Mercredi 1er février 2006
- Présidence de M. Serge Vinçon, président -Nucléaire - Défense - Dissuasion nucléaire française - Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense
La commission a procédé à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la dissuasion nucléaire française.
M. Serge Vinçon, président, a d'abord remercié Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, d'avoir accepté cette importante audition consacrée à la dissuasion nucléaire française.
Il a rappelé que, le 19 janvier dernier, le Président de la République avait défini les contours de notre doctrine en la matière face au nouveau contexte stratégique. Le chef de l'Etat y avait notamment évoqué l'élargissement de la notion d'intérêts vitaux, la mise en garde envers des Etats pratiquant le terrorisme, enfin rappelé la flexibilité de nos capacités nucléaires, permettant le ciblage de centres stratégiques. Le Président de la République avait également, de nouveau, soulevé l'intérêt que pouvait représenter la capacité nucléaire française pour des pays alliés.
M. Serge Vinçon, président, a invité la Ministre à préciser aux membres de la commission la portée des propos tenus par le Président de la République et à répondre aux interrogations que cette intervention avait pu susciter auprès de certains.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a indiqué que la récente déclaration du Président de la République à l'occasion de son déplacement à l'Ile Longue l'avait amené à rappeler deux axes majeurs qui structurent la dissuasion française : la continuité de notre doctrine, d'une part, et la mise en perspective de l'évolution du contexte stratégique, d'autre part.
- La dissuasion nucléaire a toujours eu pour but la protection des intérêts vitaux de notre pays contre les menaces qui les viseraient directement. Les dangers liés à la montée en puissance du terrorisme et aux graves crises régionales africaines et asiatiques sont venus s'ajouter à la menace nucléaire traditionnelle et aux risques liés aux armes de destruction massive (y compris bactériologiques et chimiques), qui perdurent. Il est indispensable, dans ces conditions, de laisser planer la menace de destructions extrêmement importantes à l'égard de tous ceux qui s'en prendraient à ces intérêts vitaux.
- Cette politique de dissuasion s'inscrit aussi dans le cadre d'une stricte suffisance, c'est-à-dire l'adaptation de nos capacités, dont la crédibilité est sans cesse améliorée, à nos besoins réels. Ce principe a conduit, en 1996, à la suppression de la composante terrestre de notre force nucléaire. Les composantes air-sol et mer-sol étant conservées et les forces navales impliquées étant réduites de six à quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE).
- La logique reste celle de la prévention, c'est-à-dire du non-emploi de l'arme nucléaire, la seule menace de son utilisation permettant d'éviter d'y avoir recours.
- Sur le plan financier, le coût de la dissuasion nucléaire est désormais à un juste niveau, après avoir été considérablement réduit. Nos dépenses nucléaires représentent aujourd'hui moins de 10 % du budget total de la défense, et 18 % du coût des équipements au lieu de la moitié au début des années 70. Par ailleurs, les crédits consacrés à la recherche nucléaire soutiennent la recherche duale dans des domaines critiques (laser mégajoule ou calculateurs de grande puissance).
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a ensuite évoqué les inflexions évoquées par le chef de l'Etat, qui permettront à notre politique de dissuasion de tenir compte du nouveau contexte stratégique :
- La France doit se prémunir contre des risques liés à des renversements d'alliance ou d'attitude par des puissances majeures qui disposeraient d'armes nucléaires ou d'armes de destruction massive. Face à des puissances régionales qui souhaitent se doter de l'arme nucléaire, elle doit tenir compte du danger que représente l'utilisation, par leurs gouvernements, de groupes terroristes. Face aussi à des Etats disposant d'armes de destruction massive et dont le Gouvernement serait devenu défaillant et se transformant en zones de non-droit, il faut imaginer les conséquences qu'entraînerait alors la prise du pouvoir par un réseau terroriste.
