCF et RFF, était perfectible.
S'agissant du cadencement des horaires, nous avons commencé ce vaste projet il y a maintenant 4 ans en Rhône-Alpes, afin de nous mettre au diapason du reste de l'Europe. Personne ne peut raisonnablement s'y opposer, mais comment le mettre en place concrètement ? Je pense que cette mise en place doit être progressive, on est aujourd'hui à mi-parcours. Nous avons 5 ans devant nous pour l'achever. Le réseau français ne sera jamais totalement cadencé, car un tel objectif serait hors de portée. D'ailleurs le cadencement n'aurait guère de sens sur les lignes à faible trafic. J'avoue que nous avons peut-être voulu, à RFF, aller un peu trop vite. Les régions ont demandé à avoir un peu plus de temps devant elles, d'autant que beaucoup de travaux sur les voies sont programmés. Quant à l'organisation des travaux, justement, nous devons davantage les anticiper, les rationaliser, choisir des dates opportunes et mieux informer les usagers. L'idée fondamentale est de regrouper, au moins un an à l'avance, tous les travaux sur une même ligne : par exemple les travaux d'entretien, le renouvellement des caténaires, du ballast, etc.
Par ailleurs, l'exemple suisse nous montre qu'il serait utile de regrouper les bureaux horaires de RFF et de la SNCF. La création, en à peine une année, de la DCF, qui regroupe 14 000 personnes, est un progrès indéniable. C'est pourquoi j'ai proposé, a minima, que les horairistes de la DCF et de RFF travaillent sur un même plateau. Il faut en outre veiller à l'indépendance de la DCF. Actuellement, RFF fait le plan général des horaires, en quelque sorte, tandis que la SNCF fait le plan de détail. Mais cette répartition des rôles est source de désaccords. D'autant plus que les outils informatiques utilisés par les uns et par les autres sont différents. Je suis convaincu que le simple rapprochement physique et informatique des personnels chargés de la conception des horaires apporterait un mieux. J'ai suggéré à la SNCF et à la DCF de procéder à ce regroupement.
Méfions-nous de la publicité donnée au débat académique sur les structures idéales en matière ferroviaire. En mettant en doute la pérennité des structures actuelles, on créé un risque de déstabilisation. Pour les personnels, il en résulte soit la peur, soit la tentation de l'inaction. Alors qu'il est certain que des progrès immédiats peuvent être réalisés sans modification des structures.
En ce qui concerne la régénération des voies, nous sommes remontés à un rythme de 1 000 kilomètres de voies par an après être tombés à 400 kilomètres. Est-ce suffisant ? Pas tout à fait. Le vieillissement du réseau est ralenti, mais il continue. Entre 2000 et 2007, l'âge moyen des voies s'est accru de cinq ans. Depuis 2007, il n'a augmenté que d'un an et demi. Notre objectif est d'arrêter ce vieillissement, puis d'engager le rajeunissement du réseau. L'effort de rénovation devrait permettre une stabilisation du vieillissement à l'horizon 2015, puis un rajeunissement à l'horizon 2020. Le coût d'entretien devrait diminuer en conséquence.
La question est de savoir si nous en aurons les moyens. En 2011, l'effort de rénovation a dépassé, pour la première fois dans l'histoire de RFF, les autres dépenses d'investissement : 1,8 milliard d'euros y ont été consacrés, sur un total de 3,2 milliards d'euros d'investissements. Toutefois, nous ne sommes pas certains de pouvoir continuer à ce rythme, car il manque un milliard d'euros par an, soit la différence entre 5,5 milliards d'euros de recettes et 6,5 milliards d'euros de coût total du réseau. L'alternative est simple : soit l'on réduit l'effort de rénovation, soit l'on s'endette. Ma position est qu'il ne faut surtout pas arrêter cet effort d'investissement, qui mérite d'être poursuivi pendant au moins dix ans. Nous avons réussi à abaisser le coût moyen de la rénovation à un million d'euros par kilomètre, à comparer à un coût de 15 à 20 millions d'euros par kilomètre pour la construction d'une ligne à grande vitesse.
