Mardi 3 février 2009
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Mission au Moyen-Orient - Communication
Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a entendu la communication de M. Jean François-Poncet et Mme Monique Cerisier-ben Guiga sur la mission effectuée au Proche et Moyen-Orient - deuxième déplacement (Syrie, Liban, Israël, Palestine), du 18 au 31 janvier 2009.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a tout d'abord évoqué la visite de la délégation en Syrie. Ce pays est composé de différentes communautés, avec une majorité sunnite et des minorités chrétienne, alaouite, druze et kurde dont le gouvernement parvient à maintenir l'unité d'une main de fer, tout en cherchant une certaine ouverture économique.
Sur le plan international, la ligne dure d'opposition à Israël permet au régime syrien d'assurer sa cohésion et d'être en phase avec son opinion publique. Mais, en réalité, la diplomatie syrienne s'efforce de maintenir une politique d'équilibre en jouant plusieurs cartes : le Golan, le Liban, le soutien au Hezbollah et au Hamas, mais aussi ses relations avec la Turquie ou la France, avec laquelle elle entretient une histoire complexe, faite d'attirance et de rancune, cristallisée autour de la question libanaise.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a ensuite rendu compte de l'entrevue, à Damas, avec Khaled Mechaal, chef du Hamas, en précisant que l'initiative de cette rencontre incombait aux membres de la mission et qu'elle avait été organisée sans l'assistance de l'ambassade de France. En effet, le Hamas est devenu un acteur incontournable dans la région et, quel que soit le jugement que l'on peut porter sur cette organisation, il paraissait logique d'entendre son principal responsable.
Au cours de ce long entretien, Khaled Mechaal a présenté le visage d'un homme politique de premier plan, d'un authentique leader, et, à aucun moment, il n'a développé de discours à caractère religieux ou idéologique.
Concernant la récente intervention militaire israélienne à Gaza, il a rappelé que si le Hamas avait su imposer à ses troupes une trêve réelle et respectée d'août à décembre 2008, les habitants de la bande de Gaza n'en avaient tiré aucun bénéfice, puisqu'en échange de cette trêve, Israël n'avait pas levé le blocus de Gaza. Dans ce contexte, selon lui, le Hamas n'avait pas eu d'autre choix que celui de rompre la trêve.
La réaction israélienne a cependant surpris le Hamas par son ampleur et sa brutalité, faisant, d'après les chiffres de l'ONU, environ 1 300 morts palestiniens, dont la moitié de femmes et d'enfants.
Selon Khaled Mechaal, le Hamas, qui n'a eu à déplorer qu'une cinquantaine de combattants tués par l'armée israélienne, est sorti renforcé de l'offensive israélienne. Non seulement le Hamas tient toujours la bande de Gaza et peut toujours lancer des roquettes sur Israël, mais son mouvement a opposé une résistance qualifiée par le chef du Hamas de « légendaire ». Ainsi, à trois reprises, le Hamas a gagné une véritable légitimité : la première fois en devenant un mouvement national palestinien, la deuxième fois en remportant les élections, la troisième fois en résistant à l'offensive israélienne. Pour Khaled Mechaal, le Hamas doit donc être reconnu comme un interlocuteur, et un acteur central dans l'arène palestinienne, le Fatah et l'OLP s'étant déconsidérés aux yeux du peuple palestinien en collaborant avec Israël pendant le conflit.
Au sujet de la Charte du Hamas, qui contient de nombreuses références antisémites, il a laissé entendre qu'elle pourrait être abandonnée le jour où Israël reconnaîtra l'Etat palestinien dans ses frontières de 1967. Pour le présent, il a fait remarquer que ni Yasser Arafat, ni Abbu Mazzen n'ont obtenu quoi que ce soit en échange de la reconnaissance de l'Etat d'Israël.
Selon Khaled Mechaal, le Hamas veut la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien et l'Europe peut avoir un rôle à jouer, les Etats-Unis ayant jusqu'à présent échoué dans leur rôle de médiateur.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a ensuite évoqué la situation au Liban, dont l'ensemble de la classe politique est focalisée sur les élections de juin prochain.
Dans ce pays, les communautés se divisent en trois blocs : un tiers de Sunnites, menés par le fils de Rafic Hariri, Saad Hariri ; un tiers de Chiites, avec la milice Amal, qui ne compte quasiment plus, et le Hezbollah, dont le chef est Nassan Nazrallah ; enfin, un tiers de Chrétiens scindés en deux camps : celui des forces libanaises, avec Samir Geaga et son allié Michel Murr, qui ont fait alliance avec les Sunnites, et le général Aoun, qui, avec l'autre moitié des Chrétiens, a fait alliance avec le Hezbollah et la Syrie. Les Druzes de Walid Jumblatt protègent au mieux leurs intérêts.
Dans ces conditions, il semble que les Chrétiens seront les arbitres des prochaines élections en se ralliant à l'un ou l'autre des courants dominants et en permettant la constitution d'une coalition de gouvernement.
Quant au Hezbollah, le fait qu'il soit resté inactif lors de l'offensive israélienne à Gaza montre qu'il n'est peut-être pas la « marionnette » de l'Iran ou de la Syrie, comme le pensent certains, mais qu'il privilégie ses priorités politiques libanaises.