- l'intervention du Président de la République a aussi permis de préciser la définition de nos intérêts vitaux, qui vise principalement à la protection contre toute attaque sur notre territoire ou nos ressortissants, mais aussi tout ce qui pourrait nuire plus généralement à la survie de nos concitoyens, notamment dans le domaine des approvisionnements stratégiques et, en particulier, énergétiques ;
- de même, a poursuivi la Ministre, les intérêts vitaux de la France pourraient être mis en cause en cas d'agression contre des pays alliés, c'est-à-dire ceux qui ont des liens très étroits avec notre pays, même s'ils ne font pas partie de l'Union européenne. Il reviendrait en tout état de cause au Président de la République d'apprécier une telle mise en cause ;
- les modalités d'action dans le domaine de la dissuasion doivent tenir compte d'éléments psychologiques. Nos adversaires potentiels peuvent penser que, compte tenu de ses principes et de sa longue tradition de respect des droits de l'homme, la France hésiterait à utiliser toute sa puissance nucléaire contre des populations civiles. Aussi bien les capacités de frappe ont-elles été aménagées afin de cibler les centres de décision d'un éventuel agresseur ;
- enfin, le chef de l'Etat a relancé l'idée d'une offre de dissuasion concertée en Europe, après une première proposition en ce sens formulée par la France, en 1995, qui n'avait alors pas suscité de réponse de la part de certains de nos alliés. Le moment est cependant opportun pour relancer cette initiative.
La politique nucléaire française est donc marquée par la continuité, le courage et la responsabilité, conformément à l'exemple qu'a donné, en 1995, le Président de la République, en menant à leur terme les derniers essais nucléaires, qui ont contribué à asseoir la crédibilité de notre dissuasion. Cette politique doit également tenir compte de l'évolution de l'environnement stratégique. La responsabilité en la matière implique enfin que soit remplie la première exigence morale, qui est de préserver la vie de nos concitoyens.
A la suite de cette intervention, M. Xavier Pintat a souligné l'intérêt des précisions apportées par la ministre de la défense et s'est félicité de l'opportunité donnée à la commission de débattre des orientations de la politique française en matière de dissuasion nucléaire. Il a estimé que le discours prononcé le 19 janvier dernier par le Président de la République apportait des réponses claires à des questions périodiquement soulevées à propos de la dissuasion, par exemple sa pertinence dans le contexte stratégique actuel, son poids financier dans le budget de la défense ou encore la possibilité d'aller plus loin dans la réduction de notre posture, sans en entamer la crédibilité.
S'agissant du contexte stratégique, M. Xavier Pintat a souligné que 15 ans après la fin de la guerre froide, le monde restait marqué par le fait nucléaire, du fait des arsenaux encore considérables des grandes puissances et de l'apparition de nouveaux Etats nucléaires, dans un contexte d'affaiblissement inquiétant du régime international de non-prolifération. Il a relevé que le chef de l'Etat avait mentionné le risque « d'un retournement imprévu du système international » ou « d'une surprise stratégique », ainsi que la possibilité pour un Etat doté d'armes de destruction massive d'exercer sur un pays comme la France un chantage visant à limiter sa liberté d'action.
Il a rappelé qu'en sa qualité de rapporteur pour avis du budget de la défense pour la dissuasion nucléaire, il avait régulièrement insisté sur la réduction considérable de notre posture nucléaire au cours des quinze dernières années, avec, pour corollaire, une division par deux du budget de la dissuasion. Il a ajouté que le Président de la République avait marqué l'engagement de la France en faveur du désarmement, au travers de mesures unilatérales de désarmement nucléaire, mais avait également souligné qu'il était difficile d'aller plus loin sur cette voie si cette volonté n'était pas unanimement partagée et si les conditions de notre sécurité globale n'étaient pas maintenues, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui du fait de la prolifération nucléaire et balistique. Dans ces conditions, le maintien d'une posture de stricte suffisance lui est apparu indispensable.
