- Mardi 22 juin 2010
- Mercredi 23 juin 2010
- Audition de M. Joseph Maïla, responsable du pôle religions à la direction de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes
- Service européen pour l'action extérieure et la politique de sécurité et de défense commune - Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes
Mardi 22 juin 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Echange de vues avec une délégation de sénateurs italiens
La commission procède à un échange de vues avec une délégation de sénateurs italiens conduite par M. Gianpiero Carlo Cantoni, président de la commission de la défense du Sénat de la République italienne.
M. Josselin de Rohan, président - Nous avons le plaisir d'accueillir une délégation de la commission de la défense du Sénat de la république italienne conduite par son président M. Cantoni.
L'échange de vues que nous allons avoir s'insère dans un programme dense de rencontres que nous avons pu organiser à votre demande avec notre industrie de défense, la délégation générale à l'armement, l'état-major et le cabinet du ministre de la défense.
Nos deux pays ont de multiples sujets d'intérêt commun. La déclaration commune sur la sécurité et la défense qu'a adopté le 28ème sommet franco-italien, le 9 avril dernier, liste un certain nombre de ces thèmes de coopération. Nous pourrons largement les aborder lors de notre discussion. Ce sommet a été l'occasion de souligner la volonté des deux pays de renforcer leur coopération bilatérale sur la politique européenne de défense et de sécurité, notamment dans le domaine des crises humanitaires. Il a été également l'occasion de lancer la brigade alpine franco-italienne et de prendre acte des avancées en matière de coopération d'armement.
L'Italie est le premier partenaire de la France en nombre de programmes en coopération et réciproquement. Le coeur de notre coopération s'articule autour des secteurs naval, spatial et balistique. Notre coopération institutionnelle est prolongée par une coopération industrielle : entre les groupes Thales et Finmeccanica pour le domaine spatial, MBDA pour les missiles et des sociétés communes franco-italiennes, entre Thales, Wass et DCNS dans le domaine des torpilles et sonars.
Dans le domaine spatial, notre coopération a été, et demeure, une véritable success story. Les satellites SICRAL et Athena-Fidus s'inscrivent dans la ligne du programme de coopération à technologies duales franco-italien ORFEO (COSMO-SKYMED et PLEIADES) et HELIOS II B. Cet axe de notre coopération s'inscrit naturellement dans la priorité donnée par notre Livre blanc à la fonction « connaissance et anticipation ».
Dans le domaine naval, nous avons, notamment, le programme des frégates Horizon qui est en voie d'achèvement. Nous avons également un programme commun de torpilles lourdes en cours de développement, un projet de bâtiment ravitailleur des forces navales, la réalisation des futurs moyens d'observation par satellite et un partenariat public-privé commun dans les télécommunications satellitaires.
Ces perspectives de coopération s'inscrivent dans un contexte où le continent européen fait face à une crise économique et financière qui impacte les budgets de défense et nous conduit inéluctablement à rechercher une mutualisation des programmes. Je suis persuadé que si nous ne construisons pas une base industrielle européenne de défense, ce qui suppose naturellement que chacun fasse des sacrifices, notre industrie de défense risque de s'étioler et de disparaître au profit de l'industrie des Etats-Unis.
Pourtant, notre coopération pourrait être encore plus forte. Nos deux pays se retrouvent en situation de concurrence à l'exportation et, sans qu'il soit nécessaire d'évoquer une « préférence européenne », la relation transatlantique avec l'industrie des Etats-Unis reste forte.
Nos deux pays, co-fondateurs de l'Europe, sont convaincus de la nécessité de créer une politique européenne de sécurité et de défense qui permette à l'Europe d'agir dans le monde à la hauteur de ses capacités économiques. Cette ambition politique doit s'appuyer sur une industrie européenne forte et compétitive qui permette l'équipement de nos armées.
Je crois que nous partageons la volonté de construire une Europe de la défense qui soit pleinement complémentaire et partenaire avec l'OTAN, mais qui affirme clairement sa dimension européenne. S'agissant de l'Alliance atlantique, nos analyses sur l'évolution des menaces nous conduisent à des rapprochements en ce qui concerne le futur concept stratégique. Nous sommes également persuadés de la nécessité impérieuse de réformer l'OTAN et de redresser son budget.
Un des points que nous pourrons aborder est celui du contrôle parlementaire de la politique européenne de défense. Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, s'est récemment rendu en Italie pour présenter notre proposition de mise en place d'une instance de concertation parlementaire rendue nécessaire par la dénonciation du traité de l'UEO et la disparition de son assemblée parlementaire. Sur notre proposition, le Sénat a adopté une résolution. Le Sénat italien vient également d'adopter un ordre du jour sur cette question.
La France et l'Italie sont frères d'armes sur les mêmes théâtres d'opérations de l'Afghanistan au Liban en passant par la corne de l'Afrique, les Balkans occidentaux et Haïti. Cette communauté d'armes traduit notre engagement et notre participation aux opérations de maintien de la paix menées dans le cadre de l'Union européenne, de l'ONU ou de l'OTAN.
Monsieur le président, je vous laisse la parole pour un exposé liminaire et nous pourrons ensuite lancer la discussion.
M. Gianpiero Carlo Cantoni, président de la commission de la défense du Sénat de la République d'Italie, présente la délégation de sénateurs italiens composée des sénateurs de la commission de la défense : MM. Giuseppe Caforio, membre du parti l'Italie des valeurs, Mauro Del Vecchio, membre du Parti Démocratique, Sergio Divina, membre de La ligue de Nord et de Padanie, Vincenzo Galioto, membre du parti Le peuple de la liberté, accompagnés de M. Marco Biscu, conseiller des services du Sénat italien.
Vous avez souligné l'excellence des rapports entre la France et l'Italie, qui ont de grandes affinités et qui doivent continuer à assumer le leadership de la coopération de défense en Europe afin de faire revivre le rêve des pères fondateurs.
Je vous remercie d'avoir rappelé la création de la brigade alpine franco-italienne, qui va dans le sens d'une Europe de la défense. Cette Europe de la défense faisait partie du rêve initial, qui malheureusement n'a pas vu le jour. L'Europe de la défense n'est pas née et l'euro est le seul sang qui coule dans les veines de l'Europe. Mais ce lien monétaire ne peut pas être le lien unique. Le lien qui nous unit doit être un lien de défense, la défense d'une culture commune, la défense d'idées et de valeurs partagées, la défense d'industries importantes. De ce point de vue, l'Europe doit prendre conscience de la nécessité de se renforcer, parce que sinon elle deviendra un musée d'archéologie industrielle.
Vous avez souligné le partenariat existant entre nos industries de défense dans le domaine de la construction navale, des missiles, des satellites, ainsi que dans bien d'autres domaines. Même le programme italien de fantassin du futur (soldato futuro) pourrait s'inspirer du programme français Felin, voire utiliser certains de ses éléments.
Nous avons bien saisi l'offre de collaboration à votre projet et nous allons appeler l'attention du Président du Sénat et de nos hommes politiques pour l'adopter.
Il est évident que, après le tsunami financier qui a failli emporter la Grèce, mis en difficulté l'Espagne, le Portugal, et mettra certainement demain la Grande-Bretagne en difficulté aussi, nos projets de défense devront être revus à la baisse. Il sera donc nécessaire de rationnaliser les industries françaises et italiennes pour faire face à une compétitivité de l'industrie de défense américaine de plus en plus rude.
De ce point de vue, nous, Italiens, vous envions, parce que vous avez été plus courageux que nous en faisant le Livre blanc. Cela vous a permis de poser de façon sereine la question du concept de défense, alors que nous sommes maintenant obligés de le faire dans l'urgence.
Nous voyons avec beaucoup d'intérêt la possibilité d'accroître la coopération en matière navale. Il y a bien sûr les frégates Horizon et les FREM, mais il y a également, en matière d'opérations, une possible coopération dans le domaine de la lutte contre la piraterie. Nous savons que vous avez sur vos bateaux civils quatorze équipes de 9 à 12 personnes et nous en sommes très envieux, parce que nous n'avons pas réussi à convaincre notre ministère de la défense d'en faire autant.
Par ailleurs, nous mettrons tout en oeuvre pour soutenir le projet que vous avez formé de suivi parlementaire de la PSDC. Il faut en effet trouver un substitut à l'UEO.
L'Europe de la défense est un rêve difficile à réaliser. Nous sommes tous Européens. Mais nous voulons tous soutenir nos entreprises et maintenir notre propre compétitivité, ce qui est la cause même de l'affaiblissement du rêve européen. S'il y avait un domaine où il eût été facile de faire émerger une volonté industrielle française, c'est bien celui des compagnies aériennes. Or cela ne s'est pas fait. Les concentrations ne se font pas librement. Elles ne se font que sous la pression, lorsque cela se passe mal.
Nous croyons dans le pouvoir des rêves. Et nous faisons le rêve que l'on puisse avoir une Europe de la défense, une Europe des idées qui puisse se construire, sur une base libérale, catholique et réformiste. Sinon les pays asiatiques nous relègueront aux marges du monde. Nous avons tous la force de le faire. Il nous faut juste faire de la politique avec un grand «P». Je suis sûr que les générations qui viendront gagneront cette bataille.
Sénateur Vincenzo Galioto - Nous sommes tous confrontés à une crise financière que nous devons affronter en faisant des coupes budgétaires qui affecteront nécessairement la défense. Nous devons donc faire en sorte d'en minimiser les effets afin que cela n'affecte pas la qualité de notre défense.
Votre proposition de coopération sera accueillie favorablement par le Président du Sénat italien.
J'ai deux questions. La première est : que pensez vous de l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie ? La seconde a trait au terrorisme international. L'Afghanistan est le premier producteur d'opium au monde. Comment cela se traduit-il dans ce pays et dans le nôtre ?
M. Josselin de Rohan, président - Concernant l'élargissement de l'OTAN, une décision a été prise au sommet de Bucarest en 2008 afin de permettre à ces deux pays d'adhérer à l'OTAN, mais à certaines conditions, dont l'une était que cela ne mette pas en danger la sécurité des Etats membres de l'Alliance. S'agissant de l'Ukraine au moins, la demande d'adhésion à l'OTAN a été retirée par le nouveau Gouvernement de ce pays. Concernant la Géorgie, la question reste ouverte. Actuellement ce pays ne remplit pas la condition d'une adhésion compte tenu de son fonctionnement non démocratique. Et surtout ce pays devrait veiller à ne pas mettre en danger la sécurité de l'Europe par des actions intempestives comme il l'a fait dans un passé récent. La Géorgie a le droit d'être candidat à l'adhésion à l'OTAN, mais c'est aux pays membres de déterminer quand elle remplira les conditions.
S'agissant du terrorisme en Afghanistan et des ressources que lui procure la drogue, nous espérons comme vous que le Gouvernement afghan disposera des moyens nécessaires pour combattre ce fléau. Mais le terrorisme, ce n'est pas seulement l'Afghanistan. C'est aussi l'AQMI -Al Qaïda au Maghreb islamique- qui est puissante en Afrique du Nord et nous inquiète. Elle s'alimente de rançons. Il doit y avoir une coopération forte en Europe contre le terrorisme et également en matière de douanes et d'immigration. Il faut veiller à ce que ne s'introduisent pas dans nos pays des élèments déstabilisants.
Mme Nathalie Goulet - Notre commission a abordé il y a quelques mois le sujet de la prolifération dans un document important signé par nos collègues Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga et intitulé : «Le Moyen-Orient à l'heure nucléaire». Que pensez vous, en Italie, de ce problème ?
M. Gianpierro Cantoni, président - notre position est de grande prudence parce que la prolifération pourrait être non seulement dangereuse, mais déstabilisatrice. Elle concerne l'Iran, comme le Pakistan. Le terrorisme a irradié partout. S'il se conjugue avec le pouvoir de l'atome, ce sera une catastrophe. C'est pourquoi nous devons tout faire pour éradiquer la menace de la prolifération, ce qui pourra aller jusqu'à prendre des sanctions très dures.
M. Mauro del Vecchio - S'agissant de l'Iran, nos deux pays ont la même politique. Le Parlement italien a voté une motion, à l'unanimité de ses membres, contre la prolifération.
Pour le Parlement italien, comme pour le Parlement français, nous sommes confrontés à une crise économique historique. Pensez-vous que la crise peut impacter la voie que la France s'est tracée dans le Livre blanc ?
