Mercredi 16 juin 2010
- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -Echange de vues sur la salle Médicis
Mme Muguette Dini, présidente. - Avant d'aborder l'ordre du jour, je souhaite connaître votre sentiment sur les conditions dans lesquelles s'est déroulé, hier, le débat sur la loi HPST organisé, pour la première fois, en séance publique dans la salle Médicis. En Conférence des présidents et en raison du caractère technique de ce texte, je ne m'étais pas opposée à cette expérimentation. Je suppose que la présidente Michèle André a dû faire de même pour le second débat relatif à l'IVG.
M. Paul Blanc. - Je me demande si la salle Médicis n'est pas encore trop grande compte tenu de l'effectif qui y était présent...
M. Jean-Pierre Godefroy. - Il m'avait semblé que, au sein du groupe de travail, il avait été convenu que le « petit hémicycle » ne serait utilisé que si le grand était occupé. Or, tel n'était pas le cas hier et j'avoue ne pas avoir compris pourquoi certains textes ont été examinés l'après-midi à Médicis, tandis que les débats du soir avaient lieu dans l'hémicycle. Comment fait-on la différence entre ceux qui méritent telle salle ou telle autre ?
De plus, ce petit hémicycle entraîne un déficit démocratique : les visiteurs du Sénat, qui se rendent toujours en séance pour assister quelques instants au débat, ne peuvent pas accéder à la salle Médicis, ou que par tout petits groupes, en raison de la faible capacité d'accueil du public.
J'ajoute, pour l'avoir expérimenté, que le confort de cette salle n'est pas supérieur à celui de l'hémicycle : ceux qui ont pris la parole n'ont pas été entièrement satisfaits et les comptes rendus n'étaient pas installés dans des conditions idéales pour repérer les sénateurs qui prenaient la parole.
Ceci étant, je n'en fais pas un drame.
Mme Gisèle Printz. - Sur le plan pratique, il est dommage que l'orateur n'ait pas un verre d'eau et, pour ma part, j'ai été choquée par la teneur de certains propos lors du débat sur l'IVG.
Mme Muguette Dini, présidente. - Je ne souhaitais pas aborder le contenu des discussions mais uniquement les questions liées à nos conditions de travail, au confort ou à l'inconfort de la salle et à la visibilité qu'elle offre.
Mme Colette Giudicelli. - Certes, mais il me semble, au contraire, que le comportement et la tonalité des propos qui y ont été tenus ne sont pas sans rapport avec la configuration des lieux. La proximité avec l'orateur entretient le sentiment qu'il s'agit en fait d'une réunion de commission, et non pas d'un débat de séance, qui prend une tout autre solennité dans l'hémicycle.
M. Dominique Leclerc. - Siéger dans cette salle est inconfortable, et quasi discriminatoire pour les grands qui, comme moi, n'ont pas la place suffisante pour glisser leurs jambes sous le pupitre. Le supplice est le même que durant les voyages en avion ou dans les salles de théâtre...
M. Guy Fischer. - J'ai eu le sentiment qu'en siégeant dans cette salle, on dévalorisait le travail parlementaire. Les sujets traités en salle Médicis étaient d'importance, et les chevauchements des horaires de réunion compliquent encore un peu plus les choses. Nous avions protesté, à l'époque où la décision d'installer cette salle en configuration de petit hémicycle avait été prise, contre l'idée, alors retenue, de ne pas ouvrir ces séances au public. On est revenu dessus, mais cela reste un leurre : le nombre de places disponibles demeure très insuffisant. Je souhaite que, à l'unanimité, nous puissions demander à débattre sur tous les sujets importants comme auparavant, et non pas à la cave, comme ce fut le cas hier !
M. Jacky Le Menn. - Quand l'hémicycle est libre, on doit l'occuper. Il est vrai que l'on a le sentiment, en salle Médicis, d'être en réunion de commission. La solennité du décor de l'hémicycle manque, d'où certains dérapages dans les propos...
