Mercredi 7 octobre 2009
- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -Réforme des lois de bioéthique - Communication
La commission a entendu une communication de Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, sur l'assistance médicale à la procréation en vue de la réforme des lois de bioéthique.
Mme Marie-Thérèse Hermange a précisé que cette première communication, intitulée « quelle réparation et quelle fabrique pour le corps ? », constitue un point d'étape à la suite des états généraux de la bioéthique. Il est important que le Sénat puisse se confronter aux multiples questionnements que suscite le sujet de l'assistance médicale à la procréation comme l'ont déjà fait d'autres institutions, notamment le Conseil d'Etat et l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Elle a indiqué ne pas avoir, pour sa part, de certitudes sur l'ensemble des questions malgré le temps qu'elle y a consacré. Deux points semblent néanmoins fondamentaux. D'une part, les sujets de bioéthique se situent au carrefour de plusieurs logiques : la science, la thérapeutique, l'économie et la compassion. D'autre part, la responsabilité du législateur, quand il discutera des prochaines lois de bioéthique, sera d'une ampleur inédite en raison de l'importance des conséquences des décisions qui seront prises. Il s'agit de trouver un cadre où puissent se conjuguer la liberté scientifique et le respect des personnes.
Des différentes instances au sein desquelles elle a participé à des débats de bioéthique, elle retire deux questions que pourraient être amenés à se poser les enfants qui naîtront dans vingt ans : « suis-je un être fabriqué » ? ; et, pour ceux qui seront nés handicapés malgré la tendance actuelle à l'éradication du handicap : « suis-je une erreur » ?
Sur les questions bioéthiques, le Gouvernement a engagé une procédure de consultation institutionnelle classique et, de manière plus originale, une procédure de consultation citoyenne. L'intérêt des citoyens pour les questions de bioéthique a été très fort. Plusieurs personnes se sont ainsi formées puis confrontées à de grands témoins lors de débats publics. Par ailleurs, un site Internet, créé pour l'occasion, a reçu plus de 70 000 visiteurs. Après ces consultations, il appartient aux parlementaires de se saisir des sujets de bioéthique.
Mme Marie-Thérèse Hermange a d'abord présenté le cadre légal de l'assistance médicale à la procréation (AMP). Le législateur de 1994 et 2004 a voulu réserver le recours à l'AMP à certaines indications médicales pour éviter qu'elle ne devienne un nouveau mode de procréation susceptible d'être utilisé pour des raisons de convenance personnelle. Le code de la santé publique définit les techniques d'AMP et en subordonne l'accès à deux types de conditions : des conditions médicales (infertilité résultant d'une pathologie ou risque de transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à l'autre membre du couple), en vertu de l'article L. 2141-1, et des conditions sociales prévues aux articles L. 2141-2 à L. 2141-7 (couple hétérosexuel dont les deux membres sont vivants, en âge de procréer et mariés ou pouvant justifier de deux ans de vie commune).
L'AMP peut être mise en oeuvre avec un tiers donneur. Il s'agira d'un don de gamètes unique puisque le double don est interdit en France. Comme tout don, il est soumis au principe de l'anonymat et à celui de la gratuité.
Enfin, la gestation pour autrui (GPA) est envisagée comme une nouvelle forme d'AMP. Elle consiste, pour une femme, à porter l'embryon issu biologiquement d'un autre couple puis de remettre à celui-ci le bébé après la naissance. Cette pratique est interdite par le droit français qui prohibe les conventions de maternité pour autrui.
Il convient ensuite d'étudier le cadre médical de l'AMP. Le premier « bébé éprouvette », Amandine, est né en France en 1981 grâce au processus consistant à créer un embryon humain en provoquant la fusion des deux cellules reproductrices, ou gamètes.
Il existe différentes techniques. La première est celle de l'insémination artificielle, qu'elle soit intraconjugale ou avec tiers donneur. Cette dernière technique ne concerne que 7 % des enfants nés par AMP et elle est très encadrée : le donneur ou la donneuse doit avoir déjà procréé ; son consentement et, s'il fait partie d'un couple, celui de l'autre membre, sont recueillis par écrit et peuvent être révoqués à tout moment jusqu'à l'utilisation des gamètes ; enfin, le recours aux gamètes d'un même donneur ne peut légalement conduire à la naissance de plus de dix enfants.
