- Mercredi 7 juillet 2010
- Table ronde sur la défense anti-missiles balistiques
- Accord entre la France et l'Allemagne visant à mieux sanctionner les infractions aux règles de la circulation - Examen du rapport
- Accord entre la France et la Roumanie d'assistance et de coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence - Examen du rapport
- Convention sur la responsabilité civile en cas de pollution par les hydrocarbures de soute - Examen du rapport
- Accord entre la France et le Cameroun instituant un partenariat de défense et accord entre la France et le Togo instituant un partenariat de défense - Examen des rapports
Mercredi 7 juillet 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Table ronde sur la défense anti-missiles balistiques
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission tient une table ronde sur la défense anti-missiles balistiques (DAMB) avec la participation de :
- M. Antoine Bouvier, président de MBDA,
- M. Luc Vigneron, président-directeur général de THALÈS,
- M. Jean-Paul Herteman, président du Directoire du groupe SAFRAN.
M. Josselin de Rohan, président - MBDA, Thales et Safran, avaient signé en avril 2008, dans le cadre de la préparation du Livre blanc, une « feuille de route », destinée à éclairer les différents scénarios possibles. Cette feuille de route prévoyait une évolution en deux étapes du système Aster vers une capacité contre les missiles balistiques jusqu'à 3 000 km de portée. Ce document fournissait également un calendrier et un cadrage budgétaire. Il ne prévoyait pas d'associer les partenaires européens, mais l'objectif était de les associer le plus largement possible. A l'époque où cette feuille de route a été écrite, la défense anti-missiles balistiques ne faisait pas l'unanimité et était considérée, dans notre pays, comme de nature à porter atteinte à la dissuasion. Depuis il y a eu les orientations de la nouvelle administration américaine, les déclarations répétées du nouveau secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, en faveur de la DAMB et puis la préparation du sommet de Lisbonne. Si bien que la question aujourd'hui n'est pas de savoir si nous allons participer à cette aventure technologique, mais plutôt comment : en nature ou en espèces, et dans quelles conditions ?
Entre temps aussi, il y a eu les essais réussis que MBDA vient d'achever pour démontrer l'efficacité du missile Aster 30. Des tirs ont été effectués, au mois de juin, à partir de la frégate italienne Horizon « Andrea Doria », la frégate française Horizon « Forbin » et de la barge d'essais britannique « Longbow » représentative des frégates britanniques Type 45, ces deux derniers tirs ayant été organisés par la DGA sur son centre de l'île du Levant en Méditerranée. Ces essais ont été conduits face à une gamme de scénarios d'une complexité croissante pour s'achever par un scénario mettant en oeuvre un tir en salve contre une cible à vol rasant au dessus des flots et effectuant une manoeuvre terminale sous fort facteur de charge. Ces trois essais ont été des succès complets et, à chaque fois, les systèmes surface-air PAAMS (Principal Anti Air Missile Systems) et les missiles Aster ont fonctionné comme prévu. Thales a, pour sa part, sans doute beaucoup progressé dans les senseurs, c'est-à-dire les radars de détection, dont j'ai cru comprendre qu'ils intéressaient nos amis américains, et Safran nous fera part de ses avancées technologiques. Tout cela montre qu'une contribution de la France, voire de certains pays européens, sous forme de briques technologiques, n'est pas une utopie.
Dans le même temps, tout le monde sait que la crise économique va maintenant se traduire par une contraction des budgets nationaux, si on veut éviter de prendre le chemin de la Grèce. Les budgets de la défense, même s'ils ont déjà beaucoup donné, ne seront pas épargnés. D'autant que le seul argument qui reste contre la DAMB est bien la crainte que cela ne se transforme en un gouffre financier.
Alors que faire ?
M. Antoine Bouvier, président de MBDA - La DAMB est devenue un sujet stratégique majeur, mais c'est aussi la quadrature du cercle. Dans un contexte de forte réduction des budgets de défense, ce n'est pas une priorité opérationnelle aujourd'hui exprimée par les forces. De plus, son articulation conceptuelle avec la dissuasion nucléaire fait encore débat. Enfin, les Etats-Unis d'Amérique dépensent des budgets colossaux pour se doter d'un système de défense anti-missiles, de l'ordre de 10 milliards de dollars par an, et ce depuis des décennies.
Dans ces conditions, que faire ? D'autant que la nouvelle posture de l'administration américaine nous force à prendre position. Mais posons-nous d'abord la question : « que se passerait-il si on ne faisait rien sur la DAMB ? ». Dans ce cas, notre pays en particulier et l'Europe en général n'échapperaient probablement pas à un alignement stratégique sur la politique américaine et, in fine, nous devrions procéder à des achats sur étagères d'équipements américains. Une attitude défensive et dilatoire n'est donc plus de mise.
C'est pourquoi, dés 2008, MBDA, Thales et Safran ont élaboré une feuille de route avec un objectif à la fois réaliste et répondant au principe de souveraineté. Il s'agit d'une approche incrémentale qui part des systèmes existants et développe de nouvelles capacités étape par étape, tout en prenant en compte les contraintes financières des Etats européens. L'objectif est de renforcer le pilier européen de l'Alliance, en complétant le dispositif américain par des capacités européennes qui ne dupliqueraient pas des systèmes américains existants, mais, au contraire, apporteraient une véritable plus-value opérationnelle au système OTAN.
La menace balistique est une réalité. Les missiles de théâtre se développent de plus en plus comme une alternative à l'aviation de combat en particulier dans certains pays du Moyen-Orient. Cette menace est déjà prise en compte par plusieurs nations, pas seulement les Etats-Unis, mais aussi la Russie, le Japon, Israël, la Chine et l'Inde. Si la France veut conserver une capacité de nation-cadre, capable d'entrer en premier sur un théâtre d'opération extérieure, cet élément de la DAMB est essentiel.
Une forte impulsion a été donnée par la nouvelle administration américaine. Le « troisième site » en Europe a été abandonné, de même que les négociations bilatérales relatives à son implantation. Les priorités ont été réorientées vers le déploiement de systèmes d'armes et de senseurs en Europe, dans un cadre OTAN. Il n'en reste pas moins que les Américains font preuve d'une véritable agressivité à l'export et que la DAMB structure désormais les accords de défense conclus par les Etats-Unis. C'est le cas en Asie du sud-est avec le Japon qui est directement menacé par la Corée du nord. C'est le cas pour les pays du GCC qui recherchent la protection des systèmes américains contre la menace balistique iranienne , C'est le cas pour Israël qui se sent menacé par ses voisins, et c'est le cas aussi en Europe.
La nouvelle démarche américaine de la PAA (Phased Adaptive Approach) ne rencontre quasiment pas d'opposition parmi les pays de l'OTAN.
Au demeurant, le calendrier américain en Europe s'est accéléré. L'implantation des armes navales pourrait avoir lieu dès 2011 et celle des armes terrestres en 2015. Il y aurait ensuite, en 2018 et en 2020, le déploiement de systèmes d'armes avec des performances accrues.
La DAMB sera un des sujets importants du sommet de l'OTAN à Lisbonne en octobre prochain. Le problème est que, dans la préparation de ce sommet, la question financière a été complètement escamotée. Les chiffres annoncés sont incohérents. Ce n'est pas avec 200 M€ que l'Europe mettre en place sa contribution aux capacités OTAN déployées sur le territoire européen et répondra à la demande américaine d'un meilleur « partage du fardeau ».
De plus la DAMB constitue un enjeu majeur pour les industriels français. Les performances requises pour l'interception des missiles balistiques -temps de réaction, vitesses et manoeuvrabilité des intercepteurs- tirent le savoir-faire des industriels vers le haut dans les domaines de la détection et de l'alerte, du commandement et de la conduite, de la poursuite et de l'interception. Le développement de ces capacités fournirait un levier de compétitivité pour l'industrie française en lui permettant d'acquérir des technologies génériques plus performantes en maintenant et en enrichissant les compétences actuelles. En termes de marchés et d'exportations, la DAMB sera dimensionnante. La DAMB sera une des locomotives de l'industrie de défense dans les prochaines décennies.
Ce qui ne trompe pas c'est la position des Etats-Unis sur ce sujet qui rappelle ce qui s'est passé sur l'avion de combat JSF - joint strike fighter. Le cofinancement de ce projet a asséché les budgets de recherche et développement européens et donc réduit les capacités de l'Europe à développer un jour la nouvelle génération d'avions de combat, après l'Eurofighter et le Rafale.
Tels sont les enjeux de la DAMB pour les acteurs de la défense.