Quant aux conditions matérielles, elles ne sont pas idéales : les deux gros micros placés sur la tribune de l'orateur sont gênants, surtout quand on a une mauvaise vue comme c'est mon cas. La salle Médicis doit rester une solution de dépannage et non pas devenir une alternative.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Au risque de passer pour conservatrice, j'estime aussi que notre place est dans l'hémicycle, surtout quand il est libre. Par ailleurs, je me suis demandé pourquoi le débat du soir, sur l'Europe, avait eu les honneurs de l'hémicycle, et pas ceux de l'après-midi ? Sans compter que, dans la salle Médicis, le confort de l'orateur n'est pas idéal car le pupitre est très bas et oblige à parler en tenant ses papiers à la main, comme l'a fait d'ailleurs la ministre. Enfin, nos collaborateurs ont eu des difficultés à trouver de la place en tribune.
Mme Muguette Dini, présidente. - Je n'ai vu, dans cette configuration, que deux points positifs : la proximité entre les intervenants, bien qu'elle pose aussi des problèmes vous l'avez dit, et la bonne visibilité. Reste qu'il est vrai que le confort demeure limité, on est assis très en retrait notamment, et la place manque, et pour le public, et pour nos administrateurs.
Il me semble que ce petit hémicycle ne devrait être utilisé qu'en cas d'indisponibilité de l'autre, par exemple lorsqu'une importante manifestation doit s'y dérouler, comme le Parlement des enfants, qui peut requérir une préparation des locaux dès la veille.
Si vous en êtes d'accord, je transmettrai l'ensemble de vos réflexions au président Larcher.
Violences faites aux femmes et protection des victimes - Examen du rapport pour avis
La commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Muguette Dini sur la proposition de loi n° 340 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes.
Mme Muguette Dini, présidente, rapporteure pour avis. - Cette proposition de loi poursuit un triple objectif : protéger, prévenir et punir. Adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, elle constitue le prolongement des travaux de la mission qu'elle avait diligentée l'an dernier sur les violences faites aux femmes. Soutenu par un large consensus, ce texte révèle que l'ensemble des acteurs a pris conscience du caractère intolérable de ces violences persistantes. Notre commission a souhaité s'en saisir, eu égard aux aspects humains et sociaux qu'il comporte.
Un arsenal législatif existe déjà : pourquoi ne fonctionne-t-il pas bien ? Les violences psychologiques, en particulier, pourtant très lourdes de conséquences pour la victime et ses enfants, ne sont pas bien prises en compte. Le texte renforce donc les dispositions législatives existantes. Songeons que cent cinquante femmes sont mortes en 2007 sous les coups de leur compagnon, sans compter les suicides ou les accidents, qui ne sont pas pris en compte dans ces chiffres.
Le juge aux affaires familiales disposera désormais de prérogatives civiles et pénales renforcées, via la procédure de l'ordonnance de protection. Cette disposition complète des mesures qui ont déjà amélioré la protection des victimes. Ainsi, en 2009, des brigades de protection de la famille ont été constituées, à titre expérimental, dans vingt départements, et relayées - en principe - par un référent dans tous les commissariats de police et toutes les brigades de gendarmerie. Elles doivent permettre de mieux répondre aux violences en libérant la parole des victimes. Dans cet objectif, des questionnaires ont été élaborés qui visent à déceler une éventuelle emprise psychologique.
En matière de protection des enfants, l'article 3 renforce la procédure du droit de visite des parents dans un espace neutre, lorsque la situation le justifie. L'adresse de la victime reste ainsi secrète après la séparation et le lien parental peut être maintenu dans un lieu neutre et sécurisé.
Cependant, l'efficacité de ces mesures dépendra de leur mise en oeuvre, effective et harmonisée. Les brigades de protection doivent à mon sens être étendues à tous les départements et les règles de procédure pénale harmonisées. Les bonnes pratiques doivent être généralisées. A Douai, le procureur a mis en place un protocole efficace : dépôt de plainte systématique et éviction immédiate du conjoint. Mais dans d'autres départements, on voit parfois régner une certaine indifférence. Par ailleurs, l'obligation faite au juge d'organiser le droit de visite hors du domicile, quand l'intérêt de l'enfant le commande, implique l'existence d'espaces de rencontre en nombre suffisant dans tous les départements, ce qui n'est pas encore le cas.