M. Josselin de Rohan, président - Il est impensable que face à la nécessité de redresser nos finances publiques, nous ne soyons pas amenés à prendre des mesures de restriction sévères. La route de la Grèce est ouverte et nous ne voulons pas l'emprunter. La défense devra contribuer à l'effort de réduction des dépenses publiques. La question est de savoir dans quelle proportion ? Nos forces sont déjà engagées dans une profonde restructuration. Les effectifs vont diminuer de 54 000 hommes sur cinq ans. L'effort d'économie sera compris entre 2,5 et 5 milliards d'euros. Tout le monde s'accorde à dire qu'au-delà de 3 milliards d'euros, ce serait un bouleversement profond de notre défense qui interviendrait. La loi de programmation militaire que nous avons votée en serait définitivement affectée. Les perspectives tracées par le Livre blanc deviendraient sans issue. Que faire ? Réduire les programmes d'équipement ? Mais nos forces ont besoin de renouveler des matériels vieillissants, notamment dans le domaine des hélicoptères, et d'acquérir des nouvelles capacités pour préserver la vie des soldats en opérations extérieures, je pense aux drones pour l'Afghanistan. Nous avons également besoin de missiles pour nos sous-marins. Il faut veiller à maintenir la viabilité des principaux programmes d'armement en se gardant de faire des coupes aveugles. En interrompant des programmes, on prend le risque de perdre les compétences des équipes. De plus, l'expérience montre que quand on étale les programmes dans le temps, cela augmente leur coût. Enfin, nous ne pouvons que nous inquiéter du risque de fragilisation, voire de disparition de notre industrie de défense si elle na ni commandes, ni débouchés à l'exportation.
Une des réponses possibles permettant d'éviter tout cela c'est précisément la coopération européenne. Une coopération intelligente devrait nous permettre d'éviter la disparition de l'industrie européenne et de son savoir-faire. Faute de quoi, nous n'aurons plus qu'un seul fournisseur : les Etats-Unis. Notre commission souhaite que le Gouvernement français ne mette pas en péril des équilibres qui étaient en voie d'être atteints, avant la crise.
M. André Vantomme - Avez-vous une idée de la façon dont les coupes budgétaires en Italie vont être effectuées ? Quelles sont vos craintes et quels sont les écueils à éviter selon vous ?
M. Gianpierro Cantoni, président - Le budget est en discussion ces jours-ci devant le Parlement. La réduction envisagée est de l'ordre de 1,5 à 2 milliards d'euros. Cet effort serait très difficilement supportable d'autant que l'effort de défense italien ne représente que 0,9 % du PIB alors qu'il est de 2 % en France. Ces réductions sont très critiquées dans la mesure où les coupes prévues sont linéaires. Il faut revoir les critères qui seront retenus. On ne peut pas réduire la maintenance, parce qu'il en va de la sécurité de nos soldats. On ne peut pas réduire l'entraînement, car il en va de l'efficacité de nos forces. Alors que faire ? Notre pays peut se féliciter d'avoir un ministre des finances comme le ministre Tremonti, car il nous a permis de surmonter les crises financières. Je sais que cela peut paraître surprenant, car cela bouleverse les idées reçues, mais si on additionne la dette publique et la dette privée -ce que l'on ne fait jamais puisqu'on raisonne toujours uniquement sur la dette publique- l'Italie est moins endettée que l'Allemagne.
M. Bernard Piras - Vous avez déclaré que l'Europe était libérale, catholique et réformiste. Ces termes me choquent. Que voulez-vous dire par catholique ? En France nous sommes laïcs et l'Europe du Nord est plutôt protestante. Que voulez-dire par libérale ? Nous avons le sentiment que nous sommes plutôt dans une économie sociale de marché ? Et que voulez vous dire par réformiste ? S'agit-il des réformes qui profitent aux riches ?
M. Gianperro Cantoni, président - Par réforme, j'entends les réformes de modernisation qui sont nécessaires pour que nos pays soient prospères dans le cadre effectivement d'une économie sociale de marché ; par libérale, j'entends le libéralisme des lumières et de la tolérance ; par catholique, et bien je pense que oui, l'Europe a des racines chrétiennes qu'on ne peut nier.
Audition de Mme Pascale Andréani, Ambassadeur, représentante permanente de la France au Conseil de l'Atlantique Nord
M. Josselin de Rohan, président - Je remercie Mme Pascale Andréani, Ambassadeur, Représentante permanente de la France au Conseil de l'Atlantique Nord, d'avoir bien voulu venir devant nous aujourd'hui évoquer les principaux dossiers à l'ordre du jour au sein de l'Alliance atlantique.
L'opération en Afghanistan en premier lieu, qui se trouve actuellement dans une phase cruciale, avec l'objectif de réunir d'ici quelques mois les conditions sécuritaires et politiques permettant d'amorcer la transition vers un transfert de responsabilité aux autorités afghanes.
L'OTAN va également adopter au sommet de Lisbonne, au mois de novembre, son nouveau concept stratégique. M. Bruno Racine, nous a présenté les conclusions du groupe d'experts réuni autour de Mme Albright, auquel il participait. Nous souhaiterions savoir comment ce rapport a été reçu par les nations et par le Secrétaire général, qui sera chargé d'élaborer à leur intention un premier projet. Parmi les conclusions du groupe Albright, certaines recueillent-elles déjà un consensus ? D'autres vont-elles faire l'objet de débats entre le Secrétaire général et les nations d'ici Lisbonne ?
Un autre sujet prend une dimension croissante au sein de l'OTAN : la défense antimissile. Le Secrétaire général et l'administration américaine insistent pour obtenir une décision de principe à Lisbonne sur une extension à la défense des territoires du programme de défense antimissile de théâtre de l'OTAN. Nous souhaiterions connaître l'état des discussions sur ce dossier, ainsi que les positions prises par la France. Nous sommes sceptiques sur les chiffrages avancés par M. Rasmussen et nous avons de multiples interrogations sur l'architecture d'une défense antimissile du territoire européen. Au-delà du système de commandement et de contrôle, quels moyens faudrait-il mettre en place pour assurer cette défense territoriale ? Qui fournira ou financera ces moyens ? Quelle sera la part de l'apport américain, des financements communs et des éventuels apports des alliés européens ? Quelle contribution la France pourrait-elle apporter à ce système ? Quel degré de priorité accorder à ce projet, compte tenu des autres besoins capacitaires et du contexte budgétaire actuel ?
Enfin, les questions financières sont devenues un thème majeur de discussion au sein de l'OTAN. La gouvernance financière de l'organisation est en cause. Un groupe d'experts nationaux, auquel participe l'un des vos prédécesseurs, M. d'Aboville, a été mandaté en vue d'établir des propositions. Sous l'impulsion de plusieurs pays, dont la France, la question d'une rationalisation des structures est posée, qu'il s'agisse du siège de l'Alliance, de la structure militaire de commandement ou des 14 agences qui dépendent de l'organisation. Nous souhaiterions savoir si des orientations ont déjà été retenues et ce que l'on peut attendre de ce processus, sachant qu'il peut susciter des résistances de la part de certaines nations ou de la structure internationale elle-même.
Mme Pascale Andréani, Ambassadeur, Représentante permanente de la France au Conseil de l'Atlantique Nord - Monsieur le Président, les sujets que vous avez évoqués sont effectivement au coeur des débats actuels au sein de l'OTAN, dans la perspective du prochain sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Lisbonne, les 19 et 20 novembre.
En ce qui concerne l'Afghanistan, plusieurs échéances sont devant nous. La conférence de Kaboul, prévue en juillet, aura une importance particulière et abordera l'ensemble des volets : la sécurité, la gouvernance et le développement. Les élections parlementaires auront lieu le 18 septembre. Quelques semaines plus tard, lors du sommet de Lisbonne, l'Alliance analysera l'évolution de la situation au regard des objectifs poursuivis, à savoir la transition et le transfert progressif des responsabilités aux Afghans. C'est bien vers ce but que tendent nos efforts actuels au plan militaire bien sûr, mais également en matière de formation des forces de sécurité afghanes, de partenariat avec les autorités afghanes et de coopération avec les Etats voisins. La FIAS devra également définir comment elle pourra accompagner les processus de réconciliation et de réintégration que le président Karzaï entend initier. En fin d'année 2010, nous verrons dans quelle mesure il sera possible d'annoncer le transfert complet de responsabilité aux autorités afghanes dans certaines provinces ou districts. Lors de la dernière réunion des ministres de la défense, les 10 et 11 juin, le général Mac Chrystal a indiqué que la situation sécuritaire s'améliorait mais que la transition prendrait du temps. Il a fait état de progrès plus modestes dans les domaines de la gouvernance et du développement. Nous nous trouvons donc actuellement dans ce processus de transition et nous espérons pouvoir faire état de premiers résultats positifs au mois de novembre, au sommet de Lisbonne.
Je souhaiterais insister sur un point important : la nécessaire coordination, dans cette phase de transition, entre les actions militaires et civiles. A cet effet, le Secrétaire général de l'OTAN a désigné un haut représentant civil, M. Mark Sedwill, ancien ambassadeur britannique en Afghanistan. Celui-ci assure l'interface entre la FIAS, les organisations internationales telles que l'ONU et l'UE, les équipes provinciales de reconstruction (PRT), et les organisations non gouvernementales.
En ce qui concerne la révision du concept stratégique de l'OTAN, le rapport du groupe d'experts présidé par Mme Madeleine Albright ne constitue qu'une première étape. Il incombe désormais au Secrétaire général d'élaborer un projet qui sera soumis aux nations. Après une phase de consultation incluant notamment les pays partenaires, il remettra ce projet à la fin du mois de septembre. S'ouvrira alors une troisième étape au cours de laquelle sera négocié le texte définitif qui sera soumis à l'approbation des chefs d'Etat et de gouvernement en novembre à Lisbonne.
S'agissant des missions et finalités de l'Alliance, un accord assez large s'est réalisé sur la nécessité de trouver un bon équilibre entre la défense collective et les opérations de gestion de crise. Certains alliés, parmi les nouveaux Etats membres, plaident fortement en faveur de la défense collective et du renforcement de la crédibilité de l'article 5. La France, pour sa part, insiste sur la prise en compte de la dissuasion nucléaire comme élément clef de la défense collective.
Le rapport Albright souligne la nécessité pour l'OTAN de s'adapter aux nouvelles menaces et à ce titre, les cyberattaques doivent faire l'objet d'une attention particulière. Il s'agit aujourd'hui avant tout d'une responsabilité nationale, mais l'OTAN doit protéger ses infrastructures et peut assister certains pays pour faire face à de telles menaces.
Le périmètre géographique de l'OTAN fait également l'objet de réflexions dans la perspective de la révision du concept stratégique. A la notion d'élargissement, le Secrétaire général préfère la réaffirmation du principe de la « porte ouverte ». Dans l'immédiat, la question de l'adhésion ne se pose que pour les Etats des Balkans. L'admission de l'ARYM/Macédoine a été approuvée dans son principe mais continue d'être subordonnée au règlement du litige sur la dénomination du pays. Le plan d'action pour l'adhésion (MAP) a été accordé au Monténégro et, sous conditions, à la Bosnie-Herzégovine. Il paraît indispensable de rappeler dans le concept stratégique les critères à appliquer pour de nouvelles adhésions. Celles-ci doivent se traduire par un renforcement de la stabilité régionale et de la sécurité de l'Alliance.
L'un des éléments les plus novateurs par rapport au concept stratégique de 1999 est la place faite aux partenariats. La question des relations avec la Russie suscite un débat entre la volonté de faire progresser le partenariat et les préoccupations des Etats issus de l'ex-bloc de l'Est, réticents à faire confiance à la Russie. Il y a une véritable nécessité de renforcer le dialogue avec la Russie et de mettre en oeuvre des coopérations au sein d'un partenariat stratégique. Il faudra faire preuve de créativité pour y parvenir. Une autre dimension nouvelle tient à l'importance prise par les partenariats avec les pays méditerranéens et les pays du Golfe.