M. Luc Vigneron, président de Thales : la France est le seul pays européen disposant des compétences permettant de couvrir l'ensemble du spectre de la DAMB. Les compétences combinées de MBDA, Thales, Safran et Astrium couvrent le domaine de l'interception, celui des systèmes de commandement et de conduite, les senseurs, les missiles et les technologies associées.
Surtout, la France a déjà investi et pris des engagements dans le domaine de la DAMB.
La France a notamment développé le SAMP/T, qui doit être doté d'une capacité anti-missiles balistiques de théâtre que la France s'est engagée à mettre à la disposition de l'OTAN en 2015. La France a également choisi de se doter d'une capacité d'alerte avancée (Système Satellitaire Opérationnel, TLP). La France et son industrie occupent enfin une place prépondérante dans les programmes de l'OTAN destinés à doter l'Alliance d'une première capacité DAMB (Architecture et C2).
Cet acquis peut permettre à la France de saisir l'opportunité ouverte par la nouvelle politique américaine, en contribuant en nature, avec nos systèmes, aux efforts de l'Alliance en complémentarité avec les USA. Il faut être capable d'effectuer la traversée du désert budgétaire le temps qu'il faudra, afin de maintenir les capacités d'ingénierie nécessaires pour redémarrer le moment venu. Il ne faut pas refaire l'expérience du JSF. Il faut également prendre conscience du calendrier et agir aujourd'hui pour être prêt à temps. Cette ambition industrielle suppose de maintenir des capacités industrielles permettant de conserver une vision globale française. Pour cela, il est nécessaire de passer des études sur le papier à une première capacité démontrée et à des projets crédibles et, enfin, de préparer une capacité d'intervention en couche haute à travers des projets fédérateurs ; cela permettrait de répondre au potentiel de croissance du SAMP/T attendu par le marché export.
Pour être au rendez-vous de 2015, il faudrait disposer d'une première capacité d'alerte avancée (radar très longue portée/satellite), d'une première capacité de DAMB autonome de théâtre (acquisition du GS1000 pour compléter le SAMPT) et des briques technologiques de couche haute, ce qui suppose de pouvoir bénéficier de programmes d'études amont.
Une telle approche permettrait de maîtriser les coûts de la contribution française à une défense collective et de garantir un retour industriel, afin de ne pas être contraint, à terme, de devoir financer un programme taillé sur mesure pour l'industrie américaine, au prix fixé par les Américains.
Le système SAMPT est la première brique de la DAMB de théâtre française.
Dans sa capacité dite « block1 », le SAMP/T dispose de performances exceptionnelles contre les cibles aériennes : aéronefs et missiles de croisière manoeuvrants (sub et supersonique). Mais il est également prévu pour traiter les missiles balistiques de portée inférieures à 600 km. Mais, pour cela, le système doit recevoir une désignation d'objectif du radar GS 1000, radar issu du PEA M3R mais dont l'acquisition n'est pas prévue avant 2022.
La seconde étape serait la capacité dite « block 1 NT ». Il s'agirait d'une capacité identique à la capacité Block 1 contre les cibles aériennes ; d'une capacité « consolidée » contre les missiles de portée jusqu'à 600 km, enfin d'une capacité contre les missiles de portée entre 600 km et 1.000 km avec le radar GS1000 comme radar de conduite de tir.
Enfin, la troisième et dernière étape serait la capacité block 2 qui inclurait la capacité block 1 NT, mais également celle contre les missiles balistiques jusqu'à 3.000 km, y compris manoeuvrants, avec des missiles dédiés antibalistiques (Aster Block 2) et un nouveau radar de conduite de tir (GS1500, évolution du GS1000).
M. Antoine Bouvier, président de MBDA - MBDA souhaite qu'Astrium-ST soit étroitement associé à la feuille de route sur l'évolution des systèmes ASTER lancée à l'initiative de MBDA, SAFRAN et THALES. Une contribution d'Astrium serait en particulier bienvenue dans les domaines suivants : connaissance de la menace ; maîtrise de la séparation des étages et conception aéromécanique des parties de l'intercepteur soumises à hautes températures. L'objectif est de mobiliser l'ensemble des acteurs afin de composer la meilleure équipe de France possible.
S'agissant de la problématique des interceptions endoatmosphériques ou exoatmosphériques, plusieurs points mériteraient d'être clarifiés. Les Etats-Unis ont dépensé des sommes colossales dans l'interception exoatmosphèrique. Le Japon, qui a coopéré avec eux n'a obtenu, malgré une contribution financière très significative qu'une part industrielle faible et un contenu technologique limité. Ce type de coopération déséquilibrée entre partenaires inégaux tourne vite à la sous-traitance. Les progrès qui seraient requis pour coopérer sur un pied d'égalité ne sont à la portée ni de la France ni même de l'Europe, en tous cas pas dans les enveloppes budgétaires envisagées jusqu'à présent. Dans ces conditions toute perspective de coopération des Etats-Unis sur la DAMB exoatmosphérique serait un leurre.
En outre, l'exoatmosphérique ne traite pas l'intégralité de la menace, loin s'en faut. La faisabilité technique des systèmes d'interception à altitude moyenne/haut endoatmosphérique n'est plus remise en cause. Ces systèmes permettent de couvrir la gamme de menaces balistiques de nouvelle génération, non interceptables par les systèmes exoatmosphériques. Il s'agit par exemple des missiles russes de type SS 26 Iskander ou chinois M9. Cette menace n'est couverte ni par la nouvelle génération de missiles Patriot, ni par le missile SM-3, ni même par les systèmes THAAD (Theater High Altitude Area Defense). Il existe donc dans les systèmes américains ce qu'on pourrait appeler des « trous dans la raquette » qui sont autant d'opportunités pour l'Europe de contribuer en nature ses propres systèmes.
Dans la DAMB, qui peut le plus, ne peut pas nécessairement le moins : la capacité d'interception exoatmosphérique de missiles longue portée est inefficace contre les missiles courte et moyenne portée qui ne sortent pas, ou pas assez longtemps, de l'atmosphére.
M. Luc Vigneron - Pour conforter la faisabilité des systèmes d'interception haute altitude, nous recommandons un programme d'études sur cinq ans, cohérent avec les principes d'un projet fédérateur afin de pas se retrouver en 2015 avec pour seul choix d'acheter américain sur étagères. Ce calendrier français est cohérent avec celui de l'OTAN.
La première étape serait de disposer dès 2015 d'une première capacité de théâtre autonome pour les menaces de portée inférieure à 600 km. Pour cela, il faudrait finaliser la capacité anti-balistique du SAMP/T ce qui nécessite l'acquisition de deux radars GS1000, acquisition qui n'est pas prévue avant 2022. Accélérer ce calendrier permettrait de démontrer sans délai une capacité et conforterait donc notre crédibilité politique et industrielle. Cela permettrait également de disposer d'une capacité opérationnelle pour la protection des forces projetées et des implantations militaires hors métropole, de tenir les engagements de l'OTAN et d'accéder au marché export. Cette proposition peut être chiffrée aux environs de 200 millions d'euros.
Parallèlement, il faudrait, entre 2010 et 2014, préparer l'avenir pour les menaces de plus longue portée. Pour ce faire, il conviendrait de lancer un « projet fédérateur » technologique permettant, à l'horizon 2015, de disposer de briques technologiques nécessaires permettant d'approfondir les options et de faire des choix appropriés. Ce projet fédérateur mènerait à maturité les fonctions critiques des systèmes d'armes, de leurs composantes et les technologies associées. Il s'agit des technologies et de la conception d'un intercepteur haut-endoatmosphérique (l'Aster block 2), des technologies et de l'expérimentation en vol d'interception exoatmosphérique, l'étude et l'évaluation des architectures système, enfin l'évolution des senseurs et des systèmes de commandement et de contrôle.
M. Josselin de Rohan, président - Quel accueil a reçu ce projet fédérateur de la part des autorités de défense ?
M. Antoine Bouvier - La DGA est très sensibilisée sur le sujet. Mais c'est au DGA lui-même de vous dire ce qu'il en pense. Nous avons un dialogue étroit et continu avec lui et ses équipes. Je ne crois pas que la DAMB soit considérée comme une priorité par les forces. Pour autant, l'approche américaine nous oblige à définir notre position.
M. Jean-Paul Herteman, président de Safran - Dans le domaine qui est le nôtre, celui de la propulsion, les perspectives d'évolution les plus intéressantes concernent l'alliance avec les industriels italiens. Nos collègues d'AVIO sont partenaires de Snecma et/ou de General Electric. Un rapprochement serait un pas de plus dans la bonne direction, celle de l'Europe de la défense. Il y a à cela un préalable, il faut que nous arrivions à finaliser notre rapprochement avec la SNPE.