Le texte prévoit aussi, dans le cadre de l'ordonnance de protection, l'attribution systématique du logement familial à la victime. Mais celle-ci peut ne pas toujours le souhaiter si elle a peur de demeurer à une adresse connue par l'auteur de violences ou si elle préfère s'éloigner d'un lieu rattaché à de mauvais souvenirs : j'estime que cela pourrait être subordonné à son consentement.
Par ailleurs, les preuves matérielles sont difficiles à réunir, en particulier pour les violences psychologiques. Au-delà du certificat médical, qui ne permet de constater l'infraction qu'en cas d'incapacité de travail, il conviendrait de rechercher systématiquement les traces bancaires de l'emprise financière du conjoint violent sur sa victime, ainsi que les témoignages du voisinage.
Enfin, je souhaite qu'une meilleure coordination entre les juges soit assurée, afin que le juge aux affaires familiales, qui statue sur l'exercice de l'autorité parentale, ait connaissance de toutes les procédures passées et en cours.
S'agissant de la médiation pénale, celle-ci peut-elle constituer une alternative aux poursuites ? L'article 16 la proscrit dans tous les cas de violences au sein du couple mais les avis sont partagés sur ce point. J'étais moi-même autrefois très opposée à cette procédure en ce qu'elle mettait en contact le bourreau et sa victime. Je suis moins péremptoire aujourd'hui car il semble qu'en cas de violences limitées, la médiation pourrait constituer une alternative utile, sans laquelle on peut craindre de voir classés sans suite bien des dossiers ou se borner à un rappel à la loi le plus souvent inefficace. Si nous la rétablissions dans ce cas de figure, il faudrait cependant veiller à strictement l'encadrer, sur le modèle des préconisations du guide de l'action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple publié par le ministère de la justice.
J'observe aussi que si une prise de conscience a eu lieu, nous manquons encore d'instruments d'évaluation de ce phénomène de violences. A l'heure actuelle, les plaintes déposées pour violences conjugales ne sont pas identifiées en tant que telles dans les statistiques : on ne peut les distinguer des autres cas d'atteintes aux personnes. Cette information lacunaire s'ajoute au déni du corps social, rendant plus difficile la libération de la parole. C'est pourquoi j'étais favorable à la création d'un observatoire spécifiquement dédié, à laquelle l'Assemblée nationale n'a malheureusement pas pu procéder en vertu de l'article 40 de la Constitution. Il faudra nous contenter d'un rapport du Gouvernement au Parlement, seul moyen de contourner l'irrecevabilité financière, sur le bien-fondé de l'institution d'un observatoire de ce type.
De la même manière, nous savons bien que la violence entre hommes et femmes découle de représentations sociales anciennes : c'est pourquoi la sensibilisation des jeunes générations doit être précoce. L'article 11A intègre une formation à l'égalité entre les hommes et les femmes dans les cours d'éducation civique destinés aux élèves et dans le cursus de formation des enseignants. Espérons que cette mesure ne restera pas lettre morte.
Enfin et surtout, la reconnaissance des violences psychologiques, trop longtemps niée, est essentielle car les victimes sont graduellement placées, et de manière insidieuse et difficilement détectable, dans une situation de dépendance et d'isolement dont elles ne peuvent se sortir seules. La création d'un article nouveau dans le code pénal, reconnaissant le statut de victime, constitue un premier pas pour les aider à s'en sortir. Mais l'existence de procédures d'accompagnement est indispensable pour accompagner les victimes vers un réel retour à l'autonomie.
Pour conclure, je considère que cette proposition de loi complète utilement l'arsenal juridique existant. Il ne faudra pas négliger la formation des acteurs et prévoir des campagnes de sensibilisation sur le sujet. Je vous propose d'émettre un avis favorable sur ce texte, sous réserve d'un amendement que je vous présenterai.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Avez-vous pris en considération, au cours de vos travaux préparatoires, les expériences récemment menées en Espagne qui visent à mettre à l'écart le partenaire violent tout le temps de l'action juridique et sociale ? Nicole Péry, quand elle était secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, s'était d'ailleurs aussi préoccupée de la question.