M. Xavier Pintat a enfin souscrit à l'exigence de crédibilité soulignée par le chef de l'Etat. Il lui a semblé qu'elle passait par la conservation de deux composantes, différentes et complémentaires, et par la possibilité de moduler le degré d'une éventuelle riposte nucléaire, la dissuasion pouvant ainsi jouer dans une large gamme de scénarios. Il a aussi mentionné l'importance du programme de simulation, qui garantira la crédibilité des armes après la renonciation irréversible aux essais. Il a rappelé que le laser mégajoule construit à cet effet entraînerait d'importantes retombées pour la recherche civile dans des domaines comme la physique, la médecine ou les études sur de nouvelles formes d'énergie.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a approuvé les remarques de M. Xavier Pintat. Elle a également insisté sur les retombées des investissements réalisés pour le programme de simulation pour la recherche civile, y compris dans certains cas dans le cadre de coopérations européennes.
M. André Rouvière a remercié la ministre de la défense de permettre, au travers de son audition, une discussion approfondie sur la dissuasion nucléaire en commission, mais il s'est demandé si cette question ne justifiait pas un débat en séance publique au sein de chaque assemblée. Il a estimé utile le rappel régulier, par le chef de l'Etat, de la doctrine en la matière, mais s'est déclaré perplexe sur son élargissement annoncé à la menace provenant d'Etats qui soutiennent le terrorisme. Il a considéré que, par nature, l'origine d'une agression terroriste était difficile à déceler et que l'on risquait de ne pouvoir déterminer avec certitude si un Etat donné a ou n'a pas initié l'action d'un groupe terroriste. Il a également soulevé l'hypothèse de manoeuvres provocatrices tendant à diriger les soupçons vers un Etat n'étant pas réellement impliqué.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a répondu que les commissions spécialisées de défense des deux assemblées constituaient un cadre approprié pour échanger sur un sujet aussi sensible que la dissuasion nucléaire. Elle a rappelé l'exigence de discrétion qui s'imposait sur certains aspects de nos capacités nucléaires et qui s'accommodait mal des caractéristiques propres à la séance publique. S'agissant des Etats susceptibles de soutenir le terrorisme, elle a rappelé que notre doctrine restait dans une logique de dissuasion pour préserver nos intérêts vitaux. Dans ces conditions, il s'agit moins de déterminer si un Etat porte une part de responsabilité dans un acte terroriste donné que de marquer de manière claire et vis-à-vis de tout Etat, en toutes circonstances et quelles que soient ses motivations, qu'il s'exposerait à des dommages irréparables s'il venait à menacer nos intérêts vitaux.
Mme Dominique Voynet s'est déclarée préoccupée face à l'évolution de notre doctrine qui lui a semblé s'écarter de la notion stricte de dissuasion pour s'orienter vers une logique d'emploi. Elle a mis en garde contre l'élargissement des hypothèses auxquelles devait répondre la dissuasion nucléaire. Elle a rappelé que l'intervention américaine en Irak avait pour justification une menace provenant d'armes de destruction massive, dont on a vu, par la suite, qu'elles étaient inexistantes. Elle a souhaité savoir si la France envisageait de prendre des initiatives dans le domaine de la non-prolifération nucléaire en vue de remédier à l'échec de la conférence d'examen du traité de non-prolifération de 2005. Elle a demandé des précisions sur l'insertion de notre doctrine dans la problématique européenne, abordée par le Président de la République, et elle a constaté qu'aucun de nos partenaires ne semblait se montrer désireux de prendre en compte la dissuasion française dans sa stratégie de défense. Elle a également demandé des précisions sur le degré d'avancement du programme de simulation, et notamment de la construction du laser mégajoule. Mme Dominique Voynet a évoqué les résultats des études conduites par le gouvernement de Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires et a souhaité connaître les mesures envisagées par le Gouvernement pour répondre aux inquiétudes de la population polynésienne. Elle a par ailleurs mentionné les préoccupations régulièrement exprimées par la Commission nationale d'évaluation des déchets nucléaires au sujet des quantités de déchets nucléaires non inventoriés et non conditionnés sur les anciens sites de production de matières fissiles pour les armes nucléaires, particulièrement à Marcoule. Elle a demandé si les dispositions nécessaires en vue de l'assainissement de ces sites allaient être prises, et selon quel calendrier.