Mercredi 2 mai 2007
- Présidence de M. Nicolas About, président -Protection sociale agricole - Communication de Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, MM. André Gauron, président de section, et Maximilien Queyranne, auditeur à la Cour des comptes
La commission a entendu Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, MM. André Gauron, président de section, et Maximilien Queyranne, auditeur à la Cour des comptes, sur l'étude que la Cour a consacrée à la protection sociale agricole.
Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, a rappelé que ce rapport consacré à la protection sociale agricole répond à la demande formulée à la fin de l'année 2005 par la commission des affaires sociales du Sénat. Ce travail s'appuie sur des publications antérieures de la Cour, mais aussi et surtout sur une analyse inédite des modalités de financement du régime agricole. Regrettant que quelques extraits de ce document aient été récemment diffusés dans la presse, elle a réfuté la présentation qui en a été faite à cette occasion. La Cour n'entend en effet nullement remettre en cause l'existence de la protection sociale agricole. Elle reconnaît d'ailleurs bien volontiers qu'il s'agit d'un régime spécifique assurant la gestion de toutes les branches de la sécurité sociale et, partant, très complexe, en raison notamment de la fréquence du recours aux contrats à durée déterminée et à temps partiel dans l'agriculture et de l'existence de dispositifs dérogatoires en matière de cotisations sociales. Ainsi n'y a-t-il que 442 000 cotisants sur un total de 632 000 non-salariés agricoles, du fait de l'existence d'une surface minimale d'installation.
Le rapport met essentiellement l'accent sur la situation des exploitants agricoles, dans la mesure où les prestations perçues et les cotisations versées par les salariés agricoles sont intégrées de longue date, sur le plan financier, au régime général. Les travaux et les interrogations de la Cour ont par ailleurs essentiellement porté sur le problème du financement du régime agricole, car le niveau des prestations versées aux exploitants se situe désormais quasiment à parité avec les autres catégories d'assurés sociaux, y compris dans le domaine de la vieillesse, depuis la création de la retraite complémentaire obligatoire (RCO). Toutefois, l'effort contributif propre des exploitants ne représente que 17 % des recettes, ce qui rend indispensable le recours à la solidarité nationale et interprofessionnelle, respectivement à hauteur de 51 % et 32 % du total des financements nécessaires.
Après avoir constaté que le régime agricole accuse depuis longtemps une diminution régulière du nombre de ses cotisants et qu'il en ira bientôt de même pour celui de ses bénéficiaires, Mme Rolande Ruellan a observé que les besoins de financement demeureront néanmoins très importants à l'avenir. Les dernières prévisions du conseil d'orientation des retraites (Cor) ont en effet montré qu'en 2050, la solidarité nationale continuera à être fortement mise à contribution. Le régime agricole se trouve placé devant l'obligation de réaliser d'importants efforts de modernisation et il ne peut donc se soustraire aux contraintes financières lourdes qui pèsent sur l'ensemble des comptes sociaux. La Cour des comptes ne souhaite toutefois pas pour autant remettre en cause l'autonomie de la protection sociale agricole, dont elle juge au demeurant l'organisation bien adaptée aux spécificités de la population des exploitants, ainsi qu'à la tradition mutualiste qui la caractérise.
Elle déplore, en revanche, la trop large définition de la notion de cotisant du régime agricole, qui va jusqu'à intégrer certains salariés du secteur bancaire ou des assurances, alors même qu'ils n'entretiennent aucun lien avec le monde de l'agriculture stricto sensu. Cette situation permet de donner à la mutualité sociale agricole (MSA) un flux suffisant de cotisations complémentaires pour financer la gestion de son réseau. Par ailleurs, on observe une réduction trop lente du nombre des caisses départementales, tandis que la création, à titre transitoire, de fédérations de caisses amenées à fusionner dans l'avenir ne fait qu'ajouter de nouvelles structures sans permettre de réaliser d'économies significatives.