RFF a réussi à traverser la crise financière internationale sans difficulté. Nous nous sommes adressés à d'autres établissements financiers que les banques. RFF est adossé à l'État, dans un pays où les infrastructures ont une bonne image internationale, et nous avons émis des obligations. C'est ce qui nous permet de bénéficier d'une notation triple A. Mais une dégradation demeure toujours possible, et la hausse des taux d'intérêt va s'accentuer. RFF dépense 1,2 milliard d'euros par an pour les intérêts de sa dette.. Alors que sa dette d'origine s'élevait, en 1997, à 20 milliards d'euros, la dette supplémentaire, qui s'élève à 8 milliards d'euros, a été consacrée au financement de projets rentables, qui doivent donc en permettre le remboursement. Le problème pour nous est la gestion de la dette historique.
Nous avons une collaboration croissante avec nos homologues allemands, qui savent particulièrement bien programmer leurs travaux. Nous avons des partenariats avec DB Netz, alors que nos contacts étaient quasi inexistants il y a deux ans encore. Peut-on aller au-delà ? Là aussi, je dirais que l'essentiel, dans un premier temps, n'est pas de mettre en avant les questions de structures, mais de mettre du lien entre les personnes.
S'agissant des lignes à grande vitesse, il ne revient pas à RFF de décider de l'opportunité des projets. S'il y avait toutefois un choix à faire, je souhaiterais que l'on donne la priorité à la rénovation plutôt qu'au développement du réseau. Il me paraît opportun de mixer les partenariats public-privé et les projets classiques. L'expérience des PPP peut faire évoluer la conception des projets. Comparons ensuite les résultats avec pragmatisme.
M. Michel Teston. - Nous ne disposerons des résultats que dans cinquante ans !
M. Hubert du Mesnil. - Nous avons déjà un premier rendez-vous en décembre prochain avec le TGV Rhin-Rhône. Je suis convaincu que tous les grands axes de lignes à grande vitesse européens vont se faire. Par exemple, je ne doute pas que nous ferons le bouclage vers l'Espagne par le Sud Est et par le Sud Ouest, parce que ces lignes sont soutenues par l'Union européenne.
En ce qui concerne la péréquation, j'estime qu'il est de la responsabilité de RFF d'organiser une forme de mutualisation. Un établissement public national a la responsabilité de contribuer à l'aménagement du territoire. C'est pour cette raison que nous augmentons les péages sur les lignes à grande vitesse. Alors que nous enregistrons une diminution des subventions, il n'y a pas d'autres solutions pour moderniser le réseau secondaire. Mais on ne s'en sortira pas si l'on ne parvient pas à faire fonctionner de manière plus économique les lignes du réseau secondaire, où la vitesse de circulation doit être comparée à la route.
M. François Patriat. - Quand les Français sont exaspérés par les dysfonctionnements ferroviaires, ils ne s'adressent pas à RFF, mais se tournent vers les présidents de régions, au moins en ce qui concerne les retards des TER. Le cadencement nous a coûté cher, 25 à 30 millions d'euros pour la région Bourgogne. Et la SNCF n'a pas les moyens de tenir ses engagements. Il en résulte un grand désenchantement. Nous allons vers une diminution de l'offre des trains cadencés, qui ne sont pas assez fréquentés.
De grâce, n'augmentez plus les péages, parce que nos recettes, elles, demeurent constantes. Nous devons aujourd'hui arrêter les lignes à grande vitesse expérimentales : Dijon-Le Havre via Roissy, parce qu'elles coûtent trop cher à la région. Vous nous dites aussi que l'on va réaliser la liaison Rhin-Rhône. Mais l'on m'a indiqué que la branche Est vers Mulhouse et Dijon ne se fera pas immédiatement, parce qu'il n'y a pas de PPP. On va donc tout arrêter, alors que les études sont faites, les terrains achetés et que les régions concernées sont prêtes à payer leur part.