Enfin, malgré les violations quotidiennes de l'espace aérien libanais par l'armée de l'air israélienne, la FINUL est parvenue à faire respecter un certain ordre au sud Liban.
Abordant ensuite la visite de la délégation en Israël, Mme Monique Cerisier-ben Guiga a précisé que, compte tenu de la rencontre avec Khaled Mechaal à Damas, dont les autorités israéliennes ont eu connaissance, ni le ministère des affaires étrangères israélien, ni aucun responsable politique n'ont accepté de recevoir les membres de la mission, à l'exception de Haïm Oron, leader du Meretz, le parti de la gauche sioniste. La mission a toutefois pu rencontrer des personnalités intéressantes, telles que l'ancien ambassadeur d'Israël en Allemagne, Avi Primor, et des « think tanks ».
L'impression générale qui ressort de la visite en Israël est que la sécurité semble n'y avoir jamais été aussi grande, sauf au centre-ouest où la population est durement marquée et traumatisée par les tirs de roquettes du Hamas qui frappent et tuent au hasard. Dans ces conditions, il semble que l'insécurité qui subsiste soit d'autant plus intolérable.
De fait, on ressent une grande frustration au sein de l'opinion publique israélienne, qui a le sentiment que le fait d'avoir rendu Gaza a été payé en retour par des tirs de roquettes sur le sud d'Israël, ayant provoqué la mort de vingt-cinq personnes en huit ans, et que le Hamas méritait une « bonne correction ». Les Franco-israéliens d'Ashkelon, que la délégation a rencontrés, pourtant directement visés par les tirs de roquettes, ont exprimé les difficultés de leur vie quotidienne d'une manière impressionnante.
A l'approche des prochaines élections législatives, il est probable, d'après les sondages, que la droite emmenée par Benyamin Netanyahu remportera ces élections et formera une coalition avec le parti travailliste d'Ehud Barak, le leader d'extrême droite Avigdor Lieberman et le parti ultra orthodoxe Shaas. Le parti de centre droit Kadima et Tipi Livni seront vraisemblablement les perdants de ces élections.
Enfin, le fossé avec les Arabes israéliens, marginalisés sur le plan économique et social, semble encore s'être accentué avec l'intervention de l'armée israélienne à Gaza.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a enfin évoqué le déplacement dans les Territoires palestiniens, en Cisjordanie et à Gaza.
La mission s'est d'abord rendue à Ramallah, en Cisjordanie, au siège de l'Autorité palestinienne, où elle a eu plusieurs entretiens, notamment avec Salam Fayyad, le Premier ministre palestinien.
Elle s'est ensuite rendue dans la bande de Gaza où elle a pu constater par elle-même les destructions causées par l'intervention militaire israélienne. Certes, il n'y a pas eu à proprement parler de « guerre » à Gaza, puisqu'il n'y a pas eu d'affrontements armés avec les combattants du Hamas qui ont évité le combat, dès le début de l'offensive israélienne, commencée par un bombardement aérien massif et ciblé suivi d'une entrée des chars israéliens.
Il est également vrai que Gaza n'est pas Dresde et que la majorité des bâtiments de la ville sont encore debout. Cependant, compte tenu de l'extrême précision des armes israéliennes, les frappes ont été extrêmement ciblées et, dans cette mesure, il est difficile d'affirmer qu'il y a eu des « dommages collatéraux ». Il semblerait plutôt que les bâtiments pris pour cibles, tels que l'école américaine, l'hôpital du Croissant rouge palestinien, le dépôt de l'UNWRA, l'Agence des Nations unies qui contenait des vivres et des médicaments pour une valeur de sept millions d'euros, la zone industrielle (324 usines) ou encore les mosquées, aient été pris pour cibles délibérément par l'armée israélienne.
Dans deux cas au moins, dont la délégation peut témoigner, des bombes au phosphore ont été utilisées, l'une sur l'hôpital du Croissant rouge, l'autre sur le dépôt des Nations unies. Enfin, plusieurs organisations non gouvernementales ont confirmé le massacre de la famille Samouni à Zeitoun par des soldats israéliens.
En définitive, le bilan de l'opération « plomb durci » s'élève selon l'ONU, à environ 1 300 victimes, dont la moitié de femmes et d'enfants du côté palestinien et, du côté israélien, à trois civils et dix soldats tués.
Quant aux perspectives concernant le processus de paix, il apparaît qu'Israël est politiquement trop faible et militairement trop fort pour faire la paix.
Israël est politiquement trop faible, avec un régime parlementaire qui repose sur un pouvoir législatif monocaméral dont les membres sont élus à la représentation proportionnelle intégrale, ce qui fait que le Premier ministre est constamment l'objet du chantage des petits partis de sa coalition dont dépend la survie du Gouvernement, à l'image de la IVe République en France face à l'Algérie.
La force militaire d'Israël joue aussi en défaveur de la solution politique. L'efficacité du renseignement et du Mossad, reconnue par tous, et l'armée de l'air, dont le format est supérieur à celui de l'armée française, le rendent invincible dans une guerre conventionnelle. Cette stratégie, mise en place par Ben Gourion : du fait de la faible étendue de son territoire et de l'importance démographique des pays qui l'entourent, Israël ne peut pas, ne doit jamais être surpris.