Pour ce qui est de la construction d'un étage terminal d'un véhicule tueur de missiles exoatmosphérique, je voudrais simplement dire que nous sommes dans des conditions physiques extrêmes, qui nécessitent le recours à des matériaux très spécifiques, telles les céramiques composites, pour la fabrication des tuyères, qu'à peine deux ou trois sociétés au monde sont capables de produire. C'est le cas de Safran. Notre savoir-faire est tel que l'on fournit déjà des parties pour les intercepteurs américains. Nous pourrions envisager avoir une contribution plus large dans le cadre de la DAMB. Si la France est en mesure de lancer ce développement, nous pourrons faire beaucoup plus. Mais le sujet, aussi important soit-il, n'est pas là. Il est dans les retombées de la DAMB pour l'aéronautique civile dans son ensemble. Fort du savoir-faire que nous sommes capables d'acquérir dans ce type de programme, nous serions capables d'en faire bénéficier l'industrie civile. Le véritable enjeu de la DAMB, c'est la constitution d'une base industrielle et technologique, non pas seulement de défense, mais je dirai « stratégique », car elle englobe la partie civile.
L'imagerie infrarouge est un domaine davantage circonscrit à la défense. Les synergies entre le militaire et le civil sont moins visibles. En revanche, il y a une interaction technologique évidente avec l'ensemble des systèmes d'autodirecteurs, dans la continuité des produits développés par Sagem depuis 30 ou 40 ans. Si nous sautons un maillon dans cette évolution technologique, il est à craindre qu'à terme, nous perdions nos positions dans cette filière. La capacité à traquer un missile dans le vide et sous très forte accélération est à l'évidence une technologie d'avenir qui aura certainement des retombées pour d'autres systèmes d'armes.
En ce qui concerne les possibilités de coopération, nous les envisageons moins sur les céramiques composites que sur l'imagerie infrarouge, entre Safran et Thales tout d'abord, mais également au niveau européen avec Selex, présent au Royaume-Uni ou en Italie. Ne sous-estimons pas l'impulsion que ce type de programme peut donner à la mise en cohérence de la base industrielle et technologique européenne.
M. Daniel Reiner- Je vous remercie de vos interventions. La commission commence à être bien informée sur ce dossier.
Sur un plan conceptuel, nous avons dépassé l'idée selon laquelle la défense antimissile balistique affaiblirait la dissuasion nucléaire. Certains de nos interlocuteurs nous ont même démontré qu'elle pouvait la renforcer. Toutefois, les développements de la défense antimissile présentent un aspect inquiétant. En améliorant les capacités de défense contre les missiles balistiques, ne va-t-on pas inévitablement entraîner un perfectionnement des moyens d'attaque ? N'est-il pas contradictoire de s'engager dans cette course alors que chacun, à commencer par les Etats-Unis, plaide pour le désarmement ?
Nous avons en tous cas constaté, lors d'une récente visite à l'OTAN, que son secrétaire général, M. Rasmussen, s'estime investi d'une mission quasi évangélique visant à donner à la défense antimissile un rôle essentiel pour l'Alliance.
Nous avons bien compris l'intérêt technologique de la démarche, y compris pour les applications duales. Mais, soyons réalistes ! La question fondamentale est d'ordre financier. Nous sommes très heureux que trois industriels se soient regroupés autour d'un projet fédérateur, et même, semble-t-il, -mais j'aimerais en être vraiment certain- un quatrième en la personne d'EADS-Astrium. Vous évoquez une charge financière de l'ordre de 100 millions d'euros par an d'ici 2015 alors que M. Rasmussen nous a confirmé qu'à ses yeux, 200 millions d'euros sur dix ans suffisaient à doter l'OTAN d'une défense antimissile couvrant le territoire européen.
Considérez-vous que ces 100 millions d'euros peuvent être pris sur l'enveloppe de 700 millions d'euros par an prévue par la loi de programmation militaire pour les études amont ? Vous estimiez déjà ce montant insuffisant et souhaitiez 1 milliard d'euros par an. Autrement dit, établissez-vous une priorité dans les études amont et pouvez-vous convaincre le ministère de la défense de consacrer 100 millions d'euros par an pour la défense antimissile de préférence à d'autres domaines de recherche et technologie ?
Je reviens sur EADS-Astrium, dont les dirigeants nous ont expliqué que la véritable défense contre les missiles balistiques ne pouvait qu'être exoatmosphérique et que c'est dans ce domaine, utilisant les technologies spatiales, qu'il fallait faire porter l'effort. Pouvez-vous nous confirmer qu'EADS-Astrium est bien partie prenante aux propositions que vous effectuez ? Il serait évidemment préférable que les quatre industriels concernés présentent un front uni, mais nous nous demandons s'il y aura une place pour les quatre dans les choix que nous pourrons faire.
M. Luc Vigneron - Il me semble que les montants évoqués par le secrétaire général de l'OTAN représentent simplement les coûts nécessaires à l'évolution des systèmes de commandement et de contrôle. Je dois préciser que le programme ACCS est d'une ampleur sans équivalent en termes de complexité et de taille des logiciels.
M. Antoine Bouvier - Soyons clairs ! Les Etats-Unis dépensent chaque année 10 milliards de dollars pour se doter d'une défense antimissile. On ne réalisera pas la protection du territoire européen contre les missiles balistiques pour 200 millions d'euros. Il ne s'agit probablement que des coûts de développement nécessaires pour connecter l'ACCS au système américain tel qu'il est prévu dans la Phased Adaptive Approach. Il faut rappeler que, dans le cadre du programme ALTBMD, les Etats membres sont censés apporter une contribution en nature en complément du système de commandement et de contrôle commun. Dans le cas de la défense des territoires, le coût supporté par les Européens sera à la hauteur de leurs clefs contributives à l'OTAN, et donc très important. C'est pourquoi il nous paraît préférable de contribuer en nature plutôt que par de simples financements. Cette contribution en nature doit porter, selon nous, sur un domaine qui concilie nos priorités opérationnelles et les possibilités de coopération industrielle tout en apportant une réelle plus-value à l'OTAN.
S'agissant de la position d'EADS-Astrium, je précise que la « feuille de route » réunit trois industriels -Thales, Safran et MBDA- mais que le « projet fédérateur technologique» regroupe bien les quatre acteurs, donc également EADS-Astrium. Dans le cadre du projet fédérateur, nous nous sommes mis d'accord sur une première étape de développements technologiques qui nous permettra d'être présents au rendez-vous de 2015 avec deux options : l'une sur une capacité d'interception endoatmosphérique, l'autre sur une capacité d'interception exoatmosphérique. EADS-Astrium et nous avons chacun notre vision de l'objectif final. Mais nous sommes d'accord sur un tronc commun technologique qui constituerait une première étape commune et permettrait d'éviter des duplications.
Je voudrais également affirmer que, de notre côté, la porte est ouverte. Nous avons proposé à EADS-Astrium de participer à hauteur de 50 % de la part de MBDA sur le projet d'évolution de l'Aster. EADS-Astrium a des compétences essentielles pour ce projet et pourrait être impliqué par des activités significatives.
Enfin, il ne revient pas aux industriels d'effectuer des arbitrages de nature politique. Pour notre part, nous estimons qu'étant donné les investissements considérables réalisés par les Etats-Unis dans l'interception exoatmosphérique, une coopération sur ce créneau se réduirait à de la sous-traitance ou à des offsets. Les Japonais en ont fait l'expérience. En revanche, en apportant une brique autonome et une vraie plus-value par rapport aux systèmes américains, nous gagnerions une capacité d'influence sur la conception et le fonctionnement du système, par exemple en matière de règles d'engagement. Cette contribution spécifique constitue à mes yeux la dernière opportunité pour se positionner sur la défense antimissile.
M. Jacques Gautier- Je me félicite de ce débat et de cette démarche fédératrice autour d'une « équipe de France ».
Ma première série de questions est inspirée par un récent échange avec l'ambassadeur de la Fédération de Russie. Celui-ci se demandait si le complexe militaro-industriel n'avait pas tendance à exagérer la réalité de la menace et souhaitait une évaluation commune à l'ensemble des grands pays. Il indiquait également que la Russie souhaitait mettre à profit ses compétences, tant en matière endoatmosphérique qu'exoatmosphérique, en coopérant avec les occidentaux. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, lors de l'audition du chef d'état-major des armées, nous avons eu confirmation des choix difficiles qu'entraîneraient les arbitrages budgétaires sur les programmes d'équipement. On évoque le décalage de programmes liés à la fonction « connaissance et anticipation » : radar très longue portée, satellite d'alerte avancée. Ne craignez-vous pas que ce contexte conduise à sacrifier toute perspective de développements dans la défense antimissile balistique ?