M. Gérard Cornu - RFF a connu de mauvais résultats en ce qui concerne la qualité du service. Je le vis quotidiennement, en tant qu'utilisateur de l'une des douze lignes les moins performantes de France, celle qui relie Chartres à Paris. Je comprends bien votre souci de ne pas vous renvoyer la balle avec la SNCF. Mais la confusion des responsabilités n'aide pas les utilisateurs à y voir clair : ils ne peuvent que constater les retards.
Dans notre département, nous avons envie de rénover les voies, de mettre en place des cadencements, un réseau étoilé, sachant que les prévisions nous feraient passer de 10 000 passagers par jour à 20 000 dans cinq à dix ans. Mais dans l'état actuel des lignes, nous allons droit à la catastrophe.
M. Alain Fouché. - Les contraintes pesant sur RFF sont très fortes. L'endettement s'accroît, alors que les recettes sont réduites. Alors que chacun veut sa ligne à grande vitesse, je ne vois pas d'autre solution qu'un endettement de nécessité.
M. Rémy Pointereau. - J'ai cru comprendre que la réalisation de nouvelles lignes à grande vitesse n'était pas la priorité pour la SNCF. Vous nous dites que vous réaliserez les projets au rythme que l'on vous indiquera. Mais le nerf de la guerre demeure le financement. Je ne vois pas comment faire sans recourir massivement aux PPP. Quel est le potentiel dans ce domaine d'ici 2020 ? Ce n'est pas la peine de faire rêver inutilement les acteurs économiques et les décideurs politiques qui soutiennent tel ou tel projet de ligne à grande vitesse. Dites-nous clairement quelle est la situation et votre position sur le sujet.
M. Jean Boyer. - Considérez-vous que vous disposez d'un service d'intervention performant en cas de panne ? Quand un problème technique se pose, il faut de longues heures pour lui apporter une solution. Un service de proximité ne serait-il pas plus efficace ?
La stratégie commerciale de la SNCF me semble souffrir de faiblesses. Les points forts comme la sécurité, la moindre pollution, la convivialité pour les voyages en groupes sont insuffisamment valorisés.
M. Gérard Bailly. - Vous n'avez pas évoqué la question du point de chute de la branche sud de la liaison Rhin-Rhône : s'agira-t-il d'une ligne mixte, comme le voudrait RFF, ou d'une ligne à grande vitesse uniquement pour les voyageurs, comme le voudrait la SNCF ? Y'a-t-il ici un désaccord entre la SNCF et RFF, qui pourrait expliquer le blocage du dossier ? Par ailleurs, des discussions sont engagées avec la Suisse pour le Lyria, à l'horizon 2014, qui pourraient déboucher sur une réduction des dessertes de la Franche-Comté. Est-ce la SNCF ou RFF qui est compétent pour conduire ces discussions ?
M. Serge Godard. - La ligne Paris-Orléans-Clermont-Lyon est vitale pour le bassin clermontois. Elle fait partie du programme complémentaire prévu par le SNIT, au-delà des 2 000 kilomètres de lignes prioritaires. Si ce programme prioritaire prend du retard, cela signifie-t-il que ce programme complémentaire prendra également du retard en conséquence ?
Le massif central est relié à Paris par une ligne traditionnelle, qui a connu beaucoup de problèmes ces derniers mois. Nous ne pouvons pas espérer de ligne à grande vitesse avant 15 ans. Que fait-on en attendant pour la ligne existante ? Il y a bien eu un effort pour porter la vitesse de circulation à 200 kilomètres heures sur quelques dizaines de kilomètres. Les attentes sont importantes en matière de confort et de fiabilité.
Vous nous avez dit que le coût de fonctionnement du réseau s'accroît. Quelles en sont les raisons ? Est-ce dû au vieillissement des voies ?
M. Hubert du Mesnil. - Je comprends l'attitude des régions quant au financement et la qualité de service des TER. Il faut veiller à ce que le cadencement n'engendre pas une hausse de la demande de TER.
M. Jean-Paul Emorine, président. - Les régions sont en partie responsables de la situation actuelle. J'observe, par exemple, que le TER entre Dijon et Lyon passe toutes les heures et ne transporte parfois que quelques passagers. Quel est l'impact environnemental et le coût financier d'une telle politique de transport ?