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a répondu que notre doctrine ne s'orientait en rien vers une perspective d'intervention, mais qu'elle visait toujours à dissuader une menace contre nos intérêts vitaux. Elle a récusé tout parallélisme avec l'intervention américaine en Irak, dans la mesure où la France a bien marqué son hostilité au principe de l'action préventive. S'agissant du TNP, elle a souligné qu'au cours des dernières années, la France s'était conformée de manière exemplaire à l'objectif de désarmement posé par le traité en supprimant la composante sol-sol, en arrêtant la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, en renonçant aux essais et en réduisant le nombre de ses SNLE. Elle a observé que les deux principales puissances nucléaires n'avaient pas réduit dans une telle proportion leur posture et leurs arsenaux. Abordant les réactions en Europe aux propos du Président de la République, elle a observé que les appréciations critiques reflétaient le plus souvent les opinions traditionnellement hostiles à la dissuasion, voire au nucléaire civil, alors qu'à travers ses contacts avec nos différents partenaires, elle avait au contraire constaté chez les dirigeants en charge de responsabilités une parfaite compréhension des positions françaises.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a ensuite apporté des précisions sur le calendrier du programme de simulation : la ligne d'intégration laser (LIL), prototype du futur laser mégajoule, a été mise en service avec les performances attendues en juillet 2004 ; le laser mégajoule lui-même entrera en fonctionnement, avec ses 240 faisceaux, au début de l'année 2011, la première expérience d'ignition étant prévue pour la fin de l'année 2012.
Elle a également détaillé les différentes étapes du plan d'action arrêté par le Gouvernement pour répondre aux préoccupations relatives aux conséquences des essais nucléaires en Polynésie française. Le Haut commissaire a désigné un médiateur et le délégué pour la sûreté nucléaire de défense (DSND) se rendra régulièrement sur place pour organiser le dialogue avec les élus polynésiens et les associations. Les premières recommandations du Comité de suivi pour l'évaluation des conséquences sanitaires des essais nucléaires sont par ailleurs attendues pour la fin de l'année 2006.
En ce qui concerne l'usine de production de plutonium de Marcoule, le démantèlement et l'assainissement complets du site seront menés à bien. Les financements nécessaires à ces opérations ont été mis en place.
M. Jean-Pierre Plancade a estimé que le Président de la République se conformait pleinement à sa fonction institutionnelle en rappelant la détermination de la France à préserver ses intérêts vitaux grâce, le cas échéant, à ses capacités nucléaires. Il s'est déclaré en accord avec l'appréciation du risque développée par le chef de l'Etat. Constatant l'évolution de notre doctrine, qui n'envisage plus exclusivement une frappe massive, mais une possibilité de riposte graduée, il s'est néanmoins interrogé sur un éventuel glissement vers une utilisation de l'arme nucléaire sur le champ de bataille.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a répondu que l'utilisation de l'arme nucléaire sur le champ de bataille demeurait totalement exclue, comme elle l'avait toujours été dans la doctrine française de dissuasion. Il est en revanche nécessaire de tenir compte de la nature des dirigeants ou des régimes qui pourraient faire peser des menaces sur des intérêts vitaux et qui ont vis-à-vis des populations civiles des conceptions tout autre que les nôtres. La notion d'ultime avertissement, tout comme la possibilité de cibler les frappes sur les centres de décision, grâce à la précision des tirs et à la souplesse d'utilisation des systèmes d'armes, répondent à ce type de situation.
M. Jean-Pierre Fourcade a relevé que le Président de la République s'est référé à la notion de dissuasion concertée émise en 1995 et a souhaité savoir si des discussions étaient conduites à ce sujet avec le Royaume-Uni. Il a par ailleurs rappelé les raisons qui avaient conduit à la suppression de la composante sol-sol et s'est demandé si les progrès faits dans les techniques de renseignement n'allaient pas, à terme, réduire la pertinence de la composante aérienne, seule la composante sous-marine pouvant s'affranchir des capacités de détection.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a précisé que des contacts réguliers intervenaient entre la France et le Royaume-Uni sur les questions de dissuasion nucléaire. Elle a par ailleurs confirmé la pertinence de notre composante aérienne, estimant que la crédibilité de la dissuasion reposait en partie sur notre capacité à pouvoir utiliser, selon les situations, l'une ou l'autre de nos composantes.