De leur côté, les Palestiniens sont trop isolés et trop divisés pour faire la paix. Aux yeux de l'opinion arabe, les membres de l'Autorité palestinienne apparaissent comme des « collaborateurs » d'Israël et ceux du Hamas comme des « résistants ». Cette situation risque de fragiliser considérablement les Etats arabes partisans d'une ligne modérée, en particulier s'ils sont confrontés à des problèmes de succession à leur tête, comme c'est le cas pour l'Egypte ou l'Arabie saoudite.
Alors qu'avant le conflit de Gaza, certains pensaient que la question iranienne primait dans la problématique moyen-orientale, les événements ont montré la centralité du conflit israélo-palestinien. L'offensive israélienne dans la bande de Gaza a encore compliqué une reprise du processus de paix. Si tout le monde s'accorde sur le principe de l'existence de deux Etats, dont un État palestinien dans les frontières de 1967, le démantèlement des colonies israéliennes en Cisjordanie risquerait probablement de provoquer une véritable guerre civile. Pourtant, des espoirs subsistent. Ainsi, la libération par Israël de Marwan Barghouti pourrait favoriser une réconciliation interpalestinienne.
La volonté du nouveau Président des Etats-Unis de s'investir sur ce dossier, exprimée par Barack Obama dès le lendemain de son investiture, avec la désignation d'un envoyé spécial, le sénateur George J. Mitchell, constitue également un signe de bon augure.
Enfin, l'Europe, à condition d'être unie et de parler d'une seule voix, devrait aussi peser de tout son poids.
M. Jean François-Poncet a ensuite fait les observations suivantes :
- en ce qui concerne la Syrie, il sera difficile de dissocier ce pays de l'Iran, tant les liens forgés entre les deux pays en opposition à Saddam Hussein hier, aux Kurdes et à Israël aujourd'hui, semblent solides.
Le soutien de l'Iran et de la Syrie au Hezbollah libanais et au Hamas devrait donc perdurer, sauf si la restitution du Golan par Israël devenait une réalité. La Syrie pourrait alors envisager de prendre ses distances vis-à-vis de l'Iran. Mais l'alliance entre les deux pays est pour le moment solide ;
- l'entretien avec Khaled Mechaal laisse le sentiment que le Hamas est prêt aujourd'hui à entrer dans une logique de négociation avec Israël à des conditions qui sont proches de celles des autres parties arabes ;
- concernant le Liban, la division du camp chrétien contribue paradoxalement à sa force électorale, en ce sens que les Chrétiens devraient être les arbitres des prochaines élections. Les Chiites d'un côté, les Sunnites de l'autre, font, paraît-il, le plein des voix dans leurs circonscriptions respectives, et ce sont les Chrétiens qui feront pencher la balance d'un côté ou de l'autre ;
- s'agissant d'Israël, le sentiment de la délégation est qu'Israël se débat dans une impasse. Israël refuse un État palestinien viable dans les frontières de 1967, mais refuse également la solution alternative d'un État multiconfessionnel intégrant la population arabe. Dans ces conditions, on ne peut que s'interroger sur la stratégie à moyen et long terme d'Israël. En l'absence d'une stratégie claire, le double refus d'Israël l'accule à poursuivre sa politique actuelle qui le conduit dans le mur.
L'évolution de la situation politique en Israël, avec la montée en puissance des religieux orthodoxes, y compris dans l'armée et sa haute hiérarchie, et une poussée à droite, voire à l'extrême droite du corps électoral, n'est guère rassurante. De plus, la marginalisation des Arabes israéliens risque de créer de très graves tensions internes qui appelleront tôt ou tard une politique de discrimination positive audacieuse en faveur des Israéliens arabes ;
- si l'offensive militaire israélienne à Gaza a été un succès relatif sur le plan militaire, elle a été, en revanche, à l'image de l'intervention de 2006 au Liban, un échec politique. En effet, le Hamas sort renforcé de l'épreuve. Le véritable perdant politique est l'Autorité palestinienne, de sorte qu'Israël n'a pas de véritable interlocuteur pour faire la paix. La libération par Israël de Marwan Barghouti serait de nature à aider à surmonter cet obstacle, favoriserait la réconciliation interpalestinienne et permettrait de relancer le processus de paix ;
- la volonté exprimée par le nouveau président américain de s'investir sur ce dossier et la désignation d'un représentant spécial qui connaît bien la région constituent des signes positifs, mais obligent les Etats-Unis à faire des progrès dans le processus de paix ;
- le démantèlement des colonies israéliennes en Cisjordanie et la question de Jérusalem seront les principales pierres d'achoppement du processus de paix ;
- enfin, l'Iran est devenu un acteur clef dans la région, dont l'influence sur le Hezbollah et le Hamas dépasse celle de la Syrie.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a ensuite indiqué, en précisant qu'elle s'exprimait ici à titre personnel, qu'elle avait été extrêmement choquée par la brutalité dont avait fait preuve l'armée israélienne à Gaza, qui s'apparentait à une punition collective infligée à un peuple, ce qui lançait un véritable défi à la communauté internationale.