Dans la plupart des départements, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, sont amenés à accompagner les victimes et à leur trouver des solutions d'hébergement pour se mettre à l'abri. Or, ces centres ne sont aujourd'hui financés que sur dix mois, ce qui pose un véritable problème aux associations d'aide aux victimes.
M. Marc Laménie. - Nous ne pouvons qu'être sensibles à ce rapport car les faits de violence conjugale restent trop souvent souterrains. Vous avez évoqué le rôle des interlocuteurs de proximité. Il est essentiel mais il a ses limites : derrière des portes closes, on ne peut savoir ce qui se passe. Les maires non plus, qui font beaucoup, ne peuvent pas tout. Les signalements de maltraitance aux enfants, par exemple, ne sont pas en eux-mêmes suffisants. Il en va de même pour la protection des femmes victimes de violences. Les effectifs des brigades de gendarmerie sont restreints : celles-ci manquent de temps et de moyens. Se pose également le problème des suites judiciaires, pour lequel il reste beaucoup à faire.
Mme Annie David. - Nous partageons les conclusions de ce rapport : le texte va dans le bon sens, bien que je m'associe aux remarques d'Annie Jarraud-Vergnolle sur les associations, qui rencontrent de réelles difficultés pour venir en aide aux femmes en détresse.
L'introduction d'une formation à l'école est positive : c'est d'ailleurs une mesure que je réclamais, avec vous, madame la présidente, depuis longtemps.
Reste que l'on aurait pu aller plus loin, en particulier sur la question des statistiques. Je regrette que le gouvernement n'ait pas accepté la création d'un observatoire. Nous avons rencontré, à la délégation aux droits des femmes, un responsable policier qui relevait qu'il est aujourd'hui impossible de savoir si les violences recensées sont ou non conjugales. On ne peut être sûr que d'une chose, c'est que cent cinquante femmes sont mortes sous les coups de leur partenaire en 2007.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Et on ne parle pas de celles qui sont malencontreusement tombées dans l'escalier...
Mme Annie David. - Ni de celles qui se suicident.
Ce texte constitue un pas important. Nous présenterons quelques amendements, mais nous vous suivrons sur votre avis.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Les brigades de protection de la famille doivent en effet se généraliser. Il faudra s'assurer que telle est bien l'intention du ministre de l'intérieur.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - C'est aussi mon avis. Il faut une volonté déclarée : dans mon département, le Rhône, j'ai constaté que le dispositif fonctionnait très bien avec la gendarmerie, moins bien avec la police. Les agents doivent se sentir accompagnés dans la démarche.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je comprends les raisons qui ont poussé, à l'article 16, à exclure la procédure de médiation pénale en cas de violences conjugales, mais j'estime, comme vous, qu'il peut être dommageable de s'en priver dans tous les cas. Il faudra l'exclure cependant en cas de récidive, bien entendu.
Mme Gisèle Printz. - Nous savons que les femmes constituent l'immense majorité des victimes des violences au sein du couple mais j'ai reçu des courriers émanant d'associations de défense des hommes battus, qui demandent que l'on ne les oublie pas. La proposition de loi de notre collègue Roland Courteau, sur ce même sujet, en traitait. Sera-t-elle examinée conjointement avec ce texte ?
M. Jean-Louis Lorrain. - Sachant que je suis un militant de la cause, j'espère que vous ne prendrez pas mal mes remarques. Ne donne-t-on pas ici au juge aux affaires familiales des compétences qui ne sont pas de son ressort ? Je crains le conflit avec le juge des enfants : il peut y avoir là des sources de tension qui risquent de créer des difficultés d'application.
La définition des termes est essentielle. Le juriste doit pouvoir s'appuyer sur des modélisations de comportements, faute de quoi il en restera le plus souvent à la sanction minimale.
De nouveaux services se créent au niveau des conseils généraux, pour l'accompagnement des majeurs en difficulté, dans le cadre des nouvelles dispositions relatives aux tutelles et curatelles : les femmes victimes de violences ne pourraient-elles en bénéficier ?
Madame la présidente, vous m'avez donné l'occasion d'assister à l'audition instructive d'un médecin psychiatre. Il apparaît que tous les acteurs sont démunis face à une personne manipulatrice. Se pose par là même la question des experts devant les tribunaux, dont chacun peut constater que certains font parfois preuve d'un certain dogmatisme, d'où l'importance de la formation...