Mme Rolande Ruellan a estimé qu'il convient de profiter des nombreux départs en retraite à venir pour accentuer le processus de modernisation, en cours, du réseau de la MSA. Cela réglera au passage le problème des effectifs de directeurs. Elle a jugé par ailleurs insuffisants les gains de productivité, en raison tout à la fois d'un cadre budgétaire assez peu contraignant, d'une certaine mansuétude, ainsi que du caractère trop décentralisé de l'outil informatique. De fait, la conjonction de ces différents facteurs a rendu extrêmement difficile le pilotage du régime agricole. Par ailleurs, le problème de l'absence de service d'audit interne au sein de la caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA) demeure entier. Cette situation imposera à très court terme de gros efforts dans la perspective de la certification des comptes, à partir de l'exercice 2008. La publication des textes nécessaires est intervenue, il est vrai, avec dix ans de retard.
La signature, en septembre 2006, de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion avec l'Etat apporte une marge d'espoir pour la MSA, dans la mesure où elle comporte des éléments de nature à permettre des améliorations importantes dans les domaines de la productivité, de la maîtrise des coûts et de l'organisation. Le succès de cette démarche suppose toutefois de confier, non pas à l'Etat, mais à la CCMSA, de véritables capacités de pilotage au sein du régime agricole. Regrettant à la fois la lourdeur et le caractère quelque peu « passéiste » de la tutelle exercée par le ministère de l'agriculture, la Cour des comptes n'a pas jugé totalement convaincants les deux arguments avancés par la direction générale de la forêt et de l'aménagement rural en faveur du maintien du système actuel : l'importance du recours à la solidarité nationale pour équilibrer des comptes et le rôle « co-gestionnaire » joué par les assureurs privés.
Après avoir rappelé la position historique de certaines entreprises d'assurances (à hauteur de 10 % des prestations versées pour la maladie et de 70 % pour les accidents du travail), Mme Rolande Ruellan a regretté, d'une part, que la concurrence existant entre la MSA et les assureurs privés constitue plus une façade qu'une réalité, d'autre part, que la CCMSA n'ait pas les moyens d'exercer un réel contrôle dans ce domaine, contrairement à ce qui se passe au sein du régime social des indépendants (RSI).
Le financement du régime agricole montre un recours important à la solidarité nationale, par le biais du budget de l'Etat, ainsi qu'un appel à la solidarité interprofessionnelle, via les mécanismes de compensation démographique, et ce, alors que les exploitants agricoles - pour un niveau comparable de prestations - cotisent globalement moins que les assurés sociaux des autres régimes. En 1995 déjà, un rapport de Mme Yannick Moreau avait mis en évidence un écart de trois points de cotisation qui semble s'être accru au cours des dernières années, ainsi que le montre l'actualisation de ces travaux réalisée par la Cour des comptes en 2005. Toutefois, les résultats de ces estimations sont très sensibles aux niveaux de revenus pris en compte dans les hypothèses de simulation.
En conséquence, la Cour s'est plus particulièrement intéressée à l'assiette des cotisations sociales, pour regretter que la réforme de 1990, substituant le revenu professionnel au revenu cadastral, ne soit pas allée au bout de sa logique qui aurait consisté à établir un lien entre les données en possession de l'administration fiscale et celles servant à la MSA pour le calcul des cotisations.
Or, le régime agricole demeure le seul où subsiste une imposition au forfait et l'on observe parallèlement, un mouvement de transformation, sous diverses formes sociétaires, de nombreuses exploitations agricoles. Dans ce contexte, Mme Rolande Ruellan s'est inquiétée de la suppression de la cotisation de solidarité qui avait été précisément créée pour en compenser les effets indésirables. Elle a également fait part de sa préoccupation concernant la rigueur insuffisante des contrôles réalisés par les caisses de MSA, la très grande tolérance à l'égard des recouvrements contentieux, ainsi que les différentes formes de « mitage » de l'assiette des cotisations sociales et le manque de civisme de la part de certains assurés sociaux. D'après les statistiques, les exploitants agricoles auraient une propension d'autant plus forte à s'acquitter de leurs cotisations sociales que leurs revenus sont faibles. En définitive, tous ces phénomènes finissent par saper la légitimité de l'appel accru à la solidarité interprofessionnelle et nationale.