Elle a estimé que l'Europe avait une responsabilité particulière pour enquêter sur ces actes et les condamner le cas échéant et, enfin, qu'elle devait peser de tout son poids pour aider à parvenir à une paix durable dans la région.
Après avoir remercié Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean François-Poncet pour leur compte rendu, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que, s'il appartient au Président de la République et au Gouvernement de conduire la politique étrangère de la France, le Parlement était quant à lui libre de prendre tous les contacts qu'il jugeait nécessaire afin de s'informer le plus complètement possible, chacun pouvant ensuite tirer les conclusions politiques qu'il souhaitait dans le respect évident du principe de responsabilité.
Mme Nathalie Goulet ayant regretté la passivité des autorités françaises lors de l'intervention militaire israélienne à Gaza, M. Josselin de Rohan, président, a contesté cette analyse, en rappelant que la France s'était beaucoup investie dans ce dossier, avec plusieurs déplacements dans la région du Président de la République et du ministre des affaires étrangères et européennes, qui ont notamment permis d'aboutir au vote d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies et à un plan de paix élaboré conjointement avec l'Egypte.
Interrogée par Mme Nathalie Goulet sur les suites qu'il conviendrait de donner à cette mission, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'elle déboucherait sur un rapport d'information et un colloque consacré à la situation au Moyen-Orient.
M. Josselin de Rohan, président, a également rappelé qu'un débat avait été organisé à l'Assemblée nationale et au Sénat sur ce sujet.
M. Jean-Pierre Chevènement s'étant demandé si la publication d'un rapport d'étape ne serait pas opportune, M. Jean François-Poncet a indiqué qu'un troisième déplacement était envisagé, en Egypte, en Irak et en Iran, ainsi qu'une visite aux Etats-Unis, afin de rencontrer les représentants de la nouvelle administration présidentielle, et qu'ensuite seulement serait établi un rapport d'information global dont l'objectif ambitieux était de faire une synthèse sur les évolutions actuelles et les perspectives au Moyen-Orient.
M. Robert del Picchia a estimé que, compte tenu du système électoral israélien, la victoire de la droite et de Benjamin Netanyahou n'était pas acquise. Il a également indiqué qu'il avait rencontré récemment le directeur adjoint de l'UNWRA, l'agence des Nations unies dans les Territoires palestiniens, qui lui avait affirmé, à propos du bombardement par l'armée israélienne des locaux de l'agence située à Gaza, que le Hamas n'avait jamais utilisé les sous-sols de ce bâtiment. Enfin, il s'est interrogé sur les effets de l'intervention israélienne sur les tunnels entre Gaza et l'Egypte.
En réponse, Mme Monique Cerisier-ben Guiga a fait valoir que tant qu'Israël n'aurait pas levé le blocus de Gaza, les tunnels entre Gaza et l'Egypte subsisteraient, car c'était le seul moyen pour les populations palestiniennes de la bande de Gaza de se procurer des vivres, des médicaments et des marchandises.
Elle a également mentionné les sondages d'opinion israéliens, qui font état de l'avance de la droite, même si le scrutin proportionnel intégral est un facteur d'incertitude.
Enfin, citant les propos de certains représentants de « think tanks » israéliens, d'après lesquels l'intervention militaire israélienne n'avait été qu'une « expérimentation », elle a indiqué que la France, lorsqu'elle a été confrontée au terrorisme, notamment lors de la destruction de l'immeuble Drakkar à Beyrouth, n'avait pas rasé des villages chiites de la Bekaa et que, face au terrorisme irlandais, le Royaume-Uni n'avait jamais bombardé Dublin ou Belfast. Elle a estimé qu'infliger une punition collective au peuple palestinien était inacceptable.
M. Jean François-Poncet a fait remarquer que si l'affrontement à Gaza était une « expérimentation », c'était surtout parce qu'il tirait les conséquences et les leçons de la guerre asymétrique à laquelle Israël avait été confronté, en 2006, au Liban.
M. René Beaumont a indiqué qu'il s'était rendu récemment au Liban, dans le cadre du groupe d'amitié France-Liban du Sénat, qu'il avait retiré de ce déplacement le sentiment que le Hezbollah était devenu un acteur incontournable sur la scène politique libanaise et qu'il s'interrogeait sur la possibilité pour les partis chrétiens, divisés, d'être les arbitres du scrutin à venir.
M. Robert Badinter a fait observer que la plupart des pays de la région étaient ou allaient être prochainement en campagne électorale, à l'exception notable de la Syrie. De plus, la vacance du pouvoir aux Etats-Unis pendant la période de transition entre les deux administrations avait fait de cette période la seule possible pour une intervention armée à Gaza.
Il a rappelé que, depuis sa création en 1948, l'Etat d'Israël s'était senti menacé dans son existence même et que cette angoisse se traduisait, en matière de politique étrangère, par la priorité donnée à la reconnaissance du droit à l'existence d'Israël, le but ultime de la politique israélienne dans la région. Même s'il a dénoncé à plusieurs reprises par le passé la politique israélienne, notamment en matière de colonisation, il a considéré qu'il fallait tenir compte de cette donnée.