Mme Isabelle Debré. - Vous n'avez pas évoqué, dans votre intervention, le Défenseur des droits. Quelle place aura-t-il dans le dispositif ? Les brigades de protection de la famille ont été créées, nous avez-vous dit, dans vingt départements : quels ont été les critères de choix de ces départements ?
La question du domicile est délicate. La scolarisation des enfants est souvent un obstacle au changement de domicile : ce serait leur infliger un double traumatisme, au moment d'une séparation dans un contexte de violences, alors qu'ils perdent déjà l'un de leurs deux référents. Il me semble donc qu'il faut tout faire pour permettre à la victime de rester dans son domicile.
M. Jacky Le Menn. - Je partage les préoccupations d'Isabelle Debré : il est essentiel de prendre en compte l'ensemble de la structure familiale. J'ai souvent discuté avec les personnels des services hospitaliers d'urgences, qui s'accordent à dire que ces femmes victimes de violences sont sous influence. On aura beau établir un certificat, il n'est pas dit qu'elles s'en serviront. Il est donc important de rechercher d'autres preuves. L'emprise est souvent aussi financière.
Quitter le domicile, y rester ? Les deux voies sont complexes. Il faut éviter de créer davantage de difficultés à ces femmes ; il faut éviter que la procédure enclenchée par le juge ne suscite plus de difficultés qu'elle n'en résout. La procédure créée pour les tutelles pourrait en effet constituer une porte d'entrée.
M. Gilbert Barbier. - En matière de violences faites aux mineurs, il existe une obligation de signalement : ne conviendrait-il pas de l'étendre aux femmes victimes de violences ? Il serait bon d'obliger les médecins et les services sociaux à signaler les cas de violences qu'ils constatent au sein du couple.
J'espère que ce texte arrivera à son terme. Je reste sceptique, en revanche, sur la création d'un nouvel observatoire. C'est sur le terrain, à mon sens, que l'on parviendra à un vrai dépistage.
Mme Anne-Marie Payet. - Une expérience intéressante est menée à La Réunion : des groupes de parole ont été constitués qui associent des auteurs et des victimes de violences, un représentant de la justice et un animateur. On s'efforce ainsi de verbaliser les difficultés. Tout le monde participe, même les personnels de justice, afin que nul ne se sente montré du doigt. Ces groupes ont montré leur efficacité pour lutter contre la récidive.
La sensibilisation des enfants et des enseignants est une obligation. Je puis vous citer l'exemple d'un enseignant métropolitain, qui avait longtemps enseigné en Afrique et qui, affecté à La Réunion, s'est mis à agresser des femmes dans la rue. Devant le tribunal, il a déclaré que c'était « une tactique de drague » ! Il a certes été condamné, mais je me demande si, dans de tels cas, l'enseignant ne devrait pas être exclu de l'éducation nationale. J'oublie de vous dire qu'il a déclaré qu'après tout, il était blanc et que toutes ces femmes étaient noires...
Mme Colette Giudicelli. - Je vois que le texte prend en compte non seulement les violences mais le harcèlement. Ne conviendrait-il pas d'y ajouter les mariages forcés de jeunes filles mineures et les excisions, lesquelles concernent 55 000 femmes en France ? Certes, ces questions sont un peu éloignées du sujet central mais elles constituent d'incontestables violences faites aux femmes.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Je réagis aux propos de Gilbert Barbier et d'Anne-Marie Payet sur la prévention et l'intervention précoce. Les enfants victimes de violences sont confiés à l'aide sociale à l'enfance. Ils sont 10 000 dans ce cas à Paris. A Draguignan, un médecin gynécologue a lancé une expérience intéressante après avoir appris qu'une femme qu'il avait suivie pendant sa grossesse avait défenestré son enfant sans qu'il ait pris conscience de la détresse psychologique de la mère. Il a donc créé, à l'intérieur de la maternité, des « staff de parentalité », réunissant ses équipes médicales, les équipes de pédiatrie, des représentants de l'aide sociale et de la justice. L'objectif est de déceler les violences et de proposer un diagnostic, établi avec l'ensemble du staff, qui produit une « ordonnance », sous forme de préconisations propres à prévenir ces violences, par exemple le suivi psychologique de la mère.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Annie Jarraud-Vergnolle a cité l'expérience espagnole. Nous avons rencontré une association qui la connaît bien, et qui nous a dit, en effet, que nous aurions pu aller plus loin sur ce modèle. Ceci étant, la situation était différente car il n'existait dans ce pays aucun dispositif protecteur et nous suivrons les résultats de cette politique. La question des violences faites aux femmes nous conduira, j'en suis sûre, à revenir régulièrement sur le sujet.