M. Josselin de Rohan, président - L'évaluation de la menace relève des autorités politiques, et non des industriels.
M. Luc Vigneron - Thales souhaite développer ses coopérations en Russie, mais celle-ci veille à protéger son marché national et semble essentiellement intéressée par des transferts de technologies.
S'agissant des arbitrages sur les programmes d'équipement, c'est au client qu'il revient de les arrêter. Nous attendons de les connaître avant d'en tirer les conséquences sur nos bureaux d'études et au plan social.
M. Jean-Paul Herteman - Notre rôle est d'éclairer les décideurs sur les enjeux, de leur donner les éléments techniques sur les performances des systèmes, ainsi que sur les implications sur la base technologique et les perspectives de coopération.
En ce qui concerne la Russie, elle avait plutôt privilégié la propulsion liquide, y compris pour les missiles balistiques, mais ne dispose pas d'une position particulièrement forte sur la propulsion solide. Dans les domaines de l'imagerie infrarouge et du guidage inertiel, la Russie n'a pas pu assurer la continuité technologique. Elle a même recours à des senseurs infrarouges français pour équiper certains de ses matériels proposés à l'exportation. Pour cette raison, j'estime que les possibilités de coopération avec la Russie doivent être bien pesées.
M. André Dulait- Beaucoup de pays européens se comportent plutôt en « suiveurs », comme on l'a vu sur le programme JSF. Comment évaluez-vous nos chances de maintenir le niveau technologique et industriel européen dans les domaines concernés par la défense antimissile ?
M. Jean-Paul Herteman - Avec le projet que nous vous avons présenté, la France serait en mesure d'apporter une brique technologique significative à la défense antimissile de l'OTAN. Safran a pu constater que les Etats-Unis savaient faire preuve d'un grand pragmatisme en matière de coopérations industrielles. Aujourd'hui, ces coopérations sont limitées, mais elles pourraient aller beaucoup plus loin si ce projet était retenu.
M. Jacques Berthou - Nous savons tous qu'il y aura d'importantes restrictions budgétaires. Parmi l'ensemble des actions que vous avez proposées, pensez-vous qu'il faut à tout prix préserver le projet fédérateur ? Par ailleurs, les Etats-Unis ne sont-ils pas motivés par les enjeux industriels beaucoup plus que par la réalité de la menace ?
M. Antoine Bouvier - Pour compléter la réponse à la question précédente sur les coopérations européennes, je souhaite rappeler que le Royaume-Uni et l'Italie, engagés dans le programme Aster, sont à nos yeux des partenaires naturels de la feuille de route. Des discussions ont d'ailleurs été engagées à ce sujet et elles progressent bien. Le Royaume-Uni n'a pas exprimé un besoin particulier, mais diverses options y sont étudiées. En Italie, la contribution nationale au programme ALTBMD est considérée comme un sujet majeur. Les Pays-Bas sont également un partenaire évident de Thales dans les radars. Si nous prenons l'initiative au niveau français, nous avons bien l'ambition de fédérer d'autres partenaires européens.
S'agissant des priorités, nous ne prétendons pas les définir, mais plutôt éclairer les choix. C'est au pouvoir politique de décider si l'enveloppe pour les études amont doit rester à 700 millions d'euros par an ou portée à 1 milliard d'euros, ainsi que de la façon dont elle doit être utilisée. Notre projet fédérateur couvre des technologies dont nous pensons qu'elles sont nécessaires pour pouvoir prendre une décision politique en 2015. Si l'on décide de ne pas lancer de programme en 2015, ces technologies génériques seront de toute façon réutilisées dans l'ensemble de nos produits. Elles sont, en tout état de cause, nécessaires pour maintenir notre avance technologique sur l'ensemble de nos produits.
M. Jean-Paul Herteman - Sur la réalité de la menace, je dirai simplement que nous avons parfois tendance à surestimer l'écart technologique qui sépare les pays occidentaux d'un certain nombre de pays émergents. N'oublions pas que le troisième constructeur aéronautique au monde est Embraer et que, dans le domaine spatial, la Chine surpasse dans bien des domaines l'Europe. C'est pourquoi je ne parierai pas sur l'absence de menace. La défense antimissile est autant une réponse à la menace qu'une réponse à des enjeux industriels. N'oublions pas que les Etats-Unis ont défini 32 technologies critiques pour leur suprématie technologique. C'est à nous de savoir la place que nous souhaitons acquérir dans le monde multipolaire. J'insiste au passage auprès de vous pour que le crédit impôt-recherche soit maintenu. Il représente pour Safran 100 millions d'euros par an, soit 1 % du chiffre d'affaires et un peu moins de 10 % de notre recherche-développement. Veillons à ne pas compromettre sur le long terme le résultat d'années d'effort en matière de recherche et technologie.
M. Christian Cambon - C'est avant tout au pouvoir politique qu'il appartient d'évaluer la menace, mais lorsqu'un industriel conçoit un système de défense antimissile, il le fait en fonction de l'arme dont il faut se protéger. Vous avez donc une idée de la menace. S'agit-il exclusivement des « Etats voyous » ? Par ailleurs, M. Herteman a cité les retombées des recherches relative aux céramiques composites pour l'aéronautique civile. Peut-on attendre des développements industriels dans d'autres secteurs, grâce aux technologies utilisées pour la défense antimissile ? Enfin, parmi les partenaires potentiels, vous n'avez pas cité l'Allemagne. Pourquoi ?
M. Antoine Bouvier - L'évaluation stratégique de la menace n'est pas de notre responsabilité, mais son évaluation technologique oui.
Nous proposons de traiter les missiles balistiques de théâtre de courte et moyenne portée, c'est-à-dire d'une portée allant jusqu'à 2 500 kilomètres. Plus spécifiquement, nous visons la nouvelle génération de missiles manoeuvrants. Cette menace n'est pas prise en compte par les programmes américains, que ce soit le Patriot, le THAAD ou le SM-3.
Les Russes ont développé le SS-26 Iskander, les Chinois le M9, les Syriens le M600 et les Iraniens le Fateh 110. Ces missiles ne font pas appel à des technologies nouvelles. Nous les avions déjà utilisées pour le missile « préstratégique » Hades. Ces missiles présentent une particularité. Ils volent dans l'atmosphère, en dessous de 60 à 70 kilomètres, et lorsqu'ils rentrent dans les couches denses de l'atmosphère, à 25 ou 30 kilomètres, ils acquièrent une capacité manoeuvrante qui les rend quasiment impossibles à intercepter. L'interception de ces missiles doit donc se faire entre 25/30 et 60/70 kilomètres. Comme je l'indiquais, aucun des programmes américains ne répond à cette exigence. D'après nos analyses, le THAAD ne descend pas en dessous de 50 kilomètres. Le Patriot ne monte pas au dessus de 20 à 25 kilomètres. Quant au SM-3, il évolue dans l'espace exoatmosphérique.
M. Christian Cambon - Mais quels sont les pays maîtrisant la technologie des missiles manoeuvrants ?
M. Antoine Bouvier - En premier lieu, les Russes, avec le SS-26 Iskander : la Russie avait annoncé le déploiement de ces missiles à Kaliningrad en réponse à l'implantation du 3ème site de défense antimissile américain en Europe. On évoque désormais la possibilité de les stationner en Transnistrie si la Roumanie accueille des SM-3 ! Et il ne s'agit pas d'une technologie hors de portée d'autres pays. La Chine ou encore l'Iran la maîtrisent, et cette dernière a peut-être transféré des missiles M600 au Hezbollah. Il s'agit de la génération appelée à succéder au Scud et on peut penser qu'elle proliférera autant que ce dernier. Il ne serait en tout cas pas raisonnable de miser sur le fait que cette technologie ne prolifèrera pas.
M. Jean-Paul Herteman - Dans le monde d'aujourd'hui, il n'y a pas de cloisons étanches. Ces technologies sont accessibles à court terme pour des puissances moyennes.
M. Jacques Blanc - Pourriez-vous préciser ce qu'il en est, à vos yeux, du domaine exoatmosphérique, alors que vous avez surtout parlé du « haut endoatmosphérique » ? D'autre part, vous envisagez des contributions nationales en nature de certains Etats européens. Peut-on envisager qu'un tel programme soit porté par l'Union européenne elle-même dans le cadre de sa politique de sécurité et de défense ?