M. Didier Boulaud s'est interrogé sur la nature des contacts franco-britanniques en matière de dissuasion, le ministre britannique de la défense ayant indiqué devant la Chambre des Communes qu'il n'avait pas été préalablement informé des déclarations du Président Chirac. Par ailleurs, il a tenu à indiquer que ce dernier avait mentionné la remarquable continuité dans la tenue de notre posture de dissuasion depuis 40 ans. M. Didier Boulaud a souligné à ce propos qu'une très grande partie des décisions ayant conduit à définir une posture de stricte suffisance avaient été prises par le Président François Mitterrand avant 1995, qu'il s'agisse des mesures de désarmement unilatéral ou du lancement du renouvellement de nos vecteurs et de nos missiles. Sur le fond, il a jugé utile le rappel régulier des fondements de notre doctrine, tant pour l'information des Français qu'à l'adresse d'éventuels adversaires. Il a toutefois relevé certaines ambiguïtés dans le discours du chef de l'Etat, notamment sur le lien entre l'arme nucléaire et la dissuasion du risque terroriste. Il s'est notamment demandé si notre dissuasion s'exerçait vis-à-vis de pays ne possédant pas d'armes nucléaires et si le ciblage des centres de décision, si toutefois ceux-ci peuvent être déterminés avec certitude, était de nature à produire un effet suffisamment dissuasif.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a confirmé l'existence des contacts franco-britanniques sur les questions de dissuasion nucléaire. Elle a convenu que tous les gouvernements, depuis 40 ans, avaient pleinement pris leur part dans la tenue de la posture de dissuasion, mais elle a également fait valoir que dans cette logique, il convenait d'approuver les moyens mis en place par l'actuelle loi de programmation militaire. S'agissant des relations entre dissuasion et terrorisme, elle a réaffirmé que nos capacités nucléaires ne prétendaient en rien dissuader des réseaux terroristes. Elle a de nouveau insisté sur la notion de menace sur nos intérêts vitaux, qui constitue un critère déterminant apprécié par le Président de la République. Elle a estimé qu'une telle menace pouvait émaner de pays non dotés d'armes nucléaires mais, par exemple, disposant d'autres armes de destruction massive. En ce qui concerne le ciblage des centres de décision, elle a précisé qu'il répondait à la nécessité de pouvoir frapper les moyens de fonctionnement de régimes par nature peu sensibles aux risques encourus par leur population. Elle a rappelé que le Président de la République avait évoqué, à ce propos, la possibilité de réduire le nombre des têtes nucléaires sur certains des missiles de nos sous-marins.
M. Philippe Nogrix s'est demandé si toutes les conditions étaient réunies pour garantir une véritable crédibilité de notre dissuasion face à des pays qui menaceraient nos intérêts vitaux. Il a notamment évoqué l'ensemble des moyens et procédures intervenant dans le processus de décision, notamment le renseignement et les concertations avec les pays alliés, ainsi que le bon déroulement technique et financier des réalisations prévues par la loi de programmation.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a rappelé les efforts effectués depuis plusieurs années pour renforcer nos capacités de renseignement. S'agissant du processus de décision, elle a estimé que les contacts et échanges qui pourraient intervenir avec des pays particulièrement proches en cas de crise ne remettaient pas en cause l'exercice, par le chef de l'Etat et lui seul, de la responsabilité ultime de mettre en oeuvre l'arme nucléaire. Elle a précisé que les différents programmes en cours disposaient des moyens financiers nécessaires et visaient précisément à pérenniser la crédibilité de notre dissuasion.