La pénibilité du don d'ovocytes est plus élevée que celle du don de spermatozoïdes et implique des contraintes car il nécessite une stimulation ovarienne, une anesthésie locale ou générale et entraîne des suites opératoires. La réglementation en vigueur prévoit donc que la donneuse soit particulièrement informée des risques liés notamment à une hyperstimulation ovarienne.
Un deuxième type de technique est la fécondation in vitro (Fiv). Des cellules reproductrices sont placées dans un tube pour qu'elles fusionnent. Après deux ou trois jours en moyenne, l'embryon est transféré dans l'utérus de la mère. Lorsque le couple refuse de conserver des embryons surnuméraires par congélation, le nombre d'ovocytes traités est limité à deux ou trois, en fonction du nombre d'embryons que l'on souhaite transférer. Préalablement au transfert, les couples sont informés des probabilités de réussite et du risque de survenance de grossesses multiples. Un transfert supérieur à deux embryons doit être justifié dans le dossier médical du couple. En effet, il peut y avoir un risque de grossesse multiple donnant alors lieu à une « réduction embryonnaire », processus qui vise à détruire l'un des embryons implantés.
La loi prévoit la destruction des embryons surnuméraires en cas d'extinction du projet parental par défaut de réponse ou désaccord au sein du couple. Les embryons qui n'ont pu être accueillis dans un délai de cinq ans à compter du jour où le consentement du couple à l'accueil a été exprimé par écrit, doivent légalement être détruits. On compte, à l'heure actuelle, 155 000 embryons surnuméraires en France.
Une nouvelle technique de fécondation in vitro est désormais disponible. Il s'agit de l'« intra cytoplasmic sperm injection » (Icsi). Le biologiste injecte alors directement un spermatozoïde présélectionné dans un ovocyte. Cette technique est utilisée lorsqu'une fécondation naturelle n'est pas possible en raison du nombre ou de la qualité des spermatozoïdes.
En ce qui concerne les embryons surnuméraires, certains pays comme l'Allemagne ont adopté une législation stricte qui en empêche la constitution. En France, la réglementation relative aux bonnes pratiques recommande une limitation du nombre d'embryons constitués à la suite de tentatives de Fiv et impose de ne chercher à recueillir que peu d'ovocytes lorsque le couple demande qu'il n'y ait pas de recours à la congélation.
Alors que le double don de gamètes par tiers est légalement interdit, un couple peut consentir à l'accueil de ses embryons surnuméraires par un autre couple, ce don étant subordonné à une décision judiciaire.
Les recherches sur l'embryon sont conduites sur des embryons surnuméraires conçus in vitro dans le cadre d'une AMP et ne faisant plus l'objet d'un projet parental. Elles entraînent la destruction des embryons utilisés. Elles ont d'abord été interdites en 1994, puis assorties de dérogations strictement encadrées en 2004.
Enfin, l'insémination ou le transfert d'embryons post mortem sont interdits pour des motifs liés à l'absence du père et aux difficultés qui en résulteraient pour le droit de la filiation et de la succession.
Après avoir dressé cet état des lieux juridique et médical, Mme Marie-Thérèse Hermange a soulevé plusieurs questions. Elle a tout d'abord rappelé que si un consensus s'est dégagé pour considérer que l'AMP doit rester une réponse à l'infertilité et ne pas devenir un mode alternatif de procréation, des nuances existent sur l'instauration d'une limite d'âge pour en bénéficier, même si la question semble résolue en pratique, et sur l'autorisation de l'AMP post mortem. Sur cette question, les états généraux se sont montrés très réservés tandis que l'Opecst s'est déclaré favorable à une autorisation encadrée. La plupart des instances qui traitent des questions de bioéthique ne se sont pourtant pas prononcées.
Plusieurs options s'offrent aux parlementaires en matière d'encadrement de l'AMP. La première consiste à conserver les dispositifs existants, la deuxième à en élargir l'accès aux femmes célibataires ou aux couples homosexuels, ce qui implique de sortir du référentiel « naturel » qui prévaut aujourd'hui comme conception de la famille. C'est sur ce rôle anthropologique du droit qu'a insisté le comité national consultatif d'éthique. La troisième option serait de codifier davantage la pratique de l'AMP : soit on considère que le nombre d'embryons surnuméraires n'est pas en soi un problème, mais il faut alors s'interroger sur leur devenir, soit il faut établir une limitation du nombre d'embryons et s'inspirer alors d'un pays comme l'Allemagne.