M. Jean-Paul Herteman - A mon sens, c'est sur ce type de projets que l'Agence européenne de défense pourrait avoir une réelle utilité.
M. Antoine Bouvier - L'évolution du programme Aster concerne l'interception haut endoatmosphérique. En revanche, le projet fédérateur constitue une première étape coordonnée avec EADS-Astrium qui, pour sa part, présente un projet d'interception exoatmosphérique. Nous nous sommes mis d'accord sur cette première étape technologique afin d'éviter les duplications et d'assurer une certaine cohérence d'ensemble.
M. Jacques Gautier - Pour répondre à certaines interrogations de nos collègues, je crois qu'il faut rappeler que nous parlons d'interception de quelques missiles isolés, et non d'une frappe saturante. Par ailleurs, pouvez-vous répondre à la question de M. Cambon sur l'Allemagne ?
M. Luc Vigneron - Du point de vue de Thales, l'Allemagne ne dispose pas de compétences sur les très grands radars. Outre Thales Raytheon Systems, les autres acteurs sont américains, israéliens ou italiens, avec Finmeccanica.
M. Antoine Bouvier - S'agissant des retombées civiles, il n'y en a pas pour MBDA qui est exclusivement une entreprise de défense. En revanche, les développements technologiques seraient réutilisés sur toute notre gamme de produits, que ce soit en matière d'architecture missiles, de nouvelles générations de calculateurs, d'algorithmes ou de systèmes de propulsion.
M. Josselin de Rohan, président - Je tiens à vous remercier de nous avoir présenté un projet extrêmement structuré qui témoigne des efforts effectués pour fédérer les compétences de nos industriels. Nous avons été très sensibles au risque que vous avez souligné, en cette période de forte contrainte budgétaire, pour les activités de recherche et de technologie. Je suis certain que la commission est unanimement attachée au maintien des efforts dans ce domaine. André Dulait aura l'occasion de l'exprimer en mon nom dans le débat d'orientation budgétaire, demain. Vous avez souligné les enjeux au sein de l'OTAN. Certains d'entre nous ont rencontré M. Rasmussen à Bruxelles la semaine dernière et ont eu le sentiment qu'il ne nous donnait pas l'ensemble des éléments, en réponse à nos questions sur la dimension financière d'une défense antimissile des territoires. Néanmoins, on ne peut pas se réfugier dans le déni ou pratiquer la politique de l'autruche. La question de la défense antimissile est sur la table à l'OTAN et il faut prendre en compte la réalité.
Vous nous avez montré les raisons pour lesquelles la France peut effectivement espérer jouer un rôle. Pour ma part, je vois l'intérêt d'appuyer auprès du ministère de la défense la nécessité, pour la France, d'être présente. Il faut souhaiter que le contexte financier actuel ne nous empêche pas d'apporter cette contribution.
Accord entre la France et l'Allemagne visant à mieux sanctionner les infractions aux règles de la circulation - Examen du rapport
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission examine le rapport de M. Marcel-Pierre Cléach sur le projet de loi n° 488 (2007-2008), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne concernant l'échange de renseignements sur les titulaires du certificat d'immatriculation de véhicules contenus dans les fichiers nationaux d'immatriculation des véhicules dans le but de sanctionner les infractions aux règles de la circulation.
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur - Vous savez que la lutte contre les infractions routières s'est intensifiée en France durant la dernière décennie, et s'appuie, de façon croissante, sur leur constatation par des dispositifs automatisés. Ces moyens nouveaux ont permis de décompter les infractions commises sur le territoire français par des véhicules immatriculés dans d'autres pays européens, et de déceler leur accroissement, année après année. Or, dans l'état actuel de la réglementation, tant nationale qu'européenne, il est difficile pour les autorités françaises compétentes d'identifier les titulaires du certificat d'immatriculation des véhicules étrangers ayant commis des infractions, ce qui assure à ceux-ci une immunité de fait.
Dans l'attente de l'élaboration d'un accord européen en ce domaine, seul à même de régler l'ensemble de ce contentieux, la France a pris l'initiative de négocier un accord bilatéral avec l'Allemagne, signé le 14 mars 2006 à Berlin. C'est de ce pays que provient, en effet, le plus grand nombre de véhicules faisant l'objet de « messages d'infraction » émis par des dispositifs automatisés.
D'autres pays européens ont été également sollicités dans le même sens.
La situation géographique de la France en fait un pays de transit pour de nombreux véhicules en provenance de pays européens. La France a pris conscience, avec la mise en place progressive des dispositions de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, du nombre non négligeable d'infractions commises par des véhicules étrangers. Or, les messages d'infractions émis par les radars, dénommés « contrôle-sanction automatisé » (C.S.A.) se sont révélés inopérants à l'égard des véhicules immatriculés à l'étranger, alors que ceux-ci étaient destinataires de près d'un cinquième de ces messages. En effet, le Centre automatisé de constatation des infractions routières (CASIR), situé à Rennes, se base sur l'identité et les coordonnées personnelles du contrevenant pour lancer une procédure à son encontre. Faute d'informations de cet ordre sur les conducteurs des véhicules immatriculés à l'étranger, cette procédure reste sans suite, assurant à ces conducteurs une immunité de fait. Cette situation est d'autant plus choquante que leur nombre ne cesse de croître.
Ainsi, le total des messages d'infraction touchant des véhicules immatriculés hors de France s'élevait à près de 9 millions de 2005 à 2008, et les chiffres par année démontraient leur constante progression. C'est ainsi qu'en 2005, ils se montaient à plus d'un million, en 2006, à deux millions, en 2007 à deux millions et demi, et en 2008 à trois millions deux cent mille.
De 2005 à 2008, le nombre de véhicules en infraction croissaient, pour l'Allemagne, de 140 000 à 365 000, pour le Danemark, de 15 000 à 59 000, pour l'Espagne, de 98 000 à 306 000, pour la Grande-Bretagne, de 42 000 à 85 000, et pour l'Italie, de 30 000 à 77 000. Il s'agit là des cinq principaux pays d'où proviennent les conducteurs fautifs.
Pour remédier à une situation choquante, du point de vue tant de l'équité que de l'efficacité, la France a lancé des négociations avec les Etats d'origine des contrevenants. Le texte le plus abouti est l'accord conclu avec la Belgique, ratifié par ce pays en février 2010, et qui doit l'être prochainement par la France. Des négociations sont en cours avec l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse, et des discussions ont été ouvertes, au niveau ministériel, avec le Royaume-Uni, Monaco et le Portugal.
Les dispositions du présent accord instaurent avec l'Allemagne les modalités d'un échange des informations nécessaires à l'aboutissement de la procédure de contrôle-sanction automatisé.
Cependant, la discussion parlementaire visant à la ratification du présent texte par le Bundestag a fait apparaître la difficulté, et peut-être l'inconstitutionnalité, de poursuivre le propriétaire d'un véhicule allemand en l'absence de photographie permettant de l'identifier clairement comme le conducteur lors de la commission de l'infraction. Cet élément a conduit à différer cette ratification par notre partenaire sine die.
Les aléas inhérents à la conclusion d'accords bilatéraux de ce type rendent opportune l'élaboration d'une réglementation européenne dans ce domaine.
C'est l'objet d'une proposition de résolution européenne déposée, le 12 février 2009, par notre collègue sénateur Hugues Portelli, au nom de la commission des affaires européennes, et adoptée par le Sénat le 20 juillet 2009. Notre collègue député Gérard Voisin s'est également saisi de cette question dans un rapport d'information du 18 février 2009, rédigé au nom de la commission de l'Assemblée nationale chargée des affaires européennes, et intitulé : « Sécurité sur les routes d'Europe : la fin des contraventions impunies ? ». Il est également le premier signataire d'une proposition de loi du 1er avril 2009 « destinée à faciliter la perception transfrontalière des amendes et à améliorer les droits des conducteurs », et visant à modifier différents éléments de la législation française qui font obstacle à la conclusion d'accords de coopération pour la perception des amendes routières.
Des initiatives ont donc été prises par des membres de chacune des deux Assemblées, pour inciter le Gouvernement français à se montrer plus offensif dans les enceintes européennes.
Sans sous-estimer les difficultés techniques et politiques inhérentes à ce type de négociation, ces travaux permettent d'appuyer la position de la France dans ce domaine.
En conclusion, il faut constater que l'état actuel des dispositifs techniques utilisés pour constater les infractions routières ne semble pas permettre de répondre, à bref délai, aux exigences juridiques allemandes en matière d'identification des contrevenants routiers sur le sol français par voie automatique.