Abordant la question du déficit du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa), Mme Rolande Ruellan a estimé qu'une modification éventuelle des mécanismes de compensation démographique ne constituerait en rien une solution-miracle pour résoudre les problèmes financiers actuels, d'autant plus qu'il s'agit d'un jeu à somme nulle entre les différents régimes sociaux. Dans ces conditions, le recours à la solidarité nationale apparaît inéluctable, ce qui n'exclut pas un effort supplémentaire de la part de la profession agricole.
Auparavant, l'Etat était obligé d'équilibrer par une subvention les comptes du budget annexe des prestations sociales agricoles (Bapsa), lequel bénéficiait d'ailleurs de taxes plus dynamiques que celles aujourd'hui affectées au Ffipsa. Or, tel n'est plus le cas aujourd'hui et la situation de ce fonds constitue désormais un profond sujet d'inquiétude, en particulier sous l'angle de la certification de ses comptes. Cette tâche n'incombera pas à la Cour dans le cas du régime agricole mais les commissaires aux comptes qui en auront la charge devront s'interroger sur la validité du déficit. Celui-ci n'est pas actuellement apparent au niveau de la MSA, puisque le Ffipsa assure - grâce à des emprunts - ses versements à la caisse centrale. Les besoins de financement de ce fonds sont couverts par des emprunts bancaires souscrits avec la garantie de fait du ministère des finances. Or, le ministère des finances a répondu à la Cour des comptes, dans le cadre des travaux préparatoires à la certification des comptes, qu'il ne se sentait pas engagé par le déficit du Ffipsa. Cela signifie qu'il n'y a plus de garantie de l'Etat et que le fonds risque de perdre toute capacité à emprunter. Le ministère des finances a par ailleurs indiqué qu'il appartient au Parlement, et non à l'administration, de décider et de trouver les ressources nécessaires. Dans ces conditions, la perspective de voir le Ffipsa placé dans une situation d'insolvabilité est d'autant plus inquiétante que la Cour des comptes considère qu'un établissement public doit avoir des comptes équilibrés et que la situation actuelle constitue une véritable hérésie.
Après avoir jugé globalement sévères les appréciations formulées par la Cour des comptes dans son rapport écrit, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, s'est félicité de ce que sa présentation orale ne conclue pas à la remise en cause de la spécificité du régime agricole. Sachant que le nombre des caisses de la MSA devrait être ramené de soixante-quinze à trente-cinq à l'horizon 2010, il s'est demandé si l'ampleur des efforts de modernisation engagés par le régime des exploitants agricoles n'avait pas été sous-estimée.
Mme Rolande Ruellan n'a pas souscrit à ce jugement. Pour preuve, elle a indiqué qu'il est arrivé à la Cour de citer en exemple le régime agricole par rapport au régime général. De même, il faut souligner les démarches entreprises par l'actuel président de la CCMSA, ainsi que par son prédécesseur, qui se sont traduites par la réalisation d'importants efforts, et notamment par la suppression de nombreux conseils d'administration. Pour autant, ce processus de modernisation a été lancé avec retard et l'ampleur du soutien de la solidarité nationale fait peser une obligation de résultat sur le régime agricole. La MSA doit s'inspirer du RSI, qui est parvenu en peu de temps à restructurer son réseau en réduisant de quatre-vingt-dix à moins de trente le nombre de ses caisses. La Cour des comptes ne préconise d'ailleurs pas sur le terrain des réductions d'emplois d'une ampleur aussi drastique, mais la mise à profit des départs en retraite des prochaines années pour adapter progressivement la taille des services. Il s'agit en priorité d'optimiser l'organisation du régime, de renforcer sa capacité de pilotage et d'améliorer les outils informatiques.