Un deuxième sujet de débat est celui lié aux conditions du don de gamètes. Un consensus semble se dégager dans la majorité des rapports en faveur, au minimum, de l'accès à des informations non identifiantes sur le donneur. Concernant la gratuité du don, dont certains préconisent l'abandon pour favoriser le don de gamètes, elle reste pour la plupart des institutions et pour les citoyens un principe intangible, même si un meilleur défraiement est envisagé pour les donneuses d'ovocytes.
Le choix de l'anonymat total revient à affirmer la suprématie du lien social sur le lien biologique puisque le donneur est effacé au profit des parents qui élèvent l'enfant. Or, la dissociation entre lien social et lien biologique ne va pas de soi. La levée partielle de l'anonymat pose la question de l'existence d'un moyen terme en matière de quête des origines. La levée totale de l'anonymat des donneurs à la date de la majorité de l'enfant, s'il en fait la demande, est également envisageable. Dans ce cas de figure, la priorité est donnée à la filiation sociale mais on reconnaît que le lien biologique est porteur d'identité. De fait, il semble qu'on ne puisse considérer de la même manière l'anonymat nécessaire pour un don qui sauve la vie, dans le cas du don d'organes, et l'anonymat d'un don qui donne la vie.
La gestation pour autrui pose également de nombreuses questions. Le groupe de travail constitué par le Sénat sur cette question a rendu, en juin 2008, un rapport préconisant son autorisation encadrée afin de remédier à l'impossibilité médicale pour une femme de porter un enfant. Les rapports rendus depuis lors, dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, se sont néanmoins prononcés contre cette autorisation.
Si l'on autorise la gestation pour autrui, le risque est d'abandonner un certain nombre de principes juridiques comme celui du caractère certain de la filiation maternelle, « mater semper certa est », ou dans le cadre d'une convention financière, le principe de l'indisponibilité du corps humain. On ne peut mettre sur le même plan un don d'organe, destiné à se fondre dans le corps du receveur, et la gestation, qui est une fonction organique. Enfin, autoriser cette pratique pourrait laisser entendre que l'on tient pour négligeables les risques inhérents à la grossesse et que l'on fait primer le désir d'enfant. Le maintien de son interdiction consacre le fait que le désir d'enfant, aussi légitime soit-il, ne fonde pas de droit à l'enfant.
En conclusion, Mme Marie-Thérèse Hermange a considéré que la question fondamentale est la suivante : « qu'est-ce que donner quand c'est son corps que l'on donne ? ». Comment préserver la dignité humaine des risques d'instrumentalisation du corps humain ? Comment reconstruire l'unité de la personne entre lien biologique et lien social ? Là réside le problème de la dimension symbolique du corps.
Après avoir rappelé que la question de l'assistance médicale à la procréation est un des cinq thèmes identifiés dans le cadre de la future révision des lois de bioéthique, Mme Muguette Dini, présidente, a souligné l'intérêt pour la commission de préparer sa réflexion avant le dépôt du projet de loi attendu pour 2010.
M. Alain Gournac s'est demandé si l'enjeu est de modifier la définition du mot « famille » et celle du mot « don ». Si tel est le cas, le législateur devra prendre ses responsabilités. Selon lui, la famille est une notion très claire : elle rassemble un père, une mère et un ou plusieurs enfants. En ce qui concerne la notion de don, il s'est inquiété du retour d'un débat sur la question de la gratuité et de l'émergence d'une approche financière de ces questions. Comme l'a indiqué Marie-Thérèse Hermange, il faut distinguer les dons de sang ou d'organe et les dons liés à la procréation, dont la nature est fondamentalement différente. En ce qui concerne la question de l'anonymat, il est à craindre que sa levée augmente les difficultés pour trouver des donneurs, alors que les familles qui ont recours à un don ont le plus souvent déjà tout essayé pour avoir un enfant. Enfin, il a souhaité que le progrès médical permette d'éviter à l'avenir l'existence d'embryons surnuméraires, car parler aujourd'hui de leur « destruction » lui semble particulièrement inquiétant.
Mme Marie-Thérèse Hermange a répondu que la législation très contraignante en matière d'assistance médicale à la procréation conduit les médecins à implanter plusieurs ovocytes, dans l'espoir qu'au moins l'un d'entre eux devienne un enfant.
A la demande de précisions de M. François Autain sur le système allemand de traitement des embryons surnuméraires, Mme Marie-Thérèse Hermange a indiqué que la législation y organise une équivalence entre le nombre d'embryons constitués et ceux transférés in utero, ce qui évite la création d'embryons surnuméraires.