Il a également rappelé que le Hamas figurait sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne et que ce mouvement avait toujours refusé de reconnaître le droit à l'existence d'Israël. Compte tenu du perfectionnement toujours plus grand de la portée et de la précision des roquettes dont dispose le Hamas, on peut craindre que ces armes soient bientôt capables d'atteindre Tel Aviv. Il s'est dès lors interrogé sur ce que signifient, pour le Hamas, les droits nationaux des Palestiniens, et si cela implique la reconnaissance de l'Etat d'Israël par ce mouvement.
Enfin, il s'est demandé si l'influence de l'Iran, à la fois sur le Hezbollah et le Hamas, n'était pas déterminante et n'en faisait pas un acteur clef dans cette région. Rappelant que les dirigeants actuels de l'Iran appelaient régulièrement à la destruction d'Israël, il a estimé qu'il y avait un risque qu'Israël cherche à se prémunir seul contre cette menace d'anéantissement.
En réponse, M. Jean François-Poncet a indiqué qu'il ressortait de son entretien, à Damas, avec le chef du Hamas, Khaled Mechaal, qu'il n'y avait pas de grande différence entre les revendications du Hamas et celles du Fatah et de l'OLP concernant les droits nationaux des Palestiniens : tous exigent un Etat palestinien viable dans les frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale et le droit au retour des réfugiés. Il avait eu le sentiment que le Hamas était disposé à entrer dans une logique de négociations, dès lors qu'il serait reconnu comme interlocuteur.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a observé que si le Hamas ne reconnaît pas officiellement l'existence d'Israël, il revendique la création d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967, ce qui implique une reconnaissance de facto d'Israël.
M. Jean François-Poncet a souligné que si la majorité des israéliens souhaitent la paix et sont prêts à accepter le principe de deux Etats, la situation politique intérieure n'incite guère à l'optimisme, de même que les colonies israéliennes en Cisjordanie, dont le démantèlement est aujourd'hui très difficile à envisager compte tenu de leur importance. On peut s'interroger sur l'attitude de l'armée si le gouvernement israélien décidait leur démantèlement.
M. Jean François-Poncet a fait observer que, dès lors que le Hamas entrerait dans la négociation, il reconnaîtrait implicitement Israël. Pour Israël, le meilleur moyen d'assurer sa sécurité et de faire la paix serait d'accepter l'existence d'un État palestinien.
S'agissant de l'Iran, M. Jean François-Poncet a estimé que la question centrale était de savoir si les Etats-Unis, l'Europe, les pays arabes et Israël pouvaient accepter l'idée d'un Iran nucléarisé, disposant de la bombe atomique. Il a considéré que l'Europe et les Etats-Unis pourraient finir par s'accommoder d'une telle situation. Mais en irait-il de même pour Israël, compte tenu du discours des dirigeants actuel de l'Iran ? La question du nucléaire sera centrale dans les négociations à venir entre les Etats-Unis et l'Iran. Il est vraisemblable que l'administration américaine n'acceptera pas éternellement les manoeuvres de retardement d'un Iran qui se rapproche de jour en jour de son objectif nucléaire. En cas d'échec, une tentative de destruction des sites nucléaires iraniens ne peut être totalement exclue.
M. Robert Badinter a estimé qu'il était difficile de savoir ce que voulait réellement Téhéran.
M. Josselin de Rohan, président, s'est interrogé sur la politique de la nouvelle administration présidentielle américaine dans la région et sur la possibilité pour l'Union européenne de s'impliquer davantage sur ce dossier. Quant à l'Iran, son objectif est d'être pleinement reconnu comme une grande puissance.
En réponse, M. Jean François-Poncet a considéré que les premières mesures prises par le Président Barack Obama montraient une réelle volonté des Etats-Unis de s'impliquer dans la région et que l'Europe pouvait lui apporter une aide utile, à condition d'être unie et de parler d'une seule voix.
Ratification des protocoles au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de l'Albanie et de la Croatie - Examen du rapport
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Xavier Pintat sur le projet de loi n° 192 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification des protocoles au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République d'Albanie et de la République de Croatie.
M. Xavier Pintat, rapporteur, a rappelé les principes et les modalités régissant l'admission de nouveaux membres au sein de l'OTAN. Conformément à la lettre de l'article 10 du traité de Washington, l'Alliance s'est déclarée ouverte à l'adhésion d'Etats européens partageant ses valeurs fondamentales et susceptibles de renforcer son efficacité et sa cohésion tout en préservant sa capacité politique et militaire à remplir ses fonctions essentielles de défense commune. En 1999, l'OTAN a mis en place, sous la forme du plan d'action pour l'adhésion, le MAP (membership action plan), un instrument spécifique destiné à guider les pays candidats sur la voie de l'adhésion et à évaluer périodiquement leurs résultats. Ce plan comporte un volet militaire mais aussi des objectifs politiques ou stratégiques portant notamment sur le fonctionnement des institutions, l'Etat de droit et le règlement des différends internationaux, ethniques ou territoriaux.
Le rapporteur a également rappelé qu'après les deux cycles d'élargissement de 1999 et 2004, à l'issue desquels le nombre d'Etats membres de l'OTAN était passé de 16 à 26, trois pays restaient engagés dans un plan d'action pour l'adhésion : l'Albanie, la Macédoine et la Croatie.