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, s'est réjoui de ces appréciations équilibrées, qui mettent en évidence la capacité de modernisation du régime. Puis, abordant la question de la comparaison entre l'effort contributif des exploitants agricoles et celui des autres catégories d'assurés sociaux, il s'est demandé si l'on peut trancher ce débat d'une façon aussi catégorique, alors que les travaux du groupe de réflexion animé par M. Jean-François Chadelat en 2006 ont plutôt mis en évidence la grande variété des modalités de calcul envisageables et l'absence totale de consensus sur ce sujet controversé.
Faisant référence à son tour au rapport Chadelat, M. André Gauron, président de section, a indiqué que l'analyse de ce sujet complexe comprend deux dimensions bien distinctes : la comparaison des taux et celle des assiettes des cotisations sociales dans les différents régimes. S'agissant des taux, un consensus semble quasiment se dégager dans le domaine de l'assurance vieillesse, mais à l'inverse, la question fait l'objet de vives controverses pour la maladie. La Cour des comptes s'est toutefois plus particulièrement intéressée aux problèmes d'assiette et s'est s'interrogée sur la prise en compte des investissements en capital, ainsi que sur les notions d'assiette brute ou d'assiette nette.
Il a regretté les problèmes posés, en premier lieu, par l'imposition au forfait et, en second lieu, par le phénomène de transformation des exploitations agricoles en sociétés, qui conduisent au total à un véritable « mitage » de l'assiette sociale. Puis il a fait valoir l'importance, pour la profession agricole, de s'acquitter de ses obligations contributives. A ce titre, l'examen des dossiers contentieux donne le sentiment que les agriculteurs ayant les revenus les plus élevés sont peut-être ceux dont le degré de civisme est le plus faible.
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a fait valoir que le maintien d'une imposition forfaitaire n'est en rien imputable à la CCMSA, dont les instances ont pris à l'inverse position en faveur de sa disparition progressive.
M. André Gauron a souhaité que le régime agricole s'inspire des solutions retenues par le régime des indépendants pour l'assiette fiscale.
Constatant que le dossier du déficit du Ffipsa n'a connu aucune évolution depuis l'automne dernier, entraînant par là même une nouvelle augmentation de la dette du fonds, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a demandé quelles conséquences la Cour pourrait tirer de la poursuite de ce statu quo. Il a également souhaité savoir ce qui se passerait dans l'éventualité de la suppression du Ffipsa, hypothèse que la Cour appelle de ses voeux.
Mme Rolande Ruellan a considéré qu'il serait à la fois plus clair et plus transparent que la CCMSA réalise elle-même, avec la garantie explicite de l'Etat, les emprunts nécessaires et assume ainsi la maîtrise du financement du régime agricole.
M. André Gauron a rappelé que les travaux du groupe de travail Chadelat de 2006 ont mis en évidence une absence totale d'accord sur la proposition du président du comité de surveillance du Ffipsa, M. Yves Censi, de revoir, au profit du régime agricole, les règles de compensation démographique au sein de la branche vieillesse. Cette hypothèse de travail aurait entraîné, qui plus est pour des raisons de pure opportunité, des transferts financiers massifs, ce qui a été vivement contesté par le représentant du Sénat, M. Dominique Leclerc. S'agissant en revanche des dépenses de santé, il convient sans doute de se poser la question de l'introduction d'un critère tenant compte du niveau des prestations versées en fonction de l'âge des assurés sociaux, mais il n'existe pas actuellement de données statistiques suffisantes sur ce point.
D'une façon générale, M. André Gauron a estimé que la situation du Ffipsa apparaît particulièrement complexe et constitue un problème angoissant, dans la mesure où ce fonds a emprunté auprès des banques 4 milliards d'euros. Son déficit devrait atteindre 2 milliards d'euros en 2007, ce qui porterait son endettement à 6,5 milliards d'euros à la fin de l'année. Certes, les commissaires aux comptes de la CCMSA ne seront pas conduits à émettre des réserves, dans la mesure où la caisse centrale reçoit effectivement les produits qu'elle est en droit d'attendre de la part du Ffipsa. Mais le problème ne pourra être éludé au niveau du fonds, compte tenu de la position du ministère des finances rappelée par Mme Ruellan.