Il semble cependant judicieux que le Parlement français ratifie le présent accord, pour exprimer la ferme volonté de notre pays que les délits routiers incombant à des véhicules immatriculés en Allemagne, qui sont en constante augmentation, ne restent pas impunis.
Je vous suggère donc d'adopter le présent texte, et vous propose que son examen en séance publique se fasse en forme simplifiée.
M. Daniel Reiner - Quel sera l'impact d'un accord ratifié par un seul des deux partenaires ?
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur - Si la position allemande n'évolue pas, la présente convention n'entrera pas en vigueur, mais le Gouvernement français pourra s'appuyer sur l'approbation émise par le Parlement.
M. Josselin de Rohan, président - L'assurance de leur impunité conduit, en effet, certains conducteurs étrangers à adopter des comportements aussi dangereux qu'inadmissibles.
Puis la commission adopte le projet de loi et propose que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Accord entre la France et la Roumanie d'assistance et de coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence - Examen du rapport
La commission examine le rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 438 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à l'assistance et à la coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence.
M. Christian Cambon, rapporteur - Les inondations qui affectent la Roumanie depuis plusieurs semaines confèrent au présent texte une triste actualité, puisque ce sont des évènements de même nature survenus en 2000, puis en 2005, qui ont conduit ce pays à solliciter de la France l'actualisation de l'accord de coopération en matière d'affaires intérieures, conclu en 1997. Cet accord prévoyait, certes, la possibilité d'envoyer des équipes de secours en cas de catastrophe -ce que la France a fait en 2000, et en 2005- mais sans en préciser les modalités concrètes. Le présent texte, inspiré d'accords bilatéraux similaires déjà conclus par la France avec plusieurs pays, précise le cadre d'une coopération recherchée par nos partenaires, car l'expertise française est reconnue dans ce domaine. Confrontée depuis quelques années à différentes catastrophes naturelles, la Roumanie a pris conscience de la nécessité de se préparer à mieux faire face aux situations de crise. Dans cette perspective, elle s'est tournée vers notre pays.
A la suite des interventions de la France pour porter assistance à la population roumaine en 2000 et 2005, les autorités de Bucarest ont souhaité développer les actions de coopération bilatérale dans le domaine de la protection civile. Cette volonté est liée aux liens historiques et culturels entre les deux pays, au fait que l'organisation territoriale roumaine est proche de celle de la France, et à la démonstration faite, lors de ces deux occasions malheureuses, de l'expertise française dans l'organisation des secours lors de situations de catastrophe.
C'est donc à la demande de la Roumanie qu'un projet d'accord bilatéral a été élaboré en accord avec la Direction de la défense et de la sécurité civiles. L'accord de 2008 précise les domaines et les formes de la coopération : son champ englobe la prévision et la prévention des risques, la protection et la sauvegarde des personnes, des biens et de l'environnement en cas de catastrophe, la formation des acteurs et l'assistance mutuelle en cas de catastrophe. Quant aux formes de la coopération, elles touchent aux actions de formation professionnelle, à la participation aux exercices, aux échanges d'experts, d'information et de documentation.
Lors des inondations de mai 2005, une équipe de la Direction de la défense et de la sécurité civiles, composée de 6 personnes dotées de motopompes et d'unités de traitement de l'eau, a été envoyée en Roumanie. Ce détachement, placé sous les ordres d'un officier supérieur des Formations militaires de la sécurité civile a été mis à la disposition de l'Inspecteur des situations d'urgences du département de Timis.
L'organisme roumain chargé de la protection civile, l'Inspectorat général des secours d'urgence (IGSU), dépend du ministère de l'intérieur et de la réforme administrative. Il assure la coordination unitaire et permanente des activités de prévention et de gestion des situations d'urgence. Au sein de l'IGSU, un centre opérationnel assure en permanence la fonction de suivi, évaluation, avertissement, pré-alerte, alerte et coordination technique opérationnelle au niveau national des situations d'urgence.
Des services déconcentrés coordonnent et contrôlent les activités de prévention et de gestion des situations d'urgence, dans leurs zones de compétence.
Ces services doivent actuellement faire face à de nouvelles inondations, dont le bilan est dramatique : plus de 172 000 ha de terrain de plus de 30 départements ont été affectés, les dégâts les plus considérables étant enregistrés à Timis, Arad, Caras-Severin et Braila.
Dans les départements de Buzeau et de Prahova, de nombreuses régions ont été affectées par des glissements de terrain. Une vingtaine de personnes sont mortes et 3 400 habitants ont été évacués durant le mois de juin 2010. Les pluies ont dévasté des zones dans plus de 400 localités de 28 départements : ainsi, plus de 5 000 habitations et des dizaines de milliers d'hectares de terrain et de forêts ont été ravagés.
Pour en revenir au texte, je vous précise que la Roumanie l'a déjà ratifié en février 2009. La France, qui a déjà aidé ce pays par l'envoi de personnels et de matériels lors des précédentes inondations, doit se doter d'un instrument juridique précis pour encadrer son aide, en ratifiant ce texte à son tour.
Je vous propose donc son adoption, et son examen en séance publique sous forme simplifiée.
Puis la commission adopte le projet de loi et propose que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Convention sur la responsabilité civile en cas de pollution par les hydrocarbures de soute - Examen du rapport
Puis la commission examine le rapport de M. André Vantomme sur le projet de loi n° 272 (2009-2010) autorisant l'adhésion à la convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute.
M. Christian Cambon, remplaçant M. André Vantomme, empêché - L'organisation maritime internationale (OMI) a réuni, en 2001, à Londres, ville où elle a son siège, une conférence visant à élaborer une convention internationale sur la responsabilité civile découlant de dommages dus aux hydrocarbures de soute. Cette conférence a abouti à une convention internationale, qui est soumise à notre examen après avoir été adoptée par l'Assemblée nationale.
Le caractère très marginal des pollutions provoquées par les hydrocarbures dits « de soute », c'est-à-dire ceux utilisés pour la propulsion des navires, ou le fonctionnement de leurs équipements de bord, au regard des autres sources de pollution par hydrocarbures du milieu marin, ne dispense pas de déterminer le système de responsabilité couvrant les dégâts suscités par une pollution de leur fait.
L'OMI assume donc pleinement son rôle en prévoyant ce cas, permettant de compléter les dispositifs déjà existant en matière de responsabilité civile du fait de pollution par hydrocarbures. C'est une conférence, réunie par l'ONU à Genève en 1958, qui avait codifié, pour la première fois, un droit de la mer à l'échelle internationale. Son actualisation, réclamée notamment par les pays ayant accédé à l'indépendance durant les années 1960, a fait l'objet de longues négociations, échelonnées de 1973 à 1982, qui ont abouti à l'élaboration de la convention des Nations unies sur le droit de la mer(CNUDM) signée en Jamaïque, à Montego Bay en 1982. Cette convention a été ratifiée par la plupart des pays industrialisés, dont la France, en 1996, mais pas par les Etats-Unis. Elle constitue le texte fondateur du droit maritime international moderne.
Trois conventions ultérieures la complètent dans le domaine de la réglementation internationale en matière de responsabilité liée à la pollution marine. Il s'agit de la Civil Liability Convention (C.L.C.) de 1992 précisant les modalités de cette responsabilité en cas de dommages consécutifs à une pollution par hydrocarbures. Le Fonds d'indemnisation des pollutions (FIPOL), créé la même année, est alimenté par une contribution versée par les entreprises importatrices d'hydrocarbures. Enfin, la Convention Hazardous and Noxious Substance (H.N.S.) est conclue en 1996, et établit des modalités de responsabilité et d'indemnisation des dommages liés au transport maritime de substances nocives et potentiellement dangereuses.
Le cadre juridique résultant de ces textes n'intègre pas le risque découlant d'une pollution marine par des hydrocarbures de soute, pouvant survenir lors d'un accident en mer, ou d'un chargement. Or, leur volume circulant sur mer est estimé à une quinzaine de millions de tonnes, ce qui n'est pas négligeable, et peut donc constituer une menace pour le milieu marin. La convention signée à Londres le 23 mars 2001 vise donc à prévoir un système de responsabilité du propriétaire du navire à l'origine d'une éventuelle pollution par ce type d'hydrocarbures.
Un Conseil de l'Union européenne, réuni le 19 septembre 2002, a autorisé les Etats membres à signer et ratifier la présente convention, et a fixé les conditions de leur adhésion à ce texte.