Lors du sommet de Bucarest, en avril 2008, il n'a pas été contesté que les trois pays remplissaient les critères d'adhésion, mais seules l'Albanie et la Croatie ont été invitées, la Grèce ayant opposé son veto à l'adhésion de la Macédoine en raison du litige bilatéral sur la question du nom du pays. Il a été décidé qu'une invitation serait automatiquement adressée à la Macédoine dès qu'une solution mutuellement acceptable par elle-même et la Grèce aurait été trouvée sur cette question.
M. Xavier Pintat, rapporteur, a retracé l'historique des relations entre l'Albanie et la Croatie d'une part, et l'OTAN d'autre part.
L'Albanie a déclaré ses aspirations vis-à-vis de l'Union européenne et de l'OTAN dès 1992, après la chute du régime communiste, mais elle souffrait d'un très grand retard de développement et n'a progressé depuis lors qu'à un rythme assez lent. Sur le plan régional, elle a joué un rôle modérateur apprécié.
La Croatie est le pays le plus développé des Balkans occidentaux, hormis la Slovénie. En revanche, elle a été fortement marquée par la guerre qui s'est déroulée sur son sol de 1991 à 1995. Le tournant politique en Croatie n'est intervenu qu'en 2000, après le décès du président Tudjman et la victoire électorale de l'opposition. La Croatie a également montré sa volonté de coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, notamment en permettant l'arrestation en 2005 du général Ante Gotovina, accusé de crimes de guerre.
M. Xavier Pintat, rapporteur, a indiqué que la Croatie était très avancée sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne et bénéficiait depuis 2004 du statut de pays candidat. Les orientations politiques et les réformes mises en oeuvre en vue de cette adhésion à l'Union européenne ont renforcé la position de la Croatie dans son adhésion à l'OTAN. L'Albanie n'a signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne qu'en 2006. Des évolutions positives ont été notées dans les domaines de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, de la transparence du système judiciaire et du régime électoral.
Le rapporteur a précisé que dans le domaine militaire, les deux pays avaient engagé la professionnalisation de leur armée et réduit leur format, qui avait été ramené d'environ 100 000 hommes à 14 000 hommes pour l'Albanie et 17 000 hommes pour la Croatie. L'objectif de ces réformes est de disposer de forces plus mobiles, déployables, entraînées et équipées en vue de s'insérer dans les opérations multinationales menées avec les pays alliés. Les deux pays réalisent un effort de défense conséquent de l'ordre de 1,8 % du PIB pour la Croatie et de 2 % pour l'Albanie. Leur contribution aux opérations de l'Alliance restera modeste, mais il faut noter que la Croatie engage près de 300 hommes dans la FIAS en Afghanistan et l'Albanie 140. Les deux pays participent également à l'opération européenne au Tchad.
En conclusion, M. Xavier Pintat, rapporteur, a souligné que l'adhésion de l'Albanie et de la Croatie recueillait un large consensus au sein des Etats membres de l'OTAN, qui ont évalué positivement les réformes engagées en matière de défense ainsi que sur le plan politique intérieur, sous l'effet notamment des processus en cours avec l'Union européenne. Il a estimé que cette adhésion constituait un jalon important sur la voie de la stabilisation des Balkans occidentaux.
Il a invité la commission à adopter le projet de loi.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Didier Boulaud a exprimé l'appui du groupe socialiste à un projet de loi allant dans le sens d'une intégration à l'OTAN des pays des Balkans occidentaux. Comme le rapporteur, il a regretté que l'adhésion de la Macédoine ait buté sur l'opposition de la Grèce sur une question sans lien avec l'Alliance atlantique. Il s'est inquiété des conséquences qu'aurait un blocage durable des perspectives d'adhésion de la Macédoine à l'OTAN comme à l'Union européenne, compte tenu de la situation intérieure encore fragile de ce pays. M. Didier Boulaud s'est interrogé sur la poursuite de l'élargissement de l'OTAN. Il a estimé que l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine n'était pas opportune et s'est demandé si la France pourrait maintenir sa position défendue jusqu'ici une fois qu'elle serait pleinement intégrée dans l'OTAN. Il a rappelé la forte pression exercée par les Etats-Unis en faveur de l'admission de la Géorgie et de l'Ukraine.
M. Jean Besson a rappelé que l'Albanie aspirait de très longue date à rejoindre l'OTAN et avait ressenti une certaine déception face à la durée du processus d'adhésion. Il s'est félicité de la prochaine ratification du protocole d'accession et a estimé que l'Albanie avait également vocation à adhérer, à terme, à l'Union européenne.
M. Robert del Picchia s'est interrogé sur les conséquences de l'entrée de l'Albanie dans l'OTAN en matière d'armement. Il a rappelé l'importance du trafic illicite d'armes dans ce pays.
En réponse à ces différentes interventions, M. Xavier Pintat, rapporteur, a précisé que le plan de modernisation des équipements de l'armée albanaise portait notamment sur la flotte d'hélicoptères de transport, sur des patrouilleurs côtiers et sur des véhicules blindés.
La commission a ensuite adopté le projet de loi.