Après avoir observé que le débat se trouve par là même de façon bien singulière renvoyé aux deux assemblées, il a fait part de sa perplexité face à une telle perspective qui aboutirait à remettre en cause de la notion même d'unité de l'Etat sur le plan juridique et financier. La situation du Ffipsa, ainsi que la fragilité de la garantie que lui apporte l'Etat, présenteraient un caractère tragique si l'information venait à être largement connue. Après avoir précisé qu'une réunion du conseil d'administration du fonds doit avoir lieu au cours des prochains jours, il a indiqué que le président de cette instance se demande même s'il est possible d'en approuver les comptes : force est de constater que s'il s'agissait d'une entreprise, celle-ci serait déjà en quasi-faillite.
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a souhaité savoir à quelle date prévisionnelle la Cour devrait rendre publique, pour la première fois, son analyse de la certification des comptes de l'Etat.
Mme Rolande Ruellan a indiqué que, conformément à la Lolf, la certification des comptes de l'Etat interviendra avant le 1er juin 2007. Pour la CCMSA, cette opération sera réalisée en 2009 sur la base des comptes 2008.
M. Nicolas About, président, a fait part de son vif étonnement au sujet de l'idée qui consisterait à renvoyer aux deux assemblées la mission de trouver des ressources pour rétablir les équilibres financiers du Ffpsa. Outre le fait que le ministère des finances ne peut s'exonérer de sa responsabilité, le Sénat ne dispose pas des moyens pour agir dans ce domaine, et plus encore avec la nouvelle jurisprudence, particulièrement restrictive, du Conseil constitutionnel sur la recevabilité financière des amendements.
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a souhaité savoir ce que la Cour entend lorsqu'elle affirme que le régime agricole serait « cogéré par les assureurs privés ».
Mme Rolande Ruellan a souligné que le législateur a prévu que les agriculteurs peuvent choisir, pour la gestion de leurs prestations, soit directement une caisse de MSA, soit une compagnie d'assurance. Elle a estimé, toutefois, que cette forme de concurrence apparaît obsolète et que, contrairement par exemple au RSI, la CCMSA ne dispose pas, dans ce second cas de figure, des moyens de contrôler le respect des règles de bonne gestion par les assureurs ou les mutuelles qui oeuvrent pour son compte. Si les assureurs privés doivent acquitter une ristourne de 13 % à la MSA au titre des fonctions de support qu'elle exerce, cette quote-part n'a pas été réévaluée depuis longtemps, ce qui aboutit à leur accorder le bénéfice d'une petite rente.
M. Jean-Jacques Juilhard, rapporteur, a observé qu'il s'agit d'une anomalie que le Parlement pourrait corriger.
Après avoir considéré que l'on pourrait utilement mettre à contribution les profits retirés de la gestion privée des cotisations pour couvrir le déficit du Ffipsa, M. Guy Fischer a déploré que le Gouvernement ait choisi, année après année, de s'abstenir de traiter ce problème, en refusant systématiquement d'attribuer au fonds les ressources qui lui sont nécessaires. Puis il a fait part de son étonnement au sujet de l'inconséquence et de l'absence de civisme de bon nombre de riches exploitants agricoles à l'égard de leurs obligations de paiement des cotisations sociales. Jugeant également proprement scandaleux que l'Etat et les pouvoirs publics cherchent à se défausser de leurs responsabilités en ce qui concerne la dette du Ffipsa, il s'est inquiété des « nombreuses sources de fuite » pénalisant les recettes du régime agricole. Il a relevé que la propension à s'acquitter de ses cotisations semble inversement proportionnelle aux revenus des assurés sociaux et il a considéré, en dernier lieu, que, grâce à la puissance de leur représentation institutionnelle, les exploitants les plus aisés sont très bien parvenus à s'adapter.