Les centres d'accueil doivent disposer de personnels bien formés et de suffisamment de lieux d'accueil : je regrette, comme vous, la faiblesse de leurs moyens et le fait qu'ils ne soient pas assez valorisés.
Autre chose : dans le Rhône, les élèves de l'Ecole nationale de la magistrature pouvaient autrefois effectuer des stages dans les associations d'aide aux femmes victimes de violences. Depuis deux ans, ce n'est plus le cas et c'est très dommage, car l'expérience du terrain est irremplaçable.
Marc Laménie a évoqué les conditions d'accueil des femmes victimes de violences qui s'adressent souvent au maire, dans les petites communes, ou à une assistante sociale. Nous ne sommes effectivement pas formés à cette tâche, notamment pour conforter les victimes dans leur non-culpabilité, ce qui est un point capital.
A partir de maintenant, chaque brigade de gendarmerie doit comporter un ou deux référents préparés à ce genre de situation. Surtout, un référent doit être disponible en permanence dans la brigade centrale afin d'épauler les brigades locales, par exemple si un notable est mis en cause, ce qui, nous le savons bien, complique encore davantage la situation. Il faudrait savoir si ce dispositif se généralise vraiment.
Marc Laménie s'est également interrogé sur ce qui se passe réellement dans les services de police ou de justice. Il faudrait effectivement que la loi s'applique : en principe, aucun certificat médical n'est requis pour déposer une plainte, mais gendarmes et policiers l'exigent toujours. Dans la circonscription de Douai, à l'inverse, une plainte est déposée systématiquement, la procédure de la main courante n'est pas utilisée, le compagnon violent est immédiatement évincé du domicile et hébergé dans un centre pour sans-abri. Le procureur estime que cela incite l'auteur des violences à réfléchir à ses actes et la victime à agir. Ce dispositif est efficace.
Le cas d'un enseignant a été évoqué par Anne-Marie Payet. Il y a en France deux millions d'enseignants, dont quelque 10 % doivent être aussi maltraitants envers leur conjoint, puisque statistiquement le même taux se retrouve dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Cela ne simplifie pas les choses mais ne nous fait pas renoncer à solliciter leur intervention en faveur de l'égalité entre hommes et femmes et pour le respect mutuel. Au demeurant, la situation est analogue dans la police, la magistrature et certains ministres ou sénateurs peuvent être maltraitants ! Rien ne garantit à une victime s'adressant à un avocat que lui-même ne l'est pas...
J'ai rappelé tout à l'heure mon opposition première à la médiation pénale, car j'ai longtemps refusé que l'on puisse mettre bourreau et victime face à face. Cependant, j'ai rencontré des personnes d'expérience aux avis plus nuancés. Certains considèrent que cette médiation pénale ne doit même pas être proposée à la victime. Ceci étant, cette procédure est une alternative à la poursuite ; une autre solution est le rappel à la loi effectué en maison de justice, mais il me paraît assez illusoire d'imaginer que le mari qui a frappé sa femme découvrira à cette occasion que ce n'est pas bien et qu'il en tiendra compte ! J'hésite à ce sujet, je ne sais plus trop que penser... On pourrait peut-être maintenir la médiation lorsqu'elle est acceptée par la victime, et dans les cas précisément définis par le guide de l'action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple.
Je suis d'accord avec Gisèle Printz lorsqu'elle rappelle que les hommes peuvent être aussi victimes de violences mais je pense qu'il s'agit alors plutôt de violences psychologiques. Bien sûr, la plainte pour violences psychologiques peut comporter un risque de manipulation. Mais je fais le pari qu'elle sera davantage utilisée à bon escient.