Mercredi 4 février 2009
- Présidence commune de M. Josselin de Rohan, président, et de M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes -L'état des droits de l'homme dans le monde, notamment dans les organisations internationales - Communication
La commission a entendu la communication, conjointement avec la commission des affaires européennes, de M. Robert Badinter sur l'état des droits de l'homme dans le monde, notamment dans les organisations internationales.
M. Robert Badinter a estimé que ce sujet très important était largement ignoré, notamment en Europe. Il a rappelé que, lors du 50e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, en 1998, un climat d'euphorie régnait dans le monde : la fin du conflit qui opposait, depuis la seconde Guerre mondiale, les partisans des droits de l'homme formels, c'est-à-dire les démocraties occidentales, et les tenants des droits de l'homme réels, défendus par les démocraties populaires, laissait augurer une nouvelle ère dans ce domaine. Il a déploré que le 60e anniversaire de cette déclaration se soit déroulé dans un climat beaucoup plus pessimiste, du fait de la réapparition d'un clivage profond entre deux conceptions antagonistes des droits de l'homme dans le monde. Il s'est félicité que d'importantes avancées aient été enregistrées en matière de droits économiques, avec une régression de fléaux comme l'illettrisme, la famine ou les pandémies. En matière de droits civils et politiques, il a estimé que le continent européen constituait incontestablement la région où ils sont les mieux assurés. La création, en 1949, du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des droits de l'homme a conforté l'effectivité du respect de ces droits. La désignation, au sein de la Commission européenne, d'un commissaire aux droits de l'homme y a également contribué, notamment dans le respect des droits des détenus. Il a estimé que plusieurs textes, adoptés sous l'égide du Conseil de l'Europe constituaient autant de points d'ancrage en matière de protection de ces droits : c'est le cas du treizième protocole à la convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le caractère irréversible de l'abolition de la peine de mort, des deux traités du Conseil de l'Europe portant sur la répression du trafic des êtres humains et la protection des enfants contre les abus sexuels, ainsi que de l'interdiction de l'utilisation de la torture.
M. Robert Badinter a reconnu que, à côté de ces avancées, des défaillances subsistaient comme l'état des prisons, particulièrement celles destinées aux mineurs, dans les pays de l'ancienne sphère soviétique, ou encore les régressions dans les droits des individus qui ont accompagné la lutte contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001. Ces régressions, illustrées par l'existence de conditions de détention hors norme au camp de Guantanamo, ou dans le recul des libertés individuelles induites par le Patriot Act, ont profondément dégradé l'image de nos démocraties libérales dans les pays non occidentaux, où les Etats-Unis d'Amérique incarnent le modèle dominant. Cette dégradation a nourri l'accusation selon laquelle nos démocraties ne prônaient la défense des droits de l'homme que dans la mesure où leur propre sécurité n'en était pas menacée. Ce sentiment de « deux poids, deux mesures » a ouvert une brèche dans l'appréciation positive du caractère universel des droits de l'homme, y compris au sein d'enceintes internationales comme l'Organisation des Nations unies (ONU).
Relevant que la défense des droits de l'homme est confiée à de multiples autorités au sein de la Commission européenne, ce qui l'affaiblissait, M. Robert Badinter a rappelé qu'il n'existait pas à ce jour de définition internationale du terrorisme, essentiellement du fait de la difficulté de caractériser sur ce point la lutte des Palestiniens. Il a estimé que la définition présente dans le chapitre VII du statut de la Cour pénale internationale (CPI) pouvait utilement en tenir lieu, bien que l'ONU ait refusé de la retenir. Selon ce texte : « constitue un crime contre l'humanité les actions décidées par un groupement organisé visant à répandre la terreur parmi les populations civiles pour des raisons idéologiques ».
M. Robert Badinter a souligné que le Parlement européen venait de réaffirmer que la lutte contre le terrorisme ne devait pas méconnaître les droits fondamentaux, et a rappelé que l'Union européenne assumait une position constante de défenseur des droits de l'homme au niveau international, qu'il s'agisse des droits des femmes, de l'abolition de la peine de mort ou de la dépénalisation de l'homophobie. Il s'est félicité que le principe d'un moratoire universel de la peine de mort ait été adopté par l'Assemblée générale de l'ONU. L'Union européenne se distingue également par une promotion constante des juridictions pénales internationales, contre l'opposition résolue manifestée par les Etats-Unis à leur encontre.