En réponse aux réactions des sénateurs sur le degré de civisme des exploitants agricoles en matière de paiement des cotisations sociales, M. Maximilien Queyranne, auditeur à la Cour des comptes, a précisé que la Cour a fondé ses appréciations sur les contrôles qu'elle a effectués au niveau du ministère de l'agriculture et de la CCMSA. Pour apprécier la volonté de payer des assurés sociaux, elle a repris une étude du ministère sur l'application de la précédente convention d'objectifs et de gestion (Cog) fournissant des comparaisons chiffrées entre les départements et les caisses.
M. Alain Vasselle a observé que la présente audition fait ressortir un jugement d'ensemble de la Cour des comptes beaucoup plus nuancé que celui que la presse lui a prêté. Il s'est demandé s'il ne conviendrait pas qu'elle organise une conférence de presse pour corriger les appréciations qui sont intervenues après les « fuites » dans la presse.
Il a fait valoir ensuite que l'idée d'une remise en cause de la spécificité du régime agricole permet au ministère des finances de se dégager de ses responsabilités en masquant la défaillance de l'Etat. En dépit des déclarations de M. Philippe Bas, ministre de la santé et des solidarités, sur le pacte qui lie la nation à son agriculture depuis l'époque du général de Gaulle, la solidarité nationale semble de facto ne plus jouer au sujet du Ffipsa. Après avoir réfuté l'idée qui consisterait à renvoyer au Parlement le soin de trouver des solutions pour combler le déficit du fonds, il a souligné que le Sénat a déjà tenté de rétablir l'automaticité du concours de l'Etat à ce fonds, et ce, à l'occasion de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, mais que le Gouvernement a alors opposé l'article 40 de la Constitution aux amendements déposés dans cet objectif. En ce qui concerne le problème de la parité avec les autres régimes, il s'est prononcé en faveur d'une réflexion sur le rapprochement de l'assiette fiscale et de l'assiette des cotisations sociales.
Mme Rolande Ruellan a indiqué que la Cour des comptes n'entend pas répondre aux journalistes qui sont libres de leur interprétation. Sur le fond, la Cour ne suggère pas de mettre un terme à la spécificité du régime agricole, mais elle considère qu'il ne faut par arguer de cette spécificité pour justifier l'insuffisance de l'effort contributif.
M. André Gauron a précisé que la direction du budget considère aujourd'hui que les impositions de toutes natures affectées à des établissements publics ou privés par la loi, comme le Ffipsa et le fonds de solidarité vieillesse (FSV), ne doivent pas figurer dans les comptes de l'Etat, puisqu'elles ne servent pas à financer des dépenses budgétaires stricto sensu. En conséquence, ces impositions transitent par des comptes de tiers et ne doivent pas être prises en compte dans le bilan d'ouverture de l'Etat.
Cette situation est paradoxale car elle aboutit, dans le cas du Ffipsa, à ce que plus personne ne soit responsable du déficit, à part le Ffipsa lui-même. Or, il s'agit d'un établissement public dont le conseil d'administration est entièrement nommé par le Gouvernement et dont le contrôle est totalement assuré par les ministères compétents. Cela conduit également à ouvrir un débat de droit sur la nature de cette novation juridique, le Ffipsa ayant à acquitter des dépenses avec des recettes affectées qui ont disparu des comptes de l'Etat. Sur le plan des principes, le renvoi au Parlement de la responsabilité du traitement de cette question aboutit aussi à se demander si l'Etat demeure un et indivisible.
M. André Gauron a considéré que le débat sur la garantie de fait qu'apporterait l'Etat au Ffipsa ne saurait être tranché sur le plan du droit alors que, paradoxalement, la FNSEA, lorsqu'elle recourt à un emprunt, dispose pour sa part, grâce à un vote du Parlement, d'une garantie explicite de la puissance publique. Il apparaît d'ailleurs impossible d'inscrire la dette du Ffipsa dans le hors-bilan de l'Etat, même s'il est évident que la puissance publique sera appelée tôt ou tard à combler le passif de ce fonds. Dans le cas contraire, en effet, la profession agricole devrait trouver elle-même quelque 4 milliards d'euros.