La proposition de loi de Roland Courteau sera examinée demain par la commission des lois, en lien avec celle-ci.
Jean-Louis Lorrain pense qu'il est délicat de confier un sujet pénal au juge des affaires familiales. Nous avons évoqué avec le procureur général de Lyon cette question dont la commission des lois délibérera demain car cette matière entre directement dans le champ de ses compétences et excède le cadre du présent avis.
Il a aussi évoqué le harcèlement et la modélisation. Le questionnaire mis au point par la gendarmerie de Lyon permet de cerner la réalité de la violence psychologique. Je vais vous le faire distribuer. Très intéressé par ce document mis au point avec l'association SOS femmes - Villeurbanne information femmes familles (Viff), qui accueille des femmes battues dans le Rhône, le procureur général de Lyon veut le diffuser à tous ses commissaires de police. En utilisant ce modèle d'enquête dans la foulée du dépôt des plaintes, commissaires et gendarmes réduiront le risque d'être manipulés. Par exemple, il est facile de s'apercevoir que le conjoint violent s'est approprié l'argent du ménage depuis des années, ce qui est un cas très fréquent. J'insiste donc sur la formation de tous.
Pour répondre à Isabelle Debré sur la question du logement commun, il est le plus souvent insupportable, pour une femme battue, de devoir quitter le domicile conjugal, lequel reste alors utilisé par le mari. Il faut donc effectivement éloigner en priorité celui-ci. Le juge peut ensuite attribuer le logement à la victime de violences, sauf si celle-ci exprime la volonté, assez fréquente, de déménager.
La loi ne dit pas assez que la violence sur le conjoint atteint aussi les enfants. Parmi les enfants de couples violents, 70 % sont traumatisés à vie : un tiers d'entre eux développe une psychopathologie, un tiers s'en sort sans gros dommages grâce à la résilience, un tiers reproduit ce qu'il a vu et devient violent lui-même. Or, le juge en charge d'un divorce peut accorder un droit de visite au père, sans même savoir que des violences ont eu lieu contre la mère. A ce propos, je voudrais mentionner un cas extrême dont j'ai eu connaissance : un père de trois enfants, nés d'une précédente union et placés, a eu un quatrième enfant avec une autre jeune femme, dont il vient de se séparer, dans un contexte de violence conjugale ; la garde de ce dernier enfant n'a pas été traitée par le juge qui s'occupait des trois premiers : c'est ahurissant ! Les magistrats devraient au moins s'informer mutuellement !
Je ne suis pas hostile à l'intervention des services sociaux, mais sous réserve de formation, car il ne faut pas confondre cette situation avec celle des enfants maltraités.
Gilbert Barbier a suggéré que les médecins aient l'obligation de signaler les violences psychologiques dont ils ont connaissance. J'ai posé la même question et j'indique que le conseil de l'ordre y est formellement opposé.
M. Jean-Louis Lorrain. - Le secret médical est la base de la relation de confiance entre le médecin et son patient, mais notre société évolue vers une prise en charge globale. Le pouvoir médical doit servir les patients. C'est sa finalité. Dans mon département, je dois batailler avec le médecin de la maison du handicap, qui bloque par principe certaines décisions. Sans entrer en conflit avec le monde médical, nous devons lui faire comprendre que nous n'avons pas à nous incliner devant lui. Il y a des choses choquantes ! Je souscris au discours sympathique sur les soins, mais il faut une prise en charge médico-socio-psychologique et culturelle.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Je suis totalement d'accord. Anne-Marie Payet peut-elle nous préciser si les personnes qui participent aux groupes de parole à la Réunion viennent en couple ?
Mme Anne-Marie Payet. - Pas nécessairement. Elles y participent sur la base du volontariat.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - J'indique à Colette Guidicelli que les mariages forcés figurent bien dans la proposition de loi. En revanche, l'excision relève plutôt de la protection de l'enfance.
Marie-Thérèse Hermange nous a fait part d'une expérience intéressante...
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Les services de maternité accueillent chaque année 800 000 femmes pendant neuf mois. Cela permet de voir les choses.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Si on veut les voir !