La convention s'applique aux pollutions survenues sur le littoral, dans la mer territoriale et dans la zone économique exclusive (ZEE) des pays contractants. Pour l'application de ce texte, sont prises en compte les pollutions produites par tous les navires de plus de 1 000 tonneaux de jauge brute. Les navires de guerre, les navires de guerre auxiliaires ou les autres navires appartenant à un Etat ou exploités par lui sont, en revanche, exclus du champ d'application. Cette convention s'inscrit dans le principe du « pollueur-payeur » : elle établit une responsabilité sans faute du propriétaire du navire, ce qui permettra à la victime de ne plus avoir à prouver la faute du propriétaire. Elle sera seulement tenue de démontrer l'existence du dommage et son lien de causalité avec l'activité polluante des hydrocarbures de soute.
Ce texte instaure également une obligation d'assurance ou de garantie du propriétaire du navire, matérialisée par un certificat à bord qui atteste l'existence de cette garantie financière.
Les victimes auront ainsi la garantie de leur indemnisation réelle et immédiate des dommages subis, puisque la convention institue un recours direct contre l'assureur du propriétaire ou la banque garante. Il s'agit là d'une importante innovation en matière d'indemnisation de pollution par hydrocarbures. Il faut relever qu'à compter de la constatation du dommage, les possibilités d'actions en responsabilité contre l'assureur se limitent à six ans, durée au-delà de laquelle s'impose la prescription.
Je vous recommande donc l'adoption de ce texte, et vous propose que son examen en séance publique se fasse sous forme simplifiée.
M. Josselin de Rohan, président - Cette convention est utile pour couvrir les dommages entraînés par une pollution accidentelle ; en revanche, les dégazages en mer sont, eux, intentionnels, et produisent des dégâts beaucoup plus importants.
Puis la commission adopte le projet de loi et propose que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Accord entre la France et le Cameroun instituant un partenariat de défense et accord entre la France et le Togo instituant un partenariat de défense - Examen des rapports
La commission examine ensuite le rapport de M. Josselin de Rohan, en remplacement de M. Philippe Paul, sur le projet de loi n° 351 (2009-2010) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cameroun instituant un partenariat de défense et sur le projet de loi n° 352 (2009-2010) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République togolaise instituant un partenariat de défense.
M. Josselin de Rohan, président - Notre collègue Philippe Paul, empêché, m'a demandé de présenter en son nom le rapport sur les projets de loi autorisant l'approbation des accords instituant un partenariat de défense avec le Togo et le Cameroun.
Ces accords ont été signés le 13 mars 2009 pour le Togo et le 21 mai 2009 pour le Cameroun. Ils constituent les deux premières traductions de la renégociation des accords de défense nous liant à huit pays africains, conformément aux orientations fixées dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Le changement de terminologie, avec la notion de partenariat, illustre l'évolution de nos relations avec les pays africains dans le domaine de la défense. Il s'agit de consacrer le passage - déjà pleinement réalisé dans les faits - de la logique de substitution qui prévalait au moment des indépendances, à une logique d'appui aux capacités propres des pays africains et aux architectures de sécurité collective qui se mettent progressivement en place à l'échelle régionale et sous-régionale.
Vous vous souvenez que le signal de la renégociation des accords de défense avait été donné par le Président de la République dans son discours du Cap, le 28 février 2008. Devant le Parlement d'Afrique du Sud, il avait voulu marquer avec une certaine solennité quatre principes de notre politique de sécurité en Afrique :
1° adapter les accords de défense existants aux réalités du temps présent en tenant le plus grand compte de la volonté des pays africains pour établir un nouveau partenariat en matière de sécurité ;
2° agir en toute transparence, en rendant ces accords publics et en impliquant le Parlement ;
3° aider l'Afrique à bâtir son propre dispositif de sécurité collective ;
4° faire de l'Union européenne un partenaire majeur de l'Afrique en matière de paix et de sécurité.
Ces quatre principes ont été repris et détaillés dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Celui-ci indique : « la France souhaite demeurer présente sur le continent africain, mais les conditions, les finalités et l'organisation de cette présence doivent évoluer ».
Le Livre blanc annonce la reconfiguration de notre dispositif prépositionné en Afrique, ainsi que la renégociation des accords de défense bilatéraux en accord avec les pays concernés. Il s'agira de fonder une relation de coopération ne reposant plus sur l'assistance militaire, mais sur un partenariat de défense et de sécurité, avec une dimension à la fois régionale et européenne. Le Livre blanc précise que les clauses prévoyant l'intervention de la France en vue de maintenir l'ordre intérieur dans certains pays seront abrogées.
Ces orientations ont été confirmées par deux discours : l'un du Premier ministre à Yaoundé le 21 mai 2009 et l'autre du Président de la République à Libreville le 24 février dernier.
Elles s'inscrivent, en réalité, dans la continuité d'une politique engagée de longue date.
La présence militaire française en Afrique a été divisée par deux entre les années 60 et la fin des années 80, puis de nouveau par deux jusqu'à aujourd'hui. Le concept « RECAMP » - renforcement des capacités africaines de maintien de la paix - a été lancé par la France en 1997. Au même moment, les organisations d'intégration régionale se sont orientées vers les questions de sécurité. L'Union africaine, qui a succédé à l'OUA en 2001, s'est fixée l'objectif de pouvoir déployer jusqu'à 15 000 hommes pour des opérations de maintien de la paix, dans le cadre de ce que l'on appelle la « force africaine en attente », constituée de 5 brigades régionales. Enfin, l'Union européenne, partenaire majeur de l'Afrique par l'aide au développement, a désormais commencé à s'impliquer, sous l'impulsion de la France, dans le domaine de la sécurité en Afrique.
Quant aux accords de défense, la question de leur révision se pose depuis plusieurs années. Un rapport d'information de notre commission sur la gestion des crises africaines avait considéré en 2006 que cette révision était souhaitable. Il avait souligné que les conditions de mise en oeuvre de ces accords avaient changé et que les clauses relatives au maintien de l'ordre étaient de facto caduques, comme l'avait montré le refus de la France d'intervenir lors du coup d'Etat de 1999 contre le président Konan Bedié, en Côte d'Ivoire.
Premier volet des orientations définies par le Livre blanc, la reconfiguration du dispositif prépositionné est désormais arrêtée.
Indépendamment des opérations ponctuelles, le stationnement de nos « forces de présence » s'articulait jusqu'à présent autour de quatre points d'appui - Djibouti, Sénégal, Gabon, Côte d'Ivoire - et d'un déploiement au Tchad considéré comme une opération extérieure bien qu'il perdure depuis 1986.
A terme, le dispositif permanent reposera sur 2 bases opérationnelles avancées, à Djibouti et Libreville, et 2 pôles de coopération à vocation régionale, à Dakar et N'Djamena, avec un total qui pourrait être de l'ordre de 3 500 hommes, contre environ 6 000 aujourd'hui sur ces quatre implantations.
S'agissant de la renégociation des accords de défense, elle a été confiée à une structure administrative ad hoc : la mission pour la sécurité et la prévention des conflits. Placée auprès de la direction d'Afrique du ministère des Affaires étrangères et dirigée par un ambassadeur, elle associe des diplomates et des représentants du ministère de la défense.
Huit pays africains, cités dans le Livre blanc, entrent dans le champ de la renégociation des accords de défense.
Il n'existe pas de définition juridiquement établie de la notion d'accord de défense. Le critère principal distinguant un accord de défense d'un simple accord de coopération est que l'accord de défense comporte une clause relative aux conditions de l'assistance que les parties se prêtent, à titre réciproque ou non, dans le cadre de l'exercice du droit de légitime défense face à une agression. C'était le cas des accords en vigueur avec le Cameroun, la République centrafricaine, les Comores, la Côte d'Ivoire, Djibouti, le Gabon, le Sénégal et le Togo.
La mission « sécurité et prévention des conflits » a établi un modèle d'accord destiné à servir de base aux négociations. Celles-ci ont été menées par nos ambassadeurs sur place et lors de sessions particulières, sous l'égide de la mission interministérielle.
Les deux premiers accords signés l'ont été dès le premier semestre 2009, avec le Togo puis le Cameroun.
Ces accords, qui nous sont soumis aujourd'hui, comportent une vingtaine d'articles aux dispositions très voisines, puisqu'ils ne s'écartent du modèle d'accord que sur des points mineurs.
La première caractéristique de ces accords est qu'ils vont régir, dans un cadre juridique actualisé, soumis à l'approbation du Parlement, l'ensemble des relations de défense entre la France et ces pays. Ils abrogent et remplacent tous les accords antérieurs, y compris ceux qui n'auraient pas été publiés. Ils traduisent donc la volonté de transparence sur laquelle avait insisté le Chef de l'Etat.