Au sujet du don de gamètes, pour lequel il s'est déclaré favorable au maintien du principe de gratuité, M. François Autain a relevé certaines différences entre les législations européennes : par exemple, l'assistance médicale à la procréation est ouverte aux femmes célibataires en Belgique, mais non en France ; de la même manière, la procédure française en matière de dons d'ovocytes prévoit que le couple stérile demandeur propose lui-même le nom d'une donneuse et cette exigence fait que le système ne marche pas ; qui plus est, en l'absence de don d'ovocytes spontané, la question de l'amélioration de la prise en charge financière du don se pose et ce d'autant plus que des pays comme l'Espagne rémunèrent les femmes pour ce don. En conséquence, peut-on maintenir la législation française actuelle alors que les pays limitrophes pratiquent différemment ? Des solutions communes peuvent-elles être trouvées au niveau européen ?
Mme Marie-Thérèse Hermange a mis en avant le risque d'alignement sur la législation la moins contraignante. Si la tenue d'un débat européen est nécessaire, il est difficile d'imaginer que l'on puisse se déterminer en fonction des autres législations : des différences existeront toujours, même si la France modifie la sienne dans tel ou tel sens.
Soulignant la sensibilité du sujet et l'importance de la prise en compte de l'intérêt de l'enfant, M. Marc Laménie s'est interrogé sur les différentes options permettant de faire évoluer le cadre juridique de la bioéthique.
Mme Marie-Thérèse Hermange a précisé que les choix devront être faits à partir du projet du Gouvernement, dont il semble à ce stade qu'il devrait être a minima.
Mme Brigitte Bout a considéré que des sujets tels que l'assistance médicale à la procréation ouvrent un débat de fond sur les vraies valeurs de la société. Elle s'est interrogée sur le lien qui semble être opéré entre gratuité et anonymat du don. Elle a considéré que l'intérêt de l'enfant doit, en tout état de cause, primer et elle a attiré l'attention sur le risque du développement de la « marchandisation » du corps de la femme. Enfin, elle a constaté que de nouvelles questions surgissent au fur et à mesure de l'avancement de la réflexion, ce qui la rend d'autant plus riche et importante.
Mme Marie-Thérèse Hermange a confirmé l'aspect essentiellement philosophique de cette question qui conduit à s'interroger sur la manière d'éviter de concevoir le corps humain comme un « corps en miettes ».
M. Alain Vasselle s'est déclaré satisfait de la législation actuelle sur trois sujets précis : les conditions de couple et d'âge pour bénéficier de l'assistance médicale à la procréation, la gratuité du don et la gestation pour autrui. Il s'est toutefois interrogé sur la place de la recherche et les limites de l'acceptable dans le traitement des embryons surnuméraires. En ce qui concerne l'anonymat des donneurs, il a considéré que la comparaison des avantages et des inconvénients de sa levée ne permettra pas de trouver une réponse satisfaisante dans l'immédiat. Enfin, s'il est nécessaire de concilier le désir d'enfant et le droit à l'enfant, il faut privilégier le projet parental et la future éducation de l'enfant : avoir un enfant ne peut pas devenir un droit. En définitive, le travail réalisé en son temps par la commission des affaires sociales sur les précédentes lois de bioéthique a fait la preuve de sa qualité puisque, si des améliorations sont à apporter au fil des années, l'architecture globale initiale reste la bonne.
Mme Isabelle Debré a souhaité connaître les raisons pour lesquelles la loi dispose que le recours aux gamètes d'un même donneur ne peut conduire à la naissance de plus de dix enfants.
Mme Marie-Thérèse Hermange a précisé que le législateur a souhaité fixer une limite, mais que le choix de la fixer à dix ne répond pas à une exigence scientifique particulière.
Mme Isabelle Debré a distingué les projets de vie amenant un couple à opter soit pour l'adoption, soit pour l'assistance médicale à la procréation, même si, dans les deux cas, l'enfant est toujours désiré. Elle a souhaité que les procédures d'adoption soient facilitées, notamment pour les enfants français. Enfin, elle a soulevé la question des difficultés de pratiquer des recherches généalogiques en cas de maladie génétique, si la règle de l'anonymat est conservée en l'état.
Mme Marie-Thérèse Hermange a considéré que l'adoption comme la fécondation in vitro constituent un parcours du combattant pour les couples, et peut-être encore plus pour les femmes.