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Théoriquement, les conseils généraux doivent, depuis 1989, dispenser une formation pluridisciplinaire à tous les intervenants dans la protection de l'enfance, dont les policiers et gendarmes. Ce n'est jamais fait. Lorsque j'ai élaboré mon rapport sur la sécurité des mineurs, j'ai travaillé avec un policier. Chacun de nous a beaucoup appris de l'autre. Je souhaite que vous insistiez sur ce point lors de votre intervention.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - L'examen de ce texte aura lieu en séance les 22 et 23 juin au soir.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Je vous propose par amendement à l'article premier de préciser que le logement doit être attribué à la victime mais sur sa demande.
Mme Isabelle Debré. - Je suis réservée sur cette proposition. A mon sens, l'attribution doit être automatique, sauf opposition du bénéficiaire. Ce n'est pas la même chose.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je partage l'analyse d'Isabelle Debré.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - La rédaction actuelle de l'article premier dispose que le juge aux affaires familiales est compétent pour attribuer pendant quelques mois la jouissance du logement au partenaire n'ayant pas commis de violence. Je souhaite simplement que l'on ajoute les mots « à sa demande ».
Mme Isabelle Debré. - La victime reste nécessairement chez elle aujourd'hui. Cela doit demeurer le cas, à moins qu'elle ne le refuse.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Pourquoi ne pas en rester au texte actuel ? Evitons d'ouvrir le champ à des pressions.
Mme Isabelle Debré. - L'enfer est pavé de bonnes intentions. En principe, la victime doit conserver son domicile, mais il faudrait accompagner la démarche d'une femme souhaitant partir.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Dès lors que le juge aux affaires familiales est compétent pour attribuer le logement, il peut aussi ne pas le faire.
Mme Annie David. - Le droit de rester chez soi ne doit pas devenir une obligation ! N'ouvrons pas la boîte de Pandore.
M. Gilbert Barbier. - Faisons un peu confiance au juge. Il est inutile d'ajouter une source de conflits supplémentaires entre les conjoints.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Il faut souhaiter que le juge aux affaires familiales sollicite formellement l'avis de la victime. Dans ce cas, je ne propose pas de modifier le texte à ce stade. Le cas échéant, nous présenterons à la commission des lois un amendement au titre des amendements extérieurs.
M. Nicolas About. - Le titre du texte sera-t-il maintenu ? Je ne pense pas qu'il faille viser exclusivement les violences aux femmes mais plus largement les violences au sein des couples.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Des discussions ont lieu entre la commission des lois du Sénat et celle de l'Assemblée nationale, afin que les députés puissent adopter le texte conforme et qu'il entre rapidement en application. Dans le cadre de ces discussions, il est envisagé de modifier le titre du texte mais je n'ai pas voulu ajouter à la confusion en faisant des propositions.
M. François Autain. - En quoi consisterait ce changement ? Y a-t-il beaucoup d'hommes battus ?
M. Nicolas About. - Cela existe.
M. François Autain. - Combien de morts par an ?
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Il arrive qu'un mari violent soit tué par sa femme.
M. Nicolas About. - Certains hommes sont battus toute leur vie. Nous, médecins, en avons connu parmi nos patients.
M. François Autain. - Cela ne m'est jamais arrivé.
Mme Colette Giudicelli. - Selon l'Insee, 410 000 femmes âgées de dix-huit à soixante ans ont subi des violences physiques entre 2005 et 2006. Pendant la même période, 130 000 hommes du même âge ont été victimes de violences commises par leur conjointe.
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - C'est un vrai sujet. J'ajoute que la violence en couple peut aussi être homosexuelle.
M. Nicolas About. - C'est pourquoi je serais favorable à ce que l'intitulé vise la violence « au sein des couples ».
Mme Muguette Dini, rapporteure pour avis. - Cette modification entraînerait de nombreuses mesures de coordination à l'intérieur du texte, qui ne relèvent pas du travail de la commission saisie pour avis. Mais je défendrai demain votre position devant la commission des lois.
La commission adopte les conclusions du rapport pour avis.
Organisme extraparlementaire - Désignation d'un candidat
Faute de candidats, la commission sursoit à la désignation d'un suppléant au sein de l'observatoire national des zones urbaines sensibles.