Leur deuxième caractéristique est qu'ils ne comportent pas de clause d'assistance, et a fortiori pas de clause prévoyant une telle assistance en cas de troubles intérieurs, comme cela était le cas avec le Togo. Il s'agit de l'élément le plus marquant de ces deux accords, mais il ne faut pas en surestimer la portée. Il y a quatre ans, devant notre commission, le chef d'état-major des armées, le général Bentégeat, avait souligné que la mise en oeuvre de ces clauses d'assistance n'avait pas de caractère automatique et restait dans tous les cas soumise à l'appréciation de la France.
Troisièmement, les accords précisent les principes généraux sur lesquels se fonde le partenariat de défense et de sécurité, en soulignant la dimension régionale de la paix et de la sécurité, et en mentionnant l'Union européenne, qui pourra être associée aux projets de coopération. Les domaines de la coopération sont énumérés : échanges d'informations, organisation, équipement et entraînement des forces, organisation de transits ou de stationnements temporaires, missions de conseil, formation dans des écoles françaises ou des écoles soutenues par la France.
Quatrièmement, les accords comportent des dispositions détaillées sur le statut des personnels engagés dans la coopération. Les coopérants français continueront de porter l'uniforme togolais ou camerounais. Le pouvoir disciplinaire restera exercé par l'Etat d'origine. Le régime fiscal sera uniformisé, tous les personnels français étant imposés en France. Les accords fixent les règles de compétence juridictionnelle en cas d'infraction commises par un coopérant. Il offre un certain nombre de garanties lorsque les poursuites sont exercées devant les juridictions de l'Etat d'accueil. Il est également explicitement mentionné que dans le cas où elle serait prévue par la loi, la peine de mort ne serait ni requise, ni prononcée. En effet, la peine de mort n'a pas été abolie au Cameroun.
Cinquièmement enfin, les accords prévoient un certain nombre de facilités pour l'exercice des activités de coopération, notamment en matière d'importations de matériels. L'accord avec le Cameroun comporte une annexe spécifique relative à la mission logistique française de Douala, dont l'effectif maximal est fixé à 15 personnes. Cette mission est une base de transit vers l'Afrique centrale, principalement le Tchad et la République centrafricaine.
Ces deux accords dont la négociation a été rapide et n'a pas soulevé de difficulté offrent donc un cadre rénové pour notre coopération de défense avec deux pays.
Celle-ci est articulée autour de plusieurs points forts.
Tout d'abord les écoles nationales à vocation régionale (ENVR), qui jouent désormais un rôle important pour la formation des personnels. Le Togo en compte une - l'Ecole du service de santé des armées - et le Cameroun quatre : un centre d'enseignement militaire supérieur, un pôle consacré à la maintenance aéronautique, un centre de formation au maintien de l'ordre pour les gendarmeries et un centre de formation aux opérations de maintien de la paix. Comme leur nom l'indique, ces écoles à vocation régionale, soutenues par la France, accueillent des élèves ou stagiaires de nombreux pays voisins.
Parmi les autres domaines de coopération privilégiés, on peut citer l'appui aux fonctions logistiques ou à la maintenance des matériels, ou encore le soutien à la surveillance maritime.
Pour conclure, je dois préciser qu'après le Togo et le Cameroun, deux autres accords de partenariat de défense ont été signés. Le premier avec le Gabon le 24 février 2010 et l'autre avec la République centrafricaine. Comme l'avait indiqué le ministre de la défense devant notre commission le 10 février dernier, la République Centrafricaine avait émis une demande de clause de sécurité interne dont le principe avait pourtant été exclu par le Président de la République dans son discours du Cap. Bangui a dû renoncer à cette demande et l'accord a finalement été signé le 8 avril dernier.
Il reste donc quatre accords à finaliser.
Celui avec les Comores est en bonne voie.
S'agissant du Sénégal, deux sessions de négociation ont eu lieu fin 2009 et début 2010. Suite à une demande du Président Wade, il a été procédé le 9 juin à une remise symbolique des emprises mises à disposition de la France, mais celles-ci continuent à être régies par un accord de coopération de 1974. En fonction des négociations, certaines emprises seront restituées de manière échelonnée aux autorités sénégalaises. La France prévoit à terme de conserver 300 hommes au Sénégal dans un pôle à vocation logistique, contre 1 200 hommes aujourd'hui.
Concernant Djibouti, la première session de négociation a eu lieu au mois de juin et la deuxième se tient ces jours-ci.
Reste le cas de la Côte d'Ivoire. Un projet d'accord sera transmis à la parie ivoirienne dès que l'élection présidentielle, prévue depuis 2005, aura eu lieu.
Le processus de mise à jour des accords de défense est donc bien engagé.
Il réclame, vis-à-vis de nos partenaires, des efforts d'explication et de pédagogie. Il ne s'agit en aucun cas de mettre un terme ou de réduire une coopération à laquelle ceux-ci sont très attachés. Il s'agit de tenir compte du transfert de responsabilités à l'Afrique déjà engagé en matière de sécurité et d'aider nos partenaires à mieux prendre conscience de ces responsabilités et à mieux les exercer.
Conformément aux engagements pris par le Président de la République, tous ces accords ont vocation à être approuvés par le Parlement.
Au nom de notre rapporteur Philippe Paul, je vous demande donc d'approuver les deux projets de loi autorisant l'approbation des accords instituant un partenariat de défense avec le Togo et le Cameroun.
M. Daniel Reiner - Ces projets de loi posent un problème au groupe socialiste. Il est clair que la révision des accords de défense avec les Etats africains était à l'ordre du jour et c'est d'ailleurs plutôt une bonne chose. Il est tout aussi clair qu'une évolution de nos relations avec l'Afrique a été imprimée depuis une dizaine d'années, en dehors même des accords de défense qui étaient en vigueur. Nous sommes, avec ces deux accords, en présence de la première manifestation de cette réalité nouvelle des relations entre la France et l'Afrique. Le cadre a été tracé, mais il n'a jamais fait l'objet d'une formulation d'ensemble. Nous avons été informés de manière ponctuelle, par exemple lorsque nous ont été présentés, en vue de la mission que j'ai effectuée au Gabon avec Jacques Gautier, le rôle du dispositif RECAMP, de la Force africaine en attente ou des ENVR. Il a été souligné - et cela a été évoqué au Gabon au cours de cette mission - qu'il n'y avait plus de clauses secrètes, qu'il s'agissait d'accords transparents, conclus d'égal à égal. Il serait vraiment surprenant que nous examinions ces accords un par un, peut-être même dans le cadre d'une procédure d'adoption en forme simplifiée, vous n'en avez pas parlé.
M. Josselin de Rohan, président - Je n'en ai pas parlé parce que le rapporteur ne propose pas de procédure d'adoption en forme simplifiée.
M. Daniel Reiner - Dont acte. Nous devons aujourd'hui approuver les deux premiers accords. Deux autres ont été signés, mais nous seront soumis ultérieurement. Les quatre autres accords sont en préparation. Nous souhaiterions un débat global sur ces accords de défense, à l'occasion duquel pourraient être présentés les axes de notre relation nouvelle avec l'Afrique. L'actualité le justifierait d'ailleurs. Le Secrétaire d'Etat en charge de l'Afrique a quitté le Gouvernement. Notre ancien ambassadeur au Sénégal a critiqué les conditions dans lesquelles est conduite notre politique africaine. Pour toutes ces raisons, nous réservons notre position sur ces deux accords et nous souhaitons pouvoir débattre de la réflexion d'ensemble inspirant notre politique africaine.
M. Josselin de Rohan, président - Comme je l'ai déjà indiqué, nous ne suggérons pas de procédure simplifiée. Ces accords seront examinés selon la procédure normale, dans le cadre d'un débat au cours duquel je ne verrai que des avantages à ce que le Gouvernement présente les principes généraux de notre politique de défense en Afrique.
Nous ne pouvons faire autrement que d'examiner ces accords au fur et à mesure où ils nous sont présentés. Il s'agit au demeurant d'accords inspirés par un modèle-type qui a été proposé à tous les pays concernés. Il est vrai qu'il s'agit d'un changement, puisqu'il n'y a plus ces clauses d'assistance qui avaient pu être utilisées par le passé pour venir en aide à des dirigeants contestés.
Je suis d'accord avec vous sur l'intérêt d'une discussion au cours de laquelle le Gouvernement exposerait comment nous opérons en Afrique en matière de coopération de défense et comment vont y évoluer nos effectifs.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte les deux projets de loi, le groupe socialiste s'abstenant.