La France souhaiterait aller plus loin que ne l'a fait le rapport Albright sur le partenariat avec les autres organisations internationales, en particulier l'Union européenne. Le rapport Albright demeure en effet prudent sur les relations OTAN-Union européenne, Il s'agit d'un sujet difficile qui bute sur la question de Chypre. Actuellement, le seul mécanisme institutionnel régissant les relations entre les deux organisations résulte des accords « Berlin plus », conçus pour mettre certains moyens de l'OTAN à disposition de l'Union européenne sur les théâtres où l'Alliance n'est pas engagée. Par définition, ces arrangements ne sont pas applicables lorsque les deux organisations agissent côte à côte sur un même théâtre d'opération, comme cela est actuellement le cas au Kosovo, en Afghanistan ou dans le Golfe d'Aden pour la lutte contre la piraterie. La Turquie ne souhaite pas aller au-delà de la stricte mise en oeuvre des mécanismes « Berlin plus », auxquels Chypre ne peut participer faute d'accord de sécurité avec l'OTAN. Inversement, Chypre bloque tout accord de sécurité entre l'Union européenne et la Turquie, empêchant par exemple cette dernière de participer aux travaux de l'Agence européenne de défense comme le font la Norvège ou l'Islande. Le Secrétaire général souhaite pouvoir formuler des propositions afin d'améliorer la situation, notamment en développant des mécanismes informels. Il rencontre déjà régulièrement la Haute Représentante de l'UE.
Le troisième grand sujet d'actualité à l'OTAN concerne la réforme de l'organisation. Le rapport Albright insiste sur la nécessité de cette réforme et il est indispensable, aux yeux de la France, de lancer ce processus et d'obtenir des résultats dès le sommet de Lisbonne.
Il s'agit tout d'abord d'améliorer le fonctionnement du siège de l'organisation, en réduisant le nombre de comités, aujourd'hui supérieur à 400, en facilitant le processus décisionnel, en établissant une coopération plus efficace entre la structure civile et la structure militaire. Le dépassement très important constaté entre les besoins financiers liés aux différents programmes militaires envisagés et le plafond budgétaire fixé pour les dépenses d'investissement pour la sécurité témoigne d'une absence de planification et d'un contrôle politique insuffisant sur ces programmes. Il sera donc indispensable d'établir des priorités pour les investissements futurs.
La structure militaire de commandement devra elle aussi faire l'objet d'une rationalisation. Elle mobilise aujourd'hui un effectif de 12 000 à 13 000 personnes. Les ministres de la défense de neuf Etats membres ont préconisé, il y a quelques mois, une réduction significative qui permettrait de la ramener en-dessous de 10 000 personnes. C'est une hypothèse sur laquelle travaille actuellement le Secrétaire général. Il paraît également nécessaire de réduire le nombre d'états-majors, et on peut s'interroger sur la nécessité de maintenir trois commandements de forces interarmées, actuellement situés à Brunssum, Naples et Lisbonne.
La volonté de réforme a été exprimée notamment par le Secrétaire général, mais l'Alliance décide par consensus. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, le Danemark ou encore le Canada, plaident pour des mesures ambitieuses. D'autres Etats membres - l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, la Turquie - sont en revanche très attentifs au maintien d'un certain nombre de structures implantées sur leur territoire. Cela laisse augurer des discussions difficiles.
Enfin, l'ordre du jour du sommet de Lisbonne comprendra également la défense antimissile. L'OTAN développe actuellement le programme ALTBMD consacré à la défense antimissile de théâtre, pour lequel moins d'un quart du coût total (qui s'élève à 800 millions d'euros) a été financé. Selon le Secrétaire général, un investissement supplémentaire de l'ordre de 200 millions d'euros sur dix ans, s'ajoutant aux 800 millions d'euros déjà programmés pour l'ALTBMD, permettrait d'élargir ce programme à la défense des territoires des pays alliés. Mais ce chiffrage ne concerne que les systèmes de commandement et de contrôle. Lors de la dernière réunion des ministres de la défense de l'OTAN à Bruxelles, M. Hervé Morin a souligné la nécessité d'obtenir des clarifications techniques et financières sur l'architecture complète du système, ainsi que sur les règles d'engagement qui devront être définies. Nous n'avons pas encore de réponses à ces questions.
Le rapport Albright a qualifié la défense antimissile de « mission militaire essentielle » de l'Alliance atlantique. Nous nous interrogeons sur les conséquences juridiques et financières d'une telle qualification. Avant toute décision, il conviendra d'avoir des précisions techniques et financières pour pouvoir déterminer si cette capacité nouvelle doit être prioritaire au regard des nombreux besoins de l'Alliance. C'est au sommet de Lisbonne que cette question devrait être tranchée par les chefs d'Etat et de gouvernement.
M. Josselin de Rohan, président - Ma première question portera sur la politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC). Sentez-vous à l'OTAN, de la part de certains pays - je pense au Royaume-Uni ou à de nouveaux Etats membres - des résistances à l'égard de la PSDC, la garantie apportée par l'Alliance dispensant en définitive certains pays d'effectuer un effort plus conséquent dans le domaine de la défense. ? Par ailleurs, je m'interroge sur la politique de l'Allemagne. Ce pays est traversé par des courants pacifistes et le soutien à l'opération d'Afghanistan y est des plus fragiles. Dans le même temps, l'Allemagne dispose d'une industrie de défense performante et dynamique. Elle est également assez conservatrice sur la structure militaire de commandement de l'OTAN. Comment ces contradictions apparentes peuvent-elles être conciliées ?
Mme Pascale Andréani - Lors de la dernière réunion des ministres de la défense, le nouveau ministre britannique, M. Liam Fox, n'a pas marqué d'hostilité à l'encontre de la PSDC tout en soulignant qu'à ses yeux, l'Europe ne devait agir que lorsque l'OTAN ne souhaitait pas ou ne pouvait pas être engagée. Quant aux anciens pays du bloc de l'Est, ils attachent une priorité absolue à la garantie de sécurité apportée par l'OTAN, grâce à la participation américaine. Ils n'en sont pas moins conscients de l'importance de l'Europe de la défense et notre participation désormais pleine et entière aux structures de l'OTAN a favorisé une évolution des esprits : nous ne sommes plus soupçonnés de vouloir construire l'Europe de la défense contre l'OTAN. L'opération Atalante de lutte contre la piraterie a d'ailleurs montré que l'Union européenne était capable d'agir efficacement. Il est significatif de ce point de vue que la Pologne, qui prépare sa future présidence européenne, souhaite que des initiatives soient prises en matière de PSDC. Dans le même temps, le Royaume-Uni maintient ses positions traditionnelles et on ne peut guère escompter d'évolution sur la question du quartier général de planification et d'opération européen. S'agissant de l'Allemagne, elle est attachée - vous y avez fait allusion - au commandement de Brunssum, dont elle est responsable. Mais le Secrétaire général a souhaité ouvrir la réflexion sur le bien fondé de l'ensemble des commandements, qu'ils soient interarmées ou de composantes, en invitant les nations à raisonner indépendamment de leur localisation.
M. André Vantomme - Lors d'une récente mission en Géorgie pour le compte de la commission, j'ai pu constater que les autorités de Tbilissi étaient conscientes que la perspective d'une adhésion à l'OTAN n'était pas d'actualité. Je souhaiterai néanmoins savoir comment l'OTAN peut envisager de dialoguer sereinement avec la Russie alors que celle-ci occupe toujours 20 % du territoire d'un pays souverain. Comment l'OTAN manifeste-t-elle à la Russie sa réprobation par rapport à cette situation ?
Mme Pascale Andréani - Cette réprobation se manifeste notamment au sein du Conseil OTAN-Russie. La France compte, avec l'Allemagne, parmi les pays qui ont plaidé pour le maintien des réunions du Conseil OTAN-Russie lors des événements d'aout 2008 en Géorgie, considérant précisément que cette enceinte était utile pour mener un dialogue franc et direct et pour exprimer, le cas échéant, les points de désaccord. Il ne se déroule pas de réunion du Conseil OTAN-Russie sans que ne soit rappelé à l'ambassadeur de Russie que nous n'acceptons pas le fait accompli en Géorgie. Par ailleurs, l'Alliance a constamment rappelé que l'adhésion d'un pays relevait exclusivement d'une décision des pays alliés et qu'aucun pays tiers ne pourrait exercer un veto. Le différend sur la Géorgie ne remet toutefois pas en cause l'intérêt stratégique, pour l'Alliance, d'un dialogue avec la Russie, ni l'utilité des coopérations avec celle-ci sur un certain nombre de sujets, comme la lutte contre le terrorisme, l'Afghanistan et la lutte contre la piraterie.
M. Jacques Gautier - On constate actuellement un nouveau positionnement diplomatique de la Turquie. Sur le dossier iranien, les divergences sont manifestes avec les Etats-Unis et les autres pays occidentaux, au point que la Turquie ne s'est pas abstenue au Conseil de sécurité, mais a voté contre. Dans le même temps, on a l'impression que la Turquie reste attachée à une vision traditionnelle de l'Alliance atlantique. Elle tient à conserver les états-majors et les bases de l'OTAN sur son territoire. Elle pourrait même accueillir des installations antimissiles. On voit également que malgré l'affaire de Gaza, la Turquie continue à entretenir des relations militaires étroites avec Israël. L'armée turque aurait récemment fait usage de drones israéliens dans des opérations contre le PKK. On a parfois le sentiment d'un « double jeu » diplomatique. Pouvez-vous nous en dire plus sur les positions actuelles de la Turquie au sein de l'OTAN ?
Mme Pascale Andréani - Je dois d'abord préciser que la question de l'Iran n'a jamais été évoquée en tant que telle à l'OTAN. Ankara n'a donc pas eu à expliquer sa politique à l'égard de l'Iran au Conseil de l'Atlantique Nord. La Turquie est un membre très important de l'Alliance atlantique. Je ne crois pas que l'on puisse lui prêter un double jeu. Elle aspire à jouer un rôle régional plus important et à nouer des contacts avec l'ensemble des parties. La politique actuelle de la Turquie répond à son souci d'exercer toutes ses responsabilités régionales.
M. André Vantomme - S'agissant de la situation financière de l'OTAN, pouvez-vous nous préciser l'ampleur de l'impasse budgétaire et les origines de ce dépassement. Certains Etats sont-ils en retard sur leurs contributions ? S'agit-il plutôt d'une dérive des dépenses ?
Mme Pascale Andréani - Il n'y a pas de retard dans le règlement des contributions nationales. La situation budgétaire actuelle résulte de décisions qui ont été prises sans tenir compte de la réalité des ressources financières.
Pour s'en tenir à des ordres de grandeur, le budget annuel total de l'OTAN est de l'ordre de 2 milliards d'euros. Dans cet ensemble, le budget militaire, qui couvre la structure de commandement et les opérations, représente 1,2 milliard d'euros, et le budget civil, qui couvre les dépenses du siège, 200 millions d'euros. Le budget des investissements pour la sécurité est quant à lui fixé à un plafond de dépenses de 653,3 millions d'euros.
C'est essentiellement sur le budget des investissements pour la sécurité que se situe le dérapage. Les programmes ont été lancés sans programmation financière cohérente avec les ressources. L'écart entre les besoins et les ressources s'établit à plus de 460 millions d'euros pour l'année 2010. Les Etats membres ont dû décider une contribution supplémentaire exceptionnelle. Ce type de situation devra être évité à l'avenir et le plafond des dépenses d'investissement devra impérativement être respecté. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité de hiérarchiser les programmes.
M. Josselin de Rohan, président - Je voudrai revenir sur l'Afghanistan. Comment la faiblesse du soutien des opinions publiques est-elle ressentie à l'OTAN ?
Mme Pascale Andréani - L'OTAN est effectivement préoccupée par les évolutions des opinions publiques et attache de ce fait une grande importance à la communication. Il est d'ailleurs frappant de constater que la question d'un éventuel retrait d'Afghanistan soit apparue dans le débat intérieur polonais à l'occasion de l'élection présidentielle.
M. Josselin de Rohan, président - Le fait que le président Obama ait ouvert la perspective d'une réduction progressive de la présence militaire américaine à compter de l'été 2011 ne va-t-il pas inciter certains pays contributeur à se retirer ?
Mme Pascale Andréani - Les décisions de retrait annoncées jusqu'à présent, que ce soit de la part du Canada ou des Pays-Bas, ne sont pas liées à la politique du président Obama. Quant à la position française, elle est claire : nous maintiendrons notre présence en Afghanistan aussi longtemps que nécessaire.
M. Jacques Gautier - On évoque la présence en Afghanistan de quelques 85 000 personnels privés recrutés par contrat. Qu'en est-il ?
Mme Pascale Andréani - Nous ne disposons d'aucune information à ce sujet à ce stade. La question a été posée à SHAPE.
M. André Vantomme - Vous avez insisté sur la complémentarité des actions civiles et militaires en Afghanistan. Il semblerait que la contribution française sur le plan civil soit très modeste. Quelles en sont les raisons et cette situation est-elle commentée par nos partenaires à l'OTAN ?