M. Alain Vasselle s'est demandé pour quelles raisons, dans ces conditions, la Cour ne refuserait pas de certifier les comptes de l'Etat.
Mme Rolande Ruellan a répondu que la Cour des comptes n'est pas en mesure de donner à la commission le résultat d'une décision qui n'a pas encore été prise.
Mme Catherine Procaccia a fait part de son étonnement au sujet des critiques formulée par la Cour des comptes sur la définition de la notion de cotisant dans le régime agricole. Jusqu'à une date récente, en effet, une entreprise comme le Crédit agricole opérait exclusivement dans le domaine de l'agriculture et en milieu rural : l'affiliation de ses salariés à la MSA revêt donc une forte légitimité historique.
A l'inverse, semble prévaloir aujourd'hui une tendance très nette aboutissant à transférer au régime général des assurés sans lien direct avec le milieu agricole, comme le montre l'exemple récent des personnels des centres agricoles de gestion. Ce phénomène pose plus généralement la question de la volonté des pouvoirs publics de maintenir la protection sociale agricole. Il n'est d'ailleurs pas certain que le régime général ferait mieux que la MSA en termes de qualité de service, compte tenu notamment des particularités de la population agricole et de sa forte dispersion sur le territoire. Puis elle a fait part de son désaccord avec la Cour sur la question du rôle joué par les assureurs privés dans la gestion du régime et sur la réalité de la concurrence dans le domaine des accidents du travail.
Mme Rolande Ruellan a précisé que la Cour des comptes s'inquiète des conséquences de l'affiliation à la MSA des salariés du Crédit agricole, car certaines de ces personnes décident au cours de leur carrière professionnelle de rejoindre une entreprise relevant du régime général. Et, dans ce cas de figure, ces assurés sociaux deviennent des « polypensionnés » et sont ainsi pénalisés par les différences de réglementation en matière de retraites. En ce qui concerne les modalités de couverture du risque accident du travail, le régime obligatoire qui a été mis en place est encore trop récent pour que la Cour prenne position.
Revenant à son tour sur les travaux du groupe de travail présidé par M. Chadelat, M. Claude Domeizel a considéré que le dossier du Ffipsa met en évidence de façon flagrante l'inconscience de tous les décideurs publics, qui se contentent de constater, sans jamais rien décider. Après avoir réfuté l'idée d'une modification des règles de la compensation démographique au sein de la branche vieillesse dans le but de couvrir le déficit de ce fonds, il s'est demandé si l'origine de telles dérives financières ne remonte pas à la création, en 1996, de la loi de financement de la sécurité sociale. Les pouvoirs publics avaient en effet alors pris l'initiative de demander chaque année au Parlement de se prononcer sur le niveau des plafonds de trésorerie destinés à financer les régimes sociaux, ce qui a manifestement introduit une banalisation du recours à l'emprunt.
M. Nicolas About, président, a demandé si la volonté des concepteurs de la loi de financement ne consistait pas plutôt à restreindre le recours à ce type d'expédient, en fixant un plafond annuel pour le recours à l'emprunt.
Mme Rolande Ruellan a indiqué que dans le contexte déjà difficile du milieu des années 1990, il s'agissait effectivement d'une initiative visant à introduire davantage de vertu dans le financement de la protection sociale, et ce, par une auto-limitation des moyens d'action du Gouvernement. L'Etat utilisait alors des mécanismes d'avances auprès de la Caisse des dépôts et consignations et auprès du Trésor. Toutefois, le système actuel présente d'évidentes limites, puisqu'il est possible d'augmenter par voie réglementaire les plafonds votés par le Parlement.
Pour conclure, Mme Catherine Procaccia a confirmé, pour le déplorer, la vive inquiétude suscitée parmi les salariés de la MSA par les fuites du rapport dans la presse, ce qui a conduit les responsables de la caisse centrale à s'exprimer à ce sujet.