M. Robert Badinter s'est vivement inquiété de l'émergence d'une remise en question structurelle des droits de l'homme au sein des enceintes internationales depuis une dizaine d'années. Ainsi, le caractère universel des droits de l'homme est-il contesté au nom de la souveraineté des Etats ; il reviendrait à chacun d'entre eux le droit d'en définir le contenu. Cette position est défendue par des pays comme la Chine, le Vénézuela, Cuba ou la Libye, qui mettent en avant le respect du principe de non ingérence dans leurs affaires intérieures. Cette attitude est contraire à l'évolution du droit international en matière de droits de l'homme qui prône, au contraire, la coopération. Cette remise en cause du caractère universel des droits de l'homme est également le fait d'une conception différentialiste, prenant sa source dans une vision religieuse de la société. Cette position est notamment défendue par l'Organisation de la Conférence islamique (OCI). Ses 57 Etats membres estiment que les droits de l'homme ont été révélés par Dieu, et doivent donc être interprétés au regard de la loi religieuse. A la différence des pays défendant une primauté de la souveraineté des Etats sur le caractère universel des droits de l'homme, aucune discussion n'est possible avec des pays comme le Pakistan, l'Arabie saoudite ou encore l'Iran ; dans ce dernier pays, plus de 300 exécutions ont eu lieu en 2008, dont celles de femmes ou de mineurs pénaux au moment des faits. Un clivage profond surgit donc au sein des instances internationales, entre ces deux conceptions, particulièrement au sein du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
M. Robert Badinter a rappelé qu'après l'accession de la Lybie à la présidence du Comité des droits de l'homme, le secrétaire général de l'ONU de l'époque, M. Kofi Annan, avait entrepris, en 2005, de réformer cette instance avec la volonté d'en réduire les membres, et d'instaurer leur élection par l'Assemblée générale de l'ONU à la majorité des deux tiers. Cette réforme avait échoué : certes un nouveau Conseil des droits de l'homme a bien été créé, dont les membres ont été réduits à 47, mais les modalités de leur élection sont restées identiques à celles prévalant pour l'ancien Comité. Ainsi, au sein de ce Conseil, l'Union européenne compte sept représentants, alors que l'OCI en compte dix-sept. M. Kofi Annan estimait que le « noyau dur des droits de l'homme » est, sans conteste, universel. Or, aujourd'hui, certains Etats estiment que cette universalité ne doit pas constituer le prétexte d'une atteinte à leur souveraineté.
M. Robert Badinter a conclu en estimant que cette contestation du caractère universel des droits de l'homme va croissant, comme l'illustre le net clivage apparu au sein du Conseil des droits de l'homme, entre laïcs et religieux lors de la mise en cause, par l'Union européenne, du châtiment de lapidation des femmes. Il a donc appelé à une vigilance sans relâche dans ce domaine affirmant que le multiculturalisme appliqué à la question des droits de l'homme conduirait à la mort de ces derniers. Il a recommandé que le Sénat suive cette question notamment en envoyant un représentant à la conférence de Durban de 2009.
A l'issue de cet exposé, M. Hubert Haenel, président, a estimé qu'il constituait une utile mise au point et en a proposé la publication sous forme de rapport d'information.
Puis un débat s'est ouvert.
M. Yves Pozzo di Borgo a rappelé que le Parlement européen avait créé, voici deux ans, une Agence des droits fondamentaux, s'emparant ainsi d'une compétence assurée, à la satisfaction de tous, par le Conseil de l'Europe. Il s'est donc interrogé sur les possibilités de conciliation entre ces deux instances, comme entre les travaux de la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg et de la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg. Il a, par ailleurs, estimé que le Conseil de l'Europe accomplissait un travail de fond important en matière de protection des droits de l'homme, dont le Parlement européen reprend parfois le contenu, comme cela avait été le cas avec la dénonciation des prisons secrètes de la CIA.
En réponse, M. Robert Badinter a estimé que le Conseil de l'Europe constituait le premier lieu pour la défense des droits de l'homme, alors que l'Union européenne devait plutôt s'attacher à harmoniser les compétences juridictionnelles de ses Etats membres. Il a rappelé que le projet de Constitution européenne prévoyait que l'Union adhère, en tant que telle, au Conseil de l'Europe, ce qui supposerait d'ailleurs une modification des statuts de cette instance. Les Cours de Strasbourg et de Luxembourg sont animées par une identité de convictions, et contribuent à faire du Conseil de l'Europe le foyer principal d'élaboration des droits de l'homme sur notre continent.
M. Christian Poncelet a rappelé la citation d'André Malraux selon laquelle : « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », et s'est interrogé sur la fermeté de la vigilance des pays occidentaux face à l'émergence mondiale du phénomène religieux.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a estimé que l'Islam connaissait, en effet, des évolutions négatives, mais que cette religion ne devait pas être considérée comme immobile, et que des penseurs musulmans contribuaient à la moderniser.
En réponse, M. Robert Badinter a estimé que les pays occidentaux devaient déterminer un certain nombre de valeurs sur lesquelles il n'était pas possible de transiger. La grande erreur de la présidence Bush avait été d'avoir transigé sur ces valeurs notamment avec Guantanamo. Il s'est inquiété d'une incontestable revendication du refus du caractère universel des droits de l'homme au sein de certaines sociétés musulmanes, et a estimé que le vrai lieu de ce combat se situait au sein de leurs jeunes, dont il faut prévenir le basculement dans l'intégrisme. Il a conclu en rappelant qu'il existait aujourd'hui un affrontement idéologique en matière de droits de l'homme comparable à la situation qui prévalait avant la chute du mur de Berlin.
M. Josselin de Rohan, président, a souligné qu'une récente visite d'une délégation de la commission au Conseil des droits de l'homme à Genève avait permis de constater que l'universalisme qui prévalait en 1949 était considéré comme un peu périmé. Cette inquiétante évolution doit conduire la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à mener une réflexion suivie sur ce sujet.