M. Hubert du Mesnil. - Quant à l'évolution des péages ferroviaires, je ne souhaite pas polémiquer. J'observe simplement qu'il revient à l'ARAF de donner un avis conforme sur ces péages et donc d'être le bon arbitre. En outre, RFF est favorable à la baisse des péages ferroviaires pour les TGV dits « transversaux » car ces lignes sont plus difficiles à rentabiliser.
Ne nous méprenons pas sur les partenariats publics-privés. Ils s'accompagnent souvent de subventions publiques importantes. En règle générale, il faut entre 60 % et 80 % d'argent public pour un projet LGV. Qu'un projet soit réalisé sous forme de PPP ou de maitrise d'ouvrage classique importe finalement peu, la question fondamentale demeure la part de l'argent public, qu'il vienne de l'État français, des collectivités territoriales ou de Bruxelles.
M. Francis Grignon. - D'où l'intérêt de mettre rapidement en place la taxe poids lourds.
M. Hubert du Mesnil. - En vérité, le principal intérêt du recours aux PPP est de permettre à RFF de mener plusieurs projets de LGV en même temps. Aujourd'hui, trois PPP ont été lancés, et un projet est piloté en maitrise d'ouvrage directe par RFF. S'agissant du projet POCL, RFF va s'impliquer pour que le débat public sur ce projet soit un succès, tout en restant dans sa sphère de compétence.
A titre personnel, je me félicite que l'État ait endossé le rôle d'autorité organisatrice de transport pour les trains d'« équilibre du territoire ». Concrètement, l'État est désormais chargé du devenir de quelque 50 lignes de train Corail qui étaient jusqu'alors en situation de perdition... Il s'agit d'une bonne décision politique, qui oeuvre efficacement pour l'aménagement du territoire.
Je reconnais que nous devons renouveler nos efforts en matière de réactivité de nos équipes pour faire face aux intempéries et autres problèmes du réseau. Nous devons diminuer le temps d'intervention en cas de dépannage, et nous y travaillons avec la DCF et SNCF Infra.
Les coûts d'entretien du réseau augmentent trop vite. Cette évolution renvoie au vieillissement du réseau depuis 30 ans, à l'intégration du surcoût des retraites des cheminots et à la productivité insuffisante de la branche SNCF Infra en charge de l'entretien du réseau. Cette branche compte aujourd'hui 40 000 cheminots. Je pense, sans empiéter sur les compétences de la SNCF, que l'on pourrait faire mieux avec moins de personnes. Un cercle vertueux pourrait être enclenché entre RFF et SNCF Infra : RFF s'engagerait à investir massivement et régulièrement dans la régénération du réseau en contrepartie de gains de productivité de SNCF Infra.
S'agissant du projet de LGV Rhin-Rhône, la question de la mixité de la nouvelle branche n'est toujours pas tranchée et demande des approfondissements. Ne perdons pas de vue que sur les lignes à faible rentabilité, il faut trouver des moyens de faire circuler beaucoup de trains. La mixité de la ligne peut être un moyen parmi d'autres de rendre un projet rentable et d'éviter qu'il soit simplement abandonné.
Quant à la ligne Corail actuelle Chartres-Paris, qui fait partie des 12 lignes jugées prioritaires par Guillaume Pepy, RFF s'engage naturellement à aider la SNCF pour répondre aux attentes des usagers.
M. Michel Teston. - Le cadencement est une bonne solution pour RFF. Ceci dit, dans certaines régions, le réseau est saturé. Il faut donc améliorer la gestion du réseau dans les territoires congestionnés, comme l'Île-de-France ou la région lyonnaise.
M. Jean-Paul Emorine, président. - Je vous remercie pour votre intervention qui nous a éclairés sur l'évolution souhaitable de la DCF, de la SNCF Infra et sur la coopération entre les gestionnaires de réseaux en Europe. A moyen terme, il faut augmenter la transparence pour que RFF assume pleinement ses responsabilités de gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire. Des décisions politiques devront être prises pour assurer le financement des besoins issus du Grenelle de l'environnement.