Mme Pascale Andréani - Par définition, l'OTAN n'est en charge que du volet militaire de l'action internationale en Afghanistan. La question des contributions civiles n'y est pas discutée. Je peux vous dire en revanche que la contribution militaire française (près de 4 000 hommes) est extrêmement appréciée, tout comme le fait que nos troupes ne soient soumises à aucun caveat.
Nomination d'un rapporteur
Puis, la commission procède à la nomination d'un rapporteur.
M. Roger Romani est désigné rapporteur de la proposition de loi n° 523 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n°99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
Mercredi 23 juin 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Audition de M. Joseph Maïla, responsable du pôle religions à la direction de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes
Au cours d'une première réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Joseph Maïla, responsable du pôle religions à la direction de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes.
M. Josselin de Rohan, président - Nous recevons aujourd'hui M. Joseph Maïla, responsable du pôle religions de la direction de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes.
Vous êtes un spécialiste incontesté du Moyen-Orient, de l'islam et de la sociologie des conflits. Vous avez été recteur de l'institut catholique de Paris avant d'être nommé, il y a un an, le 1er juin 2009, responsable du pôle religions du ministère des affaires étrangères nouvellement créé au sein de la direction de la prospective. Vous avez également dirigé le Centre de recherche sur la paix et l'Institut de formation à la médiation et à la négociation (IFOMENE). Enfin, je rappelle que vous avez été membre de la commission du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France.
La place croissante du fait religieux dans les relations internationales rendait nécessaire la création d'un pôle de réflexion au ministère des affaires étrangères. La prise en compte de cette dimension est indispensable pour comprendre le monde et ses courants changeants et, à partir de cette compréhension, de construire nos politiques.
Au-delà des conflits, la perception du fait religieux est très diverse. Comment notre pays, avec sa laïcité à la française, avec ses projets sur le voile islamiste et la burqa, est-il perçu ? J'observe que le rapport annuel du département d'Etat américain sur la liberté religieuse condamne l'intolérance de la France vis-à-vis de ce que nos lois considèrent comme des sectes.
Le pôle que vous dirigez est destiné à apporter sa réflexion sur ces sujets. Quel bilan tirez-vous de cette première année d'expérience ? Comment notre diplomatie intègre-t-elle cette dimension pour l'élaboration d'une politique étrangère ?
Je vous laisse la parole.
M. Joseph Maïla - Le pôle religions est une petite structure composée de seulement trois personnes. Ce pôle, rattaché à la direction de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes, a été créé en juin 2009 à la suite des réflexions engagées lors de l'élaboration du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, rédigé sous la direction de MM. Alain Juppé et Louis Schweitzer. Cette création a été encouragée par le Président de la République et appuyée par le ministre des affaires étrangères et européennes.
Au terme de cette première année d'activité, je relève que le pôle remplit trois missions principales. Tout d'abord, observer le fait religieux dans sa globalité et transmettre les informations requises par les directions géographiques du ministère. Ensuite, aider ces directions dans leur analyse de celles des crises que nos analyses peuvent éclairer. Enfin, nous serons appelés à contribuer à la formation des futurs diplomates dans le cadre de l'Institut diplomatique et consulaire récemment créé.
Nous nous attachons donc à étudier les principaux débats qui traversent toutes les religions et non pas simplement l'islam, contrairement à ce que laissaient entendre certains commentaires émis lors de la création du pôle. Le monde des religions que nous observons comporte, en effet, de multiples aspects ; ainsi, nos dernières études portent sur la croissance du mouvement évangélique dans le monde, ou le rapprochement entre l'église orthodoxe russe et les instances politiques du pays. On relève que l'enseignement du catéchisme est désormais obligatoire dans 16 des 26 provinces russes, ce qui illustre l'appui de cette Eglise à un nationalisme de plus en plus affirmé.
L'étude de l'hindouisme permet de constater un phénomène analogue d'appui au nationalisme indien. Le bouddhisme incarne un esprit de résistance dans un certain nombre de pays comme le Tibet, par exemple. L'islam est traversé par de multiples courants dont l'impact politique doit être précisément évalué, tout comme le catholicisme. Notre rôle consiste à tirer de ces observations des enseignements pour les orientations de la politique étrangère de la France. Pour donner des exemples concrets, nous nous sommes ainsi attachés, depuis notre création, à étudier les conséquences du discours du Président Obama prononcé au Caire le 4 juin 2009 sur la place de l'islam dans le monde, à envisager le rôle des Eglises chrétiennes dans la possible résolution de la crise politique à Madagascar ou, encore, les différentes tendances à l'oeuvre au sein du chiisme iranien, qui ont été réactivées par la crise qui a suivi la réélection contestée du Président Ahmadinejad.
Notre deuxième fonction est plus opérationnelle et vise à répondre aux demandes des directions géographiques du ministère pour les éclairer sur la dimension religieuse de certaines crises. Cela a été, par exemple, le cas lors de l'expulsion du Maroc de ressortissants français de confession évangélique, lors de la récente guerre civile qui a opposé, au Sri Lanka, les tamouls aux cingalais ou, encore, lors des violences musulmans et chrétiens en Malaisie et des persécutions à l'encontre de la minorité ahmadie et des chrétiens au Pakistan.
Nous suivons de près les réunions, à Genève, du Conseil des droits de l'Homme, marquées par un débat récurrent sur l'opportunité d'adjoindre la notion de « diffamation des religions » aux normes complémentaires en préparations sur les « formes contemporaines de racisme ». Sur ces sujets sensibles, nous nous efforçons d'apporter des éclaircissements concernant la compatibilité entre une organisation des religions et du fait religieux d'une part et le caractère universel des droits de l'homme d'autre part, de même que sur la place et les libertés accordées, dans des « pays sensibles », à certaines catégories de croyants ou aux non-croyants, sachant que, dans nombre d'entre eux, l'apostasie ou le blasphème sont réprimés par la peine de mort.
Le projet de loi qui sera prochainement soumis au Parlement français sur la prohibition de la dissimulation du visage dans l'espace public nous a conduits à tenter de prévoir les réactions qu'il susciterait dans certains de ces pays. Nous rédigeons un rapport bimensuel relatant les réactions qui y sont observées dans la presse, ou recueillies par nos postes diplomatiques, et nous nous attachons à affiner un argumentaire que nous avons établi clarifiant les orientations du projet de loi, argumentaire adapté au contexte de chacun des États les plus intéressés par notre débat.
Nous suivons également les questions posées par le traité conclu entre la France et le Saint Siège en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes, dont les dispositions font l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat, ou encore la question des chrétiens d'Orient dans la perspective du synode qui se tiendra à Rome en octobre 2010.
Notre dernière mission, celle de la formation des diplomates au fait religieux, ne sera pas la moindre, car la conception française de la laïcité a trop éloigné les agents diplomatiques de la connaissance du fait religieux, à la différence de diplomates issus de pays aux traditions différentes, comme les Etats-Unis, le Canada ou la Suisse, par exemple. Ceux-ci ont, en effet, une connaissance plus fine du fait religieux, et sont donc mieux armés pour faire avancer la résolution de certains conflits. Le cas le plus emblématique est celui des troubles récurrents qui agitent la Bosnie, où la religion sert de prétexte à une mobilisation politique. Mais pas seulement. Nombre de conflits mêlent religion et politique.
Comme je l'ai signalé, nos moyens humains sont limités et le contexte budgétaire actuel ne nous permet pas d'espérer les accroitre ; nous nous appuyons donc sur les contributions de la communauté scientifique française, en France ou à l'étranger, grâce au relais fourni par les instituts français et les grandes écoles comme Sciences-Po ou l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
Nous avons ainsi récemment mis en place un séminaire organisé conjointement avec l'Institut d'études politiques de Paris et le CERI (Centre d'étude des relations internationales), consacré aux religions dans la mondialisation qui s'articulait sur trois thématiques principales : la religion dans les conflits, la laïcité et son avenir en Europe et les nouvelles questions religieuses qui montent à la vie internationale.
A cette occasion, ont été évoquées la crise consécutive à la publication, dans les journaux danois, des caricatures de Mahomet, comme celle qui a suivi la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme d'interdire la présence de crucifix dans les écoles italiennes : la Cour, saisie par une requérante finlandaise résidant en Italie, a considéré que ce signe religieux n'y avait pas sa place, ce qui a suscité une vive réaction de la classe politique italienne toutes tendances confondues et a conduit le ministre des affaires étrangères, Franco Frattini, à interjeter appel devant la Cour. Cet appel, dans une affaire désormais connue comme l'affaire du crucifix laïc, est fondé sur la notion que le crucifix n'est pas seulement un signe religieux mais également un symbole culturel inséparable de l'histoire et l'identité nationales.
Le séminaire a également évoqué l'organisation de l'islam européen et la question de la formation des imams.
Par ailleurs, mes collaborateurs ou moi-même avons participé aux travaux de l'Alliance des civilisations dont l'Organisation des Nations unies est à l'origine, sur le dialogue des civilisations, qui comporte une composante religieuse évidente. Nous récusons cependant formellement leur approche d'un conflit entre l'Europe et l'Islam.
Nous nous attachons à élaborer un langage conforme à la tradition laïque française, qui souligne que cette laïcité, qui constitue une exception mal comprise dans le monde et fournit un modèle d'intégration républicain et non d'exclusion. Elle apporte donc un élément de pacification au sein de notre société. Le pôle ne participe pas au dialogue des religions qui doit se faire entre religieux et qui relève de la théologie.
J'ai, moi-même, participé aux débats organisés au Qatar, dans le cadre du « Centre pour le dialogue interreligieux et la paix » sur les religions et la mondialisation. J'ai constaté, à cette occasion, le caractère récurrent des questions adressées à la délégation française sur l'opportunité de légiférer sur la burqa, et j'ai relevé que l'argument fondé sur la sécurité était plus facilement reçu, dans les pays du Golfe, que ceux évoquant à la dignité et l'égalité de la femme. Cette mise en cause de l'initiative française doit se voir opposer un argumentaire fondé sur notre modèle républicain d'intégration, qui récuse tout communautarisme.
M. Josselin de Rohan, président - Lors de déplacements récents dans des pays d'Afrique du nord, j'ai, en effet, été fréquemment interpellé sur la question de la burqa. La position de ceux qui appuient l'initiative française reste minoritaire et l'on constate, dans ces pays, une divergence entre une classe politique sensible à la nécessité de s'opposer à l'emprise islamiste et le sentiment des opinions publiques, qui s'insurgent contre ce qu'elles ressentent comme un acharnement contre les musulmans. Il faut relever qu'un pays comme l'Arabie Saoudite, qui pratique sur son sol un islam très rigoriste, ne critique pas la position française, à la différence, par exemple, du Pakistan. Et même dans des pays francophiles comme l'Egypte, le débat est difficile.
M. Joseph Maïla - Le port de la burqa est une pratique très minoritaire au sein des sociétés musulmanes. La perception de ce projet par les opinions publiques musulmanes est néanmoins celle d'un ciblage d'une communauté comme cela avait déjà été le cas en 2004 avec le débat puis la loi sur les signes ostentatoires. Le débat le plus intense qui anime les enceintes internationales porte, comme je l'ai déjà évoqué, sur le caractère universel des droits de l'homme, régulièrement contesté par certains pays comme le Pakistan ou, par ailleurs, où sont durement réprimés le changement de religion ou l'apostasie. Il faut cependant être conscient que la plupart des pays de l'Union européenne, à l'exception de la Belgique qui a déjà légiféré, ou de la région espagnole de Catalogne, qui envisage de le faire, sont réservés, essentiellement par prudence, sur l'opportunité de réprimer par voix législative le port de la burqa. L'argumentation française, sur ce point, repose sur notre modèle d'intégration et non pas sur des arguments religieux.
Par ailleurs, l'Union européenne, comme la France, ne reste pas insensible au sort des minorités religieuses dans le monde. Ainsi, le Conseil européen, dans ses Conclusions du 16 novembre 2009, a estimé qu'il incombait à l'Union de défendre ces minorités partout dans le monde. Le pôle religions a, pour sa part, participé à une audition publique organisée au Parlement européen sur les outils de promotion de la liberté de religion ou de conviction dans le monde. L'Union européenne, dans le cadre de la mise en place d'un Service européen d'action extérieure, s'intéresse en effet de plus en plus à cette question de la défense de la liberté de religion, encouragée dans cet effort par la mise en application de l'article 17 alinéa 3 du Traité de Lisbonne, qui fait désormais obligation à l'UE de dialoguer avec les autorités religieuses et les courants humanistes, sans que soient précisés les interlocuteurs et les thèmes.