M. Dominique Leclerc s'est enquis de la méthode suivie pour constituer le groupe de citoyens amenés à s'exprimer dans le cadre des états généraux de la bioéthique. Par ailleurs, il a fait valoir que l'on constate de plus en plus fréquemment, peut-être en raison de pratiques contraceptives précoces, la survenance de grossesses naturelles après une première naissance résultant d'une fécondation in vitro, ce qui pose à son sens la question de l'encadrement médical du recours à ces pratiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange a précisé les conditions de la composition du panel de citoyens : un institut de sondages, désigné après appel d'offres, a choisi vingt personnes qui ont été formées aux questions de bioéthique durant trois week-end ; elles ont ensuite participé, dans plusieurs villes de province, à des rencontres avec des grands témoins (médecins, chercheurs, universitaires...), avant de rédiger leur avis. Cet avis ne lie naturellement ni le Gouvernement, ni le Parlement, mais donne un éclairage instructif de l'état de l'opinion publique sur ces sujets complexes.
Mme Janine Rozier a fait part de son grand intérêt et de sa perplexité devant des questions qui touchent bien sûr au corps, mais surtout à l'âme et à la conscience. La réflexion et la discussion sur l'humain doivent être poursuivies, car le champ d'interrogations est très vaste.
M. Nicolas About est revenu sur le propos introductif de la communication et notamment sur le fait que les enfants pourraient se poser dans vingt ans la question de savoir : « ai-je été fabriqué ? » et « suis-je une erreur ? ». Pour sa part, les questions essentielles devraient être plutôt : « ai-je été désiré ? » et, pour les personnes handicapées, « qu'ont fait les politiques pour éviter que mon enfant ait à supporter le même handicap que moi ? ».
Il s'est déclaré favorable à la levée de l'anonymat du donneur ; l'enfant a droit à ses origines, ce droit imprescriptible a été confirmé plusieurs fois par le Conseil de l'Europe. Les conditions de sa levée peuvent être discutées : elle pourrait avoir lieu à la majorité de l'enfant, au décès du donneur ou encore par accord entre les parties. Il n'est d'ailleurs p as inutile de rappeler, en marge de ces réflexions, qu'environ 10 % des enfants qui naissent dans le mariage ne sont pas biologiquement issus du mari.
La question de l'intérêt de l'enfant est bien sûr essentielle mais il est singulier qu'on puisse y faire référence au stade du don : en quoi le don de gamètes, d'ovocytes ou d'embryons peut-il participer directement de l'intérêt de l'enfant ? Comment définir l'intérêt de l'enfant avant sa naissance, voire avant sa conception ? Le seul intérêt est en réalité celui du projet parental, qui ne doit naturellement pas se réaliser au détriment de l'enfant à naître.
Par ailleurs, on ne peut réduire l'assistance médicale à la procréation à une simple réponse technique à l'infertilité. L'assistance médicale à la procréation constitue bien une réponse mais sous une double exigence : le désir d'enfant et l'infertilité. Ce qui prime, c'est d'abord le désir d'enfant. Et il est important de rétablir l'ordre de ces facteurs, qui a une logique profonde.
Il s'est ensuite déclaré très troublé par le fait que personne ne soit choqué par le don d'embryons, alors qu'on l'est par la gestation pour autrui. Il n'y a pas si longtemps, la société attachait beaucoup d'importance aux frères de lait, nourris au même sein, élevés par la même nourrice et unis par des liens puissants, bien que de parents différents. Autrefois, les esclaves pouvaient d'ailleurs être affranchis en raison de leurs liens avec leur frère de lait, enfant du maître. Il n'y a, à son sens, aucune honte pour une femme d'aider à la réalisation d'un projet parental. Il ne s'agit ni d'une entremise en vue d'adoption, car le projet parental est clair depuis le départ, ni d'un abandon ; c'est juste quelque chose de merveilleux, au sens fort du terme, comme l'est le don d'organes, notamment sur donneur vivant. Quoi qu'il en soit, il est indispensable d'adopter une position cohérente sur le don d'embryons et la gestation pour autrui.
Mme Marie-Thérèse Hermange a précisé que le don d'embryons est aujourd'hui très marginal, car il pose des problèmes de filiation et des problèmes médicaux.