M. Charles Pasqua a estimé qu'il était de la responsabilité du Président de la République de faire évoluer notre doctrine de dissuasion nucléaire. Il a considéré que cette doctrine devait tenir compte de l'état de la menace envisageable à l'horizon de 15 ou 20 ans et que celle-ci ne pouvant être connue aujourd'hui avec précision, il convenait de se préparer à une grande diversité d'éventualités. Il a notamment évoqué le risque de voir des Etats possédant l'arme nucléaire, ou en passe d'y accéder, tomber aux mains de régimes dangereux pour la sécurité internationale. Il a également mentionné la possibilité de voir des armes nucléaires mises sur le marché, du fait de la désagrégation de certains Etats et de la miniaturisation de ces armes. Enfin, il a estimé que les armes bactériologiques pouvaient faire peser sur les populations des menaces tout aussi sérieuses que les armes nucléaires. M. Charles Pasqua a néanmoins relevé la difficulté qu'il y avait à définir nos intérêts vitaux et il a considéré que, compte tenu de l'évolution des relations internationales, il s'agirait de continuer à exercer une responsabilité qui ne peut se partager avec d'autres pays sans pour autant pouvoir faire abstraction des intérêts de nos partenaires et alliés.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a précisé que la France procédait sur les questions liées à la dissuasion nucléaire à de nombreux échanges avec ses partenaires, notamment avec les Etats-Unis, mais qu'elle veillait à conserver des moyens d'appréciation autonomes. Elle a évoqué les risques liés aux armes chimiques et bactériologiques, moins complexes à mettre en oeuvre qu'une arme nucléaire. Elle a considéré que la notion d'intérêts vitaux touchait aux garanties ultimes de notre sécurité. S'il était légitime d'en discuter avec nos partenaires et alliés, notamment durant toutes les étapes de la montée d'éventuelles menaces, la responsabilité finale ne pouvait bien entendu relever que du Président de la République.
Mme Hélène Luc a observé que les précédents Présidents de la République avaient pris soin d'entretenir le flou sur la notion d'intérêts vitaux et elle s'est demandé si l'évocation des Etats qui soutiennent le terrorisme tout comme la notion de frappes ciblées ne constituaient pas une dérive par rapport au concept originel de dissuasion. Elle a évoqué les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie française reconnaissant la nocivité des expérimentations effectuées dans le Pacifique sur les populations locales. Elle a souhaité qu'un débat sur la dissuasion puisse se dérouler en séance publique.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a de nouveau souligné l'attachement de la France au concept de dissuasion, par opposition avec celui d'emploi de l'arme nucléaire. S'agissant du terrorisme, elle a précisé que les cas de figure envisagés étaient ceux d'un Etat utilisant des méthodes terroristes ou encore d'un Etat passé sous le contrôle de groupes terroristes et doté de moyens susceptibles de nuire à nos intérêts vitaux. Elle a également précisé qu'il appartenait au seul chef de l'Etat d'apprécier une telle menace.
M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur les conditions d'éventuels accords avec nos alliés en matière nucléaire. Il s'est notamment demandé si certains d'entre eux seraient disposés à substituer une garantie française à l'actuelle garantie nucléaire assurée par les Etats-Unis et si, dans cette hypothèse, ces pays joueraient un rôle dans le processus de décision aboutissant à la mise en oeuvre de l'arme nucléaire.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a précisé que la dissuasion concertée ne constituait ni une dissuasion octroyée, ni une dissuasion commune, mais qu'elle visait à établir une discussion sur la protection d'intérêts étroitement imbriqués. En conclusion, elle a insisté sur le lien entre la dissuasion nucléaire et la position internationale de la France. Elle a en effet considéré que tout en garantissant notre sécurité, la dissuasion assurait à notre pays une crédibilité internationale et une capacité d'influence dans bien d'autres domaines.
Après avoir remercié Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, pour l'intérêt de cette audition, M. Serge Vinçon, président, a relevé que le format de la commission, par ailleurs doublement compétente sur les questions internationales et de défense, se révélait particulièrement adapté pour conduire une réflexion et un débat sur un sujet aussi important et sensible que celui de la dissuasion nucléaire.