La position française est loin de faire l'unanimité au sein des pays occidentaux, comme le démontre le rapport annuel publié, depuis 1994, par le département d'Etat américain sur l'état de la liberté religieuse dans le monde. La France y est régulièrement critiquée pour sa législation sur la prohibition des signes religieux ostentatoires à l'école et pour sa position face à l'Eglise de scientologie. Ces critiques témoignent d'une incompréhension de la réalité française qui doit être prise en compte et expliquée en rappelant, notamment, que les activités de l'Eglise de scientologie ne sont pas condamnées sur un plan religieux, mais font, parfois, l'objet de poursuites judiciaires du fait de l'attitude pénalement répréhensible de certains de ses dirigeants ou de ses fidèles à des occasions déterminées (pression sur les esprits ou malversation financière).
Antérieurement à la création du pôle que j'anime au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, ce dernier comptait déjà dans ses rangs depuis la reprise des relations diplomatiques de la France avec l'Etat du Vatican en 1921, un Conseiller pour les affaires religieuses, dont la fonction est d'informer le cabinet du ministre sur des éléments de diplomatie pratique et est le vis-à-vis des autorités religieuses. Le pôle religions a une fonction prospective. Nos rôles respectifs sont donc complémentaires.
La France s'expose vraisemblablement, sur la question du voile, devenue projet de loi sur la « dissimulation du visage », à des recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme.
Mme Bernadette Dupont - Je suis préoccupée par l'attitude de certains pays par rapport aux femmes, en particulier au Pakistan. Le port du voile intégral pose de nombreux problèmes et j'ai eu à examiner récemment le cas d'une aide soignante portant le voile dans l'exercice de son métier, ce qui est apparu comme étant incompatible.
M. Joseph Maïla -Le problème est différent dans les pays que vous évoquez puisqu'il n'y a pas de mixité mais au contraire une séparation dans tous les domaines, écoles, services hospitaliers, mosquées, etc... Cette séparation peut avoir par ailleurs des effets inattendus. Conjuguée avec l'obligation de scolarisation, elle a permis aux jeunes filles iraniennes par exemple de poursuivre des études jusqu'au niveau du supérieur, d'exercer un métier et finalement de ne se marier que vers l'âge de 29 ans, alors que l'âge légal est de 9 ans. Ainsi, beaucoup de choses avancent avec l'éducation des femmes.
Service européen pour l'action extérieure et la politique de sécurité et de défense commune - Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes
Puis la commission procède à l'audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, sur la mise en place du Service européen pour l'action extérieure et la politique de sécurité et de défense commune.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je suis très honoré et particulièrement heureux d'être parmi vous cet après-midi. Comme vous l'avez souhaité, j'aborderai au cours de cette audition la mise en place du Service européen d'Action extérieure puis la Politique de sécurité et de défense commune.
D'abord, pour ce qui est du Service européen pour l'Action extérieure, la résolution que le Sénat a adoptée en mai dernier sur le rapport du président Josselin de Rohan montre l'importance que votre Commission attache à juste titre au sujet. Votre résolution a été élaborée peu après le compromis trouvé par le Conseil, le 26 avril. A la suite, les discussions ont été engagées avec le Parlement européen. Disons d'emblée que ces négociations ont été difficiles. J'y ai pris ma part, en rencontrant les députés européens impliqués sur le sujet. Elles ont néanmoins abouti à un accord politique, que la Présidence espagnole a présenté ce matin même au Coreper.
Avant d'en venir à ce compromis, je voudrais revenir sur les principaux temps forts de la négociation qui vient de se clore.
Vous le savez, et votre résolution le rappelle justement, le Service européen pour l'Action extérieure est l'une des innovations les plus importantes du Traité de Lisbonne. Nous avons soutenu d'emblée une vision ambitieuse du nouveau service, conforme à l'entière et rigoureuse mise en oeuvre du Traité de Lisbonne, car nous y voyons l'instrument privilégié d'une action extérieure plus forte, plus cohérente et plus efficace. Cette innovation, liée à la nouvelle fonction de Haut représentant, répond en effet à la conception qui est la nôtre d'une Europe politique, capable, en tant que telle, d'agir sur la scène internationale. Il s'agit de disposer d'un instrument commun de politique étrangère, non de créer un 28ème service diplomatique, à côté des 27 diplomaties des Etats membres.
Aussi avons-nous toujours défendu les points essentiels suivants :
- un service à compétence universelle, avec un périmètre large et la capacité à assurer une authentique cohérence de l'action extérieure de l'Union européenne, en incluant l'ensemble du spectre des instruments contribuant aux relations extérieures de l'Union et des structures concernées du Secrétariat général du Conseil (DG E, CMPD, CPCC, EMUE, SitCen) et de la Commission (DG Relex mais aussi les directions géographiques de la DG Développement, en charge notamment des relations avec les pays africains) ;
- une autorité pleine et entière du Haut représentant sur le service et ses personnels, comme sur les nouvelles délégations de l'Union en pays tiers et auprès des organisations internationales, y compris en termes de désignation. Vous voudrez bien vous souvenir que j'avais protesté en début d'année, y compris en écrivant à Mme Ashton, contre la procédure retenue par M. Barroso pour désigner son ancien chef de cabinet, M. Almeida, à Washington ;
- un service autonome, administrativement et financièrement, à équidistance du Conseil et de la Commission, le respect du principe d'égalité de traitement entre personnels des différentes origines du service et une représentation équilibrée des trois catégories de personnels (SGC, Commission, Etats membres) avec une présence des personnels issus des services diplomatiques nationaux au niveau administrateur à hauteur au moins d'un tiers des effectifs de ce niveau, y compris dans les délégations de l'Union européenne. J'avais publiquement rappelé notre attachement à cet objectif dans une déclaration commune avec mon homologue italien le 7 avril dernier ;
- une organisation qui doit assurer un fonctionnement efficace de la nouvelle structure avec, à sa tête, un secrétaire général assisté de deux adjoints ;
- un rôle fort du Service européen d'Action extérieure dans la programmation stratégique de tous les instruments financiers, y compris dans le domaine du développement, dans un souci de cohérence d'ensemble et pour permettre au Service européen d'Action extérieure de disposer d'un levier décisif de l'action extérieure de l'Union européenne ;
- le respect enfin de la spécificité de la Politique étrangère et de sécurité commune et de la Politique de sécurité et de défense commune et des structures qui en ont la charge (CMPD, CPCC, Etat-major) qu'il s'agisse de leurs fonctions, de leur organisation, de leur recrutement, de leur composition et des chaînes de commandement, sous l'autorité et la responsabilité directes de Mme Ashton en sa qualité de Haut représentant.
Dans la discussion, nous avons donc veillé à l'ensemble de ces points et, de fait, nous avons très largement obtenu satisfaction, dans le rapport du Conseil européen des 29-30 octobre 2009 qui traçait les lignes directrices pour la création du Service, comme dans l'accord politique dégagé sur cette base par le Conseil (Affaires générales) du 26 avril dernier sur l'organisation et le fonctionnement du Service européen pour l'Action extérieure.
Le texte agréé le 26 avril était certes un compromis entre le Conseil, les Etats membres et la Commission qui s'est attachée à préserver ses prérogatives, mais ce compromis était à nos yeux satisfaisant :
- l'architecture générale du service assurait l'autonomie fonctionnelle et budgétaire du Service (équidistance), le respect de la spécificité des structures en charge de la PSDC, l'intégration dans le service des délégations de l'Union, sur lesquelles le Haut représentant exercerait sa pleine autorité ;
- l'autorité du Haut représentant était préservée. Malgré des débats difficiles, le texte a donné au Haut représentant les bases nécessaires pour exercer son rôle de coordination sur les commissaires de la "famille Relex",
- le Haut représentant se voyait confier la responsabilité de fixer l'orientation politique et stratégique en ce qui concerne les instruments financiers (l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme (IEDDH), l'Instrument de coopération avec les pays industrialisés (ICI), l'Instrument de coopération pour la sécurité nucléaire (ICSN), l'Instrument de coopération au développement (ICD), le Fonds européen de développement (FED), l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP)). Pour ces trois derniers instruments, le SEAE devait travailler également avec les commissaires responsables, ce qui permettait d'assurer une plus grande cohérence encore de l'action extérieure de l'Union européenne.
La discussion fut difficile avec la Commission, qui entendait préserver son contrôle et l'application de ses propres procédures.
Comme nous l'avions souhaité, le compromis réservait également la possibilité pour les délégations en pays tiers d'exercer un rôle d'appui dans le domaine de la protection consulaire "sans coût budgétaire supplémentaire" ;
- un compromis acceptable avait enfin été trouvé en ce qui concerne la procédure de nomination des chefs de délégations de l'Union européenne, dont la décision finale appartenait au seul Haut représentant.
J'avais moi-même veillé à rappeler nos attentes et lignes rouges avant ce compromis en abordant cette question en détail avec Mme Catherine Ashton, la Haute Représentante pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (HR), lors de sa visite à Paris, le 16 avril, au cours de laquelle elle avait été reçue par le président de la République.
Depuis, et sur la base de cette orientation générale retenue le 26 avril dernier au Conseil, une concertation s'est engagée le 10 mai avec le Parlement européen dans le cadre d'un "quadrilogue" qui a réuni Mme Ashton, M. Moratinos au nom de la Présidence espagnole, le vice-président de la Commission M. Sefcovic et les rapporteurs du Parlement européen (MM. Elmar Brok, Guy Verhofstadt et Roberto Gualtieri). Elles ont sans aucun doute permis de rapprocher les positions du Parlement européen de celles du Conseil. L'idée d'une insertion du service dans la Commission a ainsi été progressivement abandonnée.
a) Je rappelle que le Traité prévoit que la décision établissant le service doit être adoptée par le Conseil, en accord avec la Commission et après avis du Parlement européen.
Nous sommes ici dans une procédure spécifique, mais le Parlement européen, comme il lui arrive de le faire, s'est appliqué à en donner une interprétation extensive. Il a d'autant plus pu le faire qu'il devait être saisi parallèlement de deux autres propositions, l'une amendant le règlement financier, l'autre le statut des personnels, dont l'adoption est nécessaire à l'installation effective du service et qui relève de la codécision. Bref, le Parlement européen a su jouer le rapport de force sur les autres éléments du paquet en codécision et non encore adoptés pour peser de tout son poids sur le projet de décision d'établissement du Service européen d'action extérieure, où il ne devait rendre pourtant qu'un avis consultatif.
b) Le Parlement européen avait ainsi, dans ses premières réflexions, développé une conception du service très "communautaire" et donc très différente de celle retenue par le Conseil. S'y mêlaient des enjeux institutionnels et le refus du Parlement européen de ce qu'il percevait comme une intergouvernementalisation croissante de la politique extérieure de l'Union européenne. L'un des principaux points défendus par le Parlement était ainsi l'intégration pure et simple du service dans la Commission, en termes administratifs, budgétaires et financiers. Le Parlement européen a plaidé également pour un renforcement de son contrôle politique et budgétaire sur le SEAE et une place majoritaire explicitement reconnue aux fonctionnaires européens au sein du service.
c) Vous trouvez trace de ces orientations dans les premiers documents préparés par les deux rapporteurs du Parlement, MM. Brok et Verhofstadt. A l'un et à l'autre, j'ai à plusieurs reprises eu l'occasion de dire que la voie qu'ils souhaitaient emprunter n'était pour nous clairement pas acceptable.
L'accord politique intervenu avant-hier à Madrid à l'issue de la 3ème réunion du quadrilogue, fruit du rapprochement des positions du Parlement européen de celles du Conseil, consiste en un paquet de trois éléments :
- la proposition de décision d'établissement du SEAE, intégrant les amendements du Parlement européen au compromis du Conseil ;
- un projet de déclaration du HR sur sa responsabilité politique devant le Parlement ;
- des éléments de base sur la future organisation du SEAE que le HR présentera au Parlement européen à la faveur d'une intervention en session plénière.
Globalement, l'accord du 21 juin préserve l'essentiel du compromis du 26 avril :
- Il préserve l'équilibre dégagé au Conseil s'agissant de la programmation des instruments financiers et nous avons obtenu que, contrairement aux demandes du Parlement, la spécificité des structures en charge de la PSDC soit bien respectée : le texte rappelle désormais que ces structures assistent le Haut représentant dans la mise en oeuvre de la PESC, conformément aux dispositions du Traité et donc au titre de sa seule qualité de Haut représentant.