Partageant les observations de Nicolas About, Mme Raymonde Le Texier a constaté qu'on est prêt à tout pour avoir un enfant, parfois à n'importe quel prix. Or, pourquoi a-t-on tellement besoin d'un enfant né de sa chair, de son sang ? La société perpétue-t-elle l'idée qu'on ne peut être vraiment femme qu'en étant mère ? Ces interrogations renvoient à la question centrale de l'adoption, dont les procédures doivent être améliorées en France. Son expérience personnelle lui montre que les parents - ou les grands-parents - ne font aucune différence entre leurs enfants ou petits-enfants, selon qu'ils sont naturels ou adoptés. C'est toujours la même magie, ces enfants sont totalement désirés et aimés.
Enfin, elle a estimé que le titre du document distribué à l'appui de la communication, intitulé « Quelle réparation ou quelle fabrique pour le corps ? » comporte une connotation péjorative pour les femmes.
Mme Marie-Thérèse Hermange a répondu avoir justement souhaité provoquer le débat par ce titre, qui constitue la seule liberté qu'elle s'est accordée dans son travail de présentation.
Mme Gisèle Printz s'est déclarée mal à l'aise face aux perspectives ouvertes par la médecine moderne et ses conséquences, qui donnent parfois l'impression qu'elles seront difficiles à maîtriser. Dans ces conditions, elle a souhaité que soit favorisée l'adoption, plutôt que des possibilités scientifiques aventureuses, car le recours à ces pratiques peut se rapprocher davantage de l'égoïsme que du réel projet parental.
M. Guy Fischer a souhaité savoir si les états généraux de la bioéthique ont avancé sur la question de la recherche sur les embryons, d'abord interdite dans le texte initial, puis autorisée, mais dans un cadre très strictement encadré, par la loi de 2004.
Mme Marie-Thérèse Hermange a précisé que cette question fera l'objet d'une présentation thématique spécifique ultérieure devant la commission. Ceci étant, les chercheurs ont le plus souvent indiqué durant les débats que le véritable problème tient plus au financement de la recherche qu'à son cadre juridique.
M. Alain Milon a considéré que la présentation des questions de bioéthique peut varier grandement selon les convictions de celui qui parle. Pour sa part, et en ce qui concerne la gestation pour autrui, il se retrouve davantage dans l'intervention de Nicolas About que dans celle de Marie-Thérèse Hermange. L'assistance médicale à la procréation est une réponse à l'infertilité naturelle et la science apporte des solutions à des parents, à des individus, et non à des familles. La société évolue et le législateur a le devoir d'accompagner ces évolutions. Par exemple, les lois de bioéthique ont, dans un premier temps, interdit les recherches sur les embryons surnuméraires avant de les permettre, notamment en raison de leur développement dans des pays étrangers, parfois limitrophes. Par ailleurs, on ne doit pas oublier que la possibilité d'avoir recours dans ces pays à des pratiques non autorisées en France crée de facto une ségrégation financière et sociale.
Mme Marie-Thérèse Hermange a considéré avoir réalisé un travail objectif, consistant à poser des questions et proposer des alternatives, sans jamais indiquer de position personnelle. Certes, elle a souhaité prendre position en faveur de la levée de l'anonymat du donneur, notamment en raison du développement de la médecine prédictive qui nécessite la connaissance des liens génétiques des patients, mais sans nier la nécessité de prolonger la réflexion car après des mois de travail, par exemple au sein du comité consultatif national d'éthique, les solutions n'apparaissent pas forcément claires et précises. Ainsi, la levée de l'anonymat en matière d'assistance médicale à la procréation aura des répercussions dans d'autres champs, notamment celui de l'anonymat en matière de don d'organes.
Plus généralement, elle a souhaité resituer la problématique dans une vision d'ensemble : d'une part, la médecine procréative intervient à l'écart du désir charnel, comme si la naissance était la conséquence d'une pure volonté ; d'autre part, l'assistance médicale à la procréation a été fondée sur le droit de la famille et son élargissement pourrait aboutir à créer deux droits distincts : un droit de la famille naturelle et un droit pour les naissances issues de l'assistance médicale à la procréation.
Mme Muguette Dini, présidente, a indiqué à la commission que des réunions ultérieures seront consacrées aux autres sujets qui feront l'objet d'une nouvelle discussion dans le cadre de la future révision des lois de bioéthique.
Questions diverses
Mme Muguette Dini, présidente, a indiqué à la commission que son bureau a décidé de demander la création d'une mission d'information sur le mal-être au travail.