- Les discussions ont cependant conduit à faire droit à certaines demandes du Parlement européen, concernant les modalités de son contrôle politique et budgétaire qui sont précisés dans le texte mais dans le respect des traités.
Le projet de déclaration du Haut représentant sur sa responsabilité politique formalise des pratiques s'agissant de l'information donnée au Parlement européen dans le domaine de la PESC. Il sera par exemple consulté avant le lancement de missions d'observation d'élections. Il pourra également auditionner les chefs de délégations ou les représentants spéciaux, mais seulement après leur nomination.
A la demande du Parlement, le projet de décision prévoit explicitement la désignation d'un directeur général chargé de la gestion administrative et financière : dans l'esprit du Parlement européen, il s'agit de s'assurer que le service mettra bien en oeuvre les règles financières et comptables prévues par la réglementation européenne.
Sous la réserve de confirmation de cet accord, le Parlement européen pourrait voter formellement son avis lors de la session plénière de juillet. Le Conseil pourrait alors adopter la décision formelle lors de la session Affaires générales du 26 juillet.
Tel est d'ailleurs notre souhait, afin que puissent être prises les premières mesures nécessaires à la mise en place de la nouvelle structure à l'automne et que Mme Ashton puisse procéder sans tarder aux premières nominations. La mise en place de ce service diplomatique de l'Union n'a que trop tardé.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous l'avez compris, nous sommes particulièrement vigilants sur l'architecture du Service européen d'action extérieure car elle déterminera la politique extérieure de l'Union européenne, en particulier, la politique de sécurité et de défense commune.
Mais si l'accord intervenu avant hier préserve l'essentiel de ce que nous souhaitions et représente un équilibre nécessaire compte tenu des prétentions avancées tour à tour par la Commission européenne et le Parlement européen, rien ne sera acquis avant la décision formelle créant le service voire avant son entrée en fonctions :
- les éléments contenus dans le projet de décision étant parfois contradictoires entre eux, beaucoup dépendra en réalité de la mise en oeuvre pratique qui sera assurée par Mme Ashton. La détermination du fonctionnement précis de la structure de direction du SEAE et son organigramme, éléments sur lesquels la Haute Représentante n'a toujours pas donné les précisions nécessaires, seront des éléments déterminants pour définir la nature et la bonne marche du service ;
- la situation difficile créée pour le Conseil par la pugnacité du Parlement risque de perdurer, les garanties précises nécessaires sur la nature de la position qu'adoptera le Parlement européen sur les autres éléments du paquet (au premier rang desquels le statut des fonctionnaires) ne pouvant être obtenues, dans la mesure notamment où la Commission vient seulement de transmettre le 9 juin sa proposition officielle au Conseil et au Parlement européen). Des incertitudes demeurent sur la position du parlement européen le moment venu, il sera important d'obtenir de sa part des précisions sur l'orientation qu'il entend prendre ;
- l'attitude de la Commission européenne, appelle une vigilance et un contrôle de chaque instant ;
- enfin l'option tricéphale pour le Secrétariat général qui assurera la conduite du Service européen pour l'Action extérieur n'est pas nécessairement la plus pratique pour garantir l'autorité de Mme Ashton et améliorer l'efficacité de la chaîne de commandement chaotique qui existait jusqu'à présent.
Je puis vous assurer que, pas plus que durant les derniers mois et semaines, nous ne transigerons sur le respect de nos intérêts et de nos lignes rouges dans la phase de mise en oeuvre qui va s'ouvrir, qu'il s'agisse des éléments cités plus haut ou de l'objectif d'une présence des agents issus des diplomaties nationales à hauteur au moins d'un tiers des effectifs ou de l'autonomie du Service et du principe d'équidistance, y compris en termes budgétaires. Nous devrons sans doute veiller à nous concerter avec nos principaux partenaires européens dans ce but.
Pour ce qui est de la Politique de sécurité et de défense commune, l'Europe de la défense est au coeur de notre projet pour une Europe politique. Sans capacité d'action, l'Union européenne ne pourra pas jouer le rôle international qu'elle revendique.
D'abord l'Europe a un vrai acquis en matière de Politique de Sécurité et de Défense commune.
En un peu plus de 10 ans d'existence de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), depuis St Malo et son lancement officiel à Helsinki fin 1999, le bilan n'est pas négligeable. Ce sont 23 opérations civiles et militaires qui ont été menées dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et dans l'Océan indien. Ce sont 67.000 hommes et femmes, qui ont été engagés dans ces opérations tant civiles que militaires.
S'agissant des opérations de gestion des crises, l'Europe n'a pas à rougir. Ainsi en Géorgie, à l'été 2008, grâce à l'engagement du président de la République, elle a su lancer dans des délais très brefs une opération purement européenne, la seule possible dans ces circonstances, qui a permis de stabiliser ce pays.
Dans l'Océan indien, l'opération Atalante, première opération navale de l'Union engagée pour lutter contre la piraterie, est une réussite. L'Europe joue aujourd'hui un rôle majeur pour assurer la liberté des mers dans cette zone vitale pour le commerce mondial et nos intérêts.
Je me suis rendu à Djibouti en octobre dernier, pour voir sur place les résultats de l'opération Atalante.
J'ai voulu saisir l'occasion de la visite à Djibouti des 27 ambassadeurs du "Comité politique de sécurité" de l'Union européenne pour les mobiliser sur la nécessité de prolonger à terre l'opération Atalante, en formant les soldats du gouvernement somalien indispensables à la survie du régime très précaire de Sheikh Sharif à Mogadiscio. Il a fallu 6 mois de travail entre les 27 Etats membres pour lancer l'opération EUTM SOMALIA (European training mission). Cette mission de formation des forces de sécurité somaliennes en Ouganda est la 24e opération de l'Union européenne.
L'Union européenne est aujourd'hui la seule organisation qui ait à sa disposition une panoplie d'outils, économiques, diplomatiques et militaires, qu'elle peut utiliser de manière combinée dans la résolution des crises. Les Européens ont démontré leur capacité à agir.
L'OTAN souhaite d'ailleurs une coopération accrue avec les capacités de l'Union. Lundi dernier, le 21 juin, le secrétaire général de l'OTAN a prôné le développement du "partenariat stratégique" entre l'Alliance atlantique et l'Union européenne. L'OTAN et l'Union européenne sont deux des plus importantes institutions du monde. Elles partagent 21 membres. Elles ont des compétences complémentaires. Aucune autre société stratégique offre tant d'avantages - à la fois opérationnel et financier" a estimé M. Rasmussen. Le Sommet de Lisbonne en novembre prochain doit voir la rénovation du concept stratégique, et la réforme de l'organisation pour adapter l'Alliance, aux défis du XXI° siècle et la sortir de sa crise financière. Ce doit aussi être aussi l'occasion de donner à l'Europe sa juste place au sein de l'Alliance.
C'est le sens de la démarche du président de la République, qui a voulu le retour plein et entier de la France dans l'OTAN : "Plus de France dans l'OTAN, c'est, en effet, plus d'Europe dans l'Alliance !".
Ceci posé, il faut rester lucide sur la réalité de l'Europe de la Défense aujourd'hui.
Les opérations de l'Union européenne sont le plus souvent des opérations à dominante civile. L'Union européenne n'a conduit que sept opérations militaires en l'espace d'une dizaine d'années. Aujourd'hui, seulement 6.500 hommes et femmes des 27 Etats membres sont engagés dans des opérations militaires européennes.
Les budgets de défense en Europe sont déjà à un niveau très bas. L'effort de défense cumulé de chaque Etat membre est de 200 milliards d'euros, soit en moyenne nationale 1,5 % du PIB. Aux Etats-Unis, le budget de la Défense est de 466 milliards d'eurps (environ 650 milliards de dollars), soit 4,7% du PIB.
Les Européens dépensent 406 euros par an et par personne pour la défense, les Américains dépensent 1 730 euros, soit 4 fois plus.
En outre la situation est contrastée entre pays européens. La plupart d'entre eux consacre à peine 1% de leur PIB à la Défense. Parmi les grands pays européens seuls la France et le Royaume-Uni sont encore au-dessus de 2%.
La situation est pire encore au plan des capacités militaires, même si l'Europe n'a pas, à l'évidence, les responsabilités mondiales qui sont aujourd'hui celles des Etats-Unis. Il n'empêche : l'Union européenne, dans son ensemble, aligne à peine 10 % des capacités militaires américaines de projection sur des théâtres extérieurs.
Enfin, la base industrielle et technologique de défense européenne est fragile. Or il n'y aura pas de défense européenne sans industrie de défense européenne.
Nous manquons aujourd'hui en Europe de grands projets en coopération, pourtant indispensables à la constitution et au maintien d'une base industrielle et technologique de défense européenne. Il n'y a plus de nouveaux programmes lancés en commun pour les années à venir. Nous sommes loin des projets européens des années 80 qui ont vu naître les programmes TIGRE, FREMM, NH 90 ou A 400M.
L'Europe n'a pas, aujourd'hui, les moyens pour être un acteur stratégique à hauteur de son poids démographique et économique.
Le domaine du spatial de défense et de sécurité est emblématique. J'ai visité l'Agence spatiale européenne avec mon homologue allemand Werner Hoyer, la semaine dernière. L'Europe dans sa totalité dépense moins de 1 milliard d''euros dans le spatial militaire, alors que les Etats-Unis lui consacrent plus de 25 milliards. Il ne s'agit pas du budget de la NASA, mais de celui du seul Département de la Défense.
Aux Etats-Unis, le Département de la Défense fait plus de spatial que la NASA. Il en est de même en Russie ou en Chine.
Il faut désormais avoir conscience, en Europe, que le spatial est indispensable à la sécurité et à la défense de l'Europe. Sans autonomie dans le domaine du spatial de défense, pas d'autonomie dans l'analyse et l'évaluation des crises, pas de prise de décision autonome ! L'Union européenne ne doit et ne peut pas dépendre d'une autre puissance.
Or en fait, une grande partie des pays européens fait reposer sa sécurité sur la défense collective.
L'OTAN est pour beaucoup le dernier cercle de capacités militaires en Europe à bas coûts. Mais cela ne pourra pas durer. Si les Européens ne s'intéressent pas à leur défense, pourquoi les Américains le feraient alors même qu'il n'y a plus, pour eux, de vrais enjeux sécuritaires en Europe. Cette prise de conscience doit se faire en Europe.
La crise va aggraver la situation. Le monde a connu en 2009 sa pire récession depuis 1945 (la production mondiale a chuté de 0,6%). En 2009, le PIB de la zone euro a diminué de 4,6%.
La crise que nous traversons est systémique et globale : elle a commencé en 2007 aux Etats-Unis avec la crise des sub-primes ; en 2008, nous sommes passés tout près de l'effondrement total du système bancaire, toujours à partir des Etats-Unis ; depuis le début de cette année 2010, nous sommes confrontés à la crise de l'Euro et cette fois, c'est l'Europe qui est prise pour cible.
Cette crise est alimentée par la défiance des investisseurs devant le niveau excessif des dettes publiques et privées et des déficits publics dans le monde occidental.
Pour sauver la zone euro, il a d'abord fallu le plan de soutien à la Grèce avec un plan de sauvetage de 110 milliards d'Euros, dont 80 milliards pris en charge par les Européens.
Puis un mécanisme de soutien européen de 750 milliards d'Euros, soit 500 milliards d'Euros mis sur la table par l'Europe - dont la moitié apportée par la France et l'Allemagne - complétés par 250 milliards d'Euros du FMI.
Dans ce contexte sans précédent les plans de réduction des déficits publics vont peser durablement sur les budgets de défense en Europe.
- Les pays d'Europe centrale et orientale ont déjà pris l'année dernière des mesures drastiques.
- Le gouvernement allemand envisage une réduction de 8,3 milliards d'euros sur quatre ans dès 2011 ; en 2014 (et sur la base du budget 2010) c'est à hauteur de 16% que le budget de la Défense serait amputé.
- L'Espagne, l'Italie et la Suède ont annoncé, sans les préciser, des mesures significatives.
- La France et le Royaume-Uni, moteurs de la défense en Europe, vont eux aussi revoir à la baisse leur effort de défense.
- La France et le Royaume-Uni pèsent 40% de l'effort de défense des 27, près de la moitié des dépenses d'investissements et les 2/3 des dépenses de recherche et technologie.
- En France, l'effort pourrait se situer entre 3 et 5 milliards d'euros sur les 3 prochaines années.
- Au Royaume-Uni, en attendant les conclusions de la Strategic Defence Review, on évoque une réduction de 25 %.
A ce stade il ne s'agit que de tendances. Il restera en particulier à préciser la part du fonctionnement et celle des investissements dans ces coupes budgétaires.
Alors que les Etats-Unis, pour l'instant, maintiennent leur effort de défense, la crise va accroitre les écarts entre les deux côtés de l'Atlantique.
Vu des Etats-Unis, l'Europe n'est plus ni un problème stratégique, ni un contributeur stratégique.
Aujourd'hui, les risques et les menaces sont ailleurs. Washington regarde vers l'Asie, le Proche-Orient. Les Etats-Unis ont retiré plus de 80% de leurs forces militaires de notre continent. Ils ne resteront pas en Europe malgré nous.
La question que l'on se pose à Washington aujourd'hui est de savoir si l'Europe est encore un allié fiable. C'est la question du président Obama lorsqu'il demande un "partage du fardeau" dans les structures et dans les opérations (nombre de soldats, règles d'engagement).
Lorsque M. Obama décrit un monde de partenaires multiples, "a multi partner world", il nous dit que le lien transatlantique est un lien parmi d'autres, que les alliances sont modulaires et modulables. Les Européens doivent prendre en compte cette réalité.
La question posée à l'Europe est celle de son niveau d'ambition : veut-on une Union européenne cantonnée au "soft power", c'est-à-dire aux opérations civiles et à la reconstruction, ou au contraire une Europe forte, acteur stratégique autonome ?
Comment l'Europe de la Défense peut-elle surmonter la crise ?
La crise peut conduire au meilleur, c'est-à-dire à un effort de convergence et un meilleur partage des tâches entre partenaires européens, ou au pire, une situation dans laquelle les réflexes nationalistes l'emportent en essayant de sauver ce qui peut l'être.
Avec le Traité de Lisbonne, l'Europe a les outils pour agir. Ce n'est pas un problème d'institutions, même si, six mois après l'entrée en vigueur de Lisbonne, il faut constater que les avancées sont timides. Les difficultés pour mettre en oeuvre le Service européen pour l'Action extérieure, qui sera la pierre angulaire institutionnelle de la Politique de sécurité et de défense européenne, ont gelé les autres chantiers.
La Présidence espagnole a lancé des travaux sur la coopération structurée permanente, prévue par le Traité en matière de PESD, mais sans avancées réelles. Nous sommes favorables à ces coopérations, mais sur des projets concrets. Le risque est de créer des bureaucraties supplémentaires.
Il faut aussi relancer politiquement les outils existants : l'agence européenne de défense, l'OCCAR, comme l'a fait le président de la République pendant la Présidence française de l'Union. Depuis on doit constater un certain immobilisme. Il manque à ces organisations une impulsion politique. C'est le rôle attendu de la Haute Représentante qui aura la main sur les outils de la Politique de sécurité et de défense commune et les outils de gestion de crise en général.
Deuxième axe de progrès : les Européens doivent passer d'une logique de concurrence à une logique de coopération.
Dans cette période de crise, un effort de coordination entre européens, est indispensable pour coordonner les restrictions et tenter de mutualiser les capacités qui peuvent l'être.
A 27 c'est sans doute illusoire, mais ce rapprochement doit pouvoir se faire au moins entre la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, les trois pays les plus importants en matière de capacités et qui représentent les 2/3 des dépenses de défense en Europe.
Sous la contrainte, et nous y sommes, les logiques purement nationales devront céder la place à des logiques de coopération. C'est la seule solution pour sauver ce qui existe de la base industrielle et technologique de défense européenne. Il faudra sans doute des compromis sur les programmes d'armement ou les capacités, mais sans sacrifier l'avenir pour le court terme.
Il existe un créneau de coopération avec les Britanniques dans les semaines à venir. Le nouveau gouvernement britannique de David Cameron souhaite travailler sur des coopérations pragmatiques dans une optique de "value for money". Un processus était déjà en cours au travers de la coopération organisée par le High Level Working Group dans le domaine de la recherche et du développement.
Le nouveau gouvernement britannique a associé la France à sa revue de défense, dès la phase actuelle d'élaboration des options stratégiques qui se terminera fin juillet. L'objectif est d'explorer ensemble, en amont du processus, tous les domaines possibles de coopération (y compris dans le domaine de la dissuasion). Cet exercice commun se terminera à l'automne. Souhaitons que ces travaux trouvent des prolongements par des acquisitions communes.
Troisième axe : quelles que soient la durée et la gravité de la crise il faut conserver en Europe un coeur de capacités militaires préservant notre capacité d'engagement au côté des Etats-Unis.
La crise financière ne doit pas entraîner un décrochage technologique. L'interopérabilité des équipements et des doctrines au sein de l'Alliance est un impératif pour pouvoir agir ensemble. Interopérabilité avec les Américains, mais aussi entre européens.
Quatrième axe : préserver une base industrielle et technologique de défense en Europe garantissant un noyau dur des savoir-faire stratégiques.
Les Européens doivent s'entendre sur la nécessité de renforcer le lien entre la démarche capacitaire et la consolidation d'une industrie de défense européenne. Ce doit être un objectif stratégique commun afin d'assurer à l'Europe son autonomie et préserver l'emploi industriel et les capacités de recherche européennes.
L'Europe a des champions de taille mondiale comme EADS, BAe, MBDA, ou Thales qui prouvent que l'on peut réussir. Mais, ces groupes souffrent de l'absence d'un marché européen intra-communautaire organisé, avec une convergence des besoins opérationnels exprimés en coopération.
Il est temps de faire évoluer les règles du marché européen d'équipements de défense. Alors que l'Union européenne est aujourd'hui l'espace économique le plus ouvert au monde, ses entreprises se heurtent à des restrictions importantes, voire à des discriminations dans l'accès aux marchés publics des pays tiers. Nous attendons ainsi de nos partenaires économiques, qu'ils soient pays développés ou grands émergents, qu'ils assurent à nos entreprises le même accès à leurs marchés que celui dont leurs entreprises bénéficient à l'entrée dans l'Union européenne.
Nous attendons par ailleurs de l'Union européenne, et en particulier de la Commission, qui mène en son nom les négociations commerciales, qu'elle se dote d'une véritable stratégie commerciale à même de défendre efficacement les intérêts des entreprises européennes.
La Commission ne doit pas limiter son action au marché intra communautaire. Elle doit aussi adapter les règles pour que l'industrie de défense en Europe soit plus compétitive à l'extérieure en la protégeant face à la concurrence extérieure inéquitable en appliquant un principe de réciprocité.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la capacité de l'Europe à exister politiquement sur la scène internationale passe par la définition d'une politique étrangère commune et par l'Europe de la défense.
L'Union européenne doit porter son regard sur l'ensemble des problèmes de sécurité qui se posent, au Sud (dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée), et à l'Est, (Russie, mais aussi Ukraine et pays du Caucase : Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan).
Notre vision, précisée par le président de la République dès l'automne 2008 à Evian, c'est la création d'un espace économique et humain commun entre l'Union européenne et la Russie, ainsi qu'une nouvelle relation de sécurité paneuropéenne et transatlantique reposant sur une approche large de la sécurité, couvrant également l'Etat de droit et les droits de l'Homme et qui respecte l'acquis des organisations de sécurité européenne existantes.
J'ai eu l'occasion de m'exprimer récemment devant les 56 ambassadeurs de l'OSCE à Vienne. Je leur ai présenté les contours de ce que pourrait être cette nouvelle approche de la sécurité en Europe au XXIe siècle face aux défis auxquels nous sommes tous confrontés : terrorisme, prolifération d'armes de destruction massive, criminalité organisée. Je leur ai dit que le projet de communauté euro-atlantique et euro-asiatique est la mission historique de notre génération.
La Politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne après Lisbonne ne peut plus se limiter aux seules opérations de gestion de crise.
L'Union européenne ne doit pas craindre aujourd'hui d'aborder toutes les questions de sécurité au Conseil : défense anti-missiles, dissuasion en particulier. C'est aujourd'hui notre responsabilité. Les Européens ne peuvent plus se contenter, comme par le passé, d'être de simples "consommateurs de sécurité" en laissant encore les Etats-Unis via l'OTAN s'occuper de l'ensemble des aspects de la sécurité européenne.
M. Josselin de Rohan, président. - Il existe une alliance objective entre la Commission et le Parlement européen pour imposer, la première sa marque, le second son pouvoir de contrôle. Ces tentatives ont été plus ou moins contrées et l'on a abouti à un certain équilibre. Le texte du compromis avec le Parlement soulève toutefois des interrogations. Il semblerait qu'il distingue les dépenses de fonctionnement, qui feraient l'objet d'une ligne budgétaire spécifique, et les dépenses opérationnelles qui seraient incluses dans le budget de la commission. Le Secrétaire général sera-t-il un français ? Son rôle ne sera sans doute pas aussi politique que certains l'auraient souhaité, mais sur le plan administratif sera-t-il réellement le numéro deux après Mme Catherine Ashton. S'agissant des effectifs, une proportion significative de diplomates nationaux a-t-elle été préservée, afin que notre influence puisse s'exercer au sein du SEAE ? Nous avons voté une résolution à ce sujet. Enfin, quelle part est réservée au contrôle par les parlements nationaux ? Est-elle mentionnée dans le texte du compromis ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat. - Vous mettez le doigt sur les aspects difficiles du dossier. Je n'ai pas réponse à toutes ces questions car seules ont été prises à ce jour des décisions de principe ; nous verrons comment elles seront déclinées en pratique. Les parlementaires que vous êtes savez bien qu'un Parlement peut tirer la pelote à partir du contrôle sur les financements. Dans les semaines à venir, nous connaîtrons le modus operandi du contrôle sur le personnel et sur le budget. Le Parlement européen revendique les droits de contrôle financier qui sont inscrits dans le traité. Le Service aura un budget propre pour les crédits de fonctionnement, les dépenses opérationnelles demeurant inscrites au budget de la Commission.
M. Josselin de Rohan, président. - Cela ne risque-t-il pas de permettre au Parlement européen de lier l'octroi de crédits à certaines assurances sur le choix des chefs de poste ou sur l'orientation des politiques suivies ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat. - J'ai eu des conversations avec les parlementaires européens de tous les groupes et de différentes nationalités et je crains moi aussi que le Parlement européen ne cherche à imposer un contrôle politique via le contrôle financier. Le SEAE n'est pas un vingt-huitième service diplomatique contrôlé par la Commission et le Parlement européen. Il coordonne les moyens de l'Union européenne avec les actions des États. Le Haut Représentant siège au Conseil, il est d'abord le ministre des affaires étrangères de l'Europe et s'il est aussi le vice-président de la Commission, c'est afin d'avoir une autorité sur l'action des commissaires du pôle international de la Commission. Il ne faut tout de même pas renverser les rôles ! Il est logique que les parlementaires européens exercent leurs droits sur les dépenses actuelles mais non sur les dépenses des opérations, qui relèvent d'autres procédures.
Mme Catherine Ashton souhaite s'entourer de trois personnes, dont un secrétaire général qui sera sans doute le primus inter pares. Mais personne n'a été encore nommé. On parle beaucoup d'un Français à ce poste, nous avons un candidat, nous faisons campagne pour lui, mais nous défendons aussi l'autorité de Mme Catherine Ashton et donc sa liberté de choix. Quant à la proportion des diplomates des États membres, je vous rappelle que nous avons souhaité qu'un tiers au moins des postes soit réservé aux diplomates nationaux, car le Service a un statut à part et n'est pas le bras de la Commission. Entre le Conseil et la Commission, les parts respectives seront plutôt 40% et 60% car l'administration du premier est moins fournie. Combien de diplomates français ? On a parlé de 35.
M. Josselin de Rohan, président. - Sur 800 !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat. - Nous ne savons même pas encore le nombre de postes qui seront à pourvoir ! Mais une première liste de postes a été publiée. Notre candidat pour Tbilissi a été écarté ; pour Pretoria en revanche, un Français reste en lice. Nous surveillons les modalités de sélection, afin que le recrutement soit véritablement ouvert. La connaissance de la langue française, avec l'anglais, est une condition générale du recrutement. Nous serons très vigilants à préserver le bilinguisme - français et anglais - qui s'applique aujourd'hui à la PESC.
Lors de la réunion ministérielle informelle sur le partenariat oriental organisée le 24 mai dernier en Pologne, à laquelle participaient, outre les représentants des pays de l'Union européenne, l'Ukraine, la Biélorussie et des pays du Caucase, la présidence espagnole et le ministre des affaires étrangères polonais ont décidé unilatéralement que la seule langue de travail serait l'anglais. J'ai pris la parole en français, à l'agacement du ministre polonais, et j'ai rappelé que le français est au même titre que l'anglais une langue des réunions ministérielles européennes informelles ainsi que de la politique étrangère et de sécurité commune.
M. Christian Poncelet. - Il faut se montrer ferme dans la défense du français. Certains députés français au Parlement européen ont tendance à s'exprimer en anglais !
M. Daniel Reiner. - Personne n'imaginait que ce serait chose aisée d'installer le service européen d'action extérieure. D'ailleurs, le traité de Lisbonne est loin d'être clair sur ce point. Ce service est à mi-chemin de tout, et donc il ne se trouve nulle part. Naturellement, nous sommes devant un immense chantier.
En tant que parlementaire, j'estime qu'il revient au gouvernement de défendre les intérêts de notre pays. Vous avez donc, monsieur le ministre, une responsabilité toute particulière dans l'installation de ce service : vous nous avez rendu compte des difficultés qui apparaissaient, notamment de l'alliance de fait entre la Commission européenne et le Parlement européen, ce dernier ayant une légitimité qu'il tient de son élection. Or, il ne devrait pas y avoir d'expression de la politique européenne commune autre que des déclarations du Conseil européen. Ce manque de clarté pourrait progressivement éliminer les Parlements nationaux d'une politique européenne qui n'est aujourd'hui que l'addition de politiques nationales.
L'accord de Madrid du 21 juin, n'était-ce pas déjà aller à Canossa ? Ainsi, le Parlement européen va pouvoir auditionner quand il le souhaite les chefs de délégation.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Après leur nomination !
M. Daniel Reiner. - Certes, mais il fera comme les commissions parlementaires en France lorsqu'elles auditionnent les ministres ! La Haute représentante viendra s'exprimer devant le Parlement européen. Vous avez parlé de « responsabilité politique », monsieur le ministre. Qu'entendez-vous par là ? Naturellement, la Haute représentante n'engagera pas sa responsabilité, mais elle devra rendre des comptes. Enfin, le Parlement européen veut absolument que les éléments de base de l'organisation de ce service lui soient confiés. J'ai donc l'impression qu'il a déjà obtenu l'essentiel. Si nous voulions limiter le rôle du Parlement européen en la matière, nous n'avons pas été entendus. Nous avons donc été mal défendus. Sommes-nous isolés au sein de l'Union ? Cela m'étonnerait fort.
Enfin, y a-t-il eu une simulation financière du coût de ce service ou reste-t-on dans le vague ?
M. Christian Cambon. - Dans cette nouvelle organisation du service européen d'action extérieure, quelle est la place du dispositif relatif à la politique de coopération et de développement et comment nos parlements nationaux vont-ils pouvoir en assurer un meilleur contrôle ? Nous venons d'étudier le document d'orientation de la politique de développement du gouvernement français : l'enveloppe française de l'APD représente 35% de l'enveloppe globale, soit 870 millions pour le FED et pour les actions européennes et un total de 1,8 milliards pour les actions de coopération et de développement. La nouvelle organisation va-t-elle permettre de clarifier les choses ? De quels instruments disposerons-nous pour mieux mesurer l'efficacité de ces crédits, question régulièrement posée par notre commission lors de chaque loi de finances ?
Comment s'intégreront dans ce nouveau service les actions qui ont été lancées par les États ? Je pense notamment à l'Union pour la Méditerranée, qui est un volet de l'action de l'Union européenne.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je m'efforce d'être un honnête homme et j'ai partagé avec vous les difficultés de l'exercice. Certes, le gouvernement est en charge de ce dossier mais le traité donne également aux parlements nationaux la possibilité de se saisir de ces dossiers.
Nous entrons dans un monde où interagissent les exécutifs, le Conseil européen et le jeu complexe des parlements, notamment le Parlement européen. Nous avons voulu le renforcement du Parlement européen : désormais, nous l'avons ! Ne faisons pas mine de le découvrir ! Les parlementaires européens, y compris les Français, veulent asseoir leurs droits, et c'est bien normal. En outre, la Commission sait très bien s'arroger des pouvoirs supplémentaires, même si ensuite elle ne les exerce pas bien. L'alliance entre Commission et Parlement européen risque de donner du fil à retordre aux États qui auront du mal à défendre leur pré carré, surtout s'ils ne sont pas unis. Alors, avons-nous des alliés ?
Sur les 27, combien d'États ont une politique étrangère et de défense, autre que régionale, voire micro-régionale ? La France pense avoir un instrument de politique global comme les Anglais et les Allemands. Mais les autres ?
Ensuite, qui veut quoi ? Est-ce que certains pays trouveraient avantage à ce que ce service devienne n'importe quoi ? Oui ! D'autres veulent-ils en faire l'instrument d'une Europe puissante ? Nous ! Est-ce l'opinion partagée par tous ? Non ! Avec la présidence tournante, la Haute représentante, le vice-président de la Commission et quelques parlementaires, il devient très difficile d'agir. Nous avons donc discuté entre États, puis avec la Commission. Maintenant, nous entrons dans une étape beaucoup plus complexe et il faut faire du lobbying auprès des parlementaires. Je le fais et je vous invite à vous y livrer, vous aussi. Nous devons intensifier le dialogue avec les députés européens afin de leur rappeler en permanence qu'il y a un traité et qu'il convient de le respecter. Mais ce n'est pas simple à faire.
Nous allons être très vigilants sur la sélection des chefs de délégation, sur la gestion des fonds et des crédits. La Commission a présenté un projet de budget pour octobre-décembre 2010 de 9,5 millions d'euros. En année pleine, le budget devrait tourner autour de 35 à 40 millions, mais il s'agit uniquement de coûts de fonctionnement qui ne prennent pas en compte celui des diplomates ! Ce dialogue avec les parlementaires européens doit être mené par les parlementaires nationaux, majorité et opposition confondues, et par les exécutifs. Il faut veiller à ce que chacun reste à sa place.
Sur l'aide au développement, je vous rappelle qu'il y a une commission du développement au Parlement européen. Vous savez qui en est la présidente ? Eva Joly ! L'argent de l'aide au développement est pour l'essentiel communautarisé. Or certains considèrent qu'il ne faut pas confondre aide au développement et politique étrangère et que lorsqu'on est dans l'aide au développement, on est dans l'humanisme et la générosité et pas dans la politique étrangère. Avec l'accord qui a été passé, on a déconnecté les deux, alors que, depuis le début, j'insistais sur l'idée que la politique étrangère de l'Union devait inclure l'aide au développement. Il en a été décidé autrement. J'ai d'ailleurs eu avec Mme Joly une conversation sur le sujet, car elle n'était absolument pas d'accord avec mon approche. Mais que fait-on au Pakistan, en Afghanistan ou à Gaza quand on envoie de l'aide civile ? Ayons le courage d'ouvrir ce débat ! Souhaitons-nous continuer à communautariser notre aide si elle ne fait plus partie de la politique étrangère ? L'ambassadeur de l'exécutif que je suis ne peut pas résoudre seul cette question. Il s'agit d'un problème politique qui doit être traité comme tel.
M. Christian Cambon. - Votre réponse est très claire.
M. Josselin de Rohan, président. - En ce qui concerne le contrôle de la politique européenne de sécurité et de défense, les Parlements nationaux ont leur mot à dire, même si le Parlement européen essaye d'avancer ses pions. Nous avons proposé qu'une instance regroupant les représentants des parlements nationaux sur le modèle de la COSAC puisse se saisir des questions qui intéressent la politique de sécurité et de défense commune : ce serait une instance interparlementaire qui regrouperait les Parlement nationaux et qui associerait le Parlement européen dans une proportion qu'il juge sans doute insuffisante. Nous essayons d'obtenir l'appui des autres parlements, mais nous souhaiterions que le Parlement européen soit contenu dans les limites du traité, notamment de la déclaration n°14 qui rappelle que le Parlement européen ne dispose pas de pouvoirs supplémentaires dans le domaine de la défense. Concernant les progrès de la PSDC, beaucoup dépend des britanniques : avez-vous eu des contacts avec eux ? Sont-ils toujours aussi opposés à tout développement dans ce domaine ou considèrent-ils que l'Europe doit se limiter à la coopération franco-britannique dans le domaine de la défense ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - En ce qui concerne les relations entre les parlements nationaux et le Parlement européen, le Service européen d'action extérieure comportera un bureau chargé des relations parlementaires qui traitera des contacts avec les parlements nationaux et des auditions devant le Parlement européen, puisque dernier souhaite des auditions régulières. Mme Ashton va d'ailleurs laisser les commissaires être auditionnés à sa place, lorsqu'elle ne pourra pas se rendre devant le Parlement européen, ce qui n'est pas prévu par le traité.
J'approuve l'idée de créer un lieu où l'on traitera des questions de défense. Il n'est pas mauvais de tisser des liens avec les parlementaires nationaux et européens chargés de ces questions. Plus il y a de liens entre les différents parlements, moins vous laissez de place à cette sorte de bulle où les parlementaires européens ont l'impression d'être dans un autre monde. Il faut leur rappeler qu'ils sont ancrés dans des États.
Pour les Britanniques, nous disposons d'une fenêtre de tir assez courte : ils ont annoncé des réductions budgétaires considérables de l'ordre de 100 milliards d'euros. Leur réflexion ne porte pas sur une quelconque Europe de la défense mais sur le maintien au moindre coût d'une armée efficace. A leurs yeux, il n'y a que deux armées en Europe et deux programmes vraiment complémentaires : le leur et le nôtre. Sur ces points, vous devriez interroger mon collègue Morin qui devrait travailler sur ce dossier tout l'été.
M. Jacques Gautier. - Vous avez indiqué qu'en période de rigueur, il conviendrait de mutualiser notre R&D et les équipements de nos forces ou de travailler avec les Britanniques.
Pourtant, dans le domaine terrestre, il y a en Europe 17 programmes de blindés, dont sept majeurs. Même en France, sur le programme phare des années à venir, le VBMR, alors que le projet n'est pas encore défini, Panhard, Nexter et Renault Trucks ont déjà des idées. Or aucun des trois n'atteint la taille critique puisqu'à eux trois, ils ne pèsent qu'un milliard d'euros. Devra-t-on monter un meccano industriel en mariant certains d'entre eux, ou en les adossant à un Allemand ou à un Britannique pour arriver à la taille critique ?
M. Christian Poncelet. - Le Conseil de sécurité a imposé à l'Iran de nouvelles sanctions économiques. Tout le monde ne les respecte d'ailleurs pas, même ceux qui les ont votées. M. Ahmadinejad a dit qu'il mettait cette décision à la poubelle. Que se passera-t-il lorsqu'il disposera de l'arme nucléaire ? L'Europe sera-t-elle à même de s'unir pour affronter une éventuelle agression ? Si c'est oui, tant mieux, si c'est non, c'est Munich !
M. Daniel Reiner. - Vous estimez, monsieur le ministre, que cette crise et la réduction des moyens financiers offrent une opportunité. Il serait catastrophique que chacun réduise ses budgets dans son coin car les intérêts individuels l'emporteraient. Est-il possible d'imaginer une réduction coordonnée lors d'un conseil des ministres européens de la défense ? Il faut faire vite, car tout va se passer dans les trois mois qui viennent.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je vous rappelle que vous avez affaire au secrétaire d'État aux affaires européennes : je ne peux pas répondre à vos questions qui s'adressent au ministre de la Défense, voire au président de la République. Nous avons quelques semaines devant nous et nous pouvons imaginer que des coordinations, des spécialisations de tâches se mettent en place, et ce serait hautement souhaitable. Sinon, on risque l'élimination physique des industries, ou leur rachat par les Américains. C'est maintenant que cela se décide et je vous invite à auditionner rapidement M. Morin.
Quand à la question de M. Poncelet, il faut pour y répondre interroger directement M. le Président de la République. A supposer que la politique de non-prolifération ne produise pas ses effets, ce serait au Président de prendre une décision. Mais les sanctions gênent considérablement les pays qui y sont soumis et l'Europe va même jusqu'à préparer des sanctions supplémentaires par rapport à celles décidées par le Conseil de sécurité.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Si les actions menées ne donnaient pas satisfaction, il faudrait alors entendre M. Sarkozy. Pour ma part, je pense que notre politique de dissuasion ne changera pas.
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Merci, monsieur le ministre. Nous nous reverrons sans